T-7306-82
Charles Lawrence LeBar (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: LEBAR c. CANADA
Division de première instance, juge Muldoon -
Kingston (Ontario), 2 octobre 1986; Ottawa, 12
janvier 1987.
Couronne - Responsabilité délictuelle - Emprisonnement
arbitraire - La Couronne a refusé ou omis de permettre au
demandeur de bénéficier de la récente décision par laquelle la
Cour d'appel fédérale a établi une «nouvelle» méthode de
calcul des peines - Le fait que le demandeur a dévalué sa
propre liberté au moyen d'agissements criminels a été pris en
considération dans la fixation des dommages-intérêts géné-
raux - Des dommages-intérêts exemplaires importants ont
été accordés pour un abus de pouvoir qui ne repose sur aucun
fondement constitutionnel - Loi sur les pénitenciers, S.R.C.
1970, chap. P-6, art. 24.2 (ajouté par S.C. 1976-77, chap. 53,
art. 41) - Loi sur la libération conditionnelle de détenus,
S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 14(1) (mod. par S.R.C. 1970 (1e 1
Supp.), chap. 31, art. 1; 1977-78, chap. 22, art. 19) - Code
criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 137 (mod. par S.C.
1972, chap. 13, art. 9; 1976-77, chap. 53, art. 6) - Règles de
la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 338(2), 1708, 1711.
Libération conditionnelle - La Couronne est tenue, à la
suite d'une décision d'appel établissant une méthode de calcul
des peines, d'appliquer immédiatement cette méthode à tous
les cas en cours - La Couronne a refusé ou omis de calculer
de nouveau, selon la «nouvelle» méthode, la date de mise en
liberté du demandeur - Des dommages-intérêts généraux et
exemplaires ont été accordés pour emprisonnement arbitraire
- Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 24.2
(ajouté par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41) - Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2,
art. 14(1) (mod. par S.R.C. 1970 (1e 1 Supp.), chap. 31, art. 1;
1977-78, chap. 22, art. 19) - Code criminel, S.R.C. 1970,
chap. C-34, art. 137 (mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 9;
1976-77, chap. 53, art. 6).
Pratique - Jugements et ordonnances - Jugement décla-
ratoire portant interprétation d'une disposition législative con-
cernant le calcul des peines - Rejet de l'argument selon
lequel il est loisible à la Couronne de ne pas tenir compte d'un
jugement déclaratoire, à moins que chaque personne se trou-
vant dans la même situation n'obtienne son propre jugement.
déclaratoire - Question de stare decisis plutôt que de chose
jugée - Précédent obligatoire lorsque la même question se
pose dans une affaire ultérieure.
Pendant que le demandeur purgeait une peine d'emprisonne-
ment pour avoir commis un vol à main armée et pour s'être
évadé de prison, la Cour d'appel fédérale a, le 19 juillet 1982,
dans l'affaire Maclntyre c. La Reine, [1983] 1 C.F. 603, établi
une méthode de calcul des peines d'emprisonnement restant à
purger dans un cas où une des peines a été imposée pour
évasion. La Couronne n'a ni demandé l'autorisation d'interjeter
appel devant la Cour suprême du Canada ni cherché à retarder
l'entrée en vigueur du jugement. Si cette décision avait été
appliquée au cas du demandeur, il aurait été en droit d'être
remis en liberté le 10 août 1982, plus de deux mois plus tôt que
sa «date prévue de mise en liberté», soit le 22 octobre 1982. La
décision Maclntyre a été rendue trois semaines avant la «nou-
velle» date de mise en liberté selon la «nouvelle» méthode de
calcul des peines.
Bien que l'avocat du demandeur ait informé le Service
correctionnel Canada que, selon la décision Maclntyre, son
client devait être mis en liberté immédiatement, le demandeur
n'a été libéré que le 22 septembre 1982, soit quarante-trois
jours après qu'il aurait dû être libéré selon la méthode de calcul
nouvellement établie.
Il s'agit d'une action en jugement déclaratoire et en domma-
ges-intérêts généraux et exemplaires pour négligence et empri-
sonnement arbitraire.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
La question qui se pose en l'espèce est la même que celle
soulevée dans l'affaire Maclntyre: l'interprétation judiciaire du
membre de phrase «la peine qu'il purge alors» figurant à
l'article 24.2 de la Loi sur les pénitenciers relativement aux
dispositions du paragraphe 14(1) de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus et à celles des paragraphes 137(1) et
(2) du Code criminel qui portent sur le délit d'évasion. La
décision Maclntyre, bien qu'elle ait donné lieu «seulement» à un
jugement déclaratoire, constitue un précédent obligatoire sinon
en vertu de la chose jugée, étant donné qu'il n'y a pas identité
de parties, à tout le moins en vertu du stare decisis. Elle a
clarifié une partie de la méthode de calcul des peines d'empri-
sonnement qui, étant donné la complexité et la dispersion de la
loi, exige des réformes.
Le jugement de la Division d'appel dans l'affaire Maclntyre
a pris effet lors de sa signature par le juge et, dès lors, il posait
la règle sur cet aspect du calcul des peines de façon toute aussi
péremptoire que s'il s'agissait d'une disposition législative. Du
retard inexpliqué dans la libération du demandeur, on ne peut
conclure qu'à la négligence et au mépris intentionnel ou injusti-
fié du droit de ce dernier à la liberté.
Les dommages-intérêts généraux pour négligence devraient
être fixés sur une base journalière. Le demandeur devrait
cependant être indemnisé uniquement selon la valeur de ce dont
il a été privé. Étant donné le casier judiciaire du demandeur et
le fait qu'il a passé plus de vingt ans en prison, le montant des
dommages-intérêts généraux pour la liberté que le demandeur
lui-même a si manifestement méprisée tant avant qu'après sa
«nouvelle» date de mise en liberté est fixé à $ 10 par jour (le
double du salaire journalier d'un détenu dans un pénitencier),
soit un total de $ 430.
Des dommages-intérêts exemplaires devraient être accordés
parce que l'emprisonnement illégal du demandeur constitue, de
la part des préposés de la défenderesse, un abus de pouvoir qui
ne repose sur aucun fondement constitutionnel. Injustifiée par
les faits, leur inconduite est juridiquement injustifiable. Compte
tenu de la jurisprudence, le montant des dommages-intérêts
exemplaires est fixé à $ 10,000.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Maclntyre c. La Reine, [ 1983] 1 C.F. 603 (C.A.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Emms c. La Reine et autre, [1979] 2 R.C.S. 1148; 102
D.L.R. (3d) 198; Can. Transport (U.K.) Ltd. v. Alsbury
and Atty.-Gen of B.C. (1952-53), 7 W.W.R. (N.S.) 49
(C.A.C.-B.); Liberty Ornamental Iron Ltd. c. B. Fertle-
man & Sons Ltd., [1977] 1 C.F. 584 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Cavanaugh c. Le commissaire des pénitenciers, [1974] 1
C.F. 515 (1fe inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Canadian Warehousing Association v. The Queen,
[1969] R.C.S. 176; Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S.
248; 102 D.L.R. (3d) 193; Ministre de l'Emploi et
'37-
l'Immigration c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (C.A.);
Maxie c. Commission nationale des libérations condi-
tionnelles, [1985] 2 C.F. 163 (1'° inst.); Tanner v. Norys,
[1979] 5 W.W.R. 724 (C.S. Alb.); infirmé par [1980] 4
W.W.R. 33 (C.A. Alb.), autorisation d'appeler refusée
[1980] 1 R.C.S. xii; Hejduk v. R. in Right of B.C.,
[1981] 4 W.W.R. 122 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
Dyson v. Attorney -General, [1911] 1 K.B. 410; [1912] 1
Ch. 158 (C.A.); Bradley v. Town of Woodstock (1978),
22 N.B.R. (2d) 45 (B.R.); Campbell v. S.S. Kresge Co.
Ltd. et al. (1976), 74 D.L.R. (3d) 717 (C.S.N.-E.); Eagle
Motors (1958) Ltd. v. Makaoff, [1971] 1 W.W.R. 527
(C.A.C.-B.); Bahner v. Marwest Hotel Co. Ltd. and Muir
(1970), 75 W.W.R. 729 (C.A.C.-B.); Roberts v. Buster's
Auto Towing Service Ltd. et al. (1976), 70 D.L.R. (3d)
716 (C.S.C.-B.); Hayward v. F.W. Woolworth Co. Ltd. et
al. (1979), 98 D.L.R. (3d) 345 (C.S.T: N.); Carpenter &
al. v. MacDonald & al. (1978), 21 O.R. (2d) 165 (C.
dist. Ont.).
AVOCATS:
Fergus J. O'Connor pour le demandeur.
Donald J. Rennie pour la défenderesse.
PROCUREURS:
O'Connor, Ecclestone & Kaiser, Kingston
(Ontario), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Le demandeur intente la
présente action pour obtenir une indemnité et des
dommages-intérêts exemplaires pour négligence ou
pour le fait dommageable intentionnel qu'est l'em-
prisonnement illégal. Son action est accueillie,
mais pas pour les sommes qu'il demande, et il a
droit à ses dépens de la présente action.
La déclaration du demandeur, ainsi que sa
requête en injonction provisoire enjoignant sa mise
en liberté, et son affidavit à l'appui de cette
requête, ont été déposés à la Cour le 14 septembre
1982. La présentation de la requête était prévue
pour le 23 septembre 1982. Dans son interroga-
toire principal (page 17 de la transcription), le
demandeur s'est rappelé qu'il avait été libéré du
pénitencier le jour précédant celui où il devait aller
en Cour, ce qui situe sa mise en liberté au 22
septembre 1982.
Au cours de l'été 1982, le demandeur purgeait
une peine d'emprisonnement de 14 ans pour avoir
commis un vol à main armée, et une peine ulté-
rieure à laquelle il avait été condamné pour éva-
sion aux termes de l'article 137 du Code criminel
[S.R.C. 1970, chap. C-34 (mod. par S.C. 1972,
chap. 13, art. 9; 1976-77, chap. 53, art. 6)]. Les
avocats des parties ont convenu (page 3 de la
transcription) que la date prévue de mise en liberté
du demandeur était le 22 octobre 1982.
Le 19 juillet 1982, la Division d'appel de cette
Cour a rendu sa décision dans l'affaire Maclntyre
c. La Reine, [1983] 1 C.F. 603. Au procès, les
avocats des parties respectives ont convenu (page 2
de la transcription) que le paragraphe 3 de la
défense pourrait être modifié pour porter ce qui
suit, et ils sont tombés d'accord là-dessus:
[TRADUCTION] 3. ... Cet arrêt, si on l'appliquait au cas du
demandeur, aurait pour conséquence de modifier le calcul de sa
peine, de manière à le rendre admissible à une mise en liberté le
10 août 1982.
Les dates saillantes peuvent être classées comme
suit:
1982 —Été—les parties s'attendaient à ce que le
demandeur soit en droit d'être libéré de
l'établissement de Collins Bay le 22 octobre
1982;
19 juillet —La Cour d'appel fédérale a rendu son arrêt
unanime dans l'affaire Maclntyre c. La
Reine, [1983] 1 C.F. 603;
10 août —Date régulière de la mise en liberté du
demandeur selon l'interprétation législative
faite dans l'affaire Maclntyre;
13 août —On a signifié au Service correctionnel
Canada, par l'entremise du préposé à la
gestion des peines de l'établissement de Col-
lins Bay (tous sont des préposés de la défen-
deresse) que l'arrêt Maclntyre avait pour
conséquence de modifier la durée de la peine
du demandeur et que, de l'avis de son
avocat, ce dernier devait être libéré immé-
diatement; (page 4 de la transcription)
14 septembre —Dépôt de la déclaration et de l'avis de
requête en injonction provisoire, la présenta-
tion de celle-ci était prévue pour le 23
septembre;
22 septembre —Le demandeur a obtenu sa mise en liberté:
—L'avocat de la défenderesse a confirmé le
consentement au retrait par le demandeur
de la requête susmentionnée, sans dépens;
3 mars 1983 —Dépôt de la défense; et
11 avril —Désistement de l'action à l'égard de tous les
défendeurs, à l'exception de Sa Majesté.
(L'intitulé de la présente action a été modi-
fié en conséquence.)
L'instruction de la présente action a eu lieu le 2
octobre 1986 Kingston (Ontario). Le temps con-
sidérable qui s'est écoulé entre la date à laquelle la
présente action a été intentée en 1983 et son
instruction en 1986 tient probablement à ce que le
demandeur a été déclaré coupable d'introduction
par effraction en mars 1983. Le demandeur a
expliqué cette situation dans son témoignage qui
est consigné aux pages 26 28 de la transcription.
Le demandeur a déposé qu'il a été mis en liberté le
5 septembre 1986 ou vers cette date et qu'il aurait
pu presque se trouver dans l'impossibilité d'assister
à son procès en octobre à cause du mauvais calcul
de sa période d'emprisonnement, qui aurait duré
jusqu'en décembre 1986, si son avocat n'avait pas
réussi à faire corriger l'erreur.
RESPONSABILITÉ
L'avocat de la défenderesse soutient que la Cou-
ronne n'est pas juridiquement responsable des 43
jours supplémentaires que le demandeur a passés
au pénitencier, soit la période allant du 11 août
1982 au 22 septembre 1982 inclusivement. Selon
lui, la méthode de calcul de la période d'emprison-
nement qui avait été déterminée dans l'affaire
Maclntyre ne s'appliquait pas au demandeur, et
les préposés de la Couronne n'étaient pas tenus de
l'appliquer à ce dernier, ce qui fait que la Cou-
ronne n'est pas responsable de leur omission de le
faire. Le fondement de la prétention de la défende-
resse ne consiste pas à nier que la méthode pres-
crite de calcul s'applique au cas du demandeur.
Elle s'appliquait et s'appliquerait toujours à ces
cas. Il s'agit là d'un facteur décisif. L'avocat de la
défenderesse n'a produit aucun élément de preuve
au procès. Les faits n'expliquent pas la conduite
des préposés de la défenderesse et, comme on
remarquera, cette conduite ne peut s'expliquer sur
le plan juridique. Les deux avocats sont louables
d'avoir reconnu que la date de mise en liberté du
demandeur était le 10 août 1982, date à laquelle
ils sont arrivés seulement en appliquant l'interpré-
tation que la Division d'appel avait donnée de la loi
dans l'affaire Maclntyre.
La défenderesse soutient essentiellement que,
l'affaire Maclntyre ayant donné lieu à un juge-
ment déclaratoire, elle ne revêt pas et ne revêtait
pas [TRADUCTION] «un caractère contraignant à
l'égard de la Couronne, qu'aucune obligation ne
découle d'un jugement déclaratoire» (page 62 de la
transcription). L'avocat de la défenderesse recon-
naît que, en pratique, les autorités gouvernementa-
les exécutent les jugements déclaratoires à l'égard
de toutes les personnes se trouvant dans la même
situation qu'un demandeur ayant gain de cause,
mais il affirme obstinément que, en droit, il est
tout à fait loisible à la Couronne de ne pas tenir
compte d'un tel jugement déclaratoire à moins que
chaque personne se trouvant dans la même situa
tion ne se constitue demanderesse et n'obtienne son
propre jugement déclaratoire. Il a laissé entendre
(page 67 de la transcription) [TRADUCTION] «que
l'exposé de droit va dans ce sens: Même à l'égard
de Maclntyre, un jugement déclaratoire à lui seul
ne garantit pas la mise en liberté étant donné la
nature d'[un] tel jugement. À proprement parler, il
devrait joindre ce dernier à une demande d'habeas
corpus ou de tout autre redressement coercitif.
Bien entendu, M. Maclntyre n'a pas eu à le faire.»
Il convient de souligner que le redressement pour-
rait prendre la forme d'un mandamus ou d'une
injonction (comme le demandeur l'a demandé en
l'espèce) devant cette Cour, qui tend au même
effet que le bref d'habeas corpus qu'une cour
supérieure provinciale pourrait décerner. L'avocat
du demandeur a choisi les procédures les plus
appropriées en intentant une action pour solliciter
simultanément un jugement déclaratoire, une
injonction et des dommages-intérêts, dans le des-
sein d'éviter une multiplicité des actions.
L'avocat de la défenderesse a effectivement
reconnu que, si seulement le demandeur dans l'af-
faire Maclntyre avait agi sous l'empire des Règles
1708 et 1711 [Règles de is Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663], à titre de représentant pour son propre
compte, celui de Maclntyre et de tous les autres
prisonniers purgeant une peine pour évasion,
s'étant évadés avant la date pertinente, cette même
défenderesse aurait très bien pu se trouver liée par
l'arrêt Maclntyre à l'égard du demandeur à l'ins-
tance, LeBar (pages 72 à 74 de la transcription).
Dans cette éventualité, a-t-il souligné, la Règle
1711(4) aurait eu pour effet de donner à l'arrêt
Maclntyre force de chose jugée entre la Couronne
et le demandeur à l'instance.
À l'appui des prétentions de la défenderesse,
l'avocat cite la jurisprudence, les lois et les ouvra-
ges suivants:
Dyson v. Attorney -General, [1911] 1 K.B. 410;
[1912] 1 Ch. 158 (C.A.);
Canadian Warehousing Association v. The Queen,
[1969] R.C.S. 176;
Cavanaugh c. Le Commissaire des pénitenciers,
[1974] 1 C.F. 515 (1re inst.);
Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; (1974), 47
D.L.R. (3d) 544;
Emms c. La Reine et autre, [1979] 2 R.C.S. 1148;
102 D.L.R. (3d) 193;
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, article 33;
Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S-19;
(ler Supp.), chap. 44; S.C. 1974-75-76, chap. 18,
articles 14 et 64;
Zamir, The Declaratory Judgment, Stevens &
Sons, London 1962, pages 1 à 3, 247 à 252, 282
à 284;
Sarna, L., The Law of Declaratory Judgments,
Carswell, 1978, pages 87, 176 à 178.
Il appert que la décision rendue par cette Cour
dans l'affaire Canavaugh c. Le Commissaire des
pénitenciers, précitée, ne se rapporte pas aux ques
tions en litige en l'espèce.
Les brefs motifs prononcés par le juge Pigeon au
nom de la Cour suprême du Canada statuant à
l'unanimité dans l'affaire Canadian Warehousing
peuvent être extraits plus brièvement encore pour
dégager l'essentiel de la jurisprudence. Sur consen-
tement, les parties avaient soumis une question de
droit à la Cour de l'Échiquier, à l'égard de laquelle
le juge Pigeon a dit à la page 178:
[TRADUCTION] Le juge Gibson a répondu par l'affirmative à
la question. Cette Cour est maintenant saisie d'un appel inter-
jeté en vertu d'une autorisation accordée par le juge Fauteux
sous le régime de l'art. 83 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier
parce qu'il s'agit d'une «affaire ou chose à laquelle peuvent se
rattacher des droits futurs».
Un jugement déclaratoire lie indubitablement les parties en
tant que chose jugée, et non simplement par application de la
doctrine de stare decisis. Le jugement de la Cour de l'Échiquier
a pour conséquence directe qu'il n'est plus loisible à l'appelante
de prétendre dans d'autres procédures judiciaires que l'emma-
gasinage et le transport d'effets mobiliers n'est pas visé par
l'art. 32(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
Dans l'arrêt Angle c. M.R.N., la Cour suprême
a statué par une majorité de trois contre deux, et
c'est le juge Dickson, actuellement juge en chef du
Canada, qui a rédigé l'opinion majoritaire. Aux
pages 253 255 R.C.S.; 555 et 556 D.L.R., il s'est
brièvement prononcé sur la question de la chose
jugée, notamment sur la question de l'issue
estoppel.
Anciennement, la chose jugée en tant que fin de non-recevoir
(estoppel) était appelée estoppel by record, c'est-à-dire, une fin
de non-recevoir de par l'effet des registres et procès-verbaux
d'une cour d'archives, mais maintenant on emploie le plus
souvent l'expression générique estoppel per rem judicatam.
Cette forme de fin de non-recevoir, comme le Lord Juge
Diplock l'a dit dans l'arrêt Thoday v. Thoday ([1964] P. 181),
est de deux sortes. Le premier, soit le «cause of action estop-
pel», empêche une personne d'intenter une action contre une
autre lorsque la même cause d'action a déjà été décidée dans
des procédures antérieures par un tribunal compétent ... La
deuxième sorte d'estoppel per rem judicatam est connue sous le
nom d'issue estoppel, expression qui a été créée par le Juge
Higgins de la Haute Cour d'Australie dans l'arrêt Hoysted (sic)
v. Federal Commissioner of Taxation ((1921), 29 C.L.R. 537),
à la p. 561:
[TRADUCTION] Je reconnais pleinement la distinction
entre le principe de l'autorité de la chose jugée applicable
lorsqu'une demande est intentée pour la même cause d'action
que celle qui a fait l'objet d'un jugement antérieur, et cette
théorie de la fin de non-recevoir qu'on applique lorsqu'il
arrive que la cause d'action est différente mais que des points
ou questions de fait ont déjà été décidés (laquelle je puis
appeler théorie de l' «issue -estoppel»).
Lord Guest, dans l'arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner &
Keeler Ltd. (No. 2) ([1967] 1 A.C. 853), à la p. 935, définit les
conditions de l'«issue estoppel» comme exigeant:
[TRADUCTION] ... (1) que la même question ait été décidée;
(2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin
de non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la
décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les
mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la fin de
non-recevoir est soulevée, ou leurs ayants droit ..
La question qui est censée donner lieu à la fin de non-recevoir
doit avoir été «fondamentale à la décision à laquelle on est
arrivé» dans l'affaire antérieure: d'après Lord Shaw dans l'arrêt
Hoystead v. Commissioner of Taxation ([1926] A.C. 155). Les
auteurs de l'ouvrage Spencer Bower and Turner, Doctrine of
Res Judicata, 2» éd. pp. 181, 182, cité par M. le Juge Megarry
dans l'arrêt Spens v. I.R.C. ([1970] 3 All. E.R. 295), à la
p. 301, décrivent dans les termes suivants la nature de l'examen
auquel on doit procéder:
[TRADUCTION] ... si la décision sur laquelle on cherche à
fonder la fin de non-recevoir a été «si fondamentale» à la
décision rendue sur le fond même du litige que celle-ci ne
peut valoir sans celle-là. Rien de moins ne suffira.
Le juge Dickson a donné d'autres explications aux
pages 257 R.C.S.; 557 D.L.R.:
Dès 1893, Lord Hobhouse, dans une décision du Conseil
privé rendue dans l'affaire Attorney General for Trinidad and
Tobago v. Eriché ([1893] A.C. 518), disait, à la p. 522:
[TRADUCTION] Il n'est guère nécessaire de se reporter
longuement aux précédents pour reconnaître ce principe élé-
mentaire selon lequel, pour établir le moyen de chose jugée,
le jugement sur lequel on se fonde doit avoir été rendu par un
tribunal ayant compétence simultanée ou exclusive directe-
ment sur le point. Dans l'arrêt Duchess of Kingston, Sm.
L.C. vol. ii. p. 642, auquel on se réfère constamment pour
énoncer- le droit à ce sujet, on pose le principe que pour
établir le moyen de chose jugée le tribunal dont le jugement
est invoqué doit avoir eu compétence et avoir rendu jugement
directement sur la question en litige; mais si la question est
venue en cause de façon annexe dans le premier tribunal, ou
si celui-ci ne pouvait en connaître que de façon incidente, ou
si on devait simplement l'inférer du jugement par raisonne-
ment, le jugement n'est pas concluant.
La question n'étant pas eadem questio, je suis d'avis qu'en
l'espèce il n'y a pas lieu d'appliquer le principe de l'issue
estoppel.
En l'espèce, la question étant eadem questio, et
la décision de la Division d'appel sur la même
question ayant été une décision finale, le seul fait
qui écarte l'application du principe de l'issue
estoppel proprement dit est que, alors que la Cou-
ronne est la même défenderesse tant dans l'affaire
Maclntyre qu'en l'espèce, le demandeur à l'ins-
tance est LeBar et non Maclntyre. Ainsi donc, il
n'y a pas identité de parties, mais, compte tenu des
faits, remarquons que cette lacune ne joue pas en
faveur de la défenderesse.
Bien entendu, la même question dans les deux
affaires n'exige pas le même casier judiciaire ni la
même date de mise en liberté pour les deux prison-
niers. Ces facteurs sont différents.
La même question ou le même point litigieux
dans les deux affaires porte sur l'interprétation du
membre de phrase «la peine qu'il purge alors»
figurant à l'article 24.2 de la Loi sur les péniten-
ciers [S.R.C. 1970, chap. P-6 (ajouté par S.C.
1976-77, chap. 53, art. 41) relativement aux dispo
sitions du paragraphe 14(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus [S.R.C. 1970,
chap. P-2 (mod. par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap.
31, art. 1; 1977-78, chap. 22, art. 19)] et à celles
des paragraphes 137(1) et (2) du Code criminel,
lesquels imposent une peine d'emprisonnement à
une personne qui s'évade pendant qu'elle purge
une peine d'emprisonnement. La question identi-
que porte alors sur la méthode de calcul, déclarée
régulière par la Cour, du reliquat à purger de la
peine d'emprisonnement imposée par une cour de
juridiction criminelle. Aux paragraphes 9 à 13 de
la déclaration, le demandeur soulève la même
question.
L'affaire Emms c. La Reine et autre précitée est
instructive en l'espèce. Dans cette affaire, les juge-
ments majoritaires et minoritaires concoyurent
tous au dispositif ou à l'aboutissement de la déci-
sion de la Cour suprême du Canada. Le jugement
majoritaire rédigé par le juge Martland, auquel les
juges Beetz et Estey souscrivent, est d'une brièveté
et d'une concision extraordinaires. Le demandeur
Emms avait intenté une action en réintégration et
en indemnisation pour avoir été renvoyé en tant
que fonctionnaire permanent, et ce, de façon abu
sive a-t-il soutenu, pendant la prétendue prolonga
tion d'une période de stage. Voici les passages
pertinents des motifs du juge Martland, qui figu-
rent aux pages 1151 et 1152 R.C.S.; 194 et 195
D.L.R.:
En bref, l'art. 28 de la Loi vise le cas des employés en stage.
C'est la Commission qui fixe la période de stage. Si la personne
nommée fait déjà partie de la Fonction publique, le sous-chef
peut réduire le stage ou en dispenser l'employé. A tout moment
au cours du stage, le sous-chef peut, après avoir dûment avisé
l'employé et la Commission de son intention de le renvoyer,
engager la procédure au terme de laquelle celui-ci cessera
d'être un employé.
Le Règlement fixe les périodes de stage applicables aux
employés faisant partie d'une classe ou d'un groupe particu-
lias. La période de stage applicable à l'appelant était de douze
mois. Durant cette période, l'appelant n'a reçu aucun avis le
prévenant de l'intention de le renvoyer. Au contraire, le sous-
chef a voulu prolonger la période de stage de six mois et c'est
au cours de cette période de stage prolongée que l'appelant a
été renvoyé.
Le sous-chef s'est fondé sur le par. 30(2) du Règlement pour
prolonger la période de stage.
Si le sous-chef n'avait pas le pouvoir de prolonger la période
de stage, il s'ensuit que le renvoi de l'appelant a été effectué
après l'expiration de sa période de stage et qu'il est illégal. La
solution de ce pourvoi dépend donc de la validité du par. 30(2)
du Règlement.
Après avoir rendu jugement en l'espèce, la Cour d'appel
fédérale a, dans l'arrêt Ouimet c. La Reine ((1978), 21 N.R.
247, [1979] 1 C.F. 55), confirmé le jugement de la Division de
première instance [[1978] 1 C.F. 672] selon lequel la Commis
sion n'avait pas le pouvoir d'établir le par. 30(2) du Règlement.
Je souscris aux motifs de jugement rédigés par le juge en chef
Jackett au nom de la Cour d'appel.
En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le présent pourvoi.
Je souscris au dispositif proposé par mon collègue le juge
Pigeon. [Non souligné dans le texte original.]
Il convient de souligner que le jugement majori-
taire ne se préoccupe nullement de la question de
chose jugée, ni ne la mentionne, pas plus qu'il
n'examine la question de l'identité de parties. La
Cour n'a fait qu'appliquer le jugement rendu dans
l'affaire Ouimet, selon lequel le paragraphe con
testé du Règlement était ultra vires, aux questions
soulevées par le demandeur Emms et à son cas
dans l'affaire dont elle a été saisie. Elle a reconnu
la justesse de la décision non contestée de la
Division d'appel dans l'affaire Ouimet et, cela
étant, elle a interprété et posé la règle à laquelle
les préposés de la Couronne aussi bien que cette
dernière doivent consentir et obtempérer. Certes,
cette situation diffère peu pour ne pas dire pas du
tout de celle de l'espèce.
L'avocat de la défenderesse n'a pas cité les
motifs de la majorité dans l'affaire Emms. Il s'est
plutôt appuyé sur l'opinion minoritaire, dont seul
le dispositif a reçu l'accord de la majorité. Le juge
Pigeon avec qui le juge Pratte a été d'accord a fait
cette analyse aux pages 1158 R.C.S.; 199 D.L.R.
citée par l'avocat de la défenderesse:
A l'audition de la présente affaire, l'avocat de l'intimée nous
a informés que l'arrêt Ouimet n'avait pas été porté en appel
mais il nous a demandé de juger le contraire. Prié de dire
pourquoi l'autorisation d'appel n'avait pas été demandée, il a
répondu qu'il ne le savait pas mais n'a demandé ni cette
autorisation ni la prorogation du délai pour ce faire.
Je dois admettre que cette situation me trouble. Sa Majesté
est en face d'une déclaration formelle de la Cour d'instance
inférieure qui prononce l'invalidité de la disposition même sur
laquelle elle se fonde en l'espèce. Cette déclaration a été faite
dans une autre affaire et elle la laisse subsister en faveur d'un
autre demandeur; elle demande cependant à la Cour de rendre
une décision différente envers l'appelant en l'espèce.
Cette situation a préoccupé quelque peu le juge
Pigeon et le juge Pratte, mais elle n'a donné lieu à
aucune solution directe ni à aucune déclaration de
principe, ainsi qu'il ressort des pages 1161 et 1162
R.C.S.; 201 et 202 D.L.R.:
En conséquence, si l'invalidation formelle d'un règlement
administratif ne s'applique pas à tous ceux qui y sont assujettis,
cela peut signifier que toutes les autres personnes auxquelles
s'adresse le règlement, y compris les organismes administratifs
subalternes, sont tenues de continuer d'appliquer un texte
invalidé. C'est évidemment pour éviter un pareil résultat qu'en
droit municipal, on décide que l'annulation d'un règlement
s'applique «in rem».
Peut-on permettre à un organisme administratif de laisser
subsister une déclaration d'invalidité dans une affaire donnée et
de n'en pas tenir compte envers les tiers pour le cas où, dans
une autre affaire, elle pourrait réussir à faire décider le con-
traire par un tribunal d'instance supérieure, sinon par un autre
juge? La décision devrait-elle être assimilée à la déclaration
d'invalidité d'une loi à laquelle on semble n'avoir jamais donné
que l'autorité d'un précédent?
Après mûre réflexion, j'estime ne pas avoir à me prononcer
sur cette question difficile parce que, en tenant pour acquis que
l'intimée a le droit de demander une décision contraire à l'arrêt
Ouimet, je ne trouve aucune raison de le faire. On n'a présenté
à l'appui de la validité du par. 30(2) du Règlement sur l'emploi
dans la Fonction publique aucun argument qui n'y ait été
étudié par le juge de première instance et la Cour d'appel
fédérale et on ne fait voir aucune erreur dans les jugements
rendus à cet égard.
L'aspect important de cette jurisprudence réside
dans la notion en common law du stare decisis, qui
s'inscrit dans le droit public canadien et au
Canada, et que seul le droit privé du Québec ne
connaît pas. L'espèce présente participe d'une
action en responsabilité délictuelle, qui relève du
droit privé interne, mais elle exige l'interprétation
des lois de droit public, comme l'a fait la Division
d'appel dans l'affaire Maclntyre précitée. Ainsi
que l'a mentionné en passant le juge Pigeon dans
l'affaire Emms, on devrait, dans l'application de
son dictum, reconnaître que la décision Maclntyre
constitue un précédent obligatoire. S'il ne s'agit
pas d'une chose jugée proprement dite qui lie ces
parties dans un issue estoppel, il s'agit, à tout le
moins, d'une question de stare decisis que la
défenderesse devrait respecter en calculant la
période d'emprisonnement du demandeur.
La tentative de la défenderesse d'éviter que l'on
conclue à l'autorité de chose jugée, étant donné
l'absence de l'identité de parties, est sans impor
tance, ainsi que la conséquence juridique de la
différence entre les faits de l'espèce et de ceux de
Maclntyre. Le fond de la question réside dans la
conséquence juridique d'une condamnation pour
évasion pendant qu'une peine d'emprisonnement
légale est purgée—c'est-à-dire la bonne interpréta-
tion de la loi—dans des circonstances identiques
auxquelles la loi doit s'appliquer uniformément.
Cette question de la bonne interprétation, dans ces
circonstances, est maintenant tranchée. Dans leur
louable article «Issue Estoppel: Mutuality of Par
ties Reconsidered», (1986) 64 C.B.R. 437, les
auteurs Herman et Hayden pressent les tribunaux
canadiens de parer à la nécessité d'une identité de
parties, comme les tribunaux américains l'ont fait.
Ce conseil attrayant ne convient pas nécessaire-
ment à l'espèce.
Bien entendu, si la défenderesse, par l'entremise
de ses préposés, refuse de respecter la règle décou-
lant de la décision non contestée et fermement
établie de la Cour d'appel fédérale, alors, cette
Cour, qui est liée par la décision Maclntyre, doit
par conséquent imposer à la défenderesse les con-
séquences du non-respect ou de quelque autre
inobservation de la règle. Il serait difficile de nier
le côté pratique de la solution proposée par la
majorité de la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Emms. Après tout, c'est la même défende-
resse royale qui a refusé de demander l'autorisa-
tion d'interjeter appel devant la Cour suprême du
Canada de la décision Maclntyre, ce qui assure à
celle-ci son irrévocabilité et son autorité de précé-
dent en et pour l'espèce.
En fait, il semble que la défenderesse n'ait
jamais soulevé la question de suspension de l'appli-
cation de la décision Maclntyre, car il n'en est pas
fait état dans les motifs de la Cour. Une formation
d'appel différente a ultérieurement statué sur une
affaire mettant en cause le même procureur,
c'est-à-dire le sous-procureur général du Canada,
où la Cour a recouru à une technique permettant
d'éviter de graves conséquences avant qu'un appel
ne soit formé. Ainsi, dans l'affaire Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration c. Widmont, [1984]
2 C.F. 274 (C.A.), à la page 294, le juge Mahoney
a, au nom de la majorité, suspendu l'exécution du
jugement «jusqu'à la dernière des dates suivantes,
savoir celle de l'expiration du délai imparti à l'inti-
mée pour demander l'autorisation de se pourvoir
en Cour suprême du Canada, celle du refus d'ac-
corder cette permission si l'intimée la demande, ou
celle du prononcé du jugement si l'autorisation est
accordée». Il ne semble pas non plus que l'intimée
dans l'affaire Maclntyre ait demandé que le juge-
ment fût postdaté en vertu de la Règle 338(2). Il
n'est pas certain que ce genre de demande de la
part de l'intimée dans cette affaire-là (ou de la
part de la défenderesse en l'espèce) soit accueilli.
Toutefois, comme il n'est consigné nulle part qu'on
ait tenté soit d'obtenir une suspension soit de
persuader la Cour de postdater son jugement, on
peut en conclure que la défenderesse était satis-
faite de voir dans le jugement Maclntyre l'expres-
sion de la loi, définitive et revêtue d'autorité, à
moins que ou jusqu'à ce qu'il ait été infirmé en
appel. La défenderesse en l'espèce, qui était l'inti-
mée dans l'affaire Maclntyre, n'a jamais demandé
l'autorisation de se pourvoir devant la Cour
suprême du Canada.
La complexité et la dispersion de la loi ont rendu
difficile le calcul de la peine d'emprisonnement.
Dans l'affaire Maxie c. Commission nationale des
libérations conditionnelles, [1985] 2 C.F. 163 (1"
inst.), le dossier révèle un affidavit dont l'auteur se
désigne sous le titre de «Chef de la Gestion des
peines du Service canadien des pénitenciers». Ses
fonctions consistent à surveiller le calcul des pério-
des d'emprisonnement imposées aux détenus du
pénitencier selon les avis donnés par des avocats du
ministère de la Justice. Bien que cet auteur de
l'affidavit doive être un expert, il a néanmoins fait
six calculs possibles, chacun donnant lieu à une
date de mise en liberté différente dans l'affaire
Maxie. Les dispositions législatives qui continuent
de donner lieu à des décisions judiciaires ont gran-
dement besoin d'être révisées.
Toutefois, malgré la difficulté que présente le
calcul des dates de mise en liberté, la Division
d'appel a, dans l'affaire Maclntyre, exposé la
méthode de calcul des peines d'emprisonnement
auxquelles les évadés sont condamnés. Dans son
arrêt, la Division d'appel a péremptoirement posé
la règle comme si son interprétation prescrite de la
loi avait été véritablement énoncée dans celle-ci.
L'avocat de la défenderesse affirme que compte
tenu des restrictions de temps dans les circons-
tances, les préposés de la défenderesse n'ont ni fait
preuve de négligence ni délibérément ou arbitraire-
ment méconnu l'illégalité de détenir le demandeur
sans mandat pendant 43 jours. Le jugement d'une
cour supérieure, il est banal d'insister là-dessus, est
pleinement exécutoire jusqu'à ce qu'il ait été sus-
pendu ou infirmé en appel: Can. Transport (U.K.)
Ltd. v. Alsbury and Atty.-Gen. of B.C. (1952-53),
7 W.W.R. (N.S.) 49 (C.A.C.-B.), le juge d'appel
Sidney Smith, à la page 71. Un jugement de la
Division d'appel (par opposition aux motifs de
jugement) prend effet au moment de sa signature
par le juge présidant: Liberty Ornamental Iron
Ltd. c. B. Fertleman & Sons Ltd., [1977] 1 C.F.
584 (C.A.), le juge en chef Jackett, à la page 587.
Il ressort du dossier de la Cour que le. jugement
Maclntyre a en fait été signé le 19 juillet 1982.
L'avocat du demandeur a, le 13 août 1982, avisé
les préposés de la défenderesse de l'effet de ce
jugement à l'égard de son client. Il n'a été mis en
liberté que le 22 septembre 1982. L'avocat de la
défenderesse connaît le droit. De ce retard énorme
et inexpliqué, on ne peut conclure qu'à la négli-
gence et au mépris intentionnel ou injustifié du
droit du demandeur à la liberté. Telle est la con
clusion de la Cour. L'étude de la possibilité de
demander l'autorisation de se pourvoir devant la
Cour suprême du Canada ne justifie pas l'empri-
sonnement illégal. En conséquence, cette Cour
conclut que le demandeur avait droit et a encore
droit à ce que sa période d'emprisonnement soit
calculée conformément à l'arrêt Maclntyre c. La
Reine, signé et rendu par la Cour d'appel fédérale
le 19 juillet 1982, et maintenant publié dans
[1983] 1 C.F. 603. Les préposés de la Couronne
étaient tenus de l'appliquer au demandeur. Ils ont
refusé ou négligé de le faire. La défenderesse est
donc tenue, envers le demandeur, aux dommages-
intérêts pour l'avoir involontairement et inutile-
ment détenu à l'établissement de Collins Bay pen
dant une période de 43 jours allant du 11 août
1982 au 22 septembre 1982.
La responsabilité ayant été déterminée, il faut
aborder maintenant la question du quantum, ou
peut-être des quanta distincts, des dommages-inté-
rêts et la question de savoir s'il y a lieu d'accorder
des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs.
QUANTUM DES DOMMAGES-INTÉRÊTS
DOMMAGES-INTÉRÊTS GÉNÉRAUX
La question des dommages-intérêts généraux se
présente elle-même immédiatement, puisque le
demandeur n'a ni revendiqué ni prouvé des dom-
mages-intérêts particuliers.
Ainsi que l'a souligné Linden dans Canadian
Tort Law, (3 e éd., 1982, Butterworths, Toronto),
aux pages 44 et 45, [TRADUCTION] «étant donné
que ce délit [emprisonnement illégal] découle de
l'action en atteinte à l'intégrité physique, aucun
préjudice réel n'est exigé comme condition préala-
ble d'une revendication».
À la violation de l'intégrité physique qu'est l'em-
prisonnement illégal se greffe le délit de négligence
de la part des préposés de la défenderesse. Les
deux délits sont si intimement liés qu'une distinc
tion est presque impossible, sauf que, parmi les
éléments constitutifs du dernier délit, figure l'élé-
ment de préjudice résultant du manquement à un
devoir. Il est possible de soutenir que de priver le
demandeur de sa liberté a eu pour conséquence de
le priver de ses gains équivalant au moins au
salaire minimum pendant la période d'incarcéra-
tion après le moment où il aurait dû être libéré. La
preuve que le demandeur avait, dans le passé,
réussi à obtenir un emploi légitimement rémunéra-
teur étaie cet argument. Étant donné les autres
éléments de preuve quant au gaspillage par le
demandeur de sa liberté tant avant qu'après son
emprisonnement illégal, cet argument n'est pas
d'un grand secours dans la détermination du véri-
table montant des dommages-intérêts du deman-
deur. Néanmoins, afin d'évaluer le montant des
dommages-intérêts, la Cour considère qu'il y a eu
négligence donnant effectivement lieu à des dom-
mages-intérêts, bien que négligeables.
On doit conclure que le demandeur, par l'entre-
mise de son avocat, a fait son possible pour mini-
miser les dommages. On sait que, en appliquant la
règle énoncée dans l'arrêt Maclntyre rendu le 19
juillet 1982, le demandeur devait être mis en
liberté le 10 août 1982. Les avocats des parties ont
fait savoir leur accord sur cette date seulement à
l'ouverture du procès. (Les efforts déployés en
l'espèce pour s'entendre sur une date de mise en
liberté du demandeur illustrent bien la nécessité
qu'il y a d'adopter, dans une loi unique, avec
tableaux et diagrammes si nécessaires, une
méthode claire, simple et unifiée de calcul des
peines d'emprisonnement.) Quoi qu'il en soit,
l'avocat du demandeur a affectivement signifié, le
13 août 1982, au préposé à la gestion des peines de
l'établissement de Collins Bay que, étant donné
l'arrêt Maclntyre, la période d'incarcération du
demandeur se trouvait modifiée, et que, de l'avis
de son avocat, ce dernier aurait dû être mis en
liberté immédiatement. Cela est reconnu au para-
graphe 4 de la défense modifiée nunc pro tunc sur
consentement des avocats au procès (page 4 de la
transcription).
Les plaidoiries révèlent une autre tentative de
réduction des dommages-intérêts. Au paragraphe
5 de la défense, la défenderesse reconnaît le para-
graphe 17 de la déclaration qui est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Par lettre en date du 18 août 1982, on a avisé
personnellement le solliciteur général du Canada, préposé de la
défenderesse, du cas du demandeur. Le solliciteur général du
Canada a personnellement accusé réception de ladite lettre
dans sa lettre du 1" septembre 1982.
Étant donné que l'effet de l'arrêt Maclntyre
avait été connu ou aurait dû être connu de l'avocat
de la défenderesse et que ce dernier aurait dû en
être conscient, pendant la période de trois semai-
nes qui suivit le 19 juillet 1982, la défenderesse est
tenue à l'obligation d'indemnisation à compter du
10 août 1982 et après cette date, même si on
n'avait officiellement avisé le préposé à la gestion
des peines que trois jours plus tard.
Si l'arrêt de la Division d'appel avait pris effet à
la date régulière de mise en liberté ou après, la
Cour aurait, pour réduire les dommages-intérêts,
accordé à la défenderesse un délai raisonnable de
quelques jours, soit après la date du jugement, soit
après la date de l'avis à la défenderesse, mais, en
fait, aucune décision de ce genre n'a à être rendue
en l'espèce. Néanmoins, puisque le jugement a pris
effet bien avant la date à laquelle le demandeur
aurait dû être libéré, il est raisonnable de fixer les
dommages-intérêts pour le tort causé au deman-
deur à compter de minuit le 10 août 1982, l'empri-
sonnement du demandeur étant légal jusqu'à cette
date et non après.
L'avocat du demandeur préconise qu'une
méthode appropriée de calculer le quantum des
dommages-intérêts généraux réside dans une
indemnisation per diem. Il s'agit d'une méthode
raisonnable en l'espèce.
L'avocat du demandeur a cité les arrêts suivants
qui ont trait à l'octroi, à titre d'indemnisation, de
dommages-intérêts généraux pour emprisonnement
d'un jour ou d'une durée beaucoup plus courte:
Bradley v. Town of Woodstock (1978), 22 N.B.R.
(2d) 45 (B.R.);
Campbell v. S.S. Kresge Co. Ltd. et al. (1976), 74
D.L.R. (3d) 717 (C.S.N.-E.);
Eagle Motors (1958) Ltd. v. Makaoff, [1971] 1
W.W.R. 527 (C.A.C.-B.);
Bahner v. Marwest Hotel Co. Ltd. and Muir
(1970), 75 W.W.R. 729 (C.A.C.-B.);
Roberts v. Buster's Auto Towing Service Ltd. et
al. (1976), 70 D.L.R. (3d) 716 (C.S.C.-B.);
Hayward v. F.W. Woolworth Co. Ltd. et al.
(1979), 98 D.L.R. (3d) 345 (C.S.T.-N.); et
Carpenter & al. v. MacDonald & al. (1978), 21
O.R. (2d) 165 (C. dist. Ont.).
Dans l'affaire Hayward, des dommages-intérêts
exemplaires ont été accordés. Dans l'affaire Car
penter, la fixation des dommages-intérêts se fait
sous deux rubriques, l'une pour arrestation illégale
et séquestration et l'autre pour poursuite abusive.
L'avocat du demandeur a également cité des
décisions dans lesquelles des dommages-intérêts
avaient été accordés pour une prétendue séquestra-
tion de quelques jours séparés et pour une période
d'emprisonnement de 30 jours:
Tanner v. Norys, [1979] 5 W.W.R. 724 (C.S.
Alb.); et Hejduk v. R. in Right of B.C., [1981]
4 W.W.R. 122 (C.S.C.-B.).
Dans l'affaire Tanner v. Norys, le juge de pre-
mière instance a accordé ce qu'il appelait des
«dommages-intérêts généraux et exemplaires» pour
chacun des trois incidents, et des dommages-inté-
rêts exemplaires pour les deux derniers. (L'avocat
n'a pas révélé à la Cour que la Cour d'appel de
l'Alberta avait à l'unanimité annulé la conclusion
quant à la responsabilité tirée par le premier juge,
[1980] 4 W.W.R. 33, ni que la Cour suprême du
Canada avait rejeté la demande d'autorisation
d'appeler, [1980] 1 R.C.S. xii.)
Le juge d'appel Lieberman, accueillant l'appel
tout entier de Nory quant à la responsabilité, s'est
prononcé en ces termes (à la page 66, W.W.R.):
[TRADUCTION] Étant donné les conclusions que j'ai tirées, je
ne trouve pas nécessaire de statuer sur la question des domma-
ges-intérêts posée en appel ou en appel incident.
Étant donné que, dans l'affaire Tanner v. Norys, le
juge de première instance a évalué les deux catégo-
ries de dommages-intérêts relativement au [page
744] [TRADUCTION] «comportement abusif, inso
lent, malveillant et vexatoire du défendeur à
l'égard du demandeur, et à son mépris complète-
ment injustifié de la liberté du demandeur et de
l'inviolabilité de sa personne», mais que les juges
d'appel ont à l'unanimité statué que le juge de
première instance avait eu totalement tort dans ses
conclusions et que le comportement du défendeur
était justifié, il faut faire des réserves sur les
dommages-intérêts accordés par le juge de pre-
mière instance dans l'affaire Tanner v. Norys.
Dans l'affaire Hejduk, le juge en chef McEa-
chern a tenu compte seulement des dommages-
intérêts exemplaires de $ 10,000 accordés par le
juge de première instance pour le troisième inci
dent dans Tanner v. Norys pour fixer les domma-
ges-intérêts à $ 15,000 pour l'emprisonnement de
30 jours de Hejduk, mais il a rejeté l'action. Il n'a
rien dit de plus en faisant cette évaluation dans
l'affaire Hejduk.
Les décisions citées sont certes intéressantes,
mais aucune d'entre elles ne comporte des circons-
tances ou situations semblables à celles de Charles
Lawrence LeBar, le demandeur à l'instance, ni à
son mode de vie. La liberté est exquise. Certains
disent que la liberté est essentielle à l'épanouisse-
ment et au bonheur de l'homme. Au Canada, on
tient beaucoup à la liberté, qui constitue donc un
droit conditionnel de chacun, lequel droit est con-
ditionnellement protégé par la Constitution. La
liberté de circulation, d'être bien placé en société,
d'être utile dans la mesure de ses possibilités, de
rechercher le bonheur et, en fin de compte, sous
réserve des droits d'autrui ou généralement des
droits de la collectivité légitime dont on fait partie,
la liberté de ne pas être dérangé par les autorités
caractérisent une société civilisée pour ne pas dire
aussi une société libre et démocratique. La liberté
est toutefois un droit conditionnel. On peut en être
déchu par sa propre conduite, ou y renoncer par
son propre consentement librement donné, et il
arrive que la majorité des Canadiens y renonce
aussi dans des circonstances vraiment critiques.
Dans la jurisprudence citée ci-dessus, il appert
que, toute leur vie, les demandeurs particuliers
avaient tenu à leur propre liberté, qui leur était
chère et qu'ils respectaient. Leur cas, à cet égard,
diffère beaucoup de celui du demandeur à
l'instance.
Comment le demandeur à l'instance a-t-il prisé
et entretenu sa propre liberté toute sa vie durant?
Puisqu'il invoque le pouvoir de la Cour de lui
accorder une indemnité pour sa perte de liberté
pendant 43 jours, il doit être indemnisé selon la
valeur de cette liberté seulement, dont il a été
privé. Or, la liberté étant une valeur protégée par
la Constitution, à laquelle chacun a droit condi-
tionnellement, les tribunaux canadiens hésiteront
toujours à fixer l'indemnisation monétaire de la
liberté à zéro dans un cas particulier. Un terroriste
acharné, dépravé et déterminé, un tueur à gage et
tout pillard qui consacre sa vie et ses talents à
s'attaquer continuellement à la société par des
actes habituellement frauduleux ou violents,
seraient les premiers à voir leur liberté évaluée—
tant à leur égard qu'à celui de la société—à zéro.
Bien sûr, il y a l'espoir éternel de la réadaptation
sociale, mais cela n'entre pas dans le calcul de
l'indemnité pour le gaspillage de sa propre liberté.
Il faut reconnaître qu'il est possible, sinon pro
bable, que l'éducation du demandeur ait été, sur le
plan moral, insuffisante ou même particulièrement
brutale, mais, s'il en est ainsi, il n'en a pas fait
mention dans ses plaidoiries ni dans son témoi-
gnage oral. On ne saurait être tenu responsable
d'une formation morale insuffisante ou d'une triste
déformation remontant à l'enfance. Cependant, la
jouissance du droit à la liberté exige de chaque
individu de prudents efforts pour la préserver en ne
la compromettant pas par des activités criminelles.
Le demandeur a été incarcéré pour la première
fois à Guelph (Ontario), en 1942, lorsqu'il avait
environ quinze ou seize ans, purgeant une peine de
deux ans ou moins. Auparavant, il avait travaillé
comme chercheur de pièces dans une usine qui
fabriquait des chars d'assaut pendant les années de
guerre. À sa mise en liberté, il a trouvé un emploi
légitimement rémunérateur chez Colonial Dress
Company à Guelph, pour une période de dix-huit
mois. Il s'est engagé dans l'armée, est resté au
Canada et a été rendu à la vie civile à la fin des
hostilités en 1945. Après qu'il eut quitté l'armée, à
Guelph, il a été déclaré coupable dans [TRADUC-
TION] «un incident de voiture» selon ses propres
paroles, et il a perdu encore sa liberté. En 1949, il
a été, selon lui, déclaré coupable de vol de voiture,
et condamné à une peine de trois ans à purger au
pénitencier de Kingston, dont il a été libéré en
1952. Après avoir travaillé chez Humber Cleaners
de Toronto pendant environ quatre mois, il a perdu
de nouveau sa liberté, ayant été condamné à une
peine de six mois à purger dans la maison de
correction provinciale de Burwash pour avoir pris
une voiture sans le consentement de son proprié-
taire. Il a travaillé à Guelph pour un établissement
de nettoyage à sec et pour un établissement toron-
tois qui fabrique des composants de radar, mais,
d'après lui, il a perdu cet emploi à cause de son
casier judiciaire. La suite des événements, relatée
par le demandeur au contre-interrogatoire (pages
17 28 de la transcription), est quelque peu floue,
sans doute parce qu'il avait des trous de mémoire
et qu'il répugnait à relater tout cela en public.
Après avoir été renvoyé de l'usine de radar, le
demandeur a, sous un pseudonyme, trouvé un
autre emploi aux États-Unis, gérant deux bouti
ques de nettoyage à sec à Pittsburgh. Il a vécu aux
E.-U. pendant environ deux ans. En 1962, à
Hamilton (Ontario), le demandeur a été déclaré
coupable de deux infractions de vol à main armée,
et il a été condamné à des peines concurrentes
d'emprisonnement de 10 et de 14 ans respective-
ment. Il a été incarcéré au pénitencier de Kings-
ton, aux établissements de Millhaven, de Joyceville
et de Collins Bay, dont il s'est évadé, et il est
retourné aux É.-U. pour y rester pendant environ
cinq ans. Le demandeur a de nouveau trouvé un
emploi, sous un pseudonyme encore, mais il a été
déclaré, aux É.-U., coupable de recel de marchan-
dises volées, de possession d'un chécographe et
d'un pistolet; cette infraction lui a valu une peine
de cinq ans. Libéré de la prison américaine, le
demandeur est retourné à Toronto où la Sûreté de
l'Ontario l'a mis en état d'arrestation pour qu'il
réponde à l'accusation d'évasion. Il est retourné à
Collins Bay, où il est resté jusqu'à sa mise en
liberté le 22 septembre 1982, date dont il s'agit en
l'espèce. Il était assujetti à une peine d'emprison-
nement de 1962 1982.
Même après qu'il eut intenté la présente action,
le demandeur a de nouveau gaspillé sa liberté
lorsque, en mars 1983, il a été, à Toronto, déclaré
coupable d'introduction par effraction et con-
damné à deux ans d'emprisonnement. En août
1983, pendant qu'il était détenu à la suite de la
révocation de sa surveillance obligatoire, le deman-
deur a fait une crise cardiaque et il a reçu un
traitement médical et des médicaments appropriés
qui lui sont dispensés à titre gracieux et qu'il doit
continuer de prendre. Il souffre également d'her-
nie, pour laquelle il a subi une intervention chirur-
gicale. Il a obtenu son divorce en 1973. Au
moment du procès, le demandeur a dit qu'il habi-
tait chez sa soeur à Toronto. D'après lui, il était
alors sans travail, mais il recevait des prestations
d'aide sociale de [TRADUCTION] «environ $ 50 par
mois».
Ce qui précède explique pourquoi les domma-
ges-intérêts accordés dans la jurisprudence citée
par l'avocat du demandeur sont plus élevés que
ceux auxquels il peut prétendre en l'espèce. Celui
qui, jouissant de la pleine capacité juridique, ne se
comporte pas de façon à conserver sa liberté, mais
s'en prend continuellement aux autres par des
agissements criminels est l'artisan de la dévalua-
tion de sa propre liberté. Il ne saurait raisonnable-
ment exiger du peuple et du gouvernement cana-
diens qu'ils lui payent princièrement la liberté qu'il
a constamment sous-évaluée et gaspillée. Le
demandeur a presque toujours été une charge pour
les contribuables canadiens, et il cherche à leur
imposer le prix de la perte, pendant 43 jours, de la
liberté qu'il a si peu respectée. En effet, si on peut
attribuer une valeur monétaire à ce qu'il a reçu, il
est presque certain que le demandeur doive aux
Canadiens, qu'il a escroqués et volés, plus qu'il ne
peut payer aux titres du logement et de la nourri-
ture, du fardeau social et de l'inconduite crimi-
nelle. À cet égard, on peut se demander pourquoi
la défenderesse n'a pas demandé qu'il y ait
compensation.
Comment doit-on indemniser le demandeur de
la liberté qu'il a sous-évaluée et gaspillée? Il res-
sort de ses antécédents et de son inconduite ulté-
rieure que, laissé à lui-même le 10 août 1982, il
aurait pu s'attirer des ennuis pendant les 43 jours
qui suivirent. Bien sûr, il aurait pu (mais pour
combien de temps?) respirer l'air exquis de la
liberté et, peut-on soutenir, trouver un emploi
régulier. Cela compte, mais dans le cas particulier
du demandeur, cela ne compte pas beaucoup. En
1982, Collins Bay, il recevait un salaire de $ 35
par semaine. Si l'on devait rattacher à ce montant
son indemnité fixe—$ 5 par jour—ses dommages-
intérêts seraient fixés à $ 215 pour les 43 jours.
Mais même pour les Charles LeBar de ce monde,
la liberté vaut plus que cela. Si l'on double cette
somme pour la porter à $ 10, on constate que
rémunéré de la sorte au cours des vingt dernières
années, soit de 1962 1982, pendant qu'il était
incarcéré (abstraction faite de ses périodes de
liberté illégale, où il devait compter sur lui-même),
il aurait pu sortir de prison en 1982 avec une
somme de ($ 10 x 365 jours x 20) $ 73,000 plus
l'intérêt, s'il avait sagement économisé cette
somme. On ne saurait raisonnablement s'attendre
à ce que les contribuables canadiens payent plus de
$ 10 en dommages-intérêts généraux pour la
liberté que M. LeBar lui-même a si manifestement
méprisée tant avant qu'après le 10 août 1982. La
Cour accorde donc au demandeur $ 430 en dom-
mages-intérêts généraux pour sa détention illégale
à compter de minuit le 10 août 1982 jusqu'au
moment de sa libération, le 22 septembre 1982.
DOMMAGES-INTÉRÊTS EXEMPLAIRES
L'avocat de la défenderesse a fait valoir que, à
l'époque en cause, il n'existait pas d'ordinateur
permettant aux préposés de la défenderesse de
reconnaître immédiatement les «quelque vingt»
détenus de la prison (pages 73 et 74 de la trans
cription), sur une population carcérale totale de
[TRADUCTION] «13,000 personnes incarcérées
dans quelque sept provinces» (page 89 de la trans
cription), qui se trouvaient dans la même situation
que celle du demandeur. L'avocat du demandeur a
souligné à juste titre que la Cour ne dipose pas
d'éléments de preuve concernant la nécessité de
faire une recherche manuelle des dossiers de déte-
nus, mais on peut tout de même, en droit, se
demander [TRADUCTION] «Et puis?» Étant donné
la complexité des dispositions législatives, l'arrêt
Maclntyre n'a pas compliqué davantage le calcul
des périodes d'emprisonnement. Les dispositions
législatives demeurent aussi complexes qu'aupara-
vant.
Il faut se rappeler que, par l'entremise de son
avocat, le demandeur a pertinemment tenté de
réduire les dommages-intérêts en informant, en
temps utile, les préposés compétents de la défende-
resse et même le ministre, qu'il devait être mis en
liberté selon la méthode de calcul applicable énon-
cée par la Cour d'appel fédérale. Si les autorités
carcérales avaient immédiatement demandé à un
préposé à la gestion des peines de calculer et de
vérifier la date de mise en liberté du demandeur, et
si, par la suite, ce dernier avait été mis en liberté,
la Cour n'aurait pas maintenant à étudier l'oppor-
tunité qu'il y a d'adjuger des dommages-intérêts
exemplaires. Personne ne reprocherait aux fonc-
tionnaires d'avoir pris quelques heures ou même
un jour, après la notification, pour calculer la
bonne date de mise en liberté.
Ne tenir compte de la décision de la Cour
rendue le 19 juillet 1982 que le 22 septembre 1982
revenait à négliger l'obligation qui en découle pen
dant une période de 65 jours. Ne pas tenir compte
de la signification par l'avocat du demandeur de
l'effet de la décision de la Cour entre le 13 août et
le 22 septembre revenait à désavouer aussi bien la
décision que l'obligation qui en découle pendant
une période de 40 jours. Il s'agit donc d'une déten-
tion arrogante et arbitraire du demandeur. Ainsi
qu'il a été souligné, l'interprétation par la Cour de
la loi pertinente prend effet et fait autorité dès
qu'un jugement a été rendu.
Les dommages-intérêts sont ceux qui revêtent
également ce qu'on appelle un caractère [TRADUC-
TION] «punitif», «exemplaire», et même, selon
Linden (op. cit., page 51) «vengeur» et tenant de la
«pénalité». Une telle nomenclature, variée mais
constante et vigoureuse, dénote l'intention judi-
ciaire de dénoncer l'inconduite de la défenderesse.
Bien que la détention abusive du demandeur par
les préposés de la défenderesse pendant 43 jours
après ses 20 ans d'emprisonnement, mises à part
les périodes où il a été en liberté illégalement, ne
l'humilie ni ne le discrédite davantage, elle n'en
constitue pas moins un abus de pouvoir qui ne
repose sur aucun fondement constitutionnel. Au
Canada, où la liberté est un droit et une valeur
sociale que protège, bien que sous condition, la
Constitution, il est intolérable qu'on fasse peu de
cas de la liberté précieuse d'une personne, même
s'il s'agit de la liberté que le demandeur lui-même
a dépréciée.
En l'espèce toutefois, l'une des caractéristiques
attribuées à la conduite des préposés de la défende-
resse, soit l'intention de nuire, n'a pu ni être
imputée à une personne en particulier ni être
déduite de quoi que ce soit. Leur négligence et leur
mépris abusif et délibéré ou injustifié du droit du
demandeur d'être mis en liberté étaient tels qu'il y
a lieu à des dommages-intérêts exemplaires. Bien
qu'ils aient été informés en temps utile, ils ont
persisté à le détenir en prison jusqu'à la veille de la
date de présentation de sa requête en injonction, en
septembre 1982. Injustifiée par les faits, leur
inconduite est juridiquement injustifiable.
En l'espèce, en matière de dommages-intérêts
exemplaires, ce sont encore les contribuables qui
doivent payer pour la prévarication des préposés de
la défenderesse, mais cette fois ils doivent payer
une somme plus importante à cet égard. L'évalua-
tion ne relève pas d'une science exacte. La fixation
des dommages-intérêts exemplaires doit représen-
ter une sanction suffisante de la conduite répré-
hensible des préposés qui n'ont pas tenu compte de
la loi dont l'interprétation qui fait autorité leur a
été signalée clairement et qui ont osé, de façon
oppressive, abusive et délibérée, méconnaître le
droit du demandeur d'être libéré conditionnelle-
ment de sa détention illégale. Compte tenu de la
jurisprudence qui, malheureusement pour l'évalua-
teur, ne porte pas sur une situation identique ni
même presque semblable, la Cour accorde au
demandeur la somme de $ 10,000 à titre de dom-
mages-intérêts exemplaires.
Le demandeur a également droit aux dépens
taxés de la présente action.
CONCLUSION
En bref, il sera rendu un jugement déclaratoire,
ainsi que le demandeur l'a sollicité, portant qu'il a
droit à ce que la peine d'emprisonnement à
laquelle il avait été condamné soit calculée selon
l'arrêt Maclntyre c. La Reine rendu par la Cour
d'appel fédérale le 19 juillet 1982, qu'il recouvrera
de la défenderesse la somme de $ 430 à titre de
dommages-intérêts généraux et la somme de
$ 10,000 à titre de dommages-intérêts exemplaires
et qu'il a droit à ses dépens taxés de la présente
action.
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