A-779-86
Au sujet d'une plainte déposée par Walter Rosen
contre CFCF Inc. alléguant discrimination fondée
sur l'âge en matière d'emploi contrairement à
l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne;
Considérant l'article 14c) de la Loi canadienne sur
les droits de la personne
RÉPERTORIÉ: ROSEN (RE)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Huges-
sen—Montréal, 5 et 16 mars; Ottawa, 9 avril
1987.
Compétence de la Cour fédérale — Division d'appel —
Requête visant à mettre fin aux procédures présentées à l'en-
contre d'un renvoi pour manque de compétence — La Com
mission canadienne des droits de la personne soumet la ques
tion de la constitutionnalité de l'art. 14c) de la Loi canadienne
sur les droits de la personne à la Cour d'appel en vertu de
l'art. 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale — Demande
accueillie — Le renvoi est prématuré car la réponse qui
pourrait y être apportée ne trancherait pas la question dont est
saisie la Commission — Le juge Marceau, qui donne des
motifs concourants quant au résultat, a statué que la Commis
sion n'a pas à décider la question de la constitutionnalité —
La question posée par le tribunal en vertu de l'art. 28(4) doit
en être une que le tribunal est lui-même tenu de décider — Un
tribunal inférieur n'est pas susceptible de se «former une
opinion. sur une question constitutionnelle, à moins qu'elle ne
se rattache directement à l'étendue de sa propre juridiction —
La question posée à la Cour n'est pas de savoir si la Commis
sion a juridiction pour agir, mais plutôt si on n'aurait pas dû
lui donner une juridiction plus étendue — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28(1),(4), 52a)
— Loi canadiennne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, chap. 33, art. 7, 14c) (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 143, art. 7), 36 (mod., idem, art. 16; S.C. 1985, chap. 26,
art. 69) — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.),
art. 1, 15.
Droits de la personne — Le plaignant a été mis à la retraite
à l'âge de soixante-six ans contre sa volonté — Il se plaint
qu'il a été mis fin à son emploi uniquement en raison de son
âge — L'employeur s'appuie sur la Loi canadienne sur les
droits de la personne, art. 14c), qui prévoit que le congédie-
ment d'un employé parce qu'il a atteint l'âge normal de la
retraite en vigueur pour son genre d'emploi ne constitue pas un
acte discriminatoire — La Commission renvoie la question de
la constitutionnalité de l'art. 14c) devant la Cour d'appel
fédérale — Il est mis fin aux procédures dans le cadre du
renvoi pour absence de compétence — Le jugement de la
majorité se fonde sur le caractère prématuré de la décision
puisque la réponse à la question posée à la Cour ne réglerait
pas le litige dont est saisie la Commission — Quelle est la
fonction de la Commission? — Le juge Marceau, dans ses
motifs concourants quant au résultat, statue que la question
faisant l'objet du renvoi n'est pas une question à laquelle la
Commission doit elle-même répondre — Loi canadienne sur
les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 7, 14c)
(mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 7), 36 (mod.,
idem, art. 16; S.C. 1985, chap. 26, art. 69) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28(1),(4), 52a)
— Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 15.
Pratique — Références — La Commission canadienne des
droits de la personne prétend soumettre à la Cour d'appel
fédérale, en vertu de l'art. 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale,
la question de la constitutionnalité de l'art. 14c) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne — Le renvoi est
défectueux quant à la forme — Le renvoi n'est pas conforme à
la décision qui l'autorise, laquelle prétend renvoyer la
«plainte» devant la Cour — Le renvoi soulève une question de
droit purement théorique — Aucune conclusion de fait qui
permette à la Cour de fonder sa décision — La Commission
excède sa compétence en demandant à la Cour de décider de la
constitutionnalité de la loi habilitante — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28(4), 52a) —
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77,
chap. 33, art. 14c) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143,
art. 7).
Un certain M. Rosen a été mis à la retraite à l'âge de 66 ans,
alors qu'il voulait continuer à travailler. Il a déposé une plainte
auprès de la Commission canadienne des droits de la personne,
alléguant qu'il avait été mis fin à son emploi uniquement en
raison de son âge. Son employeur s'est appuyé sur l'alinéa 14c)
de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui prévoit
que le fait de mettre fin à l'emploi d'une personne parce qu'elle
a atteint l'âge de la retraite en vigueur pour le genre d'emploi
qu'elle occupe ne constitue pas un acte discriminatoire. La
Commission, désireuse de déterminer le caractère constitution-
nel de l'alinéa 14c) avant de procéder à la longue et coûteuse
enquête que requiert la vérification dans les faits de l'applicabi-
lité de l'alinéa 14c), a renvoyé la question à la Cour d'appel
fédérale en vertu du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour
fédérale. Dans sa demande visant à mettre fin aux procédures
de renvoi, en vertu de l'alinéa 52a) de la Loi sur la Cour
fédérale, l'employeur a fait valoir que le renvoi était prématuré
parce que la Commission, n'ayant pas à statuer sur la plainte,
n'avait pas à obtenir une réponse à la question constitutionnelle.
Arrêt: la demande devrait être accueillie et il devrait être mis
fin aux procédures de renvoi.
Le juge Hugessen (avec l'appui du juge Pratte): Bien que le
renvoi, à sa face même, soit défectueux quant à la forme, il n'y
a pas lieu d'accueillir la requête pour des motifs d'ordre
technique. Toutefois, ce renvoi n'est pas autorisé par l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale.
Seules des questions de droit qui doivent être tranchées pour
pouvoir régler l'affaire dont il est saisi peuvent être renvoyées
par un tribunal devant la Cour. Pour qu'une question de droit
puisse valablement faire l'objet d'un renvoi en vertu du para-
graphe 28(4), il n'est pas nécessaire que la réponse, quelle
qu'elle soit, que cette Cour donne à la question dispose du litige
dont est saisi le tribunal auteur du renvoi; il suffit que la
question soit telle qu'une des réponses possibles puisse disposer
de l'affaire: Martin Service Station Ltd. c. Le ministre du
Revenu national, [1974] 1 C.F. 398 (C.A.).
La Commission est habilitée à statuer sur une plainte unique-
ment dans les cas où elle conclut que cette plainte n'est pas
fondée. Dans tous les autres cas, elle doit référer le dossier à un
autre organisme. En l'espèce, la Commission est d'avis que la
plainte n'est pas mal fondée. Le paragraphe 28(4) permet à la
Commission de renvoyer une question devant la Cour pour
«jugement». Le mot «jugement» implique nécessairement que la
Cour soit en mesure de statuer sur le fond même du litige qui a
donné lieu au renvoi. Or, au présent stade des procédures, une
réponse au renvoi, quelle qu'elle soit, ne pourra jamais régler le
litige dont est saisie la Commission. Si la Cour décide que
l'alinéa 14c) est valide, la Commission devra alors poursuivre
l'enquête. Si, par contre, la Cour juge l'alinéa 14c) inopérant, la
Commission devra nécessairement demander que la plainte soit
examinée par un tribunal des droits de la personne, seul habilité
à juger l'affaire.
Le juge Marceau (motifs concourants quant au résultat):
L'employeur a fait valoir que la question posée mettant en
cause l'article 1 de la Charte ne pourra se résoudre que sur la
base d'une preuve de faits, et que le renvoi ne portait donc pas
sur une question de droit, comme l'exige le paragraphe 28(4).
L'équivoque est évidente. La constitutionnalité d'une disposi
tion législative ne peut pas être autre chose qu'une question de
droit, mais en raison de l'article 1 de la Charte, il pourra
arriver souvent que soit exigée la présentation d'une preuve de
faits. Toutefois, le paragraphe 28(4) ne permet pas de prendre
cette situation particulière en considération. L'établissement
d'une preuve peut se faire sans audition orale, et l'audition de
témoins devant une cour d'appel ne met pas en cause une
question de pouvoir mais uniquement de convenance et de
modalités.
Le renvoi n'est pas prématuré. Une question sous le paragra-
phe 28(4) doit être telle qu'une des réponses possibles puisse
trancher l'affaire dont le tribunal est saisi. C'est justement ici le
cas. Le rôle de la Commission est de déterminer si l'examen de
la plainte est justifié ou non, ce qui exige, d'abord, qu'elle se
forme une opinion quant à savoir si l'acte dont se plaint le
plaignant peut ou ne peut pas faire l'objet d'une plainte, parce
qu'il est ou n'est pas discriminatoire au sens de la Loi. Lors-
qu'elle aura pris position, le rôle de la Commission, en tant
qu'organisme de décision, sera terminé. C'est ça «l'affaire qui
est devant elle». Une réponse négative quant à la constitution-
nalité de l'alinéa 14c) réglera son dilemme et lui dictera sa
décision.
La requête est cependant bien fondée. La question posée ne
peut faire l'objet d'un renvoi sous le paragraphe 28(4) parce
que ce n'est pas une question que la Commission a à trancher.
La question posée doit en être une que le tribunal est lui-même
tenu de décider (In re la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique, [1973] C.F. 604 (C.A.)).
Il est douteux qu'un tribunal inférieur sera appelé à «se
former une opinion» au sujet d'une question constitutionnelle, à
moins qu'elle ne se rattache directement à l'étendue de sa
propre juridiction. Mais «se former une opinion» n'est pas
déterminer la question, en décider, la juger. Cette Cour ne
donne pas d'opinion, elle détermine les questions, et on com-
prendrait mal que pour aider un tribunal à se former une
opinion, elle soit appelée à décider, à juger la question.
Il est aussi douteux que la question se rattache à la juridic-
tion. La Loi canadienne sur les droits de la personne donne à la
Commission un mandat précis: recevoir des plaintes relative-
ment à des hypothèses de discrimination définies à l'article 14.
La Commission ne se pose pas la question de savoir si elle a
juridiction pour agir, elle se demande si elle n'aurait pas dû
recevoir une juridiction plus étendue qui lui permettrait de
recevoir des plaintes et d'y donner suite dans des hypothèses
autres que celles définies. Et même si la Cour avait juridiction
pour déterminer la question à l'occasion d'une demande sous le
paragraphe 28(1) portée à l'encontre de la décision finale de la
Commission, une fois la Commission functus officio, il n'en
résulte pas qu'elle puisse avoir juridiction maintenant en vertu
du paragraphe 28(4).
La demande de la Commission fondée sur le paragraphe
28(4) a le même sens et la même portée que si elle intentait une
action déclaratoire. La Commission excède les limites de son
mandat lorsqu'elle se présente devant la Cour pour vérifier
judiciairement la constitutionnalité des dispositions de sa loi
constitutive.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
In re la Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique, [1973] C.F. 604 (C.A.); Martin Service Sta
tion Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1974] 1
C.F. 398 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Renvoi: Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; Sémi-
naire de Chicoutimi c. La Cité de Chicoutimi, [1973]
R.C.S. 681.
AVOCATS:
Paul M. Demers pour Walter Rosen.
Louis-Paul Cullen et Brian C. Elkin pour
CFCF Inc.
Russell G. Juriansz et Anne Trotier pour la
Commission canadienne des droits de la
personne.
PROCUREURS:
Colby, Rioux & Demers, Montréal, pour
Walter Rosen.
Ogilvy, Renault, Montréal, pour CFCF Inc.
Commission canadienne des droits de la per-
sonne pour son propre compte.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU (motifs concourants quant
au résultat): Invoquant la disposition du paragra-
phe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C.
1970 (2° Supp.), chap. 10], aux termes duquel «Un
office, une commission ou un autre tribunal fédé-
ral ... peut, à tout stade de ses procédures, ren-
voyer devant la Cour d'appel pour audition et
jugement, toute question de droit, de compétence
ou de pratique et procédure», la Commission cana-
dienne des droits de la personne (la «Commis-
sion»), le 20 novembre 1986, renvoyait devant cette
Cour pour audition et jugement une question
qu'elle formulait comme suit:
La Commission canadienne des droits de la personne devra-
t-elle considérer inopérant l'article 14c) de la Loi canadienne
sur les droits de la personne en décidant de la plainte de Walter
Rosen contre CFCF Inc., compte tenu des dispositions de la
Charte canadienne des droits et libertés?
Il faut, pour comprendre la question, se rappeler
comment est structurée la Loi canadienne sur les
droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33 (la
«Loi»), spécialement sa Partie I intitulée MOTIFS
DE DISTINCTION ILLICITE. Cette Partie I s'ouvre
sur deux dispositions générales, l'une où sont énu-
mérés les motifs de distinction illicite, dont l'âge
évidemment, l'autre qui prévoit que les actes dis-
criminatoires prévus aux articles suivants pourront
faire l'objet de plainte devant la Commission et
donner lieu aux ordonnances de celle-ci. Puis, sous
le sous-titre Actes discriminatoires, sont définies,
aux articles 5 à 13.1, les hypothèses où il y a
discrimination pour les fins de la Loi (chacun des
textes débute par les mots «Constitue un acte
discriminatoire le fait ... de»), et aux articles 14 et
suivants un certain nombre d'hypothèses où il n'y a
pas discrimination (les mots introductifs étant là
«Ne constituent pas des actes discriminatoires»).
Ainsi, alors que l'article 7 déclare que constitue un
acte discriminatoire le fait, entre autres, de «refu-
ser ... de continuer d'employer un individu .. .
pour un motif de distinction illicite», l'article 14,
qui comprend sept alinéas, stipule en son alinéa c)
[mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 7]
auquel fait référence la question soumise par la
Commission:
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
c) le fait de mettre fin à l'emploi d'une personne en appli-
quant la règle de l'âge de la retraite en vigueur pour ce genre
d'emploi;
La Commission précisait, dans son avis de
renvoi, que l'intimé Walter Rosen avait déposé une
plainte alléguant que son employeur CFCF Inc.
avait mis fin à son emploi uniquement en raison de
son âge, et CFCF Inc. contestait le caractère
discriminatoire de son acte en faisant valoir que
l'intimé avait alors atteint «l'âge de la retraite en
vigueur pour [son] genre d'emploi», et elle expli-
quait qu'avant de procéder à la longue et coûteuse
enquête que requiert la vérification dans les faits
d'une possibilité d'application de l'alinéa 14c), elle
voulait s'assurer que la disposition était bien cons-
titutionnelle et qu'il lui fallait en tenir compte.
La procédure dont la Cour est aujourd'hui saisie
vient de CFCF Inc. Il s'agit d'une requête qui
cherche à obtenir, selon les termes mêmes utilisés
dans l'avis de présentation:
une ordonnance:
1. mettant fin aux procédures dans le présent renvoi au motif
que cette honorable Cour n'a pas compétence, en vertu de
l'article 52a) de la Loi sur la Cour fédérale, et de la règle
1100 des Règles de la Cour d'appel fédérale,
ou subsidiairement:
2. mettant fin aux procédures dans le présent renvoi au motif
que celui-ci est irrégulier, en vertu des règles 5 et 474(1)a)
des Règles de la Cour fédérale,
ou subsidiairement:
3. de suspendre les procédures dans le présent renvoi au
motif que celui-ci est en instance devant un autre tribunal en
vertu de l'article 50(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
Les procureurs de la requérante, dans des affi
davits d'accompagnement et dans leurs observa
tions orales, se sont employés à clarifier leur posi
tion par delà les termes quelque peu obscurs de
leur procédure écrite. Ils ont d'abord fait état de
trois données de fait: d'abord, que la Commission
n'avait encore procédé à aucune investigation
quant à «l'âge de la retraite en vigueur pour [le]
genre d'emploi» qu'occupait le plaignant, l'intimé
Rosen; ensuite, que ce dernier avait intenté, depuis
quelque temps déjà, devant la Cour supérieure de
la province de Québec, des procédures en déclara-
tion d'inconstitutionnalité de l'alinéa 14c) de la
Loi en même temps qu'en dommages contre CFCF
Inc., procédures auxquelles la Commission prenait
activement part; enfin, que leur cliente entendait
contester en justice toute prétention d'inconstitu-
tionnalité de l'alinéa 14c) de la Loi en apportant
les preuves requises pour montrer que la règle y
édictée rencontrait les conditions spéciales de vali-
dité de l'article 1 de la Charte [Charte canadienne
des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] Puis,
ces faits étant établis et d'ailleurs non contestés, ils
ont fait valoir au soutien de leur requête une série
d'arguments qui se rattachaient tous en définitive,
si j'ai bien compris, à deux prétentions majeures:
l'une, principale, à l'effet que le renvoi était super-
flu ou pour le moins prématuré; et l'autre, subsi-
diaire, à l'effet qu'il ne portait pas sur une question
de droit comme l'exige le paragraphe 28(4).
Aussi bien disposer tout de suite de la prétention
subsidiaire qui ne mérite pas de longs commentai-
res. Elle s'appuie sur l'idée que la question posée
mettant en cause l'article 1 de la Charte ne pourra
se résoudre que sur la base d'une preuve de faits.
Mais l'équivoque est évidente. La constitutionna-
lité d'une disposition législative ne peut pas être
autre chose qu'une question de droit. Sans doute
depuis l'avènement de la Charte avec son article 1,
il pourra arriver souvent que cette question de
droit qu'est la constitutionnalité d'une loi exigera
la présentation et la considération d'une preuve de
faits, mais d'abord il n'était pas impossible qu'il en
soit ainsi déjà auparavant (cf. Renvoi: Loi anti-
inflation, [1976] 2 R.C.S. 373) et de toute façon le
paragraphe 28(4) ne permet pas de prendre cette
situation particulière en considération. Sans doute
aussi a-t-on peine à imaginer la tenue d'un procès
devant une cour d'appel, mais, d'une part, l'éta-
blissement d'une preuve peut se faire sans audition
orale, sans procès, et d'autre part, l'audition de
témoins devant une cour d'appel ne met pas en
cause une question de pouvoir mais uniquement de
convenance et de modalités.
Si la prétention subsidiaire des procureurs de la
requérante ne méritait pas vraiment qu'on s'y
attarde, il n'en est pas ainsi de leur prétention
principale. Mon collègue, le juge Hugessen, dont
j'ai eu l'avantage de lire les motifs, l'a même
retenue en substance. C'est en effet parce que la
question posée n'est pas, «au présent stade des
procédures», susceptible de disposer du litige dont
est saisie la Commission que mon collègue se dit
d'avis que le renvoi n'est pas recevable. Et que la
réponse à la question posée ne puisse disposer du
litige est clair à son avis car, et je me permettrai ici
de reproduire ses mots «Si la Cour décide que
l'alinéa 14c) est valide, la Commission devra alors
poursuivre son enquête. Si, par contre, nous
jugeons l'alinéa 14c) inopérant, la Commission
devra nécessairement demander que la plainte soit
examinée par un tribunal des droits de la personne,
seul habilité à disposer de l'affaire.» Les procu-
reurs de la requérante parlaient aussi du caractère
superflu du renvoi mais dans le même sens, faisant
valoir que la Commission, n'ayant pas à disposer
de la plainte, n'avait pas besoin, elle, de connaître
la réponse à la question. C'est au niveau de la
décision, soutenaient-ils, que la réponse pouvait
importer, c'est donc le tribunal seul qui pourrait
s'y intéresser.
Je me permets, avec déférence, de contester
cette façon de voir. Il est certain, comme cette
Cour l'a fait remarquer dans les décisions In re la
Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique, [1973] C.F. 604 et Martin Service Sta
tion Ltd. c. Le ministre du Revenu national,
[1974] 1 C.F. 398, que pour n'être pas académi-
que, et partant non recevable, une question sous le
paragraphe 28(4) doit être telle qu'une des répon-
ses possibles puisse disposer de l'affaire dont le
tribunal qui initie la référence est saisi. Mais
n'est-ce pas justement le cas ici si on s'en tient
précisément à «l'affaire» dont la Commission «est
saisie». Car quel est le rôle de la Commission?
L'article 36 de la Loi ne permet pas d'hésiter: c'est
de se convaincre que l'examen de la plainte est ou
n'est pas justifié, ce qui exige, d'abord, qu'elle se
convainque que l'acte dont se plaint le plaignant
peut ou ne peut pas faire l'objet d'une plainte,
parce qu'il est ou n'est pas discriminatoire au sens
de la Loi. Lorsqu'elle se sera convaincue de l'une
ou l'autre des deux possibilités, la Commission
devra prendre position et son rôle, en tant qu'orga-
nisme de décision, sera terminé. C'est ça «l'affaire
qui est devant elle»'. Dès qu'on accepte les préten-
tions et l'optique de la Commission, on est forcé
d'admettre que le renvoi n'est ni inutile, ni préma-
turé, ni académique, car elle a raison de dire
qu'une réponse négative quant à la constitutionna-
lité de l'alinéa 14c) réglera son dilemme et lui
dictera sa décision.
' L'article 36 [mod. par 1980-81-82-83, chap. 143, art. 16;
S.C. 1985, chap. 26, art. 69] de la Loi se lit en effet comme
suit:
36. (1) L'enquêteur doit, le plus tôt possible après la fin de
l'enquête, présenter son rapport à la Commission.
(2) Dans les cas où, au reçu du rapport d'enquête prévu au
paragraphe (1), la Commission est convaincue
(Suite à la page suivante)
Si je suis en désaccord avec les prétentions de la
requérante et le raisonnement retenu par mon
collègue, je n'en suis pas moins venu à la conclu
sion, moi aussi, que la requête est bien fondée. La
Cour doit refuser d'agir, à mon avis, parce que la
question posée ne peut, ni maintenant ni plus tard,
faire l'objet d'un renvoi par la Commission sous le
paragraphe 28(4) et que par conséquent la Cour
n'a pas juridiction pour s'en saisir. Et pourquoi la
question posée ne relève-t-elle pas du paragraphe
28(4) dans les circonstances de l'espèce? Parce que
ce n'est pas une question que la Commission a à
trancher.
Dans les deux décisions auxquelles je viens de
faire référence, les seules à ma connaissance où
cette Cour a eu à préciser le sens et la portée du
paragraphe 28(4) de sa loi constitutive, le point
majeur mis en lumière à chaque fois fut précisé-
ment que, pour faire l'objet d'un renvoi, la ques
tion posée par le tribunal devait en être une que le
tribunal était lui-même tenu de décider. Dans la
(Suite de la page précédente)
a) qu'il est préférable que le plaignant épuise les recours
internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs
qui lui sont raisonnablement ouverts, ou
b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite,
dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des
procédures prévues par une autre loi du Parlement,
elle doit renvoyer le plaignant à l'autorité compétente.
(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe
(1), la Commission:
a) peut demander au président du Comité du tribunal des
droits de la personne de constituer un tribunal des droits de
la personne, en application de l'article 39, chargé d'examiner
la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue:
(i) que, compte tenu des circonstances relatives à la
plainte, l'examen de celle-ci est justifié,
(ii) qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en applica
tion du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des
sous-alinéas 33b)(ii) à (iv);
b) doit rejeter la plainte, si elle est convaincue:
(i) que, compte tenu des circonstances relatives à la
plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,
(ii) que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs
énoncés aux sous-alinéas 33b)(ii) à (iv).
(4) Après réception du rapport d'enquête prévu au paragra-
phe (1), la Commission
a) doit informer par écrit les parties à la plainte de la
décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);
et
b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle
juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des
paragraphes (2) ou (3).
première décision, In re la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, l'ancien juge en
chef de cette Cour écrivait (à la page 615):
Il est important de souligner que cette disposition ne permet pas
de donner un avis consultatif tel que le permet l'article 55 de la
Loi sur la Cour suprême en vertu duquel une question est
soumise à la Cour suprême du Canada pour «audition et pour
examen» et la Cour est tenue d'exprimer «son opinion» sur toute
question ainsi soumise. L'article 28(4) vise le renvoi d'une
«question de droit», survenue à certain «stade» des «procédures»
d'un tribunal, devant cette Cour par le tribunal pour «audition
et jugement» (j'ai moi-même souligné). A mon avis, ce genre de
renvoi ne peut être effectué que par une ordonnance du tribunal
en question qui soumet à cette Cour toute conclusion de fait ou
autre élément de preuve sur lesquels il se serait fondé s'il
tranchait la question de droit lui-même. En outre, à mon avis,
l'article 28(4), dans la mesure où des questions de droit sont en
jeu, ne vise que le jugement d'une question de droit qui doit être
tranchée pour pouvoir régler l'affaire pendant devant le tribu
nal qui fait le renvoi. Il ne vise pas la solution d'une question de
droit théorique.
Dans Martin Service Station Ltd. c. Le ministre
du Revenu national, le juge en chef Jackett, con-
firmant en cela des propos du juge Pratte avec
lequel il concourait, s'employait à appuyer de nou-
veau sur l'idée en écrivant [à la page 400]:
Néanmoins, cette question peut à mon avis relever de l'article
28(4) s'il s'agit d'une question qui aurait été en état d'être
jugée par le juge-arbitre lui-même, s'il ne l'avait pas renvoyée à
la Coure.
On fait valoir que même si un tribunal inférieur
n'a évidemment pas juridiction pour trancher une
question constitutionnelle', il y a néanmoins des
hypothèses où il sera appelé à se former une
opinion à ce sujet. Je me permets d'en douter, à
moins qu'il s'agisse d'une question qui se rattache
directement à l'étendue de sa propre juridiction
comme dans l'affaire Séminaire de Chicoutimi c.
La Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S. 681. Mais,
quoi qu'il en soit, «se former une opinion» n'est pas
déterminer la question, en décider, la juger. Cette
Cour ne donne pas d'opinion, elle détermine les
questions, et on comprendrait mal que pour aider
un tribunal à se former une opinion, elle soit
appelée à décider, à juger la question.
2 Le paragraphe dans la version anglaise se lit:
Nevertheless, that question may, in my view, be a question that
falls under section 28(4) if it is a question that was ready for
determination by the Umpire himself, if he had not referred it
to the Court. [C'est moi qui souligne.]
Un arrêt tout récent encore à ce sujet est celui de Mills c.
La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863.
On tente de dire que justement la question se
rattache à la juridiction et que de toute façon elle
pourra éventuellement avoir à être tranchée par la
Cour à l'occasion d'une demande en vertu du
paragraphe 28 (1) de la Loi qui définit sa compé-
tence. Ici aussi j'ai des doutes sérieux. Car il faut
bien analyser la situation par rapport à la Loi pour
l'application de laquelle la Commission existe. La
Commission a reçu un mandat précis: recevoir des
plaintes relativement à des hypothèses de discrimi
nation définies et il est reconnu, comme je le
rappelais ci-haut, que l'article 14 de la Loi édicte
des dispositions constitutives de ces définitions.
Une déclaration d'inconstitutionnalité de l'une des
dispositions de l'article 14 aurait-elle pour effet de
donner à la Commission le pouvoir de considérer
des plaintes relativement à des hypothèses non
comprises dans le mandat que le Parlement lui a
confié? Il faudrait pour qu'il en soit ainsi que la
Loi soit vue comme attribuant à la Commission
une juridiction générale devant couvrir toutes les
hypothèses de discrimination non validement
exclues. Ce qui n'est certes pas acquis. Le tribunal
ici qu'est la Commission ne se pose pas la question
de savoir s'il a juridiction pour agir, comme dans
l'affaire du Séminaire de Chicoutimi c. La Cité de
Chicoutimi, citée plus haut; il se demande si le
Parlement n'aurait pas dû lui donner une juridic-
tion plus étendue qui lui permettrait de recevoir
des plaintes et d'y donner suite dans des hypothè-
ses autres que celles définies. Et même si la Cour
avait juridiction pour déterminer la question à
l'occasion d'une demande sous le paragraphe 28 (1)
portée à l'encontre de la décision finale de la
Commission, une fois la Commission functus offi-
cio, il n'en résulte pas qu'elle puisse avoir juridic-
tion maintenant en vertu du paragraphe 28(4).
Ce qui me conduit à un dernier argument. C'est
la Commission qui saisit la Cour sous le paragra-
phe 28(4) et son geste a le même sens et la même
portée que si elle intentait une action déclaratoire.
Il me semble que la Commission excède les limites
de son mandat et agit sans autorité ni capacité
juridique lorsqu'elle se présente devant la Cour
pour vérifier judiciairement la constitutionnalité
des dispositions de sa loi constitutive.
Voilà donc les raisons pour lesquelles je crois
moi aussi bien fondée cette requête en rejet et
suggère en conséquence qu'il soit mis fin aux
procédures initiées par le renvoi de la Commission.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE HUGESSEN: Nous sommes saisis d'une
requête visant à mettre fin aux procédures présen-
tée en vertu de l'alinéa 52a) de la Loi sur la Cour
fédérale 4 à l'encontre d'un renvoi fait à la Cour
par la Commission canadienne des droits de la
personne en vertu du paragraphe 28(4).
Le renvoi lui-même se lit comme suit:
RENVOI
(Article 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale)
Le plaignant, Walter Rosen, a déposé une plainte en date du 16
décembre 1985 alléguant la commission d'un acte discrimina-
toire par le mis-en-cause CFCF Inc. Le plaignant allègue avoir
été mis à la retraite en raison de son âge contrairement aux
dispositions de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de
la personne.
Le mis-en-cause CFCF Inc. conteste les allégués de la plainte
et prétend qu'aucun acte discriminatoire n'a été commis
compte tenu des dispositions de l'article 14c) de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne. Cette disposition prévoit
qu'une mise à la retraite en application de la règle de la mise à
la retraite en vigueur pour le genre d'emploi en litige ne
constitue pas un acte discriminatoire.
Le 20 novembre 1986, la Commission canadienne des droits de
la personne décidait de renvoyer la question de droit et de
compétence suivante pour audition et jugement à la Cour
fédérale d'appel, conformément à l'article 28(4) de la Loi sur la
Cour fédérale:
La Commission canadienne des droits de la personne devra-
t-elle considérer inopérant l'article 14c) de la Loi canadienne
sur les droits de la personne en décidant de la plainte de
Walter Rosen contre CFCF Inc., compte tenu des disposi
tions de la Charte canadienne des droits et libertés?
Il est appuyé d'une copie certifiée de la «décision»
de la Commission en date du 20 novembre 1986
rendue dans les termes suivants:
La Commission déclare:
en vertu du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale,
que la plainte (Q11191) de Walter Rosen de Montréal
(Québec) contre CFCF Inc. en date du 16 décembre 1985,
selon laquelle il y a eu discrimination fondée sur l'âge en
matière d'emploi, est renvoyée devant la Cour d'appel fédérale,
afin que celle-ci statue sur la constitutionnalité de l'alinéa 14c)
de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
En prenant sa décision, la Commission a tenu compte du travail
fait par la Direction de la recherche et des politiques.
4 S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10.
Je souligne tout de suite que le renvoi, à sa face
même, est défectueux quant à la forme. En pre
mier lieu, il n'est pas conforme au texte de la
décision qui l'autorise; celle-ci prétend renvoyer
devant la Cour «da plainte» (ce qui ne serait évi-
demment pas possible) alors que celui-là pose une
question de droit mais dans des termes purement
théoriques. Qui plus est, le renvoi n'énonce aucune
conclusion de fait qui permette à la Cour d'appré-
cier si la question posée est réellement
... une question de droit qui doit être tranchée pour pouvoir
régler l'affaire pendante devant le tribunal qui fait le renvois.
Je ne crois pas, toutefois, que nous devions
accueillir la requête et mettre fin aux procédures
pour ces seuls motifs d'ordre technique. En fait, il
existe au dossier certains indices nous permettant
de croire que, même si elle ne s'exprime pas claire-
ment, la Commission, en réalité, a décidé:
a) que le plaignant, M. Rosen, a été mis à la
retraite à l'âge de soixante-six ans par son
employeur, CFCF Inc.;
b) que M. Rosen voulait continuer à travailler à
plein temps pour son employeur;
c) que CFCF Inc. prétend avoir agi en appli-
quant la règle de l'âge de la retraite en vigueur
pour le genre d'emploi occupé par M. Rosen;
l'employeur invoque ainsi l'exception prévue à
l'alinéa 14c) de la Loi canadienne sur les droits de
la personne';
d) qu'aucun règlement de la plainte n'est possi
ble au stade actuel;
e) que, étant d'avis que ledit alinéa 14c) est
devenu inopérant suite à l'entrée en vigueur de
l'article 15 de la Charte canadienne des droits et
libertés, elle ne ferait pas enquête sur les préten-
tions de CFCF Inc. quant à l'âge de la retraite en
5 I re la Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique, [1973] C.F. 604, la p. 615.
6 S.C. 1976-77, chap. 33 [mod. par. S.C. 1980-81-82-83,
chap. 143, art. 7].
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
c) le fait de mettre fin à l'emploi d'une personne en appli-
quant la règle de l'âge de la retraite en vigueur pour ce genre
d'emploi;
vigueur pour le genre d'emploi occupé par M.
Rosen;
f) qu'elle est convaincue, abstraction faite de
l'application possible de l'alinéa 14e), que le cas de
M. Rosen en est un qui est visé par l'alinéa
36(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la
personne et que, par conséquent, l'examen de la
plainte par un tribunal des droits de la personne
serait justifié.
Cependant, même si nous tenons pour acquis
que le renvoi comprend tous les éléments énoncés
ci-dessus, je suis quand même d'avis qu'il ne peut
pas être soumis à la Cour d'appel «pour audition et
jugement» aux termes du paragraphe 28(4) de la
Loi sur la Cour fédérale.
J'ai déjà cité l'avis du juge en chef Jackett dans
l'affaire In re la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique, que seules des ques
tions de droit qui doivent être tranchées pour
pouvoir régler l'affaire dont il est saisi peuvent être
renvoyées par un tribunal devant la Cour. Dans
l'arrêt Martin Service Station Ltd. c. Le ministre
du Revenu national, [1974] 1 C.F. 398 (C.A.),
mon collègue le juge Pratte a exprimé la même
idée dans les termes suivants, aux pages 405 et
406:
Cependant, à mon avis, pour qu'une question de droit puisse
valablement faire l'objet d'un renvoi en vertu de l'article 28(4)
de la Loi sur la Cour fédérale, il n'est pas nécessaire que la
réponse, quelle qu'elle soit, que cette cour donne à la question
dispose du litige dont est saisi le tribunal auteur du renvoi; il
suffit que la question soit telle qu'une des réponses possibles
puisse disposer de l'affaire.
Or, pour bien apprécier si l'une des réponses
possibles à la question posée dans le renvoi pour-
rait disposer de l'affaire d'une manière définitive,
il est essentiel de comprendre le rôle que joue la
Commission dans l'examen des plaintes. Ce rôle
n'est pas de juger si une plainte est fondée mais
plutôt d'agir comme crible, pour exclure les plain-
tes manifestement mal fondées. Lorsqu'elle consi-
dère qu'une plainte mérite d'être poursuivie plus à
fond, la Commission peut soit essayer de promou-
voir un règlement à l'amiable, soit demander que
l'affaire soit examinée par un tribunal des droits
de la personne, devant lequel elle agira comme
poursuivant. C'est donc uniquement dans les cas
où elle conclut au rejet d'une plainte qu'elle est
habilitée à en disposer. Dans tous les autres cas,
elle doit référer le dossier à un autre organisme. Il
est d'ailleurs manifeste qu'en l'espèce la Commis
sion, loin d'avoir conclu au rejet, est d'avis que la
plainte n'est pas mal fondée.
Le paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour
fédérale permet à la Commission de renvoyer une
question devant la Cour pour «jugement». Dans le
contexte de l'article 28, le mot «jugement» impli-
que nécessairement que la Cour soit en mesure de
statuer, en tout ou en partie, sur le fond même du
litige qui a donné lieu au renvoi. Or, au présent
stade des procédures, une réponse au renvoi, quelle
qu'elle soit, ne pourra jamais disposer du litige
dont est saisie la Commission. Si la Cour décide
que l'alinéa 14c) est valide, la Commission devra
alors poursuivre son enquête. Si, par contre, nous
jugeons l'alinéa 14c) inopérant, la Commission
devra nécessairement demander que la plainte soit
examinée par un tribunal des droits de la personne,
seul habilité à disposer de l'affaire.
J'en conclus que le prétendu renvoi n'est pas
autorisé par l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale. J'accueillerais donc la requête et j'ordon-
nerais qu'il soit mis fin aux procédures de renvoi
dans le présent dossier.
LE JUGE PRATTE: Je suis d'accord.
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