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T-396-86
J. Stuart Robertson (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: ROBERTSON C. CANADA
Division de première instance, juge Dubé—Cal- gary, 10 décembre 1987; Ottawa, 6 janvier 1988.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Avantages imposables Option d'achat d'actions accordée en 1974 et levée en 1980 Valeur des actions excédait de 235 500 $ le prix d'acquisition Les profits ne sont imposables que lors- qu'ils sont réalisés (1980).
Le contribuable, gérant de ranch, était au service d'un certain M. Pierce, président de Ranger Oil (Canada) Limited. En 1974, afin d'inciter le demandeur à conserver son emploi chez lui, M. Pierce lui a accordé une option d'achat de certai- nes actions qu'il détenait dans la société Ranger Oil. Le prix de l'option était égal ou supérieur à la juste valeur marchande des actions à la date l'option a été accordée.
En 1980, le contribuable a levé l'option et acquis 6 000 actions, réalisant ainsi un profit de 235 500 $. Le ministre, s'appuyant sur le paragraphe 5(1) et l'alinéa 6(1)a) de la Loi, a établi la nouvelle cotisation du contribuable pour l'année d'im- position 1980 et y a ajouté la somme de 235 500 $ à titre d'avantage imposable.
La présente action conteste la nouvelle cotisation. Jugement: L'action devrait être rejetée.
L'article 7 ne s'applique certes pas en l'espèce puisque le demandeur n'est pas employé par une corporation. Cette affaire est régie par le paragraphe 5(1) et l'alinéa 6(I )a) de la Loi.
C'est à juste titre que l'avantage obtenu a été inclus dans le revenu de l'année d'imposition au cours de laquelle l'option a été levée plutôt que celle l'option a été accordée. Il est vrai que dans l'arrêt Abbott v. Philbin (Inspector of Taxes), la Chambre des lords a décidé que l'avantage imposable, dans le cas d'une option d'achat d'actions, était la valeur de l'option à la date celle-ci avait été accordée puisque l'accroissement de valeur dépendait «de nombreux facteurs qui n'ont aucun rap port avec la charge de l'employé ou son emploi». Cette décision est cependant fondée sur le libellé d'une loi anglaise qui est différent du libellé de l'alinéa 6(1)a) de la Loi. Cette interpré- tation est également incompatible avec «la portée la plus large possible» que la Cour suprême du Canada a conféré à l'expres- sion «au titre» dans l'arrêt R. c. Savage.
C'est un principe de l'impôt sur le revenu qu'un montant ne peut être inclus dans le revenu avant que l'incertitude entourant le droit du contribuable (en l'espèce, qu'il demeure au service de son employeur) à ce montant ne soit dissipée. Comme lord Denning, dissident dans l'arrêt Abbott v. Philbin, l'a dit, «ce n'est pas la perspective ni le droit de faire un profit qui sont imposables mais bien le profit lui-même». Le demandeur n'a réalisé un profit que lorsqu'il a levé l'option au cours de l'année d'imposition 1980.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Income Tax Act, 1952, 15 & 16 Geo. 6 & Eliz. I1, chap. 10, ann. 9, r. 1.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 5(1), 6(1)a), 7(1)a) (mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 3).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
R. c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428; 83 DTC 5409.
DÉCISIONS ÉCARTÉES:
No. 126 v. M.N.R. (1953), 53 DTC 419 (C.A.I.); No. 247 v. M.N.R. (1955), 55 DTC 192 (C.A.I.); Snell v. M.N.R. (1957), 57 DTC 299 (C.A.I.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Abbott v. Philbin (Inspector of Taxes), [1960] 2 All E.R. 763 (H.L.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Williams v. Minister of National Revenue (1954), 55 DTC 1006 (C. de l'É.); Salmon v. Weight (Inspector of Taxes), [1935] All E.R. 904 (H.L.); M.N.R. v. Rousseau (1960), 60 DTC 1236 (C. de l'É.); Tyrer v. Smart (Inspector of Taxes), [ 1979] STC 34 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. H. Cutmore et al. v. M.N.R. (1986), 86 DTC 1146 (C.C.I.); Waffle v. M.N.R. (1968), 69 DTC 5007 (C. de l'É.); T. Pellizzari v. M.N.R. (1987), 87 DTC 56 (C.C.I.); T. E. Cox v. M.N.R. (1978), 78 DTC 1468 (C.R.I.); T. T. Hnatiuk c. La Reine (1976), 76 DTC 6376 (C.F. 1"° inst.).
DOCTRINE
Arnold, Brian J. Timing and Income Taxation: The Principles of Income Measurement for Tax Purposes. Toronto: Canadian Tax Foundation, 1983.
Sherbaniuk, Douglas J. Specific Types of Personal Income. Royal Commission on Taxation, Study No. 16. Toronto: University of Toronto, 1967.
Ward's Tax Law and Planning, Vol. 1. Davies Ward & Beck and Brian J. Arnold. Toronto: The Carswell Company Limited, 1983.
AVOCATS:
Orville A. Pyrcz et James A. W. Williams pour le demandeur.
Robert W. McMechan et Pierre Barsalou pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Ballem, McDill, Maclnnes & Eden, Calgary, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DUBÉ: En fixant la nouvelle cotisation du demandeur pour l'année d'imposition 1980, le ministre du Revenu national a ajouté, à titre d'avantage imposable, la somme de 235 500 $ représentant l'excédent de la juste valeur mar- chande de 6 000 actions à la date de leur acquisi tion par le demandeur sur le prix d'acquisition payé par celui-ci.
Les principaux faits de cette affaire d'impôt sur le revenu sont tout à fait simples et peuvent être résumés brièvement comme suit. Durant toutes les époques pertinentes, le demandeur était au service de M. Jack M. Pierce (ci-après désigné «Pierce») à titre de gérant de ranch, responsable des activités du ranch. Afin d'inciter le demandeur à conserver son emploi chez lui, M. Pierce lui a accordé en 1974 une option d'achat de certaines actions qu'il détenait dans la société Ranger Oil (Canada) Limited dont il était président. Le prix de l'option en question était égal ou supérieur à la juste valeur marchande des actions à la date l'option était accordée.
En 1980, le demandeur a levé son option quant à un certain nombre des actions susmentionnées. À ce moment-là, la juste valeur marchande des actions en question excédait de 235 500 $ le prix d'acquisition payé par le demandeur. Le ministre a fondé sa nouvelle cotisation sur le paragraphe 5(1) et l'alinéa 6(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970- 71-72, chap. 63, art. 1) ] :
5. (1) Sous réserve de la présente Partie, le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, tiré d'une charge ou d'un emploi est le traitement, salaire et autre rémunération, y compris les gratifications, que ce contribuable a reçues dans l'année.
6. (1) Doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments appropriés suivants:
a) la valeur de la pension, du logement et autres avantages de quelque nature que ce soit (sauf les avantages résultant des contributions de son employeur à une caisse ou régime enregistré de pension, un régime d'assurance collective contre la maladie ou les accidents, un régime de service de santé privé, un régime de prestations supplémentaires de chômage, un régime de participation différée aux bénéfices ou une police collective d'assurance temporaire sur la vie) qu'il a reçus ou dont il a joui dans l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu de la charge ou de l'emploi;
Le ministre prétend que le but de l'alinéa 6(1)a) est d'étendre la portée de l'expression «revenu tiré d'une charge ou d'un emploi» au-delà des concepts habituels de «traitement, salaire et autre rémuné- ration, y compris les gratifications» pour y inclure la valeur des «avantages de quelque nature que ce soit» qu'un employé reçoit ou dont il jouit «au titre, dans l'occupation ou en vertu» d'une charge ou d'un emploi.
Dans la décision Williams v. Minister of Natio nal Revenue' rendue par la Cour de l'Échiquier du Canada en 1954, le juge Cameron, parlant de l'ancien alinéa 5(b)i) maintenant devenu l'alinéa 6(1)a), a dit ce qui suit, à la page 1007:
[TRADUCTION] Le but de l'alinéa est d'étendre la portée de l'expression «revenu tiré d'une charge ou d'un emploi» au-delà des concepts habituels de «traitement, salaire et autre rémuné- ration, y compris les gratifications» pour y inclure la valeur de la pension, du logement et autres avantages qu'un employé peut recevoir ou dont il peut jouir dans l'occupation ou en vertu de la charge ou de l'emploi.
Dans la décision R. c. Savage 2 rendue par la Cour suprême du Canada en 1983 et portant sur l'alinéa 6(1)a), le juge Dickson (tel était alors son titre) a souligné que les mots-clés de l'alinéa étaient «avantages de quelque nature que ce soit», «au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi». Voici ce qu'il a dit aux pages 440 R.C.S.; 5414 DTC:
Les mots «avantages de quelque nature que ce soit» ont nette- ment un sens très large; en l'espèce, le paiement de la somme de 300 $ tombe facilement dans la catégorie des «avantages». De plus, notre loi parle d'un avantage «au titre» de la charge ou de l'emploi. Dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, cette Cour affirme ce qui suit, à la p. 39:
À mon avis, les mots «quant à» ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, «concernant», «relativement à» ou «par rapport à». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression «quant à» qui a la portée la plus large.
' (1954), 55 DTC 1006 (C. de l'É.).
2 [1983] 2 R.C.S. 428; 83 DTC 5409.
Le ministre soutient donc qu'en payant 22 500 $ pour 6 000 actions ordinaires dont la juste valeur marchande était de 258 000 $ au cours de l'année d'imposition 1980, le demandeur a reçu un avan- tage de 235 500 $ au cours de cette année. Cet avantage provient de l'incitation exercée par son employeur pour qu'il demeure à son service à titre de gérant du ranch. Il s'agit d'un «avantage de quelque nature que ce soit» reçu «au titre de» son emploi selon le sens large que la Cour suprême du Canada a accordé à ces termes dans la décision précitée.
La jurisprudence comporte plusieurs exemples les tribunaux ont conclu que de tels avantages avaient été reçus au titre d'un emploi au sens de l'alinéa 6(1)a): le coût de préparation des déclara- tions d'impôt sur le revenu des employés 3 , le coût d'un voyage de plaisance offert par un fournis- seur', le paiement d'honoraires d'avocats, l'acqui- sition d'actions pour un montant inférieur à leur juste valeur marchande 6 .
D'autre part, le demandeur soutient que la seule disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu qui s'appliquerait à une attribution d'actions à un employé est l'article 7. L'alinéa 7(1)a) [mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 3] se lit ainsi:
7. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1) lorsqu'une corpora tion a convenu de vendre ou d'attribuer un certain nombre d'actions de son capital-actions, ou des actions d'une corpora tion avec laquelle elle a un lien de dépendance, à un de ses employés ou à un employé d'une corporation avec laquelle elle a un lien de dépendance,
a) si l'employé a acquis des actions en vertu de la conven tion, un avantage, égal à la fraction de la valeur des actions qui, au moment il les a acquises, était en sus de la somme qu'il a payée ou devra payer pour ces actions à la corpora tion, est réputé avoir été reçu par l'employé en raison de son emploi dans l'année d'imposition il a acquis les actions.
Le demandeur prétend que l'article 7 ne peut certainement pas s'appliquer puisque son employeur n'est pas une corporation. De plus, le demandeur n'est pas un employé d'une corpora
3 R. H. Cutmore et al. v. M.N.R. (1986), 86 DTC 1146
(C.C.I.).
° Waffle v. M.N.R. (1968), 69 DTC 5007 (C. de l'É.).
5 T. Pellizzari v. M.N.R. (1987), 87 DTC 56 (C.C.I.).
6 No. 126 v. M.N.R. (1953), 53 DTC 419 (C.A.I.); No. 247 v. M.N.R. (1955), 55 DTC 192 (C.A.I.); Snell v. M.N.R. (1957), 57 DTC 299 (C.A.I.) et T. E. Cox v. M.N.R. (1978), 78 DTC 1468 (C.R.I.).
tion. Cette prétention est valide. Le ministre ne s'appuie cependant pas sur l'article 7 mais sur l'alinéa 6(1)a).
À titre subsidiaire, le demandeur soutient que si l'alinéa 6(1)a) s'applique, la valeur de l'avantage qu'il a reçu aurait être calculée dans son revenu de l'année d'imposition au cours de laquelle l'op- tion a été accordée (1974) et non dans l'année au cours de laquelle l'option a été exercée (1980). Pour justifier cette affirmation, il s'appuie surtout sur trois décisions' de M. Fordham de l'ancienne Commission d'appel de l'impôt, décisions fondées essentiellement sur l'arrêt Salmon v. Weight (Ins- pector of Taxes) 8 de 1935 de la Chambre des lords.
Dans l'affaire Salmon, en plus de recevoir son salaire annuel, l'administrateur-gérant d'une com- pagnie avait, aux termes d'une résolution annuelle, le privilège d'acquérir au pair des actions non émises de la compagnie dont la valeur marchande était toujours considérablement supérieure à la valeur au pair. Le tribunal a déclaré que l'avan- tage qu'il avait tiré de l'attribution de ces actions constituait un [TRADUCTION] «bénéfice tiré d'une charge ou d'un emploi» au sens de la Income Tax Act de l'Angleterre. Par conséquent, la demande du contribuable visant à acquérir des actions pour un montant inférieur à leur juste valeur mar- chande était imposable sur réception de celles-ci. Voici ce que lord Atkin a dit la page 910):
[TRADUCTION] Il convient de signaler que même si le conseil a accepté d'examiner la demande d'acquisition de ces actions, personne n'était lié, aucun droit n'était accordé et l'appelant ne recevait aucun bénéfice avant l'acceptation de la demande et l'attribution des - actions en question. Dès cet instant, il recevait de la compagnie 2 500 actions qui ne comportaient aucune restriction et il pouvait vendre sur le marché ces actions acqui- ses pour et toucher immédiatement 3£, 42 ou 52 selon le cas.
Dans l'arrêt précité, le tribunal a conclu que le privilège spécial d'acquérir des actions à un prix inférieur à leur valeur marchande avait de toute évidence été accordé en raison des services rendus par l'appelant. Bien que le privilège ne fût pas en lui-même de l'argent, il avait une valeur moné- taire. Le demandeur soutient qu'en l'espèce, il
' No. 126 v. M.N.R.; Snell v. M.N.R. et No. 247 v. M.N.R.,
précitée, note 6.
8 [1935] All E.R. 904 (H.L.).
s'était vu accorder un droit exécutoire de lever une option d'achat d'actions contrairement à un simple privilège d'achat laissé à la discrétion du conseil d'administration comme dans l'arrêt Salmon: la date d'imposition serait donc fixée au jour ce droit a été accordé, c.-à-d. à la date l'option d'achat d'actions a été accordée.
En ce qui concerne le droit exécutoire d'acheter des actions en vertu d'une option d'achat, le demandeur s'appuie sur la troisième décision de M. Fordham, No. 247 v. M.N.R. Dans cette affaire, le contribuable avait reçu en 1951 une option d'achat d'actions de la compagnie de son employeur à un prix inférieur à la juste valeur marchande des actions en question. L'option lui avait été accordée avant l'entrée en vigueur de l'article qui est devenu l'article 7 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le contribuable a levé son option en 1952. M. Fordham a confirmé la déci- sion du ministre de fixer un impôt sur un avantage pour l'année au cours de laquelle l'option a été accordée (et non l'année l'option a été levée).
Le demandeur s'appuie également sur la déci- sion de la Chambre des lords, Abbott v. Philbin (Inspector of Taxes) 9 , dans laquelle le contribua- ble avait reçu de son employeur une option d'achat d'actions à la valeur marchande. L'option pouvait être levée à l'intérieur d'une période de dix ans. Le contribuable a exercé son option l'année suivante alors que les actions valaient plus que le prix d'option. La majorité de la Chambre des lords a décidé à la majorité que la levée de l'option du contribuable ne donnait pas lieu à une opération imposable et que l'avantage imposable était la valeur de l'option à la date celle-ci avait été accordée. Voici ce que le vicomte Simonds a dit la page 767):
[TRADUCTION] Mais il m'est difficile d'affirmer que la diffé- rence accrue entre le prix de l'option et le prix du marché en 1956 ou, peut-être, en 1964 dépend d'une façon quelconque de la charge. Elle dépend de nombreux facteurs qui n'ont aucun rapport avec la charge de l'employé ou son emploi.
Dans une étude effectuée pour le compte de la Royal Commission on Taxation et intitulée Speci fic Types of Personal Income, le professeur Dou- glas J. Sherbaniuk fait les commentaires suivants concernant la décision rendue à la majorité dans l'arrêt Abbott v. Philbin (aux pages 143 et 144):
9 [1960] 2 All E.R. 763 (H.L.).
[TRADUCTION] En présence de faits similaires, les tribunaux canadiens parviendraient vraisemblablement au même résultat que celui auquel est arrivé la majorité. Un droit contractuel exécutoire semble être clairement visé par le concept très large d'«avantage» de l'alinéa 5(1)a) et, lorsqu'un tel droit est accordé dans des circonstances semblables à celles de l'arrêt Abbott v. Philbin, par l'expression «au titre, dans l'occupation ou en vertu de la charge ou de l'emploi». De plus, bien que les tribunaux canadiens n'aient pas encore été confrontés à l'inter- prétation de cette expression, ils adopteraient probablement le même raisonnement que celui de la majorité et décideraient que les augmentations de la valeur des actions attribuables à des facteurs tels la non répartition des bénéfices et la croissance de l'entreprise ne pourraient être reçues «au titre, dans l'occupa- tion ou en vertu de la charge ou de l'emploi». Bref, l'employé paierait un impôt sur la valeur de l'option moins ce qu'il a payé pour celle-ci au cours de l'année elle lui a été accordée.
On mentionne également le volume 1 de l'ou- vrage intitulé Ward's Tax Law and Planning dans lequel il est dit la page 3-67):
[TRADUCTION] En l'absence de dispositions particulières contenues dans la Loi portant sur les options d'achat d'actions, le deuxième type de contrat vise le revenu imposable reçu par l'employé en vertu de l'article 5 ou de l'alinéa 6(1)a) au moment l'option est accordée plutôt qu'au moment elle est levée. Le bénéfice imposable représente la différence entre le prix de l'option et la juste valeur marchande de l'action à la date l'option est accordée: Salmon v. Weight, [1935] All E.R. 904, 19 T.C. 174 (H.L.); No. 126 v. M.N.R., 53 D.T.C. 419, 9 Tax A.B.C. 241. Voir également l'arrêt Abbott v. Philbin, [1960] 2 All E.R. 763, [1961] A.C. 352 (H.L.).
Il est dit plus loin (aux pages 3-75 et 3-76):
[TRADUCTION] Les avantages qu'un employé tire d'une option d'achat d'actions qui n'est pas visée par l'article 7 (par ex., les avantages reçus en vertu d'une convention signée au plus tard le 23 mars 1953) sont imposables dans l'année au cours de laquelle l'option est accordée. Si le prix de l'option est égal à la valeur des actions à la date à laquelle l'option est accordée, aucun avantage n'est réputé être reçu à cette date. En ce qui concerne les conséquences fiscales de la levée de l'option, voir l'arrêt Abbott v. Philbin, [1960] 2 All E.R. 763, [1961] A.C. 352 (H.L.).
Par conséquent, le demandeur en l'espèce sou- tient qu'il a obtenu le droit d'acquérir des actions au cours de l'année d'imposition 1974 et que le prix d'acquisition était égal ou supérieur à la juste valeur marchande des actions à la date l'option a été accordée. Il n'a donc reçu aucun avantage au sens de l'alinéa 6(1)a) en raison de l'option d'achat accordée initialement en 1974. Cependant, si le fait de conférer une option d'achat lui a procuré un avantage en 1974 compte tenu de la juste valeur marchande de l'option, le demandeur soutient qu'il
ne s'agissait au mieux que d'un avantage nominal.
En conclusion, le demandeur soutient de plus qu'aucune disposition de la Loi ne l'oblige à inclure dans son revenu un montant quelconque découlant de la levée de l'option au cours de l'année d'imposition 1980: l'article 7 est inopérant en l'espèce et l'alinéa 6(1)a) ne peut s'appliquer puisque, compte tenu de la décision Abbott v. Philbin, le demandeur n'a pas bénéficié d'une telle augmentation de la valeur «au titre, dans l'occupa- tion ou en vertu» de sa charge ou de son emploi au cours de l'année d'imposition 1980.
En réponse aux arguments du demandeur, le ministre soutient qu'avant l'année d'imposition 1980, le demandeur n'a «reçu» aucune fraction de l'avantage de 235 500 $ ni «jouit de celle-ci dans l'année» au sens de l'alinéa 6(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ministre justifie cette affirmation en s'appuyant sur la décision de la Cour de l'Échiquier, M.N.R. v. Rousseau 10 rendue en 1960 dans laquelle le juge Fournier a dit la page 1238):
[TRADUCTION] En principe, c'est le revenu touché ou reçu qui est imposable.
Le juge Fournier a conclu que puisque le contri- buable n'avait pas, dans les faits, reçu le salaire et les revenus de location inscrits à son crédit, ces derniers n'étaient pas imposables au cours de cette année. Le juge a souligné que si le législateur avait voulu que les montants à recevoir soient inclus dans le revenu, il l'aurait mentionné expressément; autrement, la règle générale prévoit que les mon- tants doivent être reçus avant de constituer un revenu.
En l'espèce, avant que le demandeur n'acquière les actions en 1980, son droit était soumis à la condition qu'il demeure au service de son employeur. En d'autres termes, avant que le demandeur ne lève effectivement son option en 1980, on ne pouvait savoir si cette condition essen- tielle de la convention serait remplie: c'est un principe de l'impôt sur le revenu qu'un montant ne peut être inclus dans le revenu avant que l'incerti- tude entourant le droit du contribuable à ce mon- tant soit dissipée.
10 (1960), 60 DTC 1236 (C. de l'É.).
Dans un article préparé pour la Canadian Tax Foundation, intitulé Timing and Income Taxation'', le professeur B. J. Arnold traite des principes du calcul du revenu à des fins fiscales. A titre de principe général, il déclare la page 78) que:
[TRADUCTION] Aux fins de l'impôt sur le revenu, les contribua- bles qui utilisent la méthode de comptabilité de caisse déclarent généralement leurs revenus dans l'année ils sont effective- ment reçus.
Il souligne de plus la page 80) que:
[TRADUCTION] La Loi impose l'emploi de la méthode de comptabilité de caisse pour les types de revenus suivants: revenu tiré d'une charge ou d'un emploi ...
Une note, au bas de cette page, se lit ainsi:
[TRADUCTION] Paragraphe 5(1) et alinéa 6(1)a). Le revenu tiré d'un emploi comprend non seulement le traitement ou le salaire mais aussi un vaste choix d'avantages sociaux en espèces et en nature.
Sous la rubrique «Income from Office or Employment» (aux pages 81 et 82) il souligne:
[TRADUCTION] Les avantages qui ne sont pas en espèces, tels la pension, le logement, les allocations, les frais des administra- teurs, les primes d'emploi et les montants versés en vertu d'une clause de non-concurrence sont calculés dans le revenu du contribuable seulement s'ils sont reçus dans l'année.
Au bas de la page 82, figure la note suivante:
[TRADUCTION] Alinéas 6(l)a), 6(1)b), 6(l)c) et paragraphe 6(3). L'alinéa 6(1)a) porte sur les avantages «reçus ou dont [le contribuable] a joui» dans l'année.
Plus loin, la page 84) l'auteur traite du concept général de la réception de la façon suivante:
[TRADUCTION] Selon la méthode de comptabilité de caisse, un montant n'est inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable que s'il est reçu par celui-ci et revêt la caractéristique d'un revenu. Le simple droit de recevoir un montant ne constitue pas un revenu.
Une dernière citation mérite d'être reproduite la page 122):
[TRADUCTION] La Loi comporte plusieurs autres dispositions relatives au moment un revenu doit être inclus dans le revenu. Par exemple, le paragraphe 6(1) n'oblige un agent ou un employé à inclure dans son revenu tiré d'une charge ou d'un emploi que les montants qu'il a effectivement reçus.
" Timing and Income Taxation: The Principles of Income Measurement for Tax Purposes, (1983), Canadian Tax Foun dation, B. J. Arnold.
À mon avis, les avantages reçus par le deman- deur en 1980 sont vraiment des avantages imposa- bles dans l'année. J'estime que la décision Abbott v. Philbin ne constitue pas un précédent à l'appui de l'affirmation qu'au Canada, de tels avantages seraient imposables dans l'année l'option a été accordée et non dans l'année elle a été levée. Cette décision de la Chambre des lords rendue en 1960 est fondée sur le libellé d'une loi anglaise qui est différent 12 du libellé de l'alinéa 6(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu au Canada. Deuxiè- mement, une telle interprétation est incompatible avec «la portée la plus large possible» que la Cour suprême du Canada confère à l'expression «au titre» dans la décision Savage de 1983. Troisième- ment, la décision anglaise susmentionnée fait l'ob- jet de deux jugements dissidents, dont l'un de lord Denning qui prononça sa célèbre phrase la page 777) selon laquelle «A bird in the hand is taxable, but a bird in the bush is not»» (ce qui signifie qu'un montant reçu est imposable mais qu'un montant à recevoir ne l'est pas). Quatrièmement, dans la décision Tyrer v. Smart (Inspector of Taxes) ' 3 rendue récemment (1978), la Chambre des lords a conclu que le gain qu'un contribuable a accumulé entre la date de sa demande d'actions et l'acquisi- tion de celles-ci était attribuable à son emploi et non à «de nombreux facteurs qui n'ont aucun rapport avec la charge de l'employé ou son emploi» comme le vicomte Simonds l'a dit dans l'arrêt Abbott v. Philbin 14 . Enfin, je ne suis évidemment pas lié par les décisions de la Commission d'appel de l'impôt.
En conclusion, ce qui a été offert au demandeur en 1974, c'est la perspective de faire un profit. De par sa nature même, une perspective comporte un élément d'incertitude. Une option est une valeur volatile qui varie avec les fluctuations commercia- les et, le cas échéant, avec la valeur intrinsèque des actions qui pourront être acquises avec l'option. Comme lord Denning l'a si bien dit la page 778): [TRADUCTION] «ce n'est pas la perspective ni
12 Le texte de la loi britannique se lit ainsi: [TRADUCTION] «Conformément à l'annexe E, toute personne qui exerce une charge ou un emploi mentionné à l'annexe E paiera un impôt annuel ... sur son salaire, ses honoraires, son traitement, ses gratifications ou sur les bénéfices qui en découlent pour l'année d'imposition...» règle 1 de l'annexe 9 de l'Incarne Tax Act de 1952 [15 & 16 Geo. 6 & Eliz. II, chap. 10].
13 [1979] STC 34 (H.L.).
14 Cité à la p. 150 des présents motifs.
le droit de faire un profit qui sont imposables mais bien le profit lui-même». Le demandeur n'a réalisé un profit que lorsqu'il a levé l'option au cours de l'année d'imposition 1980.
Compte tenu des circonstances, je n'ai pas à me prononcer sur le dernier argument du ministre selon lequel le demandeur ne peut plus prétendre que l'avantage aurait être imposé en 1974 puisqu'il n'a déclaré aucun avantage se rapportant à l'option d'achat d'actions pour ladite année. La prescription prévue par la loi ne nous permet pas d'examiner les opérations conclues en 1974. La défenderesse soutient que l'argument subsidiaire du demandeur constituait ce que le juge Mahoney a décrit dans l'affaire T. T. Hnatiuk c. La Reine 15 la page 6377) comme étant «un exemple digne de manuels scolaires de la règle interdisant le retour sur les déclarations antérieures». Je n'ai pas non plus à examiner la jurisprudence américaine produite par la défenderesse.
Pour tous ces motifs, l'action est rejetée avec dépens.
15 (1976), 76 DTC 6376 (C.F. 1" inst.).
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