T-2707-86
Ikea Limited/Ikea Limitée et Ikea Canada Limi
ted Partnership (demanderesses)
c.
Idea Design Ltd. et Michael Mortimore, faisant
affaire sous la raison sociale de Idea (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: IKEA LTD. C. IDEA DESIGN LTD.
Division de première instance, juge McNair—
Vancouver, 11 mai; Ottawa, 21 mai 1987.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire
préalable — Production de documents — La demande fondée
sur la Règle 448 tend à l'obtention d'une ordonnance enjoi-
gnant aux demanderesses de déposer et de signifier une liste
des états financiers du magasin de Victoria pour la période
durant laquelle les parties étaient en concurrence directe et
pour une période antérieure comparable — Pertinence des
états financiers quant à la question de la responsabilité dans
une action en contrefaçon de marque de commerce —
Demande accueillie — Documents répondant au critère de la
pertinence pour ce qui est de la production dégagé dans
l'affaire Boxer v. Reesor (1983), 43 B.C.L.R. 352 (C.S.) —
S'agit-il de documents susceptibles de conduire à une enquête
qui pourra directement ou indirectement bénéficier à la cause
d'une partie ou nuire à celle de son adversaire? — La question
de la portée exacte du droit à la communication de documents
doit être tranchée en tenant compte de la description de la
nature des documents et de leur pertinence à l'égard des points
litigieux, et en se fondant sur une interprétation raisonnable
des plaidoiries — L'argument des défendeurs selon lequel les
documents demandés doivent être examinés par un comptable
pour qu'il exprime son avis sur la question juridique que
soulève la confusion ne sert à rien, puisqu'il n'est pas permis
aux témoins de déposer sur la question même que la Cour doit
trancher — La preuve d'une confusion effective peut être utile,
mais n'est pas nécessaire, à la question de la probabilité de
confusion — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règles 448, 480, 500.
Marques de commerce — Contrefaçon — Demande d'or-
donnance enjoignant aux demanderesses de déposer et de
signifier les états financiers du magasin de Victoria pour la
période durant laquelle elles étaient en concurrence directe
avec les défendeurs, et pour une période antérieure comparable
— Pertinence des états financiers quant à la question de la
responsabilité — Demande accueillie — Application du critère
de la pertinence dégagé dans l'affaire Boxer v. Reesor (1983),
43 B.C.L.R. 352 (C.S.) — L'argument selon lequel les docu
ments demandés doivent être examinés par un témoin pour
qu'il exprime son avis sur la question juridique est rejeté —
Examen de l'utilité d'une preuve réelle de confusion quant à la
question de la possibilité de confusion — Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 448, 480, 500.
Il s'agit d'une requëte, fondée sur la Règle 448, en ordon-
nance enjoignant aux demanderesses de communiquer tous les
documents en déposant et en signifiant une liste de ces docu
ments. Les défendeurs cherchent à obtenir des demanderesses
les états financiers de leur magasin de Victoria pour la période
durant laquelle les parties ont été en concurrence directe, et des
documents semblables pour une période antérieure comparable.
Il échet d'examiner si les états financiers sont pertinents pour
ce qui est de la question de la responsabilité résultant de la
contrefaçon de marque de commerce, qui porte sur la probabi-
lité de confusion. Les demanderesses soutiennent que ces docu
ments concernent uniquement la question du préjudice. Les
défendeurs cherchent à obtenir ces documents pour étayer leur
position, et pour que leur comptable les analyse afin d'exprimer
son avis sur la question de savoir s'il existait des éléments de
preuve portant sur le problème juridique que soulève la
confusion.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Il appartient à la Cour seule de déterminer si l'emploi des
marques de commerce litigieuses crée de la confusion chez le
public, et aucun témoin ne peut déposer sur cette question
même que la Cour doit trancher: Cochrane-Dunlop Hardware
Ltd. v. Capital Diversified Industries Ltd. (1976), 30 C.P.R.
(2d) 176 (C.A. Ont.). Les allégations exigeant la liste de
documents pour que le comptable des défendeurs les analyse en
vue d'exprimer son avis sur une question juridique font échec
au but qu'elles visaient.
Les défendeurs soutiennent également que la preuve d'une
confusion effective se rapportait à la question de la probabilité
de confusion. La Cour ne saurait s'appuyer sur une déclaration
faite par le juge Laskin, tel était alors son titre, dans l'arrêt La
Maur, Inc. c. Prodon Industries Ltd. et autre, [19711 R.C.S.
973; 2 C.P.R. (2d) 114, parce qu'il s'agissait d'un cas de
radiation, qui était un cas d'espèce. Sa déclaration a seulement
laissé entendre que la preuve d'une confusion effective pourrait
être utile pour établir la preuve d'une possibilité de confusion,
mais cela ne signifie pas que la partie ne pouvait faire valoir sa
réclamation sans établir une telle preuve.
W. R. Jackett, ancien juge en chef de la Cour fédérale du
Canada, a, dans son traité sur la pratique sous le régime des
Règles de la Cour fédérale, souligné que, bien que l'ancien droit
à la communication de documents ait été abrogé, une partie
peut invoquer la Règle 448 pour demander une ordonnance
enjoignant à son adversaire de communiquer les documents qui
sont en sa possession et qui ont trait à tout point litigieux de la
question. Le requérant doit convaincre la Cour que les circons-
tances particulières de l'affaire exigent ce type plus coûteux de
communication.
Le critère de la pertinence en ce qui concerne la production
de documents consiste à se demander si les documents sont
susceptibles de lancer une partie dans une enquête qui pourra,
directement ou indirectement, bénéficier à sa cause ou nuire à
celle de l'opposant: Boxer v. Reesor (1983), 43 B.C.L.R. 352
(C.S.).
Il ressort de la jurisprudence que la question de la portée
exacte du droit à la communication de ces documents doit être
tranchée en tenant compte de la description de la nature des
documents dont on demande la communication et de leur
pertinence à l'égard des points litigieux, et en se fondant sur
une interprétation raisonnable des plaidoiries.
Les défendeurs ont bien montré qu'ils avaient pleinement
droit à une liste de documents prévue à la Règle 448 et
mentionnée dans leur avis de requête.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cochrane-Dunlop Hardware Ltd. v. Capital Diversified
Industries Ltd. (1976), 30 C.P.R. (2d) 176 (C.A. Ont.);
Compagnie Financiere du Pacifique v. Peruvian Guano
Company (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.); Boxer v. Reesor
(1983), 43 B.C.L.R. 352 (C.S.); Everest & Jennings
Canadian Ltd. c. Invacare Corporation, [1984] 1 C.F.
856 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
La Maur, Inc. c. Prodon Industries Ltd. et autre, [1971]
R.C.S. 973; 2 C.P.R. (2d) 114.
DÉCISION EXAMINÉE:
R. c. Special Risks Holdings Inc., [1983] 2 C.F. 743
(C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Koninklijke Nederlandsche Stoombootmaatschappij
N.V. (Royal Netherlands Steamship Co.) v. The Queen,
[1967] 2 R.C.E. 22.
AVOCATS:
S. R. Schachter pour les demanderesses.
Aaron A. G. Gordon pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour les
demanderesses.
Hanan, Gordon & Company, Victoria, pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: La présente requête, intro-
duite par les défendeurs en application de la Règle
448 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663] vise à obtenir une ordonnance qui obligerait
les demanderesses à communiquer tous les docu
ments en déposant et en signifiant une liste de ces
documents sous la forme prescrite, mais sans qu'il
soit besoin de déposer un affidavit pour en attester
l'exactitude.
Dans la présente action, les demanderesses con-
cluent à la contrefaçon de ses marques de com
merce «Ikea» et «Ikea and Design», au passing off,
à une injonction permanente qui interdirait aux
défendeurs d'utiliser les marques de commerce ou
les noms commerciaux «Idea» et «Idea and Design»
et à des dommages-intérêts y afférents ou à une
comptabilisation des bénéfices. Les défendeurs ont
inscrit leur défense et leur demande reconvention-
nelle le 23 janvier 1987. Ils soutiennent que leurs
noms commerciaux «Idea» et «Idea Design» décri-
vent exactement leurs marchandises, et qu'il est
peu probable qu'ils causent de la confusion avec la
marque de commerce «Ikea» portant le numéro
223,749 des demanderesses et avec les marchandi-
ses que celles-ci utilisent en liaison avec cette
marque. Dans leur demande reconventionnelle, ils
concluent à la radiation de ladite marque de com
merce des demanderesses.
Le 3 février 1987, les demanderesses ont intro-
duit une requête en injonction interlocutoire pour
empêcher les défendeurs de vendre leurs marchan-
dises et services sous les marques de commerce ou
noms commerciaux «Idea» et «Idea and Design»
pour le motif qu'elles causaient de la confusion
avec leurs marques de commerce enregistrées
«Ikea» et «Ikea and Design». Le juge Dubé a rejeté
la requête en injonction interlocutoire [(1987), 13
C.P.R. (3d) 476; 11 C.I.P.R. 313 (C.F. 1" inst.)] à
la condition que les défendeurs tiennent une comp-
tabilité de toutes les ventes conclues jusqu'à la
date du jugement et qu'ils rédigent un acte de
renonciation à l'intention de tous leurs clients pour
les aviser qu'ils ne sont pas «Ikea» et qu'ils ne
vendent pas de meubles «Ikea». En décidant que les
demanderesses avaient satisfait au critère prélimi-
naire qui consiste à établir l'existence d'une ques
tion importante à trancher, le juge s'est prononcé
en ces termes [aux pages 478 et 479 C.P.R.; 317
C.I.P.R.]:
[TRADUCTION] Sur le plan visuel, un client régulier de Ikea
ne confondra ni les noms, ni les marques, ni l'apparence des
magasins. Le magasin Ikea de Victoria est entouré de drapeaux
suédois, alors que son concurrent arbore un grand nombre de
drapeaux canadiens. Mais il est certainement possible que la
prononciation imparfaite de l'un ou l'autre nom, soit par télé-
phone soit directement, devant un client éventuel, crée de la
confusion et amène des gens à se rendre au mauvais. Il se peut
que Idea ait eu cette idée générale lorsqu'elle a décidé d'ouvrir
son magasin à l'endroit en question.
L'audition de la présente requête a été marquée
au début par un incident lorsque les demanderesses
ont introduit une requête en vertu de la Règle 480
pour demander que la Cour examine séparément
la question de la responsabilité résultant de la
contrefaçon de la marque de commerce, et que la
question des dommages-intérêts et profits décou-
lant de cette contrefaçon fasse l'objet d'une réfé-
rence sous le régime de la Règle 500. Les avocats
ont finalement convenu que la requête en commu
nication générale de documents devrait être tran-
chée en premier lieu, et que l'audition de l'autre
requête sous le régime de la Règle 480 devrait être
ajournée jusqu'à ce qu'on ait statué sur la première
requête.
Après quelques escarmouches, les avocats ont pu
s'entendre sur la majorité des documents qu'il
fallait, en vertu de la Règle 448, énumérer dans la
Formule 20 prescrite. Il y a lieu de louer les
avocats pour les efforts qu'ils ont déployés à cet
égard.
Si je comprends bien, la seule question qu'il
reste à trancher est de savoir si les demanderesses
doivent énumérer dans une autre liste plus com-
plète de documents les dossiers portant sur l'entre-
prise et les ventes mentionnés à l'alinéa 2c) de
l'avis de requête des défendeurs, lequel alinéa est
ainsi rédigé:
[TRADUCTION] 2 ...
c) tous les dossiers, livres et documents du magasin de détail
de Victoria des demanderesses pour la période durant
laquelle celles-ci et les défendeurs ont été en concurrence
directe, ainsi que les dossiers, livres et documents similaires
pour une période antérieure comparable.
L'avocat des demanderesses prétend avec
vigueur que la question précise et, en fait, le seul
point litigieux important est de savoir si le relevé
des ventes est pertinent à ce stade pour ce qui est
de la question de la responsabilité, qui porte sur la
probabilité de confusion et sur rien d'autre. Il
soutient que le relevé des ventes et les comparai-
sons à cet égard concernent uniquement la ques
tion du préjudice ou des dommages, qui doit faire
l'objet de la référence.
L'avocat des défendeurs prétend qu'il a le droit
d'obtenir la liste des documents précisés à l'alinéa
2c) de son avis de requête, parce que cela lui
permettrait de poursuivre une enquête qui pourrait
servir sa propre cause et faire échec aux arguments
de son adversaire concernant la question de la
responsabilité. A cet égard, il s'appuie sur l'affida-
vit du défendeur Michael Mortimore, plus particu-
lièrement sur les paragraphes 7 à 12 inclusive-
ment, qui sont ainsi conçus:
[TRADUCTION] 7. J'estime qu'une analyse des livres et dos
siers de la demanderesse Ikea permettra d'étayer la position du
défendeur et d'obtenir des éléments de preuve pertinents et
recevables établissant que les acheteurs de Victoria ne confon-
dent pas les demanderesses et les défendeurs.
8. J'estime vraiment que ladite analyse va appuyer la préten-
tion du défendeur selon laquelle, s'il y a confusion, celle-ci ne
survit pas au «mécanisme d'achat..
9. J'ai retenu les services de M. James McAvoy, C.G.A., pour
qu'il analyse lesdits livres et dossiers. Il a travaillé pendant
plusieurs années au service des enquêtes spéciales de Revenu
Canada, et il est expert en comptabilité légale.
10. M. McAvoy m'informe, et je le crois vraiment, qu'il a
besoin des données suivantes pour se prononcer sur la question
de savoir si la présence de la défenderesse a porté atteinte aux
intérêts de la demanderesse:
a) le relevé des ventes annuelles du magasin IKEA de
Victoria;
b) les dossiers semblables provenant d'autres magasins de
IKEA qui desservent des régions dont la dimension et la
population sont à peu près semblables;
c) la répartition des ventes d'IKEA par catégories de produits
en vue de comparer la gamme de produits où la demande-
resse et la défenderesse sont en concurrence avec celle où
elles ne le sont pas.
I1. M. McAvoy m'informe, et je le crois vraiment, que s'il
obtenait des demanderesses les documents nécessaires, il pour-
rait donner son avis sur la question de savoir s'il existe des
éléments de preuve qui étaient leur prétention selon laquelle il y
a de la confusion chez le public, et plus particulièrement sur la
question de savoir si cette confusion a survécu au mécanisme
d'achat.
12. Mon avocat m'informe, et je le crois vraiment, que la
preuve d'une confusion réelle ou l'absence d'une telle preuve
sont pertinentes et admissibles à l'instruction de cette affaire en
ce qui concerne la responsabilité de la défenderesse envers la
demanderesse, le cas échéant.
L'avocat des demanderesses répond qu'il ne peut
«manifestement pas croire» qu'il faille entendre un
comptable pour que celui-ci exprime son avis sur la
confusion ou la probabilité de confusion en exami-
nant le relevé des ventes, et il cite l'affaire Coch-
rane-Dunlop Hardware Ltd. v. Capital Diversified
Industries Ltd. (1976), 30 C.P.R. (2d) 176 (C.A.
Ont.). Le juge Blair, qui a rendu cet arrêt de la
Cour d'appel de l'Ontario, a énoncé à la page 184
la règle bien établie:
[TRADUCTION] ... il appartient à la Cour seule de déterminer
si l'emploi des marques de commerce litigieuses crée de la
confusion chez le public, et aucun témoin ne peut déposer sur
cette question même que la Cour doit trancher: North Cheshire
and Manchester Brewery Co. Ltd. y. Manchester Brewery Co.
Ltd., [1899] A.C. 83.
L'enquête requise par l'al. 6(5)a) porte sur le caractère
distinctif inhérent des deux marques de commerce. Le témoi-
gnage d'expert sur les éléments distinctifs d'une marque de
commerce est admissible: Saville Perfumery Ltd. v. June Per-
fect Ltd. and F.W. Woolworth & Co. Ltd. (1941), 58 R.P.C.
147, le vicomte Maugham, à la p. 174.
Je souscris sans réserve à l'énoncé de la règle
fait par le juge Blair.
À mon avis, les allégations figurant aux para-
graphes 9 à 11 inclusivement de l'affidavit de
Mortimore font échec au but même qu'elles
visaient, c'est-à-dire exiger une liste de documents
relatifs à l'entreprise ou aux ventes des demande-
resses afin que le comptable des défendeurs puisse
en fin de compte les examiner et exprimer son avis
sur la question de savoir s'il existait des éléments
de preuve portant sur le problème d'ordre juridi-
que que soulève la confusion. Il s'ensuit donc que
ces paragraphes doivent être écartés.
Ces considérations ne concernent pas les para-
graphes 7 et 8 de l'affidavit de Mortimore. Le
paragraphe 5 dudit affidavit, notamment la pièce
«A» qui y est jointe, et le paragraphe 12 semblent
être les seuls autres éléments probants sur lesquels
on pouvait se fonder pour exiger que les dossiers
relatifs aux ventes soient énumérés dans une liste
de documents prévue à la Règle 448. Le paragra-
phe 5 et la pièce jointe visent essentiellement à
démontrer que les ventes effectuées par le magasin
de Ikea à Victoria au cours de la période de quatre
mois allant du 1" septembre 1986 la fin de
l'année civile ont augmenté de 49 pour cent par
rapport à la même période en 1985, et à un
moment où le magasin des demanderesses était en
concurrence directe avec celui des défendeurs.
Le paragraphe 12 de l'affidavit de Mortimore
est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] 12. Mon avocat m'informe, et je le crois vrai-
ment, que la preuve d'une confusion réelle ou l'absence d'une
telle preuve sont pertinentes et admissibles à l'instruction de
cette affaire en ce qui concerne la responsabilité de la défende-
resse envers la demanderesse, le cas échéant.
L'avocat des défendeurs soutient que cette
déclaration est étayée par celle du juge Laskin
[c'était alors son titre] dans l'arrêt La Maur, Inc.
c. Prodon Industries Ltd. et autre, [1971] R.C.S.
973, la page 976; 2 C.P.R. (2d) 114, la page
116:
Même si la preuve d'une confusion effective neut n'être pas
nécessaire lorsqu'il s'agit de déterminer simplement s'il y a
possibilité de confusion, une telle preuve serait néanmoins
admissible quant à l'emploi de marques de commerce concur-
rentes après la date pertinente.
J'estime qu'on ne saurait citer ce passage parti-
culier sans tenir compte des propos tenus par le
juge immédiatement après [aux pages 976 R.C.S.;
116 et 117 C.P.R.]:
Je note que l'admissibilité d'une preuve de confusion effective
lorsqu'il est question de possibilité de confusion a été reconnue
dans la décision British Drug Houses Ltd. c. Battle Pharma
ceuticals ([1944] 1 R.C.E. 239), la p. 244, décision que cette
Cour a confirmée mais sans mention explicite de ce point
([1946] R.C.S. 50). La valeur d'une telle preuve dépend de
divers facteurs qu'il n'est pas nécessaire d'examiner ici. En
l'espèce, la mention, par le juge de première instance, de
l'absence de preuve de confusion effective ne signifie pas que
l'appelante ne pouvait faire valoir sa réclamation sans cette
preuve-là, mais simplement qu'elle lui aurait été utile pour
remplir l'obligation qui lui incombait de prouver qu'il y avait
possibilité de confusion.
Dans cette affaire, il s'agissait d'un appel formé
contre une décision de la Cour de l'Échiquier qui
avait rejeté la requête introduite par l'appelante
pour faire radier la marque de commerce enregis-
trée de l'intimée. La Cour a rejeté l'appel pour le
motif que, dans l'ensemble, les marques concurren-
tes ne créaient pas de confusion au sens de l'article
6 de la Loi sur les marques de commerce [S.R.C.
1970, chap. T-10]. Le juge Laskin s'est efforcé de
souligner que chaque cas de radiation était un cas
d'espèce. Il ne s'agit pas de radiation dans l'espèce
présente, bien que, dans leur demande reconven-
tionnelle, les défendeurs concluent à ce redresse-
ment. J'estime en outre que le juge Laskin a
seulement laissé entendre que la preuve d'une con
fusion effective pourrait être utile à une partie qui
a l'obligation de prouver qu'il y avait possibilité de
confusion, mais cela ne signifie pas que la partie ne
pouvait faire valoir sa réclamation sans établir une
telle preuve.
Le 12 mars 1987, Mc Gordon, membre du cabi
net d'avocat des défendeurs, a écrit aux avocats
des demanderesses au sujet de la liste incomplète
des documents, leur faisant savoir qu'il exigerait
une liste plus complète avant les interrogatoires
préalables. La lettre est jointe sous la cote «B» à
l'affidavit de Mc Gordon qui porte sur la commu
nication de documents. Elle indique notamment un
accroissement des ventes et des bénéfices du maga-
sin des demanderesses à Victoria et laisse entendre
que Ikea a ainsi bénéficié plutôt que souffert de la
concurrence avec le magasin des défendeurs. La
lettre ajoute:
[TRADUCTION] Cela laisse également entendre que, loin de
confondre les meubles offerts par les deux différents magasins,
les acheteurs de Victoria sont bien conscients de leur caractère
distinctif et unique, et la clientèle des deux magasins se trouve
augmentée. Nous estimons qu'un examen des états financiers
de votre magasin de Victoria fournira une preuve convaincante
qu'il n'y a pas de confusion parmi le public.
Les avocats des deux parties reconnaissent qu'il
s'agit uniquement de savoir si les états financiers
indiquant le volume des ventes doivent figurer
dans une liste de documents prévue à la Règle 448,
lorsque le seul point litigieux porte sur la responsa-
bilité. Je vois là un aveu formel fait dans une
procédure interlocutoire pour faciliter une décision
à cet égard: voir l'ouvrage de Sopinka et Lederman
intitulé The Law of Evidence in Civil Cases, aux
pages 355 357.
Il s'agit en l'espèce de savoir si les états finan
ciers relatifs aux ventes sont pertinents lorsqu'on
examine la question de la responsabilité. Les
défendeurs répondent par l'affirmative, et les
demanderesses par la négative.
Il est nécessaire d'examiner le texte de la Règle
448 pour déterminer l'étendue de son application
et ce qu'elle vise. Elle est ainsi conçue:
Règle 448. (1) La Cour pourra ordonner à toute partie à une
action d'établir, déposer et signifier à toute autre partie une
liste des documents qui sont ou ont été en sa possession, sous sa
garde ou son autorité et qui ont trait à tout point litigieux de
l'affaire ou de la question (Formule 20), et elle peut en même
temps ou subséquemment lui ordonner d'établir et déposer un
affidavit attestant l'exactitude de cette liste (Formule 21) et
d'en signifier copie à l'autre partie.
(2) Une ordonnance rendue en vertu de la présente Règle
peut se restreindre aux documents ou catégories de documents
ou points litigieux de l'affaire ou de la question mentionnés
dans l'ordonnance.
W. R. Jackett, ancien président de la Cour de
l'Échiquier et ex-juge en chef de la Cour fédérale
du Canada, a écrit, sur la pratique adoptée sous le
régime des nouvelles Règles de la Cour fédérale,
un excellent traité intitulé A Manual of Practice.
En comparant les anciennes Règles de la Cour de
l'Échiquier avec les nouvelles Règles concernant la
communication de documents, l'auteur tient ces
propos à la page 68 du manuel:
[TRADUCTION] En vertu des nouvelles Règles, le droit à la
communication des documents qui se trouvent en la possession
ou sous le contrôle de la partie adverse et qui pourraient être
utiles à la partie qui en fait la demande n'existe plus. Ce droit a
disparu bien que la communication de tels documents soit
évidemment dans l'intérêt de la justice. La raison invoquée pour
restreindre ainsi la portée de la communication en tant que
droit est d'ordre purement pratique: on estime d'une part qu'il
existe relativement peu de cas où une partie peut fonder ses
moyens de défense sur les documents qu'elle espère obtenir de
son adversaire, et d'autre part que c'est une tâche pénible,
ennuyeuse et difficile, qui entraîne des dépenses et des délais
considérables, que de préparer une liste de documents qui
pourraient être utiles à son adversaire. C'est particulièrement le
cas lorsqu'une partie se livre à des opérations de grande enver-
gure et qu'elle préfère ne pas en révéler les détails à son
adversaire qui est également son concurrent commercial. Tout
bien considéré, il semble probable que les frais et les délais
qu'entraîne une telle communication l'emportent dans la plu-
part des cas sur les avantages théoriques qui en découlent.
Certes, la portée de la communication en tant que droit a été
restreinte; mais une partie peut, en vertu de l'ancienne Règle,
demander une ordonnance enjoignant à son adversaire de com-
muniquer les documents qui sont ou ont été en sa possession,
sous sa garde ou son autorité et qui ont trait à tout point
litigieux de l'affaire ou de la question (Règle 448). Une telle
demande ne sera accueillie que si le requérant arrive à convain-
cre la Cour que les circonstances particulières de l'affaire
exigent ce type plus coûteux de communication, et elle peut être
accueillie avec certaines restrictions (Règle 448(2)). Il existe un
droit automatique d'examiner les documents communiqués en
vertu d'une telle ordonnance et d'en prendre copie (Règle 453).
La cause qui fait autorité est l'arrêt Compagnie
Financiere du Pacifique v. Peruvian Guano Com
pany (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.), où le lord juge
Brett a énoncé à la page 63 le principe applicable à
l'interprétation des mots [TRADUCTION] «un docu
ment qui a trait à tout point litigieux de l'action»:
[TRADUCTION] À mon avis, un document a trait aux points
litigieux de l'action non seulement lorsqu'il constitue une
preuve à l'égard de ces points litigieux mais également lors-
qu'on peut raisonnablement supposer qu'il contient des rensei-
gnements pouvant—et non devant—soit directement soit indi-
rectement, permettre à la partie qui exige l'affidavit ou bien de
plaider sa propre cause ou bien de nuire à celle de son adver-
saire. J'ai dit »soit directement soit indirectement» parce que, à
mon avis, un document peut, à proprement parler, contenir des
renseignements pouvant permettre à la partie qui exige l'affida-
vit soit de plaider sa propre cause soit de nuire à celle de son
adversaire s'il s'agit d'un document susceptible de la lancer
dans une enquête et d'entraîner l'une ou l'autre de ces deux
conséquences...
Au cours des années, les tribunaux ont constam-
ment suivi et appliqué ce principe et ont étendu
son application à la production de documents.
Dans l'arrêt Boxer v. Reesor (1983), 43
B.C.L.R. 352 (C.S.), le juge en chef McEachern a
énoncé le critère de la pertinence en ce qui con-
cerne la production de documents [à la page 359]:
[TRADUCTION] Les demandeurs ont incontestablement le
droit de consulter tout document susceptible de les lancer dans
une enquête qui pourra, directement ou indirectement, bénéfi-
Gier à leur cause ou nuire à celle du défendeur, particulièrement
sur la question vitale de la probabilité que la version du contrat
donnée par une partie soit plus exacte que celle de l'autre. Tel
étant le cas, il me semble que les demandeurs doivent avoir gain
de cause sur certains aspects de la demande. J'estime avec
déférence qu'à d'autres égards, la demande est exagérée.
Dans l'arrêt Everest & Jennings Canadian Ltd.
c. Invacare Corporation, [1984] 1 C.F. 856, la
Cour d'appel fédérale a accueilli un appel formé
contre une ordonnance refusant d'exiger que l'inti-
mée communique le reste d'un dossier contenant
une pièce produite au cours de l'interrogatoire
préalable d'un membre de la direction de l'intimée
en question parce que cela n'était pas pertinent. La
Cour a statué que la production de la pièce consti-
tuait une reconnaissance de la pertinence du dos
sier lui-même.
En parvenant à ce résultat, le juge Urie, qui a
rendu l'arrêt de la Cour, a expressément adopté le
critère du juge en chef McEachern pour établir la
pertinence aux fins de la communication de
documents.
Il faut trancher la question de la portée exacte
du droit à la communication de documents qui
peut bénéficier à la cause d'une partie ou nuire à
celle de son adversaire en tenant compte de la
description de la nature des documents dont on
demande la communication et de leur pertinence à
l'égard des points litigieux, et en se fondant sur
une interprétation raisonnable des plaidoiries:
Compagnie Financiere du Pacifique v. Peruvian
Guano Company, précitée; Boxer v. Reesor, préci-
tée; R. c. Special Risks Holdings Inc., [1983] 2
C.F. 743 (C.A.); et Koninklijke Nederlandsche
Stoombootmaatschappij N.V. (Royal Netherlands
Steamship Co.) v. The Queen, [1967] 2 R.C.É. 22.
Incidemment, il convient de faire remarquer que
dans l'arrêt R. c. Special Risks, précité, le juge
Heald a indiqué que toute mention de la produc
tion de documents sous le régime de la Règle 448
était clairement incorrecte parce que la Règle ne
parle que d'une ordonnance exigeant le dépôt et la
signification d'une liste de documents.
Appliquant la règle de droit aux faits de l'es-
pèce, je conclus que les défendeurs ont bien montré
qu'ils avaient pleinement droit à une liste de docu
ments prévue à la Règle 448 et mentionnée à
l'alinéa 2c) de leur avis de requête. Ce qu'ils
veulent obtenir en l'espèce, ce sont essentiellement
les relevés des ventes du magasin de détail de
Victoria de Ikea pour la période durant laquelle les
parties ont été en concurrence directe, ainsi que les
dossiers semblables du même magasin pour la
période antérieure comparable qui s'entend,
d'après moi, de la période antérieure durant
laquelle les parties n'étaient pas en concurrence.
J'estime que la demande n'est pas excessive dans la
mesure où elle constitue un moyen d'enquête qui
pourrait raisonnablement conduire à une preuve
susceptible, soit directement soit indirectement, de
soutenir la cause des défendeurs ou d'affaiblir celle
de leur adversaire concernant la question de la
confusion.
Les avocats ont convenu que les autres catégo-
ries de documents mentionnées dans l'avis de
requête des défendeurs devraient être énumérées
dans une liste de documents prévue à la Règle 448,
sous réserve de certaines restrictions ou exceptions
mineures. Certes les défendeurs ont réussi à obte-
nir la communication de tous les documents men-
tionnés à l'alinéa 2c) de leur avis de requête; mais
c'est à la suite d'un accord qu'ils ont obtenu gain
de cause en ce qui concerne les autres catégories
de documents qui sont d'une grande variété. En
conséquence, je considère que les dépens devraient
suivre l'issue de la cause.
Une ordonnance sera rendue conformément aux
présents motifs.
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