T-282-87
Mirmal Kumar (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et minis-
tre d'État pour l'immigration (intimés)
RÉPERTORIÉ: KUMAR C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Joyal—
Toronto, 12 mars; Ottawa, 8 mai 1987.
Immigration — Statut de réfugié — Le requérant s'est vu
refuser le droit d'établissement permanent sous le régime du
Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié
parce que ses obligations familiales l'empêchaient de s'établir
avec succès au Canada — Le requérant subvient aux besoins
de sa femme et de ses enfants qui se trouvent en Inde — Les
«obligations familiales» prévues à l'art. 5 du Règlement
visent-elles uniquement la famille qui se trouve au Canada?
— Les facteurs énumérés à l'art. 5 se rapportent essentielle-
ment à la capacité du requérant de s'occuper de lui-même
Cette capacité implique celle de s'occuper de personnes à
charge — L'endroit où se trouvent les personnes à charge n'est
pas pertinent — Rejet de la demande d'annulation de la
décision — Règlement sur l'arriéré des revendications du
statut de réfugié, DORS/86-701, art. 2, 5, 6, 7 — Règlement
sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 4(1) (mod. par
DORS/84-140, art. 1) — Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, chap. 52, art. 2, 109 — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 » Supp.), chap. 10, art. 18.
Interprétation des lois — Règlement sur l'arriéré des reven-
dications du statut de réfugié — L'expression «obligations
familiales» figurant à l'art. 5 du Règlement ne vise pas
uniquement la famille qui réside au Canada — Le but et le
contexte de la loi militent contre une interprétation restrictive
— Il faut donner aux mots leur sens ordinaire — Règlement
sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié,
DORS/86-701, art. 5.
Il s'agit d'une demande visant à faire annuler la décision par
laquelle l'agent d'immigration a conclu que le requérant ne
pouvait obtenir un droit d'établissement permanent sous le
régime du Règlement sur l'arriéré des revendications du statut
de réfugié. Selon l'agent d'immigration, le requérant ne s'est
pas établi avec succès au Canada, et il n'était pas en mesure de
le faire étant donné ses qualifications professionnelles et ses
obligations familiales. Il ressort de la preuve que le requérant
subvient aux besoins de sa femme et de ses enfants qui sont
restés en Inde. Le requérant soutient que l'expression «obliga-
tions familiales« figurant à l'article 5 du Règlement vise uni-
quement les obligations relatives aux membres de la famille qui
résident au Canada, et que l'enquête dépasse les limites autori-
sées par la loi si elle inclut les membres de sa famille qui
résident à l'extérieur du Canada.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Le but du Règlement et le contexte de l'article 5 lui-même
militent contre une interprétation restrictive de l'expression
«obligations familiales«. Le Règlement sur l'arriéré des reven-
dications du statut de réfugié a été pris pour régler un très
grand arriéré des revendications du statut de réfugié. Son
paragraphe 5(1) énonce les facteurs dont l'agent d'immigration
doit tenir compte pour déterminer si un requérant s'est établi
avec succès au Canada. Au cas où l'agent d'immigration ne
saurait rendre une décision en vertu de ce paragraphe, il doit
alors se demander si le requérant est en mesure de s'établir avec
succès au Canada en prenant en considération les facteurs
énoncés au paragraphe 5(2). Les «obligations familiales» du
requérant constituent l'élément commun à ces deux paragra-
phes. Les critères de l'article 5 se rapportent essentiellement à
la détermination de la capacité d'un requérant de s'occuper de
lui-même et d'éviter de devenir une charge de l'État. La
capacité d'un requérant de s'occuper de lui-même implique
nécessairement sa capacité de s'occuper de ses personnes à
charge, c'est-à-dire de sa femme et de ses enfants. L'endroit où
se trouvent ces personnes à charge ne devrait pas influer sur ces
critères.
L'expression «personnes à charge» utilisée aux articles 2, 6 et
7 du Règlement se rapporte aux personnes à charge qui se
trouvent en présence du requérant au Canada. En utilisant le
mot «famille» au lieu de «personnes à charge», l'article 5 entend
faire porter l'enquête sur les obligations envers des personnes
tant résidantes que non résidantes. De plus, il faut donner aux
termes d'un texte de loi leur sens ordinaire. Dans le contexte de
l'article 5, il n'y a pas lieu de s'écarter du sens général de
l'expression «obligations familiales» ni de l'entendre uniquement
dans le sens de famille résidant au Canada. En dernier lieu,
l'article 2 de la Loi sur l'immigration de 1976 définit le mot
«famille» sans faire état de la résidence au Canada ou à
l'étranger.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Victoria (City) v. Bishop of Vancouver Island, [1921] 2
A.C. 384 (P.C.).
AVOCATS:
M. M. Green, c.r., pour le requérant.
U. Kaczmarczyk pour les intimés.
PROCUREURS:
Green & Spiegel, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada, pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE JOYAL: Le requérant habite la ville de
Mississauga. Il peut, en vertu du Règlement sur
l'arriéré des revendications du statut de réfugié
[DORS/86-701], présenter une demande de droit
d'établissement permanent au Canada.
Ce Règlement a permis au requérant d'obtenir
un rendez-vous auprès d'un agent d'immigration et
de s'entretenir avec lui. À la suite de cet entretien
qui a eu lieu le 16 décembre 1986, l'agent d'immi-
gration a informé le requérant qu'il ne pouvait
obtenir un droit d'établissement permanent sous le
régime du Règlement sur l'arriéré des revendica-
tions du statut de réfugié.
Le requérant a saisi cette Cour d'une demande
fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] pour
faire annuler la décision de l'agent d'immigration
et a conclu à une ordonnance enjoignant aux inti-
més de lui accorder le droit d'établissement perma
nent au Canada. Il soutient que ladite décision
était mal fondée en droit en précisant qu'on ne doit
pas tenir compte des liens qu'il a avec les membres
de sa famille résidant à l'extérieur du Canada pour
décider s'il est apte à obtenir le droit d'établisse-
ment permanent dans un tel contexte.
LES FAITS
On ne devrait pas aborder une question de ce
genre sans établir les faits qui ont amené l'autorité
fédérale à adopter le Règlement en question. Ces
dernières années, des milliers de non-résidents ont
pu venir au Canada pour revendiquer ensuite le
statut de réfugié grâce à la politique d'immigration
et aux procédures administratives canadiennes.
L'accumulation de ces cas était telle qu'on ne
pouvait pas les examiner sans inconvénient et de la
manière habituelle. L'arriéré des cas pendants
était impossible à contrôler. On a donc décidé de
mettre sur pied un programme intensif pour régler
le plus grand nombre possible de cas en instance,
en recourant à des critères d'admissibilité diffé-
rents de ceux applicables à la détermination du
statut de réfugié.
Comme la grande majorité de ces gens avaient
déjà résidé au Canada pendant un certain nombre
d'années, il fallait trancher la question de leur
admissibilité en tenant compte de leur faculté de
s'adapter au milieu canadien et de leur aptitude,
réelle ou éventuelle, à s'établir avec succès au
Canada.
C'est à cette fin qu'on a adopté le Règlement
sur l'arriéré des revendications du statut de réfu-
gié (le «Règlement»).
LE RÈGLEMENT
Le Règlement a été adopté par décret en date
du 26 juin 1986 (DORS/86-701), et il est entré en
vigueur le 3 août 1986.
L'article 2 du Règlement, intitulé «Définitions»,
définit le terme «revendicateur». Comme la ques
tion du statut du requérant en tant que membre de
cette catégorie n'est pas en litige, je n'ai pas à
m'étendre sur ce sujet.
L'expression «personne à charge» est également
définie. Elle désigne uniquement la personne qui
est à la charge du requérant et qui se trouve au
Canada lorsque la demande est formulée.
Le mot «parent» désigne un citoyen canadien ou
un résident permanent qui réside au Canada au
moment de la demande, qui a au moins dix-huit
ans, et qui fait partie de la catégorie de la famille
prévue par ledit article.
L'expression «membre de la catégorie de la
famille» a essentiellement un sens corollaire.
Le paragraphe 5(1) du Règlement énonce les
facteurs dont un agent d'immigration doit tenir
compte pour déterminer si un requérant s'est établi
avec succès au Canada. Ces facteurs sont:
5.(1)...
a) la stabilité d'emploi du revendicateur au Canada;
b) la durée de la période où le revendicateur a exercé un
emploi par rapport à celle où il a séjourné au Canada;
c) la fréquence et les raisons des changements d'emploi du
revendicateur;
d) la rémunération présente et future qu'offre le présent
emploi du revendicateur;
e) les obligations familiales du revendicateur.
Au cas où l'agent d'immigration ne saurait
rendre une décision en tenant compte des facteurs
qui précèdent, il doit alors se demander si le
requérant est en mesure de s'établir avec succès au
Canada en prenant en considération les facteurs
suivants:
5. (2)...
a) les antécédents de travail et l'expérience du revendicateur
dans son ancien pays de résidence, dans une profession qu'il
est disposé à exercer au Canada;
b) les qualifications professionnelles du revendicateur qui
sont susceptibles de lui faciliter l'entrée sur le marché du
travail canadien;
e) le niveau de scolarité du revendicateur et son incidence sur
ses chances d'emploi;
d) la capacité du revendicateur de communiquer dans l'une
des langues officielles du Canada;
e) la présence au Canada d'un parent qui veut et peut fournir
au revendicateur de l'aide financière et toute autre forme
d'aide pendant qu'il s'établit au Canada;
f) l'aptitude du revendicateur à s'établir avec succès au
Canada, d'après sa faculté d'adaptation, sa motivation, son
esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités
semblables;
g) les obligations familiales du revendicateur.
L'article 6 autorise alors l'agent d'immigration à
accorder le droit d'établissement au Canada au
requérant et à ses personnes à charge, le cas
échéant, si l'agent est d'avis que ces personnes sont
établies ou sont susceptibles de s'établir avec
succès au Canada et répondent par ailleurs à
toutes les exigences dont elles n'ont pas été expres-
sément dispensées.
Le paragraphe 6(4) du Règlement* prévoit en
outre que, au cas où un accord conclu avec une
province en vertu de l'article 109 de la Loi [Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52]
s'appliquerait à un requérant, les normes de sélec-
tion à l'égard de ce requérant et de ses personnes à
charge doivent être conformes aux lois de cette
province.
ANALYSE DU RÈGLEMENT
Un programme d'admission du genre envisagé
par le Règlement sort vraiment de l'ordinaire. Il
suspend la plupart des conditions d'admissibilité
prévues par la Loi sur l'immigration de 1976. Le
critère principal auquel un requérant doit satis-
faire consiste à «s'établir avec succès» au Canada.
Il incombe à l'agent d'immigration d'appliquer
ce programme. Sous réserve des critères énoncés à
l'article 5 du Règlement, cet agent a le pouvoir
discrétionnaire de rendre une décision à la suite
d'une enquête qui se fait partout pour déterminer
si un requérant «est établi avec succès» au pays. Il
ne s'agit pas d'un procès avec son système accusa-
toire traditionnel, mais d'une entrevue au cours de
laquelle l'agent d'immigration doit, compte tenu
des renseignements fournis par le requérant, faire
* Note de l'arrêtiste: Cette disposition a été abrogée le 5
septembre 1986 (DORS/86-824).
une appréciation et trancher la question d'une
façon ou d'une autre. Les facteurs dont il faut
tenir compte fournissent les éléments nécessaires à
l'enquête, mais, essentiellement, l'agent d'immi-
gration doit faire appel à son propre jugement en
agissant promptement et, ce qui est tout aussi
important, en étant équitable.
Le Ministère concerné a établi des lignes direc-
trices pour s'assurer que les nombreux agents d'im-
migration fassent une appréciation aussi équitable
que possible dans l'ensemble du pays. On peut tout
de suite remarquer les risques que cela entraîne et
interpréter certains éléments des lignes directrices
en disant qu'ils soumettent chaque demande à un
formalisme excessif. D'autel éléments pourraient
être attaqués pour le motif qu'ils entravent indû-
ment le pouvoir discrétionnaire de l'agent. Le
débat sur ces points n'en finirait jamais.
LE REQUÉRANT
Le requérant est né le 31 janvier 1951 dans
l'État du Punjab (Inde). Il est maintenant âgé de
trente-six ans. Il s'est marié en Inde en 1971 et il a
trois enfants âgés respectivement de 14, 12 et 10
ans. Il a travaillé en Arabie Saoudite de 1978 à
1981. Il est arrivé au Canada en 1981 et il a vécu à
Stony Creek (Ontario) au cours des cinq années
suivantes. Depuis 1986, il réside à Mississauga
(Ontario). Pendant tout ce temps, sa femme et ses
enfants sont demeurés en Inde.
À son arrivée au Canada, le requérant était à la
charge de son beau-frère. Depuis le mois d'avril de
1983, il travaille pour Bazaar & Novelty, une
division de Bingo Press & Specialty Limited, à
King (Ontario). La feuille du T-4 du requérant
indique que son salaire brut était de 14 381 $ pour
l'année 1985. Il subvient aux besoins de sa femme
et de sa famille en Inde en leur envoyant une
somme mensuelle de 200 $. Ses économies accu-
mulées au Canada dépassent la somme de
10 000 $.
La preuve déposée devant la Cour contient d'au-
tres renseignements que le requérant a fournis et
qui figurent dans les notes prises par M°'° Wendy
Bott, l'agent d'immigration, au cours de l'entrevue
qu'elle a eue avec le requérant le 16 décembre
1986. Ces renseignements portent sur le bien-fondé
de la décision de Mme Bott, mais je ne suis pas saisi
de cette question.
DÉCISION DE L'AGENT
Au terme de l'entretien susdit, l'agent d'immi-
gration a conclu que le requérant ne s'était pas
établi avec succès au Canada, qu'il n'était pas en
mesure de le faire et que, en conséquence, il n'était
pas admissible au droit d'établissement. Ainsi
qu'elle l'a affirmé dans son affidavit du 18 février
1987, M"" Bott a rendu cette décision [TRADUC-
TION] «en prenant en considération ses qualifica
tions professionnelles et ses obligations familiales».
Une lettre confirmant ce qui précède a été
envoyée au requérant le 6 janvier 1987. Après
avoir indiqué que le requérant ne pouvait être
considéré comme un membre de la catégorie de la
famille prévue au paragraphe 4(1) du Règlement
sur l'immigration de 1978 [DORS/78 - 172 (mod.
par DORS/84-140, art. 1)], l'agent d'immigration
a déclaré:
[TRADUCTION] À la lumière de votre entrevue, il m'a été
impossible d'établir que vous êtes en mesure de subvenir aux
besoins d'une famille comme la vôtre (c.-à-d. vous-même, votre
femme et vos trois enfants) au Canada. Certes, vous travaillez
toujours pour le même employeur depuis mars 1983, mais votre
salaire déclaré pour l'année 1984 n'était que de 14 381 $ et,
même en travaillant à la pièce, vous seriez toujours incapable
de gagner le salaire de 24 252 $ requis pour subvenir à une
famille comme la vôtre. Vous n'avez aucune formation ni
aucune expérience en tant qu'ouvrier expérimenté, et il y a peu
de chances que vous obteniez un emploi qui vous procurerait un
revenu suffisant pour subvenir aux besoins de votre famille.
Suivant la preuve, vous avez fait des économies de plus de
10 000 $ que vous avez l'intention d'utiliser pour vous acheter
une maison. J'estime toutefois que vos ressources ne vous
permettent pas de remplir adéquatement vos obligations finan-
cières et de subvenir aux besoins de votre famille.
Il semble que vous ne subirez pas d'épreuves excessives si
vous retournez en Inde, et, en conséquence, votre cas ne peut
être fondé sur des considérations d'ordre humanitaire et des
motifs de considération.
Comme vous avez exprimé le désir d'être considéré comme
un réfugié au sens de la Convention, l'examen de votre cas se
poursuivra en priorité.
LE POINT LITIGIEUX
La question fondamentale soulevée par l'émi-
nent avocat du requérant est de savoir si l'agent
d'immigration, en examinant les obligations dudit
requérant envers sa famille en Inde, a outrepassé le
Règlement. L'avocat soutient que de telles obliga
tions ne peuvent être invoquées dans une demande
que lorsqu'elles visent des personnes à charge rési-
dant au Canada. Les lignes directrices concernant
le seuil de faible revenu qui permette d'évaluer ce
genre de sécurité économique et de déterminer si
une personne s'est établie ou est en mesure de
s'établir avec succès au Canada ne peuvent s'appli-
quer, dans le cadre du Règlement, aux personnes à
charge vivant ou résidant à l'étranger.
L'avocat soutient que, quelles que soient les
lignes directrices établies à l'intention des agents
d'immigration, le texte du Règlement et les critè-
res exposés à l'article 5 doivent prévaloir, et qu'un
agent d'immigration outrepasse sa compétence en
prenant en considération des éléments étrangers
aux nombreux facteurs dont il doit tenir compte
pour rendre sa décision.
Selon lui l'expression «personne à charge» figu-
rant au Règlement désigne une personne à charge
qui se trouve au Canada au moment où est présen-
tée la demande de droit d'établissement. Ce sens
restreint attribué à l'expression «personne à
charge» vise également la définition du mot
«parent» qui s'applique uniquement aux membres
de cette catégorie résidant au Canada. L'expres-
sion «personnes appartenant à la catégorie de la
famille» que l'on trouve au paragraphe 4(1)
[Règlement sur l'immigration de 1978] s'entend
uniquement d'un citoyen canadien ou d'un résident
permanent. Il en est de même de l'exigence en
matière de résidence posée par l'article 7 du Règle-
ment lorsque des requérants sont parrainés par des
personnes désignées.
On peut très bien mesurer l'aptitude d'un requé-
rant à subvenir à ses besoins et à ceux de ses
personnes à charge en tenant compte des statisti-
ques quant au revenu exigé, prétend l'avocat, mais
le niveau minimum ne saurait être calculé eu égard
à une obligation qu'un requérant pourrait assumer
ou respecter vis-à-vis d'une personne à charge
vivant à l'étranger ou qui ne vit pas avec lui au
Canada. Quelles que soient les considérations d'or-
dre moral concernant cette obligation, elles ne
devraient pas intervenir dans la prise d'une
décision.
L'examen de l'article 6 du Règlement, soutient
l'avocat, justifie également une telle interprétation.
Lorsque cette disposition parle d'un «revendicateur
et ses personnes à charge», il s'agit nécessairement
des personnes à charge du requérant qui vivent
avec lui au Canada. Dans ces circonstances, il
conviendrait de déterminer si le requérant s'est
établi avec succès en tenant compte des obligations
qu'il a envers ces personnes, mais non envers d'au-
tres personnes à charge qui, par ailleurs, pour-
raient être visées par la définition de «personne à
charge».
Il découle de cette argumentation et de l'examen
des facteurs énumérés aux paragraphes 5(1) et
5(2) du Règlement qu'il faut donner à l'expression
«obligations familiales» un sens restreint, ce qui
fait que l'enquête de l'agent d'immigration doit
porter uniquement sur les obligations relatives aux
membres de la famille qui résident au Canada.
L'enquête dépasse les limites autorisées par la loi
si elle inclut les membres de la famille qui résident
en Inde.
Dans sa réponse, l'avocate de la Couronne invo-
que le principe du caractère raisonnable lorsqu'on
interprète le Règlement, ses éléments d'apprécia-
tion et les lignes directrices applicables. Elle sou-
tient que le système tout entier vise à réserver un
traitement particulièrement favorable à un requé-
rant dont le cas fait partie de l'arriéré des revendi-
cations du statut de réfugié. Un tel requérant doit
seulement convaincre l'agent d'immigration qu'il
s'est établi avec succès au Canada ou qu'il a les
possibilités de le faire. Il n'a pas à satisfaire à des
exigences plus importantes ou techniques applica-
bles à toutes les autres personnes qui demandent et
obtiennent le statut d'immigrant reçu de la façon
normale.
Pour bien apprécier ce caractère exceptionnel du
système, l'avocate de la Couronne préconise une
interprétation large des critères énoncés à l'article
5. Ces critères, dit-elle, visent principalement à
mesurer l'aptitude du requérant à survivre au
Canada. Les obligations familiales d'un requérant
font partie du cadre de sa vie et, comme il s'agit là
d'un des nombreux critères exposés à cet article,
elles devraient être considérées comme des obliga
tions envers l'ensemble de la famille et non à
l'égard des membres de la famille qui résident déjà
au Canada. Restreindre l'enquête de la manière
proposée par le requérant reviendrait à court-cir-
cuiter, dans beaucoup de cas, le processus de l'en-
quête elle-même et d'une décision plus équitable à
l'égard de la demande.
L'avocate de la Couronne fait valoir en dernier
lieu que les obligations familiales d'un requérant
particulier ne constituent qu'un des nombreux fac-
teurs qui doivent être examinés. Il ne s'agit que
d'un aspect, auquel on peut attacher plus ou moins
d'importance et qui fournirait un profil général du
requérant permettant de savoir dans quelle mesure
il pourrait réellement ou éventuellement s'établir
avec succès au Canada.
CONCLUSIONS
Je dois reconnaître que l'avocat du requérant a
soulevé un point intéressant et soutenable. L'ex-
pression «obligations familiales» comporte un
aspect légal et moral. Il n'y a pas de place pour les
obligations morales dans l'économie de la Loi sur
l'immigration de 1976 et de son Règlement d'ap-
plication. En l'absence d'une obligation légale sous
le régime du droit interne, le fait que le requérant
reconnaisse qu'il respecte ses obligations morales
envers sa famille en Inde ne devrait nullement
influer sur la décision qui doit être rendue à son
égard. Le facteur qu'il faut prendre en considéra-
tion ne devrait se rapporter qu'aux obligations
qu'il a envers les personnes à charge qui résident
au Canada.
Je suis néanmoins loin d'être convaincu qu'il
s'agit là de la bonne façon d'aborder le problème.
A la lumière du but et de l'objectif de la Loi et
dans le contexte de celle-ci, je dois conclure que
cette approche étroite est trop restrictive.
L'article 5 du Règlement énumère deux séries
de facteurs. Au paragraphe 5(1) figure la première
série qui est composée de cinq facteurs. Chaque
facteur de cette série établit des critères purement
économiques fondés exclusivement sur l'expérience
d'un requérant au Canada. Ils portent sur la stabi-
lité d'emploi, la durée de la période d'emploi par
rapport au séjour au Canada, la fréquence et les
raisons des changements d'emploi, la rémunération
actuelle et future qu'offre le présent emploi et, en
dernier lieu, les obligations familiales du requé-
rant.
Le paragraphe 5(2) du Règlement, qui vise la
même fin, prévoit toutefois des facteurs différents.
Ce paragraphe ne s'applique que si aucune déci-
sion ne peut être rendue en vertu du paragraphe
précédent. Dans ce cas, l'agent d'immigration est
tenu de tenir compte de ce qu'on peut appeler des
données incertaines par opposition à des données
d'enquête. L'enquête doit porter sur les antécé-
dents du requérant ayant trait à une profession
qu'il est disposé à exercer au Canada, sur le
marché du travail au Canada relié à ses qualifica
tions professionnelles, sur le niveau de scolarité du
requérant et son impact sur ses chances d'obtenir
un emploi, sur ses connaissances linguistiques, sur
l'aide financière et autre qu'il peut obtenir d'un
parent au Canada, sur une évaluation de sa répu-
tation d'après sa faculté d'adaptation, sa motiva
tion, son ingéniosité et autres qualités semblables,
et finalement sur ses obligations familiales.
Il convient de souligner que les obligations fami-
liales du requérant constituent l'élément commun
aux deux séries de critères. L'expression employée
est «obligations familiales» et elle a un sens large et
générique lorsqu'on la considère isolément et
littéralement.
Les remarques que je vais maintenant faire por
tent sur l'intention du législateur lorsqu'il a adopté
les divers facteurs qui doivent être pris en considé-
ration et qui sont énumérés à l'article 5. J'ai
indiqué plus haut que le Règlement a permis de
mettre sur pied un programme intensif conçu pour
éliminer, dans la mesure du possible, l'arriéré con-
sidérable des revendications du statut de réfugié au
sens de la Convention provenant de personnes
résidant au Canada. Le procédé adopté est rapide
et expéditif. Il ne vise pas à éliminer l'arriéré, mais
à le réduire à des proportions raisonnables. Il ne
vise pas non plus à donner lieu à de longues
enquêtes et à de multiples appels créant une situa
tion qui pourrait devenir aussi contrariante que le
problème qu'il est censé résoudre.
Dans ces circonstances, l'agent d'immigration
dispose en fait d'un large pouvoir discrétionnaire.
Les facteurs qui doivent être pris en considération
sous le régime de l'article 5 ne visent, à mon avis,
qu'à assurer un degré de conformité en ce qui
concerne les solutions de rechange auxquelles les
agents d'immigration doivent toujours faire face. Il
s'agit essentiellement de déterminer la capacité
d'un requérant de s'occuper de lui-même et d'évi-
ter de devenir une charge pour l'État. Cette capa-
cité implique nécessairement celle d'assumer les
obligations que nos valeurs sociales considèrent
comme étant des obligations familiales, c'est-à-dire
les besoins du conjoint et des enfants à charge du
requérant. L'endroit où se trouvent ces personnes à
charge ne devrait pas influer sur le critère.
En troisième lieu, il ressort de l'article 2, des
paragraphes 6(1), 6(2), 6(3) et 6(4) et de l'article
7 du Règlement où on peut trouver l'expression
«personnes à charge», qu'il s'agit évidemment de
personnes à charge qui se trouvent en présence du
requérant au Canada. Il est évident que, en utili-
sant le mot «famille» au lieu de «personnes à
charge», le Règlement entend faire porter l'enquête
sur les obligations qu'un requérant a envers des
personnes à charge tant résidantes que non
résidantes. -
Je devrais également faire mention d'une règle
courante d'interprétation. À la page 5 de l'ouvrage
intitulé «Construction of Statutes» (2e éd.,
Toronto, Butterworths, 1983), Elmer A. Driedger
déclare qu'il faut donner aux termes d'un texte de
loi leur sens ordinaire. Ce sens a différents qualifi-
catifs: ordinaire, courant ou premier. L'auteur cite
à la page 6 l'arrêt Victoria (City) v. Bishop of
Vancouver Island, [1921] 2 A.C. 384 (P.C.), où
lord Atkinson s'est prononcé en ces termes à la
page 387:
[TRADUCTION] En matière d'interprétation des lois, les mots
qui y figurent doivent être entendus dans leur sens grammatical
ordinaire, à moins que le contexte, l'objectif de la loi où ils
sont employés ou les circonstances dans lesquelles ils sont
employés n'indiquent qu'ils ont été employés dans un sens
différent de leur sens grammatical ordinaire.
Dans le contexte de l'article 5 du Règlement, je
ne vois aucune raison de m'écarter du sens général
de l'expression «obligations familiales» ni de l'en-
tendre uniquement dans le sens de famille résidant
au Canada.
r En dernier lieu, je devrais mentionner l'article 2
de la Loi sur l'immigration de 1976 où le mot
«famille» désigne:
2. (1) ...
... le père et la mère ainsi que les enfants qui, de l'avis d'un
i agent d'immigration, sont principalement à la charge de l'un
ou l'autre en raison de leur âge ou d'une incapacité et, pour
l'application d'une disposition donnée de la présente loi et des
règlements, s'entend également des autres catégories de per-
sonnes prescrites aux fins de cette disposition.
Cette définition nous dit quelles personnes sont
incluses dans une famille. Il s'agit d'une définition
large qui ne fait nullement état de la résidence au
Canada ou à l'étranger. L'article 5 du Règlement
ne restreint pas le sens de l'expression «obligations
familiales» et il ne faut pas, aux fins de cet article, -
s'écarter du sens que la loi lui donne.
ORDONNANCE
La requête est rejetée sans dépens.
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