A-771-86
Pal Singh Uppal (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: UPPAL C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Mahoney—
Vancouver, 11 juin; Ottawa, 25 juin 1987.
Immigration — Rejet de demande de droit d'établissement
pour des motifs médicaux — Admissibilité des avis médicaux
produits devant la Commission pour réfuter le diagnostic —
Pertinence de la preuve relative à l'état de santé actuel du
requérant — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77,
chap. 52, art. 2(1), 19(1)a), 59(1), 65(2)c), 79(1)b),(2) (mod. par
S.C. 1986, chap. 13, art. 6) a),b), 84.
Pratique — Jugements et ordonnances — Jugement sur
consentement — Nature — Aucune valeur de précédent.
L'appelant a parrainé les demandes d'établissement de cinq
membres de sa famille. L'agent des visas a refusé d'autoriser
ces demandes en se fondant sur les avis de deux médecins selon
lesquels deux des requérants, le père et une soeur du requérant,
souffraient de tuberculose pulmonaire probablement évolutive,
un problème médical susceptible de constituer un danger pour
la santé publique. Le rejet par la Commission d'appel de
l'immigration de l'appel interjeté contre cette décision procède
essentiellement du point de vue selon lequel les avis médicaux
produits pour réfuter les diagnostics des médecins n'avaient pas
à être pris en considération. Il s'agit d'un appel formé contre
cette décision.
Arrêt (le juge Pratte dissident en partie): l'appel devrait être
accueilli.
Le juge Mahoney (concurrence du juge Heald): Bien qu'un
témoignage d'opinion ne soit ni une question de fait ni de droit,
il n'en constitue pas moins un élément de preuve. Le paragra-
phe 65(2) de la Loi impose à la Commission l'obligation de
recevoir une «preuve supplémentaire», ce qui illustre bien que la
preuve à recueillir ne se limite pas aux éléments de preuve sur
lesquels se fonde la décision contestée. La disposition précise
que la Commission doit juger de la crédibilité et de la perti
nence de la preuve offerte, mais elle ne peut refuser de la
recevoir ni de l'examiner si elle est jugée pertinente. La perti
nence de la preuve ne fait pas de doute en l'espèce.
Même si, comme cette Cour l'a décidé récemment dans
l'arrêt Mohamed, la date à laquelle il faut déterminer l'état de
santé du requérant n'est pas celle de l'audition de l'appel par la
Commission mais la date de l'avis des médecins et celle de la
décision de l'agent des visas, il ne s'ensuit pas que la preuve
relative à l'état de santé actuel du requérant n'est pas perti-
nente à une décision prise en application de l'alinéa 79(2)b).
La Commission a commis une erreur, en ce sens que le
diagnostic et les conclusions ayant trait au danger que constitue
l'état de santé des requérants pour la santé publique sont des
questions de fait relativement auxquelles les parties qui compa-
raissent devant la Commission peuvent produire une preuve
dont la Commission a l'obligation de déterminer la crédibilité
et la pertinence. Cela s'applique aussi à la question de savoir si
le diagnostic contesté nécessitait l'examen personnel des requé-
rants, qui n'a pas eu lieu.
Dans un jugement sur consentement rendu par cette Cour
dans l'affaire Gandham, celle-ci a été renvoyée à la Commis
sion pour le motif que son rejet ne pouvait se justifier en droit
d'après les articles 79(1) et 19(l)a)(i) de la Loi pour le motif
que le requérant souffrait de tuberculose pulmonaire probable-
ment évolutive. Comme certaines formations de la Commission
considèrent que cette décision fait jurisprudence, il fallait souli-
gner qu'un jugement sur consentement ne fait pas jurispru
dence. Un tel jugement ne reflète ni des conclusions de fait ni
l'application mûrement réfléchie du droit applicable aux faits.
La Commission doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui
est conféré d'octroyer une mesure spéciale pour des motifs
humanitaires ou de compassion en tenant compte des circons-
tances qui existent lorsqu'est faite la demande d'octroi d'une
mesure spéciale, y compris l'état de santé actuel du requérant.
Le juge Pratte (dissident en partie): La Commission a eu
raison de refuser d'examiner la preuve médicale présentée pour
contredire l'opinion des médecins sur laquelle se fondait la
décision de l'agent des visas.
La seule question à trancher était de savoir si les deux
médecins avaient exprimé l'opinion, sur laquelle s'était fondée
la décision de l'agent des visas, que le père et la soeur de
l'appelant pourraient constituer un danger pour la santé publi-
que. Les opinions d'autres experts en médecine n'étaient pas
pertinentes. La Commission se trouvait dans la même situation
que l'agent des visas: elle ne pouvait pas substituer son opinion
à celle des deux médecins.
Lorsqu'il est remis aux agents des visas et à la Commission
une attestation médicale constatant l'inadmissibilité d'un
requérant, ils doivent s'assurer que l'attestation révèle véritable-
ment que les médecins ont formé l'opinion requise. Mais il ne
peuvent faire plus. L'appel devrait par ailleurs être accueilli
pour les motifs donnés par le juge Mahoney.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cheryll Anne Nandee c. M.E.I., décision en date du 24
décembre 1985, Commission d'appel de l'immigration,
C.A.I. 84-4095; Mohamed c. Canada (ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 90 (C.A.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Sat Paul Sharma c. M.E.I., décision en date du 17 juillet
1985, Commission d'appel de l'immigration, C.A.I.
83-6710.
DÉCISION EXAMINÉE:
Gandham c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration), jugement en date du 29 mai 1986, Cour fédé-
rale, Division d'appel, A-713-85, non publié.
DÉCISIONS CITÉES:
Ahir c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1984]
1 C.F. 1098 (C.A.); Hiramen c. Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration (1986), 65 N.R. 67 (C.A.F.).
AVOCATS:
J. R. Aldridge (pour D. G. McCrea) pour
l'appelant.
William C. Funnell pour l'intimé.
PROCUREURS:
McCrea, Paul & Long, Vancouver, pour
l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident en partie): Comme
l'a exposé mon collègue le juge Mahoney dans ses
motifs du jugement, il y a cinq questions à tran-
cher dans le cadre du présent appel. Je partage son
opinion sur les quatre dernières, mais je suis en
désaccord avec lui quant à la première question en
litige. A mon avis, la Commission a eu raison de
refuser d'examiner la preuve médicale présentée
pour contredire l'opinion de deux médecins visée à
l'alinéa 19(1)a) de la Loi sur l'immigration de
1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] .
La preuve que la Commission est autorisée à
recevoir doit se rapporter à la question dont elle est
saisie; elle ne peut pas se rapporter à une question
que la Commission n'a pas le pouvoir de trancher.
En l'espèce, l'appel interjeté devant la Commission
soulevait deux questions, à savoir:
(1) La décision de l'agent des visas de rejeter la
demande de droit d'établissement était-elle
fondée en fait et en droit?
(2) Existait-il des considérations humanitaires ou
de compassion pour justifier l'octroi d'une
mesure spéciale?
L'état de santé du père et de la soeur de l'appe-
lant était certes pertinent en ce qui concerne la
deuxième question et comme le faisait d'ailleurs
remarquer mon collègue le juge Mahoney, la Com
mission aurait dû, pour cette raison, examiner la
preuve sur ce sujet avant de refuser l'octroi d'une
mesure spéciale. Ce qui est moins évident, c'est de
savoir si la preuve médicale présentée était perti-
nente en ce qui concerne la première question.
L'agent des visas a rejeté la demande de droit
d'établissement parce qu'il croyait que le père et la
soeur de l'appelant appartenaient à la catégorie de
personnes déclarées inadmissibles visées au sous-
alinéa 19(1)a)(1)'. L'agent des visas n'a pas fondé
ni ne pouvait fonder le rejet de la demande sur son
opinion personnelle que le père et la soeur de
l'appelant étaient à ce point malades qu'ils pou-
vaient ou pourraient constituer un danger pour la
santé publique. C'est l'opinion des médecins qui
rend le requérant inadmissible en vertu des disposi
tions de l'alinéa 19(1)a) 2 . L'opinion que l'agent
des visas peut se faire sur l'état de santé du
requérant est sans conséquence pour l'application
des dispositions de l'alinéa 19(1)a): elle ne peut
servir à rendre un requérant inadmissible, ni le
rendre admissible s'il est par ailleurs inadmissible.
La question qui se posait à la Commission était
de savoir si l'agent des visas avait à bon droit
conclu que le père et la soeur de l'appelant étaient
inadmissibles en vertu de l'alinéa 19(1)a). En con-
séquence, la seule question à trancher était de
savoir si les deux médecins avaient formé et
exprimé l'opinion, sur laquelle s'est fondée la déci-
sion de l'agent des visas, que le père et la soeur de
l'appelant pourraient constituer un danger pour la
santé publique. Les opinions d'autres experts en
médecine sur ce sujet n'étaient pas pertinentes en
l'espèce. La Commission se trouvait dans la même
situation que l'agent des visas: elle ne pouvait pas
' Cette disposition se lit comme suit:
19. (1) Ne sont pas admissibles
a) les personnes souffrant d'une maladie, d'un trouble,
d'une invalidité ou autre incapacité pour raison de santé,
dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles
qu'un médecin, dont l'avis est confirmé par au moins un
autre médecin, conclut,
(i) qu'elles constituent ou pourraient constituer un
danger pour la santé ou la sécurité publiques, ...
2 La définition du mot «médecin» se trouve au paragraphe
2(1) de la Loi et se lit comme suit:
2. (1) ...
«médecin» désgine un médecin agréé ou reconnu par ordre du
ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, pour
exercer les pouvoirs que la présente loi confère aux
médecins;
substituer son opinion à celle des deux médecins de
façon à rendre admissibles des personnes qui sont
expressément déclarées inadmissibles par la Loi.
Ceci ne veut pas dire que la Commission et les
agents des visas doivent aveuglement donner suite
aux attestations médicales officielles qui consta-
tent l'inadmissiblité d'un requérant aux termes de
l'alinéa 19(1)a). Ils doivent d'abord s'assurer que
l'attestation médicale révèle véritablement que les
médecins ont formé l'opinion requise; si l'attesta-
tion médicale est insuffisante à cet égard, ils se
doivent de l'ignorer'. Même si l'attestation médi-
cale semble, à sa face même, satisfaire aux exigen-
ces de la Loi, ils doivent aussi l'ignorer si la preuve
révèle que les deux médecins n'ont pas en fait
formé l'opinion requise; c'est la situation qui s'est
présentée dans l'affaire Ahir c. Ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration'', où la preuve a révélé
que les deux médecins qui avaient signé l'attesta-
tion médicale selon laquelle l'admission d'une
jeune fille qui souhaitait séjourner au pays en
qualité de visiteuse pour une période de deux mois
pourrait vraisemblablement entraîner un fardeau
excessif pour les services sociaux ou de santé,
étaient en fait d'avis que l'admission de cet enfant
pourrait vraisemblablement avoir cette consé-
quence seulement si elle devait recevoir son ins
truction au Canada.
En conséquence, j'accueillerais l'appel, j'annule-
rais la décision de la Commission et je lui renver-
rais l'affaire pour décision en tenant pour acquis
que la Commission doit, avant de décider si des
considérations humanitaires ou de compassion
existent pour justifier l'octroi d'une mesure spé-
ciale, examiner la preuve médicale relative à l'état
de santé du père et de la soeur de l'appelant.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: L'appelant, un citoyen
canadien, a présenté des demandes parrainées de
droit d'établissement relatives à des personnes
appartenant à la catégorie de la famille, soit ses
père et mère, deux soeurs et un frère. L'agent des
visas a refusé d'autoriser les demandes de droit
' Hiramen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(1986), 65 N.R. 67 (C.A.F.).
4 [1984] 1 C.F. 1098 (C.A.).
d'établissement pour le motif que le père et l'une
des soeurs étaient inadmissibles. Cette décision se
fondait sur les avis de deux médecins, l'un confir-
mant l'autre et selon lesquels chacune de ces per-
sonnes souffrait de [TRADUCTION] «tuberculose
pulmonaire probablement évolutive, un problème
médical susceptible de constituer un danger pour
la santé publique à un point tel de les rendre
présentement inadmissibles» en vertu des disposi
tions du sous-alinéa 19(1)a)(i) de la Loi sur l'im-
migration de 1976. L'appelant en a appelé du rejet
devant la Commission d'appel de l'immigration
suivant les dispositions des alinéas 79(2) [mod. par
S.C. 1986, chap. 13, art. 6] a) et b) de la Loi. Lors
de l'audition de l'appel, il dit avoir «fourni une
preuve médicale qui démontre que son père et sa
soeur ne souffraient pas, en fait, de tuberculose
pulmonaire et de plus, que la tuberculose dont ils
auraient pu souffrir jadis n'était plus évolutive».
En outre, il a aussi présenté une preuve selon
laquelle les médecins auxquels l'agent des visas
s'était fié n'avaient jamais procédé personnelle-
ment à l'examen médical de son père et de sa
soeur. La Commission a rejeté l'appel. La portée
du présent appel, sur autorisation obtenue confor-
mément à l'article 84, se limite donc aux questions
de droit et de compétence.
Étant donné la nature des motifs invoqués par la
Commission pour justifier sa décision et la contes-
tation de cette décision par l'appelant, il est néces-
saire de renvoyer à des dispositions législatives que
j'ai l'intention de citer selon l'ordre narratif plutôt
que numérique. Le père et la so✓ur de l'appelant
ont été déclarés inadmissibles par application du
sous-alinéa 19(1)a) (i).
19. (I) Ne sont pas admissibles
a) les personnes souffrant d'une maladie, d'un trouble, d'une
invalidité ou autre incapacité pour raison de santé, dont la
nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un
médecin, dont l'avis est confirmé par au moins un autre
médecin, conclut,
(i) qu'elles constituent ou pourraient constituer un danger
pour la santé ou la sécurité publiques, ou
(ii) que leur admission entraînerait ou pourrait vraisembla-
blement entraîner un fardeau excessif pour les services
sociaux ou de santé;
La définition du mot «médecin» se trouve à l'article
2 de la Loi:
2. (1) ...
«médecin» désigne un médecin agréé ou reconnu par ordre du
ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, pour
exercer les pouvoirs que la présente loi confère aux médecins;
Le rejet de la demande s'imposait en vertu de
l'alinéa 79(1)6) de la Loi, et le droit de l'appelant
d'en appeler à la Commission découlait du para-
graphe 79(2).
79. (1) Un agent d'immigration ou un agent des visas peut
rejeter une demande parrainée de droit d'établissement présen-
tée par une personne appartenant à la catégorie de la famille,
au motif que
b) la personne appartenant à la catégorie de la famille ne
satisfait pas aux exigences de la présente loi ou des
règlements.
Le répondant doit alors être informé des motifs du rejet.
(2) En cas de rejet, en vertu du paragraphe (1), d'une
demande de droit d'établissement, le citoyen canadien ou le
résident permanent qui l'a parrainée peut interjeter appel
auprès de la Commission en invoquant l'un ou les deux motifs
suivants:
a) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de
fait ou une question mixte de droit et de fait;
b) le fait que des considérations humanitaires ou de compas
sion justifient l'octroi d'une mesure spéciale.
Le paragraphe 59(1) traite de l'établissement de la
Commission et de sa compétence en matière
d'appels.
59. (I) Est instituée la Commission d'appel de l'immigra-
tion ayant compétence exclusive, en matière d'appels visés aux
articles 72, 73 et 79 et en matière de demande de réexamen
visée à l'article 70, pour entendre et juger sur des questions de
droit et de fait, y compris des questions de compétence, relati
ves à la confection d'une ordonnance de renvoi ou au rejet d'une
demande de droit d'établissement présentée par une personne
appartenant à la catégorie de la famille.
L'alinéa 65(2)c) traite de la réception de la preuve
par la Commission.
65....
(2) La Commission a, en ce qui concerne la présence, la
prestation de serment et l'interrogatoire des témoins, la produc
tion et l'examen des documents, l'exécution de ses ordonnances,
et toute autre question relevant de sa compétence, tous les
pouvoirs, droits et privilèges d'une cour supérieure d'archives et
peut notamment
c) recevoir, au cours d'une audition, toute preuve supplémen-
taire qu'elle considère digne de foi et pertinente.
LES QUESTIONS EN LITIGE
L'appelant prétend que la Commission a excédé
sa compétence et commis une erreur de droit en ce
qu'elle:
I. a refusé d'examiner la preuve médicale présentée qui contre-
dit le diagnostic des médecins;
2. a également refusé de considérer l'instance dont elle était
saisie comme un procès de novo.
L'appelant soutient également que la Commission
a commis une erreur de droit en ce qu'elle:
3. a conclu que le diagnostic faisant état de «tuberculose
pulmonaire probablement évolutive» pouvait servir à justifier
l'opinion des médecins selon laquelle son père et sa soeur
«pourraient constituer un danger pour la santé ou la sécurité
publiques au Canada»;
4. a fait défaut de considérer invalide le rejet de la demande par
l'agent des visas pour le motif qu'il reposait sur l'opinion de
médecins qui n'avaient pas, en fait, procédé personnellement à
l'examen médical de son père et de sa sœur.
En dernier lieu, faisant allusion au refus de la
Commission d'accorder, dans l'exercice du pouvoir
discrétionnaire que lui confère l'alinéa 79(2)b),
une mesure spéciale du fait de l'existence de consi-
dérations humanitaires ou de compassion, l'appe-
lant fait valoir que la Commission a commis une
erreur de droit en ce qu'elle:
5. a refusé d'examiner la preuve offerte quant à l'état de santé
de son père et de sa soeur au moment de la date d'audience par
la Commission.
J'ai l'intention de traiter de ces questions dans
l'ordre numérique.
REFUS D'EXAMINER LA PREUVE MÉDICALE
Le motif invoqué par la Commission pour refu-
ser d'examiner la preuve médicale produite par
l'appelant en vue de contredire le diagnostic des
médecins faisant état de «tuberculose pulmonaire
probablement évolutive», a été clairement formulé
dans l'affaire Sat Paul Sharma c. M.E.I. (C.A.I.
83-6710, le 17 juillet 1985), une autre décision de
la Commission dont le passage suivant a été cité:
[TRADUCTION] Il n'entre également pas dans les attributions
de la Commission d'attaquer la véracité du diagnostic médical.
Les médecins mandatés par Santé et Bien-être Canada jouent
un rôle important en matière d'immigration, un rôle que la Loi
leur accorde exclusivement. La Loi ne permet pas que les
dépositions d'autres médecins, si éminents soient-ils, viennent
contredire les diagnostics établis par les médecins de Santé et
Bien-être Canada. La Loi n'autorise surtout pas la Commis
sion, sur le fondement d'autres témoignages, à conclure que les
médecins de Santé et Bien-être ont commis une erreur de
diagnostic. La présente conclusion sur l'étendue de la compé-
tence de la Commission se fonde sur l'article 79 de la Loi qui
attribue à cet organisme une compétence exclusive en matière
d'appels seulement sur toute question de droit ou de fait ou
encore sur toute question mixte de droit et de fait. Les diagnos
tics des médecins sont des opinions professionnelles, lesquelles
peuvent sensiblement différer d'un professionnel à l'autre. De
telles opinions ne sont, dans l'acception ordinaire du terme, ni
une question de droit ni une question de fait. Deux médecins
dont les titres et la compétence sont reconnus peuvent s'enten-
dre sur les symptômes de la maladie dont une personne est
affligée, mais en venir à des conclusions diamétralement oppo
sées quant à sa nature. Les commissaires n'ont ni reçu la
formation médicale ni la pratique de la médecine requises pour
leur permettre de s'y retrouver dans de telles opinions divergen-
tes. C'est sûrement pour ce motif que la Loi laisse ces questions
à l'appréciation de médecins qui sont mandatés par Santé et
Bien-être Canada.
La Commission a reconnu que sa perception de son
mandat ne faisait pas l'unanimité parmi les com-
missaires. Elle a renvoyé à une autre décision,
intitulée Cheryll Anne Nandee c. M.E.I., (C.A.I.
84-4095, le 24 décembre 1985), dont elle a précisé
plutôt gratuitement qu'elle avait été rendue la
veille de Noël 1985. Le groupe de commissaires
qui avait à juger cet appel a conclu ce qui suit:
Les rejets fondés sur des raisons d'ordre médical peuvent faire
l'objet d'un appel devant la Commission en vertu des alinéas
79(2)a) et b) de la Loi sur l'immigration de 1976. Celle-ci peut
et doit examiner la validité d'un rejet fondé sur des raisons
d'ordre médical et elle ne doit pas se soustraire à ses responsa-
bilités en prétendant qu'elle n'est pas qualifiée sur le plan
médical pour entendre des appels de ce genre. Elle doit exami
ner la valeur probante de la preuve produite à l'audition et, si
elle juge qu'il existe des preuves suffisantes pour contester les
motifs du rejet, elle doit alors conclure que le rejet n'est pas
valide en droit et pas simplement accueillir l'appel en vertu de
l'alinéa 79(2)b) lorsque celui-ci est favorable à l'appelant en
raison d'un rejet fondé sur des motifs médicaux inappropriés ou
douteux.
Qu'ils aient été influencés par l'esprit des Fêtes ou
non, les commissaires saisis de l'affaire Nandee ont
interprété leur mandat différemment des commis-
saires qui ont entendu le présent appel.
Le présent groupe de commissaires semble avoir
totalement confondu la nature de la décision qu'il
doit rendre avec celle de l'audition qu'il doit accor-
der aux parties avant de statuer. Abstraction faite
de la question de compétence, il est parfaitement
exact que ce sont les questions de droit ou de fait
et les questions mixtes de droit et de fait que la
Commission est mandatée à déterminer selon le
paragraphe 59(1) et qui peuvent constituer les
motifs d'appel, dans les présentes circonstances, en
vertu du paragraphe 79(2). Il est également avéré
qu'un témoignage d'opinion n'est ni une question
de fait ni de droit, mais il n'en constitue pas moins
un élément de preuve. Le paragraphe 65(2), inter-
prété selon les principes de justice naturelle,
impose à la Commission l'obligation de recevoir
«toute preuve supplémentaire qu'elle considère
digne de foi et pertinente». Le mot «supplémen-
taire» illustre bien que la preuve à recueillir ne se
limite pas forcément aux éléments de preuve pré-
sentés au fondé de pouvoir, en l'espèce, l'agent des
visas qui a rendu la décision qui fait maintenant
l'objet du présent appel. La disposition précise que
la Commission doit juger de la crédibilité et de la
pertinence de la preuve offerte, mais elle ne peut
refuser de la recevoir ni de l'examiner si elle est
jugée pertinente. La pertinence de la preuve ne fait
pas de doute en l'espèce.
PROCÈS DE NOVO
La Commission n'a pas réellement refusé de
considérer l'audience comme un procès de novo.
Mais elle a déterminé qu'un procès de novo en est
un qui [TRADUCTION] «doit se limiter aux ques
tions de fait et de droit telles qu'elles se posaient
au moment de la première audience». Comme le
droit n'avait pas changé dans l'intervalle, il est
donc inutile de traiter de la nature discutable de
cette détermination par la Commission.
Quant aux faits, il s'agit de déterminer la date
effective à laquelle doit être établi le problème
médical du requérant. Faut-il se placer à la date de
la décision de l'agent des visas dont l'appelant a
interjeté appel devant la Commission, ou à celle de
l'audition de cet appel? L'intervalle, essentielle-
ment occasionné par l'arriéré de travail de la
Commission, était de 17 mois en l'espèce.
Cette Cour s'est penchée sur la même question
que celle présentement en cause dans l'affaire
Mohamed c. Canada (ministre de l'Emploi et de
l'Immigration), [1986] 3 C.F. 90, un jugement
rendu postérieurement à la décision de la Commis
sion qui fait l'objet du présent appel. Dans des
motifs concordants quant au résultat, le juge en
chef Thurlow a accepté la position du présent
appelant; mais la majorité, s'exprimant par la voix
du juge Hugessen à la page 98, a statué comme
suit:
Il est donc loisible à la personne qui interjette appel d'établir
que l'opinion des médecins est déraisonnable, ce qui peut se
faire en présentant des éléments de preuve de témoins experts
dans le domaine médical autres que des «médecins». Cependant,
des éléments de preuve tendant simplement à établir que la
personne visée ne souffre plus du problème médical sur lequel
reposait l'opinion des médecins sont, de toute évidence, insuffi-
sants; il est possible que les médecins aient eu tort dans leur
pronostic, mais dans la mesure où la personne visée souffrait du
problème médical en question et où leur opinion quant à ses
conséquences était raisonnable au moment où elle a été formu-
lée et où l'agent des visas y a fait appel pour justifier sa
décision, le refus par ce dernier d'autoriser la demande parrai-
née était bien fondé. Par conséquent, à mon avis, la décision de
la Commission à cet égard était fondée.
En ce qui concerne la décision de la Commission
rendue en application de l'alinéa 79(2)a), la date
décisive est celle de l'opinion médicale sur laquelle
s'est fié l'agent des visas pour justifier sa décision.
Mais cela ne veut pas dire pour autant que la
preuve relative à l'état de santé actuel du requé-
rant n'est pas pertinente à une décision prise en
application de l'alinéa 79(2)b). J'aurai l'occasion
de revenir sur ce sujet.
DIAGNOSTIC INSUFFISANT POUR
ÉTAYER DES OPINIONS
Un jugement sur consentement rendu par la
présente Cour dans l'affaire Gandham c. Canada
(ministre de l'Emploi et de l'Immigration), n° du
greffe A-713-85, en date du 29 mai 1986, semble
avoir donné lieu à beaucoup de confusion; cet arrêt
annulait la décision de la Commission et renvoyait
l'affaire entre autres pour le motif;
... que le rejet ne peut se justifier en droit d'après les disposi
tions des articles 79(1) et 19(1)a)(i) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976 pour le motif que Avtar Singh Johal souffre de
tuberculose pulmonaire probablement évolutive.
On dit que certaines formations de la Commission
considèrent que cette décision les justifie d'accueil-
lir les appels contre les rejets par les agents des
visas qui sont fondés sur le diagnostic médical dont
il est question en l'espèce.
Un jugement sur consentement ne fait pas juris
prudence. Généralement, le tribunal qui ratifie un
tel jugement ne se soucie que de deux choses: la
capacité des parties à consentir au jugement et la
compétence du tribunal de rendre l'ordonnance
recherchée. Un jugement sur consentement ne
reflète ni des conclusions de fait ni l'application
mûrement réfléchie du droit applicable aux faits.
Il s'agit d'une façon différente pour la Cour
d'exercer son pouvoir fondamental de régler des
différends, c'est-à-dire qu'elle intervient en rati-
fiant un accord survenu entre des parties capables
de s'engager plutôt qu'en parvenant elle-même à
une conclusion.
Je ne vois pas la nécessité de m'attarder sur le
sens que peut avoir l'ordre dans lequel apparais-
sent les expressions «possibly active pulmonary
tuberculosis» et «pulmonary tuberculosis, possible
active» (en français, dans les deux cas: tuberculose
pulmonaire probablement évolutive) à l'avis médi-
cal. Disons simplement que la seconde formulation
ne comporte aucune imprécision qui pourrait être
fatale. La justesse du diagnostic et la question de
savoir s'il justifie suffisamment les opinions médi-
cales relativement aux points visés par les sous-ali-
néas 19(1)a)(i) et (ii) sont des questions de fait et
non de droit. Ce sont des questions relativement
auxquelles les parties qui comparaissent devant la
Commission peuvent, si elles le désirent, produire
une preuve dont la Commission a l'obligation de
déterminer la crédibilité et la pertinence en appli
cation de l'alinéa 65(2)c).
AUCUN EXAMEN MÉDICAL PAR LE MÉDECIN
Quoiqu'il s'agisse en grande partie de conjectu
res de ma part, je puis fort bien concevoir qu'il
existe des maladies dont le diagnostic fiable
requiert l'examen du patient par le médecin lui-
même tout comme il en est d'autres qui peuvent
être correctement diagnostiquées grâce à l'inter-
prétation de résultats de procédures, de tests et
d'examens dont d'autres se sont chargés, comme
par exemple, des plaques de radiographie. La ques
tion de savoir si les diagnostics en litige nécessitent
l'examen personnel du médecin est aussi une ques
tion de fait à l'égard de laquelle la Commission
doit recevoir les éléments de preuve qui lui sont
fournis, le cas échéant. Ce n'est certainement pas
une question de droit à résoudre en l'absence de
toute preuve.
REFUS DE RECEVOIR LA PREUVE MÉDICALE
ACTUELLE
Comme on l'a dit plus haut, dans les appels
fondés sur l'alinéa 79(2)a), l'arrêt Mohamed c.
Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) est décisif quant à l'époque à laquelle doit se
rapporter la preuve sur l'état de santé du requé-
rant. Il en est autrement pour les appels interjetés
en vertu de l'alinéa 79(2)b).
Il ressort à la compétence exclusive de la Com
mission d'octroyer une mesure spéciale pour des
motifs humanitaires ou de compassion. Ce pouvoir
doit s'exercer suivant les circonstances qui existent
lorsque la Commission est appelée à rendre sa
décision. Il n'y a aucune justification en droit qui
permette d'exclure une preuve relative au problè-
me médical dont souffre actuellement un requé-
rant. Elle peut être pertinente ou non, mais elle
n'est certainement pas inadmissible.
CONCLUSION
J'accueillerais l'appel, j'annulerais la décision de
la Commission d'appel de l'immigration en date du
21 mai 1986; et je renverrais l'affaire pour fins de
nouvelle audition qui soit compatible avec les pré-
sents motifs du jugement devant un groupe de
commissaires dont la formation n'a pas à être la
même que précédemment. Je ne vois aucun motif
particulier pour adjuger les dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris au jugement.
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