A-587-86
Compagnie de fiducie régionale (appelante)
c.
Surintendant des assurances (intimé)
RÉPERTORIÉ: CIE DE FIDUCIE RÉGIONALE c. CANADA (SURIN-
TENDANT DES ASSURANCES)
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et Stone—
Ottawa, 18 décembre 1986 et 19 janvier 1987.
Assurance — Estimation annuelle des éléments d'actif des
compagnies fiduciaires — Il s'agit de savoir s'il était correct
de faire entrer dans la catégorie des «éléments d'actif non
admis» la fraction différée des pertes subies à l'occasion
d'opérations sur le marché à terme des titres financiers con-
clues dans le cadre d'un programme d'opérations de couver-
ture — Le surintendant n'a pas exercé adéquatement son
pouvoir discrétionnaire en appliquant des pratiques existantes
de façon automatique et en refusant de tenir compte du
bien-fondé de la question — Loi sur les compagnies fiduciai-
res, S.R.C. 1970, chap. T-16, art. 63 (mod. par S.R.C. 1970
(1" Supp.), chap. 47, art. 22), 64 (mod., idem, art. 24; 1985,
chap. 16, art. 16), 68 (mod. par S.R.C. 1970 (1e' Supp.), chap.
47, art. 25; 1976-77, chap. 28, art. 45; 1985, chap. 16, art. 17),
72(1),(2), 74(1),(5), 76c), 78(1) (mod. par S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 64(2)), (2) — Loi des Compagnies
fiduciaires, 1914, S.C. 1914, chap. 55, art. 69 — Loi modifiant
la Loi des Compagnies fiduciaires, 1914, S.C. 1919-1920,
chap. 21 — Loi modifiant la Loi des Compagnies fiduciaires,
1914, S.C. 1922, chap. 51, art. 6.
Pratique — Rôle des assesseurs nommés par la Cour pour
l'aider dans l'audition des causes portant sur des questions
techniques — Ce rôle ne se limite pas à expliquer des termes
techniques, mais les assesseurs ne devraient pas témoigner ou
exprimer une opinion sur les questions que la Cour doit
trancher — Ils sont là pour aider la Cour à comprendre les
conséquences et le sens des éléments de preuve d'ordre techni
que ou à tirer les bonnes conclusions des faits établis en preuve
— Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
492(1).
En 1984, la compagnie de fiducie appelante a mis en oeuvre
un programme d'opérations de couverture comportant des opé-
rations sur le marché à terme des titres financiers pour se
couvrir contre les risques afférents à une fluctuation des taux
d'intérêt résultant d'éléments d'actif (prêts hypothécaires à
taux fixe, à échéance fixe allant jusqu'à cinq ans) et de dettes
(dépôts à court terme ou à vue). En 1985, par l'application de
méthodes comptables généralement reconnues, l'appelante a
différé une perte en résultant de 306 501 $ en l'amortissant sur
la durée des prêts hypothécaires et en la déclarant sous la
rubrique «Autres éléments d'actifs» dans son état annuel pour
l'année 1985 au département des Assurances. Par une décision
rendue en vertu de l'alinéa 76c) de la Loi, le surintendant des
Assurances, estimant que la perte résultant de l'opération de
couverture visait à protéger l'appelante contre les effets de la
fluctuation des taux d'intérêt sur la composition entière de
l'actif et du passif, a refusé de la faire entrer dans les «Autres
éléments d'actifs» et l'a incluse plutôt dans les «Éléments d'actif
non admis», ce qui a donc eu des répercussions défavorables sur
l'assiette d'emprunt de la compagnie. Le surintendant a fondé
sa décision sur la pratique qui a cours depuis longtemps au
Département et qui consiste à déduire de l'actif des compagnies
fiduciaires et des compagnies de prêt les éléments d'actif d'une
valeur de réalisation peu élevée, pour établir leur assiette
d'emprunt. Il s'est fondé également sur la nécessité de traiter de
la même façon les gains réalisés et les pertes subies à l'occasion
d'opérations de couverture. Il s'agit d'un appel interjeté à
l'encontre de cette décision.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Quoique l'alinéa 76c) confère un vaste pouvoir discrétion-
naire, la décision ne peut tenir car elle est fondée sur des
considérations non pertinentes et sur de soi-disant pratiques du
département qui ont été appliquées sans égard au fond de
l'espèce. Une fonction exercée conformément à un vaste pou-
voir légal doit l'être de façon raisonnable. Il n'est pas raisonna-
ble de s'appuyer sur une pratique établie depuis longtemps,
lorsqu'elle ne se rapporte pas particulièrement à la détermina-
tion des répercussions des pertes différées sur les éléments
d'actif qui s'y rattachent. Il n'est pas plus raisonnable de
s'appuyer sur l'«obligation de respecter la logique» sans égard
au bien-fondé de la position de l'appelante.
Bien que le surintendant ne fût pas tenu de trancher la
question en se fondant seulement sur des méthodes comptables
généralement reconnues, il devait exercer ses pouvoirs de façon
équitable en examinant la question sous tous ses angles nou-
veaux, en tenant compte des méthodes susmentionnées et d'au-
tres considérations pertinentes.
Quoique le rôle de l'assesseur, à qui l'on demande de venir en
aide à la Cour conformément à la Règle 492(1), ne se limite
pas à expliquer des termes techniques, il ne devrait pas témoi-
gner ou exprimer une opinion sur les questions que la Cour doit
trancher. Son rôle consiste à aider la Cour à comprendre les
conséquences et le sens des éléments de preuve d'ordre techni
que versés au dossier ou à tirer les bonnes conclusions des faits
établis en preuve. Les assesseurs donnent des avis et les juges
sont libres de les suivre ou non. Ces avis devraient être obtenus
en soumettant des questions par écrit à l'assesseur, qui y
répondrait aussi par écrit.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Richardson v. Redpath, Brown & Co., [1944] A.C. 62
(H.L.); «Sun Diamond» (Les propriétaires du navire) c.
Le navire «Erawan» et autre (1975), 55 D.L.R. (3d) 138
(C.F. lte inst.); Australia (S.S.) v. Nautilus (S.S.),
[1927] A.C. 145 (H.L.); Melanie (S.S.) v. San Onofre
(No. 1) (S.S.), [1927] A.C. 162 (H.L.); The «Miraflores»
and the «Abadesa», [1966] 1 Lloyd's Rep. 97 (Eng.
C.A.); «Kathy K» (Le) c. La succession Stein, [1974] 1
C.F. 657 (C.A.); Roberts v. Hopwood, [1925] A.C. 578
(H.L.); Société de droits d'exécution du Canada Limitée
c. Société Radio-Canada (1986), 64 N.R. 330; 7 C.P.R.
(3d) 433; Associated Provincial Picture Houses, Ld. v.
Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 223 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Sun Life Assce Co., [1927] 4 D.L.R. 287 (C. de l'É.);
Discount & Loan Corp. v. Superintendent of Insurance,
[1938] 4 D.L.R. 225 (C. de l'E.); Montreal Life Insu
rance Company v. Superintendent of Insurance, jugement
en date du 13 août 1943, Cour de l'Echiquier, non publié.
AVOCATS:
Brian G. McLean pour l'appelante.
Derek H. Aylen, c.r. et Joseph C. de Pencier
pour l'intimé.
PROCUREURS:
Edwards, Kenny & Bray, Vancouver, pour
l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le directeur général a choisi de publier les
motifs du jugement en version abrégée. La partie
supprimée porte sur des questions d'ordre techni
que au sujet desquelles on a demandé l'aide de,
l'assesseur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Par décision rendue conformé-
ment à l'alinéa 76c) de la Loi sur les compagnies
fiduciaires, S.R.C. 1970, chap. T-16 et ses modifi
cations, le surintendant des Assurances a considéré
la fraction différée de certaines pertes subies par
l'appelante au cours de son année financière 1985
comme étant des [TRADUCTION] «Éléments d'actif
non admis», portant de la sorte préjudice à son
assiette d'emprunt. Les pertes ont été subies en
clôturant des opérations sur le marché à terme des
titres financiers. L'appelante a cherché à inclure
cette fraction dans les [TRADUCTION] «Autres élé-
ments d'actif» à titre de [TRADUCTION] «Perte
différée sur des contrats à terme» et l'a déclarée
ainsi dans son état annuel pour l'année 1985 (For-
mule INS -33) au département des Assurances. Le
paragraphe 72(1) exige le dépôt de cet état au
département des Assurances. Ce doit être un «état
exposant la situation et les affaires de la compa-
gnie ... indiquant l'actif et le passif ainsi que [le]
revenu et [les] dépenses au cours de l'année» et il
peut contenir d'autres renseignements exigés par le
ministre des Finances. L'état doit être dressé selon
la formule déterminée par le ministre, conformé-
ment au paragraphe 72(2).
L'alinéa 76c) de la Loi est ainsi libellé:
76. Dans son rapport annuel préparé pour le Ministre en
vertu de l'article 74, le surintendant doit
c) être libre d'accroître ou de diminuer l'actif ou le passif de
ces compagnies jusqu'à concurrence des montants précis et
exacts de ces passif et actif tels qu'ils sont déterminés par lui
dans l'examen de leurs affaires à leur siège social, ou
autrement.
Le présent appel a été interjeté en vertu du para-
graphe 78(1) de la Loi [mod. par S.R.C. 1970
(2 e Supp.), chap. 10, art. 64(2)]:
78. (1) De la décision du surintendant quant à l'admissibilité
d'un actif qu'il a répudié, ou quant à tout article ou montant
ainsi ajouté au passif, ou quant à toute correction ou modifica
tion faite dans un relevé, ou quant à toute autre matière
provenant de la mise à exécution de la présente loi, il peut être
interjeté appel, d'une manière sommaire, à la Cour fédérale du
Canada, lequel tribunal est autorisé à faire tous les règlements
nécessaires pour la conduite des appels prévus au présent
article.
Le paragraphe 74(1) impose au surintendant
d'«examiner avec soin les états de la situation et
des affaires de chaque compagnie et [de] présenter
à ce sujet un rapport au Ministre sur toutes les
affaires requérant l'attention et la décision de ce
dernier». Selon le paragraphe 74(5), il doit prépa-
rer «un rapport annuel destiné au Ministre, et
indiquant les détails complets des affaires de
chaque compagnie».
Pour les fins d'un appel, le surintendant est tenu,
en vertu du paragraphe 78(2), d'émettre un certifi-
cat «énonçant la décision dont il est interjeté appel
et les raisons en l'espèce». Après s'être reporté à
l'article 72 et avoir cité l'alinéa 76c) de la Loi, le
surintendant a déclaré dans son certificat:
[TRADUCTION] 4. Dans l'état annuel de la Compagnie de
fiducie régionale pour l'année se terminant le 31 décembre
1985, figure à la ligne 09 de la page 02 sous la rubrique «Autres
éléments d'actif» le montant de 414 402 $. Un renvoi à la PIÈCE
11 la ligne 03 de la page 28 de l'état annuel indique que, sur
ce dernier montant, la somme de 306 501 $ est inscrite sous la
rubrique «Perte différée sur des contrats à terme». Le surinten-
dant des Assurances juge que ces montants inscrits dans la
catégorie «Perte différée sur des contrats à terme» constituent
vraiment des «Éléments d'actif non admis» et doivent être
inscrits à la page 28 dudit état annuel numéro INs-33, de la
ligne 19 la ligne 24, et être déduits de l'actif de la compagnie
à la ligne 26 de la page 02 dudit état.
Le département des Assurances a depuis longtemps pour prati-
que de déduire de l'actif d'une compagnie fiduciaire ou d'une
compagnie de prêt les éléments d'actif d'une valeur de réalisa-
tion peu élevée, pour établir l'assiette d'emprunt de ces compa-
gnies. En outre, les gains et les pertes en capital relatifs à des
titres d'emprunt ne sont pas, en pratique, amortis à l'égard des
compagnies soumises à la Loi sur les compagnies fiduciaires ou
à la Loi sur les compagnies de prêt. La logique exige que les
gains réalisés et les pertes subies à l'occasion d'opérations de
couverture soient traités de la même façon.
La page 28 de l'état annuel se compose de la Pièce
11 intitulée [TRADUCTION] «Détails des autres'
éléments d'actif et des éléments d'actif non admis».
En haut de la page figurent les mots suivants entre
parenthèses: [TRADUCTION] «Dans le cas des com-
pagnies sous surveillance fédérale, les postes 9 à 12
et les éléments d'actif similaires d'une valeur de
réalisation peu élevée doivent être classifiés comme
des éléments d'actif non admis ...» La page 2 de
l'état annuel est réservée à l'énumération des
[TRADUCTION] «Éléments d'actif» (à leur valeur
comptable) et la ligne 26 de cette page exige de la
compagnie qui présente son rapport de [TRADUC-
TION] «Déduire les éléments d'actif non admis».
L'appelante a inclus le montant de 306 501 $
(qu'elle a inscrit à la ligne 03 de la page 28 titre
de «Perte différée sur des contrats à terme») dans
le montant de 414 402 $ inscrit à la ligne 09 de la
page 2 dans la catégorie [TRADUCTION] «Autres
éléments d'actif».
Fondamentalement, la situation apparaît ainsi.
D'autres faits aideront à mettre les choses dans
une meilleure perspective. Ils sont tirés du dossier,
qui comprend principalement la correspondance
échangée par l'appelante et le département des
Assurances, des notes de service des deux parties
et l'état annuel. Ils ne sont pas contestés. Les
opérations sur le marché à terme des titres finan
ciers à des fins de couverture constituent pour une
compagnie fiduciaire une activité que le départe-
ment des Assurances reconnaît comme raisonna-
blement liée à ses pouvoirs particuliers en matière
d'investissement. En 1984, l'appelante a mis en
oeuvre un programme d'opérations de couverture
comportant des opérations sur le marché à terme
des titres financiers pour se couvrir contre les
risques afférents à une fluctuation des taux d'inté-
rêt résultant d'éléments d'actif (prêts hypothécai-
res à taux fixe, à échéance fixe allant jusqu'à cinq
ans) et de dettes (dépôts à court terme ou à vue) à
échéances non correspondantes. Les opérations
avaient pour but de couvrir ou de protéger l'appe-
lante contre les baisses de revenu que pouvaient
entraîner des fluctuations des taux d'intérêt, et de
stabiliser ainsi son revenu net d'intérêts à venir.
Entre le 6 et le 8 mars 1985, l'appelante a établi
une position à découvert consistant en 90 opéra-
tions à terme portant sur des bons du trésor cana-
diens pour la livraison de juin. Les dernières opéra-
tions de cette position ont été clôturées en juin de
cette année-là. Ces opérations, une fois terminées,
ont donné lieu à une perte d'environ 725 000 $.
L'appelante a différé ces gains et ces pertes de
couverture en les amortissant sur la durée des prêts
hypothécaires. À la fin de son année financière
1985, un montant de 306 501 $ des pertes de cou-
verture a été ainsi différé comme le veulent les
méthodes comptables généralement reconnues et a
été déclaré dans l'état annuel pour l'année 1985 de
la façon mentionnée ci-dessus. Les opérations ont
été admises par le Département comme opérations
de couverture et non pas comme spéculations. Il y
a eu désaccord, toutefois, sur le but de l'opération
de couverture. L'appelante prétend que les prêts
hypothécaires étaient les éléments d'actif couverts
tandis que l'intimé avance que l'opération de cou-
verture visait à protéger l'appelante contre les
effets de la fluctuation des taux d'intérêt sur la
composition entière de l'actif et du passif. Je
reviendrai à cette question tout à l'heure.
Je dois trancher d'abord une question prélimi-
naire soulevée par l'intimé. La Règle 492(1)
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]
permet à la Cour de «demander l'aide d'un ou
plusieurs assesseurs spécialement qualifiés, et
[d']entendre et juger une question, en tout ou en
partie, avec l'aide de ce ou ces assesseurs». Le 16
octobre 1986, en donnant des directives, la Cour a
fait remarquer qu'«en l'espèce un ou des experts lui
seraient utiles». Comme la date d'audition de l'ap-
pel approchait, Peter J. Speer, un des associés du
cabinet canadien de comptables agréés Coopers &
Lybrand, a été désigné comme assesseur lorsqu'il
est devenu évident qu'aucun des deux autres comp-
tables agréés désignés auparavant comme asses-
seurs ne pourrait être présent à l'audience. L'audi-
tion de l'affaire a été fixée au 18 décembre, et une
copie du dossier a été remise à l'assesseur. Il a
assisté à toute l'audience.
Dans ses observations écrites, l'intimé a soutenu
que le rôle de l'assesseur devrait se limiter à
[TRADUCTION] «n'expliquer que des termes tech-
niques» et également qu'il ne devrait pas témoigner
ou exprimer une opinion sur les questions que la
Cour doit trancher. Je souscris à cette dernière
proposition. Nous devons disposer de l'appel selon
les éléments de preuve présentés devant nous, et
seule la Cour tranche les questions. Je ne suis
cependant pas d'accord que le rôle de l'assesseur
doive se limiter à expliquer des termes techniques.
En effet, dans sa plaidoirie, l'avocat de l'intimé a
reconnu à l'assesseur un rôle plus large en invo-
quant une décision rendue par la Chambre des
lords dans l'affaire Richardson v. Redpath, Brown
& Co., [ 1944] A.C. 62, dans laquelle le vicomte
Simon, qui était grand chancelier, a examiné dans
les termes suivants, aux pages 70 et 71, les fonc-
tions de l'assesseur dans un procès:
[TRADUCTION] Messieurs, je me rends bien compte que si
Vos Seigneuries partagent l'avis que j'exprime ici la Chambre
condamnera une pratique qui, nous dit-on, ces dernières années,
est devenue presque universelle dans les cours de comté en
matière d'accidents du travail comportant une question d'ordre
médical. Dans ce type d'affaires, nous dit-on, l'assesseur médi-
cal, assez souvent, examine le travailleur et remet un rapport
d'expert au juge. On se méprendrait toutefois, sur le véritable
rôle de l'assesseur si l'on considérait l'assesseur médical, ou
même n'importe quel assesseur, comme un témoin non asser-
menté, jouissant de la confiance particulière du juge, dont les
parties ne pourraient pas contester les dires au moyen d'un
contre-interrogatoire ni ne pourraient peut-être les évaluer
pleinement jusqu'à ce que le jugement soit rendu. Il s'agit d'un
expert que le juge peut consulter s'il a besoin d'aide pour
comprendre les conséquences et le sens de dépositions d'ordre
technique. Il peut, au besoin, suggérer au juge des questions
que ce dernier pourrait poser à un témoin-expert dans le but de
vérifier le point de vue du témoin ou de clarifier le sens de sa
déposition. Le juge peut le consulter au besoin sur les conclu
sions techniques pouvant découler de faits établis ou sur la
nature des divergences apparentes survenues entre les experts
dans le domaine. Dans Hall v. British Oil and Cake Mills, Ld.,
(23 B.W.C.C. 529, 533), le lord juge Scrutton, dans plusieurs
passages de son jugement, considère les réponses d'un assesseur
médical aux questions du juge comme des «Dépositions» et, sans
faire de réserves, relate même «le témoignage sur les faits»
donné par un assesseur médical ou un assesseur nautique.
Toutefois, je ne peux pas admettre que cela entre dans le rôle
légitime d'un assesseur. Le jugement du comte Loreburn dans
Woods v. Thomas Wilson, Sons & Co., Ld. (8 B.W.C.C. 288,
229), attribue à l'assesseur médical le rôle le plus grand que
l'on puisse avec justesse lui attribuer. Dans cette affaire-là, lord
Parmoor (à la page 311) décrit avec à-propos le rôle de
l'assesseur médical: «non pas rendre témoignage, mais aider le
juge ou l'arbitre à comprendre les dépositions des experts
médicaux», et lord Parker a souscrit à cet avis. Il semble
souhaitable, dans les affaires où l'avis, correctement circonscrit,
de l'assesseur modifiera probablement les conclusions du juge,
que ce dernier fasse connaître aux parties au litige la nature de
l'avis qu'il a reçu. Toutefois, je propose à la Chambre de poser
définitivement la règle selon laquelle l'assesseur médical à ce
titre n'a pas pour rôle d'examiner personnellement l'ouvrier ni
de faire rapport au juge sur les résultats de cet examen et sur
les conclusions qu'il en a tirées. (C'est moi qui souligne.)
Ces vues ont été adoptées par le juge Collier dans
l'arrêt «Sun Diamond» (Les propriétaires du
navire) c. Le navire «Erawan» et autre (1975), 55
D.L.R. (3d) 138 (C.F. 1" inst.), aux pages 145 et
146. L'affaire Richardson différait de l'espèce en
ce qu'elle concernait le rôle approprié d'un asses-
seur dans un procès. Cela dit, j'admets que le
principe énoncé s'applique aussi en l'espèce. À
mon avis, l'assesseur peut, à notre demande, nous
aider à comprendre les conséquences et le sens des
éléments de preuve d'ordre technique versés au
dossier ou à tirer les bonnes conclusions des faits
établis en preuve. J'adopte également l'opinion
exprimée par lord Sumner dans Australia (S.S.) v.
Nautilus (S.S.), [1927] A.C. 145 (H.L.), à la page
152, et selon laquelle [TRADUCTION] «les asses-
seurs ne font que donner des avis et les juges ne
sont pas tenus de les suivre».
J'estime également que ces avis devraient être
obtenus en soumettant des questions par écrit à
l'assesseur, qui y répondrait aussi par écrit. Cette
façon de procéder en appel a été approuvée en
1919 par la Chambre des lords dans l'arrêt Mela-
nie (S.S.) v. San Onofre (N° 1) (S.S.), [1927] A.C.
162, la page 164, dans lequel lord Birkenhead,
qui était grand chancelier, a déclaré:
[TRADUCTION] En première instance, les consultations entre le
tribunal et ses assesseurs seront, naturellement et utilement,
informelles et fréquentes, et il me répugnerait de proposer des
limites artificielles à leur tenue. Mais à la Cour d'appel, où les
questions sont ou doivent être clairement définies, il convien-
drait, je crois, que les avis des assesseurs soient obtenus au
moyen de questions présentées par écrit.
C'est devenu une pratique bien établie en Cour
d'appel d'Angleterre de soumettre les questions et
de fournir les réponses par écrit (voir par exemple
The «Miraflores» and the «Abadesa», [ 1966] 1
Lloyd's Rep. 97, la page 101). Nous semblons
avoir adopté la même pratique (voir par exemple
«Kathy K» (Le) c. La succession Stein, [ 1974] 1
C.F. 657 (C.A.), aux pages 677, 680 et 681). En
l'espèce, après audition des deux parties sur le
fond, quatre questions ont été formulées et leur
libellé a été examiné avec les parties avant d'être
rédigé dans sa version finale et présenté à l'asses-
seur afin d'obtenir son opinion. La Cour a différé
son jugement. Le greffe a transmis à chacune des
parties une copie des réponses dès après leur dépôt,
leur faisant ainsi connaître promptement l'avis de
l'assesseur.
Il ne fait aucun doute que l'alinéa 76c) confère
un vaste pouvoir discrétionnaire, qu'il importe
d'interpréter correctement pour en établir les limi-
tes précises. L'appelante soutient que la décision
portée en appel ne peut être confirmée parce
qu'elle est fondée sur des considérations non perti-
nentes et également sur de soi-disant pratiques du
département des Assurances qui ont été appliquées
sans égard au fond de l'espèce. Elle prétend égale-
ment, d'une part, que le surintendant aurait dû
examiner soigneusement s'il fallait en général et
notamment dans ce cas particulier, en application
de méthodes comptables saines et généralement
reconnues, différer et amortir les gains et les pertes
résultant des opérations de couverture, et d'autre
part, l'appelante a affirmé que le surintendant
aurait dû donner des motifs mûrement réfléchis à
cet égard. Enfin, elle avance que le surintendant a
agi arbitrairement, de façon irrationnelle et sans
égard aux éléments de preuve ou aux remarques
qui lui ont été présentés et que sa décision est
erronée, va à l'encontre des éléments de preuve et
est déraisonnable. Je traiterai de ces allégations
dans l'ordre précité.
Les «considérations non pertinentes» invoquées
figurent au paragraphe 4 du certificat du surinten-
dant. On y dit qu'il importe peu que le Départe-
ment ait depuis longtemps [TRADUCTION] «pour
pratique de déduire de l'actif d'une compagnie
fiduciaire ou d'une compagnie de prêt les éléments
d'actif d'une valeur de réalisation peu élevée, pour
établir l'assiette d'emprunt de ces compagnies» car
cette pratique ne tient nullement compte du fait
que les gains et les pertes en question font partie
intégrante d'un programme de couverture visant à
stabiliser le revenu net d'intérêts à venir. Les
«montants précis et exacts» des éléments d'actif ne
peuvent être dûment vérifiés que dans le contexte
de l'objectif et du rôle de ce programme. La baisse
des taux d'intérêt a entraîné des pertes et égale-
ment des gains correspondants en ce qui concerne
la valeur des prêts hypothécaires. On soutient que
le surintendant aurait dû considérer l'ensemble de
la situation découlant de l'opération de couverture
et prendre sa décision en conséquence, mais qu'il
ne l'a pas fait.
Une autre soi-disant «considération non perti-
nente» est fondée sur les déclarations du surinten-
dant selon lesquelles premièrement [TRADUCTION]
«les gains et les pertes en capital relatifs à des
titres d'emprunt ne sont pas, en pratique, amortis à
l'égard des compagnies soumises à la Loi sur les
compagnies fiduciaires ou à la Loi sur les compa-
gnies de prêt», et deuxièmement «la logique exige
que les gains réalisés et les pertes subies à l'occa-
sion d'opérations de couverture soient traités de la
même façon». Cela également, dit-on, ne tient pas
compte de la nature d'un programme de couver-
ture et des répercussions d'une baisse des taux
d'intérêt sur la valeur des prêts hypothécaires. La
position adoptée par le surintendant, soutient-on,
équivaut à appliquer des pratiques existantes et à
refuser de décider la question compte tenu du
fond.
Ce soi-disant refus est à la base de la troisième
objection principale. Le surintendant, allègue-t-on,
aurait dû déterminer si, en général et dans ce cas
particulier, il fallait, suivant des méthodes compta-
bles valables et généralement reconnues, différer et
amortir les gains et les pertes résultant d'opéra-
tions de couverture. On affirme qu'il n'a pas tenu
compte des éléments de preuve militant en faveur
de cette approche. Deux éléments de preuve en
particulier ont été invoqués. Le premier consiste en
un document publié en août 1984 par The Finan
cial Accounting Standards Board of the Financial
Accounting Foundation des États-Unis. Il s'inti-
tule «Statement of Financial Accounting Stan
dards No. 80, Accounting for Futures Contracts»
et est désigné simplement sous le titre «FASB No.
80». Le second élément de preuve est le Reporting
Guide, qui a été rédigé subséquemment à l'inten-
tion du Toronto Futures Exchange par la firme
Clarkson Gordon, un cabinet canadien de compta-.
bles agréés. Il s'intitule «Interest Rate Futures in
Canada, a Reporting Guide».
Les allégations de l'appelante relativement à la
soi-disant attitude arbitraire et irrationnelle du
surintendant et au caractère erroné, contraire à la
preuve et déraisonnable de sa décision semblent
découler de l'admission des objections principales
signalées ci-dessus. Dans les circonstances, il suf-
fira de traiter de ces objections particulières. La
validité de la décision du surintendant doit naturel-
lement reposer sur le respect des limites du pouvoir
discrétionnaire conféré par l'alinéa 76c) et sur son
exercice régulier. C'est la question juridique fon-
damentale soulevée par le présent appel. Il importe
en même temps d'évaluer la portée réelle des rai-
sons sur lesquelles se fonde la décision.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
La Cour a accepté l'avis de l'assesseur selon
lequel les opérations sur le marché à terme des
titres financiers ont été effectuées afin de proté-
ger l'appelante contre les effets de la fluctuation
des taux d'intérêt eu égard aux ensembles parti-
culiers d'éléments d'actif et de passif et selon
lequel également les pertes différées avaient une
valeur réelle de réalisation au moment de la liqui
dation lorsque l'on tient compte aussi de la valeur
comptable de l'actif et du passif couverts qui s'y
rattachent. A également été accepté l'avis selon
lequel il ne serait pas approprié d'ajouter à l'as-
siette d'emprunt le montant de tout gain différé
non amorti. En dernier lieu, l'assesseur souligne
que, dans le cas d'une compagnie fiduciaire, les
gains en capital réalisés et les pertes en capital
subies ne devraient pas être différés mais
devraient plutôt se reconnaître immédiatement
dans les résultats des opérations. Les réponses
fournies par l'assesseur aux questions posées
par la Cour étaient fondées sur des méthodes
comptables généralement reconnues. La Cour a
déduit que, selon l'assesseur, la Compagnie de
fiducie régionale avait eu raison de différer la
fraction des pertes différées et de l'amortir sur la
durée des prêts hypothécaires.
Enfin, j'en viens aux questions juridiques qui se
posent à la Cour à l'occasion du présent appel.
D'abord, la question est de savoir si, en prenant sa
décision, le surintendant n'a pas outrepassé les
pouvoirs que lui confère l'alinéa 76c). Une ques
tion connexe est de savoir s'il a commis une erreur
en appliquant aux pertes la pratique selon laquelle
les éléments d'actif d'une valeur de réalisation peu
élevée doivent être déduits, et aussi en leur appli-
quant la pratique consistant à ne pas amortir les
gains réalisés ou les pertes subies sur des titres
d'emprunt de compagnies fiduciaires et de compa-
gnies de prêt. Une autre question connexe est de
savoir si le surintendant aurait dû traiter de la
question au fond.
L'obligation pour les compagnies fiduciaires de
faire connaître chaque année au gouvernement
leur actif et leur passif a été instaurée en 1914 en
vertu de l'article 69 de la loi qui était alors en
vigueur (la Loi des Compagnies fiduciaires, 1914,
S.C. 1914, chap. 55). En 1920, le Parlement a
imposé au surintendant l'obligation d'examiner les
affaires des compagnies fiduciaires et de présenter
à cet égard un rapport annuel au ministre des
Finances (Loi modifiant la Loi des Compagnies
fiduciaires, 1914, S.C. 1919-1920, chap. 21). Les
pouvoirs actuellement prévus à l'alinéa 76c) ont
d'abord été conférés au surintendant en 1922 (Loi
modifiant la Loi des Compagnies fiduciaires,
1914, S.C. 1922, chap. 51, art. 6).
Les compagnies fiduciaires font affaire avec le
public de diverses façons. Elles administrent les
successions et les fonds reçus en fiducie (article 63
[mod. par S.R.C. 1970 (ler Supp.), chap. 47, art.
22]); elles reçoivent des dépôts (alinéa 63k)); elles
émettent des certificats de placement garantis et
en placent le produit dans des prêts et autres
placements prévus (articles 63, 64 [mod. par
S.R.C. 1970 (Pr Supp.), chap. 47, art. 24; 1985,
chap. 16, art. 16] et 68 [mod. par S.R.C. 1970 (Pr
Supp.), chap. 47, art. 25; 1976-77, chap. 28, art.
45; 1985, chap. 16, art. 17]). La stabilité de leur
solvabilité constitue une question d'un intérêt vital
pour le public. J'accepte l'allégation de l'intimé
selon laquelle la Loi confère au surintendant un
rôle de [TRADUCTION] «chien de garde». Certains
de ses pouvoirs à ce titre se trouvent exposés à
l'alinéa 76c). À mon avis, les problèmes qui nous
sont soumis se réduisent à une interprétation juste
de cet alinéa, question que les tribunaux ont encore
à trancher. Je conviens avec l'intimé que la juris
prudence actuelle se distingue de l'espèce et qu'elle
n'a établi aucun principe qui puisse nous guider ici
(voir Re Sun Life Assce Co., [1927] 4 D.L.R. 287
(C. de l'É.); Discount & Loan Corp. v. Superin
tendent of Insurance, [1938] 4 D.L.R. 225 (C. de
l'E.); Montreal Life Insurance Company v. Supe
rintendent of Insurance, non publié (C. de 1'E.), 13
août 1943).
L'étendue du pouvoir discrétionnaire conféré par
l'alinéa 76c) dépend de sa bonne interprétation. Il
peut s'interpréter comme conférant un pouvoir
d'appréciation qui est vaste au point d'être prati-
quement sans limites, ou qui est plus limité. Par
conséquent si, par les mots «accroître ou ... dimi-
nuer l'actif ou le passif ... jusqu'à concurrence des
montants précis et exacts de ces passif et actif tels
qu'ils sont déterminés par lui», le Parlement entend
que les montants ne puissent être précis et exacts
que si le surintendant détermine subjectivement
qu'ils le sont, l'alinéa serait considéré comme con-
férant un très large pouvoir. Il serait en effet
difficile de voir une limite quelconque à sa portée.
A première vue, il permettrait au surintendant
d'agir selon sa propre opinion de la valeur du
passif et de l'actif déclarés par une compagnie.
D'autre part, si par le libellé susmentionné le
Parlement a permis au surintendant de déterminer
le caractère «précis et exact» des montants des actif
et passif déclarés suivant une méthode objective,
ses pouvoirs seraient alors plus limités. Pour pren-
dre une décision, il devrait tenir compte de tous les
facteurs pertinents et laisser de côté ce qui n'est
pas pertinent. La part de subjectivité serait réduite
en conséquence.
Il n'est pas facile de choisir entre ces deux
interprétations possibles. J'en ai conclu cependant
que les mots «tels qu'ils sont déterminés par lui» ne
confèrent pas le pouvoir d'agir d'une façon entière-
ment subjective. Si le législateur avait voulu accor-
der un pouvoir aussi vaste, il aurait pu employer
un libellé approprié. Aucun arrêt publié traitant de
ce point précis dans un contexte comparable n'a
été porté à notre attention. Néanmoins, le principe
selon lequel l'action exercée conformément à un
vaste pouvoir légal doit l'être de façon raisonnable
a été bien établi par les tribunaux supérieurs. Dans
l'arrêt Roberts v. Hopwood, [1925] A.C. 578, la
Chambre des lords devait interpréter les mots
[TRADUCTION] «qui (leur) semble opportun» par
lesquels le législateur avait accordé un pouvoir
discrétionnaire à une autorité statutaire. Lord
Wrenbury a examiné, à la page 613, la portée de
ce pouvoir d'appréciation. Voici ce qu'il a dit:
[TRADUCTION] Je passe ... aux mots «qui [leur] semble
opportun». Nous avons entendu la plaidoirie sur la question de
savoir si ces mots doivent ou non se comprendre comme si le
mot «raisonnable» ou «raisonnablement» y était inséré, de sorte
que la phrase se lirait «qui leur semble raisonnablement oppor-
tun» ou «un traitement raisonnable qui leur semble opportun».
Le verbe «sembler» équivaut-il à «sembler raisonnablement»?
Vos Seigneuries, à mon avis il n'y a pas de différence au niveau
du sens, que le mot «raisonnablement» ou «raisonnable» soit
présent ou non ... Celui qui est investi d'un pouvoir discrétion-
naire doit exercer ce pouvoir pour des motifs valables. Un
pouvoir discrétionnaire ne permet pas à celui qui en est investi
de faire ce qu'il veut simplement parce que le cœur lui en dit—
il doit faire, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, non
pas ce qu'il veut mais ce qu'il est tenu de faire. En d'autres
mots, il doit, en recourant à la raison, établir et suivre ce que la
raison lui dicte. Il doit agir de façon raisonnable.
En troisième et dernier lieu, j'attire votre attention sur le mot
«opportun». Il signifie, je pense, «approprié» ou «pertinent».
L'expression «qui leur semble opportun» ne signifie pas «comme
il leur plaît». Le critère applicable n'est pas la volonté de la
personne investie du pouvoir discrétionnaire, mais plutôt la
pertinence ou le caractère suffisant du montant selon le juge-
ment raisonnable de la personne investie du pouvoir
discrétionnaire.
Ce principe a été appliqué récemment par une
majorité de juges de cette Cour dans l'arrêt
Société de droits d'exécution du Canada Limitée
c. Société Radio-Canada (1986), 64 N.R. 330; 7
C.P.R. (3d) 433, voir les motifs du juge Heald aux
pages 339 N.R.; 446 C.P.R. Bien que l'appelante
qualifie de [TRADUCTION] «considérations non
pertinentes» l'application de pratiques existantes
dans l'exercice du pouvoir d'appréciation, cela
revient à dire en fait que le surintendant n'a pas
agi de façon raisonnable en décidant de la ques
tion, car, comme l'a signalé le maître des rôles lord
Greene dans l'affaire Associated Provincial Pic
ture Houses, Ld. v. Wednesbury Corporation,
[1948] 1 K.B. 223 (C.A.), à la page 229:
[TRADUCTION] Il est vrai que le pouvoir d'appréciation doit
être exercé de façon raisonnable. Que faut-il entendre par cela?
Les avocats qui sont familiers avec la terminologie couramment
associée à l'exercice des pouvoirs d'appréciation prévus par la
loi utilisent souvent l'expression «non raisonnable» dans un sens
assez étendu. Elle a été et est encore fréquemment utilisée pour
décrire de façon générale les choses qu'il ne faut pas faire. A
titre d'exemple, une personne à qui on confère un pouvoir
discrétionnaire doit, pour ainsi dire, se comporter de façon
juridiquement correcte. Elle doit se pencher attentivement sur
les questions qu'elle doit examiner. Elle doit écarter de son
propos les aspects qui sont sans rapport avec ce qu'elle est
chargée d'examiner. Si elle ne respecte pas ces règles, elle peut
vraiment être considérée, et l'est souvent, comme n'agissant pas
de façon raisonnable.
Le surintendant a-t-il exercé son pouvoir d'ap-
préciation de façon raisonnable? À mon avis, il ne
l'a pas fait. Ce sont les considérations suivantes qui
m'amènent à cette conclusion. D'abord, l'applica-
tion de la pratique établie depuis longtemps au
Département suivant laquelle les éléments d'actif
d'une valeur de réalisation peu élevée sont déduits
de l'actif des compagnies fiduciaires et des compa-
gnies de prêt dans le calcul de leur assiette d'em-
prunt laisse plutôt supposer que le surintendant a
considéré les pertes différées isolément plutôt que
dans le contexte global des opérations de couver-
ture, ce qui l'a amené à conclure qu'elles aussi
avaient une valeur de réalisation peu élevée. Je ne
crois pas qu'il ait agi de façon raisonnable en
s'appuyant sur cette pratique, car elle ne se rap-
porte pas particulièrement à la détermination des
répercussions des pertes différées sur les éléments
d'actif qui s'y rattachent. On peut dire la même
chose de la décision par laquelle il assimile les
pertes de l'opération de couverture à certaines
pertes subies sur les titres d'emprunt, et il applique
une pratique élaborée autour de ces pertes suivant
laquelle il ne permet pas leur amortissement. De
fait, comme il le mentionne dans son certificat,
c'est l'obligation de respecter la [TRADUCTION]
«logique» qui l'a amené à appliquer cette pratique.
En tranchant ainsi la question sans égard au bien-
fondé de la position de l'appelante, le surintendant
n'a pas accordé l'attention qu'il fallait à une consi-
dération pertinente. En somme, il n'a pas agi de
façon raisonnable.
Au Canada, l'idée qu'une compagnie fiduciaire
puisse protéger son revenu net d'intérêts à venir
par des opérations sur le marché à terme des titres
financiers est toute récente. En effet, ce n'est qu'en
1983 que le département des Assurances a
approuvé ce genre d'opération comme faisant
partie des pouvoirs d'investissement d'une compa-
gnie fiduciaire. La mesure dans laquelle le surin-
tendant a pu tenir compte du traitement compta-
ble proposé par l'appelante ne ressort pas de son
certificat, où il était tenu d'énoncer à la fois la
décision «et les raisons en l'espèce» (paragraphe
78(2)). La position de l'appelante n'était pas pure-
ment fantaisiste; elle s'appuie sur des méthodes
comptables généralement reconnues. J'estime que
le surintendant avait le devoir de tenir compte de
cette position et d'en motiver le rejet. À mon avis,
il ne suffisait pas, pour satisfaire à ce devoir, de se
reporter à des pratiques et à l'obligation de respec-
ter la «logique», sans expliquer cette obligation.
Cette façon de procéder semble encore moins rai-
sonnable si l'on tient compte de l'avis de l'asses-
seur. Dans sa réponse à la deuxième question,
celui-ci a fait remarquer qu'une part proportion-
nelle des pertes résultant de l'opération de couver-
ture ainsi que la valeur comptable des prêts hypo-
thécaires qui s'y rattachent avaient été
[TRADUCTION] «réalisées» au moment de la vente
subséquente de ces prêts hypothécaires. On a éga-
lement laissé entendre que le surintendant a pu
avoir des préoccupations légitimes au sujet de la
stabilité financière de l'appelante. Si ces préoccu-
pations ont existé et ont joué un rôle dans sa
décision, elles n'apparaissent pas dans les raisons
qu'il a données. Il ne m'est pas possible de dire que
des préoccupations relatives à la solidité financière
générale de l'appelante aient de quelque façon
coloré la décision du surintendant.
Je ne prétends pas que le surintendant était tenu
de trancher la question en se fondant seulement
sur des méthodes comptables généralement recon-
nues. Ce n'est manifestement pas une exigence
imposée par l'alinéa 76c). Mais il devait, à mon
avis, exercer ses pouvoirs de façon équitable en
examinant la question sous tous ses angles nou-
veaux, en tenant compte des méthodes
susmentionnées et d'autres considérations perti-
nentes. Seulement de cette façon pouvait-il évaluer
raisonnablement le montant précis et exact de la
«Perte différée sur des contrats à terme» qui lui
était déclarée à titre d'«élément d'actif» dans l'état
annuel pour l'année 1985.
L'appelante nous demande d'annuler la décision
prise par le surintendant et d'ordonner que son état
annuel pour l'année 1985 soit accepté tel qu'il a
été présenté, sans modification du montant déclaré
à titre de «Perte différée sur des contrats à terme».
Je ne saurais accéder à cette dernière demande. Ce
serait là retirer cette décision financière impor-
tante à la personne choisie par le législateur pour
la trancher en servant l'intérêt public. A mon avis,
la décision appartient régulièrement au surinten-
dant et non pas à la Cour, qui est mal préparée
pour la rendre. Au lieu de cela, il serait préférable
d'annuler la décision et d'enjoindre au surinten-
dant de réexaminer la question et de se prononcer
de nouveau en tenant compte du fond. Ma décision
irait dans ce sens. L'appelante devrait obtenir ses
dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris aux présents
motifs.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris aux présents
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.