T-1274-84
Bayliner Marine Corporation (demanderesse)
c.
Dorai Boats Ltd. (défenderesse)
RÉPERTORIE: BAYLINER MARINE CORP. C. L'ORAL BOATS LTD.
Division de première instance, juge Walsh—
Toronto, 27, 28, 29, 30 et 31 mai, Ottawa, 14 juin
1985.
Droit d'auteur — Contrefaçon — La défenderesse a fabri-
qué des bateaux sans utiliser de plans d'ingénieur en dépouil-
lant certains bateaux de la demanderesse de leurs accessoires
et en employant ses parties comme modèles pour ses propres
bateaux — Le dessin des modèles a été modifié — L'art. 46 de
la Loi sur le droit d'auteur confere-t-il un droit d'auteur sur
les dessins du pont et de la coque de ces bateaux? — Si la
demanderesse possède un droit d'auteur sur les dessins,
celui-ci la protège-t-il uniquement en ce qui a trait à la
reproduction de ces dessins ou empêche-t-il également la
fabrication des bateaux? — La protection prévue à la Loi sur
les brevets et celle prévue à la Loi sur les dessins industriels
sont-elles les seules possibles? — Les bateaux sont-ils des
oeuvres d'art architecturales pouvant être protégées par un
droit d'auteur? — L'importance des modifications apportées
aux dessins des bateaux est-elle suffisante pour empêcher que
les bateaux de la défenderesse ne constituent des copies? —
Les dessins constituent-ils des oeuvres littéraires ou artistiques
au sens de l'art. 2 de la Loi sur le droit d'auteur? — La
contrefaçon d'une copie intermédiaire d'une oeuvre originale
porte atteinte au droit d'auteur — La défenderesse a apporté
suffisamment de modifications aux dessins d'un des deux
bateaux pour ne pas violer le droit d'auteur qui le protégeait
— Une injonction est accordée en ce qui a trait à l'autre bateau
— Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 2,
3, 46 — Loi de 1921 concernant le droit d'auteur, S.C. 1921,
chap. 24 — Copyright Act, 1911, 1 & 2 Geo. 5, chap. 46, art.
22 — Designs Rules, 1920, St. R. & 0., 1920, N° 337, R. 89
Patents and Designs Act, 1907, 7 Edw. 7, chap. 29 — Loi sur
les dessins industriels et les étiquettes syndicales, S.R.C. 1952,
chap. 150, art. 11 — Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap.
P-4 — Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap.
T-10.
Dessins industriels — Dessins de plans de bateaux — Ces
dessins sont-ils exclus de la protection du droit d'auteur en
vertu de l'art. 46 de la Loi sur le droit d'auteur parce qu'ils
seraient susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur
les dessins industriels — La Règle 11(1) des Règles régissant
les dessins industriels limite la protection qu'elle accorde aux
objets qui s'y trouvent mentionnés — Des décisions récentes de
la Cour fédérale sont suivies au nom du principe du respect
des jugements — Les dessins des bateaux ne sont pas suscepti-
bles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins
industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8 — Règles régissant les
dessins industriels, C.R.C., chap. 964, Règle 11(1) — Loi sur
le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 46.
Interprétation des lois — Interprétation du terme «et» de la
Règle 11(1) des Règles régissant les dessins industriels — Ce
terme doit-il être entendu comme disjonctif ou conjonctif? —
Le terme «ou» est utilisé dans la Règle britannique équivalente
— Il est soutenu qu'une interprétation restrictive de la Règle
11 diminuerait considérablement l'utilité de la Loi sur les
dessins industriels — Les tribunaux ne doivent pas tenir
compte des conséquences des interprétations envisagées —
Cette question relève du Parlement — Les décisions récentes
de la Cour fédérale semblent favoriser une interprétation
conjonctive — Ces décisions sont suivies au nom du principe
du respect des jugements — Loi sur les dessins industriels,
S.R.C. 1970, chap. I-8 — Règles régissant les dessins indus-
triels, C.R.C., chap. 964, Règle 11(1).
La demanderesse est un grand manufacturier américain de
bateaux de plaisance. Plusieurs de ses modèles sont vendus à
travers le Canada. La défenderesse est le plus grand manufac-
turier canadien de bateaux mesurant entre 14 et 25 pieds de
longueur. La demanderesse dessine les plans de la coque et du
pont de ses bateaux pour en fabriquer un modèle, c'est-à-dire
une représentation en trois dimensions. L'on fabrique un moule
en se servant du modèle, et la fibre de verre est placée à
l'épaisseur voulue. C'est ainsi qu'est fabriquée la coque du
bateau. La même chose s'applique au moule de la superstruc
ture, qui doit être ajouté à la coque au moment de l'assemblage
du bateau. La défenderesse admet qu'elle fabrique ses bateaux
sans procéder à des études techniques en dépouillant les
bateaux de la demanderesse de leurs accessoires et en utilisant
ses parties comme modèles pour ses propres bateaux. Le dessin
de ces modèles est alors modifié de façon à différencier les
bateaux de la défenderesse de ceux de la demanderesse.
La demanderesse prétend qu'il y a eu violation de son droit
d'auteur sur ses dessins ainsi que sur les bateaux fabriqués à
partir de ces dessins en ce qui a trait à deux bateaux connus
sous les noms de Capri Bowrider 1650 et de Ciera 2450. La
défenderesse soulève plusieurs moyens de défense: (1) l'article
46 de la Loi sur le droit d'auteur ne confère pas à la demande-
resse un droit d'auteur qu'elle peut faire valoir sur les dessins
du pont et de la coque desdits bateaux; (2) le droit d'auteur de
la demanderesse ne protège que la reproduction de ces dessins
comme tels et non la fabrication du bateau; (3) les bateaux ne
peuvent être protégés qu'en vertu de la Loi sur les brevets ou de
la Loi sur les dessins industriels; (4) ces bateaux ne sont pas
des oeuvres d'art architecturales pouvant être protégées par un
droit d'auteur; (5) les bateaux de la défenderesse ne constituent
pas des copies de ceux de la demanderesse puisqu'ils résultent
d'un travail de conception et de dessin ayant entraîné des
modifications importantes.
Jugement: une injonction sera délivrée concernant un de ces
bateaux.
La question de savoir si les dessins de la demanderesse
peuvent jouir de la protection du droit d'auteur doit être étudiée
à la lumière des dispositions de l'article 46 de la Loi sur le droit
d'auteur ainsi que de la Règle 11(1) des Règles régissant les
dessins industriels. L'article 46 exclut de la protection du droit
d'auteur les dessins susceptibles d'être enregistrés en vertu de la
Loi sur les dessins industriels, à l'exception des dessins qui ne
sont pas destinés à servir de modèles pour être multipliés par un
procédé industriel quelconque. La Règle 11(1) déclare qu'un
dessin est censé servir de modèle à être multiplié par un procédé
industriel quelconque lorsque celui-ci est reproduit dans plus de
cinquante articles différents et lorsque ce dessin doit être
appliqué à certains articles, savoir des tentures de papier peint,
des tapis, des tissus ainsi que de la dentelle. La défenderesse
soutient que le mot «et» figurant à la Règle 11(1) doit recevoir
une interprétation disjonctive.
Les parties ont cité de la jurisprudence britannique puisque
les Règles canadiennes et britanniques ont déjà été identiques.
Les Règles canadiennes ont toutefois été modifiées en 1954 par
l'insertion de la conjonction «et» à l'endroit où la Règle britan-
nique emploie maintenant le mot «or» («ou»). Il faut donc
examiner la jurisprudence britannique avec circonspection.
L'ajout du mot «et» semblerait appuyer la thèse de l'interpréta-
tion conjonctive de la Règle 11 et avoir l'effet de restreindre la
protection accordée aux dessins industriels aux articles énumé-
rés à l'alinéa b).
Deux jugements récents du juge Strayer confirment cette
interprétation restrictive. Dans l'affaire Royal Doulton Table
ware Limited c. Cassidy's Liée, où il était question d'une
marque de commerce aussi bien que du droit d'auteur sur un
dessin floral appliqué à de la vaisselle, il a été décidé que, pour
qu'un dessin soit censé servir de modèle destiné à être multiplié
par un procédé industriel quelconque et soit, par conséquent,
exclu de la protection conférée par le droit d'auteur, il doit être
destiné à être reproduit plus de cinquante fois et doit être
appliqué à un certain genre d'articles. La porcelaine et la
faïence, ne faisant pas partie des articles mentionnés, ne se
trouvent pas exclues de la protection de la Loi sur le droit
d'auteur. Cette opinion a été réaffirmée dans l'affaire Interlego
AG et al. v. Irwin Toy Limited et al., où il était question de
blocs de construction pour enfants. Même si le juge a tiré la
même conclusion que dans l'affaire Royal Doulton, il n'a pas
discuté de la signification du mot «et». Il semble toutefois que
ce mot ait été interprété de façon conjonctive.
L'avocat de la défenderesse prétend qu'une interprétation
aussi restrictive de la Règle 11 aurait pour effet de diminuer
considérablement l'utilité de la Loi sur les dessins industriels.
Cependant, lorsque la Cour interprète une loi, elle n'a pas à
tenir compte des conséquences de son interprétation. C'est au
Parlement qu'incombe la responsabilité de corriger de telles
conséquences. Bien que l'emploi du mot «et» puisse sembler
malheureux, il est difficile de conclure que le rédacteur législa-
tif a commis une erreur. De plus, les principes du stare decisis
et du respect des jugements exigent que les décisions récentes
de la Cour soient suivies. Il s'ensuit que les dessins de la
demanderesse n'auraient pas pu être enregistrés en vertu de la
Loi sur les dessins industriels et qu'ils pouvaient recevoir la
protection du droit d'auteur.
La question de savoir si les dessins bénéficient de la protec
tion du droit d'auteur est tributaire de celle de savoir si ces
dessins sont visés par les définitions des expressions «oeuvre
artistique» ou «oeuvre littéraire» figurant à l'article 2 de la Loi
sur le droit d'auteur. En l'espèce, la défenderesse admet que ses
bateaux ont été calqués sur des bateaux de la demanderesse
qu'elle avait dépouillés de leurs accessoires et souligne que ses
bateaux n'ont pas été fabriqués à partir des dessins eux-mêmes.
Se pose donc la question de savoir si, en copiant un exemplaire
intermédiaire de l'oeuvre originale, on peut porter atteinte à un
droit d'auteur. Fox, dans The Canadian Law of Copyright and
Industrial Designs, déclare que le défendeur portera atteinte au
droit d'auteur de la même façon s'il a obtenu l'oeuvre à partir
d'un de ses exemplaires intermédiaires que s'il l'a copiée direc-
terrent. Il déclare également que les cartes, les graphiques et les
plans font l'objet de droits d'auteur puisqu'ils font partie de la
définition de livre» et d'«oeuvre littéraire». Bien que les bateaux
puissent avoir une apparence attrayante, ils peuvent difficile-
ment être considérés comme des «bâtiment[s] ou édifice[s] d'un
caractère ou d'un aspect artistique» au sens de la définition
d'»oeuvre d'art architecturale». Il ressort clairement de l'article
3 de la Loi sur le droit d'auteur ainsi que de la jurisprudence
que les dessins sont sujets à la protection du droit d'auteur à
titre d'oeuvres littéraires reproduites «sous une forme matérielle
quelconque».
La défenderesse soutient également que les dessins sont des
descriptions relevant de l'ingénierie plutôt que des images
représentant les bateaux. Un article en trois dimensions ne
contrefait un dessin en deux dimensions que si l'article qui est
vu en trois dimensions reproduit ce qui est vu en deux dimen
sions. Même si les dessins en l'espèce ne montrent pas l'aspect
qu'aura le bateau lorsqu'il sera terminé, il est évident que les
bateaux en question sont fabriqués à partir de ces dessins.
La défenderesse a apporté suffisamment de modifications
aux dessins du Ciera 2450 pour que le bateau qu'elle a fabriqué
à partir de celui-ci ne porte pas atteinte au droit d'auteur de la
demanderesse. Le TRX constitue toutefois une copie portant
atteinte au Capri 1650 de la demanderesse puisque les différen-
ces apportées dans le dessin du TRX sont mineures et négligea-
bles. Les différences doivent être suffisamment importantes
pour ne laisser aucun doute sur le fait que les bateaux sont
véritablement différents. La défenderesse a fait défaut d'établir
ce fait en ce qui regarde le TRX. Le président de la défende-
resse a admis avoir copié les bateaux de la demanderesse mais a
semblé croire qu'il ne s'agissait pas d'une pratique interdite par
la loi. Cette pratique doit être découragée, mais il serait
ruineux pour la défenderesse d'exiger qu'elle remette à la
demanderesse tous les bateaux TRX qu'elle a en sa possession
au moment même où débute la saison. L'adjudication de dom-
mages-intérêts équivalant à la valeur des bateaux vendus ou
l'octroi de dommages-intérêts exemplaires ou punitifs seraient
d'une sévérité excessive. Une injonction sera délivrée qui inter-
dira la fabrication d'autres bateaux du type TRX. Des domma-
ges-intérêts ainsi qu'une reddition de compte des bénéfices
seront établis par renvoi.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy's Liée,
[1986] 1 C.F. 357; (1984), 1 C.P.R. (3d) 214 (1" inst.);
Interlego AG et al. c. Irwin Toy Limited et al. (1985), 3
C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1" inst.); Armstrong Cork Canada
Ltd. c. Domco Industries Ltd., [1981] 2 C.F. 510; (1980),
54 C.P.R. (2d) 155 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Ware v. Anglo-Italian Commercial Agency, Ltd. (No. 1),
MacGillivray's Copyright Cases 1917 to 1923, 346
(Ch.D.); Con Planck, Ld. v. Kolynos Incorporated,
[1925] 2 . K.B. 804; Pytram, Ld. v. Models (Leicester),
Ld., [1930] 1 Ch. 639; King Features Syndicate, Incor
porated v. Kleemann (O. & M.), Ld., [1941] A.C. 417
(H.L.); Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd.
and National Sales Incentives Ltd. (1964), 44 C.P.R. 239
(H.C. Ont.) confirmé sub nom. Eldon Industries Inc. v.
Reliable Toy Co. Ltd. (1965), 48 C.P.R. 109 (C.A.
Ont.); Vidal c. Artro Inc., [1976] C.S. 1155 (Qué.);
Mainetti S.P.A. v. E.R.A. Display Co. Ltd. (1984), 80
C.P.R. (2d) 206 (C.F. P' inst.); Bata Industs. Ltd. v.
Warrington Inc. (1985), 5 C.I.P.R. 223 (C.F. 1` 0 inst.);
Kilvington Bros. Ltd. v. Goldberg (1957), 28 C.P.R. 13
(H.C. Ont.); Doriing v. Honnor and Honnor Marine Ltd.,
[1963] R.P.C. 205 (Ch.D.); confirmé [1964] R.P.C. 160
(C.A.); L.B. (Plastics) Ltd. v. Swish Products Ltd.,
[1979] R.P.C. 551 (Ch.D.); Burke & Margot Burke, Ld.
v. Spicers Dress Designs, [1936] Ch. 400; Cuisenaire v.
Reed, [1963] V.R. 719 (S.C. Aust.); Cuisenaire v. South
West Imports Ltd. (1967), 54 C.P.R. 1 (C. de l'E.); The
Bulman Group Ltd. c. «One Write» Accounting Systems
Ltd., [1982] 2 C.F. 327; 62 C.P.R. (2d) 149 (1" inst.).
AVOCATS:
Donald F. Sim, c.r. et Kenneth D. McKay
pour la demanderesse.
Robert H. Barrigar, c.r., Timothy J. Sinnott
et P.E. Kieran pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Toronto, pour la demanderesse.
Barrigar & Oyen, Ottawa, pour la défende-
resse.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
La Cour d'appel fédérale a accueilli, le 13 juin
1986, l'appel formé contre le présent jugement.
La décision de la Cour d'appel, Doral Boats Ltd.
c. Bayliner Marine Corporation, A-536-85, sera
publiée dans les Recueils des arrêts de la Cour
fédérale.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La demanderesse prétend
qu'il y a eu violation de son droit d'auteur sur des
dessins et des bateaux fabriqués à partir de ces
dessins. Les deux bateaux dont il s'agit sont le
Capri Bowrider 1650 et le Ciera 2450, que la
défenderesse aurait copiés en vendant des bateaux
au Canada sous les noms TRX et Citation, ce qui
porterait atteinte au droit d'auteur de la demande-
resse sur le Capri Bowrider 1650 et le Ciera 2450
en question. Les premiers sont des yachts munis
d'un moteur stern drive ou d'un hors-bord et mesu-
rent entre seize et dix-sept pieds; les seconds sont
des bateaux de plaisance avec cabine munis d'un
moteur intérieur et mesurant entre vingt-quatre et
vingt-cinq pieds.
La défenderesse soulève plusieurs moyens de
défense. Elle présente tout d'abord la défense en
droit selon laquelle l'article 46 de la Loi sur le
droit d'auteur [S.R.C. 1970, chap. C-30] ne con-
fère pas à la demanderesse un droit d'auteur
qu'elle peut faire valoir sur les dessins du pont et
de la coque desdits bateaux. Elle soutient égale-
ment que la structure du pont et la stucture de la
coque de ses bateaux ne constituent pas des copies
ou reproductions de ces dessins, étant fabriquées à
partir de bateaux dérivés des bateaux de la deman-
deresse mais ne constituant pas des copies de ces
derniers et résultant d'un travail de conception et
de dessin ayant entraîné des modifications
importantes.
Dans son argumentation en droit, la défende-
resse allègue également que si la demanderesse
possède des droits d'auteur sur les dessins, de tels
droits ne protègent que la reproduction de ces
dessins comme tels et non la fabrication d'un
article commercial, en l'occurrence le bateau, à
partir de ces dessins. Selon elle, les bateaux eux-
mêmes doivent être protégés en vertu de la Loi sur
les brevets [S.R.C. 1970, chap. P-4] ou de la Loi
sur les dessins industriels [S.R.C. 1970, chap. I-8]
et la demanderesse n'a pas pris les mesures appro-
priées à cet égard. La défenderesse soutient égale-
ment que les bateaux ne sont pas des œuvres d'art
architecturales pouvant être protégées en vertu de
la Loi sur le droit d'auteur.
La demanderesse est un très grand manufactu-
rier américain de bateaux qui construit chaque
semaine quelque 650 bateaux de divers modèles
dans 12 usines différentes. La défenderesse, qui
exploite son usine à Grand'Mère (Québec), s'est
lancée en affaires en 1973 et elle a accru graduel-
lement le volume de ses ventes, adaptant à la mode
l'aspect extérieur de ses bateaux; il est prévu que
ses ventes atteindront 12 500 000 $ pour l'année se
terminant en juillet 1985. Elle serait le plus grand
fabricant au Canada de bateaux mesurant entre 14
et 25 pieds de longueur. John Morton, un conces-
sionnaire, a témoigné à titre d'expert que les
bateaux de la défenderesse ne se vendent pas
moins cher que ceux de la demanderesse. En 1983,
le prix de détail du Bayliner 2450 était d'environ
35 000 $ alors que le prix du Citation se situait
entre 32 000 $ et 33 000 $; mais actuellement, le
Bayliner se vend environ 38 000 $ ou moins, alors
que le prix du Citation se situe entre 37 000 $ et
38 000 $. Le Capri se vend environ 13 500 $, mais
on lui a dit que le TRX pouvait être obtenu pour
aussi peu que 11 500 $. Les chiffres sont quelque
peu imprécis et ils peuvent sans doute être négociés
et varier en fonction de l'équipement ajouté aux
bateaux. Si la défenderesse bénéficie actuellement
d'un taux de change très favorable, la demande-
resse est avantagée par un volume de production
plus élevé. La défenderesse prétend que ses
bateaux sont dotés de pièces d'équipement un peu
plus luxueuses et sont conçus de façon que leur
aspect extérieur capte l'attention. Les bateaux de
la demanderesse sont décrits comme étant de très
bons bateaux familiaux. Peter Hanna, président et
fondateur de la défenderesse, déclare que, pour ses
clients, le prix ne constitue pas une considération
aussi importante que le fait d'un aspect extérieur
aérodynamique et moderne; ils veulent être fiers de
conduire leur bateau et être admirés. David Pur-
cell est gérant des ventes de Ken Mason Marine à
Nepean; il a corroboré jusqu'à un certain point le
témoignage de Peter Hanna en déclarant que,
lorsqu'ils commandent le Doral Citation, ils le
dotent de tous les accessoires disponibles mais que
lorsqu'ils commandent le Bayliner, ils ajoutent
moins d'accessoires afin de ne pas faire augmenter
le prix; ainsi le Citation pourrait-il se vendre pour
43 000 $ et le Bayliner pour 37 000 $. Il a dit que
la différence entre ces deux bateaux est compara
ble à celle qui existe entre une Oldsmobile et une
Chevrolet.
Les concepteurs de Bayliner dessinent d'abord
séparément les plans de la coque et du pont ou
des parties constituant la superstructure. Les
bateaux—particulièrement leur coque—ayant une
forme courbe et effilée, les plans comportent des
tableaux sur lesquels figurent plusieurs mesures
donnant les coordonnées pour chaque intervalle
d'environ un pied et demi de l'avant et jusqu'à
l'arrière. Ces dessins sont utilisés pour fabriquer ce
qu'on appelle un modèle, qui est une représenta-
tion en trois dimensions du bateau devant être
construit à partir du dessin. On fabrique alors un
moule en se servant du modèle. Lors de la fabrica
tion du bateau, on étend d'abord dans le moule une
couche de fibre de verre de la couleur désirée. La
fibre de verre est ensuite placée mécaniquement ou
à la main à l'épaisseur voulue. C'est ainsi qu'on
fabrique la coque du bateau. La même chose
s'applique au moule de la superstructure, qui doit
naturellement être ajusté à la coque au moment de
l'assemblage du bateau. La demanderesse a déposé
quatre dessins représentant la coque et le pont de
chacun des bateaux; elle a également produit un
cinquième dessin, la coque du Ciera 2450 résultant
d'une modification d'un plan antérieur de la
demanderesse dont elle a également déposé le
dessin.
La défenderesse admet franchement qu'elle
fabrique ses bateaux sans procéder à des études
techniques et qu'elle n'a pas de division d'ingénie-
rie comme telle. Elle a acheté un Capri 1650 et l'a
dépouillé de ses accessoires, séparant la coque et la
superstructure et les utilisant comme modèles pour
ses propres bateaux. Elle a procédé de la même
façon avec le Ciera 2450 de la demanderesse. Le
témoin de la défenderesse, M. Hanna, a dit savoir
que cette pratique était répandue chez les cons-
tructeurs de bateaux de la région du Québec; il est
possible qu'elle soit également suivie ailleurs, mais
on ne lui a pas permis de témoigner à ce sujet. Le
processus coûteux de la conception est ainsi évité:
ni dessins techniques ni modèles n'ont à être prépa-
rés, les modèles étant constitués par les bateaux de
la demanderesse avec les modifications qui y sont
' apportées. Les différences résultant de ces modifi
cations ont fait l'objet d'une preuve très élaborée;
il en sera question au moment où nous détermine-
rons si les bateaux de la défenderesse sont en fait
des copies de ceux de la demanderesse. Il importe
d'abord d'étudier la question juridique qui consiste
à savoir si les bateaux de la demanderesse peuvent
jouir de la protection du droit d'auteur en vertu
des dispositions de la Loi canadienne sur le droit
d'auteur. L'article 46 de la Loi sur le droit d'au-
teur, S.R.C. 1970, chap. C-30 est ainsi libellé:
46. (1) La présente loi ne s'applique pas aux dessins suscepti-
bles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins
industriels, à l'exception des dessins qui, tout en pouvant être
enregistrés de cette manière, ne servent pas ou ne sont pas
destinés à servir de modèles ou d'échantillons, pour être multi-
pliés par un procédé industriel quelconque.
(2) En vertu de la Loi sur les dessins industriels, il peut être
édicté un règlement général pour déterminer les conditions sous
lesquelles un dessin doit être considéré comme étant utilisé dans
le but précité.
L'article précité renvoie à la Loi sur les dessins
industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8; la Règle 11(1)
des Règles régissant les dessins industriels,
C.R.C., chap. 964, porte:
11. (1) Un dessin est censé servir de modèle où d'échantillon
destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque au
sens de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur,
a) lorsque le dessin est reproduit ou destiné à être reproduit
dans plus de 50 articles différents, à moins que ces articles
dans lesquels le dessin est reproduit, ou est destiné à être
reproduit, ne forment ensemble qu'un seul assortiment tel
qu'il est défini au paragraphe (2); et
b) lorsque le dessin doit être appliqué à
(i) des tentures de papier peint,
(ii) des tapis, linoléums ou toiles cirées fabriqués ou vendus
à la mesure ou à la pièce,
(iii) des tissus en pièce, ou des tissus fabriqués ou vendus à
la mesure ou à la pièce, et
(iv) de la dentelle qui n'est pas faite à la main.
La défenderesse prétend que les dessins de la
demanderesse auraient dû être enregistrés en vertu
de cette loi et qu'ils ne bénéficient pas de la
protection accordée par la Loi sur le droit d'au-
teur. Les deux parties ont cité beaucoup de juris
prudence, surtout britannique, puisque la Loi
canadienne de 1921 [Loi de 1921 concernant le
droit d'auteur, S.C. 1921, chap. 24] a été calquée
sur l'article 22 de la Loi de 1911 du Royaume-Uni
[Copyright Act, 1911, 1 & 2 Geo. 5, chap. 46] et
que les deux lois ont déjà été identiques. La Règle
11 des Règles canadiennes régissant le dessin
industriel était également identique à la Règle
britannique adoptée en vertu dudit article 22. En
1949, le pendant pour le Royaume-Uni de nos
Règles et de notre Loi sur les dessins industriels a
toutefois été modifié et le mot «or» («ou») a été
inséré dans l'article équivalant à l'alinéa 11(1)a)
des Règles régissant les dessins industriels; en
1954, les Règles canadiennes ont été modifiées et
la conjonction «et» a été ajoutée à l'endroit où la
Règle britannique emploie maintenant le mot «or»
(«ou»). Il faut donc examiner la jurisprudence
britannique avec circonspection.
Les avocats de la défenderesse ont cité beaucoup
de jurisprudence à l'appui de cette prétention; les
avocats de la demanderesse ont répliqué en citant
eux-mêmes de la jurisprudence. La défenderesse a
fait référence à la décision Ware v. Anglo-Italian
Commercial Agency, Ltd. (No. 1), MacGillivray's
Copyright Cases 1917 1923, page 346 (Ch.D.),
où il s'agissait de contrefaçon du dessin d'une
carrosserie d'automobile. La défenderesse s'est
appuyée sur l'article 22 de la loi britannique intitu-
lée Copyright Act, 1911 et sur la Règle 89 des
Designs Rules, 1920 [St. R. & 0., 1920, N° 337],
qui correspondent à l'article 46 de la Loi sur le
droit d'auteur canadienne et à la Règle 11 des
Règles adoptées en vertu de la Loi sur les dessins
industriels canadienne. À l'époque, la conjonction
«and» (set») ne figurait pas à la fin de l'alinéa a)
des Règles canadiennes ou britanniques. Le
demandeur a déclaré qu'il n'avait construit ou fait
construire que six modèles de carrosserie et qu'il
n'avait pas l'intention de construire ou de faire
construire plus de 50 carrosseries. La Cour a rejeté
cette conclusion et a décidé que le dessin d'une
carrosserie de camion n'était pas protégé par un
droit d'auteur pour la raison qu'il pouvait être
enregistré en vertu des dispositions de la Patents
and Designs Act, 1907 [7 Edw. 7, chap. 29].
Curieusement, les avocats sont d'avis qu'il n'y a
apparemment aucun jugement canadien ou améri-
cain qui traite des dessins d'automobiles, bien que
les différents fabricants s'inspirent sans aucun
doute des dessins de leurs concurrents dans une
certaine mesure et suivent de très près les change-
ments et les modes comme c'est le cas pour les
bateaux.
Dans l'affaire Con Planck, Ld. c. Kolynos
Incorporated, [1925] 2 K.B. 804, des croquis
avaient été transformés en affiches publicitaires. Il
fut décidé que les croquis étaient des dessins qui
pouvaient être enregistrés en vertu de la Patents
and Designs Act, 1907, puisqu'ils étaient utilisés
ou qu'on projetait de les utiliser comme modèles et
de les multiplier au moyen d'un procédé industriel;
à cause de l'article 22, la Copyright Act, 1911 ne
leur était donc pas applicable et comme les deman-
deurs n'avaient pas enregistré cette oeuvre confor-
mément à la Loi de 1907, leur action fut rejetée.
Bien que le litige ne portât pas sur la distinction
entre un dessin et une oeuvre artistique, le juge
Sankey, prononçant le jugement de la Cour, a
déclaré que cette distinction était très difficile à
établir et qu'il ne fallait pas donner de définition.
Il dit à la page 815:
[TRADUCTION] Il est peut-être exact de dire, comme le fait la
dernière édition de Copinger's Law of Copyright, 5 ième éd., p.
97, que c'est la possibilité d'appliquer un dessin à un autre
article qui différencie essentiellement ce dessin d'une simple
oeuvre artistique. Selon les demanderesses, un dessin doit servir
de modèle pour la fabrication d'un autre article qu'il contri-
buera à rendre visuellement attrayant; il n'y aurait pas de
marché pour le dessin lui-même, celui-ci étant destiné à s'appli-
quer à un autre article. Bien que disposé à considérer que ces
définitions sont à peu près exactes, je suis loin de dire qu'elles
servent les demanderesses en l'espèce.
Il convient de souligner que la Loi canadienne,
contrairement à la Loi britannique, ne contient pas
de définition de ce qui constitue un dessin
industriel.
Dans la cause Pytram, Ld. v. Models (Leices-
ter), Ld., [1930] 1 Ch. 639, qui portait sur des
modèles d'une tête de louveteau fabriqués à partir
d'un moule en papier mâché et que la Boy Scouts
Association devait utiliser comme totem au
sommet de poteaux, il a été décidé qu'il s'agissait
d'une oeuvre artistique dans laquelle un droit d'au-
teur subsisterait mais que comme les dispositions
de l'article 22 de cette Loi permettent qu'elle soit
enregistrée en vertu de la Patents and Designs Act,
1907 et comme elle n'était pas couverte par l'ex-
ception prévue pour les dessins qui ne sont pas
destinés à servir de modèle et à être multipliés au
moyen d'un procédé industriel, elle aurait dû être
enregistrée comme dessin industriel.
On a également cité à cet égard l'arrêt King
Features Syndicate, Incorporated v. Kleemann
(O. & M.), Ld., [1941] A.C. 417 (H.L.), qui con-
tient aux pages 436 et 437 le passage suivant:
[TRADUCTION] Les Designs Rules, 1920 (St. R. & 0. 1920, N°
337) prévoient (notamment) que l'article 22 est censé s'appli-
quer aux dessins (autres que les dessins se rapportant au
domaine du textile, au sujet desquels il est disposé autrement)
qui sont reproduits ou destinés à être reproduits dans plus de
cinquante articles qui, ensemble, ne constituent pas un assorti-
ment. Il est admis que les dessins des poupées, jouets et broches
ont été utilisés et destinés à être utilisés dans plus de cinquante
articles devant être fabriqués ou importés au Royaume-Uni par
les intimés.
La défenderesse soutient que cette mention indi-
recte des dessins «(autres que les dessins se rappor-
tant au domaine du textile, au sujet desquels il est
disposé de façon différente)» indique que notre
Règle 11 doit être interprétée de manière disjonc-
tive. Cet argument ne semble toutefois pas valable
puisque le mot «et» a été ajouté à la fin de l'alinéa
a). L'ajout, en 1949, du mot «or» («ou») dans la
Règle britannique semblerait appuyer la thèse de
l'interprétation disjonctive que les tribunaux ont
jusqu'ici adoptée; d'autre part, l'ajout, au Canada,
de la conjonction «et» pourrait très bien avoir
l'effet contraire. Les avocats de la défenderesse
soutiennent que rien ne permet d'inférer qu'en
1954, au moment où cette modification a été
apportée, le législateur avait l'intention de changer
la loi canadienne.
Aux pages 255 et 256 du jugement qu'il a rendu
dans la cause ontarienne Eldon Industries Inc. v.
Reliable Toy Co. Ltd. and National Sales Incenti
ves Ltd. (1964), 44 C.P.R. 239 (H.C. Ont.), le
juge en chef McRuer, dont le jugement a été
confirmé par la Cour d'appel [sub nom. Eldon
Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd. (1965), 48
C.P.R. 109], a discuté de la question:
[TRADUCTION] Un dessin qui est destiné à être utilisé comme
modèle pour être multiplié et qui peut être enregistré en vertu
de la Loi sur les dessins industriels et les étiquettes syndicales,
S.R.C. 1952, chap. 150, n'est pas couvert par la Loi sur le droit
d'auteur.
Ceci ne touche en rien les oeuvres artistiques produites pour
leur seule qualité d'oeuvre d'art.
Selon le juge, cela ne s'appliquerait qu'aux
oeuvres reproduites en petite quantité. Il discute de
l'article 11 de la Loi sur les dessins industriels et
les étiquettes syndicales [S.R.C. 1952, chap. 150],
qui est ainsi libellé:
11. Pendant l'existence du droit exclusif, qu'il s'agisse de
l'usage entier ou partiel du dessin, personne, sans la permission
par écrit du propriétaire enregistré, ou, en cas de cession, de son
cessionnaire, ne peut appliquer, pour des fins de vente, ce
dessin, ou une imitation frauduleuse de ce dessin, à l'ornemen-
tation d'un article fabriqué ou autre sur lequel peut être
appliqué, ou auquel peut être attaché, un dessin industriel; et
personne ne peut publier, ni vendre ni exposer en vente, ni
employer cet article ci-dessus mentionné, sur lequel ce dessin ou
cette imitation frauduleuse a été appliquée.
Et il déclare:
[TRADUCTION] Cet article porte grandement à confusion,
c'est le moins qu'on peut dire. La Loi canadienne ne définit pas
l'expression «dessin industriel». Il ressort des observations faites
par des juges dans certaines causes que les tribunaux ont
tendance à considérer (sans en avoir décidé) qu'une simple
configuration ne constitue pas un dessin industriel. Le terme
«configuration» fait partie de la définition de «industrial
design» («dessin industriel») contenue dans la Loi anglaise. La
rédaction confuse de l'article 11 confère un poids considérable à
l'argument voulant que la configuration ne soit pas incluse dans
la Loi canadienne.
Le juge souligne qu'en vertu de la Loi sur les
dessins industriels et les étiquettes syndicales le
droit exclusif n'est valide que pour une période de
cinq ans, au terme de laquelle il peut être renou-
velé pour une période supplémentaire de cinq ans;
il conclut:
[TRADUCTION] Ceci a pour but de promouvoir le commerce;
il s'agit bien de commerce, non d'oeuvres d'art rarissimes.
La défenderesse souligne que, même si le mot «et»
se trouvait dans les Règles canadiennes régissant
les dessins industriels au moment de ce jugement,
il semble qu'il n'ait pas été interprété comme étant
conjonctif puisque le jugement n'en n'a pas discuté
et n'a pas tenté de limiter l'application aux genres
de dessins mentionnés à l'alinéa b) de la Règle
11(1).
Dans l'affaire Vidal c. Artro Inc., [1976] C.S.
1155, où il était question de sculptures métalliques
à partir desquelles on avait fabriqué des moules
devant servir à produire des copies, la Cour supé-
rieure du Québec a également discuté de l'article
46 de la Loi sur le droit d'auteur et la Règle 11 de
la Loi sur les dessins industriels, pour conclure
encore une fois que, plus de 50 sculptures devant
être reproduites, la revendication fondée sur la Loi
sur le droit d'auteur devait être rejetée. La Cour
n'a discuté ni de la signification du mot «et» ni de
la question de savoir si le dessin industriel doit être
restreint aux articles énumérés à l'alinéa b).
La défenderesse doit toutefois surmonter l'obs-
tacle que représentent deux décisions récentes du
juge Strayer de cette Cour qui concluent à une
telle restriction. Dans la cause Royal Doulton
Tableware Limited c. Cassidy's Liée, [1986] 1
C.F. 357; (1984), 1 C.P.R. (3d) 214 (ire inst.), où
il était question d'une marque de commerce aussi
bien que du droit d'auteur sur un dessin floral
appliqué à de la vaisselle, la Cour, tout en statuant
que la demanderesse avait le droit de faire enregis-
trer un droit d'auteur, a refusé d'accorder une
injonction puisque rien n'indiquait que la défende-
resse avait reproduit ou avait l'intention de repro-
duire le motif en question. Traitant de la question
de savoir si le dessin aurait dû être enregistré en
vertu de la Loi sur les dessins industriels, le juge
Strayer a déclaré aux pages 379 C.F.; 231 C.P.R.:
Selon l'article 11 du Règlement [Règles régissant les dessins
industriels, C.R.C., chap. 964] pris en vertu de la Loi sur les
dessins industriels, il ressort que pour qu'un dessin soit censé
servir de modèle ou d'échantillon destiné à être multiplié par un
procédé industriel quelconque, il doit avoir été reproduit sur
plus de 50 articles différents (ce qu'on admet être le cas en
l'espèce) et doit être appliqué à un certain genre de choses
mentionnées dans cet article, comme des tentures de papier
peint, des tapis, des tissus ou de la dentelle. La faïence ou la
porcelaine ne s'y trouve pas. Par conséquent il est évident qu'un
dessin devant être appliqué à de la vaisselle de porcelaine n'est
pas un dessin censé servir de modèle ou d'échantillon destiné à
être multiplié par un procédé industriel quelconque et, par
conséquent, n'est pas exclu de la protection de la Loi sur le
droit d'auteur par le paragraphe 46(1).
Le juge Strayer a réaffirmé cette opinion dans le
jugement qu'il a rendu dans la cause Interlego AG
et al. c. Irwin Toy Limited et al. (1985), 3 C.P.R.
(3d) 476 (C.F. 1T° inst.), en date du ler février
1985, où il était question de blocs de construction
pour enfants et où l'action ne se restreignait pas au
droit d'auteur mais contenait également des reven-
dications fondées sur la contrefaçon d'une marque
de commerce et le «passing off». Le juge Strayer
déclare à la page 13 de ce jugement:
[TRADUCTION] J'ajouterai que les avocats des défenderesses
ont porté une attaque additionnelle contre l'existence du droit
d'auteur en se fondant sur le paragraphe 46(1) de la Loi sur le
droit d'auteur, qui prévoit que la Loi ne s'applique pas aux
dessins pouvant être enregistrés en vertu de la Loi sur les
dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8. Les avocats des
défenderesses n'ont pas parlé du paragraphe 46(2), mais l'avo-
cat des demanderesses a soutenu que ce paragraphe limite
l'application du paragraphe 46(1) aux dessins dont le règlement
d'application de la Loi sur les dessins industriels prévoit qu'ils
peuvent être enregistrés en vertu de ladite Loi. J'ai étudié ce
règlement et suis arrivé à la même conclusion que dans le
jugement que j'avais rendu relativement à l'affaire Royal
Doulton Tableware Limited et autres c. Cassidy's Ltd.—Cas-
sidy's Ltée (C.F. 1" inst., le 29 juin 1984, non publiée, aux pp.
22-23 [maintenant publiée 1 C.P.R. (3d) 214 la page 231]), à
savoir que le dessin dont il est question en l'espèce n'est pas,
selon les termes du règlement, destiné à être multiplié au
moyen d'un processus industriel, et ne se trouve donc pas exclu
de l'application de la Loi sur le droit d'auteur en vertu du
paragraphe 46(1) de cette Loi.
Même s'il dit être parvenu à la même conclusion
que dans l'affaire Royal Doulton, il ne traite pas
de l'effet du paragraphe 46(2); de plus, ni la
signification du mot «et» ni la question de savoir
s'il doit être interprété de façon disjonctive ou
conjonctive ne sont discutées dans l'une ou l'autre
cause, bien que le fait d'avoir écrit ce mot en
italique dans la cause Royal Doulton semble indi-
quer qu'il l'interprète de façon conjonctive; ainsi,
pour qu'un article soit censé être multiplié par un
procédé industriel et ne puisse être enregistré en
vertu de la Loi sur le droit d'auteur, il doit non
seulement être destiné à être reproduit dans plus
de cinquante articles différents mais également
être appliqué à certains types d'objets précisés à
l'alinéa b), tels les tentures de papier, tapis, tissus
ou dentelles. La Cour a été informée qu'il y a eu
appel du jugement Royal Doulton et que cet appel
a fait l'objet d'un désistement; d'autre part, l'appel
interjeté dans l'affaire Interlego est pendant. Tou-
tefois, comme plusieurs questions importantes con-
cernant d'autres lois étaient en jeu dans chacune
des deux causes, il est possible que la décision du
juge Strayer d'interpréter de façon restrictive la
Loi sur les dessins industriels n'ait pas réglé la
question de façon définitive.
Les avocats de la défenderesse prétendent à bon
droit que le fait d'interpréter la Règle 11 de façon
aussi restrictive aura pour effet de diminuer consi-
dérablement l'utilité de la Loi sur les dessins
industriels. Cependant, lorsque la Cour interprète
une loi, elle n'a pas à tenir compte des conséquen-
ces de cette interprétation; si l'interprétation a
pour effet d'affaiblir une loi ou de nuire à l'accom-
plissement de la fonction pour laquelle elle a été
adoptée ou, comme c'est le cas en l'espèce, de
porter atteinte au règlement édicté en vertu de
cette loi, il appartient soit au Parlement, soit au
Cabinet d'empêcher cette interprétation, le pre
mier en légiférant, le second en adoptant la modifi
cation appropriée dans un décret.
La défenderesse présente un mémoire très inté-
ressant au soutien de sa prétention suivant laquelle
le mot «et» peut s'employer aussi bien dans un sens
disjonctif que dans un sens conjonctif et le mot
«censé» ne doit pas être considéré comme exhaus-
tif; selon elle, nous devons examiner le contexte et
l'intention du législateur pour préciser la significa
tion qui doit être donnée. En fait, un exemple de
l'utilisation du mot «et» dans un sens disjonctif se
trouve au sous-alinéa b) (iii) du paragraphe 11(1),
les quatre exemples d'articles auxquels le dessin
doit être appliqué étant disjoints de façon évidente.
Les avocats laissent entendre que la présence du
mot «et» à la fin de l'alinéa a) en 1954 n'est qu'une
question de rédaction législative et ne vise pas à
faire une conjonction entre les alinéas a) et b),
soutenant que cela irait à l'encontre du but de la
Loi.
On a également soutenu qu'il est difficile d'ap-
pliquer l'alinéa a) et de décider si un dessin peut
être reproduit dans plus de 50 articles différents si
ce dessin n'est appliqué qu'aux types d'articles
mentionnés à l'alinéa b), aucun de ceux-ci n'étant
fabriqués de façon à constituer un article séparé
mais tous étant produits en rouleaux pour être
ensuite découpés à la longueur désirée. Il semble
que les rédacteurs aient utilisé deux critères diffé-
rents en ce qui concerne l'enregistrement des des-
sins sous le régime de l'article 46 de la Loi sur le
droit d'auteur. Bien que ces arguments soient
convaincants et que l'emploi du mot «et» plutôt que
du mot «or» («ou») que l'on retrouve dans les
Règles britanniques soit peut-être malheureux, les
Règles canadiennes ont été modifiées quelque cinq
ans après les Règles britanniques et il est difficile
de conclure que le rédacteur législatif et le décret
approuvant la Règle ont utilisé le mot «et» au lieu
du mot «ou» accidentellement ou par erreur; cet
argument ne réussit pas non plus à me convaincre
qu'il faille écarter les principes du stare decisis et
du respect des jugements, qu'il est souhaitable de
maintenir même s'il arrive qu'on les mette de coté.
Ce principe est énoncé par la Cour d'appel fédé-
rale dans l'affaire Armstrong Cork Canada Ltd. c.
Domco Industries Ltd., [1981] 2 C.F. 510; (1980),
54 C.P.R. (2d) 155, aux pages 518 C.F.; 161 et
162 C.P.R.:
De même, en l'espèce présente, je suis d'avis qu'indépendam-
ment de l'application du principe du stare decisis à notre
juridiction, une saine administration de la justice requiert de se
conformer aux décisions antérieures récentes de la Cour.
Les deux jugements du juge Strayer sont deux
décisions récentes de cette Cour qui n'ont pas
encore été infirmées en appel; ils doivent être
suivis. Il s'ensuit que les dessins de la demande-
resse n'auraient pas pu être enregistrés en vertu de
la Loi sur les dessins industriels et qu'ils pou-
vaient par conséquent recevoir la protection du
droit d'auteur. Bien que la demanderesse ait subsé-
quemment enregistré au Canada un droit d'auteur
sur les dessins en question, il ne s'agit pas de savoir
si le droit d'auteur a été ou non enregistré. La
demanderesse a droit à la protection conférée par
la Loi sur le droit d'auteur. L'enregistrement d'un
droit d'auteur ne soulève aucun problème puisque,
contrairement aux enregistrements qui ont lieu en
vertu de la Loi sur les brevets, de la Loi sur les
marques de commerce [S.R.C. 1970, chap. T-10]
ou de la Loi sur les dessins industriels, il n'est pas
nécessaire qu'un tel enregistrement soit approuvé
par un examinateur. Le simple enregistrement ne
règle donc pas la question de savoir si les dessins
auraient dû être enregistrés sous le régime de la
Loi sur les dessins industriels plutôt qu'en vertu
de la Loi sur le droit d'auteur.
Les arguments et la jurisprudence présentés au
nom de la demanderesse à l'encontre de la position
de la défenderesse appuient la conclusion à
laquelle je suis parvenu sur cette question juridi-
que importante. Ainsi que le souligne la demande-
resse, même si on ne tient pas compte de l'argu-
ment fondé sur la Règle 11(1)b), l'article 46 et la
Règle 11(1)a) ne refusent le droit d'auteur qu'en
ce qui concerne les dessins destinés à servir de
modèle ou d'échantillon et à être reproduits ou
destinés à être reproduits par un procédé industriel
dans plus de 50 copies. Les dessins eux-mêmes
n'étaient pas destinés à être reproduits dans plus
de 50 copies ou à constituer par eux-mêmes des
modèles ou des dessins. C'est également le cas en
ce qui concerne les bateaux que la défenderesse a
copiés. On a également soutenu que la méthode de
construction de la défenderesse, qui consiste à
étendre de la fibre de verre à la main à l'intérieur
d'un moule, ne constitue pas un procédé industriel.
Je ne souscris pas à cet argument.
Il a de plus été plaidé que les dessins qui sont
avant tout fonctionnels et dont les caractéristiques
les plus importantes sont cachées et ne sont pas
destinées à être admirées ne devraient pas être
assujettis aux dispositions touchant le dessin indus-
triel. L'affaire Mainetti S.P.A. v. E.R.A. Display
Co. Ltd. (1984), 80 C.P.R. (2d) 206 (C.F. r e
inst.), qui porte sur l'enregistrement d'un dessin
industriel relatif à des cintres, a été citée à l'appui
de cet argument. Il est dit à la page 224 de ce
jugement:
[TRADUCTION] Il ne s'agit que d'un dessin pouvant être protégé
par la Loi sur les dessins industriels qui ne donne aucune
protection relativement à la fonction remplie par l'article, en
l'espèce les cintres.
On ajoute à la page 226:
[TRADUCTION] Je décide par conséquent que les deux dessins
sont avant tout fonctionnels et qu'un cintre de ce genre, qui est
fabriqué à partir d'un dessin dont les caractéristiques principa-
les sont cachées et qui n'est pas destiné à être admiré par le
public en général ou à lui être vendu de toute façon, n'aurait
pas dû être enregistrable en tant que dessin industriel et devrait
être radié du registre conformément au paragraphe 22(1) de la
Loi sur les dessins industriels.
On a opposé à la demanderesse un autre argu
ment juridique selon lequel ses dessins, moules,
modèles et bateaux ne peuvent recevoir la protec
tion prévue pour les dessins industriels au Canada
parce qu'ils ne posséderaient pas, à un degré suffi-
sant, l'élément de nouveauté requis pour de tels
dessins. Dans un jugement récent non publié, Bata
Industs. Ltd. v. Warrington Inc. (1985), 5 C.I.P.R.
223, en date du 27 mars 1985, madame la juge
Reed, de cette Cour, a discuté du degré d'origina-
lité requis pour l'enregistrement d'un dessin indus-
triel. Voici ce qu'elle dit aux pages 231 et 232:
Cet arrêt exige un degré d'originalité plus grand que celui qui
est requis en matière de droit d'auteur. Il semble à tout le
moins exiger une étincelle d'inspiration de la part de l'auteur,
soit par la création d'un dessin entièrement nouveau ou par la
découverte d'un nouvel usage pour un dessin qui existait déjà. Il
faut souligner une des définitions que donnent les dictionnaires
du terme [TRADUCTION] «original»: «dont le caractère ou le
style est nouveau, inventif, créatif» (The Concise Oxford Dic
tionary, 6th ed., 1976).
La cause Kilvington Bros. Ltd. v. Goldberg
(1957), 28 C.P.R. 13, dans laquelle le juge Judson,
de la Haute Cour de l'Ontario, fait état de la
jurisprudence portant sur l'article 46, a également
été citée relativement à cette question. Le juge
déclare à la page 17 de son jugement:
[TRADUCTION] La pièce 1 est le dessin d'une pierre tombale
qui comprend sa forme extérieure et son ornementation. Il
s'agit d'un dessin au sens de la définition qu'en donne le
jugement Clatworthy & Son Ltd. v. Dale Display Fixtures
Ltd., [1929] 3 D.L.R. 11 à la, p. 12, R.C.S. 429 la p. 431.
Trois décisions de la Cour de l'Échiquier (Kaufman Rubber Co.
v. Miner Rubber Co., [1926] 1 D.L.R. 505, R.C.É 26; Can.
Wm. A. Rogers Ltd. v. Internat'[ Silver Co. of Canada Ltd.,
[1932] R.C.E. 63; et Renwal Mfg. Co. Inc. v. Reliable Toy Co.,
9 C.P.R. 67, [1949] R.C.É. 188) considèrent que la Loi concer-
nant les marques de commerce et les dessins de fabrique ne
s'applique pas à l'article lui-même, mais seulement à son
ornementation. Les avocats de la défenderesse prétendent que
ces causes entrent en conflit avec l'affaire Clatworthy et souli-
gnent que, depuis de nombreuses années, des dessins représen-
tant des formes extérieures ont été enregistrés. Il n'est pas
nécessaire que je me prononce sur cet argument puisque, avant
que l'article 46 puisse s'appliquer, il me faut décider s'il s'agit
d'un dessin pouvant être enregistré en vertu de la Loi sur les
dessins industriels et les étiquettes syndicales, ce qui présup-
pose que ce dessin est original, c'est-à-dire nouveau. Ce principe
est clairement énoncé dans l'affaire Clatworthy et dans les
autres jugements de la Cour de l'Échiquier. Le critère adopté
par la Cour dans la cause Clatworthy est énoncé dans les
termes suivants (D.L.R. p. 13, R.C.S. p. 432): «Il doit y avoir
exercice d'une activité intellectuelle qui engendre, c'est-à-dire
suggère pour la première fois, quelque chose qui ne soit venu à
l'esprit de personne auparavant comme le fait d'appliquer par
des moyens manuels, mécaniques ou chimiques quelque modèle,
forme ou ornement à un objet particulier auquel il ou elle
n'avait pas été appliqué(e) auparavant.»
Lorsque j'ai étudié la question de savoir si le dessin de la
demanderesse satisfaisait à l'exigence d'originalité contenue
dans la Loi sur le droit d'auteur, j'ai déclaré qu'à mon avis il
n'y avait pas dans le dessin de la demanderesse de nouvelles
idées ni une nouvelle application de vieilles idées. Il constituait
néanmoins une œuvre artistique originale et, comme tel, pou-
vait être protégé par le droit d'auteur. L'absence de nouveauté
empêche cependant qu'il soit enregistré en vertu de la Loi sur
les dessins industriels.
Un autre argument de la demanderesse relative-
ment à cette question se fonde sur le paragraphe
14(1) de la Loi sur les dessins industriels, qui
exige pour protéger tout dessin qu'il soit enregistré
dans l'année qui suit la date de sa publication au
Canada. Les dessins des bateaux de la demande-
resse n'ont certainement pas été publiés au Canada
ou ailleurs, et je doute que les ventes des bateaux
eux-mêmes constituent une publication de leur
dessin—bien que le fait d'inclure dans les feuillets
publicitaires les photographies qu'on y a placées
puisse peut-être en constituer. Quoi qu'il en soit, il
s'agit là d'un argument supplémentaire pouvant
fort bien indiquer que les dessins n'auraient pas
pu, à l'époque où est né le litige, avoir été enregis-
trés en vertu des dispositions de la Loi sur les
dessins industriels.
Ayant rejeté la prétention juridique de la défen-
deresse selon laquelle les bateaux de la demande-
resse ne peuvent être protégés en vertu de la Loi
sur le droit d'auteur pour le motif que les dessins
auraient dû être enregistrés en vertu de la Loi sur
les dessins industriels, nous devons maintenant
étudier les autres questions soulevées et examiner
les faits mis en preuve.
La demanderesse cite les définitions de
l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur pour
appuyer sa prétention selon laquelle ses dessins
constituent, au sens de la Loi sur le droit d'auteur,
des oeuvres littéraires puisqu'ils sont des plans ou
des oeuvres artistiques en tant que dessins et selon
laquelle les coques, ponts et moules des Ciera et
Capri et ces bateaux eux-mêmes constituent des
oeuvres architecturales et par conséquent des
oeuvres artistiques et peuvent de toute façon être
protégés par le droit d'auteur. Les définitions
citées sont les suivantes:
2....
«oeuvre artistique» comprend les oeuvres de peinture, de dessin,
de sculpture et les œuvres artistiques dues à des artisans,
ainsi que les oeuvres d'art architecturales», les gravures et
photographies;
«oeuvre d'art architecturale» signifie tout bâtiment ou édifice
d'un caractère ou d'un aspect artistique, par rapport à ce
caractère ou aspect, ou tout modèle pour un tel bâtiment ou
édifice; mais la protection assurée par la présente loi se limite
au caractère ou à l'aspect artistique et ne s'étend pas aux
procédés ou méthodes de construction;
«oeuvre littéraire» comprend les cartes géographiques et mari
nes, les plans, tableaux et compilations;
«toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique origi-
nale» comprend toutes les productions originales du domaine
littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou
la forme d'expression, telles que les livres, brochures et autres
écrits, les conférences, les oeuvres dramatiques ou dramatico-
musicales, les oeuvres ou compositions musicales avec ou sans
paroles, les illustrations, croquis et ouvrages plastiques rela-
tifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux
sciences.
Le paragraphe 4(1) de la Loi est ainsi libellé:
4. (1) Sous réserve de la présente loi, le droit d'auteur existe
au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute
oeuvre originale littéraire, dramatique, musicale ou artistique,
si, à l'époque de la création de l'oeuvre, l'auteur était sujet
britannique, citoyen ou sujet d'un pays étranger ayant adhéré à
la Convention et au Protocole additionnel de cette même
Convention, publiés dans l'annexe II, ou avait son domicile
dans les royaumes et territoires de Sa Majesté; et si, dans le cas
d'une oeuvre publiée, l'oeuvre a été publiée en premier lieu dans
les royaumes et territoires de Sa Majesté ou dans l'un de ces
pays étrangers; mais ce droit n'existe sur aucune autre oeuvre,
sauf dans la mesure où la protection garantie par la présente loi
est étendue, conformément aux prescriptions qui suivent, à des
pays étrangers auxquels la présente loi ne s'applique pas.
À la page 196 de la seconde édition de son livre
intitulé The Canadian Law of Copyright and
Industrial Designs, M. Fox dit ce qui suit:
[TRADUCTION] L'expression «oeuvre artistique» comprend par
conséquent l'oeuvre architecturale, et, en vertu de l'article 4, le
droit d'auteur existe sur une telle oeuvre.
La protection de la Loi sur le droit d'auteur
canadienne a été étendue aux États-Unis confor-
mément au paragraphe 4(2) de la Loi, à la suite
d'un avis publié à la page 2157 de la Gazette du
Canada en date du 26 décembre 1923 et devant
prendre effet le ler janvier 1924. L'auteur d'une
oeuvre faisant l'objet du droit d'auteur doit avoir
utilisé un savoir-faire, une habilité ou une expé-
rience réelle, mais cette oeuvre n'a pas à être
nouvelle. Les dessins en question, qui font l'objet
d'un droit d'auteur, ont été faits par le témoin
expert Clark Scarboro et par Daryl Watson alors
qu'ils travaillaient pour la demanderesse, et,
admettant que la protection du droit d'auteur leur
soit applicable, nul ne conteste que la demande-
resse en détient les droits d'auteur.
En l'espèce, on ne conteste pas que les bateaux
ont été copiés (avec de nombreuses modifications,
apportées à leur dessin qui, selon la défenderesse,
empêchent qu'ils puissent être considérés comme
des exemplaires contrefaits) sur ceux de la deman-
deresse et non sur les dessins des bateaux, que la
défenderesse n'avait pas vus ni même sur les
moules des bateaux construits à partir de ces
dessins. Se pose donc l'importante question de
savoir si, en copiant un exemplaire «intermédiaire»
de l'oeuvre originale, on peut porter atteinte à un
droit d'auteur. Aux pages 329 et 330, Fox dit à ce
sujet:
[TRADUCTION] Naturellement, le défendeur portera atteinte au
droit d'auteur de la même façon s'il a reproduit l'oeuvre de
mémoire ou l'a obtenue indirectement à partir d'un exemplaire
intermédiaire que s'il l'a copiée directement sur l'oeuvre proté-
gée par le droit d'auteur; et la non protection de l'exemplaire
intermédiaire ne fait aucune différence. Même si pour avoir
gain de cause le demandeur doit prouver que c'est à partir de
l'oeuvre faisant l'objet du droit d'auteur qu'a été obtenue
l'oeuvre contrefaite, il n'est pas nécessaire qu'elle ait directe-
ment servi à la produire. Comme l'a dit le juge Simonds à la
page 359 de la cause King Features Syndicate Inc. v. Kleemann
Ltd., [1940] 2 All E.R. 355: «Ne doit pas entrer en ligne de
compte la question de savoir si l'article contrefait provient
directement ou indirectement de l'ceuvre originale. Le critère
est objectif. Il s'agit de savoir si l'oeuvre originale, ou une partie
importante de cette dernière, a été reproduite. Si tel est le cas,
le fait de dire qu'elle a été copiée d'une oeuvre produite avec ou
sans licence, elle-même copiée de l'original, ne constitue pas
une réponse valable.»
À la page 331, l'auteur parle de la cause Dorling v.
Honnor and Honnor Marine Ltd., [1963] R.P.C.
205 (Ch.D.); [1964] R.P.C. 160 (C.A.), dans
laquelle le demandeur détenait un droit d'auteur
sur des plans de bateaux. Le défendeur fabriquait
des pièces de bateau contrefaites et des ensembles
de telles pièces. La Cour d'appel a décidé que cela
constituait une atteinte au droit d'auteur que le
demandeur détenait sur les plans. La défenderesse
soutient toutefois que cette cause ne constitue pas
un précédent au Canada.
[TRADUCTION] La cause britannique porte sur la question de
savoir si le demandeur peut bénéficier de la protection du droit
d'auteur pour les plans d'un ensemble de pièces servant à
construire un bateau ou si au contraire de tels plans auraient dû
être protégés suivant les dispositions applicables aux dessins
industriels. Cette cause ne fait pas autorité au Canada puis-
qu'elle porte sur des dispositions législatives du Royaume-Uni
en matière de droit d'auteur et dessins industriels qui sont
apparues pour la première fois lors des modifications de 1949 et
de 1956 qui n'ont pas d'équivalent dans la législation
canadienne.
Plus précisément, la Règle 26 des Designs Rules 1949
(R.-U.) empêchait expressément de conférer aux «plans» la
protection accordée aux dessins industriels. Il n'y a pas et il n'y
a jamais eu de telle règle au Canada.
De plus, et ceci est très important, cette affaire portait sur
l'interprétation de l'article 7 de la Loi du Royaume Uni (sans
équivalent au Canada), qui refusait la protection de la Loi à un
ensemble de pièces destinées à être vendues aux constructeurs
de bateaux amateurs (par opposition à ceux qui utilisent ces
pièces dans l'industrie ou dans le commerce). L'affaire Dorling
se fonde donc sur une disposition législative qui n'existe pas au
Canada; de plus, il ressort des faits en l'espèce qu'il y a
utilisation industrielle et commerciale des deux pièces (le pont
et la coque) des bateaux sur lesquels porte le litige.
Finalement, la cause Dorling repose sur une interprétation de
l'article 10 de la Copyright Act (1956, R.-U.), qui traitait des
conditions dans lesquelles il était possible d'accorder à la fois la
protection conférée par le droit d'auteur du Royaume-Uni et la
protection de la loi sur le dessin industriel. La législation
canadienne ne contient pas et n'a jamais contenu de disposition
comme celle-là.
Fox déclare à la page 105:
[TRADUCTION] C'est à bon droit que les cartes, les graphiques
et les plans font l'objet de droits d'auteur, puisqu'ils font partie
de la définition de «livre» et d'«oeuvre littéraire».
L'arrêt L.B. (Plastics) Ltd. v. Swish Products Ltd.,
[1979] R.P.C. 551 (Ch.D.) qui fait autorité en la
matière est de ceux qui soutiennent cette position.
Il y est déclaré à la page 566:
[TRADUCTION] Depuis 1963 au moins, dans une suite de
décisions rendues par la Haute Cour, il a été admis ou décidé
que des dessins du même type que ceux-ci sont des oeuvres
artistiques au sens de l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur.
Cette conclusion fait toutefois référence à la cause
Dorling v. Honnor and Honnor Marine Ltd.
(précitée).
Le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d'au-
teur, qui a également été cité, est ainsi libellé:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur»
désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une
oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme
matérielle quelconque ... [C'est moi qui souligne.]
Fox dit à la page 381:
[TRADUCTION] En vertu de la loi sur le droit d'auteur, le
droit exclusif de produire ou de reproduire des croquis ou des
dessins ou toute partie importante de ceux-ci sous une forme
matérielle quelconque comprend la reproduction d'une partie
importante des croquis ou de l'un de ceux-ci sous une forme
tridimensionnelle, comme pour les jouets ou les poupées. Ainsi,
dans la cause King Features Syndicate Inc. v. Kleemann Ltd.
[1941] 2 All E.R. 403, où la défenderesse fabriquait des
poupées de plâtre ou des jouets à l'image du marin représenté
dans les populaires bandes dessinées ou dessins de «Popeye the
Sailor», Lord Wright a fait remarquer que «il n'a pas été
contesté devant cette Chambre que les poupées ou jouets
étaient des reproductions d'une partie importante du croquis
choisi comme échantillon même si le support est différent—en
l'occurrence, le plâtre—et même s'il s'agit de représentations en
couleurs et en trois dimensions plutôt que du croquis en deux
dimensions et en noir et blanc qui a été publié.»
L'inclusion des termes «sous une forme matérielle quelcon-
que» dans la présente Loi—ces mots ne se trouvant pas dans la
Fine Arts Copyright Act, 1862—élimine tout doute quant au
fait que la représentation en trois dimensions d'une forme
contrefait un dessin en deux dimensions de la même forme.
Ainsi que l'a dit le juge Simonds dans King Features Syndicate
Inc. v. Kleemann Ltd. [1940] 2 All E.R. 355, la p. 358: «Selon
moi, il serait contraire à l'esprit et au sens ordinaire des termes
de la Loi de considérer qu'un exemplaire d'une ouvre artistique
ne constitue une contrefaçon que s'il est fabriqué suivant les
mêmes dimensions de sorte que, à titre d'exemple, le droit
d'auteur sur un croquis ne serait pas violé si le dessin exact était
reproduit dans une frise avec un peu de relief ou dans un
fronton sculpté.
Soutenant qu'un bateau ne peut pas être consi-
déré comme une oeuvre d'art architecturale, la
défenderesse souligne que l'article 23 de la Loi sur
le droit d'auteur n'accorde pas d'injonction lors-
que la construction d'un «bâtiment ou autre édi-
fice» qui constituerait une violation du droit d'au-
teur a été commencée. Une construction ou un
autre édifice étant fixé en permanence, on ne
saurait en exiger la remise ni en recouvrer la
possession; par contre, rien n'empêche la remise
d'un bateau. Selon les avocats de la défenderesse,
il s'ensuit qu'un bateau ne constitue pas un bâti-
ment ou autre édifice au sens de la définition
d'oeuvre d'art architecturale contenue à l'article 2
de la Loi sur le droit d'auteur. Les jugements cités
par des auteurs comme Fox et Copinger portent
sur des objets fixés au sol. On a également soutenu
que, si les oeuvres architecturales comprennent les
bateaux, rien dans l'article 46 n'indique que ledit
article ne s'applique pas à de telles oeuvres et que,
les bateaux pouvant être produits en série par un
procédé industriel, l'article 46 pourrait être invo-
qué. Bien que les bateaux puissent avoir une appa-
rence attrayante, ce à quoi visent tous les manu-
facturiers, et puissent être dessinés par des
ingénieurs des constructions navales, il m'est diffi-
cile de les considérer comme des «bâtiment[s] ou
édifice[s] d'un caractère ou d'un aspect artistique»,
au sens de la définition d'oeuvre d'art architectu-
rale. Une telle interprétation me semblerait donner
au mot anglais «structure» («édifice») une signifi
cation plus étendue que la signification habituelle
de ce terme et ne me semblerait pas conforme à
l'intention du législateur lorsqu'il a ajouté ce terme
au mot «bâtiment» dans la définition. Ils ne sem-
blent pas non plus constituer des oeuvres «d'art»,
puisque la définition ne se rapporte pas qu'à une
«oeuvre architecturale» mais s'applique aux termes
«oeuvre d'art architecturale». Cela répond à l'un
des arguments de la défenderesse mais ne tranche
pas le litige, puisqu'il semble évident que les des-
sins, en tant qu'oeuvres littéraires, font l'objet d'un
droit d'auteur. L'article 3 de la Loi sur le droit
d'auteur protège l'oeuvre ou une partie importante
de celle-ci «sous une forme matérielle quelconque»,
et de nombreux arrêts de jurisprudence semblent
affirmer que le fait de copier un objet fabriqué à
partir d'un dessin, même si le dessin lui-même
n'est pas utilisé, constitue une contrefaçon.
La défenderesse soutient également que lés des-
sins ne décrivent ni les bateaux de la demanderesse
ni ceux de la défenderesse tels qu'ils sont mais
constituent seulement un ensemble d'instructions
permettant la fabrication des bateaux; il s'agirait
de descriptions relevant de l'ingénierie plutôt que
d'images représentant ce qui peut être vu des
bateaux. On a soutenu qu'un article en trois
dimensions ne contrefait un dessin en deux dimen
sions que si l'article qui est vu en trois dimensions
reproduit ce qui est vu en deux dimensions. On a
fait référence à la cause Burke & Margot Burke,
Ld. v. Spicers Dress Designs, [1936] Ch. 400, dans
laquelle Mme Burke était l'auteur d'une oeuvre
artistique et la titulaire du droit d'auteur sur ladite
oeuvre, en l'occurrence le croquis d'une robe de
femme. La compagnie demanderesse a fabriqué
une robe à partir du dessin et les défendeurs l'ont
copiée sans le consentement des demanderesses.
L'action a été rejetée pour le motif que la robe des
défendeurs n'était pas une reproduction du croquis
de la dessinatrice protégé par le droit d'auteur au
sens de la Copyright Act, 1911 de la Grande-Bre-
tagne et pour le motif que la robe faite par la
compagnie demanderesse à partir du croquis ne
constituait pas une oeuvre artistique originale due
à un artisan au sens de la Copyright Act, 1911
puisque la compagnie demanderesse n'avait pas
elle-même apporté la composante artistique qu'elle
contenait. On a également fait mention de la cause
australienne Cuisenaire v. Reed, [1963] V.R. 719,
de la Cour suprême de Victoria, où il est dit â la
page 735:
[TRADUCTION] Il a toutefois été décidé dans Chabot v. Davies,
précité, que le fait de construire une devanture de boutique sur
le modèle d'un dessin d'architecte contrefaisait ce dessin pour le
motif que la dite devanture reproduisait le dessin sous une
forme matérielle. On prétend que cette décision ne s'applique
qu'aux cas dans lesquels l'aspect extérieur de l'ensemble de
l'édifice apparaît comme la reproduction de ce qui se trouve
dans le plan ou le dessin de l'architecte et on plaide qu'il n'y
aurait pas violation du droit d'auteur dans un plan tel un plan
géométral si un bâtiment était construit suivant ce plan, pourvu
que la dite construction ne ressemble en rien au plan, à moins
qu'un examen minutieux et un mesurage n'établissent la res-
semblance. Ce point de vue semble conforme aux principes
énoncés dans la décision Burke & Margot Burke Ltd. v.
Spicer's Dress Designs, précitée, qui a fait l'objet de certaines
distinctions dans la cause que nous venons de citer.
et on ajoute â la même page:
[TRADUCTION] Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, il
existe un droit d'auteur littéraire sur certains tableaux de
certaines compilations, il n'y aura, selon moi, atteinte au droit
d'auteur dans ces tableaux ou compilations que si l'ceuvre qui a
été produite constitue elle-même une sorte de tableau ou de
compilation et reproduit ces tableaux, peu importe qu'elle les
reproduise en deux ou en trois dimensions et peu importe sa
forme matérielle.
Dans une cause canadienne subséquente impli-
quant Cuisenaire, l'affaire Cuisenaire v. South
West Imports Ltd. (1967), 54 C.P.R. 1 (C. de
l'É.), le juge Noël a décidé que les tiges de couleur
Cuisenaire employées comme outils ou comme
bâtons de calcul dans l'enseignement de l'arithmé-
tique ne sont pas des oeuvres artistiques, puisque
ces dernières sont censées faire appel au sens
esthétique—pas seulement accessoirement comme
c'est le cas pour les tiges en question—et puisque
cet appel au sens esthétique doit constituer une des
raisons importantes pour lesquelles l'oeuvre est
créée. A la page 24, il discute du jugement King
Features Syndicate, Incorporated v. Kleemann (O.
& M.), Ld., [1941] A.C. 417 (H.L.) (l'affaire
Popeye, précitée) qui a décidé que les poupées et
les broches des défendeurs constituaient des repro
ductions sous une forme matérielle de l'oeuvre
artistique originale des demandeurs même si elles
n'avaient pas été copiées directement sur les cro-
quis des demandeurs mais provenaient d'une
reproduction sous une forme matérielle qui en
avait été tirée. Le juge Noël établit certaines dis
tinctions concernant cette décision, déclarant aux
pages 24 et 25:
[TRADUCTION] Dans la cause qui précède, lesdites poupées
peuvent être considérées comme des reproductions de l'ceuvre
artistique des demandeurs; les tiges du demandeur ne peuvent
toutefois être considérées comme des reproductions de son texte
écrit (même en tenant compte des termes très larges de l'alinéa
2 y)) pour les motifs énoncés par le juge Pape dans Cuisenaire
v. Reed, [1963] V.R. aux p. 735 et 736, que je fais miens
entièrement:
Il cite alors le passage que nous avons reproduit
ci-haut. Il approuve également la déclaration con-
tenue à la page 733 de ce jugement selon laquelle
[TRADUCTION] «Il ne fait pas de doute maintenant
qu'on peut porter atteinte au droit d'auteur sur
une œuvre produite en deux dimensions en fabri-
quant et en vendant un article en trois dimen
sions», pourvu que de tels articles soient de même
nature que les choses qu'ils reproduisent. Il conti
nue en déclarant:
[TRADUCTION] Les tiges du demandeur ne peuvent toutefois
pas, je le répète, être considérées comme une reproduction des
tableaux ou des compilations se trouvant dans son livre, et les
termes utilisés par le juge Pape à la page 74 de la cause qui
précède sont suffisamment convaincants à cet égard:
« ... ce qu'ont fait les défendeurs n'équivaut pas à une
reproduction des tableaux ou des compilations du deman-
deur. Dans chacune des causes citées, la ressemblance entre
la supposée contrefaçon et l'ceuvre dans laquelle subsisterait
un droit d'auteur était assez visible pour qu'on puisse con-
clure qu'un des objets avait été copié sur l'autre. En l'espèce,
il n'y a pas de telle ressemblance visible avec le tableau
mentionné au paragraphe lB de la déclaration ou le graphi-
que ou la compilation mentionnés au paragraphe 1C de la
déclaration.»
Il ajoute au bas de cette même page:
« ... selon moi, la fabrication d'un article à partir d'un
ensemble d'instructions écrites ne constitue pas une "repro-
duction" de ces instructions. Une reproduction doit repro-
duire l'original, alors qu'ici l'original est, dans un cas, un
ensemble de termes sous forme de tableau et, dans l'autre
cas, une suite de cercles en noir et blanc et de cercles colorés
portant des numéros et présentés sous forme de graphiques.
Selon moi, les tiges des défendeurs ne reproduisent ni l'un ni
l'autre.»
Dans la cause L.P. (Plastics) Ltd. v. Swish
Products Ltd., [1979] R.P.C. 551, que les avocats
de la demanderesse citent pour appuyer leurs pré-
tentions, M. le juge Whitford, siègeant à la Chan
cery Division, déclare à la page 574:
[TRADUCTION] Dans des jugements assez récents, les juges
Megarry et Graham ont en effet décidé que la bonne façon
d'aborder le problème consiste à comparer l'objet avec le dessin
en tenant compte de tout ce qui peut être écrit sur le dessin. Si
mon opinion avait été différente, j'aurais de toute façon suivi
leurs jugements respectifs en ce qui concerne cette question;
j'aimerais cependant affirmer sans ambiguïté que je suis entiè-
rement d'accord avec la manière dont ils ont abordé le
problème.
Dans la cause Temple Instruments Ltd. v. Hollis Heels Ltd.,
[ 1973] R.P.C. 15, la p. 17, le juge Graham a fait la remarque
suivante au sujet d'un argument des défendeurs fondé sur le
paragraphe 9(8):
«Leur second argument veut que, en examinant chacun des
dessins, on doit faire abstraction de la légende indiquant au
bas "Patte de divan en plastique" et "échelle: pleine gran
deur" et de toutes les inscriptions faites sur le dessin gauche
et portant sur des questions comme les dimensions, les dia-
mètres et les épaisseurs de la partie illustrée. Ils disent que
cela est dû au fait que le droit d'auteur en matière artistique
ne peut porter sur une idée et que la légende et les formes
transmettent des idées et ne sont pas artistiques en soi.
Cette façon de voir m'a paru tout à fait irréaliste et je suis
d'avis que lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, deux
croquis ou dessins se trouvent sur une feuille et portent de
toute évidence sur le même article, tous deux peuvent être
examinés, qu'il s'agisse de déterminer l'étendue du droit
d'auteur ou d'examiner les objets de la contrefaçon. De la
même façon, je crois que l'on fait erreur si, lorsqu'une partie
de l'article est représentée sur le dessin, l'on ne tient pas
compte du fait qu'il s'agit d'une partie d'un article circulaire
alors que cela ressort clairement des termes utilisés et parti-
culièrement de l'utilisation du mot "diamètre".
La demanderesse a soutenu qu'une distinction peut
être établie avec l'affaire Burke car dans cette
cause la compagnie demanderesse n'était pas titu-
laire du droit d'auteur sur la robe, ce droit appar-
tenant à la dessinatrice; elle prétend également
qu'il a été décidé dans les causes Cuisenaire que
les tiges ne constituaient pas des oeuvres littéraires
ou architecturales et qu'un droit d'auteur ne pou-
vait donc pas être enregistré sur elles. Bien qu'il
soit vrai que les dessins en l'espèce ne montrent pas
l'aspect qu'aura le bateau lorsqu'il sera terminé, je
crois que la jurisprudence dominante, comme l'in-
diquent les causes King Syndicate et Swish, décide
maintenant que l'examen des deux bateaux en
question de la demanderesse révèle qu'ils sont
fabriqués à partir des dessins et que, même si les
dessins eux-mêmes n'ont pas été copiés par la
défenderesse, l'objet intermédiaire qu'elles ont
servi à produire, c'est-à-dire les bateaux, a été
copié—ce qui est admis—sauf en ce qui concerne
les modifications apportées par la défenderesse,
que nous devons maintenant examiner.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste a décidé d'omettre les quelque
douze pages des motifs du jugement que le juge
consacre à l'examen des importants éléments de
preuve présentés par les témoins ordinaires et
experts quant à la différence entre les dessins de
la demanderesse et les bateaux fabriqués par la
défenderesse.
Mes conclusions de fait se fondent sur un
examen exhaustif de tous les éléments de preuve, y
compris les détails des comparaisons qui, pour des
raisons de nécessité, ont été omis des présents
motifs. Me fondant sur ces éléments de preuve, je
conclus que le Citation construit par la défende-
resse comporte des différences suffisantes pour ne
pas porter atteinte au droit d'auteur de la deman-
deresse sur le Ciera 2450. Dans le cas du TRX, je
suis cependant arrivé à la conclusion contraire. Les
différences entre ce dernier et le Capri 1650 sont
relativement mineures et négligeables. Bien qu'un
expert et peut-être même un vendeur expérimenté
puissent les remarquer, un client moyen ne verrait
aucune différence importante, si ce n'est dans la
finition et dans l'équipement, qui ne sont pas pro-
tégés par le droit d'auteur.
Bien qu'elle puisse être répandue, on ne doit pas
encourager la pratique qui consiste à copier un
dessin de bateau fait par quelqu'un d'autre en y
engageant des frais considérables, à fabriquer un
modèle à partir de ce bateau et à apporter ensuite
des changements suffisants pour laisser croire que
le bateau fabriqué à partir du bateau copié avait
en fait été conçu à partir d'un dessin original.
Quiconque procède ainsi le fait à ses risques. Bien
qu'il soit possible d'apporter à un dessin des chan-
gements suffisants pour créer un bateau original,
ce qui, à mon avis, est le cas pour le Citation, les
différences doivent être suffisamment importantes
pour ne laisser aucun doute qu'elles produisent
effectivement un résultat différent. La défende-
resse n'a pas atteint ce but avec son TRX.
Il faut donc maintenant examiner la question
des dommages-intérêts. Même s'il y a eu un renvoi
concernant les dommages-intérêts, les avocats ont
suggéré à la Cour de se demander quelle sorte de
dommages-intérêts pourraient être adjugés pour
atteinte au droit d'auteur, en l'espèce celui du
Capri 1650 et 1600 (la version hors-bord du 1650).
En plus de dommages-intérêts et d'une reddition
de compte des profits, la demanderesse réclame
des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs, des
dommages-intérêts pour usurpation en plus de
l'intérêt.
Comme je l'ai fait remarquer, les faits de la
présente espèce sont quelque peu inhabituels. La
défenderesse admet avoir fabriqué des moules à
partir des deux bateaux de la demanderesse qu'elle
a achetés à cette fin mais son président a cru de
bonne foi, semble-t-il, qu'il s'agissait d'une prati-
que courante permise par la loi. Il n'a cependant
pas demandé d'avis juridique sur ce point. La
question de savoir si la protection du droit d'auteur
s'étendait aux bateaux de la demanderesse ou se
limitait aux dessins à partir desquels ils ont été
fabriqués et qui n'ont pas été directement copiés
constituait un débat juridique très important et
soulevait le problème de savoir si ces dessins
auraient pu être enregistrés sous le régime de la
Loi sur les dessins industriels et si, ayant omis de
les enregistrer conformément à cette loi, la deman-
deresse pouvait invoquer la protection du droit
d'auteur. La défenderesse a également cru, sem-
ble-t-il, et à bon droit, ainsi que j'ai conclu à la
lumière des faits dans le cas du Citation, que si des
changements importants étaient apportés aux
bateaux qui ont été copiés, un bateau original
serait créé, ce qui ne porterait pas atteinte au droit
d'auteur. L'article 21 de la Loi prévoit que toutes
les planches ou tous les exemplaires contrefaits (en
l'espèce ce seraient des moules) qui ont servi ou
sont destinés à servir à la confection d'exemplaires,
sont considérés comme étant la propriété du titu-
laire du droit d'auteur qui peut engager toute
procédure en recouvrement de possession ou en
usurpation du droit de propriété. L'article 22 porte
que lorsque, dans une action exercée pour violation
du droit d'auteur sur une oeuvre, le défendeur
allègue pour sa défense qu'il ignorait l'existence de
ce droit, le demandeur ne peut obtenir qu'une
injonction à l'égard de ladite violation, si le défen-
deur prouve que, au moment de la commettre, il ne
savait pas et n'avait aucun motif raisonnable de
soupçonner que l'oeuvre faisait encore l'objet d'un
droit d'auteur. Cependant, la demanderesse sou-
tient à bon droit que cet article ne peut s'appliquer
à la défenderesse et elle cite à cet égard l'affaire
The Bulman Group Ltd. c. «One Write» Accoun
ting Systems Ltd., [1982] 2 C.F. 327; 62 C.P.R.
(2d) 149 (i re inst.), dans laquelle le juge Collier a
dit aux pages 335 et 336 C.F.; 156 C.P.R.:
M. Palin, président-directeur général de la défenderesse, a
témoigné pour affirmer l'existence d'une pratique des compa-
gnies de ce secteur d'activité de copier délibérément, lorsqu'il y
avait un marché, les formules de leurs concurrents. Pour cette
raison, il a présumé qu'il n'y avait aucun droit d'auteur sur les
formules d'affaires. C'était, comme je vois la chose, une pré-
somption fort injustifiée.
La défenderesse avait tort, en droit et en fait, lorsqu'elle
estimait que les formules de la demanderesse ne donnaient pas
lieu à un droit d'auteur.
La défenderesse et ses dirigeants n'ont pu établir à ma
satisfaction qu'ils n'avaient «aucun motif raisonnable de soup-
çonner que le droit d'auteur subsistait» sur les formules. Il y
avait, je pense, des motifs raisonnables de présumer qu'il
pouvait fort bien y avoir droit d'auteur. La défenderesse a
préféré prendre ce risque. Une évaluation erronée du droit et
des faits ne peut servir d'excuse justifiant d'échapper aux
dommages-intérêts, à une reddition de compte des profits et
aux autres recours auxquels peut prétendre la demanderesse.
Cette cause portait sur des formules d'affaires
délibérément copiées par la défenderesse et ses
faits ressemblent beaucoup à ceux de l'espèce, sauf
que dans le présent cas la défenderesse a apporté
au TRX des changements importants, bien que à
mon avis insuffisants, pour éviter de porter atteinte
au droit d'auteur. Il serait cependant ruineux pour
la défenderesse que de lui demander de remettre à
la demanderesse tous les bateaux TRX qu'elle a en
sa possession, surtout que l'on se trouve mainte-
nant au plus fort de la saison des ventes, période
au cours de laquelle les stocks de la défenderesse
sont sans aucun doute des plus considérables. Cel-
le-ci doit toutefois modifier immédiatement et
radicalement le dessin de son TRX pour la saison
1985-86 ou le rayer de ses brochures de publicité
en vue des expositions de bateaux qui doivent
commencer à l'automne. En fait, la défenderesse a
présenté une requête spéciale pour qu'une date de
procès soit fixée dans la présente action avant la
fin du mois de juin puisque, après le 30 juin, elle
s'engagera dans la production de modèles de
bateau qui seront offerts en vente à compter du 30
juin 1986.
Les travaux effectués par la défenderesse sur le
TRX ont commencé à la fin du mois d'août 1982
et se sont poursuivis jusqu'en novembre de la
même année; un grand nombre de ses bateaux ont
été vendus au cours des saisons 1983 et 1984 et il
n'y a aucun doute que plusieurs autres ont été
construits pour être vendus au cours de la présente
saison 1985. Réclamer des dommages-intérêts
équivalant à la valeur de tous les bateaux ainsi
vendus serait inapproprié et, à mon avis, excessif
dans les circonstances. La même observation s'ap-
plique, à mon avis, à l'adjudication des dommages-
intérêts exemplaires ou punitifs même s'il faut
certainement appliquer le principe selon lequel une
contrefaçon de cette sorte est inadmissible. La
défenderesse a été avisée, au mois d'octobre 1983,
de la poursuite de la demanderesse pour atteinte
au droit d'auteur, et les procédures ont effective-
ment été engagées le 14 juin 1984. Elle ne peut
donc pas prétendre qu'elle était de bonne foi après
le mois d'octobre 1983, mais elle a pris un risque et
elle a continué de vendre le TRX au cours de la
saison 1984 et de le fabriquer pour qu'il soit vendu
au cours de la présente saison.
Je prononce donc une injonction prenant effet
immédiatement et interdisant à la défenderesse de
fabriquer d'autres bateaux du type TRX à partir
de moules tirés des modèles et qui ne comportent
que des altérations mineures si on les compare au
Capri 1650 de la demanderesse. Je n'ordonnerai
cependant pas à la défenderesse de remettre à la
demanderesse les bateaux TRX déjà fabriqués.
Des dommages-intérêts ou une reddition de
compte des bénéfices, qui seront établis par renvoi,
s'appliqueront à tous les bateaux TRX vendus par
la défenderesse depuis octobre 1983. Même si, à
strictement parler, la reddition de compte des
bénéfices ou les poursuites en dommages-intérêts
commencent à la date de la première contrefaçon,
lorsque les moules ont été fabriqués pour le pre
mier bateau contrefait construit en novembre 1982
et offert en vente au cours de la saison 1983,
j'estime que dans les circonstances de l'espèce, la
demanderesse ne devrait pas continuer de faire
valoir une telle réclamation pour la période précé-
dant la mise-en-demeure de cesser. Les dommages-
intérêts et la reddition de compte des bénéfices
sont par conséquent réputés commencer pour les
bateaux fabriqués et vendus en 1984 et au cours de
la présente saison, y compris les bateaux qui ont
été fabriqués jusqu'au moment de l'injonction qui
doit être délivrée en l'espèce et qui ont été vendus
par la suite; le renvoi portera sur cette réclama-
tion, sans qu'il y ait de dommages-intérêts addi-
tionnels sous forme de dommages-intérêts punitifs
ni poursuite en usurpation ni remise à la demande-
resse des bateaux TRX déjà fabriqués.
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