T-2597-86
Hawabibi Fatehbhai Mahida (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré-
taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIÉ: MAHIDA C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Joyal—
Toronto, 9 mars; Ottawa, 9 juin 1987.
Immigration — Pratique — Demande visant à obtenir un
certiorari annulant la décision portant que le frère de la
requérante ne pouvait plus obtenir un visa d'immigrant à titre
de membre de la famille qui accompagne l'intéressé suivant
l'art. 6(1)a) du Règlement, ainsi qu'un mandamus obligeant les
intimés à traiter la demande — Le frère de la requérante a eu
21 ans après le dépôt de l'engagement à fournir de l'aide mais
avant que la demande soit traitée — Retard dû à des circons-
tances indépendantes de la volonté des parties — Aucune des
parties n'était au courant de la non-admissibilité prochaine du
frère — La demande de visa d'immigrant a été présentée après
que le processus menant à l'acceptation ou au refus eut été
amorcé — On attribue au mot «et» figurant dans la définition
de l'expression «personne à charge» un sens disjonctif pour
interpréter l'art. 2(1) à la lumière des exigences administrati-
ves — Selon les circonstances de l'espèce, c'est la date de la
demande d'immigration ou celle de l'engagement à fournir de
l'aide qui permet de déterminer l'admissibilité — Le processus
visant l'obtention d'un visa d'immigrant a été amorcé en bonne
et due forme lorsque l'engagement à fournir de l'aide a été
produit et approuvé.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari
Mandamus — Immigration — Le frère de la requérante a eu
21 ans après le dépôt de l'engagement à fournir de l'aide mais
avant que la demande soit traitée — L'agent des visas a décidé
qu'il ne pouvait plus obtenir un visa d'immigrant à titre de
membre de la famille qui accompagne l'intéressé, suivant l'art.
6(1)a) du Règlement sur l'immigration de 1978 — La décision
concernant la non-admissibilité peut faire l'objet d'une
demande d'examen et d'annulation, ce qui n'est pas le cas de la
décision discrétionnaire concernant l'existence de considéra-
tions d'ordre humanitaire justifiant d'accueillir la demande.
Il s'agit en l'espèce d'une demande visant à obtenir un bref
de certiorari annulant la décision rendue par un agent des visas
relativement à certains immigrants parrainés ainsi qu'un bref
de mandamus enjoignant aux intimés de traiter leur demande.
La requérante a signé un engagement à fournir de l'aide avant
que son frère ait 21 ans. En raison de circonstances indépen-
dantes de la volonté des autorités de l'immigration et des
immigrants éventuels, les formules de demande nécessaires
n'ont pas été remplies avant que le frère ait 21 ans. Ni la
requérante ni les autorités de l'immigration ne semblaient au
courant de la non-admissibilité latente du frère. On a jugé que
le frère ne pouvait plus obtenir un visa d'immigrant à titre de
membre qui accompagne la famille, suivant l'alinéa 6(1)a) du
Règlement sur l'immigration de 1978. L'alinéa 6(1)a) prévoit
la présentation de demandes par des personnes appartenant à la
catégorie de la famille et les personnes à charge qui les accom-
pagnent. Le paragraphe 2(1) définit l'expression «personne à
charge» comme le «fils ... non marié ... âgé de moins de 21
ans ... au moment où cette personne présente une demande de
visa d'immigrant et, s'il y a lieu, au moment où une personne
s'engage conformément aux exigences prévues». Le litige con-
siste à déterminer si le refus de délivrer un visa au frère de la
requérante peut faire l'objet d'une demande d'examen et d'an-
nulation fondée sur l'article 18 et si la date permettant de
déterminer l'admissibilité est celle de l'engagement à fournir de
l'aide ou celle à laquelle les demandes d'immigration sont
remplies.
Jugement: la demande doit être accueillie.
Le pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas qui délivre ou
refuse de délivrer un visa d'immigrant est très étendu. Les
lignes directrices de la politique administrative indiquent que
les demandes présentées à l'étranger par des personnes entrant
dans la catégorie de la famille doivent être étudiées le plus
rapidement possible, particulièrement celles où il s'agit de
personnes à charge qui dépasseront bientôt l'âge limite. Les cas
des personnes à charge qui, en raison de leur âge, deviennent
non admissibles au cours de l'étude de leurs dossiers doivent
être examinés attentivement en fonction de l'existence de consi-
dérations d'ordre humanitaire et de motifs de pitié. En l'espèce,
la décision de l'agent comportait deux volets: il a décidé d'une
part que le frère était non admissible en vertu du Règlement et,
d'autre part, il a préféré s'attacher à ce qu'il considérait comme
un empêchement légal plutôt que de conclure à l'existence de
considérations d'ordre humanitaire et de motifs de pitié qui lui
auraient permis d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'ad-
mettre celui-ci. Le deuxième volet de sa décision n'est pas
susceptible d'examen et d'annulation.
Sa décision reposait sur le paragraphe 2(1) et les alinéas
6(1)a) et b) du Règlement. Au regard de ces dispositions, le
frère faisait partie des personnes non admissibles, car il avait
plus de 21 ans lorsque l'agent des visas a reçu la demande
d'immigration. Il y a lieu de se demander si le chronomètre
s'arrête à l'égard d'une personne à charge à compter du
moment où une demande d'immigration est présentée ou à
compter du moment où une demande de parrainage est déposée
et approuvée. Dans l'arrêt Wong c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration (1986), 64 N.R. 309 (C.A.F.), la Cour a statué
qu'une demande de visa d'immigrant est présentée à partir du
moment où est engagé le processus aboutissant à la délivrance
du visa ou au refus de le délivrer. Il faut donc interpréter le
paragraphe 2(1) du Règlement à la lumière des exigences
administratives chaque fois qu'une affaire concerne des immi
grants parrainés. En l'espèce, il faut attribuer un sens disjonctif
au mot «et» figurant au paragraphe 2(1). Selon les circons-
tances, ce sera la date d'un engagement à fournir de l'aide qui
arrêtera le chronomètre.
Le processus visant l'obtention d'un visa d'immigrant a été
amorcé lorsque l'engagement à fournir de l'aide a été produit et
approuvé. Comme les retards étaient indépendants de la volonté
des parties, c'est donc la date à laquelle le processus a été
amorcé qui doit servir à déterminer si le frère était admissible.
La présente affaire comporte un ensemble de circonstances
particulières et exceptionnelles. Dans tout autre cas, la question
de savoir si le retard découlait de la faute, de la négligence ou
de l'inadvertance de l'une ou de l'autre des parties constituerait
une question de fait ou de crédibilité. L'âge limite de 23 ans
prévu à l'alinéa 2(1)a) du Règlement met un frein aux délais
infinis.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 18.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52.
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172,
art. 2(1) (mod. par DORS/84-850, art. 1), 4(1)b)(i)
(mod. par DORS/82-702, art. 1; 84-140, art. 1), 6(1)a)
(mod. par DORS/83-675, art. 2), b) (mod. par
DORS/79-167, art. 2).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Wong c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(1986), 64 N.R. 309 (C.A.F.).
AVOCATS:
Gary Segal pour la requérante.
Debra M. McAllister pour les intimés.
PROCUREURS:
Gary L. Segal, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE JOYAL: La requérante demande à la
Cour de délivrer un bref de certiorari ainsi qu'un
bref de mandamus à l'encontre des intimés afin
d'annuler la décision d'un agent des visas concer-
nant certains immigrants parrainés se trouvant en
Inde et afin que la demande de ces derniers soit
traitée conformément à la loi.
LES FAITS
Les faits à l'origine de la demande ne sont pas
vraiment contestés. Le 10 mai 1984, la requérante
a signé, au bureau d'immigration de Toronto, un
engagement à fournir de l'aide afin de parrainer
son père, sa mère et ses deux frères relativement à
une demande de visas permanents au Canada.
La pratique du bureau de l'immigration consiste
dans un tel cas à transmettre une copie de l'enga-
gement à l'agent des visas du Canada en poste à
New Delhi. Ladite copie a été reçue à New Delhi
le 24 mai 1984 d'où, le 27 juin 1984, l'agent des
visas a fait parvenir aux immigrants éventuels les
formules nécessaires de demande de résidence
permanente.
Pour une raison ou une autre, les immigrants
éventuels n'ont pas reçu les formules ou ne les ont
pas remplies et renvoyées à New Delhi.
Quelques mois plus tard, en février et en mars
1985, la répondante canadienne a commencé à
s'enquérir auprès du bureau de l'immigration local
de Toronto de ce qu'il advenait de la demande, sa
famille n'ayant pas encore reçu de nouvelles de
New Delhi. On â alors cherché à en savoir plus
long, et un deuxième jeu de formules de demande
de visa a été envoyé aux immigrants éventuels le
26 mars 1985 et un troisième le 12 avril 1985. Les
formules ont finalement été remplies et retournées
en bonne et due forme à New Delhi le 10 mai
1985.
On a toutefois constaté que l'un des immigrants
éventuels, Yusufbhai Mahida, qui est l'un des
frères de la répondante, avait eu 21 ans le 10
février 1985, et c'est pourquoi on a considéré qu'il
ne pouvait plus obtenir un visa d'immigrant à titre
de membre de la famille qui accompagne l'inté-
ressé, suivant l'alinéa 6(1)a) du Règlement sur
l'immigration de 1978 [DORS/78-172 (mod. par
DORS/83-675, art. 2)].
Après un échange de correspondance entre New
Delhi et les immigrants éventuels, on a demandé à
la répondante le 14 juillet 1986 de rayer le nom de
son frère Yusufbhai de la liste, ce qu'elle a refusé
de faire. Les fonctionnaires des intimés n'ont
entrepris aucune autre démarche et la répondante
s'est adressée à cette Cour le 21 décembre 1986
afin d'obtenir des brefs de prérogative.
LE LITIGE
Il ressort de la chronologie des événements expo-
sés plus haut que si les immigrants éventuels
avaient reçu — les formules de demande ou s'ils
n'avaient pas omis de les retourner, la demande
relative au fils Yusufbhai aurait été traitée de la
même manière que les autres et, selon toute appa-
rence, un visa d'immigrant lui aurait été délivré.
Le litige comporte donc deux volets:
1. Le refus de l'agent des visas en poste à New
Delhi de délivrer un visa d'immigrant au fils
Yusufbhai peut-il faire l'objet d'une demande
d'examen et d'annulation fondée sur l'article 18?
2. La date permettant de déterminer l'admissibilité
de Yusufbhai est-elle celle de l'engagement à four-
nir de l'aide ou celle à laquelle les demandes
d'immigration sont dûment remplies?
Il est intéressant de remarquer à cet égard que
la lettre type envoyée par New Delhi aux immi
grants éventuels leur fournit les renseignements
suivants:
[TRADUCTION] Selon les règlements sur l'immigration en
vigueur au Canada, les personnes qui sont à votre charge, s'il en
est, comprennent votre fils, ou votre fille, non marié et âgé
(i) de moins de vingt et un ans au moment où votre demande de
visa d'immigrant est reçue à ce bureau;
(ii) de moins de vingt-trois ans au moment où un visa d'immi-
grant vous est délivré.
La mention de cette partie de la formule pose la
question de savoir non seulement quand le chrono-
mètre commence à égrener les secondes, mais aussi
quand il s'arrête.
Il est indubitable que si l'on veut appliquer des
principes généraux d'ordre public en ce qui con-
cerne les conditions requises quant à l'âge pour les
immigrants éventuels, certains moyens de contrôle
doivent être prévus dans la loi. Il suffit que le
chronomètre avance d'une seconde pour qu'un
mineur légalement incompétent devienne un adulte
parfaitement compétent. Selon le Règlement, un
jour de plus ou un jour de moins avant ou après le
vingt et unième anniversaire d'un immigrant éven-
tuel rend celui-ci admissible ou non admissible à
titre de membre de la famille, et je dois présumer
que dans la plupart des cas, il est facile et simple
de statuer sur la demande d'un requérant particu-
lier. Mais parfois, cette décision devient plus diffi-
cile en raison d'un ensemble de circonstances
spéciales.
LES CONCLUSIONS
Aux fins de lq demande dont j'ai été saisi, je dois
conclure que l'erngagement à fournir de l'aide
déposé par la requérante le 10 mai 1984 a été
dûment envoyé à New Delhi qui, le 27 juin 1984, a
fait parvenir aux immigrants éventuels les formu-
les de demande de visa. Je dois en outre conclure
que ces formules n'ont toutefois pas été reçues par
leurs destinataires. Rien dans la preuve n'indique
pourquoi les formules se sont égarées et, en fait, il
serait manifestement inutile de chercher à en
savoir plus sur ce point. On peut simplement pré-
sumer que, comme c'est le cas pour tous les servi
ces postaux, des lettres et des colis s'égarent et
certains refont surface des mois ou des années plus
tard.
Je dois en outre conclure que le temps requis
pour traiter la demande, soit du 10 au 24 mai 1984
lorsqu'elle a été envoyée à New Delhi et jusqu'au
27 juin 1984 lorsque New Delhi y a donné suite,
prouve que le processus administratif, probable-
ment en raison de la charge de travail, doit suivre
naturellement son cours sur une période plus
longue.
Ce doit être un peu avant le 25 février 1985 que
les parents de la requérante ont averti celle-ci que
rien ne semblait s'être produit au cours des mois
précédents. C'est à cette date que la requérante a
fait parvenir une lettre au bureau de l'immigration
et en a envoyé une copie à son député. Les démar-
ches entreprises par le ministère ont amené New
Delhi à écrire de nouveau aux immigrants éven-
tuels les 26 mars et 12 avril 1985. La preuve
indique que les destinataires des lettres ont reçu
celle du 12 avril 1985 avant celle du 26 mars 1985,
mais ce fait n'a aucune véritable incidence. Cela
pourrait simplement constituer un nouvel indice
que les services postaux sont partout les mêmes.
La lettre adressée par la requérante au bureau
de l'immigration en date du 25 février 1985 me
fait l'effet d'une lettre pleine d'égards demandant
poliment les motifs du retard de plusieurs mois
concernant le traitement de la demande. Sa teneur
ne révèle aucune inquiétude particulière de la part
de la requérante quant au fait que le retard pour-
rait avoir un effet négatif sur la demande présen-
tée au sujet de son frère qui continue à vieillir et
qui a même déjà plus de 21 ans. La lettre indique
plutôt que la requérante et sa famille croyaient que
New Delhi avait pris les mesures nécessaires, ce
qui explique de manière tout à fait convaincante
pourquoi la requérante a tardé à avertir le bureau
de l'immigration.
En fait, même à une date aussi tardive que le 6
juin 1985, lorsque le ministre responsable a
répondu à la lettre du député, on présumait que
rien de grave ne ralentissait le traitement du dos
sier si ce n'est un simple retard. Je souligne à cet
égard que dans l'engagement à fournir de l'aide
qu'elle a déposé, la requérante a indiqué l'âge de
son frère et qu'il était évident, au moment où le
personnel du ministre a examiné ledit engagement,
que le frère de la requérante avait déjà beaucoup
plus de 21 ans. On peut rester perplexe devant le
fait que la personne qui a préparé la réponse du
ministre n'a pas remarqué cet élément de non-
admissibilité latente qui est mentionné expressé-
ment dans les directives du ministère sur lesquelles
je reviendrai plus loin. Compte tenu de la décision
que j'ai l'intention de rendre, ce fait n'a toutefois
aucune incidence. Il laisse simplement entendre
que la requérante ignorait que Yusufbhai devien-
drait non admissible très prochainement et que le
service de l'immigration ne savait pas que Yusufb-
hai était devenu en théorie non admissible.
Compte tenu des circonstances de l'espèce, je
dois conclure que c'est en raison de circonstances
indépendantes de la volonté de la requérante et des
intimés que les membres parrainés de la famille
n'ont pas soumis leurs demandes de visa dans le
délai prévu et que les intimés n'ont pas traité
celles-ci. Je dois également conclure que la requé-
rante n'a pas fait preuve d'un manque de diligence
en n'avertissant pas les intimés plus tôt.
LA LOI
Les alinéas 6(1)a) et 6(1)b) [mod. par
DORS/79-167, art. 2] du Règlement sur l'immi-
gration de 1978 prévoient:
6. (1) Lorsqu'une personne appartenant à la catégorie de la
famille présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des
visas peut lui en délivrer un ainsi qu'aux personnes à sa charge
qui l'accompagnent,
a) si elle et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompa-
gnent ou non, ne font pas partie d'une catégorie de personnes
non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du
présent règlement;
b) si le répondant
(i) s'est engagé,
La définition de «personne à charge» qui figure
au paragraphe 2(1) du Règlement [mod. par
DORS/84-850, art. 1] comprend le fils ou la fille
non marié et âgé de moins de 21 ans au moment
où cette personne présente une demande de visa
d'immigrant et, s'il y a lieu, au moment où une
personne s'engage conformément aux exigences
prévues.
Au premier coup d'oeil, le libellé de cette défini-
tion semble arrêter le chronomètre à 21 ans lors-
que la date de la demande d'un visa d'immigrant
et celle de l'engagement sont antérieures au vingt
et unième anniversaire de la personne à charge. Il
faut remarquer que la conjonction «et» est utilisée
dans la définition, ce qui a habituellement pour
effet d'entraîner l'application des deux critères
pour déterminer la date finale. Je souligne égale-
ment que le libellé du sous-alinéa 4(1)b)(i) [mod.
par DORS/82-702, art. 1; 84-140, art. 1] a la
même connotation.
Il ressort de la position adoptée par l'agent des
visas en poste à New Delhi dans la demande qu'il a
adressée à la requérante le 5 juin 1986 et dans sa
lettre à l'immigrant en date du 30 juillet 1986 que
c'est ainsi qu'il a interprété cette disposition.
L'agent a clairement déclaré que le fils Yusufbhai
[TRADUCTION] «ne pouvait obtenir un visa d'im-
migrant à titre de membre de la famille qui
accompagne l'intéressé, suivant l'alinéa 6(1)a) du
Règlement sur l'immigration de 1978».
Ce qui me fait hésiter à appliquer l'alinéa
6(1)a), c'est qu'il crée une situation ambiguë ou,
en d'autres termes, qu'il enferme dans un dilemme
les personnes à charge réunissant les conditions
prescrites. Si on suppose qu'une personne ayant à
sa charge une personne réunissant les conditions
prescrites et se trouvant dans un pays éloigné
comme l'Inde ne peut présenter une demande
d'immigration sans qu'un répondant au Canada ait
d'abord produit un engagement à fournir de l'aide
approuvé par les autorités de l'immigration au
Canada, comment le délai qui s'écoule entre l'ac-
ceptation préalable et la communication ultérieure
de celle-ci à l'immigrant peut-il avoir une inci
dence sur le statut de la personne à charge réunis-
sant les conditions prescrites? Quelles sont les
conséquences pour cette personne à charge si, par
inadvertance, par suite d'une erreur d'écriture ou
pour toute autre raison, l'engagement n'est pas
envoyé à un agent des visas en poste à l'étranger
ou est perdu dans la paperasse, ou encore, comme
c'est le cas en l'espèce, s'égare dans le courrier?
Cette hypothèse me ramène à la première des
deux questions que j'ai formulées plus haut relati-
vement au litige, c'est-à-dire la décision de l'agent
des visas peut-elle faire l'objet d'une demande
d'examen et d'annulation?
Les deux parties reconnaissent que le pouvoir
discrétionnaire de l'agent des visas qui délivre ou
refuse de délivrer un visa d'immigrant est très
étendu. La Loi sur l'immigration de 1976 [S.C.
1976-77, chap. 52] et le Règlement définissent les
personnes admissibles et les personnes non admis-
sibles et, dans la plupart des cas, il est relativement
facile pour l'agent des visas de décider de refuser
un visa à une personne qui est clairement non
admissible. Il existe néanmoins un large éventail
de cas où l'agent des visas peut exercer son pouvoir
discrétionnaire dans un sens ou dans l'autre.
Je pense à cet égard à un document intitulé IS2
qui renferme les lignes directrices de la politique
administrative du service de l'immigration, docu
ment qui a été produit à l'audience. Il traite
notamment de l'examen à l'étranger des demandes
dans le cas de personnes entrant dans la catégorie
de la famille.
Selon ledit document, les demandes de ce genre
sont non seulement examinées en priorité, mais
elles doivent être étudiées le plus rapidement possi
ble, particulièrement s'il s'agit d'une personne à
charge qui dépassera bientôt l'âge limite «de sorte
qu'un visa ne lui soit pas refusé pour ce qui
pourrait être considéré comme étant des retards
d'ordre administratif de notre part».
Le document IS2 indique également qu'une per-
sonne qui, en raison de son âge, devient non admis
sible au cours de l'étude de son cas pourrait être
admissible à titre de parent aidé. Tous ces cas,
souligne le document, doivent être étudiés attenti-
vement en fonction «du pouvoir discrétionnaire ..
de l'existence de considérations d'ordre humani-
taire et de motifs de pitié et des dispositions relati
ves à la réunion des familles». [C'est moi qui
souligne.]
Ce document fournit enfin les directives applica-
bles dans les cas particuliers de l'admission au
Canada accordée en vertu d'un décret.
Dans sa décision, l'agent des visas s'est prononcé
simultanément sur deux points. Il a décidé d'une
part que le fils Yusufbhai n'était pas admissible en
vertu du paragraphe 2(1) et des alinéas 6(1)a) et
b) du Règlement sur l'immigration de 1978. Et il
a conclu d'autre part à l'absence des motifs d'ordre
humanitaire et de pitié qui lui auraient permis de
ne pas tenir compte de ce qu'il considère comme
un empêchement légal et d'exercer son pouvoir
discrétionnaire résiduaire de manière plus favora
ble à la requérante.
Même si je ne dois pas conclure que le deuxième
volet de sa décision pourrait par ailleurs être sus
ceptible d'examen et d'annulation, je dois néan-
moins examiner si le premier volet de sa décision
est fondé en droit.
La décision de l'agent des visas à cet égard
repose sur la règle énoncée au paragraphe 2(1) et
aux alinéas 6(1)a) et b) du Règlement sur l'immi-
gration de 1978. Au regard de ces dispositions, le
fils Yusufbhai avait beaucoup plus de 21 ans
lorsque l'agent des visas a reçu la demande d'im-
migration. Il faisait donc clairement partie des
personnes non admissibles.
Cela m'amène à la deuxième question que j'ai
formulée plus haut: le chronomètre s'arrête-t-il à
l'égard d'une personne à charge à compter du
moment où une demande d'immigration est pré-
sentée ou à compter du moment où une demande
de parrainage est déposée et approuvée? Si je
comprends bien les arguments qui m'ont été
soumis, la procédure suivie à l'égard des membres
parrainés d'une famille exige qu'un engagement à
fournir de l'aide soit autorisé au Canada avant
qu'une demande d'immigration puisse être présen-
tée à l'étranger. Cet engagement constitue une
condition sine qua non aux fins de l'examen de
toute demande d'immigration. La Cour d'appel a
dû se prononcer sur une situation similaire dans
l'arrêt Wong c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration (1986), 64 N.R. 309 (C.A.F.). Il s'agissait
dans cette affaire d'un répondant canadien qui
avait remis au bureau de l'immigration un engage
ment ainsi qu'une formule de demande de visa
partiellement remplie relativement au parrainage
de membres de sa famille se trouvant en Chine. Le
répondant devait en même temps obtenir des auto-
rités chinoises une «attestation de parenté». Ce
n'est que plusieurs mois plus tard que cette attesta
tion a été obtenue et transmise, avec l'engagement
et la demande d'immigration partiellement rem-
plie, à l'agent des visas en poste à Hong Kong. A
ce moment-là, l'un des immigrants éventuels,
Ming Biu Wong, avait atteint 21 ans et l'agent des
visas l'a déclaré non admissible.
S'exprimant au nom de la Cour et statuant que
l'immigrant éventuel était admissible en vertu du
Règlement sur l'immigration de 1978, le juge
Mahoney a déclaré, à la page 311:
Il me semble toutefois qu'une demande de visa d'immigrant est
présentée à partir du moment où est engagé en bonne et due
forme le processus aboutissant à la délivrance du visa ou au
refus de le délivrer et non pas seulement lorsque le dossier est
confié au fonctionnaire particulier qui est autorisé à se pronon-
cer sur la demande.
À mon avis, la conclusion du juge Mahoney
signifie qu'il faut interpréter le paragraphe 2(1) du
Règlement sur l'immigration de 1978 à la lumière
des exigences administratives chaque fois qu'une
affaire concerne des immigrants parrainés. Cela
signifie que dans le cas dont il a été saisi, tout
comme dans celui qui m'a été soumis, il faut
attribuer un sens disjonctif à la conjonction «et»
qui figure au paragraphe 2(1). En d'autres termes,
il faut accorder à ce paragraphe le sens le plus
compatible avec les procédures administratives
adoptées par les autorités de l'immigration en vue
de la meilleure application possible des politiques
suivies en matière d'immigration et avec la teneur
générale des dispositions législatives dont il fait
partie. C'est ainsi que, selon les circonstances de
l'espèce, ce sera la date de la demande d'immigra-
tion ou celle d'un engagement à fournir de l'aide
qui arrêtera le chronomètre.
Si tel est le point de vue de la Cour d'appel
fédérale, je dois y souscrire et l'appliquer à l'es-
pèce. Compte tenu des faits, je dois conclure que le
processus visant l'obtention d'un visa d'immigrant
a été amorcé en bonne et due forme lorsque l'enga-
gement à fournir de l'aide a été produit et
approuvé à Toronto. Ce document a été confié en
temps utile à un fonctionnaire qui l'a ensuite trans-
mis par courrier. Les retards étaient indépendants
de la volonté des services de l'immigration et des
immigrants éventuels. Aucune des parties ne s'est
comportée de manière active ou passive afin de
rompre le processus qui s'est poursuivi jusqu'au
bout. C'est donc la date à laquelle il a été amorcé
qui doit servir à déterminer si le fils Yusufbhai est
admissible à titre de personne à charge.
Il faut admettre que l'affaire dont j'ai été saisi
comporte un ensemble de circonstances particuliè-
res et exceptionnelles à partir desquelles il n'est
pas toujours facile de tirer des conclusions. Dans
tout autre cas, la question de savoir si le dépôt en
retard d'une demande de droit d'établissement per
manent ou d'un engagement à fournir de l'aide
était attribuable ou non à des circonstances indé-
pendantes de la volonté des parties engagées dans
le processus ou découlait de la faute, de la négli-
gence ou de l'inadvertance de l'une ou l'autre
d'entre elles constituerait une question de fait ou
de crédibilité. Mise à part l'opinion émise par la
Cour d'appel fédérale à laquelle je dois souscrire
pour les fins de l'espèce et, probablement, pour les
fins de l'espèce seulement, je dois m'abstenir de
tout autre commentaire.
J'ai déjà mentionné dans les présents motifs la
nécessité d'interpréter ou d'appliquer certaines dis
positions de la Loi et du Règlement de manière à
ne pas laisser la porte ouverte aux demandes abusi-
ves ou à légitimer les retards injustifiés et volontai-
res. Bien qu'on puisse considérer que ma conclu
sion a manifestement cet effet, je trouve
néanmoins un certain appui dans les dispositions
de l'alinéa 2(1)a) du Règlement sur l'immigration
de 1978 où la limite de 23 ans met un frein aux
délais infinis.
La décision de l'agent des visas est annulée. Il
est ordonné aux intimés de renvoyer le cas de la
personne à charge nommée en l'espèce à l'agent
des visas afin qu'il réexamine la demande en
tenant compte du fait que ladite personne à
charge, sous réserve de son admissibilité suivant la
Loi et le Règlement, ne fait pas par ailleurs partie
des personnes non admissibles sous le régime de
l'alinéa 6(1)a) du Règlement sur l'immigration de
1978.
La requérante a également droit aux dépens.
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