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T-1986-87
Ernest Scott (requérant) c.
Commission nationale des libérations condition- nelles (intimée)
RÉPERTORIÉ: SCOTT c. CANADA (COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES)
Division de première instance, juge Strayer— Ottawa, 6 et 19 octobre 1987.
Libération conditionnelle Annulation d'une libération conditionnelle de jour en raison d'un rapport psychiatrique produit après une première audition Rapport constituant des «renseignements nouveaux» aux termes de l'art. 14.2(1) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus Devoir de la Commission de contribuer à la réinsertion sociale du détenu tout en protégeant la société Aucun déni du principe de justice naturelle que «celui qui juge doit entendre les parties» parce que la nouvelle audition a été présidée par une formation différente de la Commission Objet de la nouvelle audition, rechercher si certains facteurs ont changé depuis que le responsable antérieur de la décision a instruit l'affaire.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Possibilité, en vertu de l'art. 14.2(1) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, de réviser et d'in- firmer, en raison de faits ou de renseignements nouveaux, une décision octroyant une libération conditionnelle à une date ultérieure Aucun déni d'équité Devoir d'évaluer la condition actuelle du détenu, non de se prononcer judiciaire- ment sur sa culpabilité ou son innocence pour quelque événe- ment passé Variation de ce que comporte l'équité avec la nature de l'instance Révision prévue par l'art. 14.2, une fonction administrative Principe de la force de chose jugée inapplicable.
Estoppel La Commission peut-elle modifier sa conclu sion que le requérant, sur le plan psychiatrique, était apte à la libération conditionnelle de jour Même point et mêmes parties en cause Intention de la Loi et du Règlement que la Commission conserve un droit de regard permanent sur ses décisions en matière de libération conditionnelle Renverse- ment d'une décision clairement envisagé par l'art. 14.2(1).
La Cour est saisie d'une demande de certiorari concluant à l'annulation de la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles supprimant la libération condition- nelle de jour du requérant. La décision a accordé la libération conditionnelle de jour, à une date ultérieure, en l'absence d'examen psychiatrique. Après remise du rapport psychiatri- que, défavorable à une libération conditionnelle de jour, il a été procédé à une nouvelle audition, présidée par des membres différents de la Commission. La libération conditionnelle de jour a été refusée en vertu de ce «renseignement nouveau». Le paragraphe 14.2(1) du Règlement sur la libération condition- nelle de détenus permet de revenir sur les décisions d'accorder une libération conditionnelle qui doit débuter à une date ulté- rieure et de les annuler en raison de faits ou de renseignements
nouveaux. Le requérant a soutenu que l'emploi qui a été fait du rapport psychiatrique contrevenait à l'art. 7 de la Charte ou aux alinéas la) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits.
Jugement: la demande est rejetée.
Le rapport psychiatrique constituait bien «des renseigne- ments nouveaux qui ne lui [la Commission] étaient pas disponi- bles au moment la libération conditionnelle a été accordée» aux termes du paragraphe 14.2(1). Ces renseignements n'ont pas à se confiner à des faits survenus après que la première décision a été rendue.
Ni le paragraphe 14.2(1) du Règlement ni la conduite de la Commission, en procédant à une audition de révision, n'équiva- laient à un déni d'équité. Le devoir de la Commission consiste à évaluer la condition actuelle du détenu, qui peut changer avec le temps, afin de décider si une libération conditionnelle de jour pourrait contribuer à sa réinsertion sociale sans représenter un risque indû pour la société. Elle ne se prononce pas judiciaire- ment sur sa culpabilité ni sur son innocence pour quelque événement passé. La Loi et son règlement d'application ont pour objet d'assurer à la Commission la liberté de prendre connaissance de la meilleure information dont elle dispose pour procéder à ses décisions concernant une libération condition- nelle. L'équité, ce qu'elle comporte, doit varier avec la nature de l'instance et la nature des instances n'oblige pas la Commis sion à ne pas tenir compte d'informations concernant les événe- ments survenus avant la première audience. La force de chose jugée ne s'attache pas à une fonction administrative comme la révision prévue par le paragraphe 14.2(1).
Bien que le même point et les mêmes parties aient été en cause, il n'y avait pas estoppel interdisant à la Commission de réentendre l'affaire. L'intention sous-jacente à la Loi et à son règlement d'application est que la Commission conserve sur ces questions un droit de regard permanent. Le paragraphe 14.2(1) du Règlement envisage clairement le renversement d'une décision.
Une formation différente peut procéder à la nouvelle audi tion en vertu du par. 14.2(1). Ce qu'elle doit rechercher c'est si certains facteurs ont changé, depuis que le responsable de la décision antérieure a instruit l'affaire, au point de justifier une modification de l'ordonnance antérieure.
La constatation de fait de la Commission n'était pas dérai- sonnable, ce qui l'aurait fait sortir de sa compétence, lorsqu'elle a trouvé dans le rapport psychiatrique le fondement de sa décision d'annuler la libération conditionnelle de jour du requé- rant. La Cour doit prendre garde de substituer sa propre opinion sur les faits à celle du tribunal administratif.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice III, art. la), 2e).
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2.
Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 14.2(1) (édicté par DORS/86-915, art. 2).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Blanchard c. Control Data Canada Liée et autre, [ 1984] 2 R.C.S. 476; 14 Admin.L.R. 133.
DÉCISION CITÉE:
Greenberg c. Commission nationale des libérations con- ditionnelles (intimée) et Kaplin (mis-en-cause) (1983), 48 N.R. 310 (C.A.F.).
AVOCATS:
Elizabeth Thomas, c.r., pour le requérant. I. M. Donahoe pour l'intimée.
PROCUREURS:
Elizabeth Thomas, c.r., Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: La Cour est saisie d'une demande de certiorari concluant à l'annulation de la décision de la Commission nationale des libéra- tions conditionnelles du 10 septembre 1987, déci- sion qui annulait la libération conditionnelle de jour du requérant.
Le requérant a été reconnu coupable de meurtre au deuxième degré le 5 février 1980 et purge actuellement une peine d'emprisonnement à perpé- tuité. Il sera admissible à la libération condition- nelle totale en 1990. Une formation de la Commis sion des libérations conditionnelles l'a rencontré le 15 mai 1987, au Centre régional de réception de Sainte-Anne des Plaines (Québec), afin d'exami- ner sa demande de libération conditionnelle de jour. La Commission a pris acte que le Service correctionnel du Canada (SCC) avait demandé que Scott subisse un examen psychiatrique, mais le rapport de cet examen n'était pas encore disponi- ble; néanmoins la Commission, dans les motifs de sa décision, [TRADUCTION] «n'a pas jugé opportun de vous pénaliser parce que cette évaluation n'était pas encore disponible le 15 mai». Le dispositif formel de la décision de la Commission qui a suivi cette audience est ainsi conçu:
[TRADUCTION] Libération conditionnelle de jour accordée pour projets
Destination: dans un établissement à sécurité minimale, de
préférence dans la région du pénitencier de Kingston
Date d'effet: à compter du 15 juillet 1987
Terme: 1 an
Dans l'écrit joint à sa décision, la Commission explique que la libération conditionnelle de jour est accordée pour les fins d'un [TRADUCTION] «projet éducatif» présupposant le transfèrement de Scott dans un établissement à sécurité minimale, avec droits de sorties, en libération conditionnelle de jour, dans le cadre d'un programme d'études. Il est en outre expliqué que la libération conditionnelle de jour est accordée et prend effet [TRADUCTION] «à compter du 15 juillet 1987», afin de donner au SCC le temps de prendre les dispositions nécessai- res concernant sa libération conditionnelle de jour, mais que:
[TRADUCTION] advenant que ce délai se révèle insuffisant, la Commission pourra toujours réviser sa décision ...
Le 28 mai 1987, le Dr Alfred Thibault, psychia- tre, a rencontré Scott, à la demande, semble-t-il, de la Commission des libérations conditionnelles. D'après l'affidavit de Scott, il n'a pas été informé avant la rencontre que le Dr Thibault était psy- chiatre ni qu'il allait faire l'objet d'un examen psychiatrique susceptible d'influer sur son statut de libéré conditionnel de jour. Il ajoute que la rencontre avec le Dr Thibault n'a duré que 10 minutes au plus. L'intimée n'a produit aucune preuve contredisant ces allégations. A la suite de cette rencontre, le Dr Thibault a remis un rapport écrit à la Commission des libérations conditionnel- les daté du 4 juin 1987. Il arrive à la conclusion que si Scott devait bénéficier d'une libération con- ditionnelle à ce moment-ci:
[TRADUCTION] ... nous devons craindre des réactions impulsi- ves, qui augmentent fortement la possibilité qu'il s'attire d'au- tres ennuis (évasion ou récidive) .. .
Il recommande donc [TRADUCTION] «un dépha- sage institutionnel», par lequel Scott passerait pro- gressivement d'institutions à sécurité stricte à des institutions à sécurité moindre, un séjour réussi dans ces institutions [TRADUCTION] «et aussi un traitement en clinique», avant de le relâcher et de le réintégrer dans la société. Le 21 juillet 1987, le directeur par intérim de l'établissement notifiait Scott, par écrit, que le SCC avait décidé de ne pas le transférer (présumément dans un établissement à sécurité minimale) avant que la Commission nationale des libérations conditionnelles n'ait
accepté le projet éducatif que l'on mettait sur pied pour lui. Le 27 juillet 1987, la Commission lui notifiait par Telex qu'ayant obtenu des renseigne- ments nouveaux, à savoir le rapport du Dr Thi- bault, elle procéderait à une nouvelle audition au sujet de sa libération conditionnelle de jour, con- formément au paragraphe 14.2(1) du règlement [Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428 (édictée par DORS/86- 915, art. 2)] d'application de la Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus [S.R.C. 1970, chap. P-2]. L'audience a eu lieu le 10 septembre en présence de Scott et de son avocate. Si je com- prends bien, une copie du rapport du Dr Thibault avait été remise à Scott ou à son avocate avant l'audience, mais le D` Thibault n'était pas présent à l'audience. L'audience était présidée par des membres de la Commission différents de ceux qui étaient présents lors de la décision du 15 mai qui avait accordé la libération conditionnelle de jour. À la suite de cette audience, la Commission a rendu une décision portant annulation du projet sous-tendant la libération conditionnelle de jour et refusant à Scott cette libération conditionnelle de jour. Dans ses motifs, elle considère le rapport psychiatrique comme étant un «renseignement nouveau» qui n'était pas disponible lors de l'au- dience du 15 mai, l'entrevue avec le Dr Thibault n'ayant pas encore eu lieu. Elle y dit qu'elle n'a aucune raison de ne pas tenir compte des conclu sions du rapport psychiatrique et elle ajoute:
[TRADUCTION] La Commission estime, s'appuyant sur l'avis psychiatrique, devoir conclure que vous représentez effective- ment un risque pour la société, risque qui ne saurait être assumé, parce que vous êtes incapable de faire face au stress, à l'angoisse, et que vous ressentez alors un besoin urgent de vous libérer de toute tension en passant aux actes.
C'est cette décision que le requérant veut faire annuler.
L'avocate du requérant fait valoir plusieurs moyens pour soutenir sa demande. En premier lieu, elle prétend que le rapport psychiatrique ne saurait être visé par l'expression «des faits ou des renseignements nouveaux» qu'emploie le paragra- phe 14.2(1) du Règlement sur la libération condi- tionnelle de détenus et que, même si c'était le cas, dans les circonstances de l'espèce, y recourir serait contraire à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ou aux alinéas 1 a) et 2e) de la Déclaration cana- dienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III].
Le paragraphe 14.2(1) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus porte:
14.2 (1) Lorsque la Commission accorde à un détenu une libération conditionnelle qui doit débuter à une date ultérieure, elle peut, après un examen fondé sur des faits ou des renseigne- ments nouveaux qui ne lui étaient pas disponibles au moment la libération conditionnelle a été accordée, revenir sur sa décision et annuler la libération conditionnelle avant que le détenu soit libéré.
J'ai acquis la conviction que le rapport psychiatri- que est bien visé par l'expression «des renseigne- ments nouveaux qui ne lui étaient pas disponibles au moment la libération conditionnelle a été accordée» et que ces renseignements n'ont pas à se confiner à des faits survenus après que la première décision a été rendue. J'ai également acquis la conviction que, si l'article 7 de la Charte s'applique de façon à instituer une obligation constitution- nelle d'équité pour toute audition de révision de ce genre, ni ce paragraphe du Règlement ni la con- duite de la Commission en l'espèce, lors de la seconde audience, n'équivalent à un déni d'équité. cet égard, je pense, les exigences de la Déclara- tion canadienne des droits ne sauraient être quali fiées de plus rigoureuses et les invoquer n'ajoute rien à l'argument du requérant, qui peut être traité sur la base des exigences potentiellement plus con- traignantes de la Charte.) Il faut garder à l'esprit que le devoir de la Commission nationale des libérations conditionnelles dans ces affaires con- siste à évaluer la condition actuelle du détenu, qui peut changer avec le temps, afin de décider si une libération conditionnelle de jour est justifiée, d'une part parce qu'elle pourrait contribuer à sa réinser- tion sociale à ce stade de sa peine et, d'autre part, parce qu'il ne représenterait pas un risque indu pour la société en général. Sa fonction n'est pas de se prononcer judiciairement, avec force exécutoire, sur sa culpabilité ou son innocence, sur sa respon- sabilité ou son irresponsabilité, pour quelque évé- nement passé. J'ai acquis la conviction que la Loi et son règlement d'application ont pour objet d'as- surer à la Commission, lorsqu'elle rend des déci- sions, de moments en moments, concernant une libération conditionnelle, la liberté de prendre con- naissance de la meilleure information dont elle dispose à ce moment-là pour procéder à ces diffici-
les évaluations, d'importance si cruciale tant pour le détenu que pour ceux, à l'extérieur de la prison, qui pourraient avoir à le côtoyer. L'obligation constitutionnelle de respecter l'équité lors de ces auditions de révision donne sans doute au détenu le droit de connaître, d'une manière générale, les faits qu'on lui reproche et que la Commission pourrait invoquer éventuellement pour annuler sa libération conditionnelle, sous réserve des limites qu'impose la confidentialité des sources, etc. Mais «l'équité», ce qu'elle comporte, doit varier avec la nature de l'instance et je ne pense pas que la nature des instances, oblige la Commission à ne pas tenir compte d'informations concernant des événe- ments survenus avant l'audience, lorsque la pre- mière décision a été prise, le 15 mai. Le concept de la chose jugée ne saurait jouer à l'appui d'une prétention d'inéquité lorsque la Commission change d'avis; la Commission, en procédant à la révision prévue par le paragraphe 14.2(1), exerce une fonction administrative qui ne saurait avoir force de chose jugée'.
En second lieu, l'avocate du requérant soutient qu'il y a estoppel, la Commission ne pouvant modifier la conclusion à laquelle elle était arrivée lors de l'audience du 15 mai 1987: que le requé- rant, sur le plan psychiatrique, constituait un can- didat apte à la libération conditionnelle de jour. On soutient que, lors de la révision du 10 septem- bre, le même point et les mêmes parties étant en cause et la Commission ayant déjà décidé, le 15 mai, que le requérant constituait un candidat apte, elle ne pouvait, le 10 septembre, en décider autre- ment. Pour les raisons données ci-dessus, j'inter- prète l'intention sous-jacente à la Loi et à son règlement d'application comme étant que la Com mission conserve sur ces questions un droit de regard permanent, afin d'être en mesure de recon- sidérer ses décisions antérieures à la lumière de la meilleure information disponible sur l'état actuel du détenu, sur son aptitude à profiter d'une libéra- tion conditionnelle de jour. Le paragraphe 14.2(1) du Règlement envisage clairement le renversement d'une décision à cet égard et, pour les raisons données antérieurement, je ne puis voir aucun obstacle légal ou constitutionnel qui interdise à la Commission d'avoir une opinion différente, à une
Greenberg c. Commission nationale des libérations condi- tionnelles (intimée) et Kaplin (mis-en-cause) (1983), 48 N.R. 310 (C.A.F.), à la p. 313.
date ultérieure, quant à l'aptitude d'un détenu à profiter d'une libération.
En troisième lieu, l'avocate du requérant fait valoir que, parce qu'ont siégé à l'audience du 10 septembre d'autres membres de la Commission que ceux qui avaient siégé à l'audience du 15 mai, il y a déni du principe de justice naturelle voulant que celui qui juge doit entendre les parties. On soutient que les «renseignements nouveaux» conte- nus dans le rapport psychiatrique devaient forcé- ment être reliés à des renseignements dont la Commission était déjà saisie à l'époque de la pre- mière audience, alors que la formation de la seconde audience, investie de cette responsabilité, n'a pas entendu les témoignages donnés lors de la première audience. En d'autres termes, il ne pour- rait y avoir révision, en vertu du paragraphe 14.2(1), que si les mêmes membres de la Commis sion siègent. Ce serait une interprétation fort restrictive du Règlement; aussi faudrait-il que je sois fermement convaincu qu'elle est nécessaire. Je suis plutôt enclin à penser que l'avocat de l'intimée offre une analogie valable lorsqu'il propose de considérer les auditions de révision en matière de libération conditionnelle de jour comme analogues aux séries d'auditions en matière de cautionne- ment, de garde ou d'injonction interlocutoire. C'est-à-dire qu'il faut accepter que ces auditions puissent être présidées par une formation diffé- rente et que ce qu'elle doit rechercher c'est de savoir si certains facteurs ont changé, depuis que le responsable antérieur de la décision a instruit l'af- faire, au point de justifier une modification de l'ordonnance antérieure. Je crois que c'est ainsi qu'il faut voir la procédure prévue par le paragra- phe 14.2(1). En l'espèce, la formation de la Com mission réunie le 10 septembre pouvait examiner la conclusion à laquelle était arrivée la formation du 15 mai ainsi que ses motifs et voir si un nouveau renseignement, le rapport psychiatrique, rendait indiquée la modification de la conclusion de la formation précédente. La formation précé- dente avait pris acte qu'elle n'était saisie d'aucun rapport psychiatrique et avait jugé le requérant: [TRADUCTION] «une personne pondérée, saine d'esprit». Ces faits donnés, il appartenait à la formation du 10 septembre de décider si les nou- veaux renseignements, le rapport du Dr Thibault, pouvaient justifier une conclusion différente et elle
en a ainsi décidé. Je ne vois en cela rien d'injuste, pas plus par exemple que dans le cas de l'instruc- tion, par un juge différent, d'une requête en révi- sion d'une injonction lancée par un autre juge, en raison de la découverte d'informations nouvelles. Je ne pense donc pas que cette procédure viole quelque principe constitutionnel.
Enfin, l'avocate du requérant soutient que la Commission nationale des libérations conditionnel- les est sortie de sa compétence par sa décision, rendue sur la foi de l'audience du 10 septembre, parce que cette décision serait déraisonnable, étant fondée [TRADUCTION] «sur un rapport psychiatri- que sans valeur et donc inadmissible». En premier lieu, je ferai observer que juger une preuve sans valeur ce n'est pas la juger inadmissible; au con- traire, une telle preuve est bien admissible mais, n'emportant pas la conviction, elle reste sans effet. L'avocate du requérant cite l'arrêt Blanchard c. Control Data Canada Ltée et autre 2 comme source de la règle voulant qu'une constatation de fait déraisonnable par un tribunal lui enlève toute compétence. Présumant ce principe applicable à une décision d'annulation d'une libération condi- tionnelle fondée sur le paragraphe 14.2(1) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, je ne saurais dire que la constatation de fait de la Commission était déraisonnable en l'es- pèce, lorsqu'elle trouve dans le rapport psychiatri- que du Dr Thibault le fondement de sa décision d'annuler la libération conditionnelle de jour du requérant. Il importe de souligner, au risque d'énoncer une évidence, que, dans l'exercice du contrôle judiciaire, comme en l'espèce, il n'appar- tient pas à la Cour de substituer sa propre opinion quant aux faits à celle du tribunal administratif. Il se peut que le rapport du Dr Thibault ne soit pas sans faiblesse. S'il est vrai qu'il repose sur une entrevue de dix minutes, on peut demeurer scepti- que. D'autre part, le rapport l'indique, il a aussi pris connaissance du dossier de Scott. Il a noté, notamment, son passé criminel, qui n'est pas des plus légers et comporte plusieurs infractions impli- quant la violence ou une violence potentielle. Il a interrogé Scott pour conclure, notamment:
[TRADUCTION] L'attitude du sujet au cours de l'entrevue n'a guère reflété d'érosion de sa disposition caractérielle qui lui permette de faire preuve à l'avenir de plus de maturité émotion- nelle ...
2 [1984] 2 R.C.S. 476; 14 Admin.L.R. 133.
Le docteur Thibault poursuit en recommandant le substitut à la libération conditionnelle de jour qui a été mentionné précédemment. Je ne saurais dire qu'il était manifestement déraisonnable, pour la formation de la Commission nationale de libéra- tion conditionnelle réunie en septembre, de consi- dérer cet élément de preuve comme significatif et comme l'autorisant à conclure que Scott ne devrait pas avoir droit à une libération conditionnelle de jour. Je ne saurais aller plus loin que cela en me prononçant sur le fond de la décision de la forma tion: si j'en avais le pouvoir, peut-être pourrait-on me convaincre tout aussi facilement que la forma tion qui s'est réunie le 15 mai a eu tort de juger non nécessaire un rapport psychiatrique à ce moment-là, alors qu'elle aurait pu facilement ajourner et attendre le rapport, compte tenu en particulier que ce détenu se trouvait dans l'Unité spéciale de détention, à l'époque de l'examen de son cas, en vue d'une éventuelle libération condi- tionnelle de jour. Je n'ai cependant pas le pouvoir de [TRADUCTION] «décider à la place» de l'une et l'autre formation et de revenir sur leurs constata- tions de fait tant, à tout le moins, qu'elles ne paraissent pas, à l'évidence, déraisonnables.
La demande est donc rejetée.
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