A-284-84
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada, ministre de l'Emploi et de l'Immigration
et Gaétan Lussier, sous-ministre de l'Emploi et de
l'Immigration (appelants)
c.
Dale Lewis (intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Stone—
Toronto, 13 mars; Ottawa, 13 mai 1985.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Fonction
publique — Certiorari — La décision du sous-ministre de
congédier l'intimé pour un motif déterminé a été annulée parce
qu'on n'a pas respecté les règles de l'équité dans la procédure
au cours de l'enquête — L'intimé a-t-il été mis au courant
avant l'interrogatoire des faits qu'on lui reprochait? — Droit
d'être traité d'une manière équitable — La décision d'accorder
un certiorari est un pouvoir discrétionnaire lorsqu'il existe un
autre recours approprié — Le processus d'arbitrage des griefs
corrige le vice de procédure dans l'enquête — L'arbitrage
prévoit la possibilité de se faire entendre par un tiers indépen-
dant, la citation de témoins et la mise à exécution de la
décision de l'arbitre — L'omission de produire l'avis d'arbi-
trage ne justifiait pas le recours au certiorari — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18.
Fonction publique — Un employé de la Commission de
l'emploi et de l'immigration a été accusé d'avoir assailli un
détenu de l'immigration — Congédiement — Échec de la
procédure de grief — Le certiorari annulant le congédiement a
été accordé pour le motif qu'au cours de l'enquête qui a mené
à celui-ci on n'a pas tenu compte des règles de l'équité dans la
procédure — Ces règles s'appliquaient-elles? — L'intimé
a-t-il été mis au courant avant l'enquête des faits qu'on lui
reprochait? — Le processus d'arbitrage des griefs constituait
un recours approprié pour remplacer le certiorari — L'omis-
sion de produire l'avis d'arbitrage ne constitue pas un motif
suffisant pour annuler le congédiement — Le processus d'arbi-
trage corrige le vice de procédure dans l'enquête — Appel
accueilli — Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 90, 91(1)b), 96(1),(2),
(3),(4),(6), 99(3) — Règlement sur les conditions d'emploi dans
la Fonction publique, DORS/67-118, art. 106 — Règlement et
règles de procédure de la C.R.T.F.P., C.R.C., chap. 1353, art.
79(1), 89(1) — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77,
chap. 52, art. 110, 111 — Loi sur l'administration financière,
S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 7(1)i),(2).
Deux comités d'enquête ont été constitués pour enquêter sur
des incidents qui se sont produits à l'un des centres de détention
du ministère de l'Immigration. L'intimé et un autre agent
d'immigration étaient impliqués dans ces incidents. L'intimé a
été informé de la tenue de l'enquête et a été invité par les deux
comités à faire valoir ses arguments devant chacun d'eux. Il a
choisi de ne pas participer au comité qui s'occupait plus parti-
culièrement de son cas. Le sous-ministre, agissant sur la recom-
mandation du comité, a congédié l'intimé qui était enquêteur de
l'immigration pour le motif qu'il avait assailli un détenu de
l'Immigration. L'intimé a présenté un grief jusqu'au dernier
palier sans succès. Il a toutefois réussi à faire annuler par la
Division de première instance la décision de le congédier pour le
motif qu'au cours de l'enquête qui a mené à son congédiement,
on n'a pas tenu compte de certaines des règles de l'équité dans
la procédure. L'intimé a allégué qu'on l'a privé de l'équité dans
la procédure parce qu'on ne l'a pas informé, avant l'interroga-
toire devant le comité, des faits qu'on lui reprochait. Les
appelants cherchent à faire annuler l'ordonnance de certiorari
pour le motif que l'intimé a été traité d'une manière équitable
par l'Administration et qu'il n'était pas approprié de rendre
cette ordonnance étant donné qu'un autre recours, l'arbitrage,
était prévu par l'alinéa 91(1)b) de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge Stone (avec l'appui du juge Heald): Même si l'intimé
n'avait pas droit à la panoplie des garanties découlant de la
justice naturelle, notamment une audition complète de la
plainte, il avait néanmoins le droit d'être traité équitablement.
C'est particulièrement vrai lorsque, comme en l'espèce, l'en-
quête relève d'un organisme différent de celui qui a pour
fonction de décider quelle forme de sanction disciplinaire
devrait être infligée.
Les appelants affirment que l'intimé a été mis au courant des
faits qu'on lui reprochait par son collègue de l'immigration et
par son représentant syndical. Il n'existe aucun élément de
preuve établissant clairement ce fait. La divulgation au repré-
sentant syndical par le comité des faits faisant l'objet de
l'enquête ne peut être considérée comme une divulgation à
l'intimé. Le représentant syndical a simplement informé l'in-
timé que l'affaire était «sérieuse». Il n'existe aucune preuve
indiquant que ledit représentant lui a rapporté les allégations
détaillées que lui avait exposées le comité. De plus, on ne peut
déduire du fait que l'intimé a retenu les services d'un avocat
qu'il savait que c'était sa conduite qui faisait l'objet d'une
enquête.
Dans un cas comme l'espèce qui comporte l'existence d'un
autre recours possible, la décision d'accorder un certiorari est
un pouvoir discrétionnaire. Ce recours doit cependant être
approprié du point de vue légal. Afin de déterminer s'il existait
un tel recours, la Cour a examiné les dispositions législatives
concernant l'arbitrage d'un grief résultant du congédiement.
Suivant l'article 96 de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique, l'intimé se serait vu accorder «l'occasion
d'être entendu» par un arbitre. Alors que la procédure de grief
exige un examen par l'employeur, la Loi exige que dans une
procédure d'arbitrage la décision soit rendue par un tiers
indépendant. De même, les parties peuvent citer des témoins à
comparaître au cours d'une audience tenue devant un arbitre.
Le paragraphe 96(4) oblige l'employeur à prendre la mesure
exigée dans la décision d'un arbitre. L'intervention de la Com
mission pour faire respecter la décision d'un arbitre est prévue
au paragraphe 96(6) de la Loi. Ainsi, en l'espèce, un arbitre
aurait pu obliger l'employeur à réinstaller l'intimé dans son
poste. Compte tenu de ces dispositions, on ne peut affirmer
qu'il n'existait pas un autre recours approprié. Le processus
d'arbitrage aurait pu corriger le vice de procédure dans l'en-
quête qui a conduit au congédiement de l'intimé.
Le paragraphe 79(1) des Règlement et règles de procédure
de la C.R.T.F.P. prévoyait que l'intimé devait produire au
greffier un avis de renvoi à l'arbitrage dans le délai prescrit.
Cependant, l'intimé, par sa propre négligence, a omis de le
faire. L'omission d'obtenir cet autre recours et de protéger ainsi
son droit à l'arbitrage ne peut constituer un motif suffisant
pour annuler la décision de congédier l'intimé.
Le juge Marceau: Les règles de l'équité dans la procédure ne
s'appliquent pas à la décision attaquée. Les tribunaux ont
imposé l'obligation d'agir équitablement dans l'exercice de
certaines fonctions de nature administrative afin de combler un
vide. Il n'y a pas de vide à combler en l'espèce. La Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique contient des
dispositions pour assurer une protection complète contre les
mesures disciplinaires injustes. La Cour n'aurait aucune raison
d'aller au-delà de la volonté du législateur en assujettissant ces
décisions à des exigences destinées, en fait, à assurer une
protection superflue.
De toute manière, la preuve ne permet pas de conclure qu'il y
a eu déni de l'équité dans la procédure. Les règles de l'équité
dans la procédure en cause en l'espèce sont celles qu'il faut
respecter pour donner effet à la maxime audi alteram partem.
Il est évident que l'intimé était parfaitement au courant de tous
les éléments dont il avait besoin pour préparer adéquatement sa
preuve: les incidents reprochés étaient précis quant au lieu, à la
date et au moment de la journée où ils s'étaient produits; les
détails des plaintes reçues par le sous-ministre ont été fournis
au représentant syndical qui agissait manifestement en tant que
représentant de l'intimé.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561.
DÉCISION APPLIQUÉE:
La Commission canadienne des droits de la personne c.
Jones, [1982] 1 C.F. 738 (l'a inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Pearlberg v. Varty, [1972] 1 W.L.R. 534 (H.L.); Wise-
man v. Borneman, [1971] A.C. 297 (H.L.); Nicholson c.
Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners
of Police, [1979] 1 R.C.S. 311.
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. R. (T.) (1983), 28 Alta L.R. (2d) 383 (B.R.); King
v. University of Saskatchewan, [1969] R.C.S. 678; Pillai
v. Singapore City Council, [1968] 1 W.L.R. 1278 (P.C.);
Calvin v. Carr, [1980] A.C. 574 (P.C.); P.P.G. Industries
Canada Ltd. c. P.G. du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739;
Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.).
AVOCATS:
Marlene I. Thomas pour les appelants.
J. Spence Stewart, c.r. pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants.
Du Vernet, Stewart, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: J'ai eu le privilège de lire
les motifs du juge Stone et bien que je sois d'ac-
cord avec sa conclusion, j'estime nécessaire d'ajou-
ter mes commentaires parce que je suis arrivé à
cette même conclusion en suivant un raisonnement
différent.
L'ordonnance qui fait l'objet du présent appel
[sub nom. Lewis c. Commission de l'emploi et de
l'immigration du Canada, T-2078-83, juge en chef
adjoint Jerome, 20 janvier 1984, non publiée] est
un certiorari annulant la décision par laquelle le
sous-ministre appelant a congédié l'intimé de son
poste d'enquêteur de l'immigration pour incon-
duite dans l'exercice de ses fonctions. Selon le juge
des requêtes, cette décision ne pouvait être mainte-
nue parce que, au cours de l'enquête qui a mené à
ladite décision, on n'a pas tenu compte de certaines
des règles de l'équité dans la procédure. Le juge
Stone souscrit à la conclusion du juge des requêtes
portant que le sous-ministre avait violé les règles
de l'équité dans la procédure, mais il est d'avis
qu'il aurait malgré tout fallu refuser le certiorari
parce que essentiellement l'intimé disposait d'au-
tres recours.
Si, comme le juge Stone, j'avais conclu que la
décision avait en fait été rendue d'une manière
illégale, je n'aurais eu aucune difficulté à adopter
l'autre conclusion de mon collègue. Compte tenu
du défaut de l'intimé de se prévaloir de la procé-
dure de grief dont il disposait en vertu de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, chap. P-35, un recours plus
simple, plus direct et plus approprié que celui qu'il
a utilisé (et j'aurais ajouté, son défaut d'agir dans
un délai opportun pour chercher à obtenir un
redressement d'un caractère si exceptionnel et
pour lequel il n'a pas fourni d'explications satisfai-
santes), j'aurais moi aussi rejeté la demande de
certiorari. Mon interprétation du raisonnement
suivi dans le jugement rendu à la majorité par la
Cour suprême dans Harelkin c. Université de
Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, m'aurait sans aucun
doute amené à cette conclusion. Cependant, je n'ai
pas eu à adopter ce raisonnement pour la simple
raison que je n'ai pas réussi à me convaincre que,
même en théorie, il était possible d'obtenir un
certiorari en l'espèce. En fait, non seulement je
suis d'avis que la preuve ne permet pas de conclure
que l'intimé a été traité sans que l'on tienne
compte de certaines règles de l'équité dans la
procédure, mais j'estime dans l'ensemble que, de
toute façon, il ne s'agissait pas d'une décision à
laquelle les règles de l'équité dans la procédure
s'appliquaient.
I
Dans ses motifs, le juge Stone a exposé en détail
les faits qui ont donné lieu aux présentes procédu-
res. Je n'ai pas besoin de les répéter. On peut
facilement rappeler l'essentiel de la plainte de
l'intimé fondée sur l'iniquité. À la suite de plaintes
portant que l'intimé et un autre enquêteur s'étaient
conduits de manière répréhensible au cours d'inci-
dents survenus quelques jours plus tôt à l'un des
centres de détention du Ministère, le sous-ministre
appelant constitua deux comités chargés de faire
enquête (chacun se concentrant sur l'un des deux
employés en cause et appelés dans le dossier le
comité Lewis et le comité Quigley) et de présenter
un rapport recommandant des mesures disciplinai-
res, si jugé à propos. L'intimé fut informé de la
tenue de l'enquête et de la création des deux
comités par une lettre du gérant par intérim de son
unité, Ken Lawrence. Invité par les deux comités à
donner sa version des événements et à présenter
tous les arguments qu'il désirait, il a comparu
devant chacun d'eux même s'il a choisi de ne pas
participer à celui qui s'occupait plus particulière-
ment de son cas. Ce qu'il allègue à l'appui de sa
prétention voulant qu'il n'ait pas été traité d'une
manière équitable, prétention avancée une année
entière plus tard, est qu'on ne l'avait pas claire-
ment informé de l'accusation portée contre lui
avant sa comparution devant le comité.
Je ne crois pas que l'on puisse sérieusement
douter que l'intimé était parfaitement au courant
des incidents qui faisaient l'objet de l'enquête des
comités. Il faudrait en fait rappeler: (1) que, même
si elle faisait simplement allusion à des «incidents",
la lettre de Lawrence précisait néanmoins le lieu
(le centre de détention), la date (le 16 septembre),
le moment de la journée (le soir) où ces incidents
s'étaient produits: compte tenu du fait que, le soir
du 16 septembre, l'intimé et son collègue s'étaient
rendus au centre de détention pour quelques minu
tes seulement au cours desquelles, suivant la ver
sion de l'intimé, son collègue avait eu quelques
[TRADUCTION] «affaires à régler» avec un chauf
feur de taxi, et que l'intimé se trouvait avec le
détenu Thomas et personne d'autre (à l'exception
évidemment de la dame qu'ils étaient venus cher-
cher), l'identification exacte des incidents n'aurait
dû présenter aucun problème; (2) que le 22 sep-
tembre, après avoir demandé l'aide d'un représen-
tant syndical, l'intimé comparut devant le comité
Quigley et qu'on a alors désigné les incidents sur
lesquels il était appelé à témoigner comme étant
les altercations avec le chauffeur de taxi et le
détenu Thomas; (3) que le 23 septembre, le comité
chargé du cas de l'intimé se réunit en l'absence de
ce dernier mais en présence de son collègue et d'un
responsable syndical qui agissait manifestement en
tant que représentant de l'intimé, et que pendant
cette réunion, on a fourni tous les renseignements
et les détails au sujet des plaintes reçues par le
sous-ministre; (4) et finalement, que le même jour,
c'est-à-dire le 23 septembre, après la réunion du
comité Lewis, l'intimé eut un long entretien avec le
représentant syndical et son collègue, à la suite de
quoi il décida de consulter un avocat.
Compte tenu de tous ces faits, je ne pense pas
que l'on puisse dire que, le 24 septembre, l'intimé
pouvait ignorer la nature des incidents auxquels il
avait participé et qui faisaient l'objet de l'enquête
du comité. En fait, au cours de son contre-interro-
gatoire sur l'affidavit déposé à l'appui de sa
demande en Division de première instance, il dût
fournir des précisions sur la déclaration contenue
au paragraphe 15 dudit affidavit et dont voici le
texte:
[TRADUCTION] J'ai appris que le comité était censé examiner
des allégations portant que je m'étais livré à des voies de fait
contre un nommé Michael Thomas, une personne détenue à
l'hôtel Waldorf Astoria et qui avait été placée sous garde à cet
endroit par M. Quigley et moi-même deux ou trois jours
auparavant.
La question posée était la suivante (page 128 du
dossier conjoint):
[TRADUCTION] Q. Où se situe dans le temps votre affirmation
du paragraphe 15:
«J'ai appris que le comité était censé examiner des allégations
...D
Vous m'avez dit cet après-midi que vous saviez cela au moins
dès le 23 septembre?
L'intimé a répondu:
[TRADUCTION] R. Oui, quand M. Quigley m'en a informé.
Les règles de l'équité ici en cause sont celles
applicables à une décision administrative, et non à
une instance criminelle devant une cour de justice.
Et ces règles de l'équité dans la procédure sont
celles qu'il faut respecter pour donner effet à la
maxime audi alteram partem. La question est
donc simplement de savoir si l'intimé était suffi-
samment au courant de l'incident faisant l'objet de
l'enquête et du rôle qu'il était censé y avoir joué
pour se prévaloir pleinement de l'occasion qui lui
était donnée de se faire entendre. Je ne vois pas
comment on peut répondre à cette question par la
négative. Il me semble évident que l'intimé était
parfaitement au courant de tous les éléments dont
il avait besoin pour préparer adéquatement sa
preuve et, de toute façon, son représentant avait
été informé de tous les détails. De plus, on n'a
jamais refusé de lui fournir des détails, le fait étant
qu'il n'en a demandé aucun. La naissance de la
«doctrine de l'équité» dans l'arrêt Nicholson c.
Haldimand-Norfolk Regional Board of Commis
sioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311 et son
évolution rapide dans la jurisprudence sont dues à
un ardent désir de promouvoir la loyauté et la
justice dans le processus administratif en proté-
geant les individus contre les décisions arbitraires,
mal documentées et hâtives. Le rôle des règles de
procédure qui découlent implicitement de la doc
trine est de permettre d'atteindre ces objectifs; il
n'est pas d'introduire des conditions inutilement
rigides et futiles en matière de procédure. L'extrait
si souvent cité, tiré du discours de lord Morris of
Borth -y-Gest dans Wiseman v. Borneman, [1971]
A.C. 297 (H.L.) (pages 308 et 309) est encore
pertinent:
[TRADUCTION] Nous parlons souvent des règles de la justice
naturelle. Leur application n'est toutefois ni rigide ni automati-
que. Leur portée a été analysée et définie dans de nombreux
précédents. Mais toute analyse doit mettre en évidence leur but
et leur source d'inspiration plutôt que des précisions quant à
leur définition ou à leur application. Nous ne cherchons pas des
règles qui énonceront exactement ce qui doit être fait dans
diverses situations. Il faut appliquer les principes et les procédu-
res qui sont justes et équitables dans une situation particulière
ou un ensemble d'événements. Comme on l'a déjà dit, la justice
naturelle est simplement «la loyauté à l'ceuvre».
Je ne vois tout simplement pas comment on peut
affirmer, compte tenu des circonstances de l'es-
pèce, que les règles de procédure découlant de
l'obligation d'agir équitablement peuvent avoir été
violées au détriment de la loyauté et de l'équité
auxquelles l'intimé avait droit.
II
Toutefois, ce n'est pas surtout à cause,'de cette
divergence d'opinion quant à savoir s'il y aurait eu
en l'espèce violation d'une règle de procédure
imposée par l'obligation d'agir équitablement que
je ne souscris pas à l'ordonnance faisant l'objet de
l'appel. Comme je l'ai déjà dit, c'est avant tout
parce que je suis d'avis, pour les motifs qui suivent,
que les règles de l'équité dans la procédure
n'avaient aucun rôle à jouer dans les circonstances
de l'espèce.
La décision contestée dans les présentes procé-
dures est celle par laquelle le sous-ministre a con-
gédié l'intimé pour un motif déterminé. Il ne fait
aucun doute que le sous-ministre a, dans l'exercice
de son mandat relatif à la direction du personnel,
le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires
allant jusqu'au congédiement pour un motif déter-
miné. Ce pouvoir a d'abord été conféré par le
législateur au Conseil du Trésor par l'alinéa 7(1)f)
de la Loi sur l'administration financière, S.R.C.
1970, chap. F-10, mais il pouvait être délégué, en
vertu du paragraphe 7(2) de la Loi, et il l'a
effectivement été par l'article 106 du Règlement
sur les conditions d'emploi dans la Fonction
publique ([DORS/67-118] remplacé plus tard par
CT 672696, 13 septembre 1967)'.
' Ces trois dispositions portent:
7. (1) ...
j) établir des normes de discipline dans la fonction publique
et prescrire les sanctions pécuniaires et autres, y compris la
suspension et le congédiement, qui peuvent être appliquées pour
manquements à la discipline ou pour inconduite et indiquer
dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en
vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées,
ou peuvent être modifiées ou annulées, en tout ou en partie;
(2) Le conseil du Trésor peut autoriser le sous-chef d'un
ministère ou département ou le fonctionnaire administratif en
chef de tout élément de la fonction publique à exercer les
pouvoirs et exécuter les fonctions du conseil du Trésor, de la
manière et sous réserve des conditions que ce dernier prescrit,
relativement à la direction du personnel dans la fonction publi-
(Suite à la page suivante)
Lorsqu'il est mis au courant d'un manquement à
la discipline ou d'une inconduite d'un employé
relevant de son autorité, le sous-ministre peut donc
prendre une mesure disciplinaire. Les règlements
ne contiennent aucune disposition indiquant com
ment le sous-ministre peut être mis au courant des
faits au sujet desquels une mesure particulière peut
être prise, et il est difficile d'imaginer comment
une telle indication aurait pu être utile. Il est
possible qu'il ait lui-même été témoin d'une cer-
taine inconduite ou qu'il en ait été informé par ses
surveillants, d'autres subordonnés ou des tiers.
Cela importe peu pour ce qui est du droit d'agir
mais, en pratique, la source particulière d'informa-
tion en cause peut naturellement donner lieu à une
question de crédibilité. C'est dans ce contexte qu'il
semble que l'on ait proposé aux sous-chefs de
suivre dans les enquêtes de nature administrative
un mécanisme (dont le texte est reproduit aux
pages 65 et s. du dossier conjoint) [TRADUCTION]
«destiné à recueillir des informations et à consti-
tuer un ensemble de faits et de documents à partir
desquels il est possible de rendre des décisions». Ce
mécanisme est présenté comme un pur processus
de recherche des faits, et c'est ce qu'il est en
réalité, créé pour le bénéfice du sous-ministre afin
de l'aider à exercer ses pouvoirs. Le comité d'en-
quête ainsi créé n'a aucun pouvoir, aucun droit de
lancer des subpoenas pour citer les témoins à
comparaître et aucune des personnes qui acceptent
de se présenter devant lui ne sera tenue de témoi-
gner sous serment. En passant, quelques questions
ont été soulevées pendant l'audience (en fait, ce
(Suite de la page précédente)
que, et il peut à l'occasion, selon qu'il l'estime opportun, reviser
ou annuler et rétablir l'autorité ainsi conférée.
DISCIPLINE
106. Sous réserve de tout édit du Conseil du Trésor, un
sous-chef peut
(a) fixer les normes de discipline pour
(i) les employés;
(ii) les personnes à qui s'appliquent le Règlement général
de 1963 applicable aux employés à taux régnants, le
Règlement de 1964 sur les équipages de navire ou le
Règlement de 1964 sur les officiers de navire; et
(iii) les personnes occupant des postes d'instituteur et de
directeur d'école au ministère des Affaires indiennes
et du Nord canadien;
(b) prescrire, imposer, modifier ou abroger, en totalité ou en
partie, des pénalités financières et autres, y compris la sus
pension et le congédiement, qui peuvent s'appliquer dans le
cas d'infraction à la discipline d'inconduite de la part des
personnes mentionnées à l'alinéa (a). (CT 718417, 22 mars
1973)
point avait été mis de l'avant par l'avocat de
l'intimé devant les enquêteurs) quant à savoir si la
constitution des comités en l'espèce était autorisée
par la loi. Je ne vois pas pourquoi une telle autori-
sation serait requise. Evidemment, le sous-ministre
doit s'informer des circonstances entourant l'incon-
duite reprochée et la constitution de comités d'en-
quête n'est pour lui qu'un moyen d'obtenir les
renseignements dont il a besoin. Dans la mesure où
il n'a pas l'intention de conférer à ses enquêteurs
un pouvoir autre que celui d'examiner les faits et
de présenter un rapport, il n'a certainement pas
besoin d'une autorisation pour le faire. De toute
manière, la constitution d'un ou de plusieurs comi-
tés d'enquête sur les faits ne peut en aucune façon
toucher ou modifier le pouvoir du sous-ministre de
punir un employé de son Ministère pour un motif
déterminé. Il faut donc se demander si le sous-
ministre est obligé de respecter les règles de
l'équité dans la procédure avant de prendre une
mesure disciplinaire. En toute déférence, je pense
que non. Évidemment, je ne veux pas dire qu'il ne
peut exister des circonstances où il sera souhaita-
ble et beaucoup plus prudent pour lui, comme pour
tout gestionnaire, d'observer toutes les exigences
qui sont habituellement reliées à la notion juridi-
que de justice naturelle avant de prendre une
mesure disciplinaire particulièrement sévère. Je
veux dire que la loi ne l'oblige pas à le faire.
Si je comprends bien, les tribunaux ont imposé
l'obligation d'agir équitablement dans l'exercice de
certaines fonctions de nature administrative afin
de combler un vide. On a estimé qu'il n'existait
aucun motif logique de traiter d'une manière com-
plètement différente, lorsque la protection des
individus était en cause, les décisions classées dans
la catégorie quasi judiciaire parce que la loi avait
imposé une certaine exigence, et les décisions clas
sées dans la catégorie administrative parce qu'au-
cune exigence de ce genre n'avait été ainsi impo
sée. Dans l'arrêt Nicholson, précité, le juge en chef
Laskin a été très clair (à la page 325):
L'apparition de cette notion résulte de la constatation qu'il est
souvent très difficile, sinon impossible, de répartir les fonctions
créées par la loi dans les catégories judiciaire, quasi-judiciaire
ou administrative; de plus il serait injuste de protéger certains
au moyen de la procédure tout en la refusant complètement à
d'autres lorsque l'application des décisions prises en vertu de la
loi entraînent les mêmes conséquences graves pour les person-
nes visées, quelle que soit la catégorie de la fonction en ques
tion. Voir Mullan, Fairness: The New Natural Justice (1975),
25 Univ. of Tor. L.J. 281.
Il n'y a pas de vide à combler en l'espèce. La loi
contient des dispositions pour assurer une protec
tion complète contre les mesures disciplinaires
injustes dans la Fonction publique. Si l'agent sta-
giaire dans l'arrêt Nicholson, précité, avait bénéfi-
cié, pour contester son congédiement, d'un recours
aussi complet et efficace que celui prévu contre les
mesures disciplinaires dans la Loi sur les relations
de travail dans la Fonction publique, il est évident
que, dans cette affaire, le juge en chef Laskin et la
majorité de la Cour n'auraient pas réagi comme ils
l'ont fait. Après avoir cité la décision de la Cham-
bre des lords dans Pearlberg v. Varty, [ 1972] 1
W.L.R. 534 où le vicomte Dilhorne a dit (à la page
546):
[TRADUCTION] Lorsque la personne touchée peut se faire
entendre à un moment ultérieur et peut alors formuler les
objections qu'elle aurait pu faire valoir si elle avait été entendue
au moment de la présentation de la demande, il en résulte
qu'elle n'a nullement subi une injustice parce qu'elle n'a pas été
entendue au sujet de ladite demande. Des demandes ex parte
sont souvent présentées aux tribunaux. Je n'ai jamais entendu
dire que cela était contraire à la justice naturelle parce que
l'autre partie n'est pas entendue à cette étape.
le juge en chef a simplement déclaré [à la page
326]:
L'arrêt Pearlberg v. Varty ne présente aucune affinité avec la
présente situation ... Contrairement à la présente situation, la
décision en question n'était pas une décision finale sur ses
droits.
Le point central de l'arrêt Nicholson, comme ce
fut le cas dans l'arrêt marquant Ridge v. Baldwin,
[1964] A.C. 40 (H.L.), était le caractère péremp-
toire et final de la décision contestée. On ne peut
donc pas considérer que la présente affaire tombe
sous le coup de l'un ou l'autre de ces arrêts.
À mon avis, la loi ayant mis en place un système
adéquat de contrôle des décisions disciplinaires
rendues par le sous-ministre, la Cour n'aurait
aucune raison d'aller au-delà de la volonté du
législateur et d'assujettir ces décisions à des exi-
gences destinées, en fait, à assurer une protection
superflue. Il faudrait se rappeler que l'élargisse-
ment des règles de l'équité n'est pas toujours avan-
tageux et qu'il comporte certains risques comme
l'a souligné de Smith dans Judicial Review of
Administrative Action (4 e édition) à la page 47:
[TRADUCTION] ... déterminer les obligations des autorités
publiques quant à la procédure en utilisant une norme aussi
étendue que l'obligation d'agir équitablement peut créer de
graves incertitudes dans l'administration, et peut obliger à tort,
les organismes à suivre des procédures trop «judiciarisées» et de
ce fait, porter atteinte à leur capacité de s'acquitter de leurs
responsabilités prévues par la loi.
et à la page 240:
[TRADUCTION] ... il existe un point où les coûts résultant de
l'incertitude dans l'administration et devant les tribunaux peu-
vent l'emporter sur les avantages qui découlent de l'application
libérale de la notion d'équité.
Une déclaration de lord Reid dans l'affaire
Wiseman v. Borneman, précitée (à la page 308),
revient à l'esprit:
[TRADUCTION] La justice naturelle exige que la procédure
appliquée devant toute autorité agissant à titre judiciaire soit
équitable en toutes circonstances ... Pendant longtemps, les
tribunaux ont complété, sans opposition de la part du législa-
teur, la procédure prévue dans les textes législatifs lorsqu'ils ont
jugé que cela était nécessaire pour atteindre le but de ladite
procédure. Mais avant que ce pouvoir inhabituel soit exercé, il
doit être clair que la procédure prévue dans la loi ne permet pas
de rendre la justice et que le fait d'exiger des mesures addition-
nelles ne fera pas échouer le but manifeste des dispositions
législatives.
À mon avis, les règles de procédure créées par la
doctrine de l'équité ne devraient pas être introdui-
tes dans le domaine de la gestion du personnel et
des actions disciplinaires dans la Fonction publique
où l'efficacité exige que les choses soient faites
simplement et rapidement, et pour lequel le légis-
lateur a déjà mis sur pied un mécanisme complet
et parfaitement adéquat de contrôle des décisions
des autorités. Ainsi, même si je n'avais pas conclu
en l'espèce que tout ce qui était raisonnablement
nécessaire pour donner effet à la règle audi alte-
ram partem avait réellement été fait, j'aurais
déclaré que la loi n'imposait aucune obligation de
satisfaire aux règles de procédure découlant d'une
obligation spéciale d'agir équitablement.
Comme mon collègue le juge Stone, j'accueille-
rais donc l'appel et j'infirmerais le jugement de la
Division de première instance, avec dépens en
appel et en première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Les appelants cherchent à
faire annuler une ordonnance de certiorari du juge
en chef adjoint, rendue le 20 janvier 1984 confor-
mément à l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]; ladite
ordonnance annulait une décision du sous-ministre
appelant en date du 15 octobre 1982 qui avait
conclu au congédiement de l'intimé à compter du
20 octobre 1982. Cette décision du sous-ministre
faisait suite à une enquête sur une plainte portant
que l'intimé se serait rendu coupable d'inconduite
dans l'exercice de ses fonctions. On ne met pas en
question dans le présent appel le pouvoir de tenir
l'enquête qui repose, apparemment, sur les disposi
tions de l'alinéa 7(1)i) de la Loi sur l'administra-
tion financière, S.R.C. 1970, chap. F-10.
LES FAITS
Dans une lettre datée du 15 octobre 1982, le
sous-ministre agissant sur la recommandation d'un
comité d'enquête a congédié l'intimé qui était
enquêteur de l'immigration auprès de la Commis
sion. L'intimé occupait ce poste depuis le mois
d'août 1974 et travaillait pour la Commission
depuis le mois de mars 1973. Même si son poste
est désigné par les expressions «enquêteur de l'im-
migration» ou «agent d'immigration», il semble que
cette dernière expression soit en théorie correcte.
L'intimé a déclaré dans son témoignage que ses
fonctions comprenaient [TRADUCTION] «l'arresta-
tion et la détention de personnes ayant violé la Loi
sur l'immigration et le Règlement». Ces pouvoirs
sont conférés par l'article 111 de la Loi sur l'im-
migration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] à un
«agent d'immigration» nommé ou désigné en vertu
de l'article 110. Dans la lettre qu'il a envoyée à
l'intimé, le sous-ministre a écrit:
[TRADUCTION] La présente fait suite à la recommandation
de votre directeur de vous congédier de la Commission et du
Ministère à la suite d'une enquête administrative interne rela
tive à votre conduite le soir du 16 septembre 1982.
J'ai soigneusement étudié les faits et les circonstances de
cette recommandation et je suis convaincu que vous avez
assailli un détenu de l'Immigration, Michael Thomas qui se
trouvait alors au Centre de détention du Waldorf-Astoria.
À cause de la nature et de la gravité de votre inconduite, j'ai
décidé, en vertu de l'autorité que me confère l'article 106 du
Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publi-
que de vous congédier à compter du 20 octobre 1982, à la
fermeture du bureau.
Conformément à l'article 90 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, vous pouvez présenter un
grief à l'encontre de ma décision dans les 25 jours qui suivent la
réception de la présente.
Le 20 septembre 1982, deux comités d'enquête
ont été constitués pour enquêter sur la conduite de
l'intimé et de son collègue de travail, un nommé
Quigley qui travaillait lui aussi comme enquêteur
de l'immigration pour la Commission, au sujet de
certains incidents qui auraient eu lieu dans la
soirée du 16 septembre 1982 l'hôtel Waldorf-
Astoria, ou près de cet endroit, dans la commu-
nauté urbaine de Toronto. On alléguait que Qui-
gley avait assailli un chauffeur de taxi. Dans une
lettre datée du 20 septembre 1982, le gestionnaire
adjoint du service de l'Exécution (Toronto),
Centre d'immigration du Canada, a écrit ce qui
suit à l'intimé:
[TRADUCTION] Une enquête de nature administrative est
actuellement menée sur certains incidents qui auraient eu lieu
dans la soirée du jeudi 16 septembre 1982, au Centre de
détention de l'Immigration du Waldorf-Astoria. Les deux comi-
tés d'enquête constitués pour enquêter sur lesdits incidents
projettent de vous interroger dans un avenir rapproché. Vous
avez le droit d'être représenté. Une copie de la présente lettre a
donc été envoyée à votre représentant syndical.
Le comité formé pour enquêter sur la plainte du
chauffeur de taxi a interrogé l'intimé le 22 septem-
bre. La transcription de l'interrogatoire, qui a été
enregistré sur bande magnétique, nous a été
remise. Alors que l'interrogatoire portait sur la
plainte du chauffeur de taxi, les voies de fait dont
Thomas aurait été victime ont été examinées assez
en détail avec l'intimé. Ce dernier n'a toutefois pas
été informé qu'on avait remis en question sa propre
conduite à ce sujet et, en fait, on lui a indiqué
clairement que le but de l'interrogatoire était de
déterminer les faits ayant entouré la plainte portée
par le chauffeur de taxi.
Le comité constitué pour enquêter sur la plainte
de Thomas comprenait deux fonctionnaires des
Centres d'immigration du Canada à Toronto, un
nommé Best du Centre de l'est de Toronto, et un
nommé Mitchell du Centre de l'ouest de Toronto.
Les tentatives de ce comité d'interroger Quigley et
l'intimé le 23 septembre 1982 se sont révélées
vaines parce que l'intimé n'était pas disponible
avant le 24 septembre. Quigley s'est présenté au
comité le 23 septembre en compagnie d'une
nommée Wasilewski, qui représentait son syndicat.
Une transcription de la discussion enregistrée sur
bande magnétique a été remise à la Cour. La
représentante syndicale s'est opposée à ce que
l'interrogatoire ait lieu ce jour-là parce qu'elle
n'avait reçu l'avis que tout récemment et qu'elle ne
se sentait pas prête. Elle a déclaré qu'elle croyait
comprendre que l'enquête donnerait probablement
lieu à un rapport présenté au gestionnaire du
service de l'Exécution à Toronto, qui devrait alors
[TRADUCTION] «examiner si des mesures discipli-
naires étaient justifiées ou si les conséquences de
l'enquête étaient très négatives pour MM. Lewis et
Quigley». Elle a prétendu que jusqu'à ce
moment-là, ni Quigley ni l'intimé n'avaient été
informés des allégations précises invoquées contre
eux. En réponse à cette critique, un des membres
du comité, M. Best, a déclaré:
[TRADUCTION] Je ne puis faire de commentaire sur le résultat
car je n'ai pas d'opinion. Tout ce que nous faisons consiste, au
sens propre, à faire l'enquête. Le résultat ou la question de
savoir s'il y aura même un résultat ne me préoccupe pas et ne
m'intéresse pas. Je présenterai le rapport, un point c'est tout.
En temps utile, avant que toute mesure disciplinaire soit prise si
telle est la décision, il y aura évidemment une enquête discipli-
naire au cours de laquelle ils auront droit à la présence d'un
représentant syndical. La présente n'a rien à voir avec les
mesures disciplinaires. Le but réel est de savoir s'il s'est passé
quelque chose et le cas échéant, ce qui s'est produit, rien de
plus.
Après quelques discussions additionnelles, le
comité a décidé de remettre l'interrogatoire au
lendemain à 9 h. Il avait déjà pris des dispositions
pour procéder à l'interrogatoire de l'intimé une
heure plus tard. Avant d'ajourner la séance, les
membres du comité ont décrit au représentant
syndical et à Quigley les allégations faisant l'objet
de l'enquête:
[TRADUCTION]
Mitchell: ... Très bien, les allégations portent essentielle-
ment qu'un détenu à l'hôtel Waldorf-Astoria, un
nommé Michael Thomas, est, dirons-nous, entré
en contact physique avec un agent de la commis
sion, plus précisément l'agent Dale Lewis.
Wasilewski: Et après le contact physique à cet endroit, allé-
guez-vous qu'on a fait usage d'une certaine forme
de force sur ladite personne?
Best: M. Thomas soutient qu'il a été frappé par l'agent
Lewis.
Wasilewski: Soutient-il que M. Quigley l'a frappé lui aussi?
Mitchell: Non, il ne l'a pas dit.
Wasilewski: Prétend-il que M. Quigley était présent lorsque
cela s'est produit?
Mitchell: Oui.
Wasilewski: Y avait-il d'autres personnes présentes à part les
deux agents et le détenu?
Mitchell: Bien
Best: Il se peut que d'autres personnes aient été présen-
tes ou se trouvaient dans les environs à ce
moment-là, mais vous nous avez demandé quelles
étaient les allégations et non un résumé de nos
éléments de preuve.
Wasilewski: Très bien, savez-vous à quelle heure cela s'est
produit?
Mitchell: Aux environs de 22 h 15 le soir du 16 septembre
1982.
Wasilewski: Vingt heures quoi?
Mitchell: 22h 15, c'est-à-dire 10h 15.
Wasilewski: Le 15?
Mitchell: Le 16.
Il ressort clairement du dossier que le comité, ou
une personne agissant pour son compte, n'a jamais
informé l'intimé par écrit que l'enquête portait sur
des voies de fait que celui-ci aurait commises sur la
personne de Thomas et qu'il s'agissait d'un des
«incidents» dont il était question dans la lettre du
20 septembre 1982. Par contre, les appelants invo-
quent les révélations faites à Quigley et à Wasi-
lewski par le comité le 23 septembre, ainsi que les
déclarations de l'intimé contenues dans un affida
vit daté du 9 septembre 1983 et présenté à l'appui
de la demande visant à obtenir l'ordonnance qui
est contestée; ils se fondent également sur le témoi-
gnage rendu le 5 octobre 1983 au cours du contre-
interrogatoire sur ledit affidavit. Pendant ce con-
tre-interrogatoire, l'avocat des appelants a déposé
une transcription de l'interrogatoire tenu le 23
septembre et ce document a été versé sous la cote
A pour fins d'identification. À l'aide de la trans
cription, l'avocat a contre-interrogé l'intimé sur ce
qu'il croyait être le but de l'enquête tenue par Best
et Mitchell. L'intimé a déclaré dans son témoi-
gnage que ce qu'il comprenait de l'affaire lui
venait de Quigley à la suite de son interrogatoire
du 23 septembre et qu'il savait que [TRADUCTION]
«ils lui avaient posé des questions au sujet des voies
de fait». L'attention de l'intimé a été attirée sur les
pages 9 et 10 de la transcription et voici son
témoignage à ce sujet:
[TRADUCTION]
Q.... Si je peux cependant attirer votre attention sur cinq
alinéas allant de bas en haut de la page:
«Mitchell: Les allégations portent essentiellement qu'un
détenu à l'hôtel Waldorf-Astoria, un nommé Michael
Thomas, est, dirons-nous, entré en contact physique avec
un agent de la commission, plus précisément l'agent Dale
Lewis.»
Et ensuite deux alinéas plus bas:
«Best: M. Thomas soutient qu'il a été frappé par l'agent
Lewis, non par Quigley, mais que Quigley était présent à
ce moment-là.»
Quigley vous a-t-il donné de tels renseignements à un moment
ou à un autre le 23 septembre 1982?
R. Il a déclaré qu'ils lui avaient posé des questions au sujet
des voies de fait. Ce sont là les termes qu'il a employés.
Q. Le nom de Michael Thomas a-t-il été mentionné?
R. Oui, je le croirais.
Q. Très bien. Ainsi, serait-il exact de ma part de dire que
vous saviez à ce moment-là quelles allégations avaient été ...
R. M. Quigley m'a informé que c'était ce qu'ils lui avaient
demandé, oui.
Q. Bien. Avez-vous parlé avec Mme Wasilewski entre ...
disons, dans l'intervalle entre l'interrogatoire dont il est ques
tion dans la pièce A et l'interrogatoire ou la réunion du 24
septembre?
R. Oui, je lui ai parlé.
Q. Vous a-t-elle donné les renseignements qui sont en fait
énoncés à la page 9 de la pièce A?
R. Elle ne m'a rien dit précisément de cette nature. Elle a
simplement déclaré que, à son avis, l'affaire sur laquelle ils se
penchaient était sérieuse et qu'elle n'avait pas la compétence
requise pour pousser l'affaire plus loin; elle a aussi affirmé
qu'elle avait demandé l'aide d'une personne occupant un poste
plus élevé dans le syndicat et que les autres membres ne
semblaient pas savoir quoi faire; finalement, elle m'a suggéré
d'aller voir un avocat, mais elle a dit qu'elle ne voulait pas que
j'aille en voir un si cela n'était pas nécessaire. Elle ne savait pas
quoi me dire. C'est pourquoi, compte tenu de ces faits, je suis
allé voir un avocat.
J'examinerai ce témoignage en temps utile.
Il ressort du rapport du comité que ledit rapport
était entre les mains du gestionnaire du service de
l'Exécution (Toronto), Centre d'immigration du
Canada, le 8 octobre 1982 lorsque celui-ci a écrit à
l'intimé pour l'en informer et qu'il a ajouté:
[TRADUCTION] À la suite de cette enquête, la recommandation
de vous congédier a été transmise aujourd'hui même à M. G.
Lussier, président et sous-ministre, Commission de l'emploi et
de l'immigration du Canada.
Même si le sous-ministre déclare dans cette lettre
qu'il agissait sur la recommandation de «votre
directeur», il est clair que la recommandation de
congédier l'intimé reposait sur le rapport du
comité qui, en fait, avait recommandé que [TRA-
DUCTION] «des mesures disciplinaires soient prises
contre Dale Lewis et John Quigley au sujet de leur
participation à des voies de fait sur la personne de
Michael Thomas». Dans ce rapport, le comité a
conclu à partir des faits qui lui ont été soumis que
Thomas a été [TRADUCTION] «frappé, au moins
une fois, par l'agent d'immigration Dale Lewis».
L'intimé a contesté la décision du sous-ministre
devant le juge en chef adjoint pour le motif qu'il
n'avait pas été informé avant l'interrogatoire prévu
de la nature des faits qu'on lui reprochait. Il
soutient que la lettre du 20 septembre 1982 ne
contenait aucune allégation précise d'inconduite
mais portait simplement que «certains incidents»
faisaient l'objet d'une enquête et que les comités
constitués dans le but d'enquêter sur lesdits inci
dents «projettent de [1']interroger dans un avenir
rapproché».
À la suite de son congédiement, l'intimé a suivi
la procédure de grief prévue au paragraphe 90(1)
de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35. Il
ressort du dossier qu'il a présenté son grief jus-
qu'au dernier palier sans succès. Ce dernier palier
a été atteint en février 1983. Dans l'intervalle,
Quigley a lui aussi fait l'objet de mesures discipli-
naires à la fois pour les voies de fait auxquelles il
se serait livré contre le chauffeur de taxi et pour sa
participation dans les voies de fait qui auraient été
commises contre le détenu Thomas. On nous dit
qu'il a lui aussi présenté un grief jusqu'au palier
final et qu'il a ensuite soumis son grief à l'arbi-
trage. Avant que la procédure d'arbitrage ait pris
fin, Quigley a présenté une demande fondée sur
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale afin
d'obtenir un bref de certiorari annulant la décision
par laquelle le sous-ministre l'a congédié de la
Commission. Cette demande a été entendue en
Division de première instance le 14 février 1983
par le juge Mahoney qui a accordé le redressement
demandé le 22 février 1983 [sub nom. Quigley c.
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada, T-9197-82, non publiée]. Aucun appel de
cette décision n'a été interjeté devant la présente
Cour.
Après avoir reçu la réponse du dernier palier de
la procédure relative aux griefs, l'intimé a envoyé à
son syndicat, le 28 février 1983, une lettre accom-
pagnée d'un avis de renvoi à l'arbitrage dans
laquelle il indiquait notamment le nom, l'adresse
et le numéro de téléphone de l'avocat qu'il avait
[TRADUCTION] «engagé et chargé ... de poursui-
vre l'affaire jusqu'au bout». Il ne s'est pas rendu à
l'arbitrage. L'avocat de l'intimé a plutôt demandé
que ce dernier soit réinstallé dans son poste au
niveau régional, mais sans succès. Par la suite,
l'avocat a invoqué la décision de la Division de
première instance dans l'affaire Quigley pour
demander au sous-ministre, dans une lettre datée
du 16 juin 1983, de réinstaller l'intimé dans son
poste. Il a écrit notamment:
[TRADUCTION] Puisqu'il semble que les mêmes considérations
s'appliquent tant à M. Lewis qu'à M. Quigley, j'ai fait des
démarches auprès de votre bureau régional pour savoir si la
direction avait l'intention ou non d'examiner s'il y avait lieu de
réinstaller M. Lewis dans son poste à ce moment plutôt que
d'attendre les résultats de l'arbitrage. J'ai parlé avec Mme Lynn
Reesor qui s'est occupée de l'affaire au nom du directeur du
personnel, M. Frank Ashmol. Elle m'a informé qu'aucune
considération ne serait donnée au cas de M. Lewis en raison de
la décision de la Cour fédérale.
Puisqu'il semble que la position de M. Quigley en ce qui a trait
à cette affaire ne soit pas meilleure que celle de M. Lewis, il
peut être inutile pour M. Lewis d'aller à l'arbitrage. En fait, si
j'ai raison en affirmant que la décision de la Cour fédérale dans
le cas de M. Quigley s'applique à la situation de M. Lewis,
l'arbitrage porterait donc sur une question qui a déjà été
tranchée par les tribunaux.
Je vous écris en pensant que vous pourriez souhaiter examiner
une nouvelle fois cette affaire plutôt que d'entraîner pour M.
Lewis et pour le ministère de l'Emploi et de l'Immigration de
nouvelles procédures et de nouveaux frais.
Cette tentative visant à faire réinstaller l'intimé
dans son poste a été vaine comme l'indique une
lettre du sous-ministre datée du 7 juillet 1983 et
dont voici un extrait:
[TRADUCTION] M. Lewis a été accusé de s'être livré à des
voies de fait contre un détenu de l'Immigration. La direction l'a
informé par l'intermédiaire de son représentant syndical des
allégations portées contre lui et de leurs conséquences, à la suite
de quoi il a retenu les services d'un avocat. Il a ensuite refusé
d'être interrogé par le comité d'enquête interne.
Après avoir examiné l'affaire, je suis convaincu que le cas de
M. Lewis est donc très différent de celui de M. Quigley et que
toute intervention de ma part est injustifiée.
L'avocat a écrit à l'intimé pour l'informer de ce
résultat, mais en raison de diverses circonstances,
ce dernier n'a reçu la lettre qu'à la mi-août 1983.
L'intimé a par la suite retenu les services des
avocats qui le représentent actuellement et l'avis
de requête introductif d'instance visant à obtenir
un bref de certiorari a été déposé et signifié au
début du mois de septembre. Ledit avis a été
soumis au juge en chef adjoint le 31 octobre. Alors
que les parties ont avancé un bon nombre de
motifs soit pour faire annuler soit pour faire con-
firmer la décision rendue par le sous-ministre le 15
octobre 1982, le présent appel ne vise que l'ordon-
nance et les motifs de l'ordonnance du juge en chef
adjoint. L'intimé a semblé satisfait de l'ordon-
nance et des motifs donnés puisqu'il n'a pas inter-
jeté d'appel incident. Par conséquent, il ne faut en
l'espèce qu'examiner les «erreurs» qui, suivant les
appelants, auraient été commises dans cette ordon-
nance. On peut les résumer comme suit:
a) l'intimé a été traité d'une manière équitable
par l'Administration;
b) l'ordonnance reposait sur une mauvaise inter-
prétation des faits;
c) il n'était pas approprié de rendre cette ordon-
nance alors qu'il existait un autre recours;
d) on n'a pas tenu compte de l'attitude des
tribunaux qui hésitent à intervenir dans les rela
tions de travail lorsqu'il existe une procédure de
grief et d'arbitrage pour trancher les différends;
e) l'ordonnance n'aurait pas dû être rendue en
raison de la négligence dont a fait preuve
l'intimé.
Les trois derniers arguments, nous a-t-on dit, ont
été soumis au juge en chef adjoint, même s'il n'a
pas statué expressément sur ceux-ci dans ses
motifs. J'examinerai les points susmentionnés l'un
après l'autre.
L'OBLIGATION D'AGIR ÉQUITABLEMENT
Se référant dans ses motifs à la décision du juge
Mahoney dans l'affaire Quigley, le juge en chef
adjoint a fait remarquer [à la page 2]:
Si je peux paraphraser ces motifs, le fondement de cette
décision est que, bien que Quigley savait pendant les procédures
que sa conduite pourrait faire l'objet de sanctions disciplinaires,
on ne l'avait pas averti qu'il risquait aussi des sanctions pour sa
participation dans les allégations soulevées contre Lewis. Même
s'il existe certaines différences entre les faits de ces deux
situations, il semblerait qu'il soit possible que le résultat soit le
même en l'espèce.
Une tentative de voies de fait par un employé d'Immigration
Canada sur une personne détenue par les autorités de l'Immi-
gration constitue une affaire très grave qui, si elle est confir-
mée, appelle le congédiement. Il est maintenant bien établi que
pendant la tenue de procédures d'enquête de ce genre, l'obliga-
tion de traiter l'accusé de manière équitable comprend son droit
de connaître les arguments auxquels il devra répondre, son droit
à une défense pleine et entière, et celui d'être informé qu'une
décision défavorable pourrait entraîner des mesures disciplinai-
res sévères.
Dans l'affaire qui nous a été soumise, il ne s'agit
pas de savoir si l'intimé avait le droit d'être traité
équitablement. Les appelants soutiennent plutôt
qu'un traitement équitable lui a été accordé et
qu'il n'y a pas lieu de présenter de plainte. L'in-
timé prétend au contraire qu'il n'a pas été traité
équitablement parce qu'il n'a pas été informé,
avant l'interrogatoire fixé, que c'était sa propre
conduite qui faisait l'objet de l'enquête et à quel
égard elle faisait l'objet d'un examen. L'arrêt qui
fait autorité dans ce pays au sujet de l'obligation
d'agir équitablement est le jugement rendu à la
majorité par la Cour suprême du Canada dans
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board
of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311.
Cette affaire concernait le congédiement sommaire
d'un agent de police en stage. Il était évident que,
en qualité d'employé en stage, Nicholson n'avait
pas droit à ce que son cas soit entendu avant la
décision finale. Il faut évidemment examiner le
fondement de cette décision en tenant compte des
circonstances de l'affaire, notamment du fait que,
en tant qu'agent de police, Nicholson était titulaire
d'une charge publique et non simplement l'«em-
ployé» de son employeur. L'obligation de traiter
équitablement une personne a été résumée par le
juge en chef Laskin (à la page 328):
A mon avis, on aurait dù dire à l'appelant pourquoi on avait
mis fin à son emploi et lui permettre de se défendre, oralement
ou par écrit au choix du comité. Il me semble que le comité
lui-même voudrait s'assurer qu'il n'a commis aucune erreur
quant aux faits ou circonstances qui ont déterminé sa décision.
Une fois que le comité a obtenu la réponse de l'appelant, il lui
appartiendra de décider de la mesure à prendre, sans que sa
décision soit soumise à un contrôle ultérieur, la bonne foi étant
toujours présumée. Ce processus est équitable envers l'appelant
et fait également justice au droit du comité, en sa qualité
d'autorité publique, de décider, lorsqu'il connaît la réponse de
l'appelant, si l'on doit permettre à une personne dans sa situa
tion de rester en fonction jusqu'au moment où la procédure lui
offrira une plus grande protection. Le titulaire d'une charge
mérite cette protection minimale, même si son entrée en fonc-
tion est très récente.
Même si l'intimé n'avait pas droit à la panoplie
des garanties découlant des principes de la justice
naturelle, notamment une audition complète de la
plainte, il avait le droit d'être traité équitablement.
En l'espèce, l'enquête sur la plainte relevait d'une
autorité autre que celle qui avait pour fonction de
décider quelle forme de sanction disciplinaire
devait être infligée. Cette séparation du processus
exigeait une prudence particulière de la part du
comité d'enquête s'il ne voulait pas arriver à une
conclusion erronée sur laquelle reposerait une déci-
sion de nature disciplinaire. L'intimé occupait son
poste depuis plusieurs années et rien ne laisse
entendre que son rendement pendant ces années
avait été de quelque manière que ce soit insatisfai-
sant. Il faut reconnaître qu'une allégation de voies
de fait sur un détenu était grave mais, selon moi,
cela constituait une autre raison d'agir équitable-
ment au cours du processus d'enquête. Cependant,
l'intimé ne pouvait évidemment entraver ce proces-
sus en refusant de coopérer si, comme les appe-
lants le prétendent, il avait été informé des actes
qu'on lui reprochait. L'équité exigeait qu'il soit
ainsi informé et qu'on lui donne une occasion
raisonnable de répondre aux arguments avancés
contre lui. À condition que cela ait été fait, l'in-
timé ne pouvait alors avoir aucun motif de se
plaindre. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même
si, en négligeant de raconter sa version des faits au
comité, il avait laissé ledit comité terminer son
enquête comme il le pouvait et faire une recom-
mandation en se fondant sur d'autres éléments de
preuve.
À mon avis, cet aspect de l'appel se résume à
déterminer si, compte tenu du dossier qui nous a
été soumis, l'intimé a été informé des faits qu'on
lui reprochait avant l'interrogatoire fixé au 24
septembre 1982. Les appelants affirment que oui.
Ils soutiennent que Quigley et Wasilewski ont
communiqué à l'intimé les renseignements qui leur
avaient été fournis par le comité d'enquête le 23
septembre. Le 24 septembre 1982, l'intimé, accom-
pagné de son avocat et du représentant syndical,
était présent avec Quigley et son avocat à la séance
du comité. Sur l'avis de leurs avocats, Quigley et
l'intimé ont tous deux refusé d'être interrogés
après avoir soulevé des objections de forme quant
aux pouvoirs conférés au comité par l'alinéa 7(1)i)
de la Loi sur l'administration financière. Les
appelants ne contestent pas la prétention de l'in-
timé portant que, même à ce moment-là, il n'avait
pas été informé par le comité des actes qu'on lui
reprochait.
Si on pouvait me convaincre que les allégations
d'inconduite ont manifestement été transmises à
l'intimé par Quigley et Wasilewski, je n'aurais
aucune hésitation à conclure que l'intimé a été
traité équitablement même si le comité lui-même
n'a pas directement informé l'intimé. Cependant, il
m'est impossible de trouver dans le dossier qui a
été soumis à la Cour des éléments de preuve
établissant clairement que l'intimé a appris les
faits qui lui étaient reprochés aux cours de conver-
sations avec Quigley et Wasilewski. On n'a
demandé à aucune de ces personnes de transmettre
lesdits renseignements à l'intimé. Je ne crois pas
que l'on puisse considérer que leur divulgation à
Wasilewski constitue une divulgation à l'intimé.
Même si celle-ci était apparemment chargée des
deux cas faisant l'objet de l'enquête, elle ne repré-
sentait que Quigley lorsqu'elle a assisté à l'interro-
gatoire du 23 septembre. De plus, il ressort claire-
ment du dossier qu'elle a simplement informé
l'intimé que l'affaire était «sérieuse». Il n'existe
aucune preuve indiquant qu'elle lui a rapporté les
allégations détaillées que lui avaient exposées Best
et Mitchell. La mention de «voies de fait» et du
nom de «Thomas» à l'intimé par Quigley pourrait
laisser croire que les allégations avaient été com
muniquées d'une manière ou d'une autre à l'in-
timé, mais j'estime que la preuve ne démontre pas
vraiment que c'est ce qui s'est réellement produit.
Je ne déduirais pas non plus du fait que l'intimé a
retenu les services d'un avocat qu'il savait que
c'était sa conduite qui faisait l'objet d'une enquête.
Il avait évidemment le droit de consulter un avocat
s'il désirait le faire, et il importe peu que cet
avocat pût ou non se faire entendre devant le
comité ou même, être présent pendant l'interroga-
toire. En outre, vu le témoignage de l'intimé qui a
déclaré que Wasilewski lui avait conseillé «d'aller
voir un avocat, mais [qui lui] a dit qu'elle ne
voulait pas [qu'il] aille en voir un si cela n'était pas
nécessaire» et que «Elle ne savait pas quoi [en]
dire», il n'est peut-être pas étonnant qu'il ait décidé
de retenir les services d'un avocat même s'il l'a fait
à la dernière minute.
Je conclus que, vu que l'intimé n'a pas été mis
au courant des faits qui lui étaient reprochés avant
son interrogatoire fixé au 24 septembre, il n'a pas
été traité d'une manière équitable. De plus, le
comité d'enquête a refusé la collaboration offerte
de façon informelle le 24 septembre par l'avocat de
l'intimé au sujet des renseignements requis dont il
pouvait avoir connaissance. Le comité a plutôt
terminé l'enquête, produit le rapport et recom-
mandé que des mesures disciplinaires soient prises,
sans explorer plus avant cette possibilité de faire
enquête.
LA MAUVAISE INTERPRÉTATION DES FAITS
On a ensuite prétendu que le juge en chef
adjoint a fondé sa décision sur un fait qui n'avait
pas été prouvé dans le dossier qui lui a été soumis,
et que cette erreur qu'il aurait commise apparaît
dans l'observation suivante qu'il a faite dans les
motifs de l'ordonnance rendus en première ins
tance [à la page 3]:
De plus, pendant l'enquête sur Quigley, le président du comité
a précisément, et je pourrais dire à tort, exposé la procédure à
suivre en indiquant que toute mesure disciplinaire découlant de
ses conclusions ferait l'objet d'une audience disciplinaire dis-
tincte. Cette déclaration n'était pas fondée et, en fait, elle n'a
pas été faite au sujet de Quigley. Encore une fois, il est
impossible de déterminer dans quelle mesure cette instruction
ou indication erronée a entraîné de la part du requérant Lewis
des déclarations qu'il n'aurait pas faites autrement. Compte
tenu des circonstances, je ne suis pas convaincu que le requé-
rant Lewis a bénéficié des garanties procédurales qui font
partie de l'obligation de le traiter de manière équitable pendant
ces procédures.
Lorsque le juge en chef adjoint parle de l'indica-
tion erronée portant «que toute mesure discipli-
naire découlant de ses conclusions ferait l'objet
d'une audience disciplinaire distincte», il fait réfé-
rence à la déclaration faite par un membre du
comité, M. Best, le 23 septembre 1982 qui portait
que «avant que toute mesure disciplinaire soit prise
si telle est la décision, il y aura évidemment une
enquête disciplinaire». Je ne doute nullement que
c'est à cette partie du dossier que pensait le juge de
première instance. J'estime tout à fait raisonnable
l'argument de l'intimé selon lequel la mention dans
les motifs de l'ordonnance de «l'enquête sur Qui-
gley» visait l'interrogatoire de Quigley d1.123 sep-
tembre fait pendant «l'enquête sur Lewis». C'est
pourquoi j'estime que le juge en chef adjoint n'a
pas commis d'erreur. Selon mon appréciation des
directives régissant l'enquête, aucune «audience
disciplinaire» n'était envisagée après la fin de l'en-
quête et la présentation du rapport. Il ne restait
plus au sous-ministre qu'à décider s'il y avait lieu
d'imposer une sanction disciplinaire et, le cas
échéant, de déterminer quelle devait être cette
sanction.
Les appelants poussent plus loin cette objection.
Ils soutiennent que la décision du juge de première
instance reposait entièrement sur cette erreur. Je
ne peux souscrire à leur opinion. En premier lieu,
comme je l'ai déjà dit, je ne crois pas que l'on
puisse affirmer qu'il s'agit d'autre chose que d'une
erreur typographique. En second lieu, il est clair
qu'en arrivant à sa décision, le juge visait surtout
l'omission des appelants d'informer l'intimé des
faits qui lui étaient reprochés. Cela ressort claire-
ment de son examen de la décision rendue par la
Division de première instance dans l'affaire Qui-
gley et des remarques qui ont suivi cet examen et
où il a mis l'accent sur «l'obligation de traiter
l'accusé de manière équitable».
LE RECOURS SUBSIDIAIRE
Examinons maintenant l'argument des appelants
selon lequel le juge de première instance a commis
une erreur en accordant un certiorari alors qu'il
existait pour l'intimé un autre recours approprié,
c'est-à-dire l'arbitrage comme le prévoit l'alinéa
91(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans
la Fonction publique:
91. (1) Lorsqu'un employé a présenté un grief jusqu'au
dernier palier de la procédure applicable aux griefs inclusive-
ment, au sujet
b) d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la
suspension ou une peine pécuniaire,
et que son grief n'a pas été réglé d'une manière satisfaisante
pour lui, il peut renvoyer le grief à l'arbitrage.
En fait, lorsque l'intimé a présenté en septembre
1983 sa demande fondée sur l'article 18, le délai
pour produire un Avis de renvoi à l'arbitrage
(formule 32) prescrit au paragraphe 79(1) des
Règlement et règles de procédures de la
C.R.T.F.P. [C.R.C., chap. 1353] adoptés en appli
cation du paragraphe 99(3) de la Loi était échu
depuis plusieurs mois. Les appelants allèguent
donc pour l'essentiel que le fait pour l'intimé
d'avoir laissé passer l'occasion d'obtenir un recours
approprié ne doit pas lui donner maintenant le
droit à un redressement sous la forme d'un certio-
rari comme cela aurait été le cas si le seul moyen
d'obtenir un redressement eût été de s'adresser aux
tribunaux.
Dans sa lettre du 15 octobre 1982, le sous-minis-
tre a informé l'intimé que, suivant l'article 90 de la
Loi, il pouvait «présenter un grief à l'encontre de
[s]a décision dans les 25 jours qui suivent la
réception de la présente». L'intimé a présenté un
grief et suivi les différentes étapes de la procédure
de la présentation des griefs jusqu'au palier final.
Le 26 février 1983, il a reçu la réplique suivante de
son ancien employeur au palier final:
[TRADUCTION] La direction a attentivement revu et examiné
votre grief avec le représentant du SEIC.
La recommandation de vous congédier faite par la direction
locale le 8 octobre 1982 était appropriée compte tenu des
circonstances et a été mise à exécution par la suite.
Votre grief est donc rejeté.
La Loi ne spécifie aucun délai dans lequel la
formule 32 qui engage la procédure d'arbitrage
doit être présentée à la Commission des relations
de travail dans la Fonction publique. Au contraire,
le paragraphe 99(3) de la Loi confère à la Com
mission le pouvoir de fixer elle-même un délai par
règlement. Suivant le paragraphe 79(1) des Règle-
ment et règles de procédure adoptés par la Com
mission, l'intimé devait produire la formule 32 au
greffier. Voici le texte dudit paragraphe:
79. (1) Lorsqu'un grief peut être renvoyé à l'arbitrage en
vertu de l'article 91 de la Loi, un employé peut, au plus tard le
30° jour suivant
a) le jour où il a reçu une réplique au dernier palier de la
procédure applicable aux griefs, ou
b) le dernier jour accordé à l'employeur pour répliquer à
l'exposé de grief au dernier palier de la procédure applicable
aux griefs selon l'article 77,
renvoyer le grief à l'arbitrage en produisant au greffier un avis
en deux exemplaires selon la formule 32 ainsi qu'une copie de
l'exposé de grief qu'il a soumis à son supérieur hiérarchique
immédiat ou son chef de service local au premier palier de la
procédure applicable aux griefs conformément au paragraphe
74(1).
La preuve qui nous a été soumise indique que,
même si l'intimé a rempli la formule 32 quelques
jours seulement après avoir reçu, le 26 février
1983, la réplique de l'employeur au dernier palier
de la procédure et l'a transmise à son syndicat peu
de temps après, il n'a pas produit ladite formule au
greffier dans le délai prescrit. De plus, rien dans la
preuve ne montre que la Commission a prorogé le
délai de production de l'avis comme le lui permet
le paragraphe 89(1) des Règlement et règles de
procédure.
Selon la preuve qui nous a été présentée, il
semble que le syndicat n'ait pas traité la formule
32 parce que l'intimé l'a informé qu'il avait retenu
les services d'un avocat pour «poursuivre l'affaire
jusqu'au bout». En outre, l'intimé paraissait satis-
fait de chercher à réintégrer son poste sans suivre
la procédure d'arbitrage parce qu'il croyait que la
décision de la Division de première instance dans
l'affaire Quigley s'appliquait avec égale force à
son grief. Dans cette affaire, en accordant un
certiorari, le juge Mahoney a déclaré dans ses
motifs de jugement en date du 22 février 1983 (à
la page 6):
On a prétendu pour le compte de l'intimé que la Cour ne
devrait pas exercer le pouvoir discrétionnaire qu'elle possède
d'accorder le certiorari à cause du droit que possède le requé-
rant de contester la décision par voie de grief. En réalité, il l'a
ainsi contesté. Les cours hésitent d'habitude à se mêler de
conflits industriels dont la solution dépend de procédures spé-
ciales, même lorsque leur compétence n'est pas écartée par une
disposition législative ou contractuelle expresse. L'un des motifs
de cette hésitation serait l'expertise des tribunaux spécialisés.
En l'espèce, la question porte sur l'équité dans la procédure, un
domaine qui, je le dis avec égard, relève de la spécialisation des
tribunaux, si telle spécialisation existe. Décider que le processus
qui a abouti au congédiement du requérant ne lui a pas fourni
le degré nécessaire d'équité n'équivaut pas, cela va de soi, à
décider que son congédiement n'était pas pleinement justifié
quant au fond.
Peu après cette décision, l'employeur de Quigley a
réinstallé ce dernier dans son ancien poste. Quigley
a par conséquent retiré son grief qui avait atteint
seulement le niveau de l'arbitrage mais qui n'avait
pas encore été débattu ni tranché.
Je souscris à la prétention des appelants voulant
que, dans un cas comme l'espèce qui comporte
l'existence d'un autre recours possible, l'intimé
n'avait pas droit, légalement parlant, à un certio-
rari. En d'autres termes, la décision d'accorder un
tel redressement est un pouvoir discrétionnaire
(P.P.G. Industries Canada Ltd. c. P.G. du
Canada, [1976] 2 R.C.S. 739, la page 749). Par
contre, il est évident que, du point de vue légal,
l'autre recours doit être approprié, sinon le pouvoir
discrétionnaire peut être exercé en faveur du
requérant. Les tribunaux doivent examiner bon
nombre d'éléments pertinents pour déterminer s'il
existe un autre recours approprié (et de là, s'il y a
lieu de refuser le redressement que constitue un
certiorari). Cela ressort clairement d'une décision
rendue à la majorité par la Cour suprême du
Canada dans Harelkin c. Université de Regina,
[1979] 2 R.C.S. 561. Il s'agissait dans cette affaire
d'un déni de justice naturelle par un comité infé-
rieur créé en vertu de l'alinéa 78(1)c) de la loi
applicable, et du recours possible à une nouvelle
audition lors d'un appel interjeté devant un comité
supérieur du sénat de l'université créé en vertu de
l'alinéa 33(1)e). Au lieu de présenter sa plainte au
cours d'une audience devant le comité supérieur,
l'appelant a présenté une demande de mandamus
et de certiorari à la Cour du Banc de la Reine de
la Saskatchewan et il a obtenu le redressement
demandé. Ce redressement fut toutefois de courte
durée, la Cour d'appel de la Saskatchewan ayant
infirmé la décision l'accordant. En confirmant la
décision de la Cour d'appel, le juge Beetz a énu-
méré quelques-uns des facteurs dont une cour doit
tenir compte pour décider dans un cas de ce genre
s'il existe un autre recours approprié. Il a dit (à la
page 588):
Pour évaluer si le droit d'appel de l'appelant au comité du
sénat constituait un autre recours approprié et même un meil-
leur recours que de s'adresser aux cours par voie de brefs de
prérogative, il aurait fallu tenir compte de plusieurs facteurs
dont la procédure d'appel, la composition du comité du sénat,
ses pouvoirs et la façon dont ils seraient probablement exercés
par un organisme qui ne constitue pas une véritable cour
d'appel et qui n'est pas tenu d'agir comme s'il en était une, ni
n'est susceptible de le faire. D'autres facteurs comprennent le
fardeau d'une conclusion antérieure, la célérité et les frais.
En plus de ces facteurs, le juge a insisté sur
l'intention générale de la législature telle qu'elle
est exprimée dans la loi applicable qui favorise le
règlement interne des différends sans avoir recours
aux tribunaux. Il a fait remarquer (aux pages 595
et 596):
Les alinéas 78(1)c) et 33(1)e) sont à mon avis dictés par
l'intention générale de la législature qui préfère que les plaintes
internes soient jugées à l'intérieur même de l'université par les
moyens prévus à la Loi, laissant ainsi à l'université la chance de
corriger ses propres erreurs, conformément à l'autonomie tradi-
tionnelle des universités, avec célérité et moyennant des frais
peu élevés pour le public et les membres de l'université. Bien
qu'elles n'équivalent pas à des clauses privatives, des disposi
tions comme les art. 55, 66, 33(1)e) et 78(1)c) préviennent
clairement les cours de faire preuve de réserve et de ne pas se
hâter à intervenir dans les affaires de l'université en émettant
des brefs discrétionnaires chaque fois que l'université peut
encore corriger ses erreurs par ses propres moyens. En faisant
preuve de réserve, les cours ne refusent pas d'assurer l'applica-
tion des obligations statutaires imposées aux organes directeurs
de l'université. Elles exercent simplement leur pouvoir discré-
tionnaire de façon à réaliser l'intention générale de la législa-
ture. Pour résoudre cette affaire, j'estime qu'il faut considérer
cette intention comme un élément des plus importants, en fait
comme l'élément déterminant lorsqu'on l'examine de concert
avec les autres.
La Cour a ensuite statué à la majorité que le
recours prévu par la loi, qui permettait d'être
entendu de nouveau et de soumettre de nouvelles
preuves devant un comité supérieur, était appro-
prié dans les circonstances. En concluant ainsi, le
juge Beetz a exposé le principe régissant l'exercice
du pouvoir discrétionnaire dans un cas de ce genre
(à la page 593):
Les cours ne doivent pas se servir de leur pouvoir discrétion-
naire pour favoriser les retards et les dépenses à moins qu'elles
ne puissent faire autrement pour protéger un droit. Le juge
O'Halloran dans The King ex rel. Lee v. Workmen's Compen
sation Board ([1942] 2 D.L.R. 665), aux pp. 677 et 678, a
donné un avis juste sur la question; il vise le mandamus mais
s'applique également au certiorari:
[TRADUCTION] Dès qu'il apparaît qu'un organisme public a
omis ou refusé d'exercer une obligation statutaire à laquelle a
droit une personne, le mandamus est alors émis ex debito
justitiae, s'il n'y a aucun autre recours approprié. ... Si au
contraire il existe un autre recours approprié, l'émission du
mandamus est discrétionnaire, mais est régie par des motifs qui
contribuent à une administration de la justice rapide, peu
coûteuse et efficace ... (C'est moi qui souligne.)
Afin de déterminer s'il existait un recours
approprié en l'espèce, il est nécessaire d'examiner
certaines dispositions de la Loi et du Règlement
concernant le renvoi à l'arbitrage d'un grief résul-
tant du congédiement. Les dispositions les plus
importantes à cet égard sont celles de l'article 96
de la Loi qui porte notamment:
96. (1) Lorsqu'un grief est renvoyé à l'arbitrage, l'arbitre
doit donner aux deux parties au grief l'occasion d'être
entendues.
(2) Après avoir étudié le grief, l'arbitre doit rendre une
décision à son sujet et
a) en faire parvenir copie à chaque partie et à son représen-
tant ainsi qu'à l'agent négociateur, s'il en est, pour l'unité de
négociation à laquelle appartient l'employé qui a présenté le
grief, et
b) remettre une copie de la décision au secrétaire de la
Commission.
(3) Dans le cas d'un conseil d'arbitrage, une décision de la
majorité des membres au sujet d'un grief constitue une décision
du conseil à ce sujet. Le président du conseil doit signer cette
décision.
(4) Lorsqu'une décision au sujet d'un grief renvoyé à l'arbi-
trage exige qu'une mesure soit prise par l'employeur ou de sa
part, l'employeur doit prendre cette mesure.
Il vaut la peine de remarquer en l'espèce que,
suivant le paragraphe 96(1), l'intimé aurait pu se
voir accorder «l'occasion d'être entendu» par un
arbitre. Par contraste, il avait seulement droit à ce
que son employeur le traite d'une manière équita-
ble en arrivant à sa décision de le congédier. Alors
que les différents paliers de décision dans la procé-
dure de grief n'exigeaient qu'un examen par l'em-
ployeur, la Loi exige que dans une procédure
d'arbitrage la décision soit rendue par un tiers
indépendant. De même, en vertu de cette procé-
dure, les parties peuvent citer des témoins à com-
paraître au cours d'une audience tenue devant un
arbitre. Fait révélateur, le paragraphe 96(4) de la
Loi oblige l'employeur à prendre la mesure exigée
dans la décision d'un arbitre. Ainsi, selon moi, un
arbitre aurait pu obliger l'employeur en l'espèce à
réinstaller l'intimé dans son poste s'il avait jugé
que cela était approprié dans les circonstances.
L'intervention de la Commission pour faire respec-
ter la décision d'un arbitre est prévue au paragra-
phe 96(6) de la Loi.
Compte tenu de ces dispositions, il m'est difficile
de conclure que le paragraphe 91(1) de la Loi ne
fournissait pas à l'intimé un autre recours appro-
prié qui aurait pu remédier à l'iniquité dans les
procédures dont il se plaint. Pour l'essentiel, la
plainte de l'intimé porte qu'au cours des étapes qui
ont mené à la décision de le congédier, son
employeur a refusé de le traiter d'une manière
équitable. La tenue d'une audience complète dont
l'intimé pouvait se prévaloir au cours du processus
d'arbitrage ainsi que la possibilité d'être acquitté
d'inconduite et d'être réinstallé dans son poste
auraient pu, à mon avis, corriger le vice de procé-
dure dans l'enquête qui a conduit à cette décision.
Si, comme la Cour l'a statué dans l'affaire Harel-
kin, il était possible de corriger le déni de justice
naturelle commis par un comité inférieur en tenant
une nouvelle audience devant un comité supérieur,
il aurait été selon moi possible de remédier au déni
d'équité dans les procédures commis par l'em-
ployeur en l'espèce en tenant une audience com-
plète devant un arbitre. Dans cette affaire, après
avoir cité et endossé le jugement du juge Spence
dans King v. University of Saskatchewan, [1969]
R.C.S. 678, la page 689, le juge Beetz a ajouté
(à la page 582):
Mais dans l'arrêt King, le comité du sénat constituait en
pratique la juridiction de dernière instance et le juge Spence a
formulé un principe général en statuant que le déni de justice
naturelle commis dans les procédures antérieures pouvait être
corrigé en appel et, implicitement mais forcément, que la
décision portée en appel n'était pas frappée de nullité absolue
puisqu'il était possible d'en appeler. (Voir également Re Clark
and Ontario Securities Commission, où le juge Wells de la
Cour d'appel de l'Ontario a jugé que le défaut d'observer les
règles de justice naturelle dans les premières procédures pouvait
être corrigé en appel devant une commission administrative;
voir Re Pollen and Governing Council of the University of
Toronto, où le juge Weatherston de la Cour divisionnaire de
l'Ontario a dit (à la p. 216) que [TRADUCTION] «si le dernier
appel est en fait un nouveau procès et non un appel au sens
habituel, je ne vois pas pourquoi l'absence de justice naturelle
au niveau intermédiaire n'est pas corrigée».)
Sont au même effet les décisions du Conseil privé
dans Pillai v. Singapore City Council, [1968] 1
W.L.R. 1278, et dans Calvin v. Carr, [ 1980] A.C.
574, où sont examinées un bon nombre de déci-
sions rendues sur ce sujet en Angleterre et dans les
pays du Commonwealth.
Le dernier aspect de cet argument concerne le
fait incontesté que lorsque l'intimé a présenté sa
demande fondée sur l'article 18 en septembre 1983
(après avoir retenu les services d'un nouvel
avocat), le délai pour renvoyer son grief à l'arbi-
trage était échu depuis longtemps. Ce fait consti-
tuait-il un motif pour accorder un certiorari? À
mon avis, non. L'occasion d'obtenir l'autre recours
s'est présentée à l'intimé qui l'a laissée passer en
omettant de produire au greffier de la Commission
la formule 32 dans le délai prescrit. Il est possible
qu'il ait agi ainsi sur l'avis de son premier avocat
qui, semble-t-il, lui a conseillé de chercher à obte-
nir un redressement en procédant de manière
informelle. Cela ne constitue pas à mon avis une
excuse pour avoir omis de produire l'avis requis
dans le délai prescrit. S'il avait agi ainsi, il lui
aurait été assez facile d'utiliser l'autre recours
prévu au paragraphe 91(1) de la Loi au cas où,
comme cela s'est produit, la méthode informelle
aurait échoué. Je suis tout à fait incapable de voir
comment cette omission de la part de l'intimé
lui-même de protéger son droit à l'arbitrage prévu
par la loi pourrait maintenant constituer un motif
suffisant pour que la Cour rende une ordonnance
annulant la décision de le congédier, malgré le fait
qu'une allégation grave d'inconduite commise par
l'intimé en sa capacité d'agent d'immigration reste
pendante et n'est pas réfutée.
Même s'il est également vrai que l'intimé a été
congédié de son poste d'agent d'immigration sans
être traité d'une manière équitable, il disposait, s'il
avait pris la peine d'y recourir, d'un moyen prévu
par la loi susceptible de corriger ce défaut, c'est-à-
dire l'arbitrage. L'omission d'agir ainsi dans le
délai imparti ne devrait pas, à mon avis, donner
droit à l'intimé au recours discrétionnaire que
constitue un certiorari annulant la décision du
sous-ministre. À cet égard, le raisonnement du
juge Walsh dans l'arrêt La Commission cana-
dienne des droits de la personne c. Jones, [1982] 1
C.F. 738 (1 r° inst.), me semble s'appliquer à un cas
de ce genre, même s'il s'agissait dans cette affaire
du refus de la Division de première instance d'ac-
corder un mandamus alors que la requérante avait
négligé d'interjeter appel dans le délai prévu par la
loi. Le juge a dit (aux pages 750 et 751):
La requérante n'a pas interjeté appel et elle admet qu'il est
maintenant trop tard pour le faire. La requérante a cité la
décision de la Cour suprême Harelkin c. L'université de Regina
où, par une décision de 4 contre 3, la Cour a décidé que bien
qu'il y ait eu infraction à la règle audi alteram partem lorsque
l'étudiant fut expulsé de l'université, son droit d'appel devant le
sénat de l'université constituait le recours approprié en l'espèce,
de préférence à une demande de certiorari et de mandamus. La
requérante établit une distinction entre cette affaire et la
présente espèce en citant le passage suivant des motifs du juge
Beetz, page 567, qui rendait le jugement majoritaire:
Mais je ne peux admettre ... ni que la demande de certiorari
et de mandamus de l'appelant aurait dû être accueillie. Il
était, et il l'est encore, plus avantageux pour l'appelant de se
prévaloir de son droit d'appel devant le comité du sénat; il
aurait dû l'exercer.
En l'espèce, ce droit d'appel n'existe plus. Toutefois, je ne crois
pas que la compétence de la Cour devrait être reconnue dans le
cadre d'une requête en mandamus, compétence qu'elle n'aurait
pas autrement uniquement parce que la requérante n'a pas fait
preuve de diligence dans l'exercice du droit d'appel dont elle
disposait. Une telle conclusion permettrait à la requérante au
cas où elle préférerait faire examiner et casser une décision du
tribunal avec laquelle elle ne serait pas d'accord au moyen d'un
bref de prérogative devant la Division de première instance de
la Cour fédérale plutôt que d'exercer son droit d'appel prévu à
l'article 42.1 de la Loi, d'attendre tout simplement que le délai
d'appel soit expiré avant de demander un bref de prérogative.
Je ne veux pas insinuer que la requérante ait eu cette arrière-
pensée en l'espèce; mais il me semble néanmoins que lorsqu'une
loi prévoit un droit d'appel, c'est là le recours approprié qu'il
faut exercer plutôt que de demander à la Cour fédérale un bref
de mandamus, qui n'est pas censé être une solution de
remplacement.
Avant de laisser de côté cet aspect de l'appel, je
souhaite également faire remarquer que, avant de
présenter sa demande fondée sur l'article 18, l'in-
timé n'a pas montré qu'il avait cherché à obtenir
auprès de la Commission des relations de travail
dans la Fonction publique, sans y réussir toutefois,
une prorogation du délai pour produire la formule
32. II ressort de la lecture du paragraphe 89(1) des
Règlement et règles de procédure qu'il autorisait
la Commission à accorder une telle prorogation de
délai avant ou après que le délai prescrit soit
écoulé. A mon avis, le défaut de l'intimé de présen-
ter une demande en vertu du paragraphe 89(1)
ressemble quelque peu au défaut de chercher à
obtenir l'autorisation d'interjeter appel lorsqu'une
loi prévoit un recours sous la forme d'un appel,
mais sur autorisation seulement. On a statué dans
un cas de ce genre que la personne qui cherche à
obtenir un certiorari n'a pas droit à un tel redres-
sement lorsqu'il est possible d'utiliser un autre
recours en obtenant l'autorisation pour ce faire (R.
v. R. (T.) (1983), 28 Alta L.R. (2d) 383 (B.R.)).
Comme je l'ai déjà fait remarquer, l'intimé ne
peut, à mon avis, obtenir le redressement discré-
tionnaire que constitue un certiorari lorsque, en
raison de son manque de diligence, il n'a pas agi de
manière à obtenir l'autre recours que constitue
l'arbitrage prévu par la loi.
J'estime que l'appel devrait être accueilli pour ce
motif et que l'ordonnance rendue en première ins
tance devrait être annulée.
LES AUTRES ARGUMENTS
Étant donné ma conclusion selon laquelle l'or-
donnance rendue en première instance devrait être
annulée pour le motif que l'intimé en omettant de
se prévaloir d'un recours approprié n'avait pas
droit à une telle ordonnance, il devient inutile
d'examiner les deux autres arguments avancés par
les appelants contre celle-ci. En invoquant ces
arguments, les appelants cherchaient à faire annu-
ler ladite ordonnance premièrement, pour le motif
que la Division de première instance était interve-
nue dans une méthode prévue par la loi pour le
règlement interne du différend entre l'intimé et son
ancien employeur et deuxièmement, parce que,
étant donné que l'intimé avait fait preuve de négli-
gence en présentant sa demande fondée sur l'arti-
cle 18, on devait lui refuser le redressement qu'il
demandait. Le premier de ces arguments soulève
des questions semblables à celles examinées plus
haut au sujet de l'existence d'un autre recours
approprié, avec une importante différence toute-
fois. Il est allégué en l'espèce que la Cour n'aurait
pas dû intervenir en accordant un bref de certio-
rari lorsque les parties au différend disposaient en
vertu de la loi d'une autre méthode pour trancher
le grief, c'est-à-dire la procédure d'arbitrage. Je
doute que la théorie de la négligence soit applica
ble, compte tenu du dossier et des explications
données par l'intimé pour justifier son retard à ne
présenter sa demande fondée sur l'article 18 qu'en
septembre 1983, même s'il avait reçu en février de
la même année la réplique de son ancien
employeur au dernier palier de la procédure de
grief.
Pour les motifs qui précèdent, j'accueillerais le
présent appel avec dépens en appel et en première
instance, et j'annulerais l'ordonnance de certiorari
rendue par le juge en chef adjoint le 20 janvier
1984.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
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