T-2382-84
Jean-Pierre Houle (demandeur)
c.
Sa Majesté du chef du Canada représentée par le
ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le
président de la Commission d'appel de l'immigra-
tion (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: HOULE c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Martin—
Ottawa, 16, 17 et 27 février 1987.
Fonction publique — Fin d'emploi — Le vice-président de
la Commission d'appel de l'immigration est-il un »fonction-
naire public»? — Le gouverneur en conseil est habilité à mettre
fin à sa discrétion à la désignation du demandeur à titre de
vice-président — Il n'existe aucune disposition expresse ou
implicite prévue soit dans un contrat, soit dans le mandat
confié au montent de la désignation, .soit dans la loi, qui limite
le droit du gouverneur en conseil de mettre fin aux fonctions
sans motif — Loi sur la Commission d'appel de l'immigration,
S.R.C. 1970, chap. 1-3 (abrogée par S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 128(1)), art. 3(1),(2),(5) -- Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2(1), 60(1),(5), 61(1),(4), 68, 128
— Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 2, 3(1),
22, 23 (mod. par S.R.C. 1970 (2`" Supp.), chap. 29, art. 1(2)).
36f) — Interpretation Ordinance, R.O.N.W.T. 1974, chap. 1-3,
art. 2 — Loi sur la pension de la Fonction publique, S.R.C.
1970, chap. P-36 — Loi sur la Gendarmerie royale du
Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9, art. 13(2) — Règles de la
Cour fédérale. C.R.C., chap. 663, Règle 474.
Juges et tribunaux — Indépendance judiciaire — Vice-pré-
sident de la Commission d'appel de l'immigration — Les
autres fonctions attribuées au demandeur en sa qualité de
vice-président ont un caractère administratif plutôt qu'adjudi-
catif — La perte des fonctions de vice-président par le deman-
deur n'a aucune influence sur son indépendance judiciaire
C'harte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 11d).
En mai 1968, le demandeur a été nommé commissaire à la
Commission d'appel de l'immigration pour occuper ce poste
durant bonne conduite (à titre inamovible). Il a été nommé
pour occuper le poste de vice-président, de la Commission en
décembre 1969. Le gouverneur en conseil a mis fin à la
désignation du demandeur comme vice-président en janvier
1984, mais ce dernier a continué d'agir en qualité de
commissaire.
La présente demande vise à obtenir une décision préliminaire
sur deux points de droit: le gouverneur en conseil était-il
habilité à retirer la charge de vice-président et, le cas échéant,
était-il habilité à le faire à sa discrétion, sans motif?
Jugement: la réponse aux deux questions est affirmative et
l'action du demandeur est rejetée.
Les dispositions de la Loi sur l'immigration de 1976 doivent
être lues en corrélation avec celles de la Loi d'interprétation.
Étant donné qu'un vice-président est un «fonctionnaire publia.
au sens de cette expression figurant à l'article 2 de la Loi
d'interprétation, la nomination, suivant l'article 22 de la Loi,
est faite «à titre amovible seulement, sauf disposition contraire
dudit texte ou de sa commission ou nomination.> et, suivant
l'article 23 de la Loi, il peut y être mis fin «à la discrétion de
l'autorité investie du pouvoir de faire la nomination... Il importe
peu que suivant le paragraphe 61(1) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976 le demandeur ait été «choisi» comme vice-prési-
dent plutôt que «nommé» à ce poste, ces deux mots étant
synonymes.
Le Parlement ayant prévu que les commissaires étaient
nommés pour occuper leur poste durant «bonne conduite.., mais
n'ayant pas précisé la durée du mandat du vice-président, cela
signifie que les articles 22 et 23 de la Loi d'interprétation
étaient destinés à s'appliquer au poste de vice-président. Les
autres fonctions attribuées par la loi au demandeur en sa
qualité de vice-président étaient minimes et elles avaient un
caractère procédural ou administratif plutôt qu'adjudicatif. Le
demandeur bénéficiait de l'inamovibilité dans l'exercice de ses
fonctions judiciaires. L'inamovibilité n'était pas nécessaire pour
le poste de vice-président.
Il n'existait aucune disposition expresse prévue soit dans un
contrat, soit dans le mandat qui a été confié au demandeur au
moment de sa désignation, soit dans le texte législatif, qui
limitait le droit du gouverneur en conseil de le révoquer sans
motif et on ne peut non plus conclure qu'une telle limite existait
implicitement. '
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Re Melsness and Minister of Social Services and C'om-
munity Health et al. (1982), 132 D.L.R. (3d) 715 (C.A.
Alb.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 339 (C.A.); Malone
v. The Queen in Right of Ontario et al. (1984), 3
C.C.E.L. 61 (H.C. Ont.); Malloch v. Aberdeen Corpora -
lion, [1971] 1 W.L.R. 1578 (H.L.); Wuorinen v. Wor
kers' Compensation Board (1983), 1 C.C.E.L. 29
(C.S.C.-B.); Reference re Justices of the Peace Act
(1985), 48 O.R. (2d) 609 (C.A.); Valente c. La Reine et
autres, [1985] 2 R.C.S. 673.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police, [ 1979] 1 R.C.S. 311; Associa
tion des employés du gouvernement de la Nouvelle-
Écosse et autres c. C'omnii.ssion de la Fonction publique
de la Nouvelle-Écosse et autre, [1981] 1 R.C.S. 211; 119
D.L.R. (3d) 1.
AVOCATS:
Gordon F. Henderson, c.r. et Martin W.
Mason pour le demandeur.
Dogan D. Akman et J. DePencier pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MARTIN: Vu la demande conjointe
présentée par les parties et conformément à la
Règle 474 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C.,
chap. 663], la Cour a décidé de statuer sur deux
points de droit lors d'une audience tenue à Ottawa
les 16 et 17 février 1987.
Les parties ont convenu que la Cour devait
statuer sur les points suivants:
[TRADUCTION] 1. Son Excellence le gouverneur en conseil
était-il habilité, à la date en cause, à mettre fin à la charge du
demandeur comme vice-président de la Commission d'appel de
l'immigration?
2. Si la réponse à la première question est affirmative, Son
Excellence le gouverneur en conseil était-il habilité, à la date
en cause, à mettre fin à sa discrétion, c'est-à-dire sans motif,
à la charge du demandeur comme vice-président de la Com
mission d'appel de l'immigration?
Les parties ont également convenu de l'exposé
des faits suivant:
[TRADUCTION] 1. Le 22 mai 1968, par le décret du Conseil
privé 1968-1010, Son Excellence le gouverneur en conseil, sur
la recommandation du ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration et conformément à l'article 3 de la Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration, a nommé le demandeur
membre de la Commission d'appel de l'immigration pour occu-
per son poste durant bonne conduite.
2. Le 19 décembre 1969, par le décret du Conseil privé 1969-
2412, Son Excellence le gouverneur en conseil, sur la recom-
mandation du ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion ainsi que du Conseil du Trésor et conformément à
l'article 3 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi-
gration, a désigné le demandeur pour occuper un poste de
vice-président de la Commission d'appel de l'immigration
dont il était alors commissaire.
3. Le 3 janvier 1984, par le décret du Conseil privé 1984-I, Son
Excellence le gouverneur en conseil, sur la recommandation
du ministre de l'Emploi et de l'Immigration et sur le fonde-
ment du paragraphe 61(1) de la Loi sur l'immigration de
1976, a mis fin à la désignation du demandeur comme
vice-président de la Commission d'appel de l'immigration à
compter du 2 janvier 1984.
4. Le demandeur continue d'être membre de la Commission
d'appel de l'immigration.
Le demandeur, Jean-Pierre Houle, était à la fois
commissaire et vice-président de la Commission
d'appel de l'immigration. [1 a été nommé commis-
saire par le gouverneur en conseil pour occuper son
poste durant bonne conduite (à titre inamovible)
conformément aux dispositions des paragraphes
3(1) et (2) de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration, S.R.C. 1970, chap. 1-3.
3. (I) Est établie une commission appelée Commission d'ap-
pel de l'immigration, formée d'au moins sept membres et d'au
plus neuf membres que nomme le gouverneur en conseil.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), chaque membre est
nommé pour occuper son poste durant bonne conduite, mais il
peut être démis de sa charge pour cause par le gouverneur en
conseil.
Il a été désigné par le gouverneur en conseil,
conformément au paragraphe 3(5) de la Loi, pour
occuper le poste de vice-président de la Commis
sion.
3....
(5) Le gouverneur en conseil désigne un des membres pour
occuper le poste de président de la Commission et deux des
membres pour occuper les postes de vice-président de la
Commission.
La Loi sur la Commission d'appel de l'immi-
gration a été abrogée par le paragraphe 128(1) de
la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976 - 77,
chap. 52] qui prévoyait, au paragraphe 60(1), la
nomination pour une durée limitée des membres de
la Commission d'appel de l'immigration établie en
vertu de cette Loi. Le mandat du demandeur à
titre de commissaire n'a pas été modifié par le
paragraphe 60(1). Le demandeur a plutôt continué
d'agir en qualité de commissaire en vertu du para-
graphe 60(5).
60. ...
(5) A l'entrée en vigueur de la présente loi, les membres
permanents de la Commission d'appel de l'immigration établie
par l'article 3 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi-
gration, abrogée par le paragraphe 128(1) de la présente loi,
sont maintenus en fonctions en qualité de commissaires à titre
inamovible. Ils peuvent cependant faire l'objet d'une révocation
motivée, de la part du gouverneur en conseil.
Le paragraphe 61(1) prévoit pour sa part la
désignation du vice-président et le demandeur a
conservé ce poste en vertu du paragraphe 61(4).
61....
(4) A l'entrée en vigueur de la présente loi, le président et les
vice-présidents en exercice de la Commission d'appel de l'immi-
gration établie par l'article 3 de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration, abrogée par le paragraphe 128(1) de
la présente loi, conservent leur poste en vertu de la présente loi.
L'avocat du demandeur soutient qu'étant donné
que ce dernier a été désigné vice-président confor-
mément au paragraphe 3(5) de la Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration et qu'il a
conservé ce poste en vertu du paragraphe 61(4) de
la Loi sur l'immigration de 1976, le gouverneur en
conseil ne peut mettre fin à sa désignation en
invoquant les dispositions du paragraphe 61(1) de
cette dernière Loi. S'il fallait admettre une telle
prétention, il faudrait présumer que, pour mettre
fin selon les règles à la désignation du demandeur
au poste de vice-président, le gouverneur en conseil
devrait agir sur le fondement du paragraphe 61(4)
de la Loi sur l'immigration de 1976 parce que le
paragraphe 3(5) de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration, sous le régime duquel il
a, à l'origine, été désigné à son poste, a été abrogé.
Je ne peux souscrire à cet argument. Même si le
paragraphe 61(4) permet au demandeur de conti-
nuer à exercer ses fonctions de vice-président, il ne
constitue pas le fondement de sa désignation. Ledit
paragraphe prévoit que le demandeur «conserv[e]
[son] poste en vertu de la présente loi», c'est-à-dire
la Loi sur l'immigration de 1976. La seule disposi
tion de cette loi permettant la désignation d'un
vice-président est le paragraphe 61(1) et c'est en
vertu dudit paragraphe qu'il occupe son poste de
vice-président.
Ce point de vue est renforcé par le fait que les
dispositions du paragraphe 61(1) de la Loi sur
l'immigration de 1976 sont en substance les
mêmes que celles du paragraphe 3(5) de la Loi sur
la Commission' d'appel de l'immigration et par
conséquent, suivant l'alinéa 36f) de la Loi d'inter-
prétation [S.R.C. 1970, chap. 1-23], ces disposi
tions ne sont pas de droit nouveau et doivent être
interprétées comme une codification du texte
antérieur.
On s'accorde pour dire qu'aucune de ces lois ne
renferme une disposition conférant expressément
au gouverneur en conseil le pouvoir de mettre fin à
la désignation du demandeur au poste de vice-pré-
sident. L'avocat des défendeurs soutient que la
désignation et la fin de cette désignation consti
tuent des procédures administratives par lesquelles
le gouverneur en conseil nomme des personnes à
des postes comportant des fonctions non judiciaires
et que les affectations administratives doivent être
faites à la discrétion absolue de la Couronne.
L'avocat en question soutient subsidiairement
que les dispositions des deux lois se rapportant à la
désignation doivent être lues en corrélation avec
les dispositions de la Loi d'interprétation relatives
aux nominations dans la fonction publique, et
qu'elles ont pour conséquence de conférer à la
Couronne le droit de mettre fin à celles-ci.
Il prétend finalement, en ce qui a trait à la
première question, qu'il existe de toute façon en
vertu de la common law un droit inhérent ou
découlant d'une prérogative de mettre fin à la
désignation du demandeur.
L'avocat du demandeur soutient en revanche
qu'un vice-président n'est pas un «fonctionnaire
public» au sens où cette expression est utilisée dans
la Loi d'interprétation, qu'il n'est pas une «per-
sonne dans la fonction publique du Canada» et,
qu'étant donné qu'il a été désigné et non pas
nommé au poste de vice-président, les dispositions
de la Loi d'interprétation relatives aux nomina
tions ne s'appliquent pas.
J'estime que l'argument suivant lequel les dispo
sitions de la Loi sur l'immigration de 1976 doivent
être lues en corrélation avec celles de la Loi d'in-
terprétation est déterminant pour ce qui est de la
première question et, par voie de conséquence,
pour la deuxième question également.
Voici le texte du paragraphe 3(1) de la Loi
d'interprétation:
3. (1) A moins qu'une intention contraire n'apparaisse, cha-
cune des dispositions de la présente loi s'étend et s'applique à
tout texte législatif, que celui-ci soit édicté avant ou après
l'entrée en vigueur de la présente loi.
Les autres articles pertinents de la Loi [art. 23
mod. par S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 29, par.
1(2)] sont les suivants:
2. (1) Dans la présente loi
«fonctionnaire public. comprend toute personne dans la fonc-
tion publique du Canada
a) autorisée par un texte législatif ou sous son régime à
accomplir un acte ou une chose ou à en assurer l'accomplisse-
ment, ou à exercer un pouvoir, ou
b) à qui un devoir est imposé par un texte législatif ou sous
son régime;
22. (1) Chaque fonctionnaire public nommé avant ou après
le l" septembre 1967 ou à cette date, aux termes ou sous le
régime d'un texte législatif ou autrement, est réputé avoir été
nommé à titre amovible seulement, sauf disposition contraire
dudit texte ou de sa commission ou nomination.
23. (1) Les mots autorisant la nomination d'un fonction-
naire public à titre amovible comportent le pouvoir
a) de mettre fin à sa charge, de le destituer ou de le
suspendre de ses fonctions,
b) de le nommer de nouveau ou de le réintégrer dans ses
fonctions, et
c) d'en nommer un autre qui le remplacera ou agira à sa
place,
à la discrétion de l'autorité investie du pouvoir de faire la
nomination.
En vertu des dispositions de la Loi sur l'immi-
gration de 1976, le demandeur, en sa qualité de
vice-président de la Commission, ainsi que deux
autres commissaires constituent le quorum. Il est
autorisé, en certaines circonstances, à exercer tous
les pouvoirs du président et à remplir les fonctions
de ce dernier. Etant donné qu'il est doté d'un tel
pouvoir, il me semble qu'un vice-président est visé
par la définition inclusive de l'expression «fonction-
naire public» qui figure au paragraphe 2(1).
Je souligne également que la définition de l'ex-
pression «fonctionnaire public» dans la Loi d'inter-
prétation est une définition inclusive semblable à
celle que l'on trouve de la même expression à
l'article 2 de l'Interpretation Ordinance,
R.O.N.W.T. 1974, chap. I-3, et, par conséquent,
comprend, mais n'exclut pas, le sens conféré par la
common law à cette expression et selon lequel:
[TRADUCTION] ... quiconque est nommé à une charge publi-
que et reçoit de la Couronne ou d'une autre source une rémuné-
ration quelconque, est un fonctionnaire public«: Henly v. Mayor
and Burgesses of Lynie (1828), 5 Bing. 92 la p. I07, 130 E.R.
995 la p. 1001, le juge en chef Best.„ [Voir également le juge
de Weerdt dans Re Walton and Attorney -General of Canada
et al. 13 D.L.R. (4th) 379 aux p. 389 et 390.]
Même si la question de la rémunération reçue
par le demandeur en sa qualité de vice-président
n'est pas soulevée dans l'exposé des faits ce qui, je
le suppose, ne devrait donc pas influencer ma
décision, les deux avocats ont fait allusion à ladite
rémunération. L'avocat des défendeurs l'a invo-
quée afin d'alléguer que la perte, subie par le
demandeur au moment où on a mis fin à ses
fonctions de vice-président, ne concernait que la
cessation de ce poste et non celui de commissaire
occupé par le demandeur. L'avocat du demandeur
y a fait allusion de son côté pour alléguer que la
révocation du demandeur de son poste de vice-pré-
sident et la perte conséquente de la rémunération
qui y était rattachée équivalait à une intervention
injustifiée de la part du gouverneur en conseil dans
l'exercice impartial d'une charge judiciaire.
Dans la mesure où je peux tenir compte du fait
que le demandeur recevait une rémunération en sa
qualité de vice-président, je conclus, conformément
au sens conféré par la common law à cette expres
sion, que le demandeur était un fonctionnaire
public, suivant ledit sens et la définition qui figure
dans la Loi d'interprétation.
L'avocat du demandeur a invoqué l'article 68 de
la Loi sur l'immigration de 1976 qui porte:
68. Aux fins de la Loi sur la pension de la Fonction publi-
que, les commissaires nommés en vertu du paragraphe 59(2)
ainsi que les membres de l'ancienne Commission maintenus en
fonctions en vertu du paragraphe 60(5) sont réputés employés
de la Fonction publique.
et il a allégué qu'étant donné que les commissaires
étaient réputés employés de la Fonction publique
aux fins de la Loi sur la pension de la Fonction
publique [S.R.C. 1970, chap. P-36], il était tout à
fait implicite qu'ils ne devaient pas en faire partie
pour toute autre fin.
Même si l'on considère qu'une personne est
employée de la Fonction publique aux fins d'une
loi particulière qui concerne les pensions et définit
précisément l'expression «Fonction publique», cela
ne permet pas de conclure que le Parlement ne
voulait pas que le demandeur, en sa qualité de
vice-président d'un tribunal fédéral, fasse partie de
la fonction publique du Canada selon le sens géné-
rique de cette expression que l'on trouve dans la
Loi d'interprétation. Pour nier ce qui paraît si
évident, c'est-à-dire que le demandeur, en sa qua-
lité de vice-président, est un fonctionnaire public
du Canada, il faudrait que je trouve une telle
intention dans la Loi sur l'immigration de 1976, ce
qu'il m'est impossible de faire.
L'avocat du demandeur souligne que les articles
22 et 23 de la Loi d'interprétation concernent la
nomination et non la désignation des fonctionnai-
res publics et qu'ils ne s'appliquent donc pas au
poste de vice-président du demandeur puisque
celui-ci y a été désigné et non nommé. Je n'attache
aucune importance particulière à l'emploi du mot
«choisi» («designate») au paragraphe 61(1) de la
Loi sur l'immigration de 1976 ni à celui des mots
«nommé» ( et «nomination» («appoint-
ment») aux articles 22 et 23 de la Loi d'interpréta-
tion. Par suite de la mesure prise par le gouverneur
en conseil le 19 décembre 1969, le demandeur est
devenu l'un des vice-présidents de la Commission
d'appel de l'immigration, soit un fonctionnaire
public dans la fonction publique du Canada. Qu'il
ait été nommé, désigné ou appelé à ce poste,
j'estime néanmoins qu'il est assujetti aux restric
tions apportées par les articles 22 et 23 de la Loi
d'interprétation. Le gouverneur en conseil aurait
nommé ou ordonné que le demandeur soit nommé
vice-président au lieu de le désigner à ce poste,
ledit demandeur aurait quand même été vice-prési-
dent. A mon avis, une désignation faite en vertu de
la Loi sur l'immigration de 1976 est la même
chose qu'une nomination au sens des articles 22 et
23 de la Loi d'interprétation.
Se fondant sur l'arrêt McCleery c. La Reine,
[1974] 2 C.F. 339 (C.A.), l'avocat du demandeur
soutient que l'article 22 de la Loi d'interprétation
ne devrait pas s'appliquer lorsque quelque chose
dans la disposition législative, prise dans son
ensemble, indique qu'une nomination n'a pas été
faite à titre amovible, Dans cette affaire, le juge
Thurlow, tel était alors son titre, a exprimé des
doutes quant à savoir si les nominations des mem-
bres de la Gendarmerie royale du Canada étaient
faites à titre amovible en vertu du paragraphe
22(1) de la Loi d'interprétation, étant donné que
les dispositions du paragraphe 13(2) de la Loi sur
la Gendarmerie royale du Canada [S.R.C. 1970,
chap. R-9] prévoyaient la signature d'un contrat
d'engagement pour une période n'excédant pas
cinq ans. I1 existait donc dans cette affaire, ce qui
n'est pas le cas en l'espèce, une disposition législa-
tive permettant de conclure que le Parlement avait
l'intention d'exclure le paragraphe 22(1) qui, en
d'autres circonstances, serait applicable.
Dans la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration sous le régime de laquelle le deman-
deur a été nommé commissaire, le Parlement a
également écarté le paragraphe 22(1) en ce qui
concerne la nomination d'un commissaire en pré-
voyant que celui-ci occuperait son poste durant
bonne conduite. S'il l'avait voulu, le Parlement
aurait pu adopter une disposition semblable en ce
qui concerne la désignation ou la nomination d'un
vice-président. À mon avis, étant donné qu'il a
expressément apporté une restriction à l'applica-
tion du paragraphe 22(1) dans le cas des commis-
saires et qu'il a omis de le faire pour ce qui est des
vice-présidents, le Parlement voulait que le vice-
président occupe son poste à titre amovible.
Le défunt juge en chef Laskin a critiqué le
principe suivant lequel les fonctionnaires publics
occupent leur poste à titre amovible dans deux
arrêts, Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional
Board of Commissioners of Police, [ 1979] 1
R.C.S. 311, et Association des employés du gou-
vernement de la Nouvelle-Écosse et autres c.
Commission de la Fonction publique de la Nou-
velle-Écosse et autre, [1981] 1 R.C.S. 211; 119
D.L.R. (3d) 1. Dans la première décision, il a dit
que ce principe était un anachronisme qu'il fallait
réexaminer et dans la deuxième, indiquant encore
une fois qu'il s'agissait d'un anachronisme, il a dit
aux pages 223 R.C.S.; 10 D.L.R.:
Au mieux, à mon avis, le pouvoir de congédier à volonté peut
être considéré comme une condition implicite d'un engagement
qui ne comporte aucune disposition contraire.
Dans chaque cas, les observations du juge en
chef Laskin constituaient des opinions incidentes
et il est fort possible qu'elles fussent destinées au
Parlement et aux assemblées législatives plutôt
qu'aux tribunaux car, comme l'a souligné le juge
Gilligan de la Cour suprême de l'Ontario dans
Malone v. The Queen in Right of Ontario (1984),
3 C.C.E.L. 61, la page 65:
[TRADUCTION] ... Je remarque que depuis les commentaires
du juge en chef dans ces arrêts, l'Assemblée législative de
l'Ontario n'a pas jugé bon d'abroger les art. 21 et 27(1) de la
Interpretation Act, L.R.O. 1980, chap. 219.
Dans le même ordre d'idées, en refusant dans Re
Melsness and Minister of Social Services and
Community Health et al. (1982), 132 D.L.R. (3d)
715, de souscrire aux opinions incidentes du juge
en chef Laskin, le juge Stevenson de la Cour
d'appel de l'Alberta a dit à la page 721:
[TRADUCTION] La décision selon laquelle les charges publi-
ques doivent être occupées «à titre amovible» dans Cette pro
vince constitue une décision de l'assemblée législative dont on
trouve l'expression dans l'Interpretation Act.
Ces points de vue concernant les assemblées
législatives de l'Ontario et de l'Alberta ainsi que
leur loi d'interprétation respective s'appliquent
également au Parlement et à la Loi d'interpréta-
tion du Canada.
Il découle des opinions exprimées jusqu'à main-
tenant que la désignation ou nomination du
demandeur au poste de vice-président qu'il occupe
en vertu du paragraphe 61(1) de la Loi sur l'im-
migration de 1976 est réputée à titre amovible
suivant le paragraphe 22(1) de la Loi d'interpréta-
tion, et que le gouverneur en conseil peut y mettre
fin grâce au droit qui lui est conféré par les
dispositions du paragraphe 61(1), droit qui est
inclus dans ledit paragraphe en raison du paragra-
phe 23(1) de la Loi d'interprétation. Par consé-
quent, la réponse à la première question doit être
affirmative.
Pour ce qui est de la réponse qu'il faut donner
aux points soulevés dans la deuxième question,
l'avocat du demandeur soutient, si je comprends
bien sa position, que le Parlement a expressément
indiqué dans les dispositions de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 qu'il ne voulait pas que les articles
22 et 23 de la Loi d'interprétation s'appliquent. ll
prétend ensuite que si je ne peux pas conclure à
l'existence d'une telle intention du Parlement
d'écarter les articles 22 et 23, on peut néanmoins,
par voie de conséquence, constater cette intention
en interprétant correctement l'ensemble de la Loi
sur l'immigration de 1976. 11 affirme enfin que,
même si le gouverneur en conseil est habilité à
mettre fin à sa discrétion aux fonctions du vice-
président de la Commission d'appel de l'immigra-
tion, il ne peut exercer ce droit sans faire preuve
d'équité dans la procédure à l'égard du deman-
deur.
Le dernier argument de l'avocat du demandeur
au sujet des points soulevés dans la deuxième
question m'a causé quelques difficultés. Il semble
concerner la méthode ou procédure suivie pour
exercer le droit de révoquer une personne sans
motif plutôt que l'existence même de ce droit.
Dans la Partie 1I1 de son exposé des faits et du
droit, l'avocat affirme:
[TRADUCTION] 15. Même si le paragraphe 23(i) [sic] de la
Loi d'interprétation étend le pouvoir conféré au gouverneur en
conseil par le paragraphe 61(1) de la Loi sur l'immigration de
/976 pour révoquer la désignation du demandeur au poste de
vice-président, l'expression .à volonté» ne signifie pas que la
désignation peut être révoquée arbitrairement. Elle ne peut être
révoquée sans qu'on fasse preuve d'équité dans la procédure à
l'égard de son titulaire.
et il conclut ainsi à la fin de son exposé:
[TRADUCTION] 18. Nous prétendons par conséquent que le
gouverneur en conseil n'était pas habilité à prendre le décret
C.P. 1984-1 révoquant la nomination du demandeur au poste
de vice-président de la Commission d'appel de l'immigration
sans faire preuve d'équité dans la procédure à l'égard dudit
demandeur avant d'exercer son pouvoir de révocation.
L'exposé conjoint des faits n'indique pas si les
défendeurs ont donné un avis au demandeur, s'ils
l'ont informé des motifs pour lesquels ils avaient
l'intention de mettre fin à son poste de vice-prési-
dent, s'ils lui ont donné l'occasion de faire valoir
ses prétentions ou si une audience a été tenue
avant qu'il ne soit mis fin à ses fonctions. Ce sont
là en général des questions qui se rapportent à
l'équité dans la procédure dans l'exercice d'un
droit reconnu et non à l'exercice dudit droit. Si je
comprends bien la deuxième question, c'est l'exis-
tence du droit qui est soulevée. Je n'ai pas été saisi
de la question de savoir comment ledit droit a été
ou aurait dû être exercé.
L'avocat soutient que le Parlement a indiqué
expressément son intention que le demandeur
occupe son poste de vice-président à titre inamovi-
ble aux paragraphes 60(5) et 61(4) qui lui permet-
tent de continuer à agir en qualité de commissaire
et de vice-président. Il prétend que les deux fonc-
tions se sont confondues et que, par conséquent, il
ne peut être mis fin à la fonction de vice-président
du demandeur tant que ce dernier conserve son
poste de commissaire. L'avocat ne cite aucun texte
de doctrine ni aucun précédent à l'appui de cette
prétention. Ces articles ne prévoient pas que ces
fonctions se confondent de manière que le mandat
à titre inamovible attaché au poste de commissaire
s'applique automatiquement à celui de vice-prési-
dent et je ne vois aucun motif inhérent pour lequel
les mandats devraient avoir une durée identique.
Je le répète, si le Parlement avait voulu que le
poste de vice-président soit occupé à titre inamovi-
ble, il aurait pu le prévoir dans la loi comme il l'a
fait pour le poste de commissaire dans la Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration originale.
Au contraire, le Parlement a prévu dans la loi
originale que les commissaires étaient nommés
pour occuper leur poste durant «bonne conduite»,
mais il n'a pas précisé la durée du mandat de
vice-président. À mon avis du moins, cela signifiait
que le Parlement voulait que les articles 22 et 23
de la Loi d'interprétation s'appliquent au poste de
vice-président. Lorsque le Parlement a adopté la
Loi sur l'immigration de 1976, il s'est encore une
fois penché sur la question de la durée du mandat.
Il a prévu que les commissaires nommés en vertu
de la loi originale étaient maintenus en fonctions
«à titre inamovible» et que les commissaires
nommés en vertu de la Loi sur l'immigration de
1976 l'étaient pour une durée limitée. Il n'a adopté
aucune disposition en ce qui concerne la durée du
mandat des vice-présidents. Compte tenu des cir-
constances, il me semble encore une fois évident
que le Parlement voulait que les articles 22 et 23
de la Loi d'interprétation s'appliquent au poste de
vice-président et que ce dernier soit occupé à titre
amovible.
On peut mettre fin sans motif aux postes occu-
pés à titre amovible à moins qu'une protection
particulière ne soit accordée à leurs titulaires. Si,
comme le prétend le demandeur, le droit du gou-
verneur en conseil est limité d'une façon ou d'une
autre, il doit prouver l'existence d'une quelconque
limite légale, contractuelle ou réglementaire,
expresse ou implicite. Dans l'affaire Malloch v.
Aberdeen Corporation, [1971] I W.L.R. 1578
(H.L.), lord Wilberforce s'est penché aux pages
1596 et 1597 sur la question du congédiement d'un
enseignant qui occupait son poste à titre amovible:
[TRADUCTION] Passons maintenant à l'espèce. Le problème
réside dans le fait que M. Malloch pouvait être congédié sans
qu'aucune raison lui soit donnée parce qu'il avait été nommé à
titre amovible. Il existe peu de précédents sur la question de
savoir si ces personnes ont le droit de se faire entendre avant
leur congédiement, que ce soit en général ou dans un cas où une
raison est en fait donnée. Dans l'affaire Reg. v. Darlington
School Governors (1844) 6 Q.B. 682, la charte conférait aux
gouverneurs un pouvoir discrétionnaire de congédiement sans
audience et ce pouvoir était si absolu qu'ils n'étaient pas
habilités à le restreindre par voie de règlement. Cette affaire
peut difficilement s'appliquer aujourd'hui, comme c'est le cas
d'ailleurs de la décision plus récente Tucker v. British Museum
Trustees rendue sur le fondement d'une loi de I753—The
Times, 8 décembre 1967.
Dans Ridge v. Baldwin, [ l964] A.C. 40, mon ami lord Reid
a dit à la page 65: «Avec raison, je crois, on a toujours jugé
qu'un tel fonctionnaire» (c'est-à-dire un fonctionnaire nommé à
titre amovible) «n'a pas droit à une audition avant son renvoi.»
En règle générale je suis d'accord; il me semble important de ne
pas affaiblir un principe qui, pour des raisons d'ordre public,
s'applique, du moins au départ, à un large secteur de la fonction
publique. Les difficultés surgissent lorsque, comme en l'espèce,
la loi, les règlements, le code du travail ou la convention
collective règlementent aussi l'emploi. La rigueur du principe
est souvent atténuée en pratique aujourd'hui, car on s'est rendu
compte que la possibilité même d'une destitution non motivée—
qui peut porter un coup fatal à la carrière d'un homme ou à sa
pension—rend d'autant plus importante pour ce dernier la
possibilité de se défendre, lorsque les circonstances le permet-
tent, et, si on lui refuse ce droit, la possibilité de faire annuler
sa destitution. Ainsi, bien que pour de bonnes raisons d'ordre
public, les tribunaux doivent respecter le droit de destituer sans
motif déterminé, cela ne doit pas, à mon avis, les empêcher
d'examiner le cadre et le contexte de l'emploi pour voir si des
droits élémentaires sont accordés expressément ou implicite-
ment à l'employé, et d'en définir la portée. En l'espèce, je crois
que nous avons un de ces cas où de forts indices militent contre
le refus du droit à une audience, lorsque les circonstances le
permettent.
Lord Wilberforce a donc confirmé le droit de
congédier sans motif ou sans justification, mais il a
tout de même permis à l'enseignant congédié de
réintégrer son poste non pas parce que la common
law atténuait ce droit, mais parce que celui-ci
avait été modifié par la loi; il a conclu à la page
1599:
[TRADUCTION] S'il fallait statuer sur l'affaire en se fondant
uniquement sur la common law, l'appelant, qui occupe son
poste à titre amovible, n'aurait pas droit à une audience avant
son renvoi: voir lord Reid dans Ridge v. Baldwin [1964] A.C.
40, 65 et 66. Mais la common law est modifiée par la loi.
Suivant l'art. 3 de la Public School (Scotland) Teachers Act
1882, aucune résolution d'un conseil scolaire visant à congédier
un enseignant diplômé ne devait être valide à moins qu'elle n'ait
été adoptée lors d'une assemblée convoquée au moins trois
semaines auparavant par une circulaire envoyée à chaque
membre et annonçant que la question d'un tel congédiement
serait examinée, et à moins qu'un avis de la motion de congé-
diement de l'enseignant n'ait été envoyé à ce dernier au moins
trois semaines avant ladite assemblée; en outre, la résolution
concernant le congédiement ne devait être valide que si elle
était acceptée par la majorité des membres à part entière du
conseil scolaire.
Cette affaire est tout à fait différente de l'espèce
où le demandeur est incapable de prouver que la
loi a ainsi modifié le droit du gouverneur en conseil
de mettre fin à son emploi à volonté.
Dans le même ordre d'idées, les affaires Malone
v. The Queen in Right of Ontario et al. (1984), 3
C.C.E.L. 61 (H.C. Ont.) et Wuorinen v. Workers'
Compensation Board (1983), 1 C.C.E.L. 29
(C.S.C.-B.) ne sont d'aucun secours pour le
demandeur. Dans la première affaire, précitée, la
Cour a reconnu que ce qui est arrivé au deman-
deur aurait équivalu, dans le secteur privé, à un
congédiement implicite, mais elle a confirmé le
pouvoir discrétionnaire de congédiement du gou-
vernement de l'Alberta. Dans la deuxième affaire,
la Cour a statué que la Workers' Compensation
Board avait mis de côté son pouvoir discrétion-
naire de congédiement en raison des modalités et
conditions d'une convention collective qu'elle a
jugé applicable au poste occupé par le demandeur.
Dans chaque cas, le droit de mettre fin à un emploi
à volonté n'a pas été contesté.
Outre les limites expresses qui peuvent être
apportées au droit de congédier à volonté, il est
également possible, comme l'a fait remarquer lord
Wilberforce, que ledit droit soit implicitement
limité. À cet égard, l'avocat du demandeur com
pare le poste occupé par ce dernier à celui d'un
juge en chef d'une cour supérieure et la Commis
sion d'appel de l'immigration à une cour, et il
allègue que le Parlement voulait implicitement que
les dirigeants et les membres du tribunal soient
indépendants et que le droit de mettre fin à l'em-
ploi du demandeur en sa qualité de vice-président
est incompatible avec le concept de l'indépendance
judiciaire. 11 prétend par conséquent que le deman-
deur bénéficie implicitement du droit à l'inamovi-
bilité en sa qualité de vice-président et qu'il ne
peut être mis fin à son emploi que pour un juste
motif. 11 soutient en outre que c'est particulière-
ment le cas lorsque le ministre, sur les recomman-
dations duquel les postes de vice-présidents sont
comblés, peut être partie aux procédures de la
Commission.
L'avocat ne conteste pas le droit du Parlement
de créer une Commission d'appel de l'immigration
dont les membres et les dirigeants ne sont pas
nommés à titre inamovible. En fait, même si la Loi
sur la Commission d'appel de l'immigration pré-
voyait une telle durée pour le mandat des commis-
saires et conférait ainsi aux dirigeants de la Com-
mission le degré d'indépendance réclamé par
l'avocat, le Parlement a choisi, dans la Loi sur
l'immigration de 1976, de nommer des commissai-
res pour une période limitée, réduisant donc, dans
cette mesure du moins, leur indépendance judi-
ciaire.
Le demandeur était l'un des commissaires
nommés en vertu de la loi précédente pour occuper
son poste à titre inamovible. Son indépendance
judiciaire ou décisionnelle était donc assurée dans
la mesure avancée par l'avocat. Je ne peux pas
conclure que le fait de continuer à exercer ses
fonctions de vice-président était essentiel pour as-
surer son indépendance à titre de commissaire, ou
que la perte ou la cessation de son emploi résultant
d'une décision du gouverneur en conseil constitue-
rait une intervention ou serait probablement consi-
dérée comme une intervention ou une tentative
visant à influencer son indépendance judiciaire.
Les autres obligations que lui imposait la loi en sa
qualité de vice-président étaient minimes et elles
avaient un caractère administratif plutôt qu'adju-
dicatif. Le demandeur bénéficiait de l'inamovibi-
lité dans l'exercice de ses fonctions judiciaires. On
a mis fin non pas à ses fonctions de commissaire
mais seulement à ses fonctions de vice-président
pour lesquelles, à mon avis, l'inamovibilité n'était
pas nécessaire.
Deux des précédents cités par l'avocat du
demandeur examinent en détail les questions de
l'indépendance judiciaire et de l'inamovibilité des
fonctionnaires judiciaires. Dans les deux cas
[Reference re Justices of the Peace Act (1985), 48
O.R. (2d) 609 (C.A.) et Valente c. La Reine et
autres, [1985] 2 R.C.S. 673], il s'agissait de déter-
miner si la cour ou le tribunal, un juge de paix
dans la première affaire et une cour provinciale
ontarienne dans la deuxième, étaient des tribunaux
indépendants au sens de l'alinéa 11d) de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)].
La question de l'inamovibilité des fonctionnaires
judiciaires a donc été soulevée dans chaque cas,
mais elle concernait toutefois la durée de leur
mandat en tant que fonctionnaires judiciaires et
non pas comme administrateurs dans leurs domai-
nes judiciaires respectifs. Aucun de ces précédents
n'est, à mon avis, utile au demandeur. L'inamovi-
bilité dont il bénéficie et, par conséquent, son
indépendance judiciaire découlent de sa nomina
tion à titre de commissaire de la Commission
d'appel de l'immigration et non de sa désignation
comme vice-président.
On a laissé entendre que la réduction du traite-
ment du demandeur par suite de la cessation de sa
désignation ou, même si aucun traitement ne lui
était versé pour ce poste, que la perte de prestige
découlant du fait qu'on lui avait retiré cette fonc-
tion compromettrait son rôle de commissaire. Je ne
peux pas souscrire à une telle prétention, car je
devrais alors présumer que la désignation du
demandeur au poste de vice-président ou la cessa
tion de ses fonctions aurait une influence sur l'in-
dépendance des décisions qu'il rendrait en sa qua-
lité judiciaire de commissaire. La réponse du juge
Le Dain à la page 714 de l'arrêt Valente c. La
Reine et autres (précité) à l'argument suivant
lequel le contrôle par l'exécutif de certains bénéfi-
ces influerait sur l'indépendance des juges des
cours provinciales est très pertinente.
S'il peut être souhaitable que ces bénéfices ou avantages
discrétionnaires, dans la mesure où il devrait y en avoir, soient
contrôlés par le pouvoir judiciaire plutôt que par l'exécutif,
comme le rapport Deschênes et d'autres l'on recommandé, je ne
pense pas que leur contrôle par l'exécutif touche à ce qui doit
être considéré comme l'une des conditions essentielles de l'indé-
pendance judiciaire pour les fins de l'al. I Id) de la Charte.
Pour ce qui est de l'aspect subjectif, je conviens avec la Cour
d'appel qu'il ne serait pas raisonnable de craindre qu'un juge de
cour provinciale, influencé par l'éventuelle volonté d'obtenir
l'un de ces bénéfices ou avantages, soit loin d'être indépendant
au moment de rendre jugement.
Le demandeur a été nommé commissaire à titre
inamovible. À mon avis, cela constituait une
garantie suffisante de son indépendance dans
l'exercice de ses fonctions judiciaires à titre de
commissaire. La durée de son mandat à titre de
vice-président n'a pas été précisée. Il occupait ce
poste à titre amovible et on pouvait y être mettre
fin sans motif. Il n'existait aucune disposition
expresse prévue soit dans un contrat, soit dans le
mandat qui lui a été confié au moment de sa
nomination ou de sa désignation, soit dans le texte
législatif en vertu duquel il occupait ce poste, qui
limitait le droit du gouverneur en conseil de le
révoquer sans motif et je ne peux non plus conclure
qu'une telle limite existait implicitement.
C'est pourquoi les réponses à ces deux questions
sont affirmatives et l'action du demandeur est
rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.