A-433-86
Nasreen Meherally, Lauraine Dube, Richard
Anderson, Zebo Hamid, Shehnaz Motani (requé-
rants)
c.
Ministre du Revenu national (intimé)
RÉPERTORIÉ: MEHERALLY C. M.R.N.
Cour d'appel, juges Urie, Hugessen et MacGui-
gan—Vancouver, 21 janvier; Ottawa, 6 mars 1987.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Adoption
de mesures législatives par référence — Validité d'un règle-
ment sur l'assurance-chômage qui adopte par référence des
mesures législatives provinciales concernant des employés pro-
vinciaux — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap.
3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 91 — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28.
Assurance-chômage — Validité de l'art. 8(2) du Règlement
sur l'assurance-chômage, qui adopte par référence des mesu-
res législatives visant à déterminer si des employés provinciaux
occupent un emploi assurable — Règlement sur l'assurance-
chômage, C.R.C., chap. 1576, art. 8(1),(2) — Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 3(1),
(2)e), 4(1)d),(5) — Regulation Made by the Civil Service
Commission on January 1, 1972, Approved by Order in Coun
cil 4271 on December 30, 1971, Pursuant to Section 9, Super
seding B.C. Reg. 187/58, B.C. Reg. 1/72 — Loi relative à la
circulation sur les terrains du gouvernement, S.R.C. 1952,
chap. 324, art. 2(1).
En janvier 1985, le ministre du Revenu national a, à la
demande du ministre de l'Éducation de la province de la
Colombie-Britannique, décidé que les requérants n'occupaient
pas un emploi assurable lorsqu'ils étaient à l'emploi du minis-
tère de l'Éducation de ladite province. Les requérants ont
allégué qu'ils étaient des employés et non pas des entrepreneurs
indépendants. Ils ont interjeté appel à la Cour canadienne de
l'impôt et présenté une requête visant à faire déclarer que le
paragraphe 8(2) du Règlement sur l'assurance-chômage
dépasse les pouvoirs de réglementation de l'autorité qui l'a
édicté. 11 s'agissait de savoir si la Commission d'assurance-chô-
mage, à laquelle l'alinéa 4(1)d) de la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage a conféré le pouvoir, sous réserve de l'approba-
tion du gouverneur en conseil, d'établir des règlements visant
«tout emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté du
chef d'une province», peut adopter par référence des mesures
législatives provinciales concernant les employés d'une pro
vince, ou si ce pouvoir doit être exercé seulement par le
Parlement lui-même. La présente demande tend à l'examen et à
l'annulation du rejet de la requête par la Cour de l'impôt.
Arrêt (juge MacGuigan dissident): la demande devrait être
rejetée.
Le juge Urie: Il s'agit en l'espèce d'une affaire similaire à
l'affaire Glibbery dans laquelle la Cour d'appel de l'Ontario a
étendu le principe de la législation par référence à un cas où
l'adoption de mesures législatives provinciales s'était faite non
pas au moyen d'une loi mais d'un règlement. Le fait que, dans
l'affaire Glibbery, le gouverneur en conseil avait le pouvoir de
faire des règlements alors qu'en l'espèce, le gouverneur en
conseil est tenu simplement d'approuver les règlements établis
par la Commission ne permet pas d'établir une distinction entre
la présente affaire et l'affaire Glibbery. Il a également été
établi que le Parlement a le droit d'adopter par anticipation les
modifications éventuelles qui peuvent être apportées à la légis-
lation d'un autre corps législatif.
Ce qui s'est produit ici était une suite logique de la jurispru
dence pertinente et était compatible avec elle. Il ne s'agissait
pas d'un transfert de compétence mais plutôt de l'insertion dans
la législation fédérale de la législation du seul organisme ayant
le pouvoir de déterminer quelles personnes ont les qualités pour
être les employés d'une province, c'est-à-dire la législature
d'une province.
Le juge Hugessen: La demande devrait être rejetée pour les
motifs donnés par le juge Urie. Dans l'exercice de leurs préro-
gatives et de leurs pouvoirs législatifs, la Couronne et la
législature de chaque province constituent non seulement les
organismes appropriés mais les seuls organismes qui peuvent
définir et déterminer ce qui, à toutes fins, sera réputé être un
emploi exercé au service de Sa Majesté du chef de ladite
province.
Le juge MacGuigan (dissident): La demande devrait être
accueillie.
L'allégation selon laquelle le paragraphe 8(2) du Règlement
constitue un manquement à la Loi vu que l'alinéa 4(1)d) de
ladite loi contraint la Commission à faire un choix applicable à
l'ensemble des employés et non à certains d'entre eux seule-
ment, doit être rejetée. En vertu du début du paragraphe 4(1)
de la Loi, la Commission est autorisée implicitement à apporter
des précisions quant à certains termes dans l'exercice de son
pouvoir général d'établir des règlements.
Quant à savoir si le transfert de compétence est valable en
tant qu'adoption de mesures législatives par référence ou est
inconstitutionnel en tant que délégation de pouvoir, il est à
noter d'abord que ce transfert n'a pas été fait par le Parlement
mais par la Commission. D'ailleurs, rien dans la Loi ne confère
expressément à la Commission le pouvoir de transférer sa
compétence à d'autres.
Un tribunal ne peut pas se permettre de déduire, en se
fondant sur des notions plutôt que sur le contexte, que la
définition d'un emploi exercé au service d'une province devrait
se faire par le biais de la législation provinciale. Les questions
de la participation des provinces aux programmes fédéraux ont
été si contestées dans le passé qu'il faut présumer que le
Parlement savait qu'une simple intention implicite ne suffirait
pas à effectuer une insertion par référence.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The King v. Walton (1906), 11 C.C.C. 204 (C.A. Ont.);
Brinklow, Re, [1953] O.W.N. 325 (C.A.); Prince
Edward Island Potato Marketing Board v. Willis (H.B.)
Inc., [1952] 2 R.C.S. 392; Regina v. Glibbery, [1963] 1
C.C.C. 101 (C.A. Ont.); Coughlin v. Ontario Highway
Transport Board et al., [1968] R.C.S. 569; Attorney -
General for Ontario v. Scott and Attorney General for
Canada, [1956] R.C.S. 137.
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney General of Nova Scotia v. Attorney General of
Canada et al., [1951] R.C.S. 31; [1950] 4 D.L.R. 369;
The King v. National Fish Company Ltd., [1931] R.C.E
75; Ulin c. La Reine, [1973] C.F. 319; [1973] 35 D.L.R.
(3d) 738 (1" inst.); Ex Parte Brent, [1955] 3 D.L.R. 587
(C.A. Ont.), confirmé par [1956] R.C.S. 318; 2 D.L.R.
(2d) 503; Re Clark et al. and Attorney -General of
Canada (1978), 17 O.R. (2d) 593 (H.C.); Lord's Day
Alliance of Canada v. Attorney General of British
Columbia, [1959] R.C.S. 497; R. c. Smith, [1972]
R.C.S. 359; Attorney -General for Canada v. Attorney -
General for Ontario, [1937] A.C. 326; [1937] 1 D.L.R.
673 (P.C.); Massey v. Crown Life Insurance Co., [1978]
2 All E.R. 576 (C.A.); Narich Pty Ltd v Comr of
Pay-Roll Tax, [1984] I.C.R. 286 (P.C.); Gilbert c.
Ministre du Revenu national, décision en date du 8 août
1981, Cour fédérale, Division de première instance, N.R.
751; non publiée.
AVOCATS:
Allan H. MacLean pour les requérants.
Max J. Weder pour l'intimé.
Derek Final! pour le ministre de l'Éducation
(C.-B.).
PROCUREURS:
Vancouver Community Legal Assistance
Society, Vancouver, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Bureau du procureur général de la Colom-
bie-Britannique pour le ministre de l'Éduca-
tion (C.-B.).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'avantage de lire une
ébauche des motifs du jugement de mon collègue
le juge MacGuigan, avec lesquels je suis d'accord
en grande partie. Cependant, en toute déférence, je
ne puis être d'accord avec sa conclusion selon
laquelle «en adoptant la définition du mot emploi
qui figure dans les lois provinciales régissant la
fonction publique, non seulement la Commission
transfère-t-elle aux provinces la qualification d'un
"emploi exercé au Canada au service de Sa
Majesté du chef d'une province", mais elle sanc-
tionne aussi implicitement les modifications que
les provinces peuvent apporter à l'occasion à la
détermination des personnes "nommées et rémuné-
rées" sous le régime de ces lois». Je puis exposer
relativement succinctement les motifs de mon
désaccord.
Depuis l'arrêt The King v. Walton (1906), 11
C.C.C. 204 (C.A. Ont.), il est considéré permis
d'insérer dans le droit fédéral le texte ou le fond
des lois d'une autre instance législative. Dans ce
cas, le Code criminel prévoyait que toute personne
qui a les qualités voulues et est assignée comme
grand juré ou petit juré conformément aux lois
alors en vigueur dans une province serait réputée
habile à servir de grand ou petit juré dans des
affaires criminelles dans ladite province. Dans
«The Interaction of Federal and Provincial Laws»,
(1976), 54 R. du B. can. 695, à la page 708, E. A.
Driedger a fait remarquer que:
[TRADUCTION] Il ne s'agit pas d'une délégation. La province a
le pouvoir exclusif, en vertu de l'article 92 de l'Acte de l'Améri-
que du Nord britannique, d'établir les qualités requises pour
être juré dans les affaires civiles. Le Parlement a le pouvoir
exclusif d'établir les qualités requises des jurés dans les affaires
criminelles. La disposition du Code criminel prévoyait simple-
ment, en fait, que dans les affaires criminelles les règles
devaient être les mêmes que dans les affaires civiles; elle
mentionnait les qualités exigées des jurés dans des affaires
criminelles, et pour trouver ces qualités, il faut se reporter à la
loi provinciale. Le Parlement aurait pu reproduire textuelle-
ment ces mêmes règles dans le Code criminel; au lieu de cela, il
les avait insérées par référence. Cela ne peut pas constituer une
délégation pour la simple raison que le pouvoir de la législature
d'établir ses propres règles découle de l'article 92 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique et non pas du Parlement.
M. Driedger a également illustré la technique de
la législation par référence en se reférant à l'af-
faire Brinklow, Re, [1953] O.W.N. 325 (C.A.),
dans laquelle une loi de l'Ontario, qui adoptait par
référence les dispositions du Code criminel [S.R.C.
1927, chap. 36], devait par la suite être jugée
constitutionnelle. A la page 326, le juge Judson et
M. Driedger ont respectivement dit et fait remar-
quer ce qui suit:
[TRADUCTION] En réponse à l'allégation selon laquelle cette
adoption par référence était inconstitutionnelle, le juge Judson
a déclaré:
Le paragraphe 3(1) de la Summary Convictions Act porte
que «[s]auf lorsqu'ils sont incompatibles avec la présente Loi,
les parties XV et les articles 1028 ... [etc.] ... du Code
criminel (Canada) et ses modifications s'appliquent, compte
tenu des adaptations de circonstance, à tout cas auquel la
présente Loi s'applique comme si les dispositions de ce Code
avaient été édictées dans la présente Loi et en faisaient
partie».
Il ne s'agit pas d'une délégation de pouvoirs de la part de
la législature provinciale au Parlement. C'est une insertion
dans la législation provinciale des travaux d'un autre corps
législatif afin d'éviter de les répéter.
Il est à noter que, dans ces deux exemples, les lois qui adoptent
des mesures législatives par référence insèrent expressément
non seulement les lois existant à l'époque de l'adoption mais
aussi leurs modifications subséquentes. On avance souvent l'ar-
gument selon lequel l'adoption par référence des modifications
subséquentes constitue une délégation; cet argument sera étudié
plus loin.
Les affaires déjà citées établissent qu'il est régu-
lier pour le Parlement d'adopter par référence des
mesures législatives des provinces. Il est également
bien établi, naturellement, qu'il ne peut pas délé-
guer son pouvoir de légiférer aux provinces'.
Cependant, dans l'arrêt Prince Edward Island
Potato Marketing Board v. Willis (H.B.) Inc.,
[1952] 2 R.C.S. 392, on a jugé valide la délégation
par le Parlement, à des commissions de commer
cialisation provinciales, du pouvoir de réglementer
la commercialisation des produits agricoles (en
l'occurrence des pommes de terre) à l'extérieur de
la province dans le commerce interprovincial et
d'exportation.
Comme l'a signalé le juge MacGuigan, l'étape
logique suivante a été franchie lorsque, dans l'arrêt
Regina v. Glibbery, [1963] 1 C.C.C. 101, la Cour
d'appel de l'Ontario a étendu le principe de la
législation par référence à un cas où l'adoption de
mesures législatives provinciales s'était faite non
pas au moyen d'une loi mais d'un règlement. Il
s'agissait de la Loi relative à la circulation sur les
terrains du gouvernement [S.R.C. 1952, chap.
324] . Le paragraphe 2(1) de cette Loi autorisait le
gouverneur en conseil à établir des règlements en
vue de la réglementation de la circulation sur les
terrains appartenant au gouvernement fédéral. Le
règlement en question a été adopté conformément
à ce pouvoir et a été jugé valide. Je n'ai pas à
répéter d'autres détails de l'affaire étant donné que
mon collègue en a donné suffisamment, si ce n'est
pour dire que, bien que la loi en question ne traitât
pas de mesures législatives à venir, le juge McGil-
livray a jugé, au nom de la Cour, que le règlement
' Attorney General of Nova Scotia v. Attorney General of
Canada et al., [1951] R.C.S. 31.
visait à insérer, et insérait effectivement, des modi
fications éventuelles.
Mon collègue a également signalé avec raison
que dans l'arrêt Coughlin v. Ontario Highway
Transport Board et al., [1968] R.C.S. 569, la
Cour suprême du Canada avait reconnu la validité
de l'insertion par référence dite par anticipation
des modifications éventuelles de la loi en vigueur.
À la page 575 du recueil, le juge Cartwright (tel
était alors son titre) a exprimé ce qui suit:
[TRADUCTION] En l'espèce, la commission intimée n'a reçu
de la Législature ontarienne aucun pouvoir de réglementation
ou de regard sur le transport inter-provincial de marchandises.
Ses pouvoirs étendus en la matière lui sont conférés par le
Parlement. Le Parlement a jugé bon d'édicter que, dans l'exer-
cice de ces pouvoirs, la commission procédera de la manière
prescrite de temps à autre par la Législature en ce qui concerne
le transport intra-provincial. Le Parlement peut, à tout
moment, mettre fin aux pouvoirs de la commission en ce qui
concerne le transport inter-provincial, ou modifier la manière
dont elle devra exercer ces pouvoirs. Si les circonstances com-
mandent une action immédiate, le gouverneur général en con-
seil peut agir en vertu de l'article 5 de la Loi sur le transport
par véhicule à moteur.
À mon avis, il ne s'agit pas ici d'une délégation du pouvoir de
légiférer, mais plutôt de l'adoption par le Parlement, dans
l'exercice de son pouvoir exclusif, de la législation d'un autre
corps législatif, telle qu'elle peut exister de temps à autre, et
cette façon de procéder a été jugée constitutionnellement valide
par cette Cour dans Attorney General for Ontario v. Scott et
par la Cour d'appel d'Ontario dans Regina v. Glibbery.
En résumé, la position sur ce point se présente
ainsi: premièrement est valide l'adoption par réfé-
rence, par le Parlement, de mesures législatives
provinciales afin d'éviter leur répétition dans
l'exercice d'un pouvoir fédéral. (Attorney -General
for Ontario v. Scott and Attorney General for
Canada, [ 1956] R.C.S. 137.)
Deuxièmement, le Parlement peut, dans l'exer-
cice régulier des pouvoirs qui lui sont conférés sous
le régime de l'article 91 de la Loi constitutionnelle
de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C.
1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)], déléguer à
des organismes administratifs provinciaux chargés
de la réglementation des industries intra-provincia-
les le pouvoir de réglementer les mêmes industries
dans la mesure où le commerce interprovincial et
d'exportation est concerné (l'arrêt P.E.I. Potato
Marketing Board, précité).
Troisièmement, le gouverneur en conseil peut,
par règlement, adopter valablement par référence
des mesures législatives provinciales actuelles
visant un domaine à l'égard duquel les provinces
sont compétentes sur le plan constitutionnel
(Regina v. Glibbery, précité).
Quatrièmement, le Parlement a le droit d'adop-
ter, dans l'exercice de son pouvoir exclusif de
légiférer, les modifications éventuelles qui peuvent
être apportées à la législation d'un autre corps
législatif. (Coughlin v. Ontario Highway Trans
port Board et al., précité).
La question qu'il faut maintenant aborder en
l'espèce est de savoir si la Commission d'assu-
rance-chômage à laquelle l'alinéa 4(1)d) de la Loi
de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-
71-72, chap. 48] a conféré le pouvoir (sous réserve
de l'approbation du gouverneur en conseil) d'éta-
blir des règlements visant «tout emploi exercé au
Canada au service de Sa Majesté du chef d'une
province», peut adopter par référence des mesures
législatives provinciales concernant les employés
d'une province, ou si ce pouvoir doit être exercé
seulement par le Parlement lui-même. Je crois
qu'elle le peut pour deux raisons. Premièrement, je
suis d'avis que l'arrêt Glibbery a été rendu correc-
tement par la Cour d'appel de l'Ontario, et qu'il
appuie mon opinion. Deuxièmement, je ne vois pas
comment il peut exister une distinction entre la
présente affaire et l'affaire Glibbery uniquement
parce que, dans cette dernière, le gouverneur en
conseil avait le pouvoir de faire des règlements
alors qu'en l'espèce, le gouverneur en conseil était
tenu simplement d'approuver les règlements établis
par la Commission. J'en conclus donc que l'adop-
tion par référence, au paragraphe 8(2) du Règle-
ment sur l'assurance-chômage [C.R.C., chap.
1576], de la loi qui régit la fonction publique d'une
province pour déterminer quels employés d'une
province seront assurés sous le régime de la loi,
constitue un exercice valide du pouvoir du Parle-
ment et est ainsi constitutionnelle. C'est une suite
logique de la jurisprudence à laquelle je me suis
reporté. Il ne s'agit pas d'un transfert de compé-
tence comme le soutiennent les requérants. Il s'agit
de l'insertion dans la législation fédérale de la
législation du seul organisme ayant le pouvoir de
déterminer quelles personnes ont les qualités requi-
ses pour être les employés d'une province, c'est-à-
dire la législature de la province.
Pour ces raisons, je rejetterais la demande
fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2` Supp.), chap. 10] dans la mesure
où elle se rapporte au paragraphe 8(2) du Règle-
ment, et, en ce qui concerne les autres moyens
d'inconstitutionnalité relatifs à cette disposition, je
rejetterais la demande pour les raisons exprimées
par le juge MacGuigan.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: J'ai eu l'avantage de lire
les motifs rédigés par mes collègues les juges Urie
et MacGuigan. Je suis tout à fait d'accord avec le
juge Urie et je désire ajouter seulement une brève
remarque.
Il me semble que, dans l'exercice du pouvoir de
réglementation qui lui est conféré par l'alinéa
4(1)d) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô-
mage, à savoir
4. (1) ... établir des règlements en vue d'inclure dans les
emplois assurables
d) tout emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté
du chef d'une province ..
la Commission ne pouvait guère faire autrement
que d'adopter par référence les diverses définitions
provinciales visant la nature d'un tel emploi. À
mon avis, dans l'exercice de leurs prérogatives et
de leurs pouvoirs législatifs, la Couronne et la
législature de chaque province constituent non seu-
lement les organismes appropriés mais les seuls
organismes qui peuvent définir et déterminer ce
qui, à toutes fins, sera réputé être un emploi exercé
au service de Sa Majesté du chef de ladite
province.
Je conclurais, ainsi que le fait le juge Urie, que
la demande fondée sur l'article 28 devrait être
rejetée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUiGAN (dissident): La présente
demande fondée sur l'article 28 met en question la
validité de la méthode de participation de la pro-
vince de la Colombie-Britannique au programme
fédéral d'assurance-chômage.
Les cinq requérants ont interjeté chacun appel à
la Cour canadienne de l'impôt des décisions ren-
dues par l'intimé le 23 janvier 1985 la demande
de l'intervenant, le ministre de l'Éducation de la
province de la Colombie-Britannique, décisions
selon lesquelles les requérants n'occupaient pas un
emploi assurable lorsqu'ils étaient à l'emploi du
ministère de l'Éducation de la Colombie-Britanni-
que au printemps ou au début de l'été 1984. Les
requérants ont allégué qu'ils étaient des employés
et non pas des entrepreneurs indépendants, bien
que chacun ait dû signer un contrat par écrit
précisant leur qualité d'entrepreneur indépendant.
Les parties ont convenu que la décision qui sera
rendue dans l'appel interjeté par le premier requé-
rant s'appliquera aussi aux autres requérants. Ils
ont convenu également que la Cour devrait enten-
dre d'abord les plaidoiries à l'appui de la requête
de ce requérant visant à faire déclarer que le
paragraphe 8(2) du Règlement sur l'assurance-
chômage dépasse les pouvoirs de réglementation de
l'autorité qui l'a édicté; il a été convenu que,
advenant le rejet de cette requête, l'appel serait
nécessairement rejeté. Le juge de la Cour de l'im-
pôt a rejeté la requête, et la présente demande tend
à l'examen et à l'annulation de cette décision en
date du 30 mai 1986.
Les passages pertinents de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage («la Loi») sont les suivants:
3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans
les emplois exclus et qui est
(2) Les emplois exclus sont les suivants
e) tout emploi exercé au Canada et relevant de Sa Majesté
du chef d'une province;
4. (1) La Commission peut, avec l'approbation du gouver-
neur en conseil, établir des règlements en vue d'inclure dans les
emplois assurables
d) tout emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté
du chef d'une province, si le gouvernement de cette province
convient de renoncer à l'exclusion et de faire assurer tous ses
employés exerçant un tel emploi;
(5) Un règlement établi en vertu du présent article peut être
conditionnel ou inconditionnel, restreint ou absolu; il peut être
général ou limité à une région spécifiée, à une personne, un
groupe ou une catégorie de personnes.
L'article pertinent du Règlement sur l'assu-
rance-chômage («le Règlement») est libellé comme
suit:
8. (1) L'emploi exercé au Canada par les personnes au
service de Sa Majesté du chef d'une province, qui, sauf l'exclu-
sion prévue à l'alinéa 3(2)e) de la Loi, serait un emploi
assurable, est inclus dans les emplois assurables, lorsque le
gouvernement de la province conclut avec la Commission un
accord par lequel elle convient de renoncer à l'exclusion et de
faire assurer toutes les personnes qu'elle emploie.
(2) Pour plus de précision, aux fins du paragraphe (1), les
emplois exercés au Canada au service de Sa Majesté du chef
d'une province comprennent exclusivement les emplois exercés
au Canada par les personnes nommées et rémunérées sous le
régime de la loi qui régit la fonction publique d'une province ou
qui sont au service d'une société, d'une commission ou d'un
autre organisme qui est, à toutes fins, mandataire de Sa
Majesté du chef de la province.
Les requérants ont prétendu que le juge de la
Cour de l'impôt a commis une erreur en ne con-
cluant pas que le paragraphe 8(2) du Règlement
outrepasse les pouvoirs de la Commission de l'Em-
ploi et de l'Immigration du Canada («la Commis
sion») car il constitue un manquement défendu à la
Loi. Le point essentiel de cette allégation est que,
par l'utilisation de l'expression «tous ses employés»,
l'alinéa 4(1)d) de la Loi contraint la Commission à
faire un choix applicable à l'ensemble des
employés et non à certains d'entre eux seulement.
Tous s'entendent pour reconnaître qu'un règle-
ment ne peut pas modifier une loi et qu'il ne peut
aller que dans le sens de la loi: The King v.
National Fish Company Ltd., [1931] R.C.É. 75;
Ulin c. La Reine, [1973] C.F. 319; [1973] 35
D.L.R. (3d) 738 (1" inst.). Cependant, l'intimé a
soutenu que, selon une interprétation correcte, la
proposition conditionnelle de l'alinéa 4(1)d), étant
donné tout particulièrement que dans la version
anglaise elle n'est pas précédée d'une virgule, équi-
vaut à une condition requise à laquelle il est
entièrement satisfait une fois que la province a
donné son consentement initial à l'application de la
Loi à tous ses employés, et que ce consentement a
été établi par le règlement suivant (B.C. Reg.
1/72, The British Columbia Gazette—Part II, 13
janvier 1972):
[TRADUCTION] LOI SUR LA FONCTION PUBLIQUE
RÈGLEMENT ÉTABLI PAR LA COMMISSION DE LA FONCTION
PUBLIQUE LE 1" JANVIER 1972, APPROUVÉ PAR LE DÉCRET
4721 LE 30 DÉCEMBRE 1971, CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 9,
QUI REMPLACE LE RÈGLEMENT 187/58 DE LA COLOMBIE-BRI-
TANNIQUE.
Assurance- chômage
1. Le gouvernement de la province de la Colombie-Britanni-
que consent à ce que la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
s'applique, ainsi qu'il est prévu à l'alinéa 4(1)d) de cette Loi, à
tous les employés du gouvernement de la province.
2. Les règlements 187/58, 39/60 et 158/61 de la Colombie-
Britannique sont abrogés.
La difficulté que soulève cette allégation est illus-
trée par le fait que l'avocat de l'intimé n'a pu
expliquer pour quelle raison, selon cette hypothèse,
la deuxième partie de la proposition conditionnelle
(«et de faire assurer tous ses employés exerçant un
tel emploi») était nécessaire, étant donné que la
première partie («si le gouvernement de la province
convient de renoncer à l'exclusion») suffirait à
écarter l'exclusion par ailleurs prévue à l'alinéa
3(2)e) de la Loi. Il n'existe aucune raison appa-
rente pour l'introduction de la notion de totalité
(«tous ses employés») si c'est pour la fondre ensuite
complètement dans la procédure de participation.
Néanmoins, il me semble que les requérants ont
exagéré l'importance du mot «tout». Ce n'est pas le
seul qualificatif du mot «employés», étant donné
que ce terme est suivi immédiatement des mots
«exerçant un tel emploi». On peut raisonnablement
penser que cette expression et ce qu'il faut enten-
dre par «tout emploi exercé au Canada au service
de Sa Majesté du chef d'une province» ont besoin
d'être précisés jusqu'à un certain point. Je ne crois
pas que le paragraphe 4(5), auquel ont renvoyé les
deux parties, permette une telle démarche, mais la
Commission est autorisée implicitement à l'accom-
plir en vertu du début du paragraphe 4(1) («La
Commission peut, avec l'approbation du gouver-
neur en conseil, établir des règlements en vue
d'inclure dans les emplois assurables») dans l'exer-
cice de son pouvoir général d'établir des règle-
ments.
J'en conclus donc que cette allégation des requé-
rants doit être rejetée, du moins tant que c'est la
Commission elle-même qui précise les termes
généraux de la loi.
Cela m'amène à la question plus importante
soulevée par les requérants, c'est-à-dire la validité
du transfert de compétence effectué par la Com-
mission en faveur de la province de la Colombie-
Britannique par référence aux dispositions de la loi
provinciale au paragraphe 8(2) du Règlement.
Selon les requérants, ce transfert rend le paragra-
phe 8(2) inconstitutionnel car il constitue une
sous-délégation qui n'est pas autorisée par la Loi et
qui permettrait à la province de décider du nombre
d'employés qui seraient visés par la Loi.
Dans l'arrêt Ex Parte Brent, [1955] 3 D.L.R.
587 (C.A. Ont.), aux pages 592 et 593, en rejetant
une ordonnance d'expulsion fondée sur un règle-
ment établi par le gouverneur en conseil conformé-
ment aux pouvoirs que lui conférait la loi, lequel
règlement déléguait à son tour le pouvoir de régle-
mentation à des enquêteurs spéciaux, le juge d'ap-
pel Laidlaw a déclaré au nom de la Cour d'appel
de l'Ontario relativement au règlement en
question:
[TRADUCTION] Il n'a pas pour effet ... de constituer un
règlement établi par Son Excellence en conseil mais un règle-
ment établi individuellement par un certain nombre d'enquê-
teurs spéciaux dispersés au quatre coins du pays, chacun selon
sa propre «opinion». Si ces «opinions» coïncidaient toujours, ce
serait rien de moins que miraculeux; il y aurait lieu de s'étonner
si elles coïncidaient jamais, étant donné le caractère très géné-
ral des termes employés, leur vaste champ d'application et
l'application des mots «temporairement ou autrement» aux
conditions ayant cours soit au Canada soit à l'étranger. En
résumé, ces pouvoirs limités de légiférer, si vastes que soient les
limites du sujet, que le Parlement a délégués à Son Excellence
en conseil n'ont pas été exercés du tout par celui à qui ils ont
été délégués, mais, au contraire, ils ont été redélégués par lui
globalement, en vue d'être exercés non pas simplement par une
autre personne, mais, individuellement et indépendamment des
autres, par tout enquêteur spécial qui juge bon de les invoquer
et selon «l'opinion» de chaque personne à qui ils ont été
sous-délégués.
Je ne puis rien trouver dans la Loi qui, expressément (ou
implicitement, si c'est permis), indique l'intention de permettre
ou d'autoriser une telle procédure. Par contre, il est raisonnable
de penser que le Parlement envisageait bel et bien l'adoption
des règlements visant les sujets mentionnés, ou certains d'entre
eux, qui selon l'opinion de Son Excellence en conseil étaient
indiqués et qui s'appliqueraient donc de façon générale aux
personnes désirant entrer au Canada indépendamment du point
d'entrée concerné. Ce qu'on visait, c'était sûrement l'adoption
de mesures législatives par Son Excellence en conseil, qui
refléteraient sa sagesse et sa grande expérience et prévoiraient
des lignes directrices pour les agents d'immigration et les
enquêteurs spéciaux travaillant aux frontières du pays ou près
de celles-ci, et non pas une vaste gamme de règles et d'opinions
changeant continuellement selon les idées personnelles des fonc-
tionnaires en cause. Le règlement n'est pas valide et il en est
ainsi de l'ordonnance d'expulsion fondée sur lui, car celui qui
est délégué ne peut pas déléguer.
La Cour suprême du Canada a rejeté l'appel et
jugé que [TRADUCTION] «le gouverneur général en
conseil n'a pas le pouvoir de déléguer son autorité
à de tels fonctionnaires»: Attorney -General of
Canada v. Brent, [1956] R.C.S. 318, la page
321; 2 D.L.R. (2d) 503, la page 505.
La décision de la Haute Cour de l'Ontario rela-
tivement à une disposition du Uranium Informa
tion Security Regulations [DORS/76-644] va
dans le même sens: Re Clark et al. and Attorney -
General of Canada (1978), 17 O.R. (2d) 593. Le
juge en chef Evans a alors dit, aux pages 608 et
609:
[TRADUCTION] Il y a un aspect du Règlement qui me
préoccupe. L'alinéa 2a) interdit de communiquer des renseigne-
ments concernant l'uranium mais prévoit deux exceptions. La
deuxième exception est ainsi libellée:
ii) il le fait avec le consentement du ministre de l'Énergie,
des Mines et des Ressources ...
L'avocat des requérants soutient que cela va à l'encontre de la
maxime «celui qui est délégué ne peut pas déléguer.. Après
avoir examiné l'article 9 de la Loi et l'article 2 du Règlement,
j'en suis venu à la conclusion que l'alinéa 2a)(ii) outrepasse les
pouvoirs de la Commission de contrôle de l'énergie atomique.
Je suis d'accord avec l'allégation de M. Sopinka selon laquelle
le ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources établit
effectivement les règlements. L'avocat de l'intimé a allégué que
cela était assimilable au mandat plutôt qu'à la délégation.
Toutefois, il n'existe aucune ligne directrice à l'intention du
ministre, et rien n'indique que la Commission entretient avec le
ministre des rapports du genre mandant—mandataire.
L'exemption a véritablement pour effet de conférer au ministre
le pouvoir de la Commission de faire des règlements. Le
ministre pourrait accorder une exemption à chacun et pourrait
effectivement annuler l'application du Règlement.
Dans son ouvrage Judicial Review of Administrative Action,
3' éd. (1973), S.A. de Smith examine les principes dont il faut
tenir compte en appliquant la maxime «celui qui est délégué ne
peut pas déléguer., aux pages 268 et 269:
a) Lorsqu'une autorité à qui ont été conférés des pouvoirs
discrétionnaires ayant une incidence sur des droits privés
permet à l'un de ses comités ou sous-comités, de ses
membres ou dirigeants d'exercer ces pouvoirs de façon
indépendante sans que l'autorité elle-même n'exerce de
surveillance, il est probable que l'exercice des pouvoirs
ne sera pas considéré comme valide ... (Madoc Town
ship v. Quinlan (1972), 21 D.L.R. (3d) 136; R.
V. Sandler, ibid [(1971), 21 D.L.R. (3d) 286].
b) Le niveau de surveillance ... exercé par l'autorité délé-
guante sur les actes du délégataire ou du sous-déléga-
taire peut constituer un facteur important lorsqu'il s'agit
de déterminer la validité de la délégation. En général, le
niveau de surveillance conservé ... doit être suffisam-
ment étroit pour que la décision puisse être perçue
comme celle de l'autorité déléguante. (Osgood v. Nelson
(1872) L.R. 5 H.L. 636; Devlin v. Barnett [1958]
N.Z.L.R. 828 ... Hall v. Manchester Corporation
(1915) 84 L.J. Ch. 734, la page 741 ... Cohen v. West
Ham Corporation [1933] Ch. 814, aux pages 826 et 827
... R. v. Board of Assessment, etc. (1965) 49 D.L.R.
(2d) 156) ...
c) Il ne convient pas qu'une autorité délègue de vastes
pouvoirs discrétionnaires à une autre autorité sur
laquelle elle ne peut pas exercer une surveillance directe,
à moins qu'elle ne soit expressément autorisée à le faire.
(Kyle v. Barbor (1888) 58 L.T. 229) ... Une commis
sion de commercialisation provinciale du Canada, qui
exerçait des pouvoirs délégués, ne pouvait pas sous-délé-
guer une partie de ses pouvoirs de réglementation à une
autorité interprovinciale. (Prince Edward Island Potato
Marketing Board v. Willis (H.B.) Inc. [1952] 2 R.C.S.
391).
En me fondant sur ces principes, j'en suis venu à la conclusion
que le sous-alinéa 2a)(ii) est inconstitutionnel.
L'avocat de l'intimé m'a prié de me reporter à l'arrêt Refe
rence re Validity of Regulations as to Chemicals, [1943]
R.C.S. 1, [ 1943] 1 D.L.R. 248, 79 C.C.C. 1. Dans cette affaire,
le gouverneur général en conseil avait reçu le pouvoir d'établir
les règlements que, en raison de la guerre, il pourrait juger
nécessaires ou indiqués pour la défense du Canada. La Cour a
jugé que ce pouvoir était suffisamment large pour permettre
une sous-délégation au contrôleur des produits chimiques ...
L'approche de la Cour suprême du Canada dans le renvoi
Chemicals Reference s'explique par les nécessités de la situa
tion de guerre. Ce n'est pas le cas dans la présente affaire.
Les requérants prétendent que ces arrêts mon-
trent que la Loi devrait être interprétée de façon à
écarter la sous-délégation. L'intimé tente d'établir
une distinction entre ce genre d'affaires en soute-
nant en fait que, lorsque le transfert de compé-
tence se fait entre gouvernements, les tribunaux
ont régulièrement jugé qu'il s'agissait d'une adop
tion par référence plutôt que d'une sous-délégation
non permise.
La délégation entre le Parlement et les législatu-
res a été jugée inconstitutionnelle dans l'arrêt
Attorney General of Nova Scotia v. Attorney
General of Canada et al., [1951] R.C.S. 31;
[1950] 4 D.L.R. 369, dans lequel la Cour suprême
a jugé que la loi envisagée par la Nouvelle-Ecosse
intitulée «An Act Respecting the Delegation of
Jurisdiction from the Parliament of Canada to the
Legislature of Nova Scotia and vice versa» ne
serait pas valide sur le plan constitutionnel, si elle
était adoptée, étant donné que ni le Parlement ni
une législature ne peut déléguer ses pouvoirs à
l'autre, ni recevoir les pouvoirs de l'autre. Dans
«Delegation of Legislative Power in Canada»,
(1975) 21 McGill L.J. 131, aux pages 146 et 147,
M. Gérald V. LaForest, qui faisait alors partie de
la Commission de réforme du droit du Canada,
fait remarquer que [TRADUCTION] «la première
réaction des tribunaux tant au pays, que dans
d'autres fédérations (par exemple, les Etats-Unis)
est d'essayer de protéger la structure générale de
la Constitution en trouvant dans celle-ci un empê-
chement à la délégation». Cependant, il ajoute que,
à la longue, [TRADUCTION] «on a inventé des
formules pour permettre un certain transfert d'at-
tributions. Cela s'est produit non seulement au
Canada mais également dans d'autres fédérations,
comme les États-Unis et l'Australie.» Au Canada,
la Cour suprême n'a mis qu'un peu plus d'un an à
élaborer la première formule de ce genre, c'est-à-
dire l'adoption d'une commission ou d'un orga-
nisme provincial par les Parlement et gouverne-
ment fédéraux comme s'il s'agissait d'un de leurs
propres organismes: Prince Edward Island Potato
Marketing Board v. Willis (H.B.) Inc., [1952] 2
R.C.S. 392.
Dans un ouvrage intitulé Constitutional Law of
Canada, 1977, le professeur Peter Hogg, à la page
237, médite sur le fait que l'arrêt Nova Scotia
Inter -delegation a été implicitement annulé au
cours des ans. Feu E. A. Driedger, dans «The
Interaction of Federal and Provincial Laws»
(1976), 54 R. du B. can. 695, la page 710, n° 54,
offre une autre analyse:
[TRADUCTION] Dans un commentaire intitulé Constitutional
Law—The Inter -Delegation Doctrine: A Constitutional Paper
Tiger? (1969), 47 Can. Bar. Rev. 271, K. Lysyk pose cette
question: "Supposons que, au lieu de prévoir la délégation du
pouvoir de légiférer (comme le faisait la loi projetée étudiée
dans l'affaire Nova Scotia), la législature de la Nouvelle-
Écosse ait simplement abrogé toutes les dispositions de sa
propre Loi et les aient remplacées par un article qui prétende
insérer par référence les dispositions de la loi fédérale, et leurs
modifications éventuelles, en les rendant applicables à tous les
travaux, industries et entreprises relevant par ailleurs de la
compétence exclusive de la législature provinciale. Cette "inser-
tion par référence" serait-elle valable sur le plan constitution-
nel?» La réponse est, sans aucun doute, affirmative.
Certes, la différence entre législation déléguée et
législation adoptée par référence est simple: dans
le cas de la législation déléguée, le pouvoir du
délégataire vient du délégant, qui peut à tout
moment annuler les pouvoirs de son mandataire;
dans le cas de l'adoption par référence, le pouvoir
d'adopter la loi découle de la Constitution et non
de l'autre instance législative. Lorsque le législa-
teur prétend adopter la loi d'une autre législature
non seulement en ce qui concerne son texte actuel
mais également ses modifications éventuelles, ce
qui est évidemment l'intention visée par le para-
graphe 8(2), la situation est tout à fait analogue à
la délégation car la législature qui adopte les
mesures législatives renonce en pratique, en faveur
de l'autre législature, à son droit de modifier sa
propre loi. Une telle adoption par référence faite à
l'avance aurait bien pu être qualifiée de délégation
par les tribunaux.
Néanmoins, dans le renvoi Attorney -General for
Ontario v. Scott and Attorney General for
Canada, [1956] R.C.S. 137, la Cour suprême du
Canada a maintenu une loi qui visait les ordonnan-
ces alimentaires et qui procédait à la fois du droit
britannique et du droit ontarien. Le juge Rand a
déclaré, à la page 142, qu'il s'agissait d'un cas
d'adoption et non de délégation parce que [TRA-
DUCTION] «chaque législature est tout à fait libre
et indépendante de l'autre, ce qui n'est pas compa
tible avec la délégation». L'intimé a cité les arrêts
suivants, qui vont dans le même sens que le précé-
dent: Lord's Day Alliance of Canada v. Attorney
General of British Columbia, [1959] R.C.S. 497;
Coughlin v. Ontario Highway Transport Board et
al., [1 2 968] R.C.S. 569; R. c. Smith, [1972] R.C.S.
359. 'L'insertion à l'avance par référence dont il
était question dans l'affaire Scott a été admise par
la Cour suprême mais ne semble pas avoir été
considérée comme importante par la Cour dans
cette affaire. Néanmoins, dans l'affaire Coughlin,
la majorité des juges ont conclu que l'insertion à
l'avance par référence était valide en raison de
l'arrêt Scott. Dans l'affaire Smith, la Cour est
même allée plus loin et a jugé en effet que le
Parlement pouvait autoriser, et avait effectivement
autorisé, une commission provinciale des trans
ports, à laquelle il avait conféré compétence sur le
transport extraprovincial, à imposer à des entrepri-
ses extraprovinciales des restrictions en matière de
permis qu'il n'imposait pas aux entreprises locales.
On peut peut-être considérer que l'arrêt Smith
écarte l'obligation pour le délégataire d'avoir un
pouvoir de légiférer indépendant. De toute façon, à
mon avis le transfert par le Parlement à une
province de son propre pouvoir de légiférer sur les
catégories d'emploi visées par l'assurance-chômage
ne pose manifestement aucun problème, pourvu
que cela se fasse par insertion par référence et non
par une véritable délégation.
Cependant, le problème de l'intimé demeure.
Son avocat n'a pu signaler qu'une seule affaire,
Regina v. Glibbery, [1963] 1 C.C.C. 101 (C.A.
Ont.), où l'insertion par référence s'est effectuée,
non au moyen d'une loi, mais d'un règlement.
Dans l'affaire Glibbery, on a maintenu la condam-
nation de l'accusé pour conduite imprudente sur la
base militaire de Borden, en contravention d'une
disposition de la Highway Traffic Act [R.S.O.
1960, chap. 172] de l'Ontario conjointement avec
une disposition du Règlement [fédéral] relatif à la
circulation sur les terrains du gouvernement [P.C.
1952-4076]; dans cette affaire, le Règlement fédé-
ral avait pour effet d'adopter par référence les
dispositions de la loi provinciale dans leur libellé
actuel et éventuel. La valeur de ce précédent est de
beaucoup amoindrie par le fait que le point dont il
est ici question n'a évidemment pas été soutenu
devant la Cour d'appel de l'Ontario, qui, à trois
reprises (aux pages 104 et 105), mentionne qu'il
s'agit d'une question concernant ce que le Parle-
ment pouvait ou ne pouvait pas faire. La même
erreur a été répétée par la Cour suprême dans
l'arrêt Coughlin, précité, à la page 575 (R.C.S.)
où elle approuve l'arrêt Glibbery.
En adoptant la définition du mot emploi qui
figure dans les lois provinciales régissant la fonc-
tion publique, non seulement la Commission trans-
fère-t-elle aux provinces la qualification d'un
«emploi exercé au Canada au service de Sa
Majesté du chef d'une province», mais elle sanc-
tionne aussi implicitement les modifications que
les provinces peuvent apporter à l'occasion à la
détermination des personnes «nommées et rémuné-
rées» sous le régime de ces lois. Si je reconnais que
ce transfert de compétence est correctement quali-
fié d'adoption par référence plutôt que de déléga-
tion, je ne puis cependant pas conclure que ce
transfert a été fait par le Parlement. C'est la
Commission qui, par l'article 4 de la Loi, se voit
conférer le pouvoir d'établir des règlements (sous
réserve seulement de l'approbation du gouverneur
en conseil) en vue d'inclure dans les emplois assu-
rables les employés provinciaux par ailleurs exclus,
et donc, à sa discrétion, le pouvoir de qualifier et
de spécifier ce qui doit l'être, mais rien dans la Loi
ne confère expressément à la Commission le pou-
voir de transférer sa compétence à d'autres.
Le fait que l'on n'a apparemment pas cru que la
question soulevait suffisamment de doutes pour
être contestée avant aujourd'hui'-, ou que les deux
gouvernements semblent appuyer la même inter-
prétation, ne peut pas être considéré comme con-
cluant. Comme la demande elle-même l'indique, il
y a d'autres intérêts que ceux des gouvernements à
prendre en considération.
On pourrait soutenir qu'un pouvoir de transfert
de compétence devrait être considéré comme sous-
entendu dans la Loi, compte tenu notamment des
arrêts récents de la Cour suprême, qui révèlent une
préférence marquée pour une approche fonction-
nelle par opposition au point de vue dit des «com-
partiments étanches» adopté par le Conseil privé
(par exemple dans l'arrêt Attorney -General for
Canada v. Attorney -General for Ontario, [1937]
A.C. 326, la page 354; [1937] 1 D.L.R. 673, la
page 684). À mon avis, un tribunal peut sans
problème admettre que la Loi permet que l'emploi
exercé au Canada au service de Sa Majesté du
chef d'une province soit davantage défini. Mais je
ne vois pas comment un tribunal peut se permettre
de déduire, en se fondant sur des notions plutôt
que sur le contexte, que toute définition de ce
genre devrait se faire par le biais de la législation
provinciale. La Loi porte que cela incombe à la
Commission, avec l'approbation du gouverneur en
conseil. Même si le Parlement voulait favoriser les
provinces par rapport aux autres employeurs, il
pourrait le faire adéquatement, bien que moins
directement il est vrai, si on interprétait la Loi
comme permettant à la Commission de modifier
son règlement de temps en temps selon les change-
ments apportés à la législation provinciale.
Mais le Parlement a peut-être également voulu
qu'une province qui renonce à l'exclusion soit liée
par la même définition du rapport préposé-com-
mettant que celle qui régit les autres employeurs,
c'est-à-dire que le genre de contrat que son pouvoir
économique lui permet d'imposer à ceux qui tra-
vaillent pour elle devrait être susceptible d'examen
judiciaire afin de déterminer le véritable lien qui
existe entre les parties, comme dans le cas de tous
les autres employeurs. Dans ce cas s'appliquerait
2 Sauf dans l'affaire Gilbert v. Minister of National Revenue,
dossier n° 751 du Revenu national, où le juge Walsh a rejeté
une allégation selon laquelle l'ancienne disposition du Règle-
ment outrepassait les pouvoirs de la Commission.
donc le droit tel qu'il a été exposé par lord Den-
ning dans Massey v. Crown Lift Insurance Co.,
[1978] 2 All E.R. 576 (C.A.), à la page 679:
[TRADUCTION] Le droit qui s'applique, ainsi que je le conçois,
est le suivant: si le véritable rapport entre les parties est celui
qui découle d'un contrat de travail, celles-ci ne peuvent pas
modifier la réalité de ce lien en lui apposant une étiquette
différente ... Par contre, si leur lien est ambigu et peut aussi
bien être l'un que l'autre [contrat de travail ou contrat d'entre-
prise], les parties peuvent alors supprimer cette ambiguïté,
grâce à l'entente elle-même qu'elles concluent l'une avec l'au-
tre. Cette entente devient donc le meilleur guide à l'aide duquel
déduire le véritable lien juridique existant entre elles.
En se fondant sur ce principe, le Comité judiciaire
du Conseil privé a jugé dans l'arrêt Narich Pty Ltd
y Comr of Pay-Roll Tax, [1984] I.C.R. 286,
qu'une conférencière qui travaillait pour une com-
pagnie qui était le concessionnaire pour toute
l'Australie de la société Weight Watchers Interna
tional Inc. était une employée, malgré une clause
contraire de son contrat.
La présence du mot «tout» à l'alinéa 4(1)d) de la
Loi pourrait être considérée comme un indice de la
tendance du Parlement à s'en remettre aux tribu-
naux pour interpréter les contrats de travail con-
clus avec le gouvernement provincial.
La forme que prend la participation des provin
ces à l'assurance-chômage est suffisamment
importante, et les questions de la participation des
provinces aux programmes fédéraux ont été si
contestées dans le passé qu'il faut présumer, me
semble-t-il, que le Parlement savait qu'une simple
intention implicite ne suffirait pas à effectuer une
insertion par référence.
J'accueillerais donc la demande, j'annulerais la
décision du juge de la Cour de l'impôt et je
renverrais l'affaire afin qu'elle soit entendue et
jugée en tenant compte du fait que le paragraphe
8(2) du Règlement outrepasse les pouvoirs de la
Commission et est inopérant en ce qui concerne la
province de la Colombie-Britannique.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.