A-476-86
Palwinder Kaur Gill (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: GILL C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE
L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Urie, Hugessen et MacGui-
gan—Vancouver, 22 janvier 1987.
Immigration — Pratique — Compétence de la Commission
en ce qui a trait à la réouverture d'une demande de réexamen
d'une revendication du statut de réfugié — Réserve apportée à
l'arrêt Lugano — Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, chap. 52, art. 71, 72 (mod. par S.C. 1984, chap. 21,
art. 81) — Loi sur la Commission d'appel de l'immigration,
S.R.C. 1970, chap. I-3 (abrogée par S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 128), art. 11(3).
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Immigration
— La Commission a entravé l'exercice de son propre pouvoir
discrétionnaire en refusant la réouverture de la demande de
réexamen d'une revendication du statut de réfugié au sens de
la Convention — Le refus de la Commission était fondé sur la
conclusion injustifiée selon laquelle la décision non motivée de
la Cour rejetant une demande de prorogation de délai consti-
tuait une décision rendue sur le fond de la demande de
réexamen — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.),
chap. 10, art. 28 — Déclaration canadienne des droits, S.R.C.
1970, Appendice III, art. 2e) — Charte canadienne des droits
et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 7.
En septembre 1984, la Commission d'appel de l'immigration
a refusé de permettre la tenue d'une audition orale concernant
une demande de réexamen de la revendication du statut de
réfugié de la requérante et décidé que celle-ci n'était pas un
réfugié au sens de la Convention. Après l'expiration du délai au
cours duquel la demande de réexamen prévue à l'article 28
pouvait être présentée, la requérante, invoquant la décision
rendue entre temps par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration, [1985] 1 R.C.S. 177, a sollicité de cette Cour la
prorogation du délai l'autorisant à présenter une demande
fondée sur l'article 28 l'encontre de la décision rendue par la
Commission.
Cette Cour a, en août 1985, refusé cette prorogation dans
une décision non motivée. En juillet 1986, la Commission a
rejeté une demande de réouverture de la demande initiale de
réexamen de la requérante. Ce refus procédait d'une présomp-
tion selon laquelle la décision rendue par la Cour relativement à
la demande de prorogation de délai constituait une décision sur
le fond de la demande de réexamen. La présente demande vise
l'examen de la décision de la Commission refusant la réouver-
ture de la demande.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
La Commission s'est trompée dans son interprétation du
refus de la Cour d'accorder une prorogation de délai. En
conséquence, la Commission a entravé l'exercice de son pouvoir
discrétionnaire en se considérant liée par la décision de la Cour.
Malgré la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Lugano
c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1977]
2 C.F. 605, il est clair que la Commission, même si elle n'a été
expressément investie d'aucune compétence légale lui permet-
tant de réexaminer ses propres décisions, possède un tel pou-
voir, à tout le moins lorsqu'elle reconnaît qu'elles ont été
rendues sans égard à la justice naturelle. Et dans cette affaire,
à la lumière de la décision rendue dans l'affaire Singh, il ne fait
aucun doute que le défaut initial de la Commission d'accorder
une audition orale constitue un motif la justifiant d'accorder
une nouvelle audition.
Il faut se rappeler, toutefois, que la question de savoir si une
réouverture est accordée dépend, dans tous les cas, de l'exercice
par la Commission de son pouvoir discrétionnaire.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177; 17 D.L.R. (4th) 422; (1985),
58 N.R. 1; Woldu c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et
de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 216 (C.A.); Posluns v.
Toronto Stock Exchange et al., [1968] R.C.S. 330; Plese
c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration,
[1977] 2 C.F. 567 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Lugano c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi-
gration, [1977] 2 C.F. 605 (C.A.); Ridge v. Baldwin,
[1964] A.C. 40 (H.L.).
AVOCATS:
Guy B. Riecken pour la requérante.
Gordon Carscadden pour l'intimé.
PROCUREURS:
John Taylor & Associates, Vancouver, pour
la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés â l'audience
par
LE JUGE MACGUIGAN: Cette demande fondée
sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10] vise la décision de la
Commission d'appel de l'immigration («la Com
mission») en date du 11 juillet 1986 refusant la
réouverture de la demande de réexamen de la
revendication du statut de réfugié au sens de la
Convention présentée par la requérante.
Dans une décision antérieure en date du 24
septembre 1984, la Commission avait refusé de
permettre la tenue d'une audition orale concernant
la demande de la requérante et avait conclu que
celle-ci n'était pas un réfugié. Bien qu'aucune
demande d'examen n'ait été présentée devant cette
Cour dans le délai imparti, l'appelante, à la suite
de la décision rendue par la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Singh et autres c. Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S.
177; 17 D.L.R. (4th) 422; (1985), 58 N.R. 1, a
sollicité de cette Cour la prorogation du délai
l'autorisant à présenter une demande fondée sur
l'article 28 l'encontre de la décision rendue en
1984 par la Commission. La requête qu'elle a
présentée à cet égard (n° de greffe 85-A-57) a été
rejetée dans une décision non motivée rendue le 21
août 1985.
Dans sa décision de 1986, la majorité de la
Commission a conclu que la décision susmention-
née de cette Cour enlevait à la Commission le droit
d'examiner la possibilité d'une réouverture de cette
affaire. La majorité de la Commission a écrit, aux
pages 62 et 63 du Dossier d'appel:
Toutefois, comme l'affaire Singh a été jugée plusieurs mois
avant que la Cour d'appel fédérale rejette la requête en contrôle
judiciaire de Mme Gill, on peut en conclure que les savants
juges n'ont pas estimé que cet arrêt aidait Mme Gill dans sa
demande de contrôle judiciaire de la décision de la Cour
d'appel de l'immigration relativement an réexamen de sa reven-
dication du statut de réfugié ... Vu la décision de la Cour
fédérale sur ce point, elle ne peut, en présentant une requête en
réexamen devant la Commission, s'attendre à ce que celle-ci
ignore une ordonnance d'une Cour supérieure, dont les déci-
sions la lient, et accueille une telle demande.
Dans son opinion dissidente forte et bien raisonnée,
D. Anderson, membre de la Commission, a
déclaré, à la page 66 du Dossier d'appel:
La négation de droits éventuels ne doit pas reposer sur la
raison présumée d'une décision dont les motifs n'ont pas été
donnés.
Nous sommes tous d'accord pour dire que la
majorité de la Commission s'est trompée en con-
cluant que la décision de cette Cour sur une
demande de prorogation de délai pouvait être con-
sidérée simplement comme une décision rendue sur
le fond d'une demande de réexamen. Une telle
décision ne pouvait non plus lier la Commission, à
qui des dispositions législatives confèrent une com-
pétence propre.
Nous estimons par conséquent que la Commis
sion, dans l'hypothèse où elle possédait un pouvoir
discrétionnaire relativement à la question visée, a
entravé l'exercice de ce pouvoir en se considérant
ainsi liée. La question qui se pose plus fondamen-
talement est donc celle de savoir si la Commission,
un organisme devant son existence à une loi, est
habilitée en vertu des articles 71 et 72 [mod. par
S.C. 1984, chap. 21, art. 81] de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] réou-
vrir une demande au sujet de laquelle elle a rendu
une décision définitive.
Dans l'arrêt Lugano c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration, [1977] 2 C.F. 605
(C.A.), cette Cour, appliquant la loi précédente, la
Loi sur la Commission d'appel de l'immigration
[S.R.C. 1970, chap. I-3 (abrogée par S.C.
1976-77, chap. 52, art. 128)], a statué que la
Commission n'était pas compétente à accueillir
une requête sollicitant la réouverture d'un appel, et
elle a conclu que la loi ne conférait pas à la
Commission, soit de façon expresse, soit de façon
implicite, l'autorité qui aurait permis cette réou-
verture. Le juge en chef Jackett, à la page 608, a
déclaré au nom de la Cour:
Une fois qu'un appel est terminé par une décision rendue en
vertu de l'article 11(3), je suis d'avis qu'il le demeure tant que
cette décision n'est pas annulée; et, en l'absence d'une disposi
tion législative expresse, un tribunal ne peut annuler ses propres
décisions. [Le paragraphe 11(3) de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration est la disposition remplacée par le
paragraphe 71(1) de la Loi sur l'immigration de 1976.]
Toutefois, dans l'arrêt Woldu c. Le ministre de
la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 2
C.F. 216 (C.A.), prononcé le 27 octobre 1977,
concernant une autre affaire régie par la Loi anté-
rieure, le juge Le Dain, qui avait souscrit aux
motifs énoncés dans l'arrêt Lugano, a, à la page
219, proposé une réserve importante:
Nonobstant le principe général confirmé dans Lugano, à
savoir qu'en l'absence d'autorisation expresse de la loi, un
tribunal administratif n'a pas le pouvoir d'annuler sa propre
décision, un courant de jurisprudence suggère que, lorsqu'un
tribunal reconnaît n'avoir pas appliqué les règles de justice
naturelle, il peut annuler sa décision et réentendre l'affaire.
Voir Ridge c. Baldwin [1964] A.C. 40, à la page 79; R. c.
Development Appeal Board, Ex parte Canadian Industries
Ltd. (1970) 9 D.L.R. (3') 727, aux pages 731 et 732, et
comparer Posluns c. Toronto Stock Exchange [1968] R.C.S.
330, la page 340.
Cette suggestion, qui constitue clairement une
remarque incidente, a reçu l'appui du juge sup
pléant MacKay.
Dans l'arrêt Ridge v. Baldwin, susmentionné,
lord Reid a affirmé à la page 79:
[TRADUCTION] Se pose à présent la question de savoir si le
défaut par l'intimé de respecter les règles de la justice naturelle
le 7 mars a été corrigé par la rencontre du 18 mars. Je ne doute
point que dans l'éventualité où un fonctionnaire ou un orga-
nisme se rend compte qu'il a agi précipitamment et réexamine
la question dans son entier, après avoir accordé à la personne
intéressée la possibilité suffisante de faire valoir son point de
vue, la seconde décision qu'il rendra sera valide.
Cette remarque a été suivie par la Cour suprême
du Canada dans l'arrêt Posluns v. Toronto Stock
Exchange, susmentionné, qui tranchait une affaire
dans laquelle le Comité de direction d'une bourse
avait accordé une nouvelle audition relativement à
une action disciplinaire. La Cour a jugé que la
procédure suivie était valide et que le tribunal était
de bonne foi et, aux pages 338 et 340, le juge
Ritchie a cité et adopté la remarque de lord Reid
dans l'arrêt Ridge v. Baldwin que nous venons de
mentionner.
L'on pourrait soutenir que cette déclaration de
lord Reid constitue une remarque incidente puis-
qu'il ressort des faits de l'affaire Ridge v. Baldwin
que le tribunal, lors de la seconde audition, avait à
nouveau manqué d'observer les principes de justice
naturelle, et que, en conséquence, le résultat aurait
été le même peu importe l'audition considérée. Il
en est tout autrement de la décision rendue par la
Cour suprême dans l'affaire Posluns. Dans cette
affaire, l'appelant, lors de la seconde audition,
avait été avisé et était représenté régulièrement
par un avocat, de sorte que les irrégularités que le
tribunal avait pu commettre lors de la première
audition se trouvaient corrigées. La Cour a expres-
sément déclaré que la seconde audition constituait
une nouvelle audition plutôt qu'un appel; de plus,
elle a expressément précisé qu'elle maintenait la
décision du tribunal en se fondant sur cette nou-
velle audition, sans se prononcer sur la validité de
l'audition initiale. Il semble qu'aucune disposition
législative n'ait expressément investi le tribunal de
la compétence lui permettant d'entendre à nouveau
les questions qu'il avait déjà tranchées, et, quoi-
qu'il en soit, il ressort clairement des motifs de la
Cour qu'une telle disposition habilitante n'était pas
essentielle à sa décision. Il est clair que dans de
telles circonstances, le pouvoir du tribunal de tenir
une nouvelle audition doit être considéré comme
implicite. Il nous apparaît donc que la Loi sur
l'immigration de 1976 doit s'interpréter comme
permettant à la Commission de réexaminer ses
décisions, à tout le moins lorsqu'elle reconnaît
qu'elles ont été rendues sans égard à la justice
naturelle.
De plus, étant donné que la Cour suprême a
statué dans l'arrêt Singh, susmentionné, que le
refus de la Commission d'accorder une audition
orale à une personne revendiquant le statut de
réfugié porte atteinte à son «droit à une audition
impartiale de sa cause, selon les principes de jus
tice fondamentale, pour la définition de ses droits
et obligations», prévu à l'alinéa 2e) de la Déclara-
tion canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appen-
dice III] ainsi qu'au droit qu'il ne soit porté
atteinte à «la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne ... qu'en conformité avec les principes de
justice fondamentale» conféré par l'article 7 de la
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)], il ne fait aucun doute que le
défaut initial de la Commission d'accorder une
audition orale constitue un motif la justifiant d'ac-
corder une nouvelle audition.
Toutefois, ainsi que l'a dit le juge Urie au nom
de cette Cour dans l'arrêt Plese c. Le ministre de
la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1977] 2
C.F. 567, à la page 567:
Il faut se rappeler que malgré le droit que le requérant peut
avoir d'obtenir la réouverture de l'enquête devant la Commis
sion, ce droit est accordé, dans tous les cas, à la discrétion de
cette dernière.
En conséquence, nous accueillerions la demande,
nous annulerions la décision de la Commission
d'appel de l'immigration et nous renverrions la
question devant la Commission pour qu'elle exerce
librement son pouvoir discrétionnaire à l'égard de
la demande visant à réouvrir la revendication du
statut de réfugié au sens de la Convention présen-
tée par la requérante ainsi qu'à obtenir de la
Commission qu'elle ordonne une audition orale
concernant cette affaire.
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