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T-84-88
Kenneth J. Payne (requérant)
c.
Commission de la Fonction publique (intimée)
RÉPERTORIÉ: PAYNE c. CANADA (COMMISSION DE IA FONC- TION PUBLIQUE)
Division de première instance, juge Reed— Ottawa, 4 février 1988.
Fonction publique Procédure de sélection Démission d'un fonctionnaire pour joindre le personnel du ministre L'art. 37(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique accorde priorité à un poste dans la Fonction publique lorsque l'employé perd son emploi, peu importe que le ministre perde ou non son poste Mandamus rendu demandant à la Com mission de donner au requérant la priorité pour une nomina tion sans concours.
Interprétation des lois Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, art. 37(3) La Commission interprète ensemble les art. 37(3) et 37(2), exigeant, pour qu'il y ait priorité, que la perte d'emploi des membres du personnel du ministre soit due à la perte par le ministre de son poste L'art. 37(3) ne mentionne ni que le ministre cesse d'occuper son poste, ni l'art. 37(2) Le paragraphe est complet en lui-même, à moins qu'une réserve ne prévoie expressément le contraire, ou qu'il existe une ambiguïté ou une indication qu'il devait être quali- fié par un autre paragraphe Les gens doivent pouvoir se fier au sens grammatical usuel des lois Quoique la pratique administrative soit parfois utile pour interpréter la loi, elle ne peut contredire un texte législatif clair.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 37(2),(3),(4),(6).
JURISPRUDENCE DÉCISION APPLIQUÉE:
Harel c. Sous-ministre du revenu du Québec, [1978] 1 R.C.S. 851.
DÉCISION CITÉE:
Vachon c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1985] 2 R.C.S. 417; 23 D.L.R. (4th) 641.
DOCTRINE
Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, Cowansville (Qué.): Les Éditions Yvon Blais Inc., 1982.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.
AVOCATS:
John P. Nelligan, c.r. pour le requérant. Brian J. Saunders pour l'intimée.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La question dans cette affaire est très simple: quelle est l'interprétation à donner au paragraphe 37(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32? La disposition se lit comme suit:
37....
(3) Quiconque
a) était un employé immédiatement avant de devenir employé dans le cabinet d'un ministre
a droit, pendant une période d'un an à compter de la date il cesse d'être ainsi employé, d'être nommé sans concours et, sous réserve de l'article 30, en priorité absolue, à un poste de la Fonction publique pour lequel la Commission le juge qualifié. [C'est moi qui souligne.]
La Commission de la Fonction publique a inter- prété cet article comme donnant la priorité aux membres du personnel des ministres, qui satisfont aux exigences du paragraphe 37(3), seulement lorsqu'ils perdent leur emploi parce que le ministre perd son poste.
Le paragraphe 37(2) de la Loi établit que la cessation d'emploi du personnel des ministres sur- vient lorsqu'un ministre cesse d'occuper son poste de ministre. Dans ces circonstances, le personnel des ministres cessera d'être employé «trente jours après que la personne qui occupe ce poste de ministre cesse de l'occuper». La Commission de la Fonction publique a pour politique de relier les paragraphes 37(2) et 37(3), et d'inclure ainsi dans le paragraphe 37(3) l'exigence qui s'applique seu- lement pour donner aux membres du personnel des ministres la priorité en ce qui concerne l'emploi dans la Fonction publique lorsque l'individu a cessé d'être employé parce que le ministre a perdu son poste ou a changé de ministère.
Mais ce n'est pas ce que dit le paragraphe 37(3). Le paragraphe est très clair; il parle uniquement de la date cet employé cesse d'être employé. Il ne mentionne pas que le ministre cesse d'occuper son poste. L'interprétation adoptée par la Commis sion inclut des mots qui ne sont pas là. Si le Parlement avait eu l'intention de donner à l'article l'effet que la Commission prétend qu'il a, le para- graphe aurait été, à mon avis, expressément rédigé dans ce sens, soit par un renvoi réciproque du paragraphe 37(3) au paragraphe 37(2) soit une formulation plus large du paragraphe 37(3) lui- même. Je relève le passage suivant à la page 142 de l'ouvrage de Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. Toronto: Butterworths, 1983:
[TRADUCTION] Chaque article (et chaque paragraphe) est une disposition séparée, mais souvent il n'est pas indépendant ...
À mon avis, l'un des principes élémentaires de la rédaction veut que chaque paragraphe soit complet en lui-même, à moins qu'une réserve ne prévoie expressément le contraire, ou qu'il existe une ambiguïté ou une indication précise que le para- graphe était destiné à être qualifié par un autre article ou paragraphe. Le paragraphe 37(3) ne contient aucune réserve du genre de celle que la Commission y voit; il n'est pas ambigu; il n'existe aucun paragraphe connexe qui limite expressément sa portée comme le veut la Commission.
La Commission soutient que les statuts doivent être interprétés en tenant compte de leurs objets et de tout leur contexte: voir Driedger (ouvrage pré- cité) à la page 87 et l'affaire Vachon c. Commis sion de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1985] 2 R.C.S. 417, à la page 431; 23 D.L.R. (4th) 641, la page 652. La Commission affirme que l'article 37 (plus précisément les paragraphes 37(3), (4) et (6)) prévoient certaines exceptions limitées au principe du mérite que la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique vise à établir. Par conséquent, affirme-t-on, ils doivent être inter- prétés de façon étroite et restrictive pour prendre effet seulement lorsque les individus auxquels ils s'appliquent ont perdu leur emploi involontaire- ment parce que le ministre, pour lequel ils travail- laient, a cessé d'occuper son poste. Cette politique est peut-être très louable, mais ce n'est pas ce que dit le paragraphe 37(3) de la Loi.
Le principe selon lequel les lois doivent être interprétées suivant leur sens grammatical usuel
s'il est possible de le faire, est basé sur l'idée que les gens devraient pouvoir se fier à leur libellé lorsqu'ils sont lus de cette façon. Les faits dans cette affaire illustrent bien le motif qui sous-tend ce principe. Monsieur Payne a travaillé comme
fonctionnaire de 1979 1986. On lui a ensuite demandé de travailler pour le ministre d'État à la Commission canadienne du blé, à titre de chef de cabinet. À ce moment-là, il travaillait comme agent des services financiers à la fonction publi- que. Il s'est renseigné sur son statut d'employé de la fonction publique s'il acceptait le poste de membre du personnel des ministres. On lui a répondu qu'on ne lui accorderait pas de congé pour travailler au bureau d'un ministre. On l'a avisé que ses droits seraient régis par l'article 37 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. La partie pertinente de la note de service qu'il a reçue se lit comme suit:
[TRADUCTION] Si vous n'obtenez pas de congé ou si vous le désirez, vous pouvez également démissionner de la Fonction publique. Vous serez alors assujetti aux dispositions de l'article 37 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, qui traite du personnel des ministres.
Ayant demandé de plus amples renseignements, il a reçu une autre lettre, qui se lisait comme suit: [TRADUCTION] En réponse à vos questions concernant certains avantages comme le régime d'assurance collective chirurgicale- médicale, la pension de retraite, le régime de soins dentaires, etc., je crois qu'à titre de membre du personnel exempt du ministre vous conservez tous ces avantages. Vous pouvez obte- nir de plus amples renseignements auprès des Services du personnel d'Agriculture Canada.
Puisque nous n'avons aucune indication qu'un congé a été approuvé par le ministère de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, un retour possible à la Fonction publique serait con- forme à l'article 37 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Je crois savoir que vous avez une copie de cette Loi et que vous connaissez donc vos droits.
En lisant l'article 37, une personne ne percevrait pas la restriction au paragraphe 37(3) que la Commission cherche à y voir. M. Payne a démis- sionné de la fonction publique en se fondant sur le paragraphe 37(3). C'est ce qu'indiquait le contenu de son affidavit. Une lecture de ce paragraphe ne porterait pas à croire qu'un statut prioritaire au moyen d'un retour à la fonction publique ne serait accordé que si l'employé restait à titre de membre du personnel du ministre après la date le minis- tre lui-même cesse d'occuper son poste.
L'avocat de la Commission soutient que la prati- que administrative est parfois utile pour interpré-
ter la loi: Harel c. Sous-ministre du revenu du Québec, [1978] 1 R.C.S. 851, la page 859; Côté, Pierre-André, Interprétation des lois, Cowansville (Qué.): Les Éditions Yvon Blais Inc., 1982, aux pages 493 496. C'est peut-être vrai mais, comme le déclare le juge de Grandpré dans l'affaire Harel (précitée) à la page 859, on ne peut permettre qu'une interprétation administrative contredise un texte législatif clair. Dans la présente affaire, le texte législatif est clair; la politique administrative n'est pas en accord avec ce texte.
Pour les motifs énumérés ci-haut, une ordon- nance du type d'un bref de mandamus sera rendue pour demander à l'intimée de donner au requérant la priorité pour une nomination sans concours conformément au paragraphe 37(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
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