Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-881-85
Donald Oag (appelant) (demandeur) c.
La Reine du chef du Canada, la Commission nationale des libérations conditionnelles, William Outerbridge, Kenneth W. Howland, Keith Wright, Norman J. Fagnou et Robert Fenner (intimés) (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: ®AG c. CANADA
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Heald et Stone—Toronto, 29 janvier; Ottawa, 18 février 1987.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Libération conditionnelle Révocation d'une libération sous surveillance obligatoire Action pour arres- tation illégale et emprisonnement arbitraire Appel formé contre une décision de la Division de première instance annu- lant une déclaration pour le motif que l'action n'est pas fondée sur le droit fédéral Il a été satisfait au triple critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt ITO-Internatio nal C'est l'art. 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale qui confère compétence à la Division de première instance La demande est fondée sur un ensemble de règles de droit fédéra- les: la Loi sur la libération conditionnelle de détenus et la Loi sur les pénitenciers Ces règles de droit fédérales relèvent de la compétence législative du Parlement prévue aux art. 91(27)
et (28) de la Loi constitutionnelle de 1867 Appel accueilli Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5J (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, 1), art. 91(27),(28), 101 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 17(4)6J Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 2.
Libération conditionnelle Surveillance obligatoire
Suspension Action pour arrestation illégale et emprisonne-
ment arbitraire Action fondée sur le droit fédéral La
liberté dont jouissait l'appelant au moment de l'arrestation et de l'emprisonnement prenait sa source dans la Loi sur la libération conditionnelle de détenus et la Loi sur les péniten- ciers Le respect des conditions de sa surveillance obligatoire confère à l'appelant le droit de jouir d'une «liberté partielle» Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 10(1), 12, 15(1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28), (2) Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 24(1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41).
Couronne Responsabilité délictuelle Le demandeur a
été arrêté pendant qu'il était en liberté sous surveillance obligatoire Action pour arrestation illégale et emprisonne-
ment arbitraire L'action est-elle fondée sur le droit fédéral
ou sur la responsabilité délictuelle? Le cadre législatif
accordait à l'appelant le droit d'être libre et de le rester La cause d'action est tributaire du droit fédéral Les dom- mages-intérêts, s'il y a lieu, peuvent être recouvrés en Division de première instance.
Conformément à une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles, le demandeur avait le droit d'être libéré sous surveillance obligatoire. La Commission a suspendu sa libération sous surveillance obligatoire à deux reprises. Le demandeur a été arrêté, détenu et libéré à ces deux occasions. Il a intenté une action en Division de première instance pour arrestation illégale et emprisonnement arbitraire. Le juge de première instance a annulé la déclaration pour le motif que l'action n'était pas fondée sur le «droit fédéral». La question en l'espèce est de savoir si la Division de première instance a compétence pour connaître des demandes présentées contre les membres de la Commission, l'appel ayant été aban- donné en ce qui concerne les autres intimés.
L'appelant soutient que les circonstances entourant son arrestation et sa détention étaient régies par la Loi sur la libération conditionnelle de détenus et la Loi sur les péniten- ciers. Les intimés allèguent que la demande de l'appelant est fondée sur la responsabilité délictuelle, que cette demande repose principalement sur le fait que l'appelant a été privé de sa liberté sans sanction légitime et que le lien, s'il existe, entre les parties selon le droit fédéral n'est pas pertinent à la cause de l'appelant.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
On ne pouvait pas être d'accord avec la qualification que les intimés font des allégations de l'appelant. Après avoir été condamné à une peine d'emprisonnement, l'appelant a perdu durant cette peine le droit à la liberté que lui accorde la common law. La liberté dont il jouissait au moment de sa prétendue arrestation illégale et de son prétendu emprisonne- ment arbitraire peut trouver sa source dans le droit fédéral, plus particulièrement au paragraphe 24(1) de la Loi sur les pénitenciers et aux paragraphes 10(1), 15(1),(2) et à l'article 12 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus. Aussi longtemps que l'appelant satisfaisait aux conditions de sa sur veillance obligatoire, il avait le droit de jouir d'une certaine liberté, d'une «liberté partielle» comme la définit la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Truscott. Dans cette affaire, on a considéré la remise de peine comme un droit qui ne peut pas être retiré au détenu sauf de la façon prévue par la loi. Ce principe a été approuvé dans l'affaire R. c. Moore, dans laquelle la Cour suprême du Canada a statué que la pratique du «blocage» était illégale.
Il existe donc, pour utiliser l'expression du juge en chef Laskin dans l'affaire Rhine, «un cadre législatif détaillé» de droit fédéral en vertu duquel l'appelant a acquis non seulement le droit d'être libre mais également celui de le rester. L'exis- tence des délits d'arrestation illégale et d'emprisonnement arbi- traire allégués en l'espèce repose sur le droit fédéral. S'ils ont été commis, c'est parce qu'on a porté atteinte au droit de l'appelant, qui est délimité par des lois fédérales, de rester libre. Les dommages-intérêts prouvables qui en résultent peuvent être recouvrés en Division de première instance.
L'appelant a satisfait au triple critère établi par la Cour suprême du Canada dans la décision ITO—International pour déterminer la compétence éventuelle de la Division de première instance: (1) il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral; (2) il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de cette attribution de compétence et (3) la loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Il est évident que la deuxième exigence a été respectée. On a satisfait également à la troisième exigence car l'ensemble des règles de droit fédérales qui est applicable relève de la compé- tence législative du Parlement prévue aux paragraphes 91(27) et 91(28) de la Loi constitutionnelle de 1867.
En ce qui concerne la première exigence, l'alinéa 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale conférait compétence à la Division de première instance pour connaître des poursuites engagées contre les particuliers intimés.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Truscott v. Director of Mountain Institution et al. (1983), 147 D.L.R. (3d) 741 (C.A.C.-B.); ITO—Inter- national Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054.
DÉCISION ÉCARTÉE:
Stephens c. La Reine et autre (1982), 26 C.P.C. 1 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Tomossy c. Hammond, [1979] 2 C.F. 232 (1fe inst.); Nichols c. R., [1980] 1 C.F. 646 (lfe inst.).
DÉCISION CITÉE:
R. c. Moore; Oag c. La Reine et autres, [1983] 1 R.C.S. 658.
AVOCATS:
D. Fletcher Dawson pour l'appelant (deman-
deur).
Brian Evernden pour les intimés (défendeurs).
PROCUREURS:
Cohen, Melnitzer, London (Ontario), pour l'appelant (demandeur).
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés (défendeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Le présent appel est formé contre la décision de la Division de première ins tance [[1986] 1 C.F. 472] par laquelle, entre
autres, le juge Muldoon radiait la déclaration à l'égard de la Commission intimée et à l'égard de certains particuliers, dont les intimés Outerbridge et Howland. La seule véritable question qui se pose à la Cour est de savoir si la Division de première instance a compétence pour connaître des deman- des présentées dans l'action intentée contre ces deux particuliers intimés. L'appelant a renoncé à l'appel en ce qui concerne la Commission intimée et les autres particuliers intimés.
Dans sa déclaration, l'appelant soutient que, aux environs du mois de février 1981, pendant qu'il purgeait une peine pour diverses infractions qui était censée prendre fin aux environs du mois d'octobre 1987, il a été transféré de l'Établisse- ment Millhaven de Kingston (Ontario) à l'Établis- sement d'Edmonton. C'est alors que se sont pro- duits les événements successifs indiqués aux paragraphes suivants de la déclaration, lesquels doivent être considérés comme vrais pour les fins de la présente instance.
[TRADUCTION] 10.À la suite d'un nouveau calcul des peines, la Commission nationale des libérations conditionnelles dési- gnée comme défenderesse a décidé que le demandeur avait le droit d'être libéré sous surveillance obligatoire conformément à la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2 (modifiée), le 6 décembre 1982.
11. Aux environs du 6 décembre 1982, le demandeur, menottes aux mains, a été emmené par des membres de la police de la ville d'Edmonton ou par des membres de la Gendarmerie royale du Canada de l'Établissement d'Edmonton à la station de police Londonderry (Service de police de la ville d'Edmonton). Une fois arrivé à cet endroit, le demandeur est sorti du véhicule de la police et un autre agent de police lui a remis une lettre dans laquelle le défendeur Norman J. Fagnou, qui est agent exécutif régional de la Commission nationale des libérations conditionnelles à son bureau régional des Prairies, lui indiquait que sa libération sous surveillance obligatoire avait été «suspen- due» par le président de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Dès que cette lettre lui a été remise, le deman- deur a été «arrêté» et ramené à l'Établissement d'Edmonton.
12. Le demandeur n'a jamais indiqué à la Commission natio- nale des libérations conditionnelles, à ses préposés ou à ses agents qu'il ne désirait pas être libéré sous surveillance obliga- toire conformément aux dispositions de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2 (modifiée).
14. Une demande d'habeas corpus a été présentée au nom du demandeur à la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, district judiciaire d'Edmonton. Ladite demande a été accueillie aux environs du 23 décembre 1982 et le juge D. C. McDonald a ordonné la libération du demandeur.
15. Antérieurement au 4 janvier 1983, le demandeur avait pris des arrangements pour se rendre en avion auprès de sa famille
dans l'Est du Canada et il devait quitter l'aéroport international d'Edmonton à 17h30 ce même jour. Aux environs du 4 janvier 1983, le demandeur a été prié de signer un certificat de libération sous surveillance obligatoire qui prévoyait certaines conditions spéciales, ce qu'il a fait.
16. Aux environs du 4 janvier 1983, le demandeur a été emmené par deux agents des services correctionnels fédéraux de l'Établissement d'Edmonton à l'aéroport international d'Ed- monton. Ceux-ci l'ont accompagné jusqu'à la cafétéria de l'aéroport d'Edmonton et l'ont laissé s'asseoir à une table. Peu après, le demandeur s'est rendu dans le hall principal de l'aéroport il a été abordé par des officiers de la Gendarmerie royale du Canada qui l'ont arrêté en vertu d'un mandat d'arres- tation et de suspension de sa libération sous surveillance obliga- toire, lancé par la Commission nationale des libérations condi- tionnelles au nom du président de ladite Commission, le défendeur William Outerbridge, et signé par le défendeur Keith Wright.
17. Le demandeur n'a violé aucune des conditions prévues dans le certificat de libération sous surveillance obligatoire.
18. La Commission nationale des libérations conditionnelles a informé le demandeur qu'il devrait subir des examens psychia- triques et psychologiques avant qu'il soit décidé de le libérer une nouvelle fois. Le demandeur a été transféré au centre psychiatrique régional de la ville de Saskatoon (Saskatchewan) et il y a subi des tests psychiatriques et psychologiques.
19. Le 17 mars 1983, une demande d'habeas corpus a été présentée au nom du demandeur à la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, district judiciaire d'Edmonton. Ladite demande a été accueillie par le juge R. P. Foisy qui a ordonné la libération du demandeur.
20. L'ordonnance du juge R. P. Foisy a été portée en appel devant la Cour d'appel de l'Alberta; à la suite de quoi, ledit appel a été accueilli et l'ordonnance du juge R. P. Foisy a été annulée le 23 mars 1983.
21. Il a été interjeté appel à la Cour suprême du Canada au nom du demandeur; à la suite de quoi, ledit appel a été accueilli, il a été ordonné de libérer le demandeur aux environs du 17 mai 1983 et celui-ci a été libéré subséquemment.
Les allégations soutenues dans la déclaration se trouvent aux paragraphes 26, 27 et 28:
[TRADUCTION] 26. Le demandeur soutient que sa détention continue sans autorisation et sans droit constituait une arresta- tion illégale, un emprisonnement arbitraire et des voies de fait.
27. En outre ou subsidiairement, le demandeur déclare que les défendeurs la Reine du chef du Canada, la Commission natio- nale des libérations conditionnelles et William Outerbridge ont été négligents en ordonnant la détention du demandeur au-delà de la date de sa libération obligatoire. Lesdits demandeurs ont notamment été négligents en ne prenant pas de mesures adé- quates avant la date de libération obligatoire du demandeur afin de déterminer la légalité de l'initiative prise subséquem- ment par eux et mentionnée aux paragraphes 11 16 ci-dessus.
28. En outre ou subsidiairement, le demandeur déclare que, entre le 6 décembre 1982 et le 18 mai 1983, les défendeurs ont, individuellement et cumulativement, porté atteinte aux droits
constitutionnels qui lui sont garantis par les art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés, et il réclame des dommages-intérêts conformément au par. 24(1) de la Charte.
Les seules autres allégations qui sont pertinentes au présent appel figurent aux paragraphes 4, 5 et 29 de la déclaration:
[TRADUCTION] 4. Le défendeur William Outerbridge réside dans la province de l'Ontario et, à toutes les époques concer- nées, il était président de la Commission nationale des libéra- tions conditionnelles.
5. Le défendeur Kenneth W. Howland était, à toutes les épo- ques concernées, membre de la Commission nationale des libérations conditionnelles et participait au processus décision- nel qui a conduit à la suspension ou à la révocation illégale de la surveillance obligatoire du demandeur, tel qu'il est exposé ci-dessous.
29. Le demandeur s'appuie sur la Loi sur la libération condi- tionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2 (modifiée).
Les motifs qui ont amené le juge à prendre sa décision figurent aux pages 476 et 477 de ses motifs de jugement:
En ce qui concerne les particuliers désignés comme défen- deurs, la décision à rendre au sujet de leur requête est simple. Leur avocat allègue que l'action intentée contre eux ne repose ni sur le «droit fédéral» ni sur «les lois du Canada» au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)]. Ces dernières expres sions ont été définies par la Cour suprême du Canada dans les arrêts McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 et Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054 et, depuis ce temps, ces deux décisions ont été suivies dans les affaires Tomossy c. Hammond, [1979] 2 C.F. 232 (1°» inst.), et Nichols c. R., [1980] 1 C.F. 646 (1'» inst.), pour ne citer que deux des nombreuses décisions de cette Cour.
Par conséquent, la déclaration doit être radiée en ce qui concerne William Outerbridge, Kenneth W. Howland, Keith Wright, Norman J. Fagnou et Robert Benner, et l'action dont ils sont l'objet est rejetée pour le motif que la Division de première instance de la Cour fédérale du Canada n'a pas compétence pour connaître de l'action intentée contre eux.
Il n'est pas nécessaire d'examiner en l'espèce les nombreuses affaires dans lesquelles la Cour a été invitée à déterminer si la Division de première instance avait ou non compétence pour connaître des demandes particulières. Il suffit de signaler qu'aucune des affaires jugées à la suite des arrêts McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 et Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054, ne se rapporte
à la question précise soulevée à l'occasion du pré- sent appel. Il n'existe donc pas de jurisprudence sur ce point. En tout état de cause, l'appelant tente de faire des distinctions avec les affaires invoquées en première instance. Il soutient au paragraphe 5 de son exposé des faits et du droit:
[TRADUCTION] Il sera allégué que la situation en l'espèce se distingue des affaires McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054; Tomossy c. Hammond, [1979] 2 C.F. 232; et Nichols c. La Reine, [1980] 1 C.F. 646, dans la mesure l'ensemble des circonstances entourant la détention et la libération de l'appe- lant relevait des dispositions de la Loi sur la libération condi- tionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2 (modifiée), et de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6 (modifiée), qui constituent un cadre législatif détaillé et un plan d'ensemble de la réglementation, fondés sur le droit fédéral existant et appli cable suffisants pour étayer la compétence de la Cour fédérale du Canada.
Au cours de la plaidoirie du présent appel, l'appelant s'est appuyé largement sur la décision rendue par la Cour suprême dans Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442. Dans cette affaire, la Cour suprême a rejeté une allégation selon laquelle la Division de première instance n'avait pas compétence pour connaître d'une action de Sa Majesté en recouvrement des sommes d'argent avancées conformément à la Loi sur les paiements anticipés pour le grain des Prairies, S.R.C. 1970, chap. P-18, lorsqu'un enga gement écrit a été donné en vertu de la Loi et a été invoqué comme fondement contractuel de la demande. On a insisté tout particulièrement sur le passage suivant des motifs du juge en chef Laskin qui s'exprimait au nom de la Cour, à la page 447:
Je ne peux admettre que l'on puisse régler l'affaire en des termes aussi simples. Nous sommes en présence d'un cadre législatif détaillé qui autorise des paiements anticipés pour des livraisons éventuelles de grain; c'est un élément d'un plan d'ensemble pour la commercialisation du grain produit au Canada. Un examen de la Loi sur les paiements anticipés pour le grain des Prairies elle-même met en lumière la place que celle-ci prend dans le plan d'ensemble. Certes, l'application de la Loi emporte un engagement ou des conséquences contrac- tuelles, mais cela ne veut pas dire que la Loi est mise à l'écart une fois l'engagement pris ou le contrat signé. La Loi a constamment des répercussions sur l'engagement, de sorte que l'on peut dire à bon droit qu'il existe une législation fédérale valide qui régit l'opération, objet du litige devant la Cour fédérale. Est-il nécessaire d'ajouter qu'on ne peut invariable- ment attribuer les «contrats» ou les autres créations juridiques, comme les délits et quasi-délits, au contrôle législatif provincial exclusif, ni les considérer, de même que la common law, comme des matières ressortissant exclusivement au droit provincial.
Les intimés prétendent que la question est régie par la décision de cette Cour dans Stephens c. La Reine et autre (1982), 26 C.P.C. 1 (C.A.F.). Cette affaire portait sur la compétence de la Division de première instance à connaître des demandes pour violation du droit de propriété et saisie injustifiée à l'égard d'un impôt sur le revenu impayé qui avait été établi conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63 et ses modifica tions. En concluant que la Division de première instance n'avait pas compétence, le juge Le Dain a déclaré au nom de la Cour, aux pages 9 et 10:
En l'espèce, il est allégué que les cotisations d'impôt étaient nulles et que les défendeurs autres que la Couronne ont agi sans autorité juridique en tentant de recouvrer les arriérés impayés. L'allégation voulant qu'ils aient agi sans justification juridique semblerait un fondement nécessaire à leur responsabilité sur le plan délictuel, le cas échéant. Par conséquent, les demandes contre les défendeurs autres que la Couronne mettent nécessai- rement en jeu l'interprétation et l'application des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cela permet-il de conférer compétence à la Cour pour connaître des demandes contre ces défendeurs, eu égard aux répercussions de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Rhine et Prytula? Après examen de ces répercussions, je conclus que ce n'est pas une base suffisante pour conférer compétence à la Cour. A mon avis, il ressort de l'affaire Rhine et Prytula qu'une cause d'action en responsabilité contractuelle (ou délictuelle) peut être suffisam- ment appuyée par une législation fédérale pour conférer compé- tence à la Cour fédérale si la responsabilité contractuelle ou délictuelle peut être considérée comme prévue par la législation fédérale. Dans l'arrêt Rhine et Prytula, la Cour suprême semble avoir conclu que les droits alors revendiqués tiraient essentiellement leur origine d'une législation fédérale parce qu'ils étaient prévus et régis dans une large mesure par les lois fédérales applicables. En l'espèce, malgré l'application néces- saire des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu à la question de validité ou de justification juridique, on ne peut soutenir que le droit aux dommages-intérêts soit prévu par une loi fédérale. En fait, si ce droit existe, il a été créé par le droit provincial. La loi fédérale applicable n'a pas pour objet de créer ou de prévoir ce droit.
Les intimés ont allégué ce qui suit au paragraphe 8 de leur exposé des faits et du droit:
[TRADUCTION] 8. Il est respectueusement soumis que, ainsi qu'il a été allégué, la demande se situe sur le plan délictuel et que la cause d'action ne trouve pas son fondement dans les «lois du Canada»» ni dans le «droit fédéral». L'action fait essentielle- ment valoir que les intimés ont privé l'appelant de sa liberté sans que la loi les y autorise. Dans les actions pour arrestation illégale ou emprisonnement arbitraire, le demandeur n'a pas à alléguer dans la déclaration que l'arrestation était illégale ou l'emprisonnement arbitraire étant donné qu'il incombe au défendeur de prouver que l'arrestation ou l'emprisonnement était légal. Comme le rapport, s'il en est, établi par le droit fédéral entre le demandeur et les intimés n'est pas essentiel à sa
cause d'action à leur égard, la présente action n'est donc pas fondée sur le droit fédéral ou les lois du Canada et ne peut donc pas être engagée devant la Cour fédérale.
En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec cette qualification des allégations de l'appelant. Le fait est que, après avoir été condamné par un tribunal compétent à une peine d'emprisonnement, l'appelant a perdu durant cette peine le droit à la liberté que lui accorde la common law. La liberté dont il jouissait au moment de sa prétendue arres- tation illégale et de son prétendu emprisonnement arbitraire prend sa source dans le droit fédéral. Les dispositions législatives pertinentes sont le paragraphe 24(1) de la Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, chap. P-6 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41)] et le paragraphe 10(1), l'article 12 et les paragraphes 15(1) et (2) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus [S.R.C. 1970, chap. P-2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28)]:
24. (1) Sous réserve de l'article 24.2, chaque prisonnier bénéficie de quinze jours de réduction de peine pour chaque mois, et d'un nombre de jours calculés au prorata pour chaque partie de mois, passés à s'adonner assidûment, comme le pré- voient les règles établies à cet effet par le commissaire, au programme du pénitencier il est emprisonné.
10. (1) La Commission peut
b) imposer toutes modalités qu'elle juge opportunes concer- nant un détenu qui est assujetti à une surveillance obligatoire;
12. Lorsque
a) la Commission octroie la libération conditionnelle à un détenu, ou que
b) un détenu est libéré de prison mais demeure assujetti à une surveillance obligatoire,
la Commission doit délivrer un certificat de libération condi- tionnelle ou un certificat de surveillance obligatoire, sous le sceau de la Commission et dans les formes prescrites par elle, et la Commission doit faire remettre le certificat au détenu et une copie de ce certificat doit être remise le cas échéant, au surveillant de liberté conditionnelle du détenu.
15. (1) Par dérogation à toute autre loi, le détenu remis en liberté avant l'expiration de sa sentence prévue par la loi, uniquement par suite d'une réduction de peine supérieure à soixante jours, y compris une réduction méritée, doit être assujetti à une surveillance obligatoire dès sa mise en liberté, et pendant tout le temps que dure cette réduction.
(2) L'alinéa 10(1)e), l'article 11, l'article 13 et les articles 16 à 21 s'appliquent à un détenu qui est assujetti à la surveillance
obligatoire comme s'il était un détenu à liberté conditionnelle en libération conditionnelle et comme si les modalités de sa surveillance obligatoire étaient des modalités de sa libération conditionnelle.
Il est évident que, aussi longtemps que l'appe- lant satisfaisait aux conditions de sa surveillance obligatoire, il avait le droit de jouir d'une certaine liberté. Dans l'arrêt Truscott v. Director of Moun tain Institution et al. (1983), 147 D.L.R. (3d) 741, le juge d'appel Seaton a, au nom d'une majorité de juges de la Cour d'appel de la Colombie-Britanni- que, défini cette liberté dans les termes suivants, aux pages 744 et 745:
[TRADUCTION] Avant cette loi, la pratique consistait pour un prisonnier à demeurer en prison jusqu'à une certaine date, pour alors être libéré. Il passait de l'absence de liberté, c'est-à-dire l'emprisonnement, à la liberté totale. Ce système ne fonction- nait pas très bien; les gens ne pouvaient pas s'adapter au passage de l'absence de liberté à la liberté totale, et des rapports présentés au Parlement ont laissé entendre que ce passage brusque n'était pas souhaitable; aussi la surveillance obligatoire a-t-elle été instituée. De la sorte, il y aurait une période de liberté partielle pour faciliter l'adaptation à la liberté totale après la privation de liberté. La période choisie a été celle de la réduction de peine, qui était avant une période de liberté totale; elle doit désormais être une période de liberté partielle à l'extérieur de la prison, mais sous surveillance. Cette période de réduction de peine est, au moins en partie, méritée, conformément à l'art. 24 de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6. La loi envisage à titre de punition la déchéance possible de la réduction méritée; voir de nouveau l'art. 24.1 de la Loi sur les pénitenciers. Il me semble que la réduction de peine est un droit, si vous voulez, et personne n'a le pouvoir de l'accorder ou de le retirer sauf de la façon prévue par la loi.
Cette décision a été approuvée par la Cour suprême du Canada lorsque, de fait, elle a jugé illégale la pratique dite du «blocage» sur laquelle la présente action est fondée (R. c. Moore; Oag c. La
Reine et autres, [1983] 1 R.C.S. 658, la page 659).
Il en résulte donc, pour utiliser l'expression du juge en chef Laskin dans l'affaire Rhine et Pry- tula, «un cadre législatif détaillé» de droit fédéral en vertu duquel l'appelant a acquis non seulement le droit d'être libre mais également celui de le rester. Il faut souligner que, comme il restait sous l'effet d'une condamnation, la liberté dont il jouis- sait n'était pas la même que celle que possède une personne qui ne fait pas l'objet d'une condamna- tion. Ses limites étaient fixées par des lois fédéra- les. S'il y a eu arrestation illégale et emprisonne- ment arbitraire comme il a été allégué, ces délits
ont été commis parce qu'on a porté atteinte au droit de l'appelant, ainsi délimité, de rester libre. Je ne crois pas que la loi ait à prévoir expressément un recours à l'égard d'une telle atteinte pour que les demandes soient régies par elle. L'existence de ces délits, à mon avis, repose sur le droit fédéral; les dommages-intérêts qui résultent de la perpétra- tion de ces délits prouvables peuvent être recouvrés en Division de première instance. J'en suis arrivé à la conclusion que les demandes sont prévues dans les «lois du Canada» ou le «droit fédéral».
Dans un arrêt très récent, ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, la Cour suprême du Canada a établi un triple critère pour déterminer la compétence éventuelle de la Division de pre- mière instance. Le juge McIntyre l'a exposé comme suit en s'exprimant au nom de la Cour, à la page 766:
L'étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières années. Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Cana- dien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et dans l'arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, on a établi les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions sont les suivantes:
1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada. au sens cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Ainsi que je l'ai déjà indiqué, la deuxième exigence est respectée en l'espèce. J'estime qu'on a satisfait également à la troisième exigence parce que l'en- semble des règles de droit fédérales qui est applica ble relève de la compétence législative du Parle- ment en matière de «droit criminel» prévue au paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] et de sa compétence analogue en matière «[d']établisse- ment, [de] maintien, et [d']administration des pénitenciers» prévue au paragraphe 91(28) de cette Loi.
La seule autre question est de savoir si en l'es- pèce il y a «attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral» afin de répondre à la pre- mière exigence. À mon avis, on trouve une telle attribution de compétence à l'alinéa 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10:
17....
(4) La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance
b) dans les procédures dans lesquelles on cherche à obtenir un redressement contre une personne en raison d'un acte ou d'une omission de cette dernière dans l'exercice de ses fonc- tions à titre de fonctionnaire ou préposé de la Couronne.
Bien que le mot «fonctionnaire» ne soit pas défini par cette Loi, on s'est appuyé sur la définition de «fonctionnaire public» prévue à l'article 2 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23:
2. (1) ...
«fonctionnaire public» comprend toute personne dans la fonc-
tion publique du Canada
a) autorisée par un texte législatif ou sous son régime à accomplir un acte ou une chose ou à en assurer l'accomplisse- ment, ou à exercer un pouvoir, ou
b) à qui un devoir est imposé par un texte législatif ou sous son régime;
Je ne crois pas qu'il faille trancher ce point de façon définitive, car on a présenté devant la Cour aucun élément de preuve qui établisse les fonctions des deux particuliers intimés. Vu cette absence de preuve, les parties veulent bien considérer chacun des intimés comme un «fonctionnaire» de la Com mission des libérations conditionnelles pour les fins du présent appel. Sur ce fondement, je suis con- vaincu que l'alinéa 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale confère effectivement compétence à la Division de première instance pour connaître des poursuites engagées contre les particuliers intimés en l'espèce. Je ne vois aucune raison de donner une interprétation plus étroite au libellé de cet alinéa.
J'accueillerais donc l'appel avec dépens. Le paragraphe 1 de l'ordonnance ci-dessous serait modifié en conséquence et de façon à se lire comme suit:
1. LA COUR STATUE que la déclaration est radiée en ce qui concerne les défendeurs la Commission nationale des libéra- tions conditionnelles, Keith Wright, Norman J. Fagnou et Robert Benner et que l'action intentée contre eux est rejetée, l'intitulé de la cause devant être modifié en conséquence, le tout sans dépens.
Je confirmerais ladite ordonnance sous tous les autres rapports.
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Je souscris aux présents motifs.
LE JUGE HEALD: Je souscris aux présents motifs.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.