T-2304-86
Domenico Vespoli, Precision Mechanics Ltd.,
80591 Canada Limited, Paradis Vespoli Ltée et
Bruce Verchère, Marc Noël, Ross B. Eddy, Geof-
frey Lawson, Guy Du Pont et Simon Tardif, exer-
çant sous le nom de Société Verchère, Noël &
Eddy (requérants)
c.
La Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: VESPOLI C. CANADA
Division de première instance, juge Pinard—
Montréal, 20 octobre; Ottawa, 16 novembre 1987.
Pratique — Frais et dépens — Ordonnance de la Cour
fédérale de payer les dépens sans distraction en faveur du
procureur de la partie à laquelle ils sont accordés au sens de
l'art. 479 du Code de procédure civile (Qué.) — Les Règles de
la Cour fédérale ne prévoient pas la distraction Elles
accordent les dépens à la partie — On ne peut invoquer la
Règle 5 pour justifier l'application de l'art. 479 — La distrac
tion des frais est une question de droit positif — La Règle 5 ne
couvre que les questions de pratique.
Code civil — Les Règles de la Cour fédérale ne prévoient
pas la distraction des dépens en faveur de l'avocat au sens de
l'art. 479 — On ne peut invoquer la Règle 5 pour justifier
l'application de l'art. 479 — La distraction des frais est une
question de droit positif — La Règle 5 ne couvre que les
questions de pratique.
Avocats et solicitors — Le Code civil permet la distraction
des dépens en faveur du procureur de la partie à qui les dépens
sont accordés — Aucune disposition de distraction dans les
Règles de la Cour fédérale — La distraction est une question
de droit positif — Jugement permettant la distraction en
faveur du procureur — Constitue un titre personnel à ses frais
— La Règle 5 n'est pas applicable puisqu'elle ne couvre que
les questions de pratique.
Impôt sur le revenu — Pratique — Il ne peut y avoir
compensation entre les frais judiciaires accordés à un contri-
buable et le montant d'impôt réclamé par le M.R.N. avant que
ce dernier ne consente à la compensation conformément à l'art.
224.1 de la Loi.
Il s'agit en l'espèce de décider de l'application de la Règle 5
de cette Cour (la règle des lacunes) et de l'article 479 du Code
de procédure civile de la province de Québec (C.P.C.). Les
requérants plaident que dans une affaire ayant pris naissance
dans la province de Québec, une condamnation aux dépens par
la Cour fédérale emporte de plein droit distraction en faveur du
procureur de la partie à laquelle ils sont accordés. Cette
affirmation est fondée sur la Règle 5, et par analogie, sur
l'article 479. Il est également question de compensation.
Jugement: Les dépens accordés aux contribuables ne peuvent
être distraits en faveur de leurs procureurs. Dans l'état actuel
des choses, il ne peut y avoir compensation.
On ne peut invoquer la Règle 5 de cette Cour pour justifier
l'application de l'article 479 C.P.C. On ne peut s'écarter du
sentier tracé dans les décisions rendues par la Cour fédérale
dans les causes Bourque, Osborn et Warwick Shipping. On
conclut dans ces causes que rien dans la Loi sur la Cour
fédérale ni dans les Règles de la Cour ne prévoit la distraction
des dépens comme c'est le cas à l'article 479. Dans l'arrêt
Warwick Shipping, le juge Walsh était d'avis que les Règles de
la Cour fédérale prévoient les dépens et «il n'y a lieu de
suppléer à aucune omission». Cette conclusion est confirmée par
les Règles 344 353 inclusivement: les dépens sont accordés à
la partie et leur distraction au profit du procureur n'est pas
stipulée. Dans l'arrêt United States v. French Sardine Co., la
Circuit Court of Appeals (9th Cir.) des États-Unis, conclut que
«le droit aux dépens [est] une question de droit et non [...] une
simple question de procédure». La Règle 5 ne saurait donc
s'appliquer puisque son champ est limité à des questions de
procédure alors que la distraction est une question de droit
positif.
Dans l'état actuel des choses, il n'y a pas lieu à compensation
entre les frais judiciaires dûment taxés accordés aux contribua-
bles requérants et ceux accordés à l'intimée. La compensation
ne saurait s'opérer avant que les frais judiciaires accordés à
l'intimée ne soient taxés et que l'assentiment du ministre com-
pétent responsable du paiement des frais judiciaires dûment
taxés au profit des contribuables requérants ne soit clairement
signifié à ces derniers, conformément à l'article 156 de la Loi
sur l'administration financière. De plus, il n'y a pas lieu à
compensation entre le montant des frais judiciaires taxés et
accordés à la requérante Precision Mechanics Ltd. et le mon-
tant d'impôt à elle réclamé par le ministre du Revenu national
tant et aussi longtemps que ce dernier n'aura pas signifié à la
première son intention d'exiger semblable compensation pour
un montant spécifique, au sens de l'article 224.1 de la Loi de
l'impôt sur le revenu.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code de procédure civile, art. 479.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 224.1 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 48, art.
104), 225.1 (ajouté par S.C. 1985, chap. 45, art. 116).
Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap.
F-10, art. 156 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap.
170, art. 21; 1984, chap. 31, art. 12).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 5,
344-353, 475.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Commission de la Capitale nationale c. Bourque (N° 2),
[1971] C.F. 133 (I" inst.); Osborn Refrigeration Sales
and Service Inc. c. L'«Atlantean 1», [1979] 2 C.F. 661
(1fe inst.); Warwick Shipping Ltd. c. R., [1981] 2 C.F. 57
(1fe inst.); Lariveau c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et
de l'Immigration, [1971] C.F. 390 (C.A.); Magrath c. La
Commission nationale des libérations conditionnelles du
Canada, [1979] 2 C.F. 757 (1te inst.); Colet c. R., [1980]
1 C.F. 132 (1" inst.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Pelletier v. Simard & al. (1940), 44 R.P. 129 (C.S.
Qué.); Fortier v. Brault et Rouleau, [1942] B. R. 175
(Qué.); United States v. French Sardine Co., 80 F.(2d)
325 (9th Cir., 1935).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Jim Russel International Racing Drivers School
(Canada) Ltd. c. Hite et Flite, [1986] R.D.J. 160 (C.A.
Qué.); Hall v. Campbellford Cloth Company Limited,
[1944] O.W.N. 202 (H.C.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Weight Watchers International Inc. c. Burns, [1976] I
C.F. 237 (1' inst.).
AVOCATS:
Basile Angelopoulos et Patrice Marceau pour
les requérants.
Normand Lemyre pour l'intimée.
PROCUREURS:
Verchère, Noël & Eddy, Montréal, pour les
requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PINARD: Suite à la permission accor-
dée par la Cour d'inscrire au rôle pour débat le
mémoire spécial soumis par les parties pour rem-
placer l'instruction, conformément à la Règle 475
de cette Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663], et suite audit débat, il s'agit mainte-
nant de statuer sur les points exposés dans ce
mémoire qui consiste dans le document au dossier
intitulé [TRADUCTION] «Exposé conjoint remodifié
des faits et des questions», document qu'il serait
trop long ici de reproduire mais qu'il importe
évidemment de bien connaître.
Le premier point à décider concerne l'applica-
tion de la Règle 5 de cette Cour et de l'article 479
du Code de procédure civile du Québec [C.P.C.].
Ces dispositions stipulent:
Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se
pose une question non autrement visée par une disposition d'une
loi du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance
générale de la Cour (hormis la présente Règle), la Cour
déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant des ins-
tructions, soit après la survenance de l'événement si aucune
requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et la procé-
dure à suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des
procédures semblables devant les tribunaux de la province à
laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des
procédures,
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en l'espèce.
479. La condamnation aux dépens emporte de plein droit
distraction en faveur du procureur de la partie à laquelle ils
sont accordés. Néanmoins, la partie elle-même peut exécuter
pour les dépens, si le consentement de son procureur apparaît
sur le bref d'exécution.
Les requérants plaident que dans une affaire
devant la Cour fédérale du Canada, la condamna-
tion aux dépens emporte de plein droit distraction
en faveur du procureur de la partie à laquelle ils
sont accordés, pourvu que l'affaire ait pris nais-
sance dans la province de Québec, et ce, par l'effet
de la Règle 5 de cette Cour et l'application, par
analogie, de l'article 479 C.P.C.
Trois décisions pertinentes de la Cour fédérale
du Canada ont référé spécifiquement à cet article
479 C.P.C. Dans le premier cas, Commission de la
Capitale nationale c. Bourque (N° 2), [1971] C.F.
133 (1`e inst.), la demanderesse demandait que la
Cour donne des directives conformément à l'alinéa
17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10] pour que les frais entre
procureur et client des défendeurs à être taxés
soient payés directement au procureur des défen-
deurs. Monsieur le juge en chef adjoint Noël consi-
déra cet alinéa 17(3)c) inapproprié dans les cir-
constances, puisque la demanderesse n'était pas la
Couronne, mais simplement un agent de la Cou-
ronne; et le juge ajouta, à la page 135:
Un autre obstacle empêche aussi d'accéder à la requête des
requérantes, dans la mesure où, à mon avis, les frais dans un
procès sont des frais entre parties et appartiennent à la partie et
non au procureur. En effet, rien dans la Loi sur la Cour
fédérale ni dans nos Règles ne spécifie qu'une condamnation
aux dépens emporte distraction en faveur du procureur ou de
l'avocat de la partie à qui ils sont accordés, comme c'est le cas à
l'art. 479 du Code de procédure civile du Québec...
Dans une deuxième cause, Osborn Refrigeration
Sales and Service Inc. c. L'«Atlantean I», [1979]
2 C.F. 661 (1`e inst.), monsieur le juge Walsh, sur
la question de la distraction, exprime strictement
ce qui suit, à la page 691:
Dans l'arrêt Commission de la Capitale nationale c. Bour-
que 1N° 21 ([1971] C.F. 133), le juge en chef adjoint Noël a
statué que (à la page 135):
En effet, rien dans la Loi sur la Cour fédérale ni dans nos
Règles ne spécifie qu'une condamnation aux dépens emporte
distraction en faveur du procureur ou de l'avocat de la partie à
qui ils sont accordés, comme c'est le cas à l'art. 479 du Code de
procédure civile du Québec, qui est rédigé ainsi:
Par conséquent, ces dépens doivent revenir à M. Caron.
Enfin, dans l'affaire Warwick Shipping Ltd. c.
R., [1981] 2 C.F. 57 (1 reinst.), monsieur le juge
Walsh considéra la question à nouveau, élabora
quelque peu et exprima ce qui suit, aux pages 65 et
66:
Cependant, un obstacle majeur s'oppose, sur le plan de la
procédure, à l'accueil des requêtes en instance. Après le décès
de M. Fearon, rien n'a été fait pour que ses exécuteurs
testamentaires reprennent la procédure à leur compte,
conformément aux Règles 1724 et 1725. A la différence de
l'article 479 du Code de procédure civile du Québec, les Règles
de la Cour fédérale ne prévoient pas la distraction des dépens
en faveur des avocats de la partie qui y a droit. Ce point a été
souligné par le juge en chef adjoint Noël dans Commission de
la Capitale nationale c. Bourque [N° 2] ([1971] C.F. 133) et
réitéré dans Osborn Refrigeration Sales and Service Inc. c.
L'«Atlantean I. ([1979] 2 C.F. 661, la page 691). Les
requérants soutiennent que la Règle 2(2) et la Règle 5 (la règle
des lacunes) des Règles de la Cour pourraient s'appliquer de
façon à mettre en oeuvre les pratiques du Québec dans ce
domaine, mais cet argument doit être rejeté. Les Règles de la
Cour fédérale prévoient les dépens et il n'y a lieu de suppléer à
aucune omission du fait de l'absence d'une disposition sur la
distraction des dépens en faveur des avocats d'une partie. En
conséquence, les avocats de feu M. Fearon, qui ont introduit ces
requêtes, ne sont pas parties ayant droit au recouvrement des
dépens.
Les requérants soumettent que cette
jurisprudence n'est pas concluante parce que
d'abord monsieur le juge en chef adjoint Noël,
dans Bourque, ne réfère pas expressément à la
Règle 5 de cette Cour ni à la Règle 2 antérieure et
similaire de la Cour de l'Échiquier, et qu'en
conséquence il n'a pas dû considérer leur
application. Ils écartent du même coup la décision
Osborn parce que strictement basée sur l'affaire
Bourque, sans autre explication. Enfin, ils se disent
en désaccord avec l'opinion de monsieur le juge
Walsh, dans Warwick Shipping Ltd., opposant à
cette dernière décision la décision de monsieur le
juge Kerr dans Weight Watchers International
Inc. c. Burns, [1976] 1 C.F. 237 (1r° inst.). Dans
cette dernière affaire, monsieur le juge Kerr, par
analogie, appliqua la Règle 696 de la Cour
suprême de l'Ontario qui confère à la Cour un
pouvoir discrétionnaire d'accorder à un avocat un
privilège sur les biens recouvrés ou conservés par
ses soins, pour garantir le paiement de ses frais,
honoraires et débours afférant à la cause, affaire
ou procédure concernée.
Je ne crois pas devoir m'écarter du sentier tracé
par messieurs le juge en chef adjoint Noël et juge
Walsh, dans les affaires Bourque, Osborn et
Warwick Shipping Ltd. ci-dessus, où l'article 479
C.P.C. est tout de même spécifiquement considéré.
Il est vrai que dans Bourque, monsieur le juge en
chef adjoint Noël ne réfère pas expressément à la
Règle 5 de cette Cour ou à la Règle 2 de la Cour
de l'Échiquier; cela ne veut pas nécessairement
dire qu'elles ont pour autant été ignorées; dans le
contexte d'une affaire ayant pris naissance au
Québec et où on demandait expressément si les
frais à être taxés pouvaient être payés directement
à l'avocat, monsieur le juge en chef adjoint Noël a
tout de même considéré la distraction stipulée à
l'article 479 C.P.C. en regard de la Loi sur la
Cour fédérale et de «nos Règles». Il est évident en
outre que la décision Bourque a fortement
influencé les décisions de monsieur le juge Walsh
dans Osborn et Warwick Shipping Ltd. où, dans le
dernier cas, il a expressément considéré ensemble
la Règle 5 de cette Cour et l'article 479 C.P.C.
À mon point de vue, il serait inapproprié d'écar-
ter ces dernières décisions pour en appliquer une
autre (Weight Watchers International Inc.) qui
concerne la Règle 5 en regard d'une règle de
pratique et de procédure de la Cour suprême de
l'Ontario, laquelle reconnaît à l'avocat [TRADUC-
TION] «un privilège sur les biens recouvrés ou
conservés par ses soins» pour garantir le paiement
de ses frais, et non une pure distraction des frais à
son profit. D'ailleurs, il est à se demander si les
décisions ci-dessus relatives à la Règle 5 de cette
Cour et à l'article 479 C.P.C. ont été portées à
l'attention de monsieur le juge Kerr, puisque ce
dernier a exprimé à la page 240:
On n'a attiré mon attention sur aucune décision de cette cour
traitant directement de la question.
Je me permettrai d'ajouter et de préciser que je
considère la distraction des frais stipulés à l'article
479 C.P.C. comme une question de droit positif et
non comme une pure question de pratique et de
procédure couverte par la Règle 5 de notre Cour.
En effet, la nature du droit à la distraction a fait
l'objet de considération par les tribunaux du
Québec et il semble bien que cette distraction ne
soit rien d'autre qu'un jugement en faveur du
procureur et qu'elle constitue un titre purement
personnel à ses frais, sa créance étant essentielle-
ment distincte de celle de son client. Dans Pelletier
v. Simard & al. (1940), 44 R.P. 129, la page
131, monsieur le juge Trahan de la Cour supé-
rieure du Québec s'exprime comme suit:
Considérant que la distraction est un jugement en faveur du
procureur et constitue un titre purement personnel à ses frais;
Considérant, dès lors, que la créance du procureur est essen-
tiellement distincte de celle du client, en l'espèce, l'opposante;
Considérant que la distraction a également pour effet de
transporter directement au procureur le bénéfice de la condam-
nation aux dépens et que ce bénéfice est censé n'avoir jamais
résidé en la personne du client; (3 R. de J. 371; 11 C.S. 232;)
Puis la Cour du Banc du Roi, en 1942, se
prononça ainsi dans l'affaire Fortier v. Brault et
Rouleau, [1942] B. R. 175, à la page 179:
En effet, la distraction des dépens n'est pas autre chose qu'un
privilège accordé par la loi qui permet à l'avoué, créancier des
frais dont il a fait l'avance, d'en poursuivre directement le
remboursement contre l'adversaire de son client condamné aux
dépens envers ce dernier; (Dalloz, Répertoire pratique (1941)
t. 6, Verbis, Frais et dépens, n. 80, p. 616).
Ce privilège, à mon sens, ne change nullement les relations
juridiques de débiteur à créancier de la partie perdante envers
la partie gagnante; il constitue bien l'avoué qui a obtenu la
distraction des dépens créancier direct de la partie perdante,
mais il s'agit toujours de la même créance due par la partie
perdante à la partie gagnante et cette distraction n'a pour but
que de protéger l'avoué en lui donnant priorité sur son client
pour le recouvrement de cette créance, si bien qu'il suffit d'un
simple consentement de l'avoué à son client pour permettre à ce
dernier d'exécuter la condamnation aux dépens en son nom,
sans pour cela qu'il soit nécessaire pour l'avoué d'accompagner
ce consentement d'un transport de sa créance.
M. le juge de Lorimier, dans l'affaire Scheffer v. Demers,
((1897) 3 R. J. 371):
La distraction de frais accordée au procureur ad litem est
pour le protéger contre tout arrangement que les parties
pourraient faire à son préjudice; elle confère au procureur un
droit de créance personnelle contre la partie condamnée, et le
client du procureur, qui reste responsable de cette créance
envers ce dernier, comme client à son procureur, n'est plus
qu'un créancier indirect de la partie condamnée; [C'est moi
qui souligne.]
Il n'apparaît pas que cette jurisprudence ait été
plus tard contredite. Plus récemment, en 1986, la
Cour d'appel du Québec précisa même que le droit
à la distraction ne pouvait subsister au profit de
procureurs qui ne sont plus au dossier; en effet,
dans Jim Russel International Racing Drivers
School (Canada) Ltd. c. Hite et Flite, [ 1986]
R.D.J. 160, la Cour d'appel s'exprime ainsi, à la
page 163:
Considérant que par ailleurs, suivant les dispositions de
l'article 479 C.P., les intervenants n'étant plus procureurs au
dossier n'ont pas droit à distraction de leurs frais contre
l'appelante mais n'ont qu'une réclamation pour ceux-ci contre
leur propre client;
Enfin, quant à la jurisprudence américaine sou-
mise par le procureur de l'intimée, il y a lieu de la
considérer de la façon décrite par monsieur le juge
Chevrier, dans Hall v. Campbellford Cloth Com
pany Limited, [1944] O.W.N. 202 (H.C.), à la
page 206:
[TRADUCTION] Les décisions américaines ... peuvent être
considérées, non pas comme ayant une force obligatoire, mais
comme «ayant droit intrinsèquement au plus grand respect»,
comme le disait le juge Parker dans la décision Doe d. DesBar-
res v. White (1842), 3 N.B.R. 595 (cité par le juge en chef
Ritchie dans l'arrêt Sherren v. Pearson (1887), 14 RCS 581, à
la page 587).
Or, le procureur de l'intimée a référé à plusieurs
jugements émanant de différents états américains
et qui tous s'appuient directement ou indirecte-
ment sur l'arrêt clé suivant rendu par le Circuit
Court of Appeals, Ninth Circuit, le 2 décembre
1935, dans United States v. French Sardine Co.,
80 F.(2d) 325. Dans cette dernière cause, mon
sieur le juge Wilbur exprime ce qui suit à la page
326 de son jugement:
[TRADUCTION] Bien que le droit aux dépens soit accessoire
au jugement, il s'agit d'une question droit et non d'une
simple question de procédure. Comme le tribunal l'a affirmé
dans la décision Erwin v. United States (D.C.) 37 F. 470, 488,
2 L.R.A. 229: « "Dans son acception courante, le terme 'procé-
dure' vise la forme dans laquelle une action doit être intentée et
défendue, la manière d'intervenir dans une action, de la mener,
la façon de rendre la décision, d'examiner des jugements con-
tradictoires et le mode d'exécution." "Par procédure ordinaire,
on entend le mode habituel du déroulement d'une action selon
l'application régulière des règles de la common law." » People
v. White, 14 How.Prac. (N.Y.) 498.
La distinction entre le droit aux dépens et la procédure
d'exécution de ce droit et d'autres droits est signalée dans la
décision Fargo v. Helmer, 43 Hun (N.Y.) 17, 19, où le tribunal,
citant le juge Duer dans la décision Rich v. Husson, 8
N.Y.Super.Ct. (1 Duer) 617, a dit: «Les règles par lesquelles les
instances sont régies sont les règles de procédure; celles par
lesquelles les droits sont reconnus et définis sont les règles de
droit. Ce sont les règles de droit qui accordent un droit aux
dépens et qui en fixent le montant. Ce sont les règles de
procédure qui établissent quand et par qui les dépens auxquels
une partie a droit seront fixés ou taxés, quand et sur l'ordre de
qui le jugement rendu en faveur d'une partie sera consigné.» Le
droit aux dépens n'est pas une question de procédure mais une
question de droit.
Or, de la rédaction des Règles de notre Cour
concernant les dépens, plus particulièrement les
Règles 344 353 inclusivement, deux choses sont
évidentes: les dépens sont accordés à la partie et
leur distraction au profit du procureur de la partie
n'est pas stipulée. Comme je l'ai dit plus haut, la
Règle 5 de notre Cour ne saurait s'appliquer qu'à
de pures questions de pratique et de procédure et
non à des questions de droit positif. Cela me
semble bien confirmé par les trois décisions suivan-
tes de la Cour fédérale du Canada.
Dans Lariveau c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration, décision de la Divi
sion d'appel rapportée à [1971] C.F. 390, mon
sieur le juge en chef Jackett a d'abord exprimé ce
qui suit, aux pages 390 et 391:
D'abord, en raison du fait que la signification de la Règle 5
est une question d'intérêt général, je vais expliquer en mes
propres mots la raison pour laquelle je suis d'avis que cette
règle ne s'applique pas à une question telle que celle qui nous
occupe présentement. Cette règle, comme je la comprends,
autorise la Cour à déterminer «la pratique» et «la procédure» à
suivre dans une «procédure devant la Cour» où les règles
présentent une lacune. Ici il ne s'agit pas d'une requête concer-
nant «la pratique» ou «la procédure» à suivre dans une procé-
dure devant cette Cour. En effet, on demande ici que la Cour
accorde immédiatement mais provisoirement un remède qu'elle
ne peut accorder qu'après l'audition d'un appel.
Plus loin, dans la même affaire, monsieur le juge
Pratte, aux pages 393 et 394, explique:
Suivant le requérant, comme les règles ne prévoient pas, dans
un cas comme celui-ci, qu'il doive être sursis à la décision dont
il veut appeler, la Cour devrait, conformément à la Règle 5,
combler cette lacune et, en s'inspirant du premier alinéa de
l'art. 497 du Code de Procédure civil de Québec, ordonner le
sursis d'exécution. Cet alinéa de l'art. 497 se lit comme suit:
497. Sauf les cas où l'exécution provisoire est ordonnée,
l'appel régulièrement formé suspend l'exécution du jugement.
En réalité, il ne s'agit pas ici d'une requête qui soit recevable
en vertu de la Règle 5. Une requête sollicitant des instructions
peut être présentée en vertu de cette règle dans les seuls cas où
les règles présentent une lacune, c'est-à-dire dans les cas où les
règles ne prévoient pas la façon de faire valoir un droit ou un
moyen de défense. Or le fait que les règles ne prévoient pas de
sursis d'exécution dans un cas comme celui-ci n'est pas une
lacune; de l'absence de règle de pratique sur ce sujet on peut
tout simplement conclure que, à moins que d'autres dispositions
législatives ne prévoient le contraire, les décisions de la Com
mission d'appel de l'immigration sont exécutoires nonobstant
l'appel. C'est peut-être là une solution critiquable, mais ce n'est
pas une lacune qui permette de présenter une motion en vertu
de la Règle 5. [C'est moi qui souligne.]
Plus tard, monsieur le juge Walsh, dans
Magrath c. La Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles du Canada, [1979] 2 C.F.
757 (i re inst.), aux pages 761 et 762, exprime:
Le requérant invoque la Règle de la Cour qui embrasse les
cas non prévus ailleurs, comme suit:
mais je ne suis pas d'avis qu'elle soit applicable en l'espèce.
L'absence dans les Règles d'une disposition relative aux procé-
dures in forma pauperis n'a pas été, à mon avis, le résultat d'un
oubli et il est plus probable qu'après mûre réflexion, une telle
disposition n'a pas été jugée nécessaire. Et qui plus est, le
requérant lui-même soutient qu'il s'agit là d'une question de
droit positif et non de procédure, auquel cas elle devrait faire
l'objet d'une loi et non d'une règle de la Cour. En Angleterre,
elle a fait l'objet d'une loi et non d'une règle de la Cour, et les
tribunaux de la Colombie-Britannique ont conclu que le droit
de se pourvoir en justice in forma pauperis est un droit positif,
non une simple question de procédure.
Finalement, dans l'affaire Colet c. R., [1980]
1 C.F. 132 (i re inst.), monsieur le juge Collier dit,
à la page 135:
L'avocat du demandeur invoque une fois encore la règle des
lacunes et l'article 84 de la Supreme Court Act de la Colombie-
Britannique. Je n'admets pas la prétention voulant que l'article
84 constitue «la pratique et la procédure en vigueur pour des
procédures semblables» en Colombie-Britannique. Cet article
ne porte pas, je pense, sur la pratique et la procédure. Il traite
des règles de fond.
Pour toutes ces raisons, je dois statuer, sur le
premier point, qu'on ne peut, en l'occurrence, invo-
quer correctement la Règle 5 de cette Cour pour
justifier l'application de l'article 479 C.P.C. Ainsi,
les frais judiciaires antérieurement accordés aux
contribuables parties en l'instance ne sauraient
être distraits au profit des procureurs requérants.
Vu cette conclusion, il importe maintenant de
statuer sur les points soulevés aux paragraphes 13
et 14 du mémoire spécial soumis par les parties et
qui concernent la compensation.
En premier lieu, quant à la compensation entre
d'une part, les frais judiciaires dûment taxés et
accordés aux contribuables requérants et d'autre
part, les frais judiciaires non encore taxés et accor
dés à l'intimée, il y a lieu de considérer les disposi
tions pertinentes suivantes de l'article 156 de la
Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970,
chap. F-10 et ses modifications [S.C. 1980-81-
82-83, chap. 170, art. 21; 1984, chap. 31, art. 12],
qui stipule:
156. (1) Lorsqu'une personne est endettée envers
a) Sa Majesté du chef du Canada, ou
le ministre compétent responsable du recouvrement ou de la
perception de la dette peut autoriser la retenue du montant de
la dette, par voie de déduction ou de compensation, sur toute
somme d'argent qui peut être due ou payable à cette personne
ou à sa succession par Sa Majesté du chef du Canada.
(4) La retenue d'argent prévue par le paragraphe (1) ne peut
être effectuée sans l'assentiment du ministre compétent respon-
sable du paiement de la somme d'argent due ou payable qui,
sans ce paragraphe, serait effectué.
Or, dans le présent cas, les frais judiciaires
accordés à l'intimée n'ont pas encore été taxés et le
procureur de cette dernière reconnaît que la for-
malité requise au paragraphe 156(4) ci-dessus,
concernant l'assentiment du ministre compétent
concerné, n'a pas encore été remplie.
Ainsi, dans l'état actuel des choses, il y a lieu de
statuer qu'il n'y a pas compensation et que cette
dernière ne saurait s'opérer avant que les frais
judiciaires accordés à l'intimée ne soient taxés et
que l'assentiment du ministre compétent responsa-
ble du paiement des frais judiciaires dûment taxés
au profit des contribuables requérants ne soit clai-
rement signifié à ces derniers.
En deuxième et dernier lieu, quant à la compen
sation entre d'une part, le montant des frais judi-
ciaires taxés et accordés à la requérante Precision
Mechanics Ltd. et d'autre part, le montant d'impôt
à elle réclamé par le ministre du Revenu national
du Canada, il y a lieu de considérer les dispositions
pertinentes suivantes de l'article 224.1 de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63 et
ses modifications [S.C. 1980-81-82-83, chap. 48,
art. 104] qui stipule:
224.1 Lorsqu'une personne est endettée envers Sa Majesté,
en vertu de la présente loi ou en vertu d'une loi d'une province
avec laquelle le ministre des Finances a conclu une entente en
vue de recouvrer les impôts payables à la province en vertu de
cette loi. le Ministre peut exiger la retenue par voie de déduc-
tion ou de compensation d'un tel montant qu'il peut spécifier
sur tout montant qui peut être ou qui peut devenir payable à
cette personne par Sa Majesté du chef du Canada.
Or, dans le présent cas, même si le montant
d'impôt réclamé fait l'objet d'opposition de la part
de la requérante Precision Mechanics Ltd. et
même si le ministre du Revenu du Canada n'a pas
encore confirmé ou modifié la cotisation originale,
il n'en reste pas moins que l'article 224.1 ci-dessus
de la Loi de l'impôt sur le revenu accorde à ce
dernier le droit d'exiger la compensation jusqu'à
concurrence d'un montant spécifique qui, évidem-
ment, ne doit pas excéder celui de la dette due à Sa
Majesté.
Comme dans l'état actuel des choses rien n'indi-
que que le ministre du Revenu du Canada ait
encore exigé la compensation de quelque montant
dû à Sa Majesté, il ne saurait donc entre-temps y
avoir compensation. Je dois en conséquence statuer
qu'il ne saurait y avoir compensation entre le
montant des frais judiciaires taxés et accordés à la
requérante Precision Mechanics Ltd. et le montant
d'impôt à elle réclamé par le ministre du Revenu
du Canada, et ce, tant et aussi longtemps que ce
dernier n'aura pas signifié à la première son inten
tion d'exiger semblable compensation pour un
montant spécifique, au sens de l'article 224.1 de la
Loi de l'impôt sur le revenu.
En terminant, il importe de souligner que l'effet
de l'article 224.1 ci-dessus de la Loi de l'impôt sur
le revenu n'est aucunement affecté par les disposi
tions de l'article 225.1 de la même Loi, [ajouté par
S.C. 1985, chap. 45, art. 116], lequel n'était pas en
vigueur au moment où l'avis de cotisation a été
signifié par le ministre du Revenu du Canada à la
requérante Precision Mechanics Ltd., soit avant
l'année 1985.
Jugement est donc rendu pour statuer en consé-
quence sur les points exposés dans le mémoire
spécial des parties. Quant aux frais judiciaires
reliés à la présente demande faite en vertu de la
Règle 475, je suis disposé à entendre les parties si
l'une d'elles le requiert.
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