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T-1349-86
Selection Testing Consultations International Ltd. (demanderesse) (requérante)
c.
Humanex International Inc., Huma -Res Inc., Yvan-Marcel Boily, Claude Lortie, Michel Guay (défendeurs) (intimés)
RÉPERTORIÉ: SELECTION TESTING CONSULTATIONS INTERNA TIONAL LTD. C. HUMANEX INTERNATIONAL INC.
Division de première instance, juge Rouleau— Ottawa, 4 décembre 1986 et 20 février 1987.
Pratique Outrage au tribunal Une demande d'incarcé- ration fondée sur la Règle 2500 ne constitue pas le recours approprié pour faire déterminer s'il y a outrage au tribunal La procédure ordinaire et sommaire prévue à la Règle 319, qui est applicable à une demande fondée sur la Règle 2500, n'est pas appropriée lorsqu'il s'agit d'incarcération pour outrage au tribunal, car elle n'assure pas une protection suffisante Une personne citée pour outrage au tribunal est un 4finculpé» et elle a droit à la protection traditionnellement accordée à une personne accusée d'une infraction criminelle Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 319, 355, 2500, formule 71 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 11a).
Dans le cadre d'un litige portant sur des droits d'auteur, la requérante a obtenu une injonction provisoire contre l'intimée Humanex International Inc.
Il s'agit en l'espèce d'une requête présentée conformément à la Règle 2500, suivant la procédure prescrite à la Règle 319, afin d'obtenir que la Cour reconnaisse les intimés coupables d'outrage au tribunal. Le litige consiste à déterminer si la requérante peut avoir recours à la Règle 2500 pour demander à la Cour de décider s'il y a outrage au tribunal et ainsi éviter la procédure prévue à la Règle 355.
Jugement: La requête doit être rejetée. La logique exige que la procédure suivie soit celle prévue à la Règle 355.
Étant donné que la Règle 2500 prévoit l'incarcération comme principal redressement en cas d'outrage au tribunal et que ce recours ne peut être exercé contre des personnes morales, l'action est rejetée à l'égard de Humanex International Inc. et de Huma -Res Inc.
En outre, la procédure «ordinaire et sommaire» énoncée à la Règle 319, qui s'applique à une demande fondée sur la Règle 2500, n'est absolument pas appropriée dans le cas de l'incarcé- ration pour outrage au tribunal. Une requête en outrage au tribunal ne constitue nullement une requête «ordinaire». Les cours ont toujours insisté pour qu'une procédure quasi crimi- nelle soit suivie dans de tels cas et que l'accusé ait droit à toutes les protections traditionnellement accordées à une personne accusée d'une infraction criminelle.
De plus, la procédure prescrite par la Règle 319 n'assure pas à la personne accusée d'outrage au tribunal la protection
habituellement garantie par l'équité, car elle oblige la personne accusée à divulguer sa preuve et ses moyens de défense avant que l'accusateur ne se soit déchargé du fardeau qui lui incombe. L'utilisation de témoignages de vive voix, qui est un droit reconnu par la common law, est laissée à la discrétion de la Cour par la Règle 319. Et cette règle, qui ne permet qu'un bref exposé de l'acte reproché, va à l'encontre du droit fondamental pour une personne de connaître exactement la preuve qu'elle devra réfuter pour présenter une défense pleine et entière. Qui plus est, il est évident que la Règle 2500 ne permet d'intenter des procédures d'exécution forcée qu'une fois que la Cour a conclu à l'outrage au tribunal.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048; R. c. Côté, [1978] 1 R.C.S. 8.
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney General of Quebec v. Laurendeau (1983), 33 C.R. (3d) 40; 145 D.L.R. (3d) 526 (C.S. Qc); Regina v. Cohn (1985), 15 C.C.C. (3d) 150 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
Alfred Schorr pour la demanderesse (requé- rante).
François Grenier pour les défendeurs (inti- més).
PROCUREURS:
Alfred Schorr, Toronto, pour la demanderesse (requérante).
Léger, Robic & Richard, Montréal, pour les défendeurs (intimés).
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE ROULEAU: Dans une ordonnance datée du 20 juin 1986, le juge Collier a accordé à la requérante une injonction provisoire contre l'une des intimés, Humanex International Inc., tout en rejetant sa demande visant à obtenir une injonc- tion provisoire contre les autres intimés, Huma - Res Inc., Yvan-Marcel Boily, Claude Lortie et Michel Guay.
La requérante présente maintenant une requête sur le fondement de la Règle 2500 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] pour que la Cour:
a) Ordonne l'incarcération d'Yvan-Marcel Boily pour outrage au tribunal;
b) Impose subsidiairement une amende de 5 000 $ audit Yvan- Marcel Boily;
c) Déclare les défenderesses Humanex International Inc. et Huma -Res Inc. coupables d'outrage au tribunal;
d) Enjoigne aux défenderesses Humanex International Inc. et Huma -Res Inc. de verser chacune une amende de 250 000 $ pour outrage au tribunal;
e) Enjoigne subsidiairement aux défenderesses Humanex International Inc. et Huma -Res Inc. de déposer une somme de 500 000 $ chacune à titre de garantie de leur bonne conduite;
f) Accorde toute autre mesure qu'elle peut estimer juste.
Au soutien de sa requête, la requérante a signi- fié et déposé les affidavits de Leslie Reid et de Peter George Donnelly.
La requête m'a été présentée à Ottawa (Onta- rio), le 4 décembre 1986.
Au début de l'audience, l'avocat des intimés a soulevé quatre objections préliminaires portant sur la forme de la requête. Les voici:
1) Une requête en vertu de la Règle 2500 n'est pas appropriée pour en arriver à une détermination qu'il y a eu outrage au tribunal commis hors la présence du juge.
2) Si la Règle 2500 est la règle appropriée pour en arriver à une détermination qu'il y a eu outrage au tribunal commis hors de la présence du juge, la requête est mal fondée car elle est définitivement inappropriée quant à Huma -Res et Humanex.
3) Si la Règle 2500 est la règle appropriée pour tous les défendeurs, dans le cas d'espèce, la requête est tout de même irrecevable car elle n'identifie aucunement l'offense commise eu égard à l'injonction émise par la Cour.
4) Si la Règle 2500 est la règle appropriée dans le cas de tous les défendeurs, et est suffisamment précise, la preuve soumise à sa face même est insuffisante pour satisfaire le critère de la preuve hors de tout doute raisonnable, ou même pour démon- trer un cas prima fade d'outrage.
Il a été convenu que la quatrième objection vise le bien-fondé de la requête et qu'elle ne devrait donc pas être examinée à ce stade-ci des procédures.
À la clôture de l'audience le 4 décembre 1986, j'ai ordonné que l'affaire soit ajournée sine die pour permettre:
a) À l'avocat des intimés de déposer et de signifier ses arguments écrits au sujet des objections préliminaires, au plus tard le 12 décembre 1986;
b) À l'avocat de la requérante de déposer et de signifier sa réponse au plus tard le 31 décembre 1986.
J'ai également statué que les parties devraient avoir présenté une demande conjointe avant le 9 janvier 1987 si elles souhaitaient faire valoir d'au- tres arguments verbalement, à défaut de quoi, je rendrais une décision sur les objections préliminai- res.
Les arguments et la réponse portant sur les objections préliminaires ont été déposés et signi- fiés. Aucune des parties n'ayant demandé la tenue d'une autre audience, je me propose maintenant de rendre ma décision sur les trois objections prélimi- naires soulevées par l'avocat des intimés.
Il est possible de saisir les grandes lignes de ce débat sur la procédure à partir de la simple propo sition suivante: la requérante peut-elle avoir recours à la Règle 2500 pour demander à la Cour de décider s'il y a outrage au tribunal, et ainsi éviter la procédure prévue à la Règle 355?
Il ressort d'une lecture attentive de la Règle 2500 que l'incarcération constitue le principal redressement en cas d'outrage au tribunal et, sans hésitation aucune, je rejette immédiatement l'ac- tion intentée contre Humanex International et Huma -Res Inc., car ce recours ne peut certaine- ment pas être exercé à l'encontre de personnes morales.
De prime abord, on tendrait à être d'accord avec l'avocat de la requérante pour dire qu'étant donné que celle-ci a strictement suivi la procédure prévue aux Règles 319 et suivantes pour présenter une requête à la Cour, il n'y avait aucune raison de ne pas examiner immédiatement le bien-fondé de la présente requête en incarcération fondée sur la Règle 2500. Voici le texte du paragraphe (2) de la Règle 2500:
Règle 2500. . .
(2) Une demande d'ordonnance d'incarcération doit être faite par requête et il doit obligatoirement s'écouler 8 jours francs au moins entre la signification de l'avis de requête et la date d'audition qui y est indiquée. [C'est moi qui souligne.]
Voici la procédure prévue à la Règle 319 en ce qui concerne la présentation d'une requête à la Cour:
Règle 319. (1) Lorsqu'il est permis de faire une demande à la Cour, à un juge ou un protonotaire, la demande doit être faite par voie de requête.
(2) Une requête doit être appuyée par un affidavit certifiant tous les faits sur lesquels se fonde la requête sauf ceux qui
ressortent du dossier; cet affidavit doit être déposé, et une partie adverse peut déposer un affidavit en réponse.
(3) La partie présentant une requête doit signifier une copie de ses affidavits aux autres parties avec l'avis de la requête et un affidavit déposé par toute autre partie doit être immédiate- ment signifié aux autres parties.
(4) Avec la permission de la Cour ou d'un juge de la Cour d'appel, pour une raison spéciale, un témoin peut être appelé à témoigner en séance publique ou devant un juge de la Cour d'appel relativement à une question de fait soulevée dans une requête. [C'est moi qui souligne.]
J'estime toutefois, pour divers motifs, que la procé- dure «ordinaire et sommaire» énoncée à la Règle 319 ne s'applique pas à l'incarcération pour outrage au tribunal.
Premièrement, je suis d'accord avec l'avocat des intimés lorsqu'il dit dans ses notes écrites (page 15) « ... il ne peut être prétendu qu'une requête en outrage au tribunal est une requête "ordinaire". En effet l'emprisonnement ou des amendes subs- tantielles peuvent être imposés si une déclaration de culpabilité est prononcée. Conséquemment, les cours ont toujours insisté pour qu'une procédure quasi criminelle soit rigoureusement suivie et que l'accusé ait droit à toutes les protections tradition- nellement accordées à une personne accusée d'une infraction criminelle».
Deuxièmement, et ce qui est plus important, la procédure prescrite par la Règle 319 n'assure pas à la personne accusée d'outrage au tribunal la pro tection habituellement garantie par l'équité. Si j'accepte l'argument de la requérante suivant lequel elle s'est strictement conformée à la lettre de la loi et aux exigences de la Règle 319 en demandant une ordonnance d'incarcération par voie de requête appuyée d'un affidavit «certifiant tous les faits sur lesquels se fonde la requête sauf ceux qui ressortent du dossier», et que je rends une ordonnance prévue à la Règle 2500, la personne accusée sera obligée de divulguer, par voie d'affi- davit, sa preuve et son dernier moyen de défense avant que l'accusateur ne se soit déchargé du fardeau qui lui incombe. C'est contraire à tous les principes de justice fondamentale. En fait, l'auteur présumé d'un outrage au tribunal n'est pas obligé de répondre; il peut se taire jusqu'à ce qu'une preuve hors de tout doute raisonnable ait été établie.
Troisièmement, il faut souligner que, lorsqu'on a recours à la Règle 319, la Cour peut à sa discré-
tion permettre des témoignages de vive voix (Règle 319(4)) alors que suivant la common law, il s'agit d'un droit reconnu depuis toujours en matière d'outrage au tribunal.
Quatrièmement, la procédure prévue à la Règle 319 ne permet qu'un bref exposé de l'acte repro- ché, ce qui va à l'encontre du principe de justice fondamentale conférant à une personne le droit de connaître exactement la preuve qu'elle devra réfu- ter. Que l'on qualifie de civiles ou de criminelles les procédures d'outrage au tribunal, l'accusé aura toujours le droit de se réfugier derrière le rempart inattaquable de la common law, c'est-à-dire le droit de connaître les détails de l'accusation et celui de garder le silence jusqu'à ce que l'accusa- teur se soit déchargé du fardeau de la preuve.
Il semble exister une grande confusion dans les Règles de la Cour lorsqu'on compare la procédure prescrite par la Règle 355 et celle prévue à la Règle 319 pour en arriver au résultat envisagé par la Règle 2500. Il semble qu'on peut présumer, en lisant rapidement la Règle 2500(1), que la Cour a déjà rendu une ordonnance ou qu'elle a déjà conclu à l'outrage au tribunal.
Règle 2500. (1) Le pouvoir qu'a la Cour d'infliger une peine pour outrage au tribunal pourra être exercé au moyen d'une ordonnance d'incarcération. [C'est moi qui souligne.]
Je conclus qu'il est évident que la Règle 2500 ne permet d'intenter des procédures d'exécution for cées qu'une fois que la Cour a conclu à l'outrage. De plus, pourquoi a-t-elle été placée dans la partie des Règles de la Cour portant sur l'exécution forcée si elle était destinée à une autre fin?
La Règle 2500(6) prévoit qu'un bref de con- trainte par corps peut être décerné:
Règle 2500. . .
(6) Sur permission de la Cour, un bref de contrainte par corps peut être décerné (Formule 71) et un bref ainsi décerné doit être exécuté dans la mesure il est nécessaire de l'exécuter.
Je reproduis ici pour le bénéfice des parties le texte intégral de la formule 71:
BREF DE CONTRAINTE PAR CORPS
(Nom de la Cour et intitulé de l'action—Formules 1 et 2) ELIZABETH DEUX, par la grâce de Dieu Reine du Royaume- Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth, Défenseur de la Foi.
Au shérif d , Salut:
Nous vous ordonnons d'arrêter C.D. et de l'amener devant Nous, en Notre Cour fédérale du Canada, en quelque lieu que siège alors ladite Cour, pour répondre au sujet tant d'un outrage qu'il est allégué avoir commis contre Nous, que des autres accusations qui y seront alors portées contre lui, et vous ordonnons en outre d'exécuter et observer l'ordonnance que Notre Cour rendra à cet égard et n'y manquer aucunement et de rapporter avec vous le présent bref.
Témoin le juge en chef de Notre Cour fédérale du Canada,
à ce jour d en l'an de grâce mil
neuf cent et en la année de notre Règne.
Fonctionnaire du greffe
La requérante n'aurait-elle pas dans sa demande de redressement chercher à obtenir un bref de contrainte par corps? Il ressort d'une ana lyse attentive de la formule 71 que celle-ci ordonne au contrevenant présumé de comparaître devant la Cour pour répondre à une accusation d'outrage qui, je dois présumer, aurait déjà fait l'objet d'une décision de la Cour, ce qui renforce mon point de vue suivant lequel une demande fondée sur la Règle 2500 n'est pas le moyen approprié d'obtenir le redressement demandé. Qui plus est, le président Jackett (tel était alors son titre) a écrit en mars 1971 un ouvrage intitulé The Federal Court of Canada: A Manual of Practice. Il renvoie, dans la table des matières, aux divers chapitres et divisions des règles de pratique et, lorsqu'il mentionne la Règle 2500 la page 89 du chapitre 22 de son ouvrage, il examine la question de l'exécution forcée et indique que ces dispositions se trouvent à la Partie VII, aux Règles 1900 2500.
À mon avis, la logique exige que la procédure suivie soit celle prévue à la Règle 355:
Règle 355. (1) Est coupable d'outrage au tribunal quiconque désobéit à un bref ou une ordonnance de la Cour ou d'un de ses juges, ou agit de façon à gêner la bonne administration de la justice, ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour. En particulier, un officier de la justice qui ne fait pas son devoir, et un shérif ou huissier qui n'exécute pas immédiate- ment un bref ou qui ne dresse pas le procès-verbal d'exécution y afférent ou qui, enfreint une règle dont la violation le rend passible d'une peine, est coupable d'outrage au tribunal.
(2) Sauf disposition contraire, quiconque est coupable d'ou- trage au tribunal est passible d'une amende qui, dans le cas d'un particulier ne doit pas dépasser $5,000 ou d'un emprison- nement d'un an au plus. L'emprisonnement et, dans le cas d'une corporation, une amende, pour refus d'obéissance à un bref ou une ordonnance, peuvent être renouvelés jusqu'à ce que la personne condamnée obéisse.
(3) Quiconque se rend coupable d'outrage au tribunal en présence du juge dans l'exercice de ses fonctions peut être condamné sur-le-champ, pourvu qu'on lui ait demandé de justifier son comportement.
(4) Une personne ne peut être condamnée pour outrage au tribunal commis hors de la présence du juge que s'il lui a été signifié une ordonnance de justification lui enjoignant de com- paraître devant la Cour, au jour et à l'heure fixés pour entendre la preuve des actes dont il est accusé et pour présenter, le cas échéant, sa défense en exposant les raisons de sa conduite. Cette ordonnance, rendue par le juge soit de sa propre initia tive, soit sur demande, doit obligatoirement être signifiée à personne, à moins qu'un autre mode de signification ne soit autorisé pour des raisons valables. La demande d'ordonnance de justification enjoignant d'exposer les raisons peut être pré- sentée sans qu'il soit nécessaire de la faire signifier.
(5) La procédure prévue à l'alinéa (4) n'exclut pas une demande d'incarcération en vertu du chapitre I de la Partie VII. L'une ou l'autre de ces deux méthodes de procédure peut être appliquée, mais le fait de s'être engagé dans l'une de ces deux voies supprime la possibilité de s'engager dans l'autre. Les autres dispositions de la présente Règle n'excluent pas les pouvoirs inhérents à la Cour; et la présente Règle ainsi que les pouvoirs inhérents à la Cour peuvent être invoqués en toute circonstance appropriée.
En suivant cette procédure, le requérant donne au contrevenant présumé l'occasion de comparaî- tre devant la Cour en connaissant exactement la nature des actes qui constitueraient un outrage, de garder le silence et de ne pas dévoiler sa défense tant que ledit requérant ne s'est pas déchargé du fardeau qui lui incombe, et il peut de plein droit témoigner de vive voix en son propre nom.
Avant de conclure, j'aimerais glisser un mot sur l'alinéa 11a) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] qui se lit comme suit:
11. Tout inculpé a le droit:
a) d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise qu'on lui reproche; [C'est moi qui souligne.]
Ni le procureur des intimés, ni le procureur de la requérante n'ont fait grand état de l'application de la Charte à la requête en outrage devant moi. Peut-être était-ce à cause de la valse-hésitation à laquelle se sont livrés certains tribunaux? Il semble en effet que la Cotir supérieure du Québec et la Cour d'appel de l'Ontario en soient arrivées à des conclusions diamétralement opposées sur l'applica- bilité de la Charte à une procédure d'outrage au tribunal. D'une part, le juge Rothman de la Cour supérieure du Québec dans l'affaire Attorney
General of Quebec v. Laurendeau (1983), 33 C.R. (3d) 40 (C.S. Qc), à la page 42 (aussi disponible en anglais 145 D.L.R. (3d) 526, à la page 528) est d'avis que:
Il ne s'agit pas, donc, d'une «infraction» dans le sens ordinaire de ce mot, ni, à mon avis, dans le sens de la Charte.
Il faut donc soustraire de l'application de la Charte (du moins des dispositions de l'article 11) la procédure en outrage ex facie parce que cette dernière ne constitue pas une «infraction».
D'autre part, la Cour d'appel de l'Ontario a statué, dans Regina v. Cohn (1985), 15 C.C.C. (3d) 150, la page 161, que la personne citée pour outrage au tribunal in facie est un inculpé au sens de l'article 11 de la Charte:
[TRADUCTION] ... J'estime que la citation à comparaître pour outrage au tribunal équivaut à une inculpation au sens de l'art. 11.
À tous égards, je ne crois pas qu'il me faille opter, pour les fins de la présente requête, pour l'une ou l'autre de ces écoles de pensée. Qu'il me suffise de dire que peu importe si l'outrage au tribunal constitue une «infraction», il ne fait aucun doute qu'aux termes de la common law une per- sonne citée pour outrage au tribunal est un «inculpé». La décision de la Cour suprême dans Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048, reconnaissait en effet avant l'avènement de la Charte, cette situation de fait. Ainsi les juges majoritaires de la Cour suprême parlaient d'«inculpation d'outrage au tribunal» (page 1054 du jugement) et les juges minoritaires désignaient l'appelant Cotroni comme étant «inculpé d'outrage au tribunal» (page 1062). Il est donc clair que, nonobstant la Charte, un «inculpé» jouissait et jouit toujours (puisqu'à ce chapitre, la Charte n'a pas modifié le droit existant avant le 17 avril 1982) d'une panoplie de droits traditionnelle- ment reconnus par la common law. Je ne ferai pas l'exégèse de ces droits, mais je conviendrai avec le juge de Grandpré qui parlait au nom de la majo- rité des juges de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Côté, [1978] 1 R.C.S. 8, à la page 13 que:
... la règle par excellence est que l'accusé doit être raisonnable- ment informé de l'infraction qu'on lui impute, pour lui donner ainsi la possibilité d'une défense complète et d'un procès équitable.
Il s'ensuivait que l'inobservance de cette règle dite par excellence entraînait la nullité complète des procédures intentées. C'est ce qu'a tenu à rappeler, à peu près à la même époque, le juge Pigeon de la Cour suprême dans l'arrêt Cotroni c. Commission de police du Québec (précitée) en disant, à la page 1057, que:
La règle fondamentale est incontestable: une accusation impré- cise est un vice radical.
C'est donc à juste titre que le professeur Jean- Claude Hébert dans un article sur «L'incidence de la Charte canadienne sur l'outrage au tribunal» (1984), 18 R.J.T. 183, a écrit à la page 197 que:
À la lumière des arrêts de notre plus haute cour, force nous est de conclure que la garantie juridique prévue à l'article 11a) de la Charte se superpose à celle que le droit jurisprudentiel reconnaissait déjà à tout inculpé d'outrage au tribunal. [C'est moi qui souligne.]
Dans le cas qui nous occupe, je ne suis pas con- vaincu que la procédure suivie par le procureur de la requérante, soit un avis de requête suivant la Règle 319, permette aux intimés d'être raisonna- blement informés de l'infraction qu'on leur impute, ce qui a fortiori les empêche de faire valoir en tout état de cause une défense pleine et entière. Comme j'ai eu l'occasion de le dire au début de ma déci- sion, ce droit pour un inculpé d'être raisonnable- ment informé de l'infraction qu'on lui impute cons- titue l'une des pierres angulaires de notre système juridique. En l'absence d'une procédure qui res- pecte tous les droits reconnus, et par la Charte et par la common law, à un inculpé, je n'ai d'autre choix que d'accueillir les objections préliminaires du procureur des intimés quant à la forme de la requête en outrage et de rejeter, avec dépens, la requête du requérant pour obtention d'une ordon- nance d'incarcération pour outrage au tribunal suivant la Règle 2500.
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