A-231-86
Guy Knockaert (appelant) (requérant)
c.
Commissaire aux services correctionnels, Direc-
teur de l'établissement de Stony Mountain et
Comité des réductions méritées de peines de l'éta-
blissement de Stony Mountain (intimés) (intimés)
RÉPERTORIÉ: KNOCKAERT C. CANADA (COMMISSAIRE AUX
SERVICES CORRECTIONNELS)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Lacom-
be—Winnipeg, 28 octobre; Ottawa, 21 novembre
1986.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Double incrimination — Détenu
déclaré coupable d'une infraction disciplinaire — Condamna-
tion de ce détenu à être déchu de la réduction de peine méritée
qu'il avait acquise — Le refus de faire bénéficier ce détenu de
la réduction de peine méritée pour un mois particulier ne
constitue pas une «punition» au sens de l'art. 11h) de la Charte
— Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 11 — Loi
constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
(S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, n° 1), art. 91(27), 92(15) — Loi d'interpréta-
tion, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 27.
Pénitenciers — Infraction disciplinaire — La décision du
tribunal disciplinaire d'imposer au requérant la déchéance de
sa réduction de peine méritée et la décision du Comité des
réductions méritées de peines de ne pas le faire bénéficier d'une
réduction de peine méritée pour un mois particulier ne consti
tuent pas une double incrimination — Loi sur les pénitenciers,
S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 24(1) (mod. par S.C. 1976-77,
chap. 53, art. 41), 24.1 (ajouté, idem).
L'appelant, un détenu de l'établissement de Stony Mountain,
a été déclaré coupable d'une infraction disciplinaire par le
tribunal disciplinaire de ce pénitencier et condamné à être
déchu du droit qu'il avait alors acquis à 30 jours de réduction
de peine méritée. Le Comité des réductions méritées de peines
du pénitencier a ensuite décidé que l'appelant, en raison de son
inconduite, ne bénéficierait d'aucune réduction de peine méri-
tée pour le mois au cours duquel l'infraction avait été commise.
Appel est interjeté de la décision de la Division de première
instance qui rejetait la demande présentée par le requérant
pour obtenir la délivrance d'un bref de certiorari annulant la
décision du Comité. Cette demande s'appuyait sur l'argument
voulant que la décision du Comité ait contrevenu à l'alinéa
11h) de la Charte en lui imposant une punition pour une
infraction dont il avait déjà été puni.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Hugessen (avec l'appui du juge Lacombe): Le juge
de première instance n'a pas commis d'erreur en décidant que
le refus du Comité d'accorder une réduction de peine ne pouvait
être qualifié de «punition» pour les fins de l'alinéa 11h) de la
Charte. Selon le régime législatif prévu au paragraphe 24(1) de
la Loi sur les pénitenciers, la réduction de peine méritée est
accordée mensuellement au détenu pour le récompenser de sa
bonne conduite. Si la déchéance, pour inconduite, des jours de
réduction de peine méritée déjà attribués constitue une puni-
tion, ce n'est pas le cas du refus d'attribuer une récompense
attendue.
Il est impensable que le refus du Comité des réductions
méritées de peine d'accorder une réduction de peine pour un
mois particulier puisse être invoqué comme fin de non-recevoir
à l'encontre d'une accusation relative à l'infraction à la disci
pline. Et si le refus du Comité d'accorder une réduction de
peine méritée constituait une «punition pour une infraction», les
autres dispositions de l'article 11 de la Charte entreraient en
jeu, une perspective difficile à accepter. Une telle façon de voir
aurait également comme conséquence d'interdire à la Commis
sion des libérations conditionnelles de refuser la mise en liberté
à un détenu parce que son dossier fait état de condamnations
pour des infractions disciplinaires, ce qui serait inacceptable.
Bien qu'aucune de ces considérations ne soit nécessairement
décisive, elles tendent toutes à appuyer la conclusion du juge de
première instance.
Le juge Marceau (motifs concourants quant au résultat):
l'appel devrait être rejeté parce que l'article 11 de la Charte ne
s'applique pas et ne devrait pas s'appliquer aux affaires
disciplinaires.
La définition donnée au mot «infraction» à l'article 27 de la
Loi d'interprétation, l'utilisation du terme «inculpé» dans la
version française de l'article 11 ainsi que la note marginale de
cet article, en particulier la note «Affaires criminelles et péna-
les» de la version française, constituent toutes des indices
voulant que le terme «offence» («infraction») doive s'entendre
dans un sens restreint et désigner une infraction criminelle ou
quasi-criminelle. Toutefois, le plus important des indices rela-
tifs à la portée de l'article I I est que plusieurs des droits qui s'y
trouvent garantis ne peuvent avoir de sens que dans le cadre
d'une procédure criminelle ou quasi-criminelle.
La portée de l'article 11 ne devrait pas non plus être étendue
aux affaires disciplinaires. Il serait préférable que les droits
relatifs à la procédure que chaque code ou règlement discipli-
naire peut requérir soient définis de façon particulière pour
chacun. De plus, une telle extension engendrerait des difficultés
pratiques extrêmement importantes: comment la distinction
entre les situations dans lesquelles l'alinéa 11h) s'applique et les
situations dans lesquelles il ne s'applique pas devrait-elle être
établie, et comment faire (et combien de temps faudrait-il)
pour établir les limites devant s'appliquer aux autres garanties
prévues à l'article 11? On peut douter qu'il convienne de
s'appuyer sans réserve sur l'article 1 pour restreindre et aplanir
les difficultés juridiques et sociales soulevées par les interpréta-
tions exagérément larges des dispositions particulières de la
Charte.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Wigglesworth (1984), 7 D.L.R. (4th) 361; 38 C.R.
(3d) 388 (C.A. Sask.), qui a confirmé (1983), 150 D.L.R.
(3d) 748; 7 C.C.C. (3d) 170 (B.R. Sask.); Re MacDo-
nald and Marriott et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 697; 52
B.C.L.R. 346 (C.S.); Downey c. La Reine, jugement en
date du 16 mai 1985, Division de première instance de la
Cour fédérale, T-937-85, non publié; R. v. Mingo et al.
(1982), 2 C.C.C. (3d) 23; 4 C.R.R. 18 (C.S.C.-B.);
Peltari v. Dir. of Lower Mainland Reg. Correctional
Centre (1984), 42 C.R. (3d) 103; 15 C.C.C. (3d) 223
(C.S.C.-B.); Russell c. Radley, [1984] 1 C.F. 543; 11
C.C.C. (3d) 289 (1' inst.); Belhumeur v. Discipline Ctee.
of Que. Bar Assn. (1983), 34 C.R. (3d) 279 (C.S. Qué.);
Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1
R.C.S. 357; 9 D.L.R. (4th) 161.
AVOCATS:
Arne Peltz et Judy Elliott pour l'appelant
(requérant).
Theodore K. Tax pour les intimés (intimés).
PROCUREURS:
Service d'aide juridique du Manitoba, Ellen
Street Community Legal Services, Winnipeg,
pour l'appelant (requérant).
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés (intimés).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Je conclus comme le juge
Hugessen que l'appel en l'espèce [de la décision
publiée à [1986] 2 C.F. 361] ne peut être accueilli
mais les motifs sur lesquels je fonde mon opinion
sont très différents des siens; je m'appliquerai donc
à énoncer mon propre point de vue sur la seule
question qui doit être tranchée.
La plaidoirie de l'appelant ne soulève en effet
qu'un seul point, dont la question suivante consti-
tue un énoncé complet: la garantie contre la double
incrimination octroyée par l'alinéa h) de l'article
11 de la Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] 1 , a-t-elle été
Pour des fins de commodité, voici cet article:
11. Tout inculpé a le droit:
a) d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise
qu'on lui reproche;
b) d'être jugé dans un délai raisonnable;
c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même
dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction
qu'on lui reproche;
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré
coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépen-
dant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
e) de ne pas être privé sans juste cause d'une mise en
liberté assortie d'un cautionnement raisonnable;
(Suite à la page suivante)
enfreinte par la décision par laquelle le Comité des
réductions méritées de peines du pénitencier où
l'appelant était détenu refusait (conformément au
paragraphe 24(1) de la Loi sur les pénitenciers,
S.R.C. 1970, chap. P-6 (mod. par S.C. 1976-77,
chap. 53, art. 41)) de le faire bénéficier de ses
jours de réduction de peine mensuels pour le motif
unique et précis qu'il avait été trouvé en possession
d'un objet interdit, alors que l'appelant, pour cette
même infraction, avait déjà été condamné par un
tribunal disciplinaire (conformément aux disposi
tions du paragraphe 24.1(1) de la Loi sur les
pénitenciers (ajouté par S.C. 1976-77, chap. 53,
art. 41)) à être déchu de trente des jours de
réduction méritée de peine qu'il avait accumulés?
Le juge Hugessen, comme le juge de première
instance, répondrait à cette question par la néga-
tive; les considérations sur lesquelles il se fonde
sont cependant différentes de celles du premier
juge. Il aborde le problème de façon beaucoup plus
directe. Essentiellement, il est d'avis que l'alinéa
11h) de la Charte n'est pas enfreint parce que le
défaut de mériter une réduction de peine ne consti-
tue pas une punition. Avec déférence, cette appro-
che ne semble pas réellement convaincante. Le
terme anglais «punishment» (punition) signifie «the
imposition of a penalty» (l'imposition d'une
peine); le terme anglais «penalty 2 » (peine) désigne,
dans un sens large, un [TRADUCTION] «désavan-
(Suite de la page précédente)
j) sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice
militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la
peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé
est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus
grave;
g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action
ou d'une omission qui, au moment où elle est survenue, ne
constituait pas une infraction d'après le droit interne du
Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère
criminel d'après les principes généraux de droit reconnus
par l'ensemble des nations;
h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une
infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre
part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une
infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et
puni;
i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine
qui sanctionne l'infraction dont il est déclaré coupable est
modifiée entre le moment de la perpétration de l'infraction
et celui de la sentence.
2 La définition donnée à ce terme par The Shorter Oxford
English Dictionary (1973) est ainsi libellée:
(Suite à la page suivante)
tage quelconque» sanctionnant un écart de con-
duite et peut, selon moi, comprendre la perte d'une
récompense. De plus, même si les jours de réduc-
tion de la peine prononcée contre le détenu, étant
accordés en fonction de sa bonne conduite, ne
s'accumulent pas de façon automatique, la réduc-
tion de peine méritée n'est pas une récompense
attribuée de façon discrétionnaire mais elle est à ce
point partie intégrante du système de détermina-
tion de la peine qu'un prisonnier est en droit de
s'attendre à ce que sa peine soit réduite grâce à des
réductions méritées régulièrement, et que la perte
d'une augmentation périodique des jours accumu-
lés en vertu de ce droit doit, objectivement, être
considérée comme une sanction tenant de la puni-
tion. Je ne serais pas prêt à infirmer la conclusion
que me semble tirer implicitement le juge de pre-
mière instance selon laquelle la décision du Comité
des réductions méritées de peines équivalait à une
punition, une conclusion qui l'a obligée à traiter de
l'argument relatif à la double incrimination en
faisant appel à d'autres principes.
Cependant, pour en venir aux motifs du juge de
première instance, je dois dire avec déférence que
je ne puis accepter son opinion que l'alinéa 11h) de
la Charte n'a pas été enfreint parce que seule la
sanction du tribunal disciplinaire des détenus, à
l'exclusion de la peine imposée par le Comité des
réductions méritées de peines, a été imposée exclu-
sivement pour la perpétration de l'infraction,
c'est-à-dire «pour une infraction» ainsi que le pré-
voit le libellé de la disposition susmentionnée. Il
me semble que le Comité des réductions méritées
de peines, dans ses motifs de décision, ne laisse
planer aucun doute sur le fait que la réduction
dont l'appelant aurait normalement bénéficié pour
le mois en question lui a été refusée pour le seul et
unique motif qu'il avait été déclaré coupable de
possession d'un objet interdit.
Je ne suis pas non plus convaincu par l'argument
du juge de première instance voulant que la perpé-
(Suite de la page précédente)
Penalty [TRADUCTION] (peine, pénalité) 1. Douleur, souf-
france (rare). 2. Punition sanctionnant la violation d'une loi,
d'une règle ou d'un contrat; perte, incapacité ou inconvénient
quelconques par lesquels la loi ou les parties contractantes,
selon le cas, sanctionnent respectivement une infraction ou la
rupture d'un contrat;
tration de cette infraction comporte deux aspects
différents ou que les fins pour lesquelles ces deux
décisions ont été prises aient été distinctes. Je ne
suis pas certain de bien comprendre ce que le juge
a voulu dire en parlant du double aspect de l'in-
fraction visée puisque la conduite particulière visée
était, aux yeux de tous les intéressés, répréhensible
pour le seul motif qu'elle était interdite par une
règle de l'établissement, et puisque les deux déci-
sions qui ont été prises avaient pour objet de punir
un manquement à cette règle particulière. Quoi-
qu'il en soit, la protection contre la double incrimi
nation pourrait difficilement être écartée, me sem-
ble-t-il, du simple fait que la seconde instance
imposant une punition prétend que son approche
de la question ou les fins que vise sa sanction sont
différentes de celles de l'autre instance. Il va sans
dire qu'une action peut engendrer plus d'une con-
séquence juridique; cependant, si chacune de ces
conséquences constitue une punition distincte, je
ne vois pas de quelle façon celles-ci peuvent être
imposées séparément, par des tribunaux différents,
sans constituer les punitions multiples visées par
l'alinéa 11h) de la Charte.
Je suis également prêt à souscrire, du moins
jusqu'à un certain point, à l'idée acceptée par le
juge de première instance selon laquelle un parti-
culier ayant de multiples obligations envers plu-
sieurs personnes peut, par une seule action,
enfreindre simultanément plusieurs de ces obliga
tions différentes de façon que plusieurs infractions
distinctes puissent lui être imputées. Comme l'a
rappelé le juge de première instance, certains tri-
bunaux se sont fondés essentiellement sur ce prin-
cipe pour décider, après avoir observé que l'auteur
d'une infraction pouvait être soumis à des devoirs
particuliers non seulement envers la société mais
également envers son employeur, envers le groupe
particulier auquel il appartenait ou envers une
institution comme une université ou la Commis
sion des libérations conditionnelles, que le contre-
venant pouvait légalement être passible à la fois de
peines criminelles et de peines civiles (voir: R. v.
Wigglesworth (1984), 7 D.L.R. (4th) 361; 38 C.R.
(3d) 388 (C.A. Sask.), confirmant (1983), 150
D.L.R. (3d) 748; 7 C.C.C. (3d) 170 (B.R. Sask.);
Re MacDonald and Marriott et al. (1984), 7
D.L.R. (4th) 697; 52 B.C.L.R. 346 (sub nom.
MacDonald v. Marriott) (C.S.); Downey c. La
Reine, décision non publiée de la Division de pre-
mière instance de la Cour fédérale, n° de greffe
T-937-85, jugement en date du 16 mai 1985.)
Toutefois, je ne crois pas qu'une telle situation
existe en l'espèce puisque les obligations du détenu
relativement à sa conduite en tant que prisonnier
ne s'adressent qu'aux autorités pénitencières.
Quoiqu'il en soit, j'ai de la difficulté à me convain-
cre que cette doctrine des obligations multiples
imposée à l'égard de plusieurs personnes différen-
tes—à tout le moins lorsque les obligations parti-
culières dont il est question sont les mêmes à
l'égard de tous les créanciers et que le devoir qui a
été enfreint est défini de la même façon dans tous
les cas—n'est pas quelque peu artificielle lorsqu'il
s'agit de réfuter un argument fondé sur [TRADUC-
TION] «l'incrimination multiple» et n'est pas
impossible à appliquer de façon cohérente et non
arbitraire.
Pourquoi suis-je néanmoins d'accord avec la
conclusion du juge Hugessen et du juge de pre-
mière instance que la décision du Comité des
réductions méritées de peines ne peut être annulée
pour avoir enfreint l'alinéa 11h) de la Charte?
Pour le simple motif que, selon moi, cet alinéa ne
s'applique pas aux questions disciplinaires.
J'aurais souhaité pouvoir traiter de la question
en litige et juger le présent appel sans examiner
directement le difficile problème que pose la
sphère d'application de l'article 11 de la Charte,
d'autant plus que seul l'avocat du requérant a jugé
bon de présenter des arguments relativement à
cette question. Les difficultés qui m'empêchent de
souscrire à l'opinion de mon collègue ainsi qu'à
celle du juge de première instance m'interdisent
cependant de laisser cette question en suspens.
La question de savoir si l'article 11 s'applique
aux questions disciplinaires a été très controversée
depuis la décision de la Cour suprême de la
Colombie-Britannique dans l'affaire R. v. Mingo
et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23, la page 36; 4
C.R.R. 18, la page 30, décision dans laquelle le
juge Toy a conclu que l'article 11 ne s'appliquait
qu'aux infractions relevant des tribunaux ordinai-
res. Ainsi ce juge a-t-il déclaré:
[TRADUCTION] À mon avis, lorsque les auteurs de la nou-
velle Charte ont employé le terme «infraction» seul par opposi
tion à «infraction criminelle», ils n'ont fait que prévoir une
protection égale pour tous les citoyens canadiens contre les
violations de leurs droits découlant des lois provinciales et des
lois fédérales, pour ce qui concerne les prohibitions d'ordre
public par opposition aux prohibitions d'ordre privé. Pour éta-
blir ce qui constitue une infraction, il faut examiner les disposi
tions légales et déterminer, en ce qui a trait aux lois fédérales,
si l'allégation est soumise à une cour compétente pour connaître
d'un acte criminel ou d'une infraction punissable après déclara-
tion sommaire de culpabilité. Dans le cas de lois provinciales, il
faut déterminer si l'allégation est soumise à une cour compé-
tente pour connaître d'une infraction qui peut entraîner une
mise en accusation en vertu des dispositions de la Offence Act,
R.S.B.C. 1979, chap. 305. Un examen rapide de plusieurs lois
provinciales et de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970,
chap. P-6, et de ses règlements d'application, suffit à me
convaincre que les législatures provinciales de même que le
Parlement ont prévu dans leur législation des procédures relati
ves à la discipline interne en plus de créer des «infractions» qui
relèvent exclusivement des tribunaux publics compétents.
La décision rendue dans l'affaire Mingo a été
suivie dans plusieurs affaires mais a récemment été
désavouée dans l'arrêt Peltari v. Dir. of Lower
Mainland Reg. Correctional Centre (1984), 42
C.R. (3d) 103; 15 C.C.C. (3d) 223 (sub nom.: Re
Peltari and Director of the Lower Mainland
Regional Correctional Centre et al.) (C.S.C.-B.)
ainsi que dans la décision rendue dans l'affaire
Russell c. Radley, [1984] 1 C.F. 543; 11 C.C.C.
(3d) 289 (1g» inst.) après avoir été critiquée par
certains universitaires (voir, en particulier: H.
Kushner, «Charter of Rights and Freedoms, Sec
tion 11—Disciplinary Hearings Before Statutory
Tribunals», 62 R. du B. Can. 638 (1984); le point
de vue opposé est soutenu par Y. Ouellette dans
«La Charte canadienne et les tribunaux adminis-
tratifs», 18 R.J.T. 295 (1984)).
Les arguments présentés à l'appui d'une applica
tion étendue de l'article 11 procèdent toujours des
propositions suivantes. Ni le libellé de l'article 11
ni la nature des droits que cet article a pour objet
de garantir n'indiquent clairement que la sphère
d'application de celui-ci doive se limiter aux affai-
res criminelles ou quasi-criminelles, c'est-à-dire
aux poursuites intentées devant les tribunaux
publics. Certes, le terme «infraction» utilisé dans
cet article, qui est très large, peut notamment
désigner une conduite enfreignant une disposition
d'un code de discipline; quant au terme [TRADUC-
TION] «punition», il désigne simplement une sanc
tion. Une application élargie de cet article fondée
sur une interprétation téléologique constitue donc
une nette possibilité, dont les tribunaux devraient
se prévaloir généreusement. Les règlements disci-
plinaires peuvent prévoir des peines importantes,
de sorte que les personnes s'y trouvant assujetties
doivent bénéficier de certains droits fondamentaux
en matière de procédure. Il est vrai que certaines
des garanties prévues à l'article 11 ne peuvent se
comprendre que dans le contexte d'une procédure
criminelle tandis que d'autres ne peuvent s'appli-
quer à des procédures disciplinaires sans être
accompagnées de certaines réserves; cependant, les
limites qui s'imposent n'ont qu'à respecter l'article
1, qui exige qu'elles soient raisonnables dans une
société libre et démocratique.
Voilà, telle que je la comprend l'argumentation
présentée à l'appui d'une application étendue de
l'article 11. Avec beaucoup de déférence, je ne
saurais y souscrire. Je demeure convaincu: tout
d'abord, que l'article 11 n'a pas été destiné à
s'appliquer aux affaires disciplinaires; en second
lieu, que l'intention des rédacteurs de cet article
doit, à cet égard, être respectée.
1—La portée envisagée de l'article 11.
Personne, évidemment, ne nierait que le libellé
de l'article 11 ne contient aucune disposition res-
treignant clairement son application aux procédu-
res instruites devant une cour de justice ordinaire.
Il est certain que, s'il en était autrement, la ques
tion en litige ne se poserait même pas. Les termes
clés «offence» («infraction») et «punishment»
([TRADUCTION] «punition>) possèdent évidemment
un sens suffisamment large pour comprendre les
questions disciplinaires; selon les dictionnaires, un
manquement à quelque règle que ce soit, y compris
une simple règle d'étiquette, constitue une
«offence» («infraction>), et le terme «punishment»
([TRADUCTION] «punition»), ainsi qu'il a déjà été
noté, peut désigner simplement une sanction. Au
surplus, le mot «court» ([TRADUCTION] «cour»)
n'est aucunement mentionné dans la version
anglaise de cet article, qui utilise uniquement le
mot «tribunal» («tribunal»). Je crois cependant tout
à fait superflu d'appuyer sur ces constatations
puisque la question ne consiste pas à savoir si les
termes utilisés, considérés de façon isolée, peuvent
recevoir une signification plus étendue mais à
savoir si, dans le contexte, une telle signification
leur a été destinée. Selon moi, les indices voulant
que le terme particulier «offence» («infraction»)
doive s'entendre dans un sens restreint et désigner
une infraction criminelle ou quasi-criminelle—
c'est-à-dire une infraction établie par le Parlement
(dans l'exercice de la compétence sur le droit
criminel que lui confère le paragraphe 91(27) de la
Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 1)]) ou par une législature pro-
vinciale (en imposant, conformément au paragra-
phe 92(15) de cette Loi, des sanctions pour punir
le défaut de se conformer à ses prescriptions) et ne
ressortissant qu'à un tribunal ordinaire—sont
nombreux et, considérés dans leur ensemble, plei-
nement convaincants.
Certains de ces indices proviennent des termes
mêmes qui sont utilisés. L'on ne doit pas oublier
que si, dans le langage courant, le terme anglais
«offence» et son équivalent français «infraction»
peuvent tous deux recevoir une acception très
large, une telle utilisation dans un texte législatif
serait tout-à-fait exceptionnelle. L'article. 27 de la
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23 pré-
voit qu'une «offence» ou une «infraction» est un
manquement aux prescriptions d'un texte législatif
pour lequel le contrevenant peut être poursuivi au
moyen d'un acte d'accusation ou est punissable sur
déclaration sommaire de culpabilité. S'il est vrai
que la Loi d'interprétation ne touche pas directe-
ment l'interprétation de la Charte, elle n'a pas pu
ne pas influencer ses rédacteurs ainsi que les parle-
mentaires qui l'ont approuvée. La présence, dans
la version française, du terme «inculpé» est encore
plus convaincante à cet égard. À la fois le diction-
naire Le Petit Robert (1973) et l'ouvrage de Henri
Capitant intitulé Vocabulaire juridique [P.U.F.,
Paris] (1930), qui fait autorité, définissent le
terme «inculpation» de la manière suivante: «impu-
tation officielle d'un crime ou d'un délit à un
individu contre qui est, en conséquence, dirigée
une procédure d'instruction». L'inculpé est donc la
personne accusée d'un crime ou d'un délit à carac-
tère pénal devant une cour de justice (voir à ce
sujet: Belhumeur v. Discipline Ctee. of Que. Bar
Assn. (1983), 34 C.R. (3d) 279 (C.S. Qué.)).
Les notes marginales de l'article 11, qui étaient
présentes lorsque le Parlement a approuvé le libellé
de cet article, fournissent un indice supplémen-
taire. Si l'on examine la note marginale anglaise
«Proceedings in criminal and penal matters», il est
très peu probable que les rédacteurs aient utilisé
l'expression «penal matters» («affaires pénales»)
pour désigner simplement les affaires dans le cadre
desquelles une peine peut être imposée, puisque
l'expression «affaires pénales» aurait alors compris
les affaires criminelles et que ces deux expressions
n'auraient pas été utilisées pour désigner des caté-
gories de sujets qui, cela ressort à l'évidence, ont
été entendues comme distinctes. Cependant, ici
encore, la note marginale de la version française,
«Affaires criminelles et pénales», est plus révéla-
trice. Dans un contexte français, je ne crois pas
que les affaires disciplinaires puissent jamais être
confondues avec les affaires criminelles et pénales,
ces catégories de sujets étant clairement distinctes.
Je n'oublie pas que les notes marginales ne font
pas partie de la loi, ce qui rend discutable leurs
prises en considération pour des fins d'interpréta-
tion mais la Cour suprême a approuvé l'utilisation
des rubriques pour faciliter l'interprétation des
lois, notamment dans l'arrêt Law Society of Upper
Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; 9
D.L.R (4th) 161, et les motifs qu'elle a prononcés
dans cette affaire sont également applicables aux
notes marginales. Quoi qu'il en soit, je ne recher-
che dans celles-ci que ce que j'appellerais une
indication de l'intention du législateur.
Finalement, le plus important des indices relatifs
aux intentions des rédacteurs quant à la portée de
l'article 11 nous est, selon moi, fourni par l'examen
de cet article dans son ensemble. Il est évident que
plusieurs des droits qui s'y trouvent garantis ne
peuvent avoir de sens que dans le cadre d'une
procédure criminelle ou quasi-criminelle. Si l'in-
tention des rédacteurs avait néanmoins été de
rendre cet article également applicable dans un
autre contexte, il me semble que son libellé aurait
reflété cette double applicabilité.
On a là, à mon point de vue, autant d'indices
irréfutables que l'article 11 n'était pas destiné à
s'appliquer à des questions autres que criminelles
ou quasi-criminelles. Cependant, il est évident que
cette constatation est loin d'être décisive.
2—L'extension de la portée envisagée de
l'article 11.
À la suite des déclarations faites par la Cour
suprême au sujet de la Charte, c'est un lieu
commun de dire que celle-ci, à titre de document
constitutionnel, doit être interprétée quelque peu
différemment des autres textes législatifs. Destinée
à avoir une longévité beaucoup plus grande et à
être beaucoup plus difficile à modifier qu'un texte
législatif ordinaire, la Charte doit être abordée
avec une ouverture d'esprit particulière et interpré-
tée aussi libéralement que possible de façon à
donner à son objet son plein effet. Dans cet esprit,
il est vrai que l'intention des rédacteurs ne doit pas
être considérée comme déterminante relativement
à son interprétation. Un champ d'application plus
large que celui qui a été envisagé à l'origine peut
être suggéré. Il est cependant évident qu'il ne suffit
point, pour qu'une telle proposition devienne
acceptable, que le libellé de la Charte se prête à
l'interprétation recherchée: il doit ressortir claire-
ment qu'une telle extension serait souhaitable. Il
ne m'apparaît tout simplement pas que tel soit le
cas en l'espèce. Je conçois les instances disciplinai-
res comme étant celles qui sont instruites à l'exté-
rieur d'un tribunal ordinaire conformément à un
code de comportement sanctionné par l'imposition
de peines, un code qui n'est pas édicté à l'avantage
commun de tous les individus mais au profit des
membres d'un groupe particulier dont il a pour
objet de réglementer la conduite et auquel il s'ap-
plique exclusivement. Si je refuse d'inclure de
telles instances dans le champ d'application de
l'article 11, c'est que je ne suis pas convaincu
qu'une telle inclusion répondrait à un besoin réel et
que je crains qu'il en résulterait des difficultés
pratiques extrêmement graves, sinon tout simple-
ment insurmontables.
Comme il a déjà été mentionné, la volonté
d'étendre le champ d'application de l'article 11
tient au fait que les règlements disciplinaires pou-
vant prévoir des peines importantes, certains droits
fondamentaux relatifs à la procédure devraient
être accordés aux personnes s'y trouvant assujet-
ties.
Il est évidemment vrai que des conséquences
sérieuses peuvent découler des instances discipli-
naires, des conséquences qui peuvent, dans des cas
exceptionnels, dépasser l'expulsion du groupe ou la
perte de certains des privilèges normalement
accordés à ses membres, et peuvent même com-
prendre une amende ou l'emprisonnement—encore
qu'il y ait lieu de noter que la validité constitution-
nelle de mesures disciplinaires revêtant un carac-
tère punitif aussi extrême (ce n'est pas le cas en
l'espèce puisque la peine imposée par le tribunal de
juridiction criminelle demeure constante) n'a
jamais été clairement établie. Et moi aussi je crois
fermement que les instances disciplinaires doivent
être soumises à des règles de procédure destinées à
protéger de certains abus les personnes mises en
cause. Mais il n'est pas nécessaire que ces règles de
procédure soient consacrées par la Constitution. Il
n'y a pas qu'un seul droit disciplinaire: il existe de
nombreux codes ou ensembles de règles disciplinai-
res, et il serait préférable que les droits relatifs à la
procédure que chacun d'eux peut requérir soient
définis de façon particulière pour chacun comme
cela s'est fait, du moins jusqu'à un certain point,
par le passé. Plusieurs groupes de personnes soumi-
ses à des codes de conduite particuliers et suscepti-
bles de subir des sanctions disciplinaires (je pense
aux médecins, avocats et professeurs d'université)
se sont vus accorder diverses garanties en matière
de procédure, soit dans des textes législatifs parti-
culiers soit selon la common law, bien avant que la
Charte ne soit promulguée. La Charte a été adop-
tée pour définir et garantir les droits les plus
fondamentaux des citoyens, non pour servir de
fondement à tous les systèmes de procédure adop
tés pour protéger la personne contre les abus pou-
vant être commis par certaines autorités. Je ne suis
pas convaincu que l'extension de la portée prévue
pour l'article 11 par le législateur répondrait à un
besoin réel.
Cependant, je m'oppose surtout à une telle
extension parce que l'inclusion des instances disci-
plinaires dans la sphère d'application de l'article
11 entraînerait inévitablement, selon moi, des dif-
ficultés pratiques extrêmement sérieuses, sinon
insurmontables.
Un premier problème, qui ne peut manquer de
venir à l'esprit lors d'une discussion sur la protec
tion contre la double incrimination, serait celui de
la corrélation entre les deux niveaux de procédure,
criminel ou quasi-criminel d'une part, discipli-
naire, d'autre part. Il serait impensable que les
procédures à l'un de ces niveaux puissent, de façon
automatique, exclure celles à l'autre. L'on a sug-
géré que la solution de ce problème réside simple-
ment dans l'adoption de l'idée, évoquée précédem-
ment, selon laquelle un même acte, commis en
violation de devoirs et de responsabilités définis à
l'égard d'entités différentes, peut être vu comme
constituant des infractions multiples. Pour donner
effet à cette thèse, a-t-on dit, il suffit que le critère
d'applicabilité de l'article 11 soit fondé sur une
définition du mot infraction qui soit «substantielle»
(c'est-à-dire qui s'attache à la nature au contenu
de l'acte) plutôt que «formelle» (c'est-à-dire par
référence l'autorité appelée à sanctionner) comme
celle qui a été adoptée dans l'arrêt Mingo. J'ai déjà
dit que je ne pouvais m'empêcher de considérer
cette idée comme étant quelque peu artificielle,
mais, de toute façon, si elle était valide et pouvait
servir à expliquer la possibilité d'une sanction dis-
ciplinaire en sus d'une peine criminelle, il n'y
aurait, semble-t-il, aucune raison qui empêcherait
qu'elle soit valide dans tous les cas. Si, dans ces cas
de pluralité d'instances concernant à la fois des
infractions criminelles ou quasi-criminelles et des
infractions disciplinaires, il devait exister des situa
tions dans lesquelles l'alinéa 11h) serait applicable
et des situations dans lesquelles il ne le serait pas,
la distinction à établir entre ces deux types de
situations poserait un problème pratique dont la
solution m'échappe totalement.
Les conséquences découlant de ce problème sont
cependant mineures si on les compare aux difficul-
tés pratiques auxquelles il faudrait faire face si les
autres alinéas de l'article 11 devaient être considé-
rés comme s'appliquant tant aux questions discipli-
naires qu'aux questions criminelles ou quasi-crimi-
nelles. Je crois que l'on reconnaîtra volontiers que
la plupart des garanties en jeu, sinon toutes ces
garanties, ne peuvent raisonnablement s'appliquer
de façon directe aux questions disciplinaires sans
que ne soient établies des réserves importantes
devant fatalement varier d'un contexte discipli-
naire à un autre. Les tenants d'une extension de la
portée de l'article 11 trouvent leur justification,
ainsi que je l'ai dit, dans la disposition introductive
de la Charte qui édicte le principe général et
fondamental suivant lequel les droits dont les dis
positions de la Charte assurent la protection ne
sont pas absolus mais peuvent être restreints. Les
restrictions prévues à l'article 1 ne peuvent cepen-
dant être édictées «que par une règle de droit»,
dans des limites «dont la justification puisse se
démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique». Combien faudrait-il d'interventions
législatives pour établir les limites applicables aux
différents droits relatifs à la procédure visés à
l'article 11 dans le cadre des divers types d'instan-
ces disciplinaires, et combien d'actions en justice
seraient engagées à ce sujet? La situation pourrait
prendre plusieurs années à connaître une relative
stabilité, et le rôle assigné à la Charte s'en trouve-
rait quelque peu contrecarré. Et je ne suis pas
certain qu'il n'y ait que celà. Jusqu'à ce que la
Cour suprême en décide autrement, je continuerai
de douter sérieusement qu'il convient de s'appuyer
sans réserve sur l'article 1 pour restreindre et
aplanir les difficultés juridiques et sociales soule-
vées par les interprétations exagérément larges des
dispositions particulières de la Charte. Il me
semble que l'article 1 ne peut jouer le même rôle
en ce qui a trait à une liberté, permettant le libre
exercice d'une activité particulière, une immunité,
qui protège une personne contre certaines actions
d'autres personnes, et un droit au sens strict, qui
permet à une personne d'exiger quelque chose
d'une autre personne. Je suggère qu'il ne peut non
plus s'appliquer également à un droit dont la défi-
nition utilise des termes restrictifs qui lui sont
particuliers et à un droit qui ne se trouve pas ainsi
limité dans sa propre définition. En ce qui a trait
aux immunités ou aux droits auxquels sont atta-
chées des obligations spécifiques, il m'apparaît
que, pour des fins de sécurité et de stabilité, sinon
tout simplement pour respecter les prescriptions de
la raison, l'on doit définir précisément leur contenu
avant de penser à des situations exceptionnelles
dans lesquelles les obligations qui s'y rattachent
pourraient être restreintes par le jeu de l'article 1
(Voir sur ces points, P. Bender, «Justifications for
Limiting Constitutionally Guaranteed Rights and
Freedoms: Some Remarks about the Proper Role
of Section One of the Canadian Charter», publié
dans The Canadian Charter of Rights and Free
doms (Institut canadien d'administration de la
justice 1984), page 235 [voir également (1983), 13
Man. L.J. 669]; voir l'opinion contraire exprimée
par D. Gibson dans The Law of the Charter:
General Principles (1986), pages 135 142).
En conséquence, je suis d'avis que l'alinéa 11h)
de la Charte, qui a pour objet de protéger contre la
double incrimination, ne s'applique pas directe-
ment aux matières disciplinaires, et c'est pourquoi,
comme le juge Hugessen et le juge de première
instance, je puis juger non fondée la prétention du
requérant selon laquelle la décision du Comité des
réductions méritées de peines était invalide dans
son cas parce qu'elle avait été prise en contraven-
tion de l'alinéa 11h) de la Charte. Je confirmerais
donc le jugement de la Division de première ins
tance. Il n'y a pas lieu d'adjuger des dépens en
l'espèce; de toute façon, ils n'ont point été
réclamés.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Appel est interjeté d'une
décision de la Division de première instance rendue
par le juge Reed. A mon point de vue, que semble
partager le juge de première instance, la présente
affaire soulève une question très précise se rappor-
tant à l'alinéa 11h) de la Charte canadienne des
droits et libertés, qui consiste à savoir si le refus
d'accorder une réduction de peine doit être qualifié
de «punition» pour les fins de cet alinéa. J'estime
que le juge Reed a eu raison de conclure que ce
refus ne pouvait être qualifié de la sorte.
La question se présente de la façon suivante.
L'appelant est un détenu de l'établissement de
Stony Mountain, un pénitencier. Le 17 octobre
1984, il a été trouvé en possession d'une substance
prohibée que l'on allègue être de la marijuana. Il a
été accusé devant le tribunal disciplinaire d'avoir
eu en sa possession un objet interdit et, le 1"
novembre, il a été déclaré coupable et condamné à
être déchu du droit qu'il avait alors acquis à trente
jours de réduction de peine méritée. Cette
déchéance a été prononcée conformément aux dis
positions du paragraphe 24.1(1) de la Loi sur les
pénitenciers (S.R.C. 1970, chap. P-6, modifiée par
S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41):
24.1 (1) Les détenus bénéficiaires d'une réduction de peine
méritée qui sont déclarés coupables par un tribunal discipli-
naire d'avoir contrevenu à la discipline sont déchus, en tout ou
en partie, de leur droit, acquis après l'entrée en vigueur du
présent article, aux réductions de peine méritées inscrites à leur
actif; mais une telle déchéance, lorsque supérieure à trente
jours de réduction de peine, n'est valide que si elle rencontre
l'assentiment du commissaire ou du fonctionnaire du Service
qu'il a désigné à cette fin ou, lorsque supérieure à quatre-vingt-
dix jours, du Ministre.
Après que l'appelant a été déclaré coupable et
s'est vu imposer cette peine, lors d'une réunion du
Comité des réductions méritées de peines du péni-
tencier, il a été décidé que l'appelant, en raison de
son inconduite au cours du mois d'octobre 1984, ne
bénéficierait d'aucune réduction méritée de peine
pour ce mois-là. Cette décision a été prise en vertu
du paragraphe 24(1) de la Loi sur les pénitenciers,
qui est ainsi libellé:
24. (1) Sous réserve de l'article 24.2, chaque prisonnier
bénéficie de quinze jours de réduction de peine pour chaque
mois, et d'un nombre de jours calculés au prorata pour chaque
partie de mois, passés à s'adonner assidûment, comme le pré-
voient les règles établies à cet effet par le commissaire, au
programme du pénitencier où il est emprisonné.
L'instruction numéro 600-2-06.1 du commis-
saire, en date de 1984-06-29, énonce les règles
établies par le commissaire sous le régime de la
Loi sur les pénitenciers relativement à la réduction
méritée de peine. Les paragraphes pertinents de
ces instructions sont les suivants:
OBJET
4. Énoncer des politiques visant à récompenser le détenu, en lui
accordant une réduction méritée de peine pour sa bonne con-
duite et son rendement satisfaisant au regard du programme
qui lui était assigné.
DÉFINITIONS
5. «Rendement» désigne la mesure dans laquelle un détenu se
plie aux règles de l'établissement et témoigne d'efforts à l'égard
du programme qui lui était assigné.
6. «Rendement satisfaisant» désigne la mesure dans laquelle un
détenu se conforme aux règles de l'établissement et s'applique à
fournir des efforts réguliers à la limite maximale de ses
capacités.
MODALITÉS DE RÉDUCTION DE PEINE
13. Les détenus dont le rendement est satisfaisant doivent
bénéficier de quinze (15) jours de réduction de peine pour
chaque mois purgé en détention.
L'appelant ne conteste pas que l'instruction du
commissaire respecte les exigences du paragraphe
24(1) de la Loi. Il fait simplement valoir que le
refus de le faire bénéficier d'une réduction méritée
de peine pour le mois d'octobre 1984, en raison de
la perpétration au cours de ce mois-là d'une infrac
tion disciplinaire dont il a déjà été déclaré coupa-
ble et pour laquelle une peine a déjà été imposée,
constitue une double punition au sens du paragra-
phe 11h) de la Charte:
11. Tout inculpé a le droit:
h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une
infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part
de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction
dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;
Pour les fins de l'espèce, comme le juge Reed, je
suis prêt à présumer, sans le décider, qu'une
infraction disciplinaire commise par un détenu de
pénitencier constitue une infraction au sens de la
Charte et qu'un détenu qui a été déclaré coupable
par un tribunal disciplinaire et qui a été déchu de
son droit à une réduction de peine a été «déclaré
coupable et puni» en ce qui a trait à cette infrac
tion. Cette question n'est nullement facile à tran-
cher ou sans équivoque et l'arrêt qui fait le plus
autorité sur une question similaire, à ma connais-
sance, la décision rendue par la Cour d'appel de la
Saskatchewan dans l'affaire R. v. Wigglesworth
(1984), 7 D.L.R. (4th) 361; 38 C.R. (3d) 388, est
présentement portée en appel devant la Cour
suprême du Canada.
Si je reconnais volontiers que certaines questions
relevant d'une catégorie que l'on pourrait appeler
la discipline [TRADUCTION] «professionnelle» ne
sont pas visées par l'article 11, j'éprouve beaucoup
de difficulté à y ranger l'affaire qui concerne
l'appelant. L'article 24.1 de la Loi, précité, parle
de détenus qui comme l'appelant sont «déclarés
coupables» par un «tribunal» d'avoir «contrevenu» à
la discipline. Cette déclaration de culpabilité a eu
pour résultat de prolonger son incarcération en lui
faisant perdre le bénéfice d'une réduction de peine
qu'il avait déjà méritée; il s'agit, en bref, d'une
privation de sa liberté. La poursuite contre l'appe-
lant a été entreprise non pas par un organisme
privé ou non financé par le gouvernement, mais
par l'autorité publique. Tous ces éléments, me
semble-t-il, sont l'apanage d'une affaire criminelle
ou pénale. Je ne vois aucun indice contraire.
À mon avis, la Cour d'appel devrait trancher ce
litige, comme l'a fait la Division de première ins
tance, sur le fondement du motif très précis que la
décision administrative de refuser d'accorder une
réduction méritée de peine à un détenu en raison
de sa mauvaise conduite ne constitue pas une
punition pour cette mauvaise conduite. Bien qu'il
soit évident que la démarcation entre la récom-
pense et la punition puisse parfois s'estomper, il me
semble que le régime législatif visant la réduction
méritée de peine exposé au paragraphe 24(1) de la
Loi sur les pénitenciers, qui se trouve précisé et
développé par l'instruction du commissaire, prévoit
clairement l'appréciation mensuelle du rendement
de chaque détenu considéré individuellement et la
prise en considération, dans cette évaluation, du
respect des règles de l'établissement ainsi que des
autres règles applicables au cours du mois visé. Si
la violation des règles peut entraîner la punition,
leur observation, jointe à la participation soutenue
au programme assigné, peut être récompensée; ces
deux notions, qui peuvent constituer des aspects
opposés de la même question, sont néanmoins très
distinctes.
Des analogies se présentent facilement à l'esprit
bien qu'aucune d'elles, de toute évidence, ne cor-
responde précisément à la situation en cause. Un
professeur aux prises avec une classe indisciplinée
peut décider de garder ses élèves en retenue, ou
d'annuler un voyage qu'il devait effectuer avec eux
ou d'imposer ces deux sanctions à la fois. L'em-
ployé qui a été pris en flagrant délit de vol peut
s'attendre à perdre son emploi et peut difficilement
se plaindre de n'avoir pas reçu sa prime annuelle
de rendement. Le travailleur qui participe à une
grève illégale d'une journée pourra être suspendu
pour une journée et, à bon droit, ne recevra aucun
salaire pour l'une et l'autre de ces deux journées.
La question peut également être soumise à un
autre critère. Dans les circonstances de l'espèce, le
Comité des réductions méritées de peines ne s'est
réuni pour décider du droit de l'appelant à une
réduction de peine pour octobre 1984 qu'après que
le tribunal disciplinaire ait statué. Si ces événe-
ments s'étaient déroulés dans l'ordre inverse, il est
impensable que l'appelant eût pu invoquer le refus
du Comité des réductions méritées de peine de lui
accorder une réduction pour le mois d'octobre
comme fin de non-recevoir à l'encontre de l'accu-
sation relative à l'infraction à la discipline. En
effet, si le refus d'accorder une réduction méritée
de peine était, en fait, une punition pour une
infraction plutôt que le simple octroi ou refus
administratif d'une récompense, les autres disposi
tions de l'article 11 entreraient aussi en jeu, pers
pective que je puis difficilement envisager.
Finalement, si le refus de faire bénéficier un
détenu d'une réduction de peine doit être considéré
comme une punition, ce doit être également le cas
du refus d'une libération conditionnelle. Peut-on
soutenir sérieusement qu'il est interdit à la Com
mission des libérations conditionnelles de refuser la
mise en liberté à un détenu parce que son dossier
fait état de condamnations pour des infractions
disciplinaires? Je ne le crois pas.
Bien qu'aucune de ces considérations ne soit
nécessairement décisive, elles tendent toutes à
appuyer la conclusion du juge Reed.
Un dernier point: certaines parties du contre-
interrogatoire de l'appelant laissent entendre qu'en
réalité la totalité de la réduction de peine est
portée au crédit du détenu lorsqu'il a fait son
entrée dans l'établissement, et que cette réduction
n'est jamais réellement «méritée' au sens où elle
lui serait accordée mensuellement en vertu d'une
décision portant qu'elle a été gagnée au cours du
mois visé. En fait, l'appelant laisse même entendre
à une occasion que les seules décisions prises par la
Commission des réductions méritées de peines sont
celles de retirer la réduction de peine dans des cas
semblables au sien, à la suite de la mauvaise
conduite du détenu. Cet argument n'a été plaidé ni
devant cette Cour ni devant la Division de pre-
mière instance et n'est appuyé dans la preuve que
par le seul témoignage de l'appelant, qui est confus
et contradictoire. En conséquence, je n'exprime
aucune opinion sur la possibilité que la Cour
prenne une autre conclusion s'il était effectivement
démontré que, nonobstant le texte clair du para-
graphe 24(1), le détenu ne bénéficiait pas d'une
réduction de peine par rapport à chaque mois et
comme conséquence d'une décision qu'il s'est
donné assidûment au programme du pénitencier
durant le mois en question.
Je rejetterais l'appel. La Couronne ne demande
aucun dépens dans son exposé et je n'en adjugerais
point.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LACOMBE: Je souscris à l'opinion du
juge Hugessen et je jugerais l'appel ainsi qu'il le
suggère.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.