T-4298-78
Consolidated -Bathurst Limited (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CONSOLIDATED-BATHURST LTD. c. CANADA
Division de première instance, juge Strayer—
Toronto, 22 janvier; Ottawa, 15 février 1985.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
La demanderesse a établi à l'étranger une filiale en matière
d'assurances — Risque réassuré avec une compagnie à l'étran-
ger — Pourcentage des primes transféré à la filiale — Rejet
de la demande par laquelle la demanderesse a réclamé à titre
de dépenses pour fins d'assurance les «primes» qu'elle a
versées directement ou indirectement à sa filiale — Les primes
sont-elles déductibles en vertu des art. 18(1)e) et 245(1)? — II
n'y a pas eu trompe-l'oeil — L'existence d'un but commercial
véritable ne soustrait pas le contribuable à l'assujettissement à
l'impôt — Les primes ont réduit de façon factice le revenu de
la demanderesse et ne sont donc pas déductibles sous le régime
de l'art. 245(1) — Voile qui couvre les sociétés percé — La
filiale «est à la merci de la compagnie mère» — Fonds de
réserve créé aux mains de la filiale pour payer les pertes
éventuelles non assurées par des tiers — Aucune déduction
n'est accordée en vertu de l'art. 18(1)e) — Pertinence de la
jurisprudence américaine — II n'y a pas eu transfert ni
répartition de risques — C'est à tort qu'on a attribué à la
demanderesse le revenu tiré d'intérêts que la filiale avait gagné
— Application des règles de droit régissant les biens — En
l'absence d'une règle particulière, le revenu d'une filiale n'est
pas le revenu de la société mère — Appel des nouvelles
cotisations accueilli en partie — Loi de l'impôt sur le revenu,
S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 18(1)e), 245(1).
La difficulté d'obtenir une assurance et le coût de celle-ci ont
amené la demanderesse, une société qui fabrique de la pâte et
du papier, à établir une filiale, OI, qui exploitait une entreprise
aux Bermudes. Par suite de l'adoption de ce nouveau pro
gramme, la demanderesse a contracté des «polices couvrant les
franchises». Les compagnies d'assurances réassuraient avec OI
un pourcentage du risque en vertu des polices couvrant les
franchises qu'elles ont vendues à la demanderesse. Elles trans-
féraient également à OI un pourcentage des primes reçues de la
demanderesse. Les primes payées par OI pour la réassurance ne
représentaient qu'une petite partie des sommes qu'elle a reçues
à titre de primes de ces compagnies. OI a conservé le reste du
risque qu'elle n'a pas réassuré.
Le Ministre a rejeté les «dépenses pour fins d'assurance»
réclamées à titre de déduction par la demanderesse pour ses
années d'imposition 1971 à 1975, mais il lui a attribué le
«revenu tiré d'intérêts» qu'OI avait gagné.
Le Ministre fait valoir que, par ce système de propre assu
rance, la demanderesse a créé un fonds de réserve entre les
mains d'OI pour être remboursée des dommages pouvant être
causés à ses biens et qui n'étaient pas couverts par les tiers, et
que l'argent ainsi destiné à OI ne saurait être déduit à titre de
dépenses. Il échet d'examiner si les opérations de la demande-
resse constituent un trompe-l'oeil, et si les «primes» payées à OI
n'étaient pas déductibles en vertu de l'alinéa 18(1)e), qui
interdit la déduction d'une somme transférée au compte d'une
réserve, et du paragraphe 245(1), qui prévoit qu'aucune déduc-
tion ne peut être faite à l'égard d'un débours qui réduirait de
façon factice le revenu.
Jugement: La nouvelle cotisation concerant l'attribution à la
demanderesse du «revenu tiré d'intérêts» qu'OI avait gagné
devrait être renvoyée au Ministre, mais, à d'autres égards,
l'action devrait être rejetée.
Le programme d'assurance de la demanderesse visait un but
commercial véritable. La difficulté d'obtenir une assurance à
un coût raisonnable constituait un facteur important dans
l'établissement du programme avec OI. Pour ce qui est des
opérations de la demanderesse, il ne s'agissait pas d'un «trompe-
l'oeil». Les rapports juridiques entre les diverses compagnies et
avec les assureurs étrangers découlaient tous, semble-t-il, de
contrats légalement exécutoires donnant lieu à des obligations
exécutables. L'existence d'un but commercial véritable ne sau-
rait, toutefois, soustraire le contribuable à l'assujettissement à
l'impôt si l'opération entraîne, sous d'autres rapports, une
imposition.
La question de savoir si les «primes» que la demanderesse a
payées directement ou indirectement à OI réduisaient de façon
factice son revenu et n'étaient donc pas déductibles devait
recevoir une réponse affirmative. Dans l'affaire Don Fell Limi
ted c. La Reine (1981), 81 DTC 5282 (C.F. 1'» inst.), le mot
«factice» a été défini comme signifiant «qui n'est pas naturel». Il
était permis, occasionnellement, de percer le voile qui couvre les
sociétés afin d'«examiner la véritable situation» et de détermi-
ner si la «filiale était à la merci de la compagnie mère», ainsi
qu'il a été statué dans Covert et autres c. Ministre des Finances
de la Nouvelle-Écosse, [1980] 2 R.C.S. 774.
Puisqu'OI était une filiale en propriété exclusive de St.
Maurice Holdings Ltd., qui, à son tour, appartenait à 100 % à
la demanderesse, on peut seulement en déduire qu'OI «devait
lui [la compagnie mère] obéir au doigt et à l'oeil», ainsi qu'il a
été dit dans l'affaire Covert. Le programme d'assurance était
un moyen permettant à la demanderesse de canaliser ses fonds
vers l'un de ses intermédiaires qu'elle contrôlait complètement.
De plus, la preuve révèle que la réassurance obtenue était
accessible à toute compagnie d'assurances, qu'elle soit satellite
ou non. Les «primes» payées par la demanderesse étaient en fait
des sommes transférées à un fonds de réserve et ne sont donc
pas déductibles en vertu de l'alinéa 18(1)e).
Certaines décisions américaines avaient traité de la notion de
transfert et de répartition de risques en matière d'assurance.
L'assurance implique essentiellement un transfert de risques à
une personne ou à une société qui s'occupe d'assumer le risque
d'autrui. En l'espèce, il n'y a pas eu transfert de risques à
quiconque, sauf à un intermédiaire de l'assuré, intermédiaire
dont tout l'actif provient directement ou indirectement de ce
dernier. Il n'y a pas eu transfert véritable de risques. Le
paiement des «primes» à OI réduisait de façon factice le revenu
de la demanderesse.
Le Ministre, bien qu'il ait refusé la déduction des primes
versées indirectement ou directement à OI, a permis de retran-
cher des sommes refusées les montants réellement payés par OI
pour les pertes causées aux biens de la demanderesse. Il en
résulte que le revenu de la demanderesse a été réduit d'autant.
Cette cotisation était exacte. Toutefois, c'est à tort que le
Ministre a attribué à la demanderesse les sommes gagnées par
OI en intérêt ou grâce à l'écart dans le cours du change
concernant les fonds détenus par OI. Il y a lieu d'appliquer les
règles de droit normales régissant les biens. Le revenu d'une
filiale ne saurait être considéré comme le revenu de la société
mère en l'absence d'une règle particulière à cet égard. Le
paragraphe 245(1) ne s'applique pas au revenu d'OI provenant
de l'intérêt ou de la différence de change et, en l'absence d'un
trompe-l'oeil, les distinctions normales entre une société mère et
ses filiales s'imposent.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Covert et autres c. Ministre des Finances de la Nouvelle-
Écosse, [1980] 2 R.C.S. 774.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Don Fell Limited c. La Reine (1981), 81 DTC 5282
(C.F. 1" inst.); Sigma Explorations Ltd. c. La Reine,
[1975] C.F. 624 (1" inst.); Helvering v. Le Gierse, 312
U.S. 531 (1941); Carnation Co. v. C.I.R., 640 F.2d 1010
(9th Cir. 1981); certiorari rejeté 454 U.S. 965 (1981);
Stearns -Roger Corp., Inc. v. U.S., 577 F.Supp. 833
(U.S.D.Ct. 1984).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S.
536; 84 DTC 6305; Snook v. London & West Riding
Investments, Ltd., [1967] 1 All E.R. 518 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Parsons, [1984] 2 C.F. 909; [1984] CTC 354
(CA.); Shulman, Isaac v. Minister of National Revenue,
[1961] R.C.E. 410; Fraser Companies Ltd. c. La Reine,
[1981] CTC 61 (C.F. 1" inst.); The Queen v. Redpath
Industries Ltd. et al. (1984), 84 DTC 6349 (C.S. Qué.).
AVOCATS:
Donald G. H. Bowman, c.r. et M. A. Mon-
teith pour la demanderesse.
Wilfrid Lefebvre, c.r., J. Côté et J. D'Auray
pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Toronto, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
Les faits
Dans la présente action, la demanderesse inter-
jette appel des nouvelles cotisations établies par le
ministre du Revenu national à l'égard des années
d'imposition 1972 1975 inclusivement, et du rejet
de certaines dépenses engagées en 1970 et 1971
qui, même si aucun impôt n'était dû au cours de
ces années, influeraient sur le montant des pertes
qu'elle pouvait rejeter sur les années ultérieures.
Au cours de l'instruction, on a informé la Cour
du règlement de certaines questions et les avocats
des parties ont signé à cet égard un document
intitulé [TRADUCTION] «Acquiescement partiel au
jugement» qui fera partie du jugement final.
Il reste essentiellement la question du rejet de
certaines [TRADUCTION] «dépenses pour fins d'as-
surance» que la demanderesse a voulu déduire de
son revenu pour les années d'imposition 1971 à
1975 inclusivement, ainsi que la question de l'attri-
bution à la demanderesse d'un certain revenu tiré
d'intérêts que deux sociétés affiliées à celle-ci ont
gagné au cours de cette période, à savoir Overseas
Insurance Corporation et Overseas Insurance
Limited. Ces intérêts provenaient des fonds que
ces deux sociétés ont reçus directement ou indirec-
tement de la demanderesse. En tout, un revenu
potentiel de 5 millions de dollars est en litige
devant la Cour.
La société demanderesse a été constituée en
1967 la suite de la fusion de Consolidated Paper
Corporation Limited et de Bathurst Paper Limi
ted. Au Canada et dans plusieurs autres pays, elle
fabrique de la pâte, du papier ainsi que des pro-
duits d'emballage. Elle a de vingt à trente filiales
dans le monde entier, dont St. Maurice Holdings
Limited, une filiale en propriété exclusive consti-
tuée pour détenir des actions des sociétés affiliées
se trouvant à l'extérieur du Canada.
Il ressort de l'exposé conjoint des faits et des
éléments de preuve que, vers la fin des années
soixante, il était difficile et coûteux pour les socié-
tés faisant partie de l'industrie de la pâte et du
papier de s'assurer au Canada. La demanderesse a
connu certains problèmes en raison de ses pertes
élevées. Elle devait cependant contracter une assu
rance sous forme d'actes de fiducie probablement
en ce qui a trait aux emprunts impayés. En 1970,
le conseil d'administration de la demanderesse a,
après consultation, décidé de constituer sa propre
filiale en matière d'assurances. Sans entrer dans
les détails, il ressort de la preuve que plusieurs
facteurs ont amené le conseil d'administration à
prendre cette décision. La difficulté d'obtenir une
assurance et le coût de celle-ci constituaient un
facteur que la défenderesse ne conteste pas, bien
qu'elle doute de la nécessité et de l'efficacité de la
solution adoptée pour résoudre cette difficulté. Se
soustraire à la réglementation de l'industrie de
l'assurance en vigueur au Canada et éluder l'impôt
canadien ont manifestement rendu attrayante
l'idée d'établir une telle filiale à l'étranger. En
conséquence, la demanderesse a, en 1970, consti-
tué à Panama une compagnie, Overseas Insurance
Corporation, qui a obtenu l'autorisation d'exploiter
une entreprise d'assurance aux Bermudes. Cette
compagnie était la propriété exclusive de St. Mau-
rice Limited qui elle-même, comme il a été dit,
appartient à 100 % à la demanderesse. En 1974,
Overseas Insurance Corporation a été remplacée
par Overseas Insurance Limited, qui a été consti-
tuée cette année-là aux Bermudes. Cette compa-
gnie était également la propriété exclusive de St.
Maurice Limited, et tout l'actif d'Overseas Insu
rance Corporation lui a été transféré. À mon avis,
rien ne découle de la transformation de la société
panaméenne en une société des Bermudes et je
désignerai ces deux sociétés sous le nom de «01».
Au début en 1970, le capital d'OI était de
120 000 $; il était composé de 12 actions ordinaires
de 10 000 $ chacune, souscrites par St. Maurice.
Il appert qu'OI n'a jamais eu d'employés, étant
gérée, en vertu d'un contrat, par Insurance Mana
gers Limited, une compagnie des Bermudes qui est
la propriété exclusive de Reed, Shaw Osler Limi
ted, courtiers d'assurances canadiens qui ont forte-
ment recommandé à la demanderesse de constituer
une compagnie d'assurances [TRADUCTION]
«satellite» à l'étranger. La déposition faite devant
moi par le président d'Insurance Managers Limi
ted, M. David A. Brown, révèle que, avec un
personnel composé de 35 employés à Hamilton
(Bermudes), Insurance Managers Limited gère
quelque cinquante-cinq compagnies d'assurances
satellites qui ont toutes décidé d'avoir leur siège
social aux Bermudes.
Étant donné l'immensité de ses avoirs et de ses
opérations, la demanderesse possédait à un
moment donné plusieurs polices d'assurances. Au
cours de la période en question, elle avait des
polices globables qui s'appliquaient à divers genres
de risques et de biens-fonds et qui comportaient
des franchises élevées. Certaines de ces franchises
totalisaient 500 000 $ par année. Par suite de
l'adoption en 1970 de son nouveau programme
d'assurance, la demanderesse a, en plus de ces
polices, contracté avec Victoria Insurance Com
pany of Canada une assurance par laquelle ces
franchises étaient couvertes par une [TRADUC-
TION] «police couvrant les franchises» qui assurait
la demanderesse contre les pertes dont le montant
est inférieur aux franchises stipulées dans les poli
ces d'assurance générale. (Je crois comprendre
normalement que les polices couvrant les franchi
ses comportaient également une faible franchise,
bien que cela ne me paraisse pas évident dans le
cas de la police souscrite avec Victoria Insurance.)
Cette couverture des «franchises» portait donc sur
la «première» catégorie de risques, par opposition à
la catégorie des «catastrophes» couverte par les
polices globables comportant des franchises éle-
vées. La police souscrite avec Victoria Insurance
était valable pour les cinq derniers mois de 1970.
En plus de souscrire cette police, Victoria a signé
en même temps une [TRADUCTION] «entente
facultative à découvert» avec OI par laquelle elle
réassurait avec OI 92,5 % de la responsabilité
prévue dans la police couvrant les franchises
qu'elle a vendue à la demanderesse. Elle a égale-
ment transféré à OI 92,5 % de la prime qu'elle
avait reçue de la demanderesse, déduction faite des
commissions. Je ne suis pas certain si OI a réas-
suré une partie ou la totalité de ce risque, et
puisque les dépenses de la demanderesse pour l'an-
née d'imposition 1970 ne sont plus en question
dans la présente action, je n'ai pas à examiner
davantage ce point.
Au cours des années 1971 1974 inclusivement,
la demanderesse a conclu avec Scottish and York
Insurance Co. Limited, une autre compagnie d'as-
surances canadienne associée avec Victoria Insu
rance, une police semblable couvrant les franchises
et portant le numéro 95022. De même, Scottish
and York a en même temps signé une entente
facultative à découvert avec OI et réassuré avec
elle 92,5 % du risque, lui payant une prime équiva-
lant à 92,5 % de la prime qu'elle a reçue de la
demanderesse, moins les commissions. Dans cha-
cune de ces années, OI a réassuré une part impor-
tante du risque que Scottish and York lui avait
cédé. Cette réassurance a, semble-t-il, pris la
forme d'une réassurance [TRADUCTION] «en excé-
dent de sinistres» ou d'une réassurance [TRADUC-
TION] «en excédent de pertes». Il appert que les
primes qu'OI a payées pour la réassurance ne
représentaient qu'une petite partie des sommes
qu'elle a reçues à titre de primes de Scottish and
York. OI a conservé le reste du risque qu'elle n'a
pas réassuré.
Au cours des années où était en vigueur le
contrat numéro 95022 signé avec Scottish and
York, c'est-à-dire la «police couvrant les franchi
ses», celle-ci a exigé de St. Maurice, l'unique
actionnaire d'OI, une entente d'indemnisation par
laquelle St. Maurice indemniserait Scottish and
York de toute perte découlant de l'inexécution par
OI de ses obligations prévues dans l'entente facul-
tative à découvert. Cette entente d'indemnisation a
pour la première fois été signée en janvier 1972.
OI était également tenue de fournir à Scottish and
York une lettre de crédit tirée sur la Banque de
Montréal et garantie par ses dépôts à terme faits à
la Banque des Bermudes (Bank of Bermuda). On
a également demandé à la demanderesse elle-
même de fournir à la Banque de Montréal une
garantie de cette lettre de crédit.
Le montant de la lettre de crédit tirée en faveur
de Scottish and York qui s'élevait au début à
500 000 $ avait été porté à 1 000 000 $ à la fin de
1974. L'entente d'indemnisation fournie par St.
Maurice, la filiale en propriété exclusive de la
demanderesse, portait sur l'ensemble des dettes,
pertes et dépenses que Scottish and York pouvait
assumer, faute par OI [TRADUCTION] «de s'ac-
quitter d'une partie ou de la totalité de ses obliga
tions envers [Scottish and York] concernant les
opérations conclues entre [Scottish and York], St.
Maurice Holdings Limited et/ou Consolidated -
Bathurst Limited». D'après la preuve, Scottish and
York a exigé l'entente d'indemnisation parce
qu'elle ne connaissait pas beaucoup OI et ignorait
l'identité du réassureur. La lettre de crédit était
nécessaire pour permettre à Scottish and York de
fournir au surintendant des assurances des dépôts
de garantie qui s'imposaient parce qu'elle avait
souscrit une réassurance avec un assureur (01)
non autorisé au Canada.
En 1975, la police couvrant les franchises por-
tant le numéro 95022 contractée avec Scottish and
York a été remplacée par une police du même
genre portant le numéro 109851 souscrite auprès
d'Elite Insurance Company, un autre assureur
canadien. Elite a également signé une entente
facultative à découvert avec OI et réassuré avec
celle-ci 97 % de sa responsabilité prévue dans la
police 109851. OI a fourni à Elite une lettre de
crédit au montant de 1 000 000 $ tirée sur la
Banque de Nouvelle-Écosse et garantie par ses
dépôts à terme faits à la Banque nationale des
Bermudes (Bermuda National Bank). Le montant
de cette lettre de crédit a par la suite été porté à
1 500 000 $. Elle n'a pas exigé une entente d'in-
demnisation de St. Maurice; il n'était pas non plus
nécessaire pour la demanderesse de garantir la
lettre de crédit. Elite a également versé à OI 97 %
des primes qu'elle avait reçues de la demanderesse,
après déduction des commissions, et OI a réassuré
une part importante du risque avec d'autres com-
pagnies de réassurance. Encore une fois, les primes
de réassurance qu'OI a payées ne représentaient
qu'une petite partie des sommes qu'elle a reçues
d'Elite à titre de primes, et OI a une fois de plus
conservé cette portion du risque cédée par Elite et
qu'elle n'a pas réassurée.
Au cours de la période allant de 1971 à 1975, la
demanderesse avait également une série de polices
[TRADUCTION] «générales» couvrant des risques ou
des catégories de risques différents de ceux prévus
dans les polices couvrant les franchises. De mars
1971 à mars 1973, la police générale a été sous-
crite par un certain nombre d'assureurs, chaque
compagnie prenant en charge un certain pourcen-
tage du risque. En l'espèce, OI a été l'un des
assureurs, traitant directement avec la demande-
resse. Au cours de la première année de cette
police, OI a assumé 25 % du risque et 40 % au
cours de la deuxième année. Elle a reçu des primes
directement de la demanderesse et elle a réassuré
la majeure partie du risque avec la compagnie
Lloyds of London. Au cours des troisième et qua-
trième années, la demanderesse a obtenu de Lloyds
une police générale couvrant 100 % du risque. A
son tour, Lloyds a réassuré une partie du risque
avec OI. De nouveau, dans tous ces cas, les primes
versées par OI ne représentaient qu'une faible
partie des primes qu'elle a reçues directement de la
demanderesse ou de Lloyds.
OI a remboursé certaines pertes au cours de
cette période, qui se sont élevées à seulement
26 812 $ en 1973 pour atteindre 493 306 $ en
1972. Néanmoins, OI semble avoir prospéré, son
élément d'actif à court terme croissant de
1262109$à la fin de 1971 à 3743125$à la fin
de 1975. Son encaisse est passée de 315 109 $ à la
fin de 1971 à 3716434$à la fin de 1975.
Dans ses déclarations d'impôt sur le revenu pour
les années en cause, la demanderesse a réclamé à
titre de dépenses les primes qu'elle a versées pour
faire assurer ses biens, notamment les sommes
qu'elle a payées directement ou indirectement à OI
pour que celle-ci assure ou réassure ses biens. Dans
ses nouvelles cotisations, le Ministre a estimé que
toute somme qu'OI avait conservée et qu'elle
n'avait pas dépensée à titre de primes de réassu-
rance ou pour rembourser les pertes de la deman-
deresse ne pouvait être déduite du revenu de cette
dernière. Cela s'applique à la fois aux primes
qu'elle a reçues pour assurer ou réassurer les biens
de la demanderesse et à l'intérêt sur l'argent
qu'elle détenait. Selon le Ministre, les services
fournis par l'«assureur satellite», OI, n'étaient pas
des services d'assurance en ce qui concerne cette
partie du risque qu'OI a conservée et n'a pas
réassurée. Le Ministre soutient qu'il s'agit plutôt
d'un système complexe de propre assurance par
laquelle la demanderesse a constitué un fonds pour
couvrir ses propres risques dans la mesure où ces
risques n'étaient pas confiés à des assureurs ou
réassureurs non affiliés. Les seuls biens à l'égard
desquels OI a assumé un risque étaient ceux de la
demanderesse, et tous ses revenus provenaient
directement ou indirectement de la demanderesse.
Le Ministre prétend donc que les sommes versées
par la demanderesse relativement à cette partie du
risque concernant ses biens et prise en charge par
OI ne sauraient être déduites du revenu de la
contribuable. Il s'appuie sur l'alinéa 18(1)e) de la
Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72,
chap. 63] qui est ainsi rédigé:
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une
entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas
déductibles:
e) une somme transférée ou créditée au compte d'une réserve,
à un compte de prévoyance ou à une caisse d'amortissement,
sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;
L'avocat du Ministre fait valoir que la demande-
resse a créé un fonds de réserve entre les mains
d'OI pour être remboursée des dommages pouvant
être causés à ses biens et qui n'étaient pas couverts
par les tiers. En conséquence, prétend-il, l'argent
ainsi destiné à OI ne saurait être déduit à titre de
dépenses. De plus, il invoque le paragraphe 245 (1)
qui porte:
245. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi,
aucune déduction ne peut être faite à l'égard d'un débours fait
ou d'une dépense faite ou engagée, relativement à une affaire
ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de
façon factice le revenu.
De son côté, la demanderesse prétend que toutes
ces opérations étaient authentiques, légales et sus-
ceptibles d'exécution; qu'il s'agissait de contrats
d'assurance ordinaires; qu'il importe peu de savoir
si les compagnies en cause sont interdépendantes
parce que, aux yeux de la loi, elles sont des entités
distinctes; qu'on ne saurait présumer qu'OI a agi
comme mandataire de la demanderesse parce qu'il
s'agissait d'une société distincte; qu'il ne s'agit pas
en l'espèce d'un «trompe-l'oeil» et que l'adhésion de
la demanderesse à ce programme d'assurance
visait principalement des fins commerciales, la
taxation ne constituant pas un facteur important.
Conclusions
J'estime qu'il est facile de trancher certaines
questions.
À l'instruction, on a consacré beaucoup de
temps pour prouver que ce «programme d'assu-
rance» visait ou ne visait pas un but commercial
véritable. Il me semble que l'établissement de ce
programme, sous cette forme, visait plusieurs fins
dont un but commercial véritable. J'estime qu'il a
été établi, et je ne crois pas que la défenderesse
conteste vraiment le fait, que, vers la fin des
années 60, la demanderesse a trouvé difficile d'ob-
tenir une assurance ou de l'obtenir à un prix
raisonnable. La preuve n'indique pas clairement
dans quelle mesure ce programme a aidé à résou-
dre ce problème, mais celui-ci constituait à tout le
moins un motif important justifiant la réalisation
de ce programme avec un «assureur satellite». Cela
étant dit, le recours à d'autres juridictions reposait
sur des motifs autres que ceux d'ordre fiscal: la
constitution d'une société pouvait, paraît-il, s'effec-
tuer plus rapidement à Panama, et l'obtention d'un
permis d'exploitation d'une entreprise d'assurance
était beaucoup moins onéreuse aux Bermudes
qu'au Canada. Les garanties jugées nécessaires, au
Canada, à la protection du public étaient, semble-
t-il, inutiles aux Bermudes. Certes, la preuve
montre aussi que le conseil d'administration de la
demanderesse disposait, grâce à ses conseillers et
cadres, de renseignements indiquant les avantages,
sur le plan fiscal, d'avoir un assureur satellite dans
un paradis fiscal tel que les Bermudes. Il est
impossible de dire dans quelle mesure ces divers
facteurs ont contribué à la décision d'établir ce
programme, et je n'ai pas non plus à le faire. Je
suis lié par l'arrêt rendu par la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Stubart Investments Ltd. c.
La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; 84 DTC 6305, cet
arrêt étant suivi par la Cour d'appel fédérale dans
R. c. Parsons, [1984] 2 C.F. 909; [1984] CTC
354. Dans l'affaire Stubart, la Cour suprême a
jugé qu'il n'est pas possible d'écarter une opération
du point de vue fiscal uniquement parce que le
contribuable l'a faite sans but commercial distinct
véritable. Bien que la Cour ait reconnu que l'ab-
sence d'un tel but pourrait faire en sorte que le
présent paragraphe 245(1) s'applique à un contri-
buable, on n'a pas invoqué cette disposition dans
l'affaire Stubart. Cela signifie, semble-t-il, que
non seulement un contribuable peut s'organiser de
manière à réduire son impôt au minimum, mais
que les tribunaux devraient normalement considé-
rer comme valides les arrangements d'un tel con-
tribuable qui ne visent rien d'autre que d'éviter
l'impôt, c.-à-d. qui sont sans but commercial véri-
table. Il s'ensuit néanmoins, à mon avis, que l'exis-
tence d'un but commercial véritable ne soustrait
pas le contribuable à l'assujettissement à l'impôt si
l'opération entraîne, sous d'autres rapports, une
imposition. J'estime donc qu'il n'y a pas lieu d'exa-
miner cette question davantage.
Il ressort également des prétentions du Ministre
que ces arrangements étaient un trompe-l'oeil, et
que, par conséquent, OI doit être considérée
comme la mandataire de la demanderesse pour ce
qui est de constituer et de détenir un fonds de
réserve, et d'y toucher les intérêts. La définition
type de «trompe-l'oeil», confirmée encore une fois
par la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Stubart (précitée) aux pages 572 R.C.S.; 6320
DTC, est celle donnée par lord Diplock dans
Snook v. London & West Riding Investments,
Ltd., [1967] 1 All E.R. 518 (C.A.), à la page 528,
où il dit qu'un trompe-l'oeil consiste en des actes
accomplis
[TRADUCTION] ... dans l'intention de faire croire à des tiers ou
à la cour qu'ils créent entre les parties des obligations et droits
légaux différents des obligations et droits légaux réels (s'il en
est) que les parties ont l'intention de créer.
Je ne pense pas que les dipositions prises par la
demanderesse et ses filiales puissent être considé-
rées comme un trompe-l'oeil. Les rapports juridi-
ques entre les diverses compagnies et avec les
assureurs étrangers découlaient tous, semble-t-il,
de contrats légalement exécutoires donnant lieu à
des obligations exécutables. Le trompe-l'oeil se
caractérise par le fait d'antidater, etc.: or, rien de
tel n'a eu lieu en l'espèce.
Reste toutefois la question de savoir si l'arrange-
ment doit être considéré comme réduisant «de
façon factice» le revenu de la demanderesse, parce
que les paiements qu'elle a faits à OI pour que
celle-ci assure ses biens sont des sommes transfé-
rées à un compte de réserve et sont donc des
dépenses qui ne peuvent, en vertu du paragraphe
245(1) et de l'alinéa 18(1)e), être déduites de son
revenu.
Si je comprends bien, l'affaire Stubart n'aborde
pas la question de savoir ce qui est une réduction
factice de revenu prévue au paragraphe 245 (1) ou
à l'article qui l'a précédé. Aux pages 569 R.C.S.;
6319 DTC, le juge Estey a souligné que la Cou-
ronne n'avait pas invoqué l'article 137 qui a pré-
cédé le paragraphe 245(1). Aux pages 579 580
R.C.S.; 6323 et 6324 DTC, il a fait remarquer que
l'absence d'un but commercial véritable pourrait,
compte tenu de tous les faits, faire que l'article 137
s'applique. Selon moi, cela ne signifie pas toutefois
que l'existence d'un but commercial véritable rend
nécessairement inapplicable l'article 137 ou l'arti-
cle qui lui a succédé. Autrement dit, l'absence d'un
but commercial véritable n'est pas une condition
suspensive à l'application du paragraphe 245(1) si
le caractère factice est autrement établi, et la Cour
suprême n'a pas défini le caractère factice parce
qu'il n'en était pas question dans l'affaire Stubart.
A la différence de l'affaire Stubart, le Ministre
s'appuie expressément en l'espèce sur le paragra-
phe 245(1), parce que, selon lui, les paiements
litigieux réduisent de façon factice le revenu de la
demanderesse.
D'autres décisions aident à définir le caractère
factice. Dans l'affaire Don Fell Limited c. La
Reine (1981), 81 DTC 5282 (C.F. lre inst.), le juge
Cattanach dit à la page 5291 que le paragraphe
245(1) vise «non seulement les opérations fictives
ou simulées, mais aussi les opérations moindres». A
la page 5292, «factice» signifie d'après lui «qui
n'est pas naturel». Il a cité et approuvé les propos
tenus par le juge Collier dans Sigma Explorations
Ltd. c. La Reine, [1975] C.F. 624 (1`e inst.), à la
page 632, où celui-ci dit que le juge doit détermi-
ner objectivement si l'article 137 (maintenant l'ar-
ticle 245) s'applique en tenant compte non seule-
ment de la preuve du contribuable, mais aussi de
tous les faits pertinents. Dans Shulman, Isaac v.
Minister of National Revenue, [1961] R.C.É. 410,
à la page 425, la Cour de l'Échiquier a adopté une
définition semblable de l'expression «de façon
factice».
Il semble donc que je doive examiner ces con
ventions d'«assurance» de la demanderesse pour
voir si elles correspondent aux concepts normaux
en matière d'assurance ou si les sommes d'argent
que la demanderesse aurait versées directement ou
indirectement à OI à titre de primes ne sont pas
déductibles parce qu'elles réduisent son revenu de
façon factice.
L'avocat de la demanderesse a fait valoir que, en
droit, les sociétés sont des entités distinctes de
leurs actionnaires et qu'elles ne sont pas automati-
quement les mandataires de ceux-ci. Il a insisté sur
le fait que toutes les opérations en question ont été
conclues en bonne et due forme et ont donné lieu à
des droits et obligations susceptibles d'exécution.
J'accepte ces propositions, mais je ne pense pas
qu'elles tranchent la question. Dans les affaires
fiscales, il est permis de percer, occasionnellement,
le voile qui couvre les sociétés. Ainsi que l'a décidé
la Cour suprême du Canada à la majorité dans
l'arrêt Covert et autres c. Ministre des Finances de
la Nouvelle-Écosse, [1980] 2 R.C.S. 774, à la
page 796:
Il s'agit là d'un cas typique où la Cour doit examiner la
véritable situation et conclure que la filiale était à la merci de
la compagnie mère et devait lui obéir au doigt et à l'ceil. La
filiale n'était qu'une courroie de transmission entre la compa-
gnie mère et la succession.
Il est admis en l'espèce qu'aucun cadre ou employé
de la demanderesse ne faisait partie du conseil
d'administration d'OI. Mais cette compagnie était
une filiale en propriété exclusive de St. Maurice,
qui, à son tour, appartenait à 100 % à la demande-
resse, et on peut difficilement croire que la deman-
deresse aurait toléré que le conseil d'administra-
tion d'OI prenne des décisions importantes allant à
l'encontre de son programme d'assurance. On peut
seulement en déduire qu'OI «devait lui [la compa-
gnie mère] obéir au doigt et à l'oeil», ainsi que l'a
dit la Cour suprême dans l'affaire Covert, et que
cette compagnie mère (St. Maurice) devait obéir
au doigt et à l'ceil à sa compagnie mère (Consoli-
dated -Bathurst). Il n'y a certainement rien dans la
preuve qui indique qu'OI se soit jamais écartée de
la mise en œuvre du plan de gestion des risques de
la demanderesse.
OI a conservé la portion des risques se rappor-
tant aux biens de la demanderesse qui n'était ni
assurée ni réassurée par des compagnies non affi-
liées. Tout l'actif d'OI provenait essentiellement de
la demanderesse. C'est St. Maurice, la filiale en
propriété exclusive de la demanderesse, qui lui a
fourni son capital initial de 120 000 $; son revenu,
elle l'a reçu directement de la demanderesse à titre
de primes d'assurance, ou indirectement de la
demanderesse à titre de primes de réassurance
versées par les assureurs de celle-ci; elle a égale-
ment pu obtenir des ristournes ou commissions en
assurant ou en réassurant les biens de la demande-
resse, ainsi qu'un intérêt sur les fonds excédentai-
res dont la demanderesse était la source ultime. OI
n'avait pas d'autres clients entre lesquels elle pou-
vait répartir les risques, ni aucune autre source de
fonds à partir de laquelle la demanderesse pouvait
être indemnisée des pertes faisant partie des ris-
ques conservés par OI. Par conséquent, le «pro-
gramme d'assurance» doit être assimilé à un
moyen permettant à la demanderesse de canaliser
ses fonds vers l'un de ses intermédiaires qu'elle
contrôlait complètement et à qui elle devait
s'adresser pour réparer les pertes faisant partie des
risques conservés par OI. Les fonds dont disposait
OI provenaient de la demanderesse. Tout excédent
dont OI pouvait bénéficier était en fin de compte
sous le contrôle de la demanderesse à titre d'uni-
que actionnaire de l'unique actionnaire d'OI. C'est
la demanderesse qui était tenue aux pertes qu'OI
ne pouvait couvrir en raison d'un manque de fonds.
Ce qui en résulte est semblable à l'établissement
par une institution ou une société d'un fonds de
réserve dont elle se servirait pour réparer les pertes
non assurées causées à ses biens.
La preuve n'a pas non plus établi que ce n'était
là qu'une conséquence accessoire d'une entente
exigée par la demanderesse pour obtenir une assu
rance de tierces parties. Par exemple, il ressort de
la preuve que les primes versées à Scottish and
York, l'assureur canadien, étaient les mêmes que
celles que cet assureur aurait fait payer à n'im-
porte quel assuré, que l'assuré ait ou non une
compagnie d'assurances satellite pour agir à titre
de réassureur. Cela laisse également entendre qu'il
n'y avait, sur le plan du marché, aucun intérêt à
avoir un réassureur satellite. De même, bien qu'on
ait dit que l'une des raisons de l'établissement d'un
assureur satellite était l'accès à des marchés de
réassurance qui n'est possible que par le recours à
une compagnie d'assurances satellite, la preuve
révèle en fait que la réassurance obtenue était
accessible à toute compagnie d'assurances, qu'elle
soit satellite ou non. Par conséquent, le recours à
une compagnie d'assurances satellite en partie
pour couvrir les risques qui ne sont pas autrement
réassurés n'était pas simplement accessoire à un
accord conclu pour obtenir de tierces parties une
réassurance qui n'était pas autrement disponible.
En conséquence, je conclus que les prétendues
«primes» versées par la demanderesse concernant
les risques dont son intermédiaire, OI, a assumé la
responsabilité étaient des débours qui réduisaient
de façon factice le revenu de la demanderesse et ne
pouvaient donc pas, en vertu du paragraphe
245(1), être déduites de son revenu. En fait, ces
débours étaient des sommes transférées à un fonds
de réserve et ne sont donc pas déductibles en vertu
de l'alinéa 18(1)e) de la Loi de l'impôt sur le
revenu.
En tirant cette conclusion, je suis également
influencé par certaines décisions des tribunaux
américains qui, bien que n'étant pas rendues dans
le même cadre législatif, sont utiles parce qu'elles
constituent une analyse réaliste des rapports qu'el-
les auraient en matière d'assurance. Dans l'affaire
Helvering v. Le Gierse, 312 U.S. 531 (1941), la
Cour suprême des États-Unis a été saisie d'un
contrat d'assurance et d'une rente signés par la
défunte un mois avant son décès à l'âge de 80 ans.
Les sommes qu'elle a versées en vertu de ces
contrats et à titre de primes excédaient la somme
payable en vertu de la police d'assurance souscrite
au bénéfice de sa fille. La Cour a statué que, dans
le calcul de la valeur de la succession de la
défunte, on devait inclure la somme payable en
vertu du contrat d'assurance parce qu'il ne s'agis-
sait pas d'une véritable assurance. A la page 539,
la Cour a dit que [TRADUCTION] «historiquement
et ordinairement l'assurance implique un transfert
et une répartition des risques». Dans cette affaire,
il n'existait absolument aucun risque: de son
vivant, la prime versée par la défunte produisait un
intérêt plus que suffisant pour payer la rente aussi
longtemps que cela était nécessaire; et à sa mort,
les sommes qu'elle a versées pour acquitter la
prime d'assurance-vie et la rente étaient plus que
suffisantes pour couvrir la somme payable en vertu
de la police d'assurance-vie. En l'espèce, à l'égard
des pertes non assurées par des tiers, la demande-
resse a dû s'adresser à son propre intermédiaire,
0I, pour obtenir les fonds nécessaires au remplace-
ment de ses biens endommagés. Si l'argent—qui,
incidemment, provenait directement ou indirecte-
ment de la demanderesse—n'était pas disponible,
alors celle-ci n'était pas indemnisée de ses pertes, à
moins qu'elle ne fournisse à cette filiale de sa
filiale les fonds à même lesquels elle se rembour-
sait. Par conséquent, il n'y a eu ni transfert ni
répartition de risques.
Je trouve davantage pertinente l'affaire Carna
tion Co. v. C.LR., 640 F.2d 1010 (1981), une
décision de la Cour d'appel américaine, 9` circuit,
à la suite de laquelle la Cour suprême a rejeté une
demande de bref de certiorari dans son arrêt 454
U.S. 965 (1981). Les faits ressemblent remarqua-
blement à ceux de l'espèce. La société Carnation a
constitué Three Flowers Assurance Co., Ltd., une
filiale en propriété exclusive des Bermudes. Elle a
alors souscrit une police d'assurance globale avec
American Home Assurance Company. En même
temps, Three Flowers, l'assureur satellite, a réas-
suré 90 % de la responsabilité d'American Home
prévue dans la police de Carnation. American
Home a versé à Three Flowers 90 % de la prime
reçue de Carnation, moins la commission. Cette
entente faisait que Carnation, sur les instances
d'American Home, acceptait de constituer le capi
tal social de Three Flowers jusqu'à concurrence de
3 000 000 $. Carnation a déduit, à titre de dépense
d'exploitation, la totalité de la prime versée à
American Home. Le Internal Revenue Service a
décidé que la prime de 90 % cédée à Three Flowers
ne pouvait être déduite par Carnation comme
dépense d'exploitation. Il l'a considérée comme un
apport en capital fait par Carnation à sa filiale.
Cette décision a été confirmée par la cour des
impôts et par la Cour d'appel américaine, et la
Cour suprême des États-Unis a rejeté la demande
de bref de certiorari. La Cour d'appel s'est
appuyée notamment sur l'affaire Helvering pour
statuer que, comme en l'espèce, il n'y avait ni
transfert ni répartition de risques. Certes, on a
insisté sur l'obligation assumée par Carnation de
constituer le capital social de Three Flowers jus-
qu'à concurrence de 3 000 000 $, mais cela ne
modifie nullement le principe qui s'applique égale-
ment à l'espèce: savoir que le risque n'a été trans-
féré à personne, sauf à l'intermédiaire de l'«as-
suré», et que tout gain ou perte de l'«assureur»
revenait à l'«assuré». Bien entendu, il est également
vrai en l'espèce que la demanderesse, par l'entre-
mise de sa filiale en propriété exclusive St. Mau-
rice, s'est engagée à indemniser Scottish and York,
pendant les années où cette compagnie était son
assureur, des pertes que celle-ci pourrait subir en
raison de l'inexécution par OI de ses obligations de
réassureur. La demanderesse a également garanti
la lettre de crédit, d'abord pour la somme de
500 000 $ et plus tard pour la somme de
1 000 000 $, fournie par OI à Scottish and York.
Ces dispositions renforcent la conclusion que c'est
la demanderesse qui assumait, en fin de compte, le
risque, et font que son cas ressemble parfaitement
à celui de Carnation, pendant les années où l'en-
tente d'indemnisation et la garantie fournie par la
demanderesse étaient en vigueur. Mais je ne consi-
dère pas l'indemnisation et la garantie comme
essentielles à la conclusion que la demanderesse ou
ses intermédiaires n'ont, à aucun moment au cours
des années en question, transféré de risque.
Les affaires Helvering et Carnation ont toutes
deux été suivies dans Stearns -Roger Corp., Inc. v.
U.S., 577 F.Supp. 833 (U.S.D.Ct. 1984). Dans
cette affaire, la compagnie d'assurances satellite
Glendale Insurance Company était une filiale
américaine qui recevait des primes directement de
sa compagnie mère américaine. Ces primes, dédui-
tes par Stearns -Roger comme dépenses d'exploita-
tion, ont été rejetées par le Internai Revenue Ser
vice. La Cour de district a donné raison à celui-ci.
Elle a cité et approuvé le principe selon lequel
l'assurance implique essentiellement un transfert
de risques à une personne ou à une société qui
s'occupe d'assumer le risque d'autrui. Elle a ajouté
à la page 838:
[TRADUCTION] En l'espèce, Glendale Insurance Company ne
s'occupe pas d'assurer «autrui». Elle ne fait qu'assurer sa société
mère dont elle est la propriété exclusive et qui, en fin de
compte, supporte les pertes et bénéficie des avantages qu'elle
procure. Tant les avantages que les pertes restent au sein de la
«famille économique» Stearns -Roger. Essentiellement, Stearns -
Roger n'a, en vertu de l'accord, transféré aucun risque et n'a
fait qu'assurer elle-même ses propres risques.
Bien que la jurisprudence canadienne ne semble
pas faire mention de la notion de «famille économi-
que», nous devrions, à mon avis, tirer la même
conclusion, savoir que, dans un cas comme l'es-
pèce, il n'y a pas eu transfert de risques à quicon-
que, sauf à un intermédiaire de l'assuré, intermé-
diaire dont tout l'actif provient directement ou
indirectement de celui-ci et qui, au cas où son actif
ne serait pas suffisant, s'adresserait uniquement à
l'assuré pour trouver les fonds nécessaires à la
réparation des pertes couvertes par l'assurance.
Sans recourir à des métaphores faisant appel à la
notion de famille, je peux conclure que, en l'es-
pèce, il n'y a pas eu de transfert véritable de
risques et que, par conséquent, le paiement de
«primes» à un tel «assureur» satellite réduirait de
façon factice le revenu de l'«assuré».
Dans l'arrêt Stubart, le juge Estey s'exprime en
ces termes aux pages 576 R.C.S.; 6322 DTC:
Il paraît plus approprié d'avoir recours à un critère d'interpré-
tation qui permettrait d'appliquer la Loi de manière à viser
seulement la conduite du contribuable qui a comme effet
intentionnel de contourner la volonté expresse du législateur.
En bref, cette technique d'interprétation fait porter la législa-
tion fiscale sur la conduite du contribuable qui relève manifes-
tement de l'objet et de l'esprit des dispositions fiscales.
Étant donné que, en vertu de l'alinéa 18(1)e) de la
Loi de l'impôt sur le revenu, le législateur a
expressément interdit de déduire du revenu les
sommes transférées à un fonds de réserve, je ne
pense pas qu'il ait voulu qu'on permette à un
contribuable de réunir un ensemble suffisant—ce
que, normalement, les particuliers ou les petits
hommes d'affaires ne peuvent faire—de conseillers
et de sociétés de gestion à l'étranger pour créer ce
qui, étant légalement un plan d'assurance, est en
réalité un fonds de réserve pour la réparation ou le
remplacement des biens non assurés.
L'avocat de la demanderesse a fait mention de
l'article 138 de la Loi de l'impôt sur le revenu où il
est déclaré que certaines corporations sont répu-
tées avoir exploité une entreprise d'assurance. Je
ne comprends pas que l'avocat fasse valoir que cet
article s'applique à OI, probablement parce que
celle-ci n'est pas une corporation imposable exploi-
tée au Canada. Je n'ai donc pas à trancher la
question de savoir si l'article 138 va à l'encontre de
ce qui précède. J'estime toutefois que les propos
que j'ai tenus ci-dessus s'appliquent également à
une corporation d'assurance satellite, et que l'ali-
néa 138(1)a) ne s'applique pas à une telle corpora
tion parce qu'il y est question d'une corporation
qui entreprend «d'assurer d'autres personnes
contre des pertes». Pour les motifs que j'ai déjà
invoqués, je ne pense pas que le type de plan
d'assurance souscrite par une compagnie satellite
soit en l'espèce une véritable assurance.
On a également prétendu que, en vertu des
règles relatives au «revenu étranger accumulé, tiré
de biens» adoptées en 1972 et mises en vigueur en
1976, le revenu de ces assureurs satellites à l'étran-
ger est réputé être celui de la compagnie mère
canadienne. On a donc fait valoir implicitement
que la loi antérieure à 1976 était différente pen
dant les années d'imposition en question en l'es-
pèce. Si je comprends bien, les règles «R.É.A.T.B.»
ne s'appliquent pas à la situation dont je suis saisi,
à savoir la possibilité de déduire des «primes» du
revenu de la compagnie mère. Même s'il en était
ainsi, cela ne signifie pas nécessairement que ces
sommes sont exemptes d'impôt canadien si, dans
un cas donné, elles sont des déductions interdites
par l'alinéa 18(1)e) ou par le paragraphe 245(1)
de la Loi.
En établissant de nouveau l'impôt sur le revenu
de la demanderesse, le Ministre, bien qu'il ait
refusé la déduction des «primes» versées indirecte-
ment ou directement par la demanderesse à OI à
l'égard des risques conservés par celle-ci, a permis
de retrancher des sommes refusées les montants
réellement payés par OI pour les pertes causées
aux biens de la demanderesse. Il en résulte que le
revenu de la demanderesse a été réduit d'autant. Je
confirme que cette nouvelle cotisation était égale-
ment exacte.
Le Ministre a également attribué à la demande-
resse les sommes gagnées par OI en intérêt et
grâce à l'écart dans le cours du change concernant
les fonds détenus par OI. Certes, ces fonds prove-
naient directement ou indirectement de la deman-
deresse; mais, à mon avis, les revenus ou gains de
capital découlant de la détention de ces fonds par
OI ne peuvent pas être attribués à la demande-
resse. Je ne vois pas pourquoi les règles de droit
normales régissant les biens ne devraient pas s'ap-
pliquer en l'espèce dans le calcul de l'impôt et, à
mon avis, ces fonds et tout autre revenu qui en a
découlé appartenaient à OI qui était une entité
juridique distincte de sa société mère, St. Maurice,
et de la société mère de celle-ci, la société deman-
deresse. Dire, comme je l'ai fait, que le fait pour
une société mère de fournir des fonds à une filiale
en propriété exclusive de sa filiale en propriété
exclusive et de compter sur ces fonds pour réparer
les pertes non assurées ne constitue pas un trans-
fert de risques et n'est donc pas assurance ne
revient pas à dire que le revenu d'une filiale est le
revenu de la société mère en l'absence d'une règle
particulière à cet égard (comme c'est maintenant
le cas avec les règles R.É.A.T.B. régissant les filiales
à l'étranger). Le paragraphe 245(1) ne s'applique
pas au revenu d'OI provenant de l'intérêt ou de la
différence de change et, en l'absence d'un trompe-
qui, selon moi, n'existe pas en l'espèce, les
distinctions normales entre une société mère et ses
filiales s'imposent: voir, p. ex., Fraser Companies
Ltd. c. La Reine, [1981] CTC 61 (C.F. 1" inst.);
The Queen v. Redpath Industries Ltd. et al.
(1984), 84 DTC 6349 (C.S. Qué); R. c. Parsons
(C.A.F.) susmentionnée. Je conclus donc que, à cet
égard, la nouvelle cotisation établie par le Ministre
est erronée, et qu'il devrait y avoir une nouvelle
cotisation où ces revenus ne sont pas attribués à la
demanderesse.
Les nouvelles cotisations établies par le Ministre
pour les années d'imposition 1972 1975 lui sont
donc renvoyées pour qu'il procède à un nouvel
examen à partir des motifs énoncés et sur la base
du document intitulé «Acquiescement partiel au
jugement» déposé à l'instruction le 25 janvier 1985
par les avocats des deux parties. Étant donné la
complexité de l'affaire, je demande à l'avocat de la
défenderesse de rédiger un jugement approprié en
tenant compte des présents motifs et, si possible,
de solliciter un jugement en vertu de la Règle 324
ou autrement en vertu de la Règle 319.
La défenderesse ayant obtenu gain de cause en
grande partie, elle a droit à ses dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.