T-1866-85
Samir Georges Rabbat (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: RABBAT C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Denault—
Montréal, 7 octobre; Ottawa, 16 décembre 1985.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Immigration
— Requête en vue d'empêcher la tenue d'une deuxième
enquête — Un rapport de 1981, sur lequel était fondée une
première enquête, décrivait le statut de résident du requérant
de façon erronée — L'arbitre n'a pas jugé l'affaire au fond —
Un second rapport allègue les mêmes faits, mais qualifie
correctement le requérant de résident permanent — La doc
trine de la chose jugée ne s'applique pas étant donné qu'on n'a
pas tenté de faire réviser la décision quant au fond et qu'il y a
eu une nouvelle citation à comparaître fondée sur des articles
différents de la Loi — L'art. 34 écarte la doctrine de la chose
jugée — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap.
52, art. 19(1)c), 20, 27, 34, 104 — Loi sur l'immigration,
S.R.C. 1970, chap. I-2, art. 27(4).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours —
Intervalle de deux ans entre la décision rendue dans la pre-
mière enquête de l'immigration et l'ouverture de la seconde —
Tentative pour lier le droit d'être jugé dans un délai raisonna-
ble en matière pénale à la garantie du droit à la vie, à la
liberté et à la sécurité — La Loi sur l'immigration de 1976
n'impose pas l'obligation de procéder dans un laps de temps
déterminé — L'intervalle n'était pas déraisonnable au point de
constituer une injustice — On n'a pas fait la preuve que la
déportation au Liban constituerait un traitement cruel et inu-
sité — Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue
la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 11,
12, 24.
Immigration — Requête en vue d'empêcher la tenue d'une
deuxième enquête fondée sur les mêmes faits mais sur des
articles différents de la Loi — L'art. 34 écarte la doctrine de la
chose jugée en ce qui concerne les art. 20, 27 ou 104 —
Distinction faite avec Okolakpa c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration, [1977] 1 C.F. 437 (1" inst.) — Le
libellé du nouvel art. 34 diffère de celui de l'art. 27(4) — Loi
sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 20, 27,
34, 104 — Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-2, art.
27(4).
Il s'agit d'une requête en vue de l'émission d'un bref de
prohibition pour empêcher un arbitre de tenir une enquête en
vertu de l'article 27 de la Loi sur l'immigration de 1976. Le
requérant cherche également à obtenir la réparation que le
tribunal estime convenable conformément à l'article 24 de la
Charte.
Le requérant détient le statut de résident permanent du
Canada depuis 1972. Il a été arrêté en 1981. Dans un rapport
produit conformément à l'article 27, on le décrivait comme une
personne autre qu'un citoyen canadien ou un résident perma
nent qui pourrait se voir refuser l'autorisation de séjour du fait
qu'il faisait partie d'une catégorie non admissible. A l'enquête,
l'arbitre a conclu que le requérant n'avait jamais perdu son
statut de résident permanent, mais il ne s'est pas prononcé sur
le fond de l'affaire (c'est-à-dire sur la question de savoir si le
requérant devait être autorisé à demeurer au Canada). Dans un
nouveau rapport produit deux ans plus tard, on a allégué les
mêmes faits mais qualifié le requérant de résident permanent.
Celui-ci soutient qu'on y retrouve toutes les conditions nécessai-
res à l'application de la doctrine de la chose jugée, à savoir
l'identité de personne, d'objet et de cause. Il a prétendu que la
première décision rendue constituait un jugement final. Enfin,
il a allégué que, s'il avait été cité à comparaître en tant que
visiteur plutôt que comme résident permanent, il s'agissait
d'une erreur de droit qui s'avère fatale à la tenue d'une nouvelle
enquête.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
On ne retrouve pas tous les éléments nécessaires à l'applica-
tion de la doctrine de la chose jugée. On n'essaie pas de faire
réviser une décision rendue au fond; la nouvelle citation à
comparaître repose sur des articles différents de la Loi. Dans
l'affaire Chi Ming Au c. Le procureur général du Canada,
[1977] 2 C.F. 254 (1"» inst.), il a été statué que la doctrine de la
chose jugée ne s'applique que lorsque le premier tribunal était
compétent et pouvait connaître de l'affaire. Dans ce cas, il
n'avait pas compétence puisque le rapport était irrégulier.
En outre, l'article 34 de la Loi écarte la doctrine de la chose
jugée dans le cadre restreint des articles auxquels il se réfère.
L'affaire Okolakpa c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration, [1977] 1 C.F. 437 (1f» inst.), où un bref de
prohibition a été émis afin d'empêcher la tenue d'une deuxième
enquête spéciale, diffère en raison des circonstances particuliè-
res de la cause et parce que la Cour devait interpréter le
paragraphe 27(4) de l'ancienne Loi sur l'immigration. Dans
l'affaire Okolakpa, il a été statué que le «rapport subséquent»
mentionné au paragraphe 27(4) doit se fonder sur de nouveaux
faits et non seulement sur un alinéa différent de la Loi. Il existe
une différence marquée entre le libellé du paragraphe 27(4) et
celui du nouvel article 34. L'affaire Okolakpa ne peut pas alors
constituer un précédent.
À l'appui de l'action intentée en vertu de l'article 34 de la
Charte, le requérant a soutenu que l'intervalle qui s'est écoulé
entre la décision rendue au sujet de la première enquête et
l'ouverture de la deuxième (deux ans) constitue une atteinte à
ses droits constitutionnels. Le requérant a tenté de lier le droit,
garanti par l'article 11, d'être jugé dans un délai raisonnable en
matière pénale à la garantie, prévue par l'article 7, du droit à la
vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. On n'a pas essayé
d'expliquer cet intervalle de deux ans. Bien qu'il puisse sembler
long au point d'être déraisonnable, la Loi sur l'immigration de
1976 n'impose pas l'obligation de procéder dans un laps de
temps déterminé. L'intervalle n'était pas déraisonnable au point
de constituer une injustice pour le requérant, car celui-ci n'a
subi aucun préjudice. Même s'il fallait agir dans un délai
raisonnable, il ne s'ensuit pas nécessairement que l'inexécution
de cette obligation justifie l'annulation de l'acte tardif: Gill c.
M.E.I, [1984] 2 C.F. 1025; (1985), 60 N.R. 241 (C.A.).
Enfin, le requérant a soutenu que sa déportation au Liban
constituerait un traitement cruel et inusité vu la guerre civile
qui y sévit, et irait à l'encontre de l'article 12 de la Charte. Il
n'a fait la preuve d'aucun traitement cruel et inusité qui
pourrait lui être infligé. En outre, cet argument est prématuré
tant que le requérant ne risque pas la déportation.
La Loi oblige les officiers compétents à aviser le sous-minis-
tre des informations prévues aux articles 20, 27 et 104 et qui
sont en leur possession.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Chi Ming Au c. Le procureur général du Canada, [ 1977]
2 C.F. 254 (1" inst.); Gill c. M.E.I., [1984] 2 C.F. 1025;
(1985), 60 N.R. 241 (C.A.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Les États-Unis d'Amérique c. Alain Allard et Jean-
Pierre Charette, jugement en date du 13 septembre 1984,
C.S. Montréal, n 0 ' 500-27-009036-841 et 500-27-009035-
843, non encore publié.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Okolakpa c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration, [ 1977] 1 C.F. 437 (1" inst.).
DÉCISION CITÉE:
R. v. Young (1984), 40 C.R. (3d) 289 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
David Cohen pour le requérant.
Suzanne Marcoux-Paquette pour l'intimé.
PROCUREURS:
Campbell, Cohen & Associate, Montréal,
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DENAULT: Le requérant demande
l'émission d'un bref de prohibition pour empêcher
un arbitre de tenir une enquête à son sujet en vertu
de l'article 27 de la Loi sur l'immigration de 1976
(S.C. 1976-77, chap. 52 et modifications). Il
exerce de plus le recours prévu à l'article 24 de la
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] et prétend que le fait de tenir
une autre enquête à son sujet serait susceptible de
déconsidérer l'administration de la justice.
Le requérant détient le statut de résident perma
nent depuis le 19 janvier 1972. En décembre 1981,
la Gendarmerie royale du Canada a procédé à
l'arrestation d'un individu qui s'identifiait et déte-
nait un passeport français sous le nom de Jean
Bernard Marcel Gaston. Il s'est avéré ultérieure-
ment qu'il s'agissait du requérant. Peu après, un
agent d'immigration a produit un rapport aux
termes de l'article 27 de la Loi sur l'immigration
de 1976, le décrivant comme une personne autre
qu'un citoyen canadien ou un résident permanent
qui pourrait se voir refuser l'autorisation de séjour
du fait qu'il faisait partie de la catégorie non
admissible visée à l'alinéa 19(1)c) (condamnation
à une peine) de la Loi. Il a ultérieurement été cité
à comparaître pour qu'on puisse déterminer s'il
devait être autorisé à demeurer au Canada. Cette
enquête basée sur les alinéas 27(2)a),e) et g) de la
Loi, a eu lieu en octobre 1982. A cette occasion, le
requérant a contesté cette demande en invoquant
qu'il n'avait pas le statut de visiteur dont on
l'affublait dans le rapport mais celui de résident
permanent qu'il n'avait jamais perdu. L'arbitre a
effectivement conclu qu'il n'avait jamais perdu son
statut de résident permanent ; il ne s'est cependant
pas prononcé sur le fond de l'affaire à savoir s'il
devait être autorisé à demeurer au pays. Les auto-
rités de l'Immigration n'en ont pas appelé de cette
décision.
Le 28 novembre 1984, soit plus de deux (2) ans
après la décision de l'arbitre, un agent d'immigra-
tion supérieur a signé un nouveau rapport dans
lequel on reproche au requérant les mêmes faits
que ceux du rapport antérieur sauf qu'on le quali-
fie maintenant de résident permanent; ce rapport
est basé sur l'alinéa 27(1)a) et le sous-alinéa d)(ii)
de la Loi. On l'a cité à comparaître le 10 mai
1985.
La présente requête vise à empêcher la tenue de
cette deuxième enquête, et à son soutien, le procu-
reur du requérant invoque la doctrine du res judi-
cata ou les règles du «double jeopardy» ou de
l'autrefois acquit. Il invoque aussi que les faits
reprochés à son client sont identiques dans les deux
rapports et qu'on retrouve tous les éléments néces-
saires à l'application de la doctrine du res judicata
à savoir l'identité de personne, d'objet et de cause.
De plus, prétend-il, la première décision rendue
constituait un jugement final d'ailleurs favorable
au requérant, et la deuxième enquête ne soulève
aucun fait nouveau mais s'appuie sur un paragra-
phe différent de la Loi. Enfin, il prétend qu'on
connaissait tout du dossier de son client dès la
tenue de la première enquête en 1982 et que si on
l'a alors cité à comparaître en tant que visiteur
plutôt que comme résident permanent, on a
commis une erreur de droit qui s'avère maintenant
fatale et empêche la tenue d'une nouvelle enquête
à son sujet.
Ce premier moyen soulevé par le requérant, à
savoir la doctrine du res judicata, ne saurait résis-
ter à une analyse sérieuse car on ne rencontre pas
dans la présente affaire toutes les conditions
d'exercice de cette règle. Ainsi, on ne cherche pas
à réviser une décision qui s'est prononcée sur le
fond de la question et la nouvelle citation à compa-
raître repose sur des articles différents de la Loi. Il
peut être utile de signaler à ce sujet le jugement
dans l'affaire Chi Ming Au c. Le procureur géné-
ral du Canada, [1977] 2 C.F. 254 (i fe inst.) où,
sur des faits semblables à ceux de la présente
affaire, le juge suppléant Maguire avait déclaré
[aux pages 255 et 256]:
La règle res judicata et la confusion s'appliquent uniquement
quand le premier tribunal avait compétence pour entendre et
juger l'affaire qui lui était soumise. McIntosh c. Parent 55
O.L.R. 552; [1924] 4 D.L.R. 420, Halsbury's Laws of
England, 3e éd., vol. 1, p. 204. En l'espèce, le premier enquêteur
spécial n'avait pas compétence puisque le rapport était irrégu-
lier; il s'ensuit que ces deux motifs ne peuvent appuyer la
demande.
Pour des raisons semblables, il n'y a pas eu dualité de
poursuites pour un même fait.
Par ailleurs, l'article 34 de la Loi écarte, à
toutes fins utiles, la doctrine de la chose jugée dans
le cadre précis des articles auxquels il réfère.
Il est vrai que dans l'affaire Okolakpa c. Le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration,
[1977] 1 C.F. 437 (i fe inst.), citée par le requé-
rant, le juge Walsh a émis un bref de prohibition
pour empêcher la tenue d'une deuxième enquête
spéciale. Même si les faits ressemblaient étrange-
ment à ceux de la présente cause, ils présentaient
des circonstances particulières en ce que le requé-
rant demandait l'émission d'une ordonnance pour
que soit tranchée sa demande de visa d'étudiant
qui n'était plus en vigueur au moment de la
seconde enquête; il risquait ainsi d'être privé d'un
recours. Dans cette affaire, le juge Walsh a émis
l'opinion suivante [à la page 440]:
Toutefois, à mon avis, le «rapport subséquent» doit se fonder
sur de nouveaux faits et ne peut simplement baser sa recom-
mandation sur un sous-alinéa différent de la Loi, la Cour
d'appel ayant jugé inapplicable le sous-alinéa initialement invo-
qué. Le fonctionnaire à l'immigration aurait pu invoquer le
sous-alinéa (viii) au lieu ou en plus du sous-alinéa (iv) à l'appui
de l'ordonnance d'expulsion, mais il ne l'a pas fait et cette
omission ou erreur de droit ne peut motiver un second rapport
et une nouvelle enquête spéciale fondée sur des faits identiques.
Il faut cependant remarquer que dans cette
affaire, on devait interpréter le paragraphe 27(4)
de la Loi [Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970,
chap. I-2] qui se lisait ainsi:
27....
(4) Nulle décision rendue en vertu du présent article ne doit
empêcher la tenue d'une enquête ultérieure si elle est requise en
raison d'un rapport subséquent sous le régime de l'article 18 ou
conformément à l'article 24.
Ce paragraphe 27(4) est devenu l'article 34 dans
la Loi sur l'immigration de 1976 et se lit mainte-
nant comme suit:
34. Aucune décision prise en vertu de la présente loi n'inter-
dit la tenue d'une autre enquête par suite d'un autre rapport
fait en vertu des paragraphes 20(1) ou 27(1) ou (2) ou par suite
d'arrestation et de détention aux fins d'enquête en vertu de
l'article 104.
À mon avis, il y a une différence substantielle
entre l'ancien texte du paragraphe 27(4) et la
nouvelle disposition de l'article 34. Alors qu'on
parlait dans l'ancien texte d'une enquête ultérieure
(future) et d'un rapport subséquent (subsequent
report), on parle maintenant d'une autre (further)
enquête en raison d'un autre (another) rapport. De
même, alors que l'ancien texte ne s'appliquait
qu'aux décisions rendues en vertu de l'article 24, la
nouvelle disposition s'applique aux articles 20, 27
et 104. Comme on le voit, le législateur a voulu
exclure expressément le plaidoyer de res judicata
en matière d'immigration, du moins dans le cadre
restreint de cet article, et je considère que cette
décision dans l'affaire Okolakpa ne peut servir de
précédent à la présente vu que le texte de la Loi est
maintenant fort différent.
D'ailleurs, dans cette affaire, comme on l'a sou-
ligné plus haut, on a tenté de tenir une nouvelle
enquête fondée sur les mêmes faits alors que le
requérant était en attente de la décision sur une
demande de prorogation de son visa d'étudiant. Le
juge déclarait alors à la page 440:
En outre, à l'époque de la première ordonnance d'expulsion, le
visa du pétitionnaire n'était pas encore expiré, de sorte qu'il
aurait pu interjeter appel auprès de la Commission d'appel de
l'immigration au lieu de présenter une demande à la Cour
d'appel en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale;
cependant, son visa n'est plus en vigueur et si une nouvelle
enquête menait à une ordonnance d'expulsion, comme cela
semble être le cas, il ne pourrait pas soumettre à la Commission
d'appel de l'immigration une demande d'annulation de l'ordon-
nance d'expulsion et, ainsi privé d'un de ses recours, il subirait
un préjudice.
Dans ses conclusions, le savant juge interdit la
tenue d'une autre enquête spéciale et «déclare que
le pétitionnaire a droit, sans délai, à une décision
relative à la demande de prorogation de son visa
d'étudiant, le tout avec dépens». Comme on le voit,
les faits particuliers de cette affaire préoccupaient
au plus haut point le savant juge qui a veillé à
éviter tout préjudice au requérant.
Dans leurs commentaires de cet article 34, les
auteurs ont reconnu que le législateur semblait
avoir voulu exclure la défense de res judicata mais
ils ont vite soulevé le spectre de l'abus par les
autorités de l'Immigration et ont profité de la
décision Okolakpa pour en limiter la portée. Dans
son traité Immigration Law in Canada, Julius H.
Grey commente ainsi l'article 34 de la Loi (à la
page 66):
[TRADUCTION] L'article 34 dispose que rien n'interdit la tenue
de nouvelles enquêtes fondées sur de nouveaux rapports faits
par le Ministère. On pourrait l'interpréter comme permettant
au Ministère de reprendre une enquête infructueuse en rédi-
geant à nouveau son premier rapport. C'était peut-être l'inten-
tion du rédacteur législatif, mais l'article fait maintenant l'objet
d'une interprétation importante formulée dans l'arrêt Okolakpa
c. Lanthier et M.M1. Dans cette affaire, le juge Walsh a statué
que le nouveau rapport doit traiter de faits nouveaux. Quoique
cela puisse aller bien au-delà du texte de la Loi, une décision
contraire permettrait au Ministère d'abuser gravement de la
procédure, car celui-ci pourrait continuer de présenter son point
de vue en se fondant sur les mêmes faits jusqu'à ce qu'il trouve
un arbitre favorable à sa cause. Il est donc proposé de suivre
l'interprétation du juge Walsh. [C'est moi qui souligne.]
Quant à Wydrzynski dans Canadian Immigration
Law and Procedure, il déclare aux pages 276 et
277:
[TRADUCTION] Il semble que le but de cet article soit de
permettre la tenue d'autres enquêtes portant sur la même
personne, quoiqu'une première enquête ait pu aboutir à une
décision selon laquelle la personne ne pouvait pas faire l'objet
d'exclusion ou d'expulsion. En d'autres mots, cet article cherche
à éviter qu'on puisse invoquer la doctrine de la chose jugée .. .
Les tribunaux ne se sont pas encore prononcés sur les consé-
quences exactes de cette disposition permettant la tenue d'au-
tres enquêtes. Toutefois, sous l'ancienne loi, qui ne contenait
aucune disposition semblable, il a été jugé, en conformité avec
les principes du droit administratif, que, lorsqu'une enquête est
terminée ou qu'une ordonnance de renvoi a été annulée en
raison d'une erreur de compétence, la tenue d'autres enquêtes
n'est pas interdite par application du principe de la chose jugée.
La Commission peut être empêchée de faire valoir des motifs
qu'elle aurait dû invoquer antérieurement, et la question peut
être considérée comme chose jugée. Cependant, cette interpré-
tation du droit d'instituer d'autres enquêtes devrait être tenue
pour incertaine jusqu'à ce qu'il existe une certaine jurispru
dence relativement à cette disposition législative précise.
Pour les motifs déjà énoncés, je conclus que cet
article 34 exclut la défense de res judicata dans le
cadre restreint des articles auxquels il réfère.
Au soutien de son recours en vertu de l'article
24 de la Charte canadienne des droits et libertés,
le requérant prétend que le délai excessif écoulé
entre le jugement sur la première enquête et l'insti-
tution de la seconde (2 ans) constitue une violation
de ses droits constitutionnels. Sans mentionner
expressément l'article 11 de la Charte qui prévoit
qu'un inculpé a le droit d'être jugé dans un délai
raisonnable, le requérant, sans doute conscient que
cet article ne s'applique que dans les affaires cri-
minelles et pénales, tente de relier cette notion à la
garantie juridique prévue à l'article 7 de la Charte.
Il s'appuie entre autres sur un arrêt récent de la
Cour supérieure du Québec dans l'affaire Les
États-Unis d'Amérique c. Alain Allard et Jean-
Pierre Charette (jugement en date du 13 septem-
bre 1984, C.S. Montréal, n°s 500-27-009036-841 et
500-27-009035-843, encore inédit) où le juge
Réjean Paul a rejeté une requête en extradition de
deux ex-felquistes, considérant que le recours aux
tribunaux canadiens 15 ans après la commission
d'un crime et 5 ans après le retour au pays des
deux intimés constituait à sa connaissance un déni
de justice et violait, citant le juge Dubin dans
l'affaire Young [R. v. Young (1984), 40 C.R. (3d)
289 (C.A. Ont.), à la page 329]:
[TRADUCTION] ... ces principes fondamentaux de justice qui
sous-tendent le sens du fair-play et des convenances de la
société ...
Cet arrêt a fait l'objet d'un appel en Cour
suprême et doit être entendu incessamment. Même
si je comprends fort bien qu'on n'ait pas voulu
permettre l'extradition des deux intimés après un
si long laps de temps, je n'accepte pas les motifs
invoqués par le savant juge pour justifier le rejet
de cette requête en extradition.
Dans la présente cause, on n'a pas non plus tenté
d'expliquer le délai de deux ans avant de déposer
une deuxième demande d'enquête. Il est évident
qu'à première vue, il peut paraître long au point de
devenir déraisonnable. Cependant, on ne retrouve
dans la Loi sur l'immigration de 1976 aucun
devoir impératif d'agir dans un délai donné. L'arti-
cle 27 impose à un agent d'immigration le devoir
d'adresser un tel rapport s'il est en possession de
renseignements prévus à cet article. Il aurait sans
doute été souhaitable que l'administration procé-
dât auparavant mais rien ne l'y forçait et on peut
difficilement conclure que le délai est à ce point
déraisonnable qu'il faille considérer qu'il consti-
tuait une injustice à l'égard du requérant qui de
toute façon, n'a subi entre temps aucun préjudice.
Dans l'affaire Gill c. M.E.I., [1984] 2 C.F. 1025;
(1985), 60 N.R. 241, le juge Hugessen de la Cour
d'appel fédérale répondait [aux pages 1028 et
1029 C.F.; à la page 243 N.R.] ainsi à un requé-
rant qui reprochait à l'Administration d'avoir
tardé deux (2) ans à s'occuper de sa demande, en
matière d'immigration:
Il se peut que l'obligation d'agir équitablement récemment
dégagée, et imposée maintenant à l'administration, comporte
celle de ne pas tarder déraisonnablement; ou, vu sous un angle
plus positif, il se peut que l'obligation procédurale d'agir équita-
blement comporte celle d'agir dans un délai raisonnable. Il ne
s'ensuit nullement toutefois que l'inexécution de cette obliga
tion justifie l'annulation de l'acte tardif lorsqu'enfin il a lieu.
Sûrement le recours approprié doit consister à obliger à agir
avec diligence plutôt qu'à annuler l'acte qui, bien que tardif,
peut néanmoins être fondé.
Le requérant invoque enfin l'article 12 de la
Charte à savoir que sa déportation au Liban cons-
tituerait un traitement cruel et inusité vu la guerre
civile qui y sévit. Cet argument ne saurait être
retenu car le requérant n'a fait la preuve d'aucun
traitement ou peine cruels et inusités qui pourrait
lui être infligé. Par ailleurs, cet argument est
prématuré et pourra être invoqué plus efficace-
ment au moment où le requérant risquera
l'expulsion.
Il n'y a pas lieu dans les circonstances d'accor-
der le recours recherché. L'économie générale de
la Loi non seulement permet mais oblige les offi-
ciers compétents à aviser le sous-ministre des
informations prévues aux articles 20, 27 et 104 de
la Loi et dont ils deviennent en possession.
En conséquence, la requête est rejetée avec
dépens.
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