T-1246-85
Canadian Pacific Express & Transport Ltd.,
Direct Transportation Systems Ltd., Kingsway
Transports Ltd., T.N.T. Canada Inc., Commercial
Truck Co. Ltd. (demanderesses)
c.
Motor Carrier Commission (défenderesse)
et
266936 B.C. Ltd., Custom Couriers Services Ltd.,
Yellow Freight Systems, Inc. (intervenantes)
Division de première instance, juge Joyal—
Vancouver, 9 septembre; Ottawa, 22 octobre 1985.
Compétence — Cour fédérale — Division de première ins
tance — L'attribution par le Parlement à une commission
établie et constituée en vertu d'une loi provinciale de fonctions
fédérales en matière de camionnage interprovincial ne fait pas
de celle-ci une commission fédérale au sens de l'art. 2 de la
Loi sur la Cour fédérale et ne donne pas compétence à la Cour
fédérale — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, art. 2, 18 — Loi sur le transport par véhicule à
moteur, S.R.C. 1970, chap. M-14, art. 3 — Motor Carrier Act,
R.S.B.C. 1979, chap. 286 — L'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 51 (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1), art. 101.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Camion-
nage interprovincial — L'attribution de fonctions fédérales à
une commission établie en vertu d'une loi provinciale ne fait
pas de celle-ci une commission fédérale — Une telle attribu
tion ne constitue pas une délégation inconstitutionnelle de
pouvoirs mais l'adoption valide par le Parlement d'une légis-
lation provinciale à des fins de réglementation du camionnage
interprovincial — Loi sur le transport par véhicule à moteur,
S.R.C. 1970, chap. M-14, art. 3 — Motor Carrier Act,
R.S.B.C. 1979, chap. 286 — L'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1), art. 101 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2e Supp.), chap. 10, art. 2, 18.
Les demanderesses sont toutes titulaires d'un permis de
transport interprovincial délivré par la Motor Carrier Commis
sion de la Colombie-Britannique. Elles ont demandé à la pré-
sente Cour de leur accorder un jugement déclaratoire, une
injonction et des brefs de certiorari et de mandamus à l'encon-
tre des conditions de leurs permis qui leur causent un préjudice
sérieux.
Les intervenantes demandent que soit radiée ou rejetée l'ac-
tion contre la Commission défenderesse pour le motif que la
Cour n'a pas compétence pour connaître de la présente affaire.
La principale question en litige consiste à déterminer si la
Commission est un «office, commission ou autre tribunal fédé-
ral» au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
Jugement: la requête des demanderesses doit être radiée.
Plutôt que de créer une commission fédérale pour réglemen-
ter le camionnage interprovincial, le Parlement a adopté une
disposition qui confère aux commissions de transport dans
chaque province le pouvoir de le faire. La Cour suprême du
Canada a statué dans l'arrêt Coughlin qu'il ne s'agit pas d'une
délégation du pouvoir de légiférer, mais plutôt de l'adoption
constitutionnellement valide par le Parlement d'une législation
provinciale. On pourrait croire que cette décision implique que
la loi provinciale devient une loi fédérale valide au sens de
l'article 101 de l'A.A.N.B. et la commission provinciale, un
office fédéral, mais il a été statué à maintes reprises que
l'attribution de fonctions fédérales à un organisme de réglemen-
tation établi et constitué en vertu d'une loi provinciale n'en fait
pas un «office, commission ou autre tribunal fédéral» au sens de
l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
Même si on devait conclure qu'un tel organisme provincial
est une sorte de persona designata, un mandataire du Parle-
ment appelé à exercer des fonctions fédérales et qu'il est donc
une commission dûment constituée en vertu d'une loi du Parle-
ment, la réponse à la question de savoir si la Commission est un
«office, commission ou autre tribunal fédéral» se trouve à la
définition énoncée à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale et
nulle part ailleurs. Et cette définition exclut expressément les
«organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d'une
province ou sous le régime d'une telle loi». Le critère ne consiste
pas à déterminer si la commission provinciale exerce des pou-
voirs fédéraux, mais plutôt si elle est constituée ou établie
conformément à une loi provinciale.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Re Bicknell Freighters Ltd. and Highway Transport
Board of Manitoba (1977), 77 D.L.R. (3d) 417 (C.A.
Man.); C.P. Transport Co. Ltd. v. Highway Traffic Bd.,
[1976] 5 W.W.R. 541 (C.A. Sask.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Coughlin v. Ontario Highway Transport Board et al.,
[1968] R.C.S. 569; Carruthers c. Comités de l'avorte-
ment thérapeutique, [1983] 2 C.F. 581 (C.F. 1" inst.);
Attorney- General for Ontario v. Israel Winner, [1954]
A.C. 541 (P.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
P.E.I. Potato Marketing Board v. Willis, [1952] 2
R.C.S. 392; Attorney -General for British Columbia v.
Attorney -General for Canada, [1937] A.C. 377 (P.C.);
McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La
Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; 75 D.L.R. (3d) 273.
AVOCATS:
T. G. Lewis pour les demanderesses.
C. Donald MacKinnon pour l'intervenante
266936 B.C. Ltd.
F. M. Turco pour l'intervenante Custom Cou
riers Services Ltd.
PROCUREURS:
Macdonald, Kwan & Lewis, Vancouver, pour
les demanderesses.
Boughton & Company, Vancouver, pour l'in-
tervenante 266936 B.C. Ltd.
Turco, Moscovich, Sabatino & Aikenhead,
Vancouver, pour l'intervenante Custom Cou
riers Services Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE JOYAL: Les intervenantes prient la
présente Cour de radier ou de rejeter l'action
intentée par les demanderesses contre la défende-
resse, la Motor Carrier Commission, pour les
motifs que ladite Cour n'a pas compétence pour
entendre et trancher les questions soulevées par les
demanderesses, et que ces dernières n'ont pas la
qualité voulue pour agir.
Avant que la demande ne soit entendue à Van-
couver, le 9 septembre 1985, les avocats des
demanderesses et des intervenantes ont remis à la
Cour un mémoire et des copies des précédents
applicables en l'espèce. Ces documents m'ont été
très utiles et je remercie les avocats de me les avoir
fournis.
La question que la Cour est appelée à trancher
tient en quelques lignes. Les demanderesses sont
toutes titulaires d'un permis de transport délivré
par la Motor Carrier Commission de la Colombie-
Britannique pour exploiter une entreprise de trans
port à l'intérieur et à l'extérieur de cette province.
L'intervenante, Custom Couriers Services Ltd.,
détient également un permis délivré par ladite
Commission. Les demanderesses allèguent que les
conditions de leur permis leur causent un préjudice
sérieux. Pour ce motif, elles prient donc la présente
Cour de leur accorder les redressements suivants:
[TRADUCTION]
a) Un jugement déclaratoire portant que la restriction sui-
vante est ajoutée aux conditions du permis délivré par la
Motor Carrier Commission, conditions qui ont été impri-
mées conformément à la demande de la défenderesse,
Custom Couriers, en date du 22 octobre 1979:
«Le poids des marchandises qui peuvent être transportées
en vertu de la présente clause ne doit pas excéder 50 lb
(22.68 kg) par paquet ou 100 lb (45.36 kg) par
chargement.»
b) Subsidiairement, un jugement déclaratoire portant que les
conditions du permis imprimées conformément à la
demande de la défenderesse, Custom Couriers en date du
22 octobre 1979 sont nulles et inopérantes.
c) Une injonction provisoire et une injonction permanente
interdisant aux défenderesses, la société Custom Couriers
et la société à numéro 266936, d'offrir au public et d'ex-
ploiter un service de transport contre rémunération confor-
mément à la clause 3 des conditions imprimées du permis
de la défenderesse, Custom Couriers.
d) Un bref de certiorari portant annulation de la clause 3 des
conditions du permis délivré illégalement par la division du
transport par voiture à moteur relativement à la demande
de la défenderesse Custom Couriers, qui porte le
n° 942/79.
e) Un bref de mandamus ordonnant à la défenderesse, la
division du transport par voiture à moteur, d'intervenir en
ce qui concerne la demande n° 942/79 de la défenderesse
Custom Couriers.
f) Des dommages-intérêts;
g) Les dépens;
h) Tout autre redressement que la présente Cour estimera
juste et raisonnable d'accorder,
Les requérantes/intervenantes contestent la
compétence de la Cour pour le motif que la Motor
Carrier Commission de la Colombie-Britannique
n'est pas un office, une commission ou un autre
tribunal fédéral d'après la définition qui est donnée
de ces termes à l'article 2 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, qui est
ainsi rédigé:
«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un orga-
nisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou
prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés
par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une
telle loi, à l'exclusion des organismes de ce genre constitués
ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une
telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en
conformité du droit d'une province ou en vertu de l'article 96
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867;
Par conséquent, allèguent les intervenantes, les
demanderesses ne peuvent se prévaloir du redresse-
ment prévu à l'article 18 de la Loi.
Les demanderesses soutiennent toutefois qu'en
exerçant sa compétence dans la présente affaire, la
Motor Carrier Commission de la Colombie-Britan-
nique agit en fait et en droit comme si elle était un
office, une commission ou un autre tribunal. Selon
leur avocat, il est admis que la compétence que
possède ladite Commission pour statuer à l'égard
du permis de Custom Couriers Services Ltd. se
fonde non pas sur une loi provinciale réglementant
le transport commercial par véhicule à moteur
dans les limites de la province de la Colombie-Bri-
tannique, mais sur une loi fédérale, la Loi sur le
transport par véhicule à moteur, S.R.C. 1970,
chap. M-14, qui est la loi attributive de compé-
tence en matière de camionnage interprovincial.
La compétence du Parlement fédéral en cette
matière a été clairement établie dans la cause
célèbre Attorney -General for Ontario v. Israel
Winner, [1954] A.C. 541 (P.C.).
Pour des raisons de politique, le Parlement a
toutefois choisi de ne pas créer une commission ou
un organisme fédéral distinct pour réglementer le
camionnage interprovincial. Il a plutôt adopté une
disposition qui confère aux commissions de trans
port dans chaque province le pouvoir de le faire.
Cette disposition est l'article 3 de la Loi sur le
transport par véhicule à moteur qui prévoit:
3. (1) Lorsque, dans une province, la loi de la province exige
un permis pour la mise en service d'une entreprise locale, nulle
personne ne doit y exploiter une entreprise extra-provinciale,
sauf si elle détient un permis délivré sous l'autorité de la
présente loi.
(2) La commission provinciale de transport, dans chaque
province, peut, à sa discrétion, délivrer à une personne un
permis d'exploiter une entreprise extra-provinciale en pénétrant
dans la province ou en passant à travers celle-ci, aux mêmes
conditions et de la même manière que si l'entreprise extra-pro-
vinciale y exploitée était une entreprise locale.
Voici comment la Cour suprême du Canada a
défini ce mode de réglementation du camionnage
interprovincial dans l'arrêt Coughlin v. Ontario
Highway Transport Board et al., [1968] R.C.S.
569, la page 575:
[TRADUCTION] À mon avis, il ne s'agit pas ici d'une déléga-
tion du pouvoir de légiférer, mais plutôt de l'adoption par le
Parlement, dans l'exercice de son pouvoir exclusif, de la législa-
tion d'un autre corps législatif, telle qu'elle peut exister de
temps à autre, et cette façon de procéder a été jugée constitu-
tionnellement valide par cette Cour dans Attorney General for
Ontario v. Scott ([1956] R.C.S. 137, 114 C.C.C. 224, 1 D.L.R.
(2d) 433) et par la Cour d'appel d'Ontario dans Regina v.
Glibbery ([1963] 1 O.R. 232, [1963] 1 C.C.C. 101, 38 C.R.
5, 36 D.L.R. (2d) 548).
Les demanderesses soutiennent que cette adop
tion d'une loi d'un autre corps législatif, à savoir la
Motor Carrier Act, R.S.B.C. 1979, chap. 286,
place la Motor Carrier Commission qui est créée
en vertu de cette Loi sous l'égide de l'article 2 de
la Loi sur la Cour fédérale.
Avant de passer en revue les précédents concer-
nant l'article précité, je ferais remarquer que la
compétence de la Cour fédérale du Canada lui
vient d'une loi, la Loi sur la Cour fédérale, qui, de
son côté, se fonde sur l'article 101 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31
Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II,
n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, n° 1), qui traite du pouvoir du
Parlement fédéral d'établir des tribunaux en vue
d'assurer une meilleure exécution des lois du
Canada. Dans l'arrêt McNamara Construction
(Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2
R.C.S. 654; 75 D.L.R. (3d) 273, la page 658
R.C.S.; 277 D.L.R., le juge en chef Laskin, parlant
au nom de la Cour suprême du Canada, a déclaré
dans les termes les plus nets que les dispositions de
l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867:
. posent comme condition préalable à l'exercice par la Cour
fédérale de sa compétence, l'existence d'une législation fédérale
applicable sur laquelle on puisse fonder les procédures. Il ne
suffit pas que le Parlement du Canada puisse légiférer sur un
domaine dont relève la question soumise à la Cour fédérale.
Le juge en chef a ajouté:
... la compétence judiciaire en vertu de l'art. 101 ne recouvre
pas le même domaine que la compétence législative fédérale.
Aux pages 659 et 660 R.C.S.; 278 D.L.R. de ses
motifs de jugement, il a en outre déclaré:
Il ne s'agit donc pas de décider en l'espèce si la demande de
redressement de la Couronne relève d'un domaine de compé-
tence législative fédérale, mais de déterminer si elle est fondée
sur la législation fédérale applicable. Je ne pense pas que, pris
littéralement, le par. 17(4), qui vise à habiliter la Cour fédérale
à connaître de tout genre d'action d'ordre civil du seul fait que
la Couronne du chef du Canada fait une réclamation à titre de
demanderesse, constitue une législation fédérale valide en vertu
de l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. La
règle de common law selon laquelle la Couronne peut poursui-
vre devant tout tribunal ayant compétence dans le domaine
pertinent, élaborée dans le régime unitaire anglais, ne peut
s'appliquer intégralement au Canada, un état fédéral, où les
pouvoirs législatifs et exécutifs sont répartis entre les législatu-
res et gouvernements centraux et provinciaux et où, en outre, le
pouvoir du Parlement d'établir des tribunaux est limité par la
Constitution.
Afin qu'il soit fait droit à la présente requête, les
demanderesses soutiennent qu'en vertu de l'article
3 de la loi fédérale, la Loi sur le transport par
véhicule à moteur, la Motor Carrier Act de la
Colombie-Britannique est une loi fédérale valide,
de telle sorte que la Motor Carrier Commission
devient un office, une commission ou un autre
tribunal fédéral, tel que cette expression est définie
à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
La prétention des demanderesses est d'une logi-
que incontestable. Puisque la compétence de la
Motor Carrier Commission en matière de camion-
nage interprovincial en Colombie-Britannique ne
découle pas d'un pouvoir provincial dans ce
domaine, mais plutôt de l'adoption par le Parle-
ment d'une loi de la Colombie-Britannique comme
cela peut parfois arriver, une telle loi devient une
loi fédérale et la Motor Carrier Commission
acquiert, aux fins de l'article 2 de la Loi sur la
Cour fédérale, le statut d'un office, d'une commis
sion ou d'un autre tribunal fédéral.
L'argumentation des demanderesses n'a toute-
fois pas obtenu la faveur de nos tribunaux. Dans
l'arrêt C.P. Transport Co. Ltd. v. Highway Traffic
Bd., [1976] 5 W.W.R. 541, la Cour d'appel de la
Saskatchewan n'a pas reconnu la compétence de la
Cour fédérale dans une affaire portée devant la
Cour du Banc de la Reine de la province. Le juge
en chef Culliton a déclaré à la page 547:
[TRADUCTION] Il est incontestable que la commission est un
organisme constitué et établi en vertu d'une loi de la province
de la Saskatchewan, The Vehicles Act. Même si le par. (2) de
l'art. 3 de la Loi sur le transport par véhicule à moteur dispose
que la commission provinciale de transport peut, à sa discrétion,
délivrer un permis d'exploitation d'une entreprise extra-provin-
ciale en pénétrant dans la province ou en passant à travers
celle-ci, cela ne modifie en rien la nature principale et le
caractère de la commission provinciale; elle demeure un orga-
nisme constitué et établi par une loi d'une province ou sous le
régime d'une telle loi. Il en résulte qu'elle n'est pas, selon les
termes précis employés dans la définition donnée à l'article 2,
un «office, commission ou autre tribunal fédéral». Par consé-
quent, ce n'est pas la Cour fédérale qui, comme le prétend
l'appelante, a compétence exclusive en vertu de l'art. 18 pour
connaître de la présente action mais plutôt la Cour du Banc de
la Reine de la Saskatchewan.
La Cour d'appel du Manitoba est arrivée à une
conclusion identique dans Re Bicknell Freighters
Ltd. and Highway Transport Board of Manitoba
(1977), 77 D.L.R. (3d) 417. Après avoir examiné
la cause C.P. Transport Co. Ltd. (précitée) et
l'arrêt de la Cour suprême du Canada Coughlin
(précité), la Cour est venue à la conclusion que la
Commission du transport du Manitoba était un
organisme établi et constitué par une loi provin-
ciale et n'était donc pas, un «office, commission ou
autre tribunal fédéral».
Une décision plus récente a été rendue par la
présente Cour dans Carruthers c. Comités de
l'avortement thérapeutique, [1983] 2 C.F. 581
(C.F. ire inst.) où le juge Collier a statué que ces
comités de l'avortement thérapeutique, bien qu'ils
aient été constitués en vertu de dispositions préci-
ses du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] et
qu'ils se fondent donc sur une disposition législa-
tive fédérale valide, ne constituaient pas des offi
ces, commissions ou autres tribunaux fédéraux au
sens de la Loi sur la Cour fédérale.
On ne peut sérieusement contester le fait que la
loi de la Colombie-Britannique établissant la
Motor Carrier Commission est similaire aux lois
par lesquelles l'Ontario, la Saskatchewan et le
Manitoba ont créé leurs propres organismes de
réglementation.
Dans tous ces cas, le mode de réglementation du
transport interprovincial par ces organismes pro-
vinciaux est le même. La Cour d'appel du Mani-
toba et la Cour d'appel de la Saskatchewan ont
toutes deux statué que ces fonctions ne faisaient
pas de leurs organismes de réglementation respec-
tif un «office, commission ou autre tribunal fédé-
ral» au sens où cette expression est définie à l'arti-
cle 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Toutes les
parties admettront que ces décisions ne sont pas
seulement convaincantes mais qu'elles permettent
presque de trancher péremptoirement le litige.
La situation à laquelle font face les demanderes-
ses fait songer au commentaire savoureux de G.K.
Chesterton selon lequel [TRADUCTION] «un chien
né dans un étable n'est pas pour autant un cheval».
Ainsi, ce n'est pas parce qu'un organisme provin
cial est chargé d'exercer des fonctions fédérales
qu'il devient pour autant un organisme fédéral.
Néanmoins, par respect pour la solide argumenta
tion de l'avocat des demanderesses, je suis disposé
à me faire certaines observations concernant la
cause Coughlin (précitée) qui sont susceptibles de
jeter le doute sur la maxime de Chesterton et de
conforter la thèse des demanderesses.
L'affaire Coughlin était une cause type portant
sur la constitutionnalité de l'article 3 de la Loi sur
le transport par véhicule à moteur, la Cour
suprême du Canada se prononçant dans une pro
portion de cinq contre deux sur le sujet, et les juges
Martland et Ritchie étant dissidents. Dans ses
motifs, ce dernier a attaqué la constitutionnalité de
cet article pour le motif qu'il constituait une délé-
gation d'un pouvoir législatif fédéral à la province
de l'Ontario, pouvoir que la Constitution ne recon-
naît ni à une législature provinciale ni au Parle-
ment fédéral. Il a conclu qu'il y avait véritable-
ment eu délégation parce que la loi fédérale ne
s'était pas contentée de créer un organisme provin
cial autorisé à exercer des fonctions de réglementa-
tion visant à promouvoir les politiques nationales
en matière de camionnage interprovincial, mais
qu'elle avait délégué également le pouvoir d'établir
et de mettre en oeuvre ces politiques.
La Cour est toutefois arrivée majoritairement à
une conclusion contraire, et la constitutionnalité de
l'article 3 de la Loi sur le transport par véhicule à
moteur a été maintenue. Parlant au nom de la
majorité, le juge Cartwright a déclaré à la page
575:
[TRADUCTION] Dans l'affaire qui nous est soumise, la Com
mission intimée ne tient de la législature de l'Ontario aucun
pouvoir de réglementer le transport interprovincial de marchan-
dises, ni de s'en occuper. C'est le Parlement qui lui a conféré les
larges pouvoirs qu'elle possède à cet égard. Le Parlement a jugé
opportun de décider que, dans l'exercice de ces pouvoirs, la
Commission procéderait de la même manière que celle qui peut
être prescrite à l'occasion par la législature pour le transport
intraprovincial. Le Parlement peut, à tout moment, mettre fin
aux pouvoirs de la Commission en ce qui concerne le transport
interprovincial, ou modifier la manière dont elle devra exercer
ces pouvoirs. Si les circonstances commandent une action
immédiate, le gouverneur général en conseil peut agir en vertu
de l'art. 5 de la Loi sur le transport par véhicule à moteur.
Cet extrait du jugement a notamment pour effet
d'investir un organisme provincial de fonctions
fédérales, comme le fait l'article 2 de la Loi sur
l'organisation du marché des produits agricoles,
S.C. 1949, chap. 16 dont la validité a été examinée
dans la cause P.E.I. Potato Marketing Board v.
Willis, [1952] 2 R.C.S. 392.
L'autre effet de cet extrait est d'ouvrir à nou-
veau la voie à l'argument des demanderesses. Cet
argument porte essentiellement que quelle que soit
le nom qui est donné à un organisme provincial et
quelle que soit la loi provinciale qui le crée, un tel
organisme, lorsqu'il réglemente le transport inter-
provincial par véhicule à moteur, doit nécessaire-
ment, si ce n'est par définition, constituer un orga-
nisme fédéral. En l'absence d'une loi fédérale qui
la crée et qui lui confie la gestion du camionnage
interprovincial, la commission est privée de toutes
attributions ou de tout fondement législatifs.
Sont particulièrement pertinents les commentai-
res du juge Cartwright selon lequel l'article 3
permet simplement à une commission provinciale
d'exercer son pouvoir de réglementation, le Parle-
ment fédéral se réservant en tout temps le droit de
mettre fin à ces pouvoirs ou de modifier la manière
dont ils devront être exercés. C'est à l'évidence le
type de contrôle que le Parlement ou le gouverneur
en conseil exerce sur les commissions et les orga-
nismes fédéraux dûment constitués. J'oserais dire
que sans ce type de contrôle, l'article 3 pourrait
être déclaré inconstitutionnel. On pourrait donc
conclure qu'une commission provinciale est une
sorte de persona designata, un mandataire ou un
agent du Parlement appelé à exercer des fonctions
fédérales et qu'elle est donc une commission
dûment constituée par une loi du Parlement.
Il ne fait pas de doute que le législateur a agi
avec beaucoup de prudence en rédigeant la Loi sur
le transport par véhicule à moteur. Il a tenu
compte de l'avertissement qu'a donné lord Atkin
dans l'arrêt Attorney -General for British Colum-
bia v. Attorney -General for Canada, [1937] A.C.
377 (P.C.), à la page 389:
[TRADUCTION] Tant que ne sera pas modifiée la répartition des
fonctions législatives du Dominion et des provinces, il se peut
bien que seule la coopération leur permette d'obtenir des résul-
tats satisfaisants. Mais il faudra élaborer la législation avec
prudence, et ce résultat ne saurait être atteint si les parties
sortent de leur propre sphère pour empiéter sur celle de l'autre.
(C'est moi qui souligne.)
On pourrait donc prétendre que la seule façon
pour le Parlement de purger sa Loi de toute trace
de délégation serait de convertir ces commissions
provinciales en commissions fédérales ou, pour
faire mentir. la maxime de Chesterton, de transfor
mer son chien en cheval.
J'estime que ce point de vue ne manque pas
d'attrait, mais en s'y arrêtant il se peut que l'on se
soit déjà trop éloigné du texte de la Loi sur la
Cour fédérale qui définit, en son article 2, l'expres-
sion «office, commission ou autre tribunal fédéral».
Les premiers mots de la définition font état d'un
office, d'une commission ou d'un autre tribunal
exerçant des pouvoirs conférés par une loi du
Parlement. Il ne fait pas de doute que la Motor
Carrier Commission, lorsqu'elle réglemente le
camionnage interprovincial, exerce des pouvoirs
qui lui sont conférés par la Loi sur le transport par
véhicule à moteur qu'a adoptée le Parlement fédé-
ral. La définition ajoute toutefois «à l'exclusion des
organismes de ce genre constitués ou établis par
une loi d'une province ou sous le régime d'une telle
loi ... » Si l'on interprète ces mots selon leur sens
usuel, ils excluent une commission créée par une
législature provinciale, que cette commission
exerce ou non «des pouvoirs conférés par une loi du
Parlement ... ou sous le régime d'une telle loi...»
La version française de la définition est tout
aussi péremptoire et explicite. On y lit:
«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un orga-
nisme . .. exerçant ou prétendant exercer une compétence ou
des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada . .. à
l'exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par
une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi ...
(C'est moi qui souligne.)
Si je comprends bien la version française de la
définition, il me semble évident que le critère ne
consiste pas à décider si une commission provin-
ciale exerce des pouvoirs fédéraux, mais plutôt si
une telle commission est constituée ou établie con-
formément à une disposition législative provin-
ciale.
Compte tenu des faits qui m'ont été présentés, il
ne semble pas faire de doute que la Motor Carrier
Commission de la Colombie-Britannique, même si
elle exerce une compétence et des pouvoirs confé-
rés par une loi fédérale, est néanmoins constituée
ou établie sous le régime de la Motor Carrier Act.
Dans ces circonstances, elle n'est pas visée (comme
l'indique clairement la version française) par la
définition.
Il me faut alors conclure comme l'a fait le juge
en chef Culliton dans l'arrêt C.P. Transport Co.
Ltd. (précité), à la page 546, [TRADUCTION]
«qu'on doit déterminer si une commission ou une
personne est un "office, commission ou autre tri
bunal fédéral" en se fondant sur la définition qu'en
donne l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale».
Suivant cette définition, la Motor Carrier Com
mission n'en fait pas partie.
La demande en l'espèce est donc rejetée. Dans
ce cas, il n'est pas nécessaire, et peut-être inappro-
prié, que j'examine l'autre moyen soulevé par les
intervenantes, c'est-à-dire la qualité des demande-
resses pour agir.
Dépens adjugés aux requérantes/intervenantes.
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