T-2340-84
La Reine du chef du Canada (demanderesse)
c.
Le gouvernement du Manitoba (défendeur)
RÉPERTORIÉ: R. C. MANITOBA (GOUVERNEMENT)
Division de première instance, juge Joyal—Winni-
peg, 2 avril; Ottawa, 14 novembre 1985.
Douanes et accise — En vertu d'un programme de dévelop-
pement économique visant à venir en aide aux autochtones, le
gouvernement du Manitoba a acheté du matériel et en a fait
don à des pêcheurs manitobains — Les pêcheurs ne sont ni des
mandataires ni des préposés de la Couronne — Une taxe de
vente a été imposée sur la vente du matériel au gouvernement
provincial en vertu de l'art. 27 de la Loi sur la taxe d'accise —
Le défendeur a droit au remboursement prévu à l'art. 44(2) —
Signification de l'expression «ou pour d'autres fins commer-
ciales ou mercantiles» — Choix de l'interprétation corrélative
— Peu importe que les marchandises soient utilisées relative-
ment à la fabrication ou à la production de marchandises ou
pour d'autres fins commerciales ou mercantiles, il faut qu'elles
soient utilisées par Sa Majesté ou par ses mandataires ou
préposés — Analyse du libellé, de l'économie et de la version
française des art. 43b)(iii) et 44(2)c) — Loi sur la taxe
d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 27, 43b), 44(2),(3), 45,
46 — Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, chap. O-2,
art. 8(1) — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règle 475.
L'instance est fondée sur un mémoire conjoint. En vertu d'un
programme spécial de développement économique visant à
venir en aide aux autochtones, le gouvernement du Manitoba a
fait don de canots et de traîneaux à des pêcheurs manitobains.
Les pêcheurs n'étaient ni des mandataires ni des préposés de Sa
Majesté. En vertu de l'article 27 de la Loi sur la taxe d'accise,
une taxe de vente a été imposée sur la vente du matériel au
gouvernement provincial. Il s'agit de savoir si le gouvernement
du Manitoba a droit à un remboursement en vertu des disposi
tions du paragraphe 44(2).
Jugement: les taxes de ventes payées sur les marchandises
peuvent faire l'objet d'une demande de remboursement en vertu
du paragraphe 44(2).
L'article 27 de la Loi sur la taxe d'accise impose une taxe
sur le prix de vente de toutes marchandises produites, fabri-
quées ou importées au Canada. Toutefois, le paragraphe 44(2)
prévoit qu'un remboursement peut être accordé, à certaines
conditions, lorsque les marchandises sont vendues à un gouver-
nement provincial. Des quatre conditions imposées, la seule qui
est contestée consiste à déterminer si les marchandises n'ont pas
été vendues afin d'être utilisées par Sa Majesté ou par ses
mandataires ou préposés relativement à la fabrication ou pro
duction de marchandises, ou pour d'autres fins commerciales ou
mercantiles. La question se limite à une analyse de l'objet et du
sens de l'expression «ou pour d'autres fins commerciales ou
mercantiles» figurant à l'alinéa 44(2)c).
Si l'expression «pour d'autres fins commerciales ou mercanti-
les» est interprétée dans un sens conjonctif, on peut établir un
lien entre l'utilisation relativement à la fabrication et à la
production de marchandises et l'utilisation pour d'autres fins
commerciales ou mercantiles. Peu importe que les marchandi-
ses soient utilisées relativement à la fabrication ou à la produc
tion de marchandises ou pour d'autres fins commerciales ou
mercantiles, il faut qu'elles le soient par Sa Majesté ou par ses
préposés ou mandataires.
L'interprétation corrélative est préférée parce qu'on ne fait
pas de distinction entre les personnes énumérées dans les pre
miers mots et les deux types d'utilisations décrits dans le reste
de l'alinéa. De plus, la formulation de l'alinéa donne à penser
qu'il faut lire en corrélation les deux types d'utilisations qui y
sont mentionnés. Il ressort d'une telle lecture que seules sont
visées les utilisations y mentionnées qui sont faites par Sa
Majesté ou par ses mandataires ou préposés. Il existe un lien
conceptuel entre l'expression «fabrication ou production» et
l'expression «fins commerciales ou mercantiles». La présence du
mot «autres» dans l'expression «pour d'autres fins commerciales
ou mercantiles» laisse supposer que la fabrication et la produc
tion de marchandises possèdent des connotations commerciales,
mais que l'alinéa vise les utilisations commerciales ou mercanti-
les qui ne sont pas nécessairement liées aux activités de fabrica
tion ou de production ou visées par celles-ci. S'il en était
autrement le mot «autres» serait redondant. Une approche
disjonctive aboutirait à l'anomalie suivante, savoir qu'une dis
position législative donnée qui vise spécifiquement une utilisa
tion par Sa Majesté relativement à la fabrication et à la
production des marchandises, s'appliquerait à tous de manière
générale lorsqu'il serait question de fins commerciales ou mer-
cantiles. Une meilleure interprétation indiquerait que tant en
matière d'utilisation à des fins commerciales ou mercantiles
qu'en matière d'utilisation relativement à la fabrication ou à la
production de marchandises, l'alinéa ne vise que Sa Majesté ou
ses mandataires ou préposés.
La Loi est une loi portant taxation et la taxe qu'elle impose
s'applique à toutes les marchandises produites, vendues ou
importées au Canada. Le libellé de l'alinéa 43b) correspond
exactement à celui des trois alinéas du paragraphe 44(2);
toutefois l'article 43 est rédigé dans un langage affirmatif.
L'article 43 impose une taxe sur les achats d'un gouvernement
provincial chaque fois que celui-ci utilise les marchandises
achetées relativement à la fabrication ou la production d'autres
marchandises ou qu'il les utilise à des fins commerciales ou
mercantiles. L'intention du législateur n'était pas d'incorporer à
cet article une disposition imposant une taxe sur des marchan-
dises utilisées à des fins commerciales ou mercantiles, puisque
l'article 27 prévoit déjà l'imposition d'une telle taxe. De même,
il est impossible que l'intention du législateur ait été de permet-
tre à un gouvernement provincial de faire le commerce de
marchandises en les revendant ou en les utilisant à des fins de
fabrication ou de production. L'article 43 énonce qu'en de telles
circonstances les achats gouvernementaux sont assujettis à la
taxe et que celle-ci n'est pas remboursable. Enfin, si l'article 43
est une disposition imposant une taxe, on peut l'interpréter de
manière plus stricte. Puisque l'article 43, pris dans son ensem
ble, impose une taxe sur les marchandises importées par la
Couronne et, de façon particulière, son sous-alinéa (iii) sur les
marchandises importées pour les fins ou utilisations de la
Couronne, il ne faut pas l'interpréter comme imposant la taxe
dans le cas où l'utilisation en question est le fait d'une personne
autre que Sa Majesté, ses mandataires et ses préposés.
La version française des alinéas 43b)(iii) et 44(2)c) n'est pas
utile parce qu'il y a incompatibilité entre les deux versions. La
présence d'une virgule entre les mots «marchandises» et «ou
pour d'autres fins commerciales ou mercantiles» ouvre la porte
à une interprétation disjonctive de l'alinéa. Le texte français ne
doit pas être suivi parce que la virgule témoigne uniquement du
désir de faire en sorte que le texte français soit fidèle au texte
anglais. Malgré cette virgule, c'est l'interprétation conjonctive
qui doit l'emporter.
Parce qu'il fournissait les marchandises aux bénéficiaires, le
mécanisme donnait droit à un remboursement de la taxe de
vente. La Cour doit prendre garde de ne pas interpréter une loi
de manière à faire obstacle, dans les faits, à son objet. Mais
l'admissibilité à un remboursement et l'obtention dudit rem-
boursement sont deux choses différentes. L'application de
toutes les dispositions de la Loi sur la taxe d'accise relève du
pouvoir discrétionnaire du gouvernement fédéral.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Attorney -General v. Carlton Bank, [1899] 2 Q.B. 158.
DÉCISIONS CITÉES:
Partington v. The Attorney -General (1869), L.R. 4 H.L.
100; The King v. Crabbs, [1934] R.C.S. 523; La Reine c.
Stevenson Construction Co Ltd et autres, [1979] CTC 86
(C.A.F.).
AVOCATS:
Kimberly Prost pour la demanderesse.
Stewart J. Pierce pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Manitoba pour
le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL: La présente instance, intro-
duite conformément à la Règle 475 des Règles de
la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], est fondée
sur un mémoire soumis par les parties relativement
à l'imposition d'une taxe d'accise sur certaines
opérations concernant des programmes à frais par-
tagés établis conjointement par le gouvernement
fédéral et le gouvernement du Manitoba.
Les faits substantiels sur lesquels les parties se
sont entendus afin d'exposer leur cause sont énon-
cés brièvement mais de façon claire aux paragra-
phes 1 à 5 du mémoire:
[TRADUCTION] 1. On a élaboré, en vertu de la Loi sur l'amé-
nagement rural et le développement agricole (ARDA) S.R.C.
chap. A-4, une convention fédérale-provinciale à frais partagés
(appelée Programme spécial ARDA) afin de favoriser l'essor
économique du Nord du Manitoba, et ce spécialement afin
d'aider les autochtones dans l'exploitation des ressources natu-
relles, y compris la pêche et la chasse au piège. Conformément
à ce programme, des subventions ont été accordées à des
particuliers. Ces subventions n'ont pas été versées directement
aux bénéficiaires désignés mais ont plutôt servi à défrayer le
prix d'achat du matériel dont ceux-ci avaient besoin dans
l'exercice de leur métier.
2. Entre le le' juillet 1974 et le 31 juillet 1978 inclusivement, Sa
Majesté la Reine du chef de la province du Manitoba a acheté
des traîneaux et des canots de la société Lake Winnipeg Boat
Works Ltd. En vertu du Programme spécial ARDA, Sa
Majesté la Reine du chef de la province du Manitoba a, par
l'intermédiaire du ministère des Affaires du Nord, fourni.lesdi-
tes marchandises à des pêcheurs du Manitoba qui, pour les fins
du programme, n'étaient à aucun moment mandataires ou
préposés de Sa Majesté.
3. Le gouvernement fédéral a, en vertu de l'article 27 de la Loi
sur la taxe d'accise S.R.C. 1970, chap. c-10 (sic)', exigé de
Lake Winnipeg Boat Works le paiement d'une taxe de vente
fédérale sur les marchandises susmentionnées. Les marchandi-
ses vendues à la province sont taxables en vertu de l'article 27
de ladite Loi sous réserve de toute exemption prévue à la Loi.
4. La taxe sur les marchandises a été établie à 2358,11 $,
amende non comprise, la province du Manitoba n'ayant pas
versé la taxe au moment de l'achat. Conformément à la Loi sur
la taxe d'accise, une amende mensuelle a été ajoutée au
montant susmentionné et, en conséquence, le montant mainte-
nant réclamé par le gouvernement fédéral s'élève à 6 091,05 $.
5. Le gouvernement fédéral ne présente pas sa demande de
paiement de la taxe contre Lake Winnipeg Boat Works en
vertu d'une convention intervenue entre le gouvernement fédé-
ral et le gouvernement provincial, de sorte que la demande ne
vise que le gouvernement du Manitoba.
Il ressort clairement des faits que le programme
A.R.D.A. est un projet de développement économi-
que visant à aider les autochtones dans l'exercice
de leurs activités traditionnelles, notamment la
pêche et la chasse au piège. En vertu du pro
gramme, certaines sommes d'argent qui, en d'au-
tres circonstances, auraient été versées aux bénéfi-
ciaires afin de leur permettre de se procurer le
matériel nécessaire, ont plutôt servi à l'achat de
traîneaux et de canots de Lake Winnipeg Boat
Works Ltd. Ce matériel a ensuite été remis aux
bénéficiaires, franc et quitte de toutes dettes et
charges. En vertu de l'article 27 de la Loi sur la
taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, une taxe
' S.R.C. 1970, chap. E-13.
de vente a été imposée sur le matériel vendu au
gouvernement du Manitoba par le fabricant. La
question posée à la Cour consiste à déterminer si le
gouvernement du Manitoba a droit à un rembour-
sement en vertu des dispositions du paragraphe
44(2).
L'article 27, qui est l'article de la Loi sur la
taxe d'accise qui prévoit une charge, est trop long
pour être cité en entier. Pour l'essentiel, il impose
une taxe de neuf (9) pour cent (maintenant dix
(10) pour cent) sur le prix de vente de toutes
marchandises produites, fabriquées ou importées
au Canada. Suivant cet article les bateaux et les
traîneaux que Lake Winnipeg Boat Works a
vendus au gouvernement du Manitoba tombent
sous le coup de l'article 27, et une taxe de vente
doit être payée.
Toutefois, le paragraphe 44(2) de la Loi prévoit
qu'un remboursement peut être accordé, à certai-
nes conditions, lorsque les marchandises sont ven-
dues à un gouvernement provincial. Lorsque les
conditions énoncées à cet article sont remplies, un
remboursement de taxe peut être accordé à la
province ou à quiconque l'a payée ou a dû en subir
les conséquences.
Il semble que le paragraphe 44(2) de la Loi soit
la disposition applicable en l'espèce. Ce paragra-
phe dispose:
44....
(2) Lorsque des marchandises ont été achetées par Sa
Majesté du chef de quelque province du Canada pour toute fin
autre que
a) la revente;
b) l'utilisation par tout bureau, commission, chemin de fer,
service public, université, usine, compagnie ou organisme
possédé, contrôlé ou exploité par le gouvernement de la
province ou sous l'autorité de la législature ou du lieutenant-
gouverneur en conseil; ou
e) l'utilisation par Sa Majesté ou par ses mandataires ou
préposés relativement à la fabrication ou production de mar-
chandises, ou pour d'autres fins commerciales ou mercanti-
les;
un remboursement de taxes payées en vertu de la Partie III, IV
ou V peut être accordé à Sa Majesté ou au fabricant, produc-
teur, marchand en gros, intermédiaire ou autre commerçant,
selon le cas.
Compte tenu des faits qui m'ont été soumis,
pour que le gouvernement du Manitoba ait gain de
cause, il faut que les conditions suivantes soient
remplies:
1. que les marchandises en cause aient été achetées
par le gouvernement du Manitoba (44(2)). Ce fait
n'est pas contesté. Il est admis au paragraphe 2 du
mémoire;
2. que les marchandises n'aient pas été achetées
afin d'être revendues (44(2)a)). Les parties recon-
naissent que les marchandises n'ont pas été ven-
dues aux pêcheurs et aux trappeurs, mais qu'elles
leur ont été données libres de toutes charges;
3. que les marchandises n'aient pas été achetées
pour être utilisées par tout bureau, commission,
chemin de fer, service public, université, usine,
compagnie ou organisme possédé, contrôlé ou
exploité par le gouvernement de la province ou
sous l'autorité de la législature ou du lieutenant-
gouverneur en conseil (44(2)b)). Les parties recon-
naissent que ce n'était pas le cas en l'espèce;
4. que les marchandises n'aient pas été achetées
afin d'être utilisées par Sa Majesté ou par ses
mandataires ou préposés relativement à la fabrica
tion ou production de marchandises, ou pour d'au-
tres fins commerciales ou mercantiles (44(2)c)).
C'est sur l'interprétation de l'alinéa 44(2)c) de
la Loi que les parties ne s'entendent pas.
À ce stade-ci, on pourrait souligner que le para-
graphe 44(2) parle de revente et d'utilisation.
Dans le cas de marchandises achetées afin d'être
revendues, les dispositions prévoyant le rembourse-
ment ne s'appliquent pas. Toutefois, lorsqu'il y a
utilisation, il n'est aucunement nécessaire qu'il y
ait contrepartie pécuniaire. J'en conclus donc que
le fait que le gouvernement ait fait don des mar-
chandises à ses électeurs du Nord du Manitoba
n'est pas en soi suffisant pour que l'opération
puisse bénéficier de l'exemption permise. Le cri-
tère ne change pas: l'utilisation des canots et des
traîneaux par leurs propriétaires est-elle du type
visé à l'alinéa 44(2)c) de la Loi?
De toute évidence, le législateur n'avait pas
prévu un programme du type de celui qui m'est
soumis où, au lieu de fournir à une partie de sa
population les fonds nécessaires à l'achat de maté
riel, le gouvernement du Manitoba leur fournit
lui-même ce matériel. En fait, si des dispositions
législatives spéciales n'exonéraient pas les autoch-
tones du paiement des taxes de vente, ces taxes
auraient été exigibles si ces derniers avaient acheté
les marchandises eux-mêmes.
Par conséquent, s'il ressort de la preuve que
lesdites marchandises sont utilisées par leurs béné-
ficiaires à des fins commerciales ou mercantiles,
elles constituent des marchandises qui:
(1) sont achetées par le gouvernement;
(2) ne sont pas revendues;
(3) ne sont pas utilisées par des organismes
gouvernementaux, etc.;
(4) ne sont pas utilisées relativement à la fabri
cation ou production de marchandises;
(5) sont néanmoins utilisées à des fins mercanti-
les ou commerciales.
La question qui m'est soumise se limite donc à
une analyse de l'objet et du sens de l'alinéa 44(2)c)
de la Loi. Cet alinéa contient deux dispositions. La
première, qui concerne «l'utilisation par Sa
Majesté ou par ses mandataires ou préposés relati-
vement à la fabrication ou production de marchan-
dises», n'est pas celle qui nous intéresse. Même si
l'on pouvait soutenir qu'un canot sert à la produc
tion de poissons ou qu'un traîneau sert à celle de
fourrures, ces marchandises ne sont pas utilisées
par Sa Majesté ou par ses mandataires ou préposés
et ne sont donc pas visées par ce mot.
Il nous reste donc à examiner la dernière partie
de l'alinéa 44(2)c) «ou pour d'autres fins commer-
ciales ou mercantiles». L'analyse des mots et des
expressions y utilisés ouvre la voie à deux interpré-
tations possibles:
1. L'expression «pour d'autres fins commerciales
ou mercantiles» est interprétée dans un sens dis-
jonctif, indépendamment des dispositions du texte
qui la précède. Dans ce contexte, toute utilisation
des marchandises par quiconque à des fins com-
merciales ou mercantiles tomberait sous le coup de
l'alinéa, et les marchandises ne pourraient bénéfi-
cier de la disposition donnant droit au rembourse-
ment. Si l'on tenait pour acquis que les bénéficiai-
res des marchandises s'en servent pour la pêche ou
la chasse au piège commerciales, il s'agirait d'utili-
sations commerciales et les bénéficiaires n'auraient
pas droit au remboursement des taxes payées.
2. L'autre interprétation consiste à établir un lien
entre l'utilisation relativement à la fabrication et
la production de marchandises et l'utilisation pour
d'autres fins commerciales ou mercantiles. Suivant
cette interprétation corrélative, il importe peu que
les marchandises soient utilisées en rapport avec la
fabrication ou la production de marchandises ou
pour d'autres fins commerciales ou mercantiles, il
faut qu'elles le soient par Sa Majesté ou par ses
mandataires ou préposés. Toute utilisation par des
personnes autres que des personnes ainsi mention-
nées ne tomberait pas dans le champ d'application
de l'alinéa.
J'admets volontiers qu'il n'est pas facile de choi-
sir entre ces deux possibilités et que les deux
prêtent le flanc à la critique. Néanmoins, j'opte
pour l'interprétation corrélative et voici pourquoi.
1. L'analyse textuelle du libellé de l'alinéa
a) Les premiers mots de l'alinéa parlent spécifi-
quement d'«utilisation par Sa Majesté ou par ses
mandataires ou préposés». Le reste de l'alinéa
forme une seule phrase et ne renferme aucun
mot qui inciterait à faire une distinction entre
les personnes énumérées dans les premiers mots
et les deux types d'utilisations décrits dans le
reste de l'alinéa.
b) La formulation de l'alinéa donne à penser
qu'il faut lire en corrélation les deux types d'uti-
lisations qui y sont mentionnés. Il ressort d'une
telle lecture que seules sont visées les utilisations
y mentionnées qui sont faites par Sa Majesté ou
par ses mandataires ou préposés.
c) Il existe à mon sens un lien conceptuel entre
l'expression «fabrication ou production», d'une
part, et l'expression fins «commerciales ou mer-
cantiles», d'autre part. En fait, les opérations de
fabrication ou de production de marchandises
comportent très souvent un élément commercial
ou mercantile. La présence du mot «autres» dans
l'expression «pour d'autres fins commerciales ou
mercantiles» (c'est moi qui souligne) me porte à
croire que la fabrication et la production de
marchandises possèdent des connotations com-
merciales, mais que l'alinéa vise les utilisations
commerciales ou mercantiles qui ne sont pas
nécessairement liées aux activités de fabrication
ou de production ou visées par celles-ci. S'il en
était autrement, le mot «autres» serait redon-
dant.
d) Je soutiens qu'une approche disjonctive abou-
tirait à l'anomalie suivante, savoir qu'une dispo
sition législative donnée visant spécifiquement
une utilisation par Sa Majesté relativement à la
fabrication ou à la production de marchandises,
s'appliquerait à tous de manière générale lors-
qu'il serait question de fins commerciales ou
mercantiles. Une meilleure formulation indique-
rait que tant en matière d'utilisation à des fins
commerciales ou mercantiles qu'en matière
d'utilisation relativement à la fabrication ou à la
production de marchandises, l'alinéa ne vise que
Sa Majesté ou ses mandataires ou préposés.
2. L'économie de la Loi
J'ai déjà reconnu qu'il n'était pas facile de choi-
sir entre les deux interprétations possibles de l'ali-
néa 44(2)c). Cela est d'autant plus vrai lorsqu'on
limite l'analyse au contexte étroit de l'alinéa lui-
même. On trouvera donc utile d'avoir un aperçu
global de la Loi afin de voir si l'interprétation à
laquelle je souscris est compatible avec l'objet de la
Loi prise dans son ensemble ou avec les idées qui y
sont exprimées.
a) La Loi est une loi portant taxation et la taxe
qu'elle impose s'applique à toutes les marchan-
dises produites, vendues ou importées au
Canada. L'alinéa 43b) prévoit qu'en ce qui con-
cerne les marchandises importées au Canada
par tout gouvernement provincial, la taxe s'ap-
plique lorsque les marchandises sont importées
pour les fins suivantes:
43. b)...
(i) la revente,
(ii) l'utilisation par tout bureau, commission, chemin de
fer, service public, université, usine, compagnie ou orga-
nisme possédé, contrôlé ou exploité par le gouvernement de
la province ou sous l'autorité de la législature ou du
lieutenant-gouverneur en conseil, ou
(iii) l'utilisation par Sa Majesté ou par ses mandataires ou
préposés relativement à la fabrication ou production de
marchandises, ou pour d'autres fins commerciales ou
mercantiles.
b) Il faut souligner que le libellé des trois sous-
alinéas de l'alinéa 43b) correspond exactement à
celui des trois alinéas du paragraphe 44(2).
Toutefois, contrairement à l'article 44, l'article
43 est rédigé dans un langage affirmatif. Ainsi,
plutôt que d'avoir à découvrir ce que l'article 44
ne comprend pas, nous sommes plutôt confron
tés à la tâche concourante et peut-être plus
facile de déterminer ce que comprend l'article
43. À cet égard, le législateur doit nécessaire-
ment avoir eu l'intention de taxer les achats d'un
gouvernement provincial chaque fois que celui-ci
utilise les marchandises achetées relativement à
la fabrication ou la production d'autres mar-
chandises, ou qu'il les utilise à des fins commer-
ciales ou mercantiles. Il est impossible que le
législateur ait eu l'intention d'incorporer à cet
article une disposition imposant une taxe sur des
marchandises utilisées par quiconque à des fins
commerciales ou mercantiles, puisque l'article
27 prévoit déjà qu'une taxe doit être payée à
l'achat de toutes marchandises de la sorte.
c) De même, il est impossible que l'intention du
législateur ait été de permettre à un gouverne-
ment provincial de faire le commerce de mar-
chandises en les revendant, en les utilisant pour
fabriquer ou produire des marchandises, ou pour
d'autres fins commerciales ou mercantiles. L'ar-
ticle 43 énonce clairement qu'en de telles cir-
constances, les achats gouvernementaux sont
assujettis à la taxe et que celle-ci n'est pas
remboursable.
d) Enfin, si l'on peut dire que l'article 43 est une
disposition imposant une taxe, peut-être peut-on
l'interpréter de manière plus stricte. Je ne pré-
tends pas ici que les lois portant taxation en
particulier commandent des techniques d'inter-
prétation différentes de celles applicables aux
autres textes législatifs. Dans son ouvrage Cons
truction of Statutes, (2° éd. Toronto: Butter-
worths, 1983) E. A. Driedger souligne, à la page
204, que les dispositions imposant une taxe ne
jouissent pas d'un statut spécial et que les com-
mentaires qui ont pu, à l'occasion, être faits à
leur sujet par les tribunaux s'appliquent à n'im-
porte quelle autre loi. Lord Russell of Killowen,
juge en chef, est allé tout aussi loin dans l'arrêt
Attorney -General v. Carlton Bank, [1899] 2
Q.B. 158, à la page 164, lorsqu'il a dit:
[TRADUCTION] ... à ma connaissance, il n'existe pas de précé-
dent qui permette d'affirmer qu'une Loi imposant une taxe doit
être interprétée différemment des autres Lois. La Cour a le
devoir de ... donner effet à l'intention de la Législature, telle
qu'elle se dégage des termes employés, eu égard au contexte
dans lequel ils sont utilisés.
Je peux néanmoins m'appuyer sur les principes
énoncés dans bon nombre de décisions mettant
en jeu des lois portant taxation et selon lesquels
une taxe ne peut être imposée que si cela ressort
clairement du libellé de la loi, notamment Par-
tington v. The Attorney -General (1869), L.R. 4
(H.L.) 100, la page 122, examiné dans l'arrêt
The King v. Crabbs, [1934] R.C.S. 523. Si on
adopte ce point de vue, cela nous amène à
conclure que comme l'article 43, pris dans son
ensemble, impose une taxe sur les marchandises
importées par la Couronne et, de façon particu-
lière, son sous-alinéa (iii) sur les marchandises
importées pour les fins ou utilisations de la
Couronne, il ne faut pas l'interpréter comme
imposant la taxe dans le cas où l'utilisation en
question est le fait d'une personne autre que Sa
Majesté, ses mandataires et ses préposés.
3. La version française de la Loi
En vertu du paragraphe 8(1) de la Loi sur les
langues officielles, S.R.C. 1970, chap. O-2, le
texte français de la Loi a la même autorité que le
texte anglais. Malheureusement, dans la présente
instance, la version française du sous-alinéa
43b)(iii) et de l'alinéa 44(2)c) ne nous est pas
utile. Il y a, à première vue du moins, incompatibi-
lité entre les deux versions. La version française de
ces deux dispositions est rédigée dans les termes
suivants:
43. Les taxes imposées par les Parties III, IV et V
s'appliquent
b) aux marchandises importées par Sa Majesté du chef d'une
province du Canada, pour l'une des fins suivantes:
(iii) l'utilisation par Sa Majesté ou par ses mandataires ou
préposés relativement à la fabrication ou production de
marchandises, ou pour d'autres fins commerciales ou
mercantiles.
et:
44....
(2) Lorsque des marchandises ont été achetées par Sa
Majesté du chef de quelque province du Canada pour toute fin
autre que
c) l'utilisation par Sa Majesté ou par ses mandataires ou
préposés relativement à la fabrication ou production de mar-
chandises, ou pour d'autres fins commerciales ou mercanti-
les;
un remboursement de taxes payées en vertu de la Partie III, IV
ou V peut être accordé à Sa Majesté ou au fabricant, produc-
teur, marchand en gros, intermédiaire ou autre commerçant,
selon le cas.
On remarquera, à l'alinéa c), la présence d'une
virgule entre les mots «marchandises» et «ou pour
d'autres fins commerciales ou mercantiles». Sui-
vant les règles générales de la grammaire et de la
syntaxe, une telle virgule aurait pour effet de
séparer les deux utilisations mentionnées à la Loi
et d'en faire des catégories distinctes l'une de
l'autre. En fait, cette virgule ouvre la porte à une
interprétation disjonctive de l'alinéa qui ferait en
sorte que l'expression «l'utilisation ... pour d'au-
tres fins commerciales ou mercantiles» trouverait
application, peu importe qu'il s'agisse de l'utilisa-
tion par Sa Majesté, ses mandataires ou ses prépo-
sés ou de l'utilisation par toute autre personne.
Cela amènerait ensuite à se demander si l'utilisa-
tion par les pêcheurs et les trappeurs des marchan-
dises particulières, à savoir les canots et les traî-
neaux, constituait une utilisation commerciale ou
mercantile.
Bien que l'on puisse prétendre que le texte fran-
çais a un caractère disjonctif, j'estime que cet
argument ne devrait pas être retenu. A mon sens,
cette virgule témoigne uniquement du désir de
faire en sorte que le texte français soit fidèle au
texte anglais qui, à l'évidence, n'est pas un modèle
de rédaction claire et limpide. Malgré cette vir
gule, je suis d'avis que c'est l'interprétation con-
jonctive qui doit l'emporter.
En conclusion, l'utilisation des marchandises à
des fins commerciales ou mercantiles prévue à
l'alinéa 44(2)c) de la Loi sur la taxe d'accise ne
vise que l'utilisation ainsi faite par Sa Majesté ou
par ses mandataires ou préposés.
4. Prologue
Depuis l'instruction de la présente action, les
avocats des parties m'ont soumis certains faits
supplémentaires sur lesquels ils se sont entendus
concernant les fins du programme A.R.D.A. qui
visait à fournir des canots et des traîneaux aux
autochtones du Nord du Manitoba. Voici le texte
des faits dont ils ont convenu:
[TRADUCTION] Le programme avait pour but de fournir aux
autochtones qui n'étaient ni des mandataires ni des préposés de
la province, et qui gagnaient moins de 2 000 $ par année, du
matériel pour la chasse au piège et pour la pêche destiné à
l'exploitation des ressources renouvelables à des fins commer-
ciales. À l'occasion, les propriétaires peuvent se servir de ce
matériel à des fins non commerciales, tel le transport en cas
d'urgence.
Compte tenu de ma décision concernant l'inter-
prétation de l'alinéa 44(2)c) de la Loi sur la taxe
d'accise, je n'ai pas à trancher cette question subsi-
diaire. Quoi qu'il en soit, comme je l'ai souligné
plus haut, ces marchandises, si elles avaient été
achetées par les utilisateurs eux-mêmes, auraient
été assujetties à une taxe de vente, peu importe
l'utilisation qui aurait pu en être faite.
Je dois toutefois faire remarquer que peu
importe la loi en cause, les cours doivent prendre
garde de ne pas l'interpréter de manière à faire
obstacle, dans les faits, à son objet ou à l'intention
du législateur. Grâce au mécanisme établi dans le
cadre du programme A.R.D.A., il est possible
d'obtenir le remboursement de la taxe de vente
versée sur les marchandises. Il n'est pas inconceva-
ble de penser que Sa Majesté du chef de la pro
vince du Manitoba pourrait multiplier de tels
mécanismes et se lancer dans un certain nombre de
programmes similaires afin de fournir à des bénéfi-
ciaires choisis des marchandises donnant droit à un
remboursement de taxe. Loin de moi l'idée de
prétendre que telle était l'intention de Sa Majesté
lorsqu'elle a mis à exécution le programme
A.R.D.A., mais la disposition législative permet
néanmoins de le faire.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que
l'admissibilité au remboursement prévu à l'alinéa
44(2)c) est une chose mais que l'obtention dudit
remboursement en est une autre. Sa Majesté du
chef du Canada a discrétion pour décider si, dans
un cas ou groupe de cas particulier, un rembourse-
ment peut être accordé. De fait, l'application de
toutes les dispositions de la Loi sur la taxe d'accise
qui prévoient des remboursements relève du pou-
voir discrétionnaire du gouvernement fédéral, y
compris les remboursements de taxes sur les mar-
chandises utilisées dans les réseaux d'égouts ou de
drainage (paragraphe 44(3)); par les institutions
fournissant des soins aux enfants, aux vieillards et
aux handicapés (article 45); pour la construction
d'institutions d'enseignement, de bibliothèques
publiques et d'habitations pour étudiants apparte-
nant aux provinces (article 46) et pour d'autres
fins publiques ou non lucratives.
La Cour d'appel fédérale a confirmé dans l'arrêt
La Reine c. Stevenson Construction Co Ltd et
autres, [1979] CTC 86 (C.A.F.), le pouvoir discré-
tionnaire dont dispose la Couronne fédérale dans
ces cas-là. Le pouvoir de contrôle du gouvernement
fédéral est toujours prépondérant.
Compte tenu des circonstances, les conséquences
résultant de l'interprétation que je donne de l'arti-
cle de la Loi ne devraient pas être une source
d'inquiétude.
Je rendrai donc un jugement rejetant l'action de
la demanderesse et un jugement déclaratoire por-
tant que les taxes de vente payées sur les marchan-
dises en cause peuvent faire l'objet d'une demande
de remboursement en vertu du paragraphe 44(2)
de la Loi sur la taxe d'accise. Le défendeur a droit
aux dépens.
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