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T-7306-82
Charles Lawrence LeBar (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: LEBAR c. CANADA
Division de première instance, juge Muldoon - Kingston (Ontario), 2 octobre 1986; Ottawa, 12 janvier 1987.
Couronne - Responsabilité délictuelle - Emprisonnement arbitraire - La Couronne a refusé ou omis de permettre au demandeur de bénéficier de la récente décision par laquelle la Cour d'appel fédérale a établi une «nouvelle» méthode de calcul des peines - Le fait que le demandeur a dévalué sa propre liberté au moyen d'agissements criminels a été pris en considération dans la fixation des dommages-intérêts géné- raux - Des dommages-intérêts exemplaires importants ont été accordés pour un abus de pouvoir qui ne repose sur aucun fondement constitutionnel - Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 24.2 (ajouté par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41) - Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 14(1) (mod. par S.R.C. 1970 (1e 1 Supp.), chap. 31, art. 1; 1977-78, chap. 22, art. 19) - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 137 (mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 9; 1976-77, chap. 53, art. 6) - Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 338(2), 1708, 1711.
Libération conditionnelle - La Couronne est tenue, à la suite d'une décision d'appel établissant une méthode de calcul des peines, d'appliquer immédiatement cette méthode à tous les cas en cours - La Couronne a refusé ou omis de calculer de nouveau, selon la «nouvelle» méthode, la date de mise en liberté du demandeur - Des dommages-intérêts généraux et exemplaires ont été accordés pour emprisonnement arbitraire - Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 24.2 (ajouté par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41) - Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 14(1) (mod. par S.R.C. 1970 (1e 1 Supp.), chap. 31, art. 1; 1977-78, chap. 22, art. 19) - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 137 (mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 9; 1976-77, chap. 53, art. 6).
Pratique - Jugements et ordonnances - Jugement décla- ratoire portant interprétation d'une disposition législative con- cernant le calcul des peines - Rejet de l'argument selon lequel il est loisible à la Couronne de ne pas tenir compte d'un jugement déclaratoire, à moins que chaque personne se trou- vant dans la même situation n'obtienne son propre jugement. déclaratoire - Question de stare decisis plutôt que de chose jugée - Précédent obligatoire lorsque la même question se pose dans une affaire ultérieure.
Pendant que le demandeur purgeait une peine d'emprisonne- ment pour avoir commis un vol à main armée et pour s'être évadé de prison, la Cour d'appel fédérale a, le 19 juillet 1982, dans l'affaire Maclntyre c. La Reine, [1983] 1 C.F. 603, établi une méthode de calcul des peines d'emprisonnement restant à purger dans un cas une des peines a été imposée pour évasion. La Couronne n'a ni demandé l'autorisation d'interjeter
appel devant la Cour suprême du Canada ni cherché à retarder l'entrée en vigueur du jugement. Si cette décision avait été appliquée au cas du demandeur, il aurait été en droit d'être remis en liberté le 10 août 1982, plus de deux mois plus tôt que sa «date prévue de mise en liberté», soit le 22 octobre 1982. La décision Maclntyre a été rendue trois semaines avant la «nou- velle» date de mise en liberté selon la «nouvelle» méthode de calcul des peines.
Bien que l'avocat du demandeur ait informé le Service correctionnel Canada que, selon la décision Maclntyre, son client devait être mis en liberté immédiatement, le demandeur n'a été libéré que le 22 septembre 1982, soit quarante-trois jours après qu'il aurait être libéré selon la méthode de calcul nouvellement établie.
Il s'agit d'une action en jugement déclaratoire et en domma- ges-intérêts généraux et exemplaires pour négligence et empri- sonnement arbitraire.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
La question qui se pose en l'espèce est la même que celle soulevée dans l'affaire Maclntyre: l'interprétation judiciaire du membre de phrase «la peine qu'il purge alors» figurant à l'article 24.2 de la Loi sur les pénitenciers relativement aux dispositions du paragraphe 14(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus et à celles des paragraphes 137(1) et (2) du Code criminel qui portent sur le délit d'évasion. La décision Maclntyre, bien qu'elle ait donné lieu «seulement» à un jugement déclaratoire, constitue un précédent obligatoire sinon en vertu de la chose jugée, étant donné qu'il n'y a pas identité de parties, à tout le moins en vertu du stare decisis. Elle a clarifié une partie de la méthode de calcul des peines d'empri- sonnement qui, étant donné la complexité et la dispersion de la loi, exige des réformes.
Le jugement de la Division d'appel dans l'affaire Maclntyre a pris effet lors de sa signature par le juge et, dès lors, il posait la règle sur cet aspect du calcul des peines de façon toute aussi péremptoire que s'il s'agissait d'une disposition législative. Du retard inexpliqué dans la libération du demandeur, on ne peut conclure qu'à la négligence et au mépris intentionnel ou injusti- fié du droit de ce dernier à la liberté.
Les dommages-intérêts généraux pour négligence devraient être fixés sur une base journalière. Le demandeur devrait cependant être indemnisé uniquement selon la valeur de ce dont il a été privé. Étant donné le casier judiciaire du demandeur et le fait qu'il a passé plus de vingt ans en prison, le montant des dommages-intérêts généraux pour la liberté que le demandeur lui-même a si manifestement méprisée tant avant qu'après sa «nouvelle» date de mise en liberté est fixé à $ 10 par jour (le double du salaire journalier d'un détenu dans un pénitencier), soit un total de $ 430.
Des dommages-intérêts exemplaires devraient être accordés parce que l'emprisonnement illégal du demandeur constitue, de la part des préposés de la défenderesse, un abus de pouvoir qui ne repose sur aucun fondement constitutionnel. Injustifiée par les faits, leur inconduite est juridiquement injustifiable. Compte tenu de la jurisprudence, le montant des dommages-intérêts exemplaires est fixé à $ 10,000.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Maclntyre c. La Reine, [ 1983] 1 C.F. 603 (C.A.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Emms c. La Reine et autre, [1979] 2 R.C.S. 1148; 102 D.L.R. (3d) 198; Can. Transport (U.K.) Ltd. v. Alsbury and Atty.-Gen of B.C. (1952-53), 7 W.W.R. (N.S.) 49 (C.A.C.-B.); Liberty Ornamental Iron Ltd. c. B. Fertle- man & Sons Ltd., [1977] 1 C.F. 584 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Cavanaugh c. Le commissaire des pénitenciers, [1974] 1 C.F. 515 (1fe inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Canadian Warehousing Association v. The Queen, [1969] R.C.S. 176; Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; 102 D.L.R. (3d) 193; Ministre de l'Emploi et
'37- l'Immigration c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (C.A.); Maxie c. Commission nationale des libérations condi- tionnelles, [1985] 2 C.F. 163 (1'° inst.); Tanner v. Norys, [1979] 5 W.W.R. 724 (C.S. Alb.); infirmé par [1980] 4 W.W.R. 33 (C.A. Alb.), autorisation d'appeler refusée [1980] 1 R.C.S. xii; Hejduk v. R. in Right of B.C., [1981] 4 W.W.R. 122 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
Dyson v. Attorney -General, [1911] 1 K.B. 410; [1912] 1 Ch. 158 (C.A.); Bradley v. Town of Woodstock (1978), 22 N.B.R. (2d) 45 (B.R.); Campbell v. S.S. Kresge Co. Ltd. et al. (1976), 74 D.L.R. (3d) 717 (C.S.N.-E.); Eagle Motors (1958) Ltd. v. Makaoff, [1971] 1 W.W.R. 527 (C.A.C.-B.); Bahner v. Marwest Hotel Co. Ltd. and Muir (1970), 75 W.W.R. 729 (C.A.C.-B.); Roberts v. Buster's Auto Towing Service Ltd. et al. (1976), 70 D.L.R. (3d) 716 (C.S.C.-B.); Hayward v. F.W. Woolworth Co. Ltd. et al. (1979), 98 D.L.R. (3d) 345 (C.S.T: N.); Carpenter & al. v. MacDonald & al. (1978), 21 O.R. (2d) 165 (C. dist. Ont.).
AVOCATS:
Fergus J. O'Connor pour le demandeur. Donald J. Rennie pour la défenderesse.
PROCUREURS:
O'Connor, Ecclestone & Kaiser, Kingston (Ontario), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Le demandeur intente la présente action pour obtenir une indemnité et des
dommages-intérêts exemplaires pour négligence ou pour le fait dommageable intentionnel qu'est l'em- prisonnement illégal. Son action est accueillie, mais pas pour les sommes qu'il demande, et il a droit à ses dépens de la présente action.
La déclaration du demandeur, ainsi que sa requête en injonction provisoire enjoignant sa mise en liberté, et son affidavit à l'appui de cette requête, ont été déposés à la Cour le 14 septembre 1982. La présentation de la requête était prévue pour le 23 septembre 1982. Dans son interroga- toire principal (page 17 de la transcription), le demandeur s'est rappelé qu'il avait été libéré du pénitencier le jour précédant celui il devait aller en Cour, ce qui situe sa mise en liberté au 22 septembre 1982.
Au cours de l'été 1982, le demandeur purgeait une peine d'emprisonnement de 14 ans pour avoir commis un vol à main armée, et une peine ulté- rieure à laquelle il avait été condamné pour éva- sion aux termes de l'article 137 du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34 (mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 9; 1976-77, chap. 53, art. 6)]. Les avocats des parties ont convenu (page 3 de la transcription) que la date prévue de mise en liberté du demandeur était le 22 octobre 1982.
Le 19 juillet 1982, la Division d'appel de cette Cour a rendu sa décision dans l'affaire Maclntyre c. La Reine, [1983] 1 C.F. 603. Au procès, les avocats des parties respectives ont convenu (page 2 de la transcription) que le paragraphe 3 de la défense pourrait être modifié pour porter ce qui suit, et ils sont tombés d'accord là-dessus:
[TRADUCTION] 3. ... Cet arrêt, si on l'appliquait au cas du demandeur, aurait pour conséquence de modifier le calcul de sa peine, de manière à le rendre admissible à une mise en liberté le 10 août 1982.
Les dates saillantes peuvent être classées comme suit:
1982 —Été—les parties s'attendaient à ce que le demandeur soit en droit d'être libéré de l'établissement de Collins Bay le 22 octobre 1982;
19 juillet —La Cour d'appel fédérale a rendu son arrêt unanime dans l'affaire Maclntyre c. La
Reine, [1983] 1 C.F. 603;
10 août —Date régulière de la mise en liberté du demandeur selon l'interprétation législative faite dans l'affaire Maclntyre;
13 août —On a signifié au Service correctionnel Canada, par l'entremise du préposé à la gestion des peines de l'établissement de Col- lins Bay (tous sont des préposés de la défen- deresse) que l'arrêt Maclntyre avait pour conséquence de modifier la durée de la peine du demandeur et que, de l'avis de son avocat, ce dernier devait être libéré immé- diatement; (page 4 de la transcription)
14 septembre —Dépôt de la déclaration et de l'avis de requête en injonction provisoire, la présenta- tion de celle-ci était prévue pour le 23 septembre;
22 septembre —Le demandeur a obtenu sa mise en liberté: —L'avocat de la défenderesse a confirmé le consentement au retrait par le demandeur de la requête susmentionnée, sans dépens;
3 mars 1983 —Dépôt de la défense; et
11 avril —Désistement de l'action à l'égard de tous les défendeurs, à l'exception de Sa Majesté. (L'intitulé de la présente action a été modi- fié en conséquence.)
L'instruction de la présente action a eu lieu le 2 octobre 1986 Kingston (Ontario). Le temps con- sidérable qui s'est écoulé entre la date à laquelle la présente action a été intentée en 1983 et son instruction en 1986 tient probablement à ce que le demandeur a été déclaré coupable d'introduction par effraction en mars 1983. Le demandeur a expliqué cette situation dans son témoignage qui est consigné aux pages 26 28 de la transcription. Le demandeur a déposé qu'il a été mis en liberté le 5 septembre 1986 ou vers cette date et qu'il aurait pu presque se trouver dans l'impossibilité d'assister à son procès en octobre à cause du mauvais calcul de sa période d'emprisonnement, qui aurait duré jusqu'en décembre 1986, si son avocat n'avait pas réussi à faire corriger l'erreur.
RESPONSABILITÉ
L'avocat de la défenderesse soutient que la Cou- ronne n'est pas juridiquement responsable des 43 jours supplémentaires que le demandeur a passés au pénitencier, soit la période allant du 11 août 1982 au 22 septembre 1982 inclusivement. Selon lui, la méthode de calcul de la période d'emprison- nement qui avait été déterminée dans l'affaire Maclntyre ne s'appliquait pas au demandeur, et les préposés de la Couronne n'étaient pas tenus de l'appliquer à ce dernier, ce qui fait que la Cou- ronne n'est pas responsable de leur omission de le faire. Le fondement de la prétention de la défende-
resse ne consiste pas à nier que la méthode pres- crite de calcul s'applique au cas du demandeur. Elle s'appliquait et s'appliquerait toujours à ces cas. Il s'agit d'un facteur décisif. L'avocat de la défenderesse n'a produit aucun élément de preuve au procès. Les faits n'expliquent pas la conduite des préposés de la défenderesse et, comme on remarquera, cette conduite ne peut s'expliquer sur le plan juridique. Les deux avocats sont louables d'avoir reconnu que la date de mise en liberté du demandeur était le 10 août 1982, date à laquelle ils sont arrivés seulement en appliquant l'interpré- tation que la Division d'appel avait donnée de la loi dans l'affaire Maclntyre.
La défenderesse soutient essentiellement que, l'affaire Maclntyre ayant donné lieu à un juge- ment déclaratoire, elle ne revêt pas et ne revêtait pas [TRADUCTION] «un caractère contraignant à l'égard de la Couronne, qu'aucune obligation ne découle d'un jugement déclaratoire» (page 62 de la transcription). L'avocat de la défenderesse recon- naît que, en pratique, les autorités gouvernementa- les exécutent les jugements déclaratoires à l'égard de toutes les personnes se trouvant dans la même situation qu'un demandeur ayant gain de cause, mais il affirme obstinément que, en droit, il est tout à fait loisible à la Couronne de ne pas tenir compte d'un tel jugement déclaratoire à moins que chaque personne se trouvant dans la même situa tion ne se constitue demanderesse et n'obtienne son propre jugement déclaratoire. Il a laissé entendre (page 67 de la transcription) [TRADUCTION] «que l'exposé de droit va dans ce sens: Même à l'égard de Maclntyre, un jugement déclaratoire à lui seul ne garantit pas la mise en liberté étant donné la nature d'[un] tel jugement. À proprement parler, il devrait joindre ce dernier à une demande d'habeas corpus ou de tout autre redressement coercitif. Bien entendu, M. Maclntyre n'a pas eu à le faire.» Il convient de souligner que le redressement pour- rait prendre la forme d'un mandamus ou d'une injonction (comme le demandeur l'a demandé en l'espèce) devant cette Cour, qui tend au même effet que le bref d'habeas corpus qu'une cour supérieure provinciale pourrait décerner. L'avocat du demandeur a choisi les procédures les plus appropriées en intentant une action pour solliciter simultanément un jugement déclaratoire, une injonction et des dommages-intérêts, dans le des- sein d'éviter une multiplicité des actions.
L'avocat de la défenderesse a effectivement reconnu que, si seulement le demandeur dans l'af- faire Maclntyre avait agi sous l'empire des Règles 1708 et 1711 [Règles de is Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], à titre de représentant pour son propre compte, celui de Maclntyre et de tous les autres prisonniers purgeant une peine pour évasion, s'étant évadés avant la date pertinente, cette même défenderesse aurait très bien pu se trouver liée par l'arrêt Maclntyre à l'égard du demandeur à l'ins- tance, LeBar (pages 72 à 74 de la transcription). Dans cette éventualité, a-t-il souligné, la Règle 1711(4) aurait eu pour effet de donner à l'arrêt Maclntyre force de chose jugée entre la Couronne et le demandeur à l'instance.
À l'appui des prétentions de la défenderesse, l'avocat cite la jurisprudence, les lois et les ouvra- ges suivants:
Dyson v. Attorney -General, [1911] 1 K.B. 410; [1912] 1 Ch. 158 (C.A.);
Canadian Warehousing Association v. The Queen, [1969] R.C.S. 176;
Cavanaugh c. Le Commissaire des pénitenciers, [1974] 1 C.F. 515 (1re inst.);
Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; (1974), 47 D.L.R. (3d) 544;
Emms c. La Reine et autre, [1979] 2 R.C.S. 1148; 102 D.L.R. (3d) 193;
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, article 33;
Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S-19; (ler Supp.), chap. 44; S.C. 1974-75-76, chap. 18, articles 14 et 64;
Zamir, The Declaratory Judgment, Stevens & Sons, London 1962, pages 1 à 3, 247 à 252, 282 à 284;
Sarna, L., The Law of Declaratory Judgments, Carswell, 1978, pages 87, 176 à 178.
Il appert que la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Canavaugh c. Le Commissaire des pénitenciers, précitée, ne se rapporte pas aux ques tions en litige en l'espèce.
Les brefs motifs prononcés par le juge Pigeon au nom de la Cour suprême du Canada statuant à
l'unanimité dans l'affaire Canadian Warehousing peuvent être extraits plus brièvement encore pour dégager l'essentiel de la jurisprudence. Sur consen- tement, les parties avaient soumis une question de droit à la Cour de l'Échiquier, à l'égard de laquelle le juge Pigeon a dit à la page 178:
[TRADUCTION] Le juge Gibson a répondu par l'affirmative à la question. Cette Cour est maintenant saisie d'un appel inter- jeté en vertu d'une autorisation accordée par le juge Fauteux sous le régime de l'art. 83 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier parce qu'il s'agit d'une «affaire ou chose à laquelle peuvent se rattacher des droits futurs».
Un jugement déclaratoire lie indubitablement les parties en tant que chose jugée, et non simplement par application de la doctrine de stare decisis. Le jugement de la Cour de l'Échiquier a pour conséquence directe qu'il n'est plus loisible à l'appelante de prétendre dans d'autres procédures judiciaires que l'emma- gasinage et le transport d'effets mobiliers n'est pas visé par l'art. 32(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
Dans l'arrêt Angle c. M.R.N., la Cour suprême a statué par une majorité de trois contre deux, et c'est le juge Dickson, actuellement juge en chef du Canada, qui a rédigé l'opinion majoritaire. Aux pages 253 255 R.C.S.; 555 et 556 D.L.R., il s'est brièvement prononcé sur la question de la chose jugée, notamment sur la question de l'issue estoppel.
Anciennement, la chose jugée en tant que fin de non-recevoir (estoppel) était appelée estoppel by record, c'est-à-dire, une fin de non-recevoir de par l'effet des registres et procès-verbaux d'une cour d'archives, mais maintenant on emploie le plus souvent l'expression générique estoppel per rem judicatam. Cette forme de fin de non-recevoir, comme le Lord Juge Diplock l'a dit dans l'arrêt Thoday v. Thoday ([1964] P. 181), est de deux sortes. Le premier, soit le «cause of action estop- pel», empêche une personne d'intenter une action contre une autre lorsque la même cause d'action a déjà été décidée dans des procédures antérieures par un tribunal compétent ... La deuxième sorte d'estoppel per rem judicatam est connue sous le nom d'issue estoppel, expression qui a été créée par le Juge Higgins de la Haute Cour d'Australie dans l'arrêt Hoysted (sic) v. Federal Commissioner of Taxation ((1921), 29 C.L.R. 537), à la p. 561:
[TRADUCTION] Je reconnais pleinement la distinction entre le principe de l'autorité de la chose jugée applicable lorsqu'une demande est intentée pour la même cause d'action que celle qui a fait l'objet d'un jugement antérieur, et cette théorie de la fin de non-recevoir qu'on applique lorsqu'il arrive que la cause d'action est différente mais que des points ou questions de fait ont déjà été décidés (laquelle je puis appeler théorie de l' «issue -estoppel»).
Lord Guest, dans l'arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2) ([1967] 1 A.C. 853), à la p. 935, définit les conditions de l'«issue estoppel» comme exigeant:
[TRADUCTION] ... (1) que la même question ait été décidée; (2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire la fin de non-recevoir est soulevée, ou leurs ayants droit ..
La question qui est censée donner lieu à la fin de non-recevoir doit avoir été «fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé» dans l'affaire antérieure: d'après Lord Shaw dans l'arrêt Hoystead v. Commissioner of Taxation ([1926] A.C. 155). Les auteurs de l'ouvrage Spencer Bower and Turner, Doctrine of Res Judicata, éd. pp. 181, 182, cité par M. le Juge Megarry dans l'arrêt Spens v. I.R.C. ([1970] 3 All. E.R. 295), à la p. 301, décrivent dans les termes suivants la nature de l'examen auquel on doit procéder:
[TRADUCTION] ... si la décision sur laquelle on cherche à fonder la fin de non-recevoir a été «si fondamentale» à la décision rendue sur le fond même du litige que celle-ci ne peut valoir sans celle-là. Rien de moins ne suffira.
Le juge Dickson a donné d'autres explications aux pages 257 R.C.S.; 557 D.L.R.:
Dès 1893, Lord Hobhouse, dans une décision du Conseil privé rendue dans l'affaire Attorney General for Trinidad and Tobago v. Eriché ([1893] A.C. 518), disait, à la p. 522:
[TRADUCTION] Il n'est guère nécessaire de se reporter longuement aux précédents pour reconnaître ce principe élé- mentaire selon lequel, pour établir le moyen de chose jugée, le jugement sur lequel on se fonde doit avoir été rendu par un tribunal ayant compétence simultanée ou exclusive directe- ment sur le point. Dans l'arrêt Duchess of Kingston, Sm. L.C. vol. ii. p. 642, auquel on se réfère constamment pour énoncer- le droit à ce sujet, on pose le principe que pour établir le moyen de chose jugée le tribunal dont le jugement est invoqué doit avoir eu compétence et avoir rendu jugement directement sur la question en litige; mais si la question est venue en cause de façon annexe dans le premier tribunal, ou si celui-ci ne pouvait en connaître que de façon incidente, ou si on devait simplement l'inférer du jugement par raisonne- ment, le jugement n'est pas concluant.
La question n'étant pas eadem questio, je suis d'avis qu'en l'espèce il n'y a pas lieu d'appliquer le principe de l'issue estoppel.
En l'espèce, la question étant eadem questio, et la décision de la Division d'appel sur la même question ayant été une décision finale, le seul fait qui écarte l'application du principe de l'issue estoppel proprement dit est que, alors que la Cou- ronne est la même défenderesse tant dans l'affaire Maclntyre qu'en l'espèce, le demandeur à l'ins- tance est LeBar et non Maclntyre. Ainsi donc, il n'y a pas identité de parties, mais, compte tenu des faits, remarquons que cette lacune ne joue pas en faveur de la défenderesse.
Bien entendu, la même question dans les deux affaires n'exige pas le même casier judiciaire ni la même date de mise en liberté pour les deux prison- niers. Ces facteurs sont différents.
La même question ou le même point litigieux dans les deux affaires porte sur l'interprétation du membre de phrase «la peine qu'il purge alors» figurant à l'article 24.2 de la Loi sur les péniten- ciers [S.R.C. 1970, chap. P-6 (ajouté par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41) relativement aux dispo sitions du paragraphe 14(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus [S.R.C. 1970, chap. P-2 (mod. par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 31, art. 1; 1977-78, chap. 22, art. 19)] et à celles des paragraphes 137(1) et (2) du Code criminel, lesquels imposent une peine d'emprisonnement à une personne qui s'évade pendant qu'elle purge une peine d'emprisonnement. La question identi- que porte alors sur la méthode de calcul, déclarée régulière par la Cour, du reliquat à purger de la peine d'emprisonnement imposée par une cour de juridiction criminelle. Aux paragraphes 9 à 13 de la déclaration, le demandeur soulève la même question.
L'affaire Emms c. La Reine et autre précitée est instructive en l'espèce. Dans cette affaire, les juge- ments majoritaires et minoritaires concoyurent tous au dispositif ou à l'aboutissement de la déci- sion de la Cour suprême du Canada. Le jugement majoritaire rédigé par le juge Martland, auquel les juges Beetz et Estey souscrivent, est d'une brièveté et d'une concision extraordinaires. Le demandeur Emms avait intenté une action en réintégration et en indemnisation pour avoir été renvoyé en tant que fonctionnaire permanent, et ce, de façon abu sive a-t-il soutenu, pendant la prétendue prolonga tion d'une période de stage. Voici les passages pertinents des motifs du juge Martland, qui figu- rent aux pages 1151 et 1152 R.C.S.; 194 et 195 D.L.R.:
En bref, l'art. 28 de la Loi vise le cas des employés en stage. C'est la Commission qui fixe la période de stage. Si la personne nommée fait déjà partie de la Fonction publique, le sous-chef peut réduire le stage ou en dispenser l'employé. A tout moment au cours du stage, le sous-chef peut, après avoir dûment avisé l'employé et la Commission de son intention de le renvoyer, engager la procédure au terme de laquelle celui-ci cessera d'être un employé.
Le Règlement fixe les périodes de stage applicables aux employés faisant partie d'une classe ou d'un groupe particu-
lias. La période de stage applicable à l'appelant était de douze mois. Durant cette période, l'appelant n'a reçu aucun avis le prévenant de l'intention de le renvoyer. Au contraire, le sous- chef a voulu prolonger la période de stage de six mois et c'est au cours de cette période de stage prolongée que l'appelant a été renvoyé.
Le sous-chef s'est fondé sur le par. 30(2) du Règlement pour prolonger la période de stage.
Si le sous-chef n'avait pas le pouvoir de prolonger la période de stage, il s'ensuit que le renvoi de l'appelant a été effectué après l'expiration de sa période de stage et qu'il est illégal. La solution de ce pourvoi dépend donc de la validité du par. 30(2) du Règlement.
Après avoir rendu jugement en l'espèce, la Cour d'appel fédérale a, dans l'arrêt Ouimet c. La Reine ((1978), 21 N.R. 247, [1979] 1 C.F. 55), confirmé le jugement de la Division de première instance [[1978] 1 C.F. 672] selon lequel la Commis sion n'avait pas le pouvoir d'établir le par. 30(2) du Règlement. Je souscris aux motifs de jugement rédigés par le juge en chef Jackett au nom de la Cour d'appel.
En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le présent pourvoi. Je souscris au dispositif proposé par mon collègue le juge Pigeon. [Non souligné dans le texte original.]
Il convient de souligner que le jugement majori- taire ne se préoccupe nullement de la question de chose jugée, ni ne la mentionne, pas plus qu'il n'examine la question de l'identité de parties. La Cour n'a fait qu'appliquer le jugement rendu dans l'affaire Ouimet, selon lequel le paragraphe con testé du Règlement était ultra vires, aux questions soulevées par le demandeur Emms et à son cas dans l'affaire dont elle a été saisie. Elle a reconnu la justesse de la décision non contestée de la Division d'appel dans l'affaire Ouimet et, cela étant, elle a interprété et posé la règle à laquelle les préposés de la Couronne aussi bien que cette dernière doivent consentir et obtempérer. Certes, cette situation diffère peu pour ne pas dire pas du tout de celle de l'espèce.
L'avocat de la défenderesse n'a pas cité les motifs de la majorité dans l'affaire Emms. Il s'est plutôt appuyé sur l'opinion minoritaire, dont seul le dispositif a reçu l'accord de la majorité. Le juge Pigeon avec qui le juge Pratte a été d'accord a fait cette analyse aux pages 1158 R.C.S.; 199 D.L.R. citée par l'avocat de la défenderesse:
A l'audition de la présente affaire, l'avocat de l'intimée nous a informés que l'arrêt Ouimet n'avait pas été porté en appel mais il nous a demandé de juger le contraire. Prié de dire pourquoi l'autorisation d'appel n'avait pas été demandée, il a répondu qu'il ne le savait pas mais n'a demandé ni cette autorisation ni la prorogation du délai pour ce faire.
Je dois admettre que cette situation me trouble. Sa Majesté est en face d'une déclaration formelle de la Cour d'instance inférieure qui prononce l'invalidité de la disposition même sur laquelle elle se fonde en l'espèce. Cette déclaration a été faite dans une autre affaire et elle la laisse subsister en faveur d'un autre demandeur; elle demande cependant à la Cour de rendre une décision différente envers l'appelant en l'espèce.
Cette situation a préoccupé quelque peu le juge Pigeon et le juge Pratte, mais elle n'a donné lieu à aucune solution directe ni à aucune déclaration de principe, ainsi qu'il ressort des pages 1161 et 1162 R.C.S.; 201 et 202 D.L.R.:
En conséquence, si l'invalidation formelle d'un règlement administratif ne s'applique pas à tous ceux qui y sont assujettis, cela peut signifier que toutes les autres personnes auxquelles s'adresse le règlement, y compris les organismes administratifs subalternes, sont tenues de continuer d'appliquer un texte invalidé. C'est évidemment pour éviter un pareil résultat qu'en droit municipal, on décide que l'annulation d'un règlement s'applique «in rem».
Peut-on permettre à un organisme administratif de laisser subsister une déclaration d'invalidité dans une affaire donnée et de n'en pas tenir compte envers les tiers pour le cas où, dans une autre affaire, elle pourrait réussir à faire décider le con- traire par un tribunal d'instance supérieure, sinon par un autre juge? La décision devrait-elle être assimilée à la déclaration d'invalidité d'une loi à laquelle on semble n'avoir jamais donné que l'autorité d'un précédent?
Après mûre réflexion, j'estime ne pas avoir à me prononcer sur cette question difficile parce que, en tenant pour acquis que l'intimée a le droit de demander une décision contraire à l'arrêt Ouimet, je ne trouve aucune raison de le faire. On n'a présenté à l'appui de la validité du par. 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique aucun argument qui n'y ait été étudié par le juge de première instance et la Cour d'appel fédérale et on ne fait voir aucune erreur dans les jugements rendus à cet égard.
L'aspect important de cette jurisprudence réside dans la notion en common law du stare decisis, qui s'inscrit dans le droit public canadien et au Canada, et que seul le droit privé du Québec ne connaît pas. L'espèce présente participe d'une action en responsabilité délictuelle, qui relève du droit privé interne, mais elle exige l'interprétation des lois de droit public, comme l'a fait la Division d'appel dans l'affaire Maclntyre précitée. Ainsi que l'a mentionné en passant le juge Pigeon dans l'affaire Emms, on devrait, dans l'application de son dictum, reconnaître que la décision Maclntyre constitue un précédent obligatoire. S'il ne s'agit pas d'une chose jugée proprement dite qui lie ces parties dans un issue estoppel, il s'agit, à tout le
moins, d'une question de stare decisis que la défenderesse devrait respecter en calculant la période d'emprisonnement du demandeur.
La tentative de la défenderesse d'éviter que l'on conclue à l'autorité de chose jugée, étant donné l'absence de l'identité de parties, est sans impor tance, ainsi que la conséquence juridique de la différence entre les faits de l'espèce et de ceux de Maclntyre. Le fond de la question réside dans la conséquence juridique d'une condamnation pour évasion pendant qu'une peine d'emprisonnement légale est purgée—c'est-à-dire la bonne interpréta- tion de la loi—dans des circonstances identiques auxquelles la loi doit s'appliquer uniformément. Cette question de la bonne interprétation, dans ces circonstances, est maintenant tranchée. Dans leur louable article «Issue Estoppel: Mutuality of Par ties Reconsidered», (1986) 64 C.B.R. 437, les auteurs Herman et Hayden pressent les tribunaux canadiens de parer à la nécessité d'une identité de parties, comme les tribunaux américains l'ont fait. Ce conseil attrayant ne convient pas nécessaire- ment à l'espèce.
Bien entendu, si la défenderesse, par l'entremise de ses préposés, refuse de respecter la règle décou- lant de la décision non contestée et fermement établie de la Cour d'appel fédérale, alors, cette Cour, qui est liée par la décision Maclntyre, doit par conséquent imposer à la défenderesse les con- séquences du non-respect ou de quelque autre inobservation de la règle. Il serait difficile de nier le côté pratique de la solution proposée par la majorité de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Emms. Après tout, c'est la même défende- resse royale qui a refusé de demander l'autorisa- tion d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada de la décision Maclntyre, ce qui assure à celle-ci son irrévocabilité et son autorité de précé- dent en et pour l'espèce.
En fait, il semble que la défenderesse n'ait jamais soulevé la question de suspension de l'appli- cation de la décision Maclntyre, car il n'en est pas fait état dans les motifs de la Cour. Une formation d'appel différente a ultérieurement statué sur une affaire mettant en cause le même procureur, c'est-à-dire le sous-procureur général du Canada, la Cour a recouru à une technique permettant d'éviter de graves conséquences avant qu'un appel ne soit formé. Ainsi, dans l'affaire Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (C.A.), à la page 294, le juge Mahoney a, au nom de la majorité, suspendu l'exécution du jugement «jusqu'à la dernière des dates suivantes, savoir celle de l'expiration du délai imparti à l'inti- mée pour demander l'autorisation de se pourvoir en Cour suprême du Canada, celle du refus d'ac- corder cette permission si l'intimée la demande, ou celle du prononcé du jugement si l'autorisation est accordée». Il ne semble pas non plus que l'intimée dans l'affaire Maclntyre ait demandé que le juge- ment fût postdaté en vertu de la Règle 338(2). Il n'est pas certain que ce genre de demande de la part de l'intimée dans cette affaire-là (ou de la part de la défenderesse en l'espèce) soit accueilli. Toutefois, comme il n'est consigné nulle part qu'on ait tenté soit d'obtenir une suspension soit de persuader la Cour de postdater son jugement, on peut en conclure que la défenderesse était satis- faite de voir dans le jugement Maclntyre l'expres- sion de la loi, définitive et revêtue d'autorité, à moins que ou jusqu'à ce qu'il ait été infirmé en appel. La défenderesse en l'espèce, qui était l'inti- mée dans l'affaire Maclntyre, n'a jamais demandé l'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada.
La complexité et la dispersion de la loi ont rendu difficile le calcul de la peine d'emprisonnement. Dans l'affaire Maxie c. Commission nationale des libérations conditionnelles, [1985] 2 C.F. 163 (1" inst.), le dossier révèle un affidavit dont l'auteur se désigne sous le titre de «Chef de la Gestion des peines du Service canadien des pénitenciers». Ses fonctions consistent à surveiller le calcul des pério- des d'emprisonnement imposées aux détenus du pénitencier selon les avis donnés par des avocats du ministère de la Justice. Bien que cet auteur de l'affidavit doive être un expert, il a néanmoins fait six calculs possibles, chacun donnant lieu à une date de mise en liberté différente dans l'affaire Maxie. Les dispositions législatives qui continuent de donner lieu à des décisions judiciaires ont gran- dement besoin d'être révisées.
Toutefois, malgré la difficulté que présente le calcul des dates de mise en liberté, la Division d'appel a, dans l'affaire Maclntyre, exposé la méthode de calcul des peines d'emprisonnement auxquelles les évadés sont condamnés. Dans son arrêt, la Division d'appel a péremptoirement posé
la règle comme si son interprétation prescrite de la loi avait été véritablement énoncée dans celle-ci.
L'avocat de la défenderesse affirme que compte tenu des restrictions de temps dans les circons- tances, les préposés de la défenderesse n'ont ni fait preuve de négligence ni délibérément ou arbitraire- ment méconnu l'illégalité de détenir le demandeur sans mandat pendant 43 jours. Le jugement d'une cour supérieure, il est banal d'insister là-dessus, est pleinement exécutoire jusqu'à ce qu'il ait été sus- pendu ou infirmé en appel: Can. Transport (U.K.) Ltd. v. Alsbury and Atty.-Gen. of B.C. (1952-53), 7 W.W.R. (N.S.) 49 (C.A.C.-B.), le juge d'appel Sidney Smith, à la page 71. Un jugement de la Division d'appel (par opposition aux motifs de jugement) prend effet au moment de sa signature par le juge présidant: Liberty Ornamental Iron Ltd. c. B. Fertleman & Sons Ltd., [1977] 1 C.F. 584 (C.A.), le juge en chef Jackett, à la page 587. Il ressort du dossier de la Cour que le. jugement Maclntyre a en fait été signé le 19 juillet 1982. L'avocat du demandeur a, le 13 août 1982, avisé les préposés de la défenderesse de l'effet de ce jugement à l'égard de son client. Il n'a été mis en liberté que le 22 septembre 1982. L'avocat de la défenderesse connaît le droit. De ce retard énorme et inexpliqué, on ne peut conclure qu'à la négli- gence et au mépris intentionnel ou injustifié du droit du demandeur à la liberté. Telle est la con clusion de la Cour. L'étude de la possibilité de demander l'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada ne justifie pas l'empri- sonnement illégal. En conséquence, cette Cour conclut que le demandeur avait droit et a encore droit à ce que sa période d'emprisonnement soit calculée conformément à l'arrêt Maclntyre c. La Reine, signé et rendu par la Cour d'appel fédérale le 19 juillet 1982, et maintenant publié dans [1983] 1 C.F. 603. Les préposés de la Couronne étaient tenus de l'appliquer au demandeur. Ils ont refusé ou négligé de le faire. La défenderesse est donc tenue, envers le demandeur, aux dommages- intérêts pour l'avoir involontairement et inutile- ment détenu à l'établissement de Collins Bay pen dant une période de 43 jours allant du 11 août 1982 au 22 septembre 1982.
La responsabilité ayant été déterminée, il faut aborder maintenant la question du quantum, ou peut-être des quanta distincts, des dommages-inté-
rêts et la question de savoir s'il y a lieu d'accorder des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs.
QUANTUM DES DOMMAGES-INTÉRÊTS DOMMAGES-INTÉRÊTS GÉNÉRAUX
La question des dommages-intérêts généraux se présente elle-même immédiatement, puisque le demandeur n'a ni revendiqué ni prouvé des dom- mages-intérêts particuliers.
Ainsi que l'a souligné Linden dans Canadian Tort Law, (3 e éd., 1982, Butterworths, Toronto), aux pages 44 et 45, [TRADUCTION] «étant donné que ce délit [emprisonnement illégal] découle de l'action en atteinte à l'intégrité physique, aucun préjudice réel n'est exigé comme condition préala- ble d'une revendication».
À la violation de l'intégrité physique qu'est l'em- prisonnement illégal se greffe le délit de négligence de la part des préposés de la défenderesse. Les deux délits sont si intimement liés qu'une distinc tion est presque impossible, sauf que, parmi les éléments constitutifs du dernier délit, figure l'élé- ment de préjudice résultant du manquement à un devoir. Il est possible de soutenir que de priver le demandeur de sa liberté a eu pour conséquence de le priver de ses gains équivalant au moins au salaire minimum pendant la période d'incarcéra- tion après le moment il aurait être libéré. La preuve que le demandeur avait, dans le passé, réussi à obtenir un emploi légitimement rémunéra- teur étaie cet argument. Étant donné les autres éléments de preuve quant au gaspillage par le demandeur de sa liberté tant avant qu'après son emprisonnement illégal, cet argument n'est pas d'un grand secours dans la détermination du véri- table montant des dommages-intérêts du deman- deur. Néanmoins, afin d'évaluer le montant des dommages-intérêts, la Cour considère qu'il y a eu négligence donnant effectivement lieu à des dom- mages-intérêts, bien que négligeables.
On doit conclure que le demandeur, par l'entre- mise de son avocat, a fait son possible pour mini- miser les dommages. On sait que, en appliquant la règle énoncée dans l'arrêt Maclntyre rendu le 19 juillet 1982, le demandeur devait être mis en liberté le 10 août 1982. Les avocats des parties ont fait savoir leur accord sur cette date seulement à l'ouverture du procès. (Les efforts déployés en
l'espèce pour s'entendre sur une date de mise en liberté du demandeur illustrent bien la nécessité qu'il y a d'adopter, dans une loi unique, avec tableaux et diagrammes si nécessaires, une méthode claire, simple et unifiée de calcul des peines d'emprisonnement.) Quoi qu'il en soit, l'avocat du demandeur a affectivement signifié, le 13 août 1982, au préposé à la gestion des peines de l'établissement de Collins Bay que, étant donné l'arrêt Maclntyre, la période d'incarcération du demandeur se trouvait modifiée, et que, de l'avis de son avocat, ce dernier aurait être mis en liberté immédiatement. Cela est reconnu au para- graphe 4 de la défense modifiée nunc pro tunc sur consentement des avocats au procès (page 4 de la transcription).
Les plaidoiries révèlent une autre tentative de réduction des dommages-intérêts. Au paragraphe 5 de la défense, la défenderesse reconnaît le para- graphe 17 de la déclaration qui est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Par lettre en date du 18 août 1982, on a avisé personnellement le solliciteur général du Canada, préposé de la défenderesse, du cas du demandeur. Le solliciteur général du Canada a personnellement accusé réception de ladite lettre dans sa lettre du 1" septembre 1982.
Étant donné que l'effet de l'arrêt Maclntyre avait été connu ou aurait être connu de l'avocat de la défenderesse et que ce dernier aurait en être conscient, pendant la période de trois semai- nes qui suivit le 19 juillet 1982, la défenderesse est tenue à l'obligation d'indemnisation à compter du 10 août 1982 et après cette date, même si on n'avait officiellement avisé le préposé à la gestion des peines que trois jours plus tard.
Si l'arrêt de la Division d'appel avait pris effet à la date régulière de mise en liberté ou après, la Cour aurait, pour réduire les dommages-intérêts, accordé à la défenderesse un délai raisonnable de quelques jours, soit après la date du jugement, soit après la date de l'avis à la défenderesse, mais, en fait, aucune décision de ce genre n'a à être rendue en l'espèce. Néanmoins, puisque le jugement a pris effet bien avant la date à laquelle le demandeur aurait être libéré, il est raisonnable de fixer les dommages-intérêts pour le tort causé au deman- deur à compter de minuit le 10 août 1982, l'empri- sonnement du demandeur étant légal jusqu'à cette date et non après.
L'avocat du demandeur préconise qu'une méthode appropriée de calculer le quantum des dommages-intérêts généraux réside dans une indemnisation per diem. Il s'agit d'une méthode raisonnable en l'espèce.
L'avocat du demandeur a cité les arrêts suivants qui ont trait à l'octroi, à titre d'indemnisation, de dommages-intérêts généraux pour emprisonnement d'un jour ou d'une durée beaucoup plus courte:
Bradley v. Town of Woodstock (1978), 22 N.B.R. (2d) 45 (B.R.);
Campbell v. S.S. Kresge Co. Ltd. et al. (1976), 74 D.L.R. (3d) 717 (C.S.N.-E.);
Eagle Motors (1958) Ltd. v. Makaoff, [1971] 1 W.W.R. 527 (C.A.C.-B.);
Bahner v. Marwest Hotel Co. Ltd. and Muir (1970), 75 W.W.R. 729 (C.A.C.-B.);
Roberts v. Buster's Auto Towing Service Ltd. et al. (1976), 70 D.L.R. (3d) 716 (C.S.C.-B.);
Hayward v. F.W. Woolworth Co. Ltd. et al. (1979), 98 D.L.R. (3d) 345 (C.S.T.-N.); et
Carpenter & al. v. MacDonald & al. (1978), 21 O.R. (2d) 165 (C. dist. Ont.).
Dans l'affaire Hayward, des dommages-intérêts exemplaires ont été accordés. Dans l'affaire Car penter, la fixation des dommages-intérêts se fait sous deux rubriques, l'une pour arrestation illégale et séquestration et l'autre pour poursuite abusive.
L'avocat du demandeur a également cité des décisions dans lesquelles des dommages-intérêts avaient été accordés pour une prétendue séquestra- tion de quelques jours séparés et pour une période d'emprisonnement de 30 jours:
Tanner v. Norys, [1979] 5 W.W.R. 724 (C.S. Alb.); et Hejduk v. R. in Right of B.C., [1981] 4 W.W.R. 122 (C.S.C.-B.).
Dans l'affaire Tanner v. Norys, le juge de pre- mière instance a accordé ce qu'il appelait des «dommages-intérêts généraux et exemplaires» pour chacun des trois incidents, et des dommages-inté- rêts exemplaires pour les deux derniers. (L'avocat n'a pas révélé à la Cour que la Cour d'appel de l'Alberta avait à l'unanimité annulé la conclusion quant à la responsabilité tirée par le premier juge,
[1980] 4 W.W.R. 33, ni que la Cour suprême du Canada avait rejeté la demande d'autorisation d'appeler, [1980] 1 R.C.S. xii.)
Le juge d'appel Lieberman, accueillant l'appel tout entier de Nory quant à la responsabilité, s'est prononcé en ces termes la page 66, W.W.R.):
[TRADUCTION] Étant donné les conclusions que j'ai tirées, je ne trouve pas nécessaire de statuer sur la question des domma- ges-intérêts posée en appel ou en appel incident.
Étant donné que, dans l'affaire Tanner v. Norys, le juge de première instance a évalué les deux catégo- ries de dommages-intérêts relativement au [page 744] [TRADUCTION] «comportement abusif, inso lent, malveillant et vexatoire du défendeur à l'égard du demandeur, et à son mépris complète- ment injustifié de la liberté du demandeur et de l'inviolabilité de sa personne», mais que les juges d'appel ont à l'unanimité statué que le juge de première instance avait eu totalement tort dans ses conclusions et que le comportement du défendeur était justifié, il faut faire des réserves sur les dommages-intérêts accordés par le juge de pre- mière instance dans l'affaire Tanner v. Norys.
Dans l'affaire Hejduk, le juge en chef McEa- chern a tenu compte seulement des dommages- intérêts exemplaires de $ 10,000 accordés par le juge de première instance pour le troisième inci dent dans Tanner v. Norys pour fixer les domma- ges-intérêts à $ 15,000 pour l'emprisonnement de 30 jours de Hejduk, mais il a rejeté l'action. Il n'a rien dit de plus en faisant cette évaluation dans l'affaire Hejduk.
Les décisions citées sont certes intéressantes, mais aucune d'entre elles ne comporte des circons- tances ou situations semblables à celles de Charles Lawrence LeBar, le demandeur à l'instance, ni à son mode de vie. La liberté est exquise. Certains disent que la liberté est essentielle à l'épanouisse- ment et au bonheur de l'homme. Au Canada, on tient beaucoup à la liberté, qui constitue donc un droit conditionnel de chacun, lequel droit est con- ditionnellement protégé par la Constitution. La liberté de circulation, d'être bien placé en société, d'être utile dans la mesure de ses possibilités, de rechercher le bonheur et, en fin de compte, sous réserve des droits d'autrui ou généralement des droits de la collectivité légitime dont on fait partie, la liberté de ne pas être dérangé par les autorités caractérisent une société civilisée pour ne pas dire
aussi une société libre et démocratique. La liberté est toutefois un droit conditionnel. On peut en être déchu par sa propre conduite, ou y renoncer par son propre consentement librement donné, et il arrive que la majorité des Canadiens y renonce aussi dans des circonstances vraiment critiques. Dans la jurisprudence citée ci-dessus, il appert que, toute leur vie, les demandeurs particuliers avaient tenu à leur propre liberté, qui leur était chère et qu'ils respectaient. Leur cas, à cet égard, diffère beaucoup de celui du demandeur à l'instance.
Comment le demandeur à l'instance a-t-il prisé et entretenu sa propre liberté toute sa vie durant? Puisqu'il invoque le pouvoir de la Cour de lui accorder une indemnité pour sa perte de liberté pendant 43 jours, il doit être indemnisé selon la valeur de cette liberté seulement, dont il a été privé. Or, la liberté étant une valeur protégée par la Constitution, à laquelle chacun a droit condi- tionnellement, les tribunaux canadiens hésiteront toujours à fixer l'indemnisation monétaire de la liberté à zéro dans un cas particulier. Un terroriste acharné, dépravé et déterminé, un tueur à gage et tout pillard qui consacre sa vie et ses talents à s'attaquer continuellement à la société par des actes habituellement frauduleux ou violents, seraient les premiers à voir leur liberté évaluée— tant à leur égard qu'à celui de la société—à zéro. Bien sûr, il y a l'espoir éternel de la réadaptation sociale, mais cela n'entre pas dans le calcul de l'indemnité pour le gaspillage de sa propre liberté.
Il faut reconnaître qu'il est possible, sinon pro bable, que l'éducation du demandeur ait été, sur le plan moral, insuffisante ou même particulièrement brutale, mais, s'il en est ainsi, il n'en a pas fait mention dans ses plaidoiries ni dans son témoi- gnage oral. On ne saurait être tenu responsable d'une formation morale insuffisante ou d'une triste déformation remontant à l'enfance. Cependant, la jouissance du droit à la liberté exige de chaque individu de prudents efforts pour la préserver en ne la compromettant pas par des activités criminelles.
Le demandeur a été incarcéré pour la première fois à Guelph (Ontario), en 1942, lorsqu'il avait environ quinze ou seize ans, purgeant une peine de deux ans ou moins. Auparavant, il avait travaillé comme chercheur de pièces dans une usine qui fabriquait des chars d'assaut pendant les années de
guerre. À sa mise en liberté, il a trouvé un emploi légitimement rémunérateur chez Colonial Dress Company à Guelph, pour une période de dix-huit mois. Il s'est engagé dans l'armée, est resté au Canada et a été rendu à la vie civile à la fin des hostilités en 1945. Après qu'il eut quitté l'armée, à Guelph, il a été déclaré coupable dans [TRADUC- TION] «un incident de voiture» selon ses propres paroles, et il a perdu encore sa liberté. En 1949, il a été, selon lui, déclaré coupable de vol de voiture, et condamné à une peine de trois ans à purger au pénitencier de Kingston, dont il a été libéré en 1952. Après avoir travaillé chez Humber Cleaners de Toronto pendant environ quatre mois, il a perdu de nouveau sa liberté, ayant été condamné à une peine de six mois à purger dans la maison de correction provinciale de Burwash pour avoir pris une voiture sans le consentement de son proprié- taire. Il a travaillé à Guelph pour un établissement de nettoyage à sec et pour un établissement toron- tois qui fabrique des composants de radar, mais, d'après lui, il a perdu cet emploi à cause de son casier judiciaire. La suite des événements, relatée par le demandeur au contre-interrogatoire (pages 17 28 de la transcription), est quelque peu floue, sans doute parce qu'il avait des trous de mémoire et qu'il répugnait à relater tout cela en public.
Après avoir été renvoyé de l'usine de radar, le demandeur a, sous un pseudonyme, trouvé un autre emploi aux États-Unis, gérant deux bouti ques de nettoyage à sec à Pittsburgh. Il a vécu aux E.-U. pendant environ deux ans. En 1962, à Hamilton (Ontario), le demandeur a été déclaré coupable de deux infractions de vol à main armée, et il a été condamné à des peines concurrentes d'emprisonnement de 10 et de 14 ans respective- ment. Il a été incarcéré au pénitencier de Kings- ton, aux établissements de Millhaven, de Joyceville et de Collins Bay, dont il s'est évadé, et il est retourné aux É.-U. pour y rester pendant environ cinq ans. Le demandeur a de nouveau trouvé un emploi, sous un pseudonyme encore, mais il a été déclaré, aux É.-U., coupable de recel de marchan- dises volées, de possession d'un chécographe et d'un pistolet; cette infraction lui a valu une peine de cinq ans. Libéré de la prison américaine, le demandeur est retourné à Toronto la Sûreté de l'Ontario l'a mis en état d'arrestation pour qu'il réponde à l'accusation d'évasion. Il est retourné à
Collins Bay, il est resté jusqu'à sa mise en liberté le 22 septembre 1982, date dont il s'agit en l'espèce. Il était assujetti à une peine d'emprison- nement de 1962 1982.
Même après qu'il eut intenté la présente action, le demandeur a de nouveau gaspillé sa liberté lorsque, en mars 1983, il a été, à Toronto, déclaré coupable d'introduction par effraction et con- damné à deux ans d'emprisonnement. En août 1983, pendant qu'il était détenu à la suite de la révocation de sa surveillance obligatoire, le deman- deur a fait une crise cardiaque et il a reçu un traitement médical et des médicaments appropriés qui lui sont dispensés à titre gracieux et qu'il doit continuer de prendre. Il souffre également d'her- nie, pour laquelle il a subi une intervention chirur- gicale. Il a obtenu son divorce en 1973. Au moment du procès, le demandeur a dit qu'il habi- tait chez sa soeur à Toronto. D'après lui, il était alors sans travail, mais il recevait des prestations d'aide sociale de [TRADUCTION] «environ $ 50 par mois».
Ce qui précède explique pourquoi les domma- ges-intérêts accordés dans la jurisprudence citée par l'avocat du demandeur sont plus élevés que ceux auxquels il peut prétendre en l'espèce. Celui qui, jouissant de la pleine capacité juridique, ne se comporte pas de façon à conserver sa liberté, mais s'en prend continuellement aux autres par des agissements criminels est l'artisan de la dévalua- tion de sa propre liberté. Il ne saurait raisonnable- ment exiger du peuple et du gouvernement cana- diens qu'ils lui payent princièrement la liberté qu'il a constamment sous-évaluée et gaspillée. Le demandeur a presque toujours été une charge pour les contribuables canadiens, et il cherche à leur imposer le prix de la perte, pendant 43 jours, de la liberté qu'il a si peu respectée. En effet, si on peut attribuer une valeur monétaire à ce qu'il a reçu, il est presque certain que le demandeur doive aux Canadiens, qu'il a escroqués et volés, plus qu'il ne peut payer aux titres du logement et de la nourri- ture, du fardeau social et de l'inconduite crimi- nelle. À cet égard, on peut se demander pourquoi la défenderesse n'a pas demandé qu'il y ait compensation.
Comment doit-on indemniser le demandeur de la liberté qu'il a sous-évaluée et gaspillée? Il res- sort de ses antécédents et de son inconduite ulté-
rieure que, laissé à lui-même le 10 août 1982, il aurait pu s'attirer des ennuis pendant les 43 jours qui suivirent. Bien sûr, il aurait pu (mais pour combien de temps?) respirer l'air exquis de la liberté et, peut-on soutenir, trouver un emploi régulier. Cela compte, mais dans le cas particulier du demandeur, cela ne compte pas beaucoup. En 1982, Collins Bay, il recevait un salaire de $ 35 par semaine. Si l'on devait rattacher à ce montant son indemnité fixe—$ 5 par jour—ses dommages- intérêts seraient fixés à $ 215 pour les 43 jours. Mais même pour les Charles LeBar de ce monde, la liberté vaut plus que cela. Si l'on double cette somme pour la porter à $ 10, on constate que rémunéré de la sorte au cours des vingt dernières
années, soit de 1962 1982, pendant qu'il était incarcéré (abstraction faite de ses périodes de liberté illégale, il devait compter sur lui-même), il aurait pu sortir de prison en 1982 avec une somme de ($ 10 x 365 jours x 20) $ 73,000 plus l'intérêt, s'il avait sagement économisé cette somme. On ne saurait raisonnablement s'attendre à ce que les contribuables canadiens payent plus de $ 10 en dommages-intérêts généraux pour la liberté que M. LeBar lui-même a si manifestement méprisée tant avant qu'après le 10 août 1982. La Cour accorde donc au demandeur $ 430 en dom- mages-intérêts généraux pour sa détention illégale à compter de minuit le 10 août 1982 jusqu'au moment de sa libération, le 22 septembre 1982.
DOMMAGES-INTÉRÊTS EXEMPLAIRES
L'avocat de la défenderesse a fait valoir que, à l'époque en cause, il n'existait pas d'ordinateur permettant aux préposés de la défenderesse de reconnaître immédiatement les «quelque vingt» détenus de la prison (pages 73 et 74 de la trans cription), sur une population carcérale totale de [TRADUCTION] «13,000 personnes incarcérées dans quelque sept provinces» (page 89 de la trans cription), qui se trouvaient dans la même situation que celle du demandeur. L'avocat du demandeur a souligné à juste titre que la Cour ne dipose pas d'éléments de preuve concernant la nécessité de faire une recherche manuelle des dossiers de déte- nus, mais on peut tout de même, en droit, se demander [TRADUCTION] «Et puis?» Étant donné la complexité des dispositions législatives, l'arrêt Maclntyre n'a pas compliqué davantage le calcul des périodes d'emprisonnement. Les dispositions législatives demeurent aussi complexes qu'aupara- vant.
Il faut se rappeler que, par l'entremise de son avocat, le demandeur a pertinemment tenté de réduire les dommages-intérêts en informant, en temps utile, les préposés compétents de la défende- resse et même le ministre, qu'il devait être mis en liberté selon la méthode de calcul applicable énon- cée par la Cour d'appel fédérale. Si les autorités carcérales avaient immédiatement demandé à un préposé à la gestion des peines de calculer et de vérifier la date de mise en liberté du demandeur, et si, par la suite, ce dernier avait été mis en liberté, la Cour n'aurait pas maintenant à étudier l'oppor- tunité qu'il y a d'adjuger des dommages-intérêts exemplaires. Personne ne reprocherait aux fonc- tionnaires d'avoir pris quelques heures ou même un jour, après la notification, pour calculer la bonne date de mise en liberté.
Ne tenir compte de la décision de la Cour rendue le 19 juillet 1982 que le 22 septembre 1982 revenait à négliger l'obligation qui en découle pen dant une période de 65 jours. Ne pas tenir compte de la signification par l'avocat du demandeur de l'effet de la décision de la Cour entre le 13 août et le 22 septembre revenait à désavouer aussi bien la décision que l'obligation qui en découle pendant une période de 40 jours. Il s'agit donc d'une déten- tion arrogante et arbitraire du demandeur. Ainsi qu'il a été souligné, l'interprétation par la Cour de la loi pertinente prend effet et fait autorité dès qu'un jugement a été rendu.
Les dommages-intérêts sont ceux qui revêtent également ce qu'on appelle un caractère [TRADUC- TION] «punitif», «exemplaire», et même, selon Linden (op. cit., page 51) «vengeur» et tenant de la «pénalité». Une telle nomenclature, variée mais constante et vigoureuse, dénote l'intention judi- ciaire de dénoncer l'inconduite de la défenderesse. Bien que la détention abusive du demandeur par les préposés de la défenderesse pendant 43 jours après ses 20 ans d'emprisonnement, mises à part les périodes il a été en liberté illégalement, ne l'humilie ni ne le discrédite davantage, elle n'en constitue pas moins un abus de pouvoir qui ne repose sur aucun fondement constitutionnel. Au Canada, la liberté est un droit et une valeur sociale que protège, bien que sous condition, la Constitution, il est intolérable qu'on fasse peu de cas de la liberté précieuse d'une personne, même s'il s'agit de la liberté que le demandeur lui-même a dépréciée.
En l'espèce toutefois, l'une des caractéristiques attribuées à la conduite des préposés de la défende- resse, soit l'intention de nuire, n'a pu ni être imputée à une personne en particulier ni être déduite de quoi que ce soit. Leur négligence et leur mépris abusif et délibéré ou injustifié du droit du demandeur d'être mis en liberté étaient tels qu'il y a lieu à des dommages-intérêts exemplaires. Bien qu'ils aient été informés en temps utile, ils ont persisté à le détenir en prison jusqu'à la veille de la date de présentation de sa requête en injonction, en septembre 1982. Injustifiée par les faits, leur inconduite est juridiquement injustifiable.
En l'espèce, en matière de dommages-intérêts exemplaires, ce sont encore les contribuables qui doivent payer pour la prévarication des préposés de la défenderesse, mais cette fois ils doivent payer une somme plus importante à cet égard. L'évalua- tion ne relève pas d'une science exacte. La fixation des dommages-intérêts exemplaires doit représen- ter une sanction suffisante de la conduite répré- hensible des préposés qui n'ont pas tenu compte de la loi dont l'interprétation qui fait autorité leur a été signalée clairement et qui ont osé, de façon oppressive, abusive et délibérée, méconnaître le droit du demandeur d'être libéré conditionnelle- ment de sa détention illégale. Compte tenu de la jurisprudence qui, malheureusement pour l'évalua- teur, ne porte pas sur une situation identique ni même presque semblable, la Cour accorde au demandeur la somme de $ 10,000 à titre de dom- mages-intérêts exemplaires.
Le demandeur a également droit aux dépens taxés de la présente action.
CONCLUSION
En bref, il sera rendu un jugement déclaratoire, ainsi que le demandeur l'a sollicité, portant qu'il a droit à ce que la peine d'emprisonnement à laquelle il avait été condamné soit calculée selon l'arrêt Maclntyre c. La Reine rendu par la Cour d'appel fédérale le 19 juillet 1982, qu'il recouvrera de la défenderesse la somme de $ 430 à titre de dommages-intérêts généraux et la somme de $ 10,000 à titre de dommages-intérêts exemplaires et qu'il a droit à ses dépens taxés de la présente action.
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