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T-837-85
George Addy (demandeur)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse)
Division de première instance, juge suppléant Grant-Toronto, 30 juillet et 28 août 1985.
Droit constitutionnel - Magistrature - Juges de la Cour fédérale - Durée des fonctions - La Cour fédérale est une cour supérieure au sens de l'art. 99(2) de la Loi constitution- nelle - La durée des fonctions des juges de la Cour fédérale devrait être la même que celle des juges des cours supérieures - Disposition incompatible et donc inopérante de la Loi sur la Cour fédérale - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5J (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 96, 97, 98, 99 (mod. par la Loi constitutionnelle de 1960, 9 Eliz. II, chap. 2 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 36] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 25)), 100, 101 - Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1), 58 - Acte de la Cour suprême et de l'Echiquier, 38 Vict., chap. 11, art. 58 - Loi de la Cour de l'Echiquier, S.R.C. 1906, chap. 140, art. 10 (mod. par S.C. 1926-27, chap. 30, art. 1) - Loi de la cour Suprême, S.R.C. 1906, chap. 139, art. 9 (mod. par S.C. 1926-27, chap. 38, art. 2) - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 3, 8(2), 10, 17, 20, 21, 22, 24, 26(1), 28 - Loi sur les juges, S.R.C. 1970, chap. J-1 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 64(2)), art. 2, 23(1)a),d) - Loi d'inter- prétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, (mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 64(2)J, art. 28.
Droit constitutionnel - Charte des droits - Droits à l'égalité - Age de la retraite obligatoire - Discrimination envers les juges de la Cour fédérale nommés après le 1' juin 1971 par rapport à ceux nommés antérieurement - L'imposi- tion d'un âge moins avancé de retraite obligatoire ne constitue pas une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique Disposition incriminée de la Loi sur la Cour fédérale inopé- rante - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 15 - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 3, 8(2), 10, 17, 20, 21, 22, 24, 26(1), 28, 60(5).
Juges et tribunaux - Juges de la Cour fédérale - Âge de la retraite obligatoire des juges de la Cour fédérale nommés après le 1' juin 1971 - Le terme «juge», à l'art. 60(5) de la Loi sur la Cour fédérale, inclut les juges de tout autre tribunal occupant leur poste le le' juin 1971 - La Cour fédérale est une cour supérieure au sens de l'art. 99(2) de la Loi constitu- tionnelle et les juges de la Cour fédérale sont des juges de cour supérieure au sens de ladite disposition - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 3, 8(2), 10, 17, 20, 21, 22, 24, 26(1), 28, 60(5) - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5J (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, I), art. 99(2) (mod. par la Loi constitutionnelle de 1960, 9 Eliz. II, chap. 2 (R-U.) /S.R.C. 1970, Appendice II, 36] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 25).
Le demandeur, en 1915, a été nommé juge à la Cour suprême de l'Ontario en 1967, et juge à la Cour fédérale du Canada en 1973.
L'âge de la retraite obligatoire pour les juges de la Cour fédérale, fixé par le paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale, est de 70 ans.
Il s'agit de savoir si cette disposition peut fixer validement la retraite obligatoire à un âge différent et moins favorable que celui prévu, dans le cas des juges des cours supérieures, par l'article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Jugement: action est accueillie et ordonnance est rendue, déclarant que le paragraphe 8(2) est inopérant, en raison de son incompatibilité avec le paragraphe 99(2) de la Loi constitu- tionnelle de 1867 et avec l'article 15 de la Charte, et que le paragraphe 8(2) n'oblige pas le demandeur à quitter sa charge avant l'âge de 75 ans.
La Cour fédérale, comme la Cour suprême du Canada, est une cour supérieure au sens du paragraphe 99(2) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cela ressort clairement du texte de l'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale et de la définition de «cour supérieure» de la Loi sur les juges et de la Loi d'interpré- tation. De plus, la compétence de la Cour fédérale comporte des pouvoirs et des fonctions comparables à ceux qu'exercent les cours supérieures provinciales. Aucune disposition constitu- tionnelle ou légale n'interdit de considérer un juge de la Cour fédérale comme un juge d'une cour supérieure et rien dans la Constitution n'indique que le terme «supérieur» signifie autre chose qu'une cour qui exerce un contrôle, par opposition à un tribunal inférieur, qui ne dispose pas de pouvoir de contrôle. L'article 99, qui fixe la durée d'exercice des fonctions des juges des cours supérieures, est général. Il s'applique à l'ensemble des juges des cours supérieures, que le juge ait été nommé juge d'une cour supérieure d'une province ou d'une cour créée en vertu de l'article 101. Le paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale est donc invalide en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, étant incompatible avec le para- graphe 99(2).
Le paragraphe 8(2) porte aussi atteinte aux droits à l'égalité du demandeur que lui garantit l'article 15 de la Charte. Comme le reconnaît la défenderesse, il y a discrimination entre les juges de la Cour fédérale nommés après le 1 °' juin 1971 et ceux qui ont été nommés avant cette date. La distinction n'est pas fondée sur le tribunal auquel ils appartiennent. Le fait que l'article 15 ne devait recevoir effet que trois ans après l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982 n'est pas un empêchement à son application` en l'espèce.
Il est difficile de considérer qu'imposer 70 ans comme une limite d'âge est raisonnable au sens de l'article 1 de la Charte, surtout lorsque aucune limite semblable n'est imposée aux juges suppléants et qu'au moment de sa nomination à la Cour fédérale le demandeur occupait une charge, à la Cour suprême de l'Ontario, dont la durée était de cinq ans supérieure.
En outre, le terme «juge», au paragraphe 60(5) de la Loi sur la Cour fédérale, comprend le juge de toute autre cour qui était en fonction le lei juin 1971, qui pouvait être nommé à la Cour fédérale, et qui a effectivement été nommé à cette Cour par la suite.
Le paragraphe 8(2) porte donc atteinte au droit du deman- deur d'occuper sa charge jusqu'à l'âge de 75 ans, comme les juges de celle-ci qui occupaient cette charge le 1" juin 1971. Il est donc incompatible avec l'article 15 de la manière déjà indiquée et, dans cette mesure, il est inopérant.
Le paragraphe 8(2) n'oblige donc pas le demandeur à pren- dre sa retraite avant d'avoir atteint l'âge de 75 ans.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228; Lees c. La Reine, [1974] 1 C.F. 605 (1"e inst.); Ex p. Quevillon (1974), 20 C.C.C. (2d) 555 (C.F. 1"e inst.); R. c. Livingston, [1977] 1 C.F. 368 (1"e inst.); Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 11 D.L.R. (4th) 641; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; [1985] 3 W.W.R. 481; Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; 9 D.L.R. (4th) 161.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Beauregard (L'hon. juge Marc) c. R., [1981] 2 C.F. 543 (1f» inst.).
DÉCISION CITÉE:
Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518.
AVOCATS:
Gordon F. Henderson, c.r. et Emilio Bina- vince pour le demandeur.
Eric A. Bowie et Paul Betournay pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT GRANT: Le demandeur a été nommé juge de la Cour suprême de l'Ontario le 21 septembre 1967 et il a siégé en cette qualité jusqu'au 17 septembre 1973, date à laquelle il a été nommé juge de la Cour fédérale du Canada. Il siège toujours en cette dernière qualité actuelle- ment.
Il est le 28 septembre 1915; il aura donc soixante-dix (70) ans le 28 septembre 1985.
La Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [[S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution- nelle de 1982, 1)] prévoit le mode de nomina tion, la durée des fonctions des juges et la création de tribunaux fédéraux. Les articles suivants sont pertinents en l'espèce:
96. Le gouverneur général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification en Nouvelle-Ecosse et au Nouveau-Brunswick.
99. Les juges des cours supérieures resteront en fonctions durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes.
L'ancien article 99 de la Loi a été modifié par la Loi constitutionnelle de 1960, 9 Eliz. II, chap. 2 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 36] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 25) qui est entrée en vigueur le 1" mars 1961. La modification consistait à ajouter, immé- diatement avant le texte énoncé ci-dessus, la réserve suivante:
Sous réserve du paragraphe (2) du présent article,
On trouvera le texte de l'article modifié plus loin.
101. Nonobstant toute disposition de la présente loi, le Parlement du Canada pourra, de temps à autre, prévoir la constitution, le maintien et l'organisation d'une cour générale d'appel pour le Canada, ainsi que l'établissement d'autres tribunaux pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada. (C'est moi qui souligne.)
La Cour suprême du Canada et la Cour de l'Échiquier furent constituées par la loi [Acte de la Cour Suprême et de l'Echiquier] 38 Vict., chap. 11, en 1875. L'article 58 de celle-ci décrivait notamment la compétence de la Cour de l'Échiquier:
58.... et la dite cour aura juridiction exclusive en première instance dans tous les cas demande sera faite ou recours sera cherché au sujet de toute matière qui pourrait, en Angleterre, faire le sujet d'une poursuite ou action devant la Cour de l'Echiquier en sa juridiction du revenu, contre la couronne ou quelque officier de la couronne.
Pendant un certain temps après la création de la Cour suprême du Canada et de la Cour de l'Échi- quier en 1875, les juges des deux Cours ont été les mêmes.
Il n'y avait pas alors d'âge de la retraite pour les juges de ces Cours et ils occupaient leur charge à vie, sous réserve de révocation par le gouverneur général, sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes, tel que prévu à l'article 99. Par le chapitre 30 des Statuts du Canada de 1926-27, l'article 10 de la Loi de la cour de l'Echiquier [S.R.C. 1906, chap. 140] fut modifié par l'adjonc- tion de ce qui suit:
1....
«Toutefois, qu'il ait été nommé jusqu'ici ou qu'il le soit à l'avenir, il doit cesser d'occuper sa charge dès qu'il atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou immédiatement, s'il a déjà atteint cet âge.»
Par le chapitre 38 de 17 George V [S.C. 1926-27, chap. 38], le même ajout était inséré à l'article 9 de la Loi de la cour Suprême [S.R.C. 1906, chap. 139]. Par la Loi constitutionnelle de 1960, l'article 99 était modifié pour se lire:
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonctions à titre inamo- vible, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes.
(2) Un juge d'une cour supérieure, nommé avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, cessera de détenir sa charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou à la date d'entrée en vigueur du présent article si, à cette date, il a déjà atteint cet âge.
Cet article entra en vigueur le ter mars 1961 en vertu de la loi du Royaume-Uni, 9 Eliz. II, chap. 2.
La Loi sur la Cour fédérale fut adoptée en 1970 (S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10). Elle continuait d'exercer les compétences de la Cour de l'Échi- quier sous son nouveau nom et demeurait une cour supérieure d'archives. Voici le paragraphe 8(2) de la Loi:
s....
(2) Un juge de la Cour cesse d'occuper son poste à l'âge de soixante-dix ans. [C'est moi qui souligne.]
60....
(5) Pour les juges qui étaient en fonction le let juin 1971, le paragraphe 8(2) doit se lire comme suit:
«(2) Un juge de la Cour cesse d'occuper son poste à l'âge de soixante-quinze ans.»
et, pour les juges nommés à la Cour à compter du 1»' juin 1971, l'alinéa 23(1)a) de la Loi sur les juges doit se lire comme si l'âge qui y est indiqué était de «soixante-cinq ans» au lieu de «soixante-dix ans» et l'alinéa 23(1)d) doit se lire comme si l'âge qui y est indiqué était de «soixante-dix ans» au lieu de «soixante- quinze ans».
La disposition finale de l'article ci-dessus porte sur le montant de «la pension du juge».
Le demandeur fait valoir que ce paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale est incompati ble avec la Constitution du Canada, et donc inopé- rant en vertu de l'article 52 de la Loi constitution- nelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], et qu'il porte atteinte au droit du demandeur, garanti par l'arti- cle 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)11, dans la mesure il fixe l'âge de la retraite obligatoire à soixante- dix ans, un âge donc différent et moins favorable que l'âge obligatoire de la retraite fixé à soixante- quinze ans, dans le cas des juges des cours supé- rieures, par l'article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867, modifiée en 1960. Voici le paragraphe 52(1) de cette Loi [Loi constitutionnelle de 1982]:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Le demandeur ne conteste pas en l'espèce la compétence du législateur fédéral d'imposer une retraite aux juges et d'en fixer l'âge, pourvu que cela soit fait dans le respect de l'article 15 de la Charte des droits. Il fait valoir que le législateur fédéral ne peut, conformément à cet article, fixer la retraite à un âge moins avancé ou moins favora ble, dans le cas des juges de la Cour fédérale, que l'âge reconnu dans le cas des autres juges des cours supérieures canadiennes. Il ne conteste pas non plus que la retraite soit obligatoire.
À l'époque de l'adoption de l'Acte de l'Améri- que du Nord Britannique, 1867, les juges des cours supérieures des provinces jouissaient de la pléni- tude de juridiction et étaient les successeurs directs des juges des cours royales d'Angleterre. Ils étaient considérés, en ce qui concernait leur compétence historique, comme la principale autorité investie du pouvoir judiciaire au Canada.
L'avocat de la Couronne soutient que l'expres- sion «cour supérieure» utilisée aux articles 96 et 100 de cette Loi ne vise que les cours supérieures provinciales et que la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale doivent leur existence, leur rôle et leur compétence uniquement à la législation fédé- rale qui les constitue et qu'en conséquence elles, et les juges qui les composent, ne jouissent pas du même statut constitutionnel, pour ce qui est de la durée de leur charge, que les juges des cours supérieures des provinces. Il fait aussi valoir que l'article 101 de cette Loi, qui autorise le Parlement à constituer, maintenir et organiser une cour géné- rale d'appel pour le Canada, ainsi que d'autres tribunaux, pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada, permet au législateur fédéral de fixer la durée des fonctions des juges nommés pour siéger à ces tribunaux nouvellement constitués indépendamment de la réserve de l'article 99 (pré- cité). Pour étayer cela, il se réfère à l'opinion incidente du juge Addy dans la décision Beaure- gard (L'hon. juge Marc) c. R., [1981] 2 C. F. 543 (ire inst.), à la page 552, il dit:
... l'existence, le rôle et la compétence des juges de la Cour fédérale du Canada, de même que ceux de la Cour suprême du Canada, sont régis entièrement par des lois fédérales et que ces juges n'ont pas le même statut constitutionnel que les juges des cours supérieures des provinces, qui exercent la compétence attribuable à un tribunal de droit commun dans les diverses provinces et qui, sur le plan constitutionnel, sont les vrais successeurs des premiers juges des Central Courts d'Angleterre nommés par le Roi.
Je suis d'avis que ces mots-là sont employés pour attirer l'attention sur la différence de compétence de ces tribunaux plutôt que sur la durée des fonc- tions de leurs juges. Le terme «supérieur» est opposé aux tribunaux «inférieurs» qui ne détien- nent aucune compétence de contrôle.
L'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale décrit celle-ci comme un «tribunal supplémentaire pour la bonne application du droit du Canada, et demeure une cour supérieure d'archives ayant compétence en matière civile et pénale.»
La Loi sur les juges, S.R.C. 1970, chap. J-1 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 64(2)), en son article d'interprétation, dit:
2....
«cour supérieure» comprend la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale du Canada;
La Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23 (mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 64(2)) définit «cour supérieure»:
28....
a) dans les provinces d'Ontario ... la Cour suprême de la
province,
et comprend la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale du Canada.
Dans l'arrêt Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228, aux pages 232 et 233, le juge Pigeon, traitant de la question de compétence, rappelle que:
... la Cour fédérale, en matière fédérale, [n'est pas] une «cour supérieure» au sens que possède cette expression lorsqu'elle est appliquée aux cours supérieures des provinces, c'est-à-dire à des cours qui ont compétence dans toutes les matières qui ne sont pas exclues de leur juridiction ou, pour employer les termes du Juge en chef Ritchie dans l'arrêt Valin c. Langlois (1879), 3 R.C.S. 1, p. 19, [TRADUCTION] «des cours tenues de prendre connaissance de toutes les lois et de les appliquer . ..». La Cour de l'Échiquier n'était pas une «cour supérieure» dans ce sens-là ... Vu tout ce qui précède, il me parait que la Cour fédérale est une «cour supérieure» au sens d'une cour ayant un pouvoir de surveillance. C'est un sens souvent employé, comme le démontrent les nombreux précédents étudiés dans l'arrêt Re Macdonald, [1930] 2 D.L.R. 177 [[1930] 1 W.W.R. 242, 38 Man. L.R. 446] et il est significatif que pareille compétence soit conférée par la Loi.
Cette espèce, Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, fut renversée par l'arrêt Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [ 1982] 2 R.C.S. 518, sur un autre point, sans que cependant aucun doute ne soit jeté sur le bien-fondé du passage précité du juge Pigeon.
Dans l'affaire Lees c. La Reine, [1974] 1 C.F. 605 (l ie inst.), le juge Heald a dit, à la page 608: La Cour fédérale du Canada et la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan sont toutes deux des cours supérieures d'archi- ves et on ne peut contester simultanément leurs ordonnances.
Voir aussi Ex p. Quevillon (1974), 20 C.C.C. (2d) 555 (C.F. ire inst.) à la page 556, et l'affaire R. c. Livingston, [1977] 1 C.F. 368 (l ie inst.), à la page 370.
En vertu de l'article 17 de la Loi [Loi sur la Cour fédérale], la Division de première instance de la Cour fédérale a compétence en première ins tance dans tous les cas l'on demande contre la Couronne un redressement et, sauf disposition con- traire, cette compétence est exclusive. En vertu de l'article 20, elle a compétence concurrente dans les
cas qui y sont prévus. La Cour d'appel fédérale aussi a compétence exclusive dans tous les cas d'appel interjeté de la Division de première ins tance, sous réserve de pourvoi en Cour suprême du Canada. Les fonctions des juges de la Cour fédé- rale paraissent égales à celles qu'exercent les juges des cours supérieures des provinces.
Dans un article intitulé «The Independence of the Judiciary» (1956), 34 R.B.C. 769 et 1139, la page 1176, le professeur W. R. Lederman expose son raisonnement sur le sujet comme suit:
[TRADUCTION] En d'autres mots, mon raisonnement est le suivant: la clause «nonobstant» de l'article 101 joue le même rôle que dans la disposition liminaire de l'article 91, c'est-à-dire qu'elle protège les matières énumérées de compétence fédérale de tout conflit textuel avec une catégorie de compétence provin- ciale et, cela fait, elle a rempli son office. D'où mon opinion que l'expression «cour supérieure» des articles 99 et 100 vise toutes les cours supérieures fédérales constituées en vertu de l'article 101. Si cela était avéré, les juges des cours supérieures fédérales se trouveraient dans la même position, quant à leur traitement, à leur charge, à leur retraite et à leur révocation, que les juges des cours supérieures provinciales, et ce pour les mêmes raisons constitutionnelles.
Dans son Canadian Constitutional Law, éd.
rev., 1975, la page 762, Laskin, ultérieurement juge en chef, se déclare en désaccord avec cette opinion de Lederman, disant:
[TRADUCTION] Lederman a laissé entendre, The Indepen dence of the Judiciary, [ ... précité], que les restrictions des art. 96 100 de l'A.A.N.B. peuvent fort bien être incorporées à l'art. 101 de façon que les tribunaux fédéraux soient assujettis aux mêmes restrictions, mais il n'existe aucun motif soutenable, historique ou textuel, qui étaye cette proposition.
Ce que Laskin critique de l'article de Lederman dans la citation précitée, c'est que les restrictions
des articles 96 100 de l'A.A.N.B. puissent fort bien être incorporées à l'article 101, de façon que les tribunaux fédéraux soient assujettis aux mêmes restrictions. Il ne se réfère nullement à la durée des fonctions des juges nommés par le fédéral.
Une cour supérieure, par opposition à une cour inférieure, possède une vaste compétence de con- trôle sur les organismes administratifs inférieurs qu'elle maintient dans les limites de leurs pouvoirs par l'évocation devant elle de leurs décisions ou par la prohibition de procéder devant le tribunal inférieur.
Blackstone, 3 Commentaries (1768) 42-46.
La compétence de la Cour fédérale comporte des pouvoirs et des fonctions comparables à celles qu'exercent les cours supérieures provinciales. On trouvera des exemples de cela dans les articles suivants de la Loi sur la Cour fédérale:
17 Litiges la Couronne est défenderesse;
21 Appels en matière de citoyenneté;
22 Navigation et marine marchande, juridiction maritime;
24 Appels en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt
sur les biens transmis par décès;
26 (1) Tribunal de droit commun;
28 Examen des décisions d'un office, d'une commission ou d'un autre tribunal fédéral.
En outre, des lois spéciales confèrent à la Cour une compétence de contrôle, telles la Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe I, et la Loi sur la protection des renseigne- ments personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II.
Il n'y a rien dans la Loi constitutionnelle ni dans toute autre loi qui interdise de considérer un juge de la Cour fédérale comme un juge d'une cour supérieure et rien à l'article 99, ni ailleurs dans cette Loi, n'indique que le terme «supérieure» ne signifie pas qu'il s'agit d'une cour qui exerce un contrôle par opposition à un tribunal inférieur qui ne dispose pas de pouvoirs de contrôle—par exem- ple, la Loi sur les juges (précitée). On ne saurait dire que la Cour suprême du Canada n'est pas une cour supérieure simplement parce qu'elle a été constituée en vertu d'une loi, en application des pouvoirs conférés par l'article 101 de la Loi constitutionnelle.
Pendant un certain temps, après la création de la Cour suprême du Canada et de la Cour de l'Échiquier, en 1875, les juges des deux cours ont été les mêmes.
L'avocat de la Couronne soutient que l'expres- sion «cours supérieures» figurant à l'article 99 ne renvoie qu'à l'expression qui précède: «les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province». J'entretiens des doutes à cet égard, car l'article 99 ne fait aucune référence aux juges des cours de district et de comté. Cela se comprend, car ces tribunaux n'exerçaient pas de pouvoirs de contrôle sur d'autres tribunaux comme la cour supérieure; il n'était pas aussi important que leurs juges occupent leur charge à vie.
Il faut rapprocher le paragraphe 99(2) de l'arti- cle 101 de la même Loi qui permet la création d'une cour d'appel pour tout le Canada et d'autres tribunaux. Le législateur fédéral devait savoir que cette cour d'appel, à tout le moins, serait une cour supérieure au sens ordinaire du mot. Si l'on avait voulu que les juges de cette cour n'occupent pas leur charge aussi longtemps, on aurait pu s'atten- dre à ce que cela soit clairement exprimé dans cette Loi. Si les autres tribunaux, dont on pré- voyait aussi l'établissement, ne devaient pas non plus être considérés comme des cours supérieures, on pourrait tirer la même conclusion. Les termes du paragraphe 99(2), «nommé avant ou après l'en- trée en vigueur du présent article», sont une indica tion qu'une charge de cette durée allait être dévo- lue à tous ceux qui auraient la qualité de juge d'une cour supérieure, sans égard au moment de la constitution de cette cour. On notera que l'article 101 ne traite pas de la durée des fonctions des juges nommés pour siéger à ces cours, mais uni- quement de la constitution, du maintien et de l'organisation d'une cour générale d'appel et de l'établissement d'autres tribunaux. Il faut se réfé- rer au paragraphe 99(2) pour trouver la source de la durée des fonctions des juges qui y sont nommés.
L'article 96 qui permet la nomination des juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province se veut particulier aux provinces. Le paragraphe 99(1), qui prévoit la durée des fonctions des juges des cours supérieures, est, lui, général. Il s'applique à l'ensemble des juges des cours supérieures, que le juge ait été nommé juge d'une cour supérieure d'une province ou d'une cour supérieure créée en vertu de l'article 101.
Certains auteurs parlent de la loi qui a constitué la Cour suprême du Canada comme d'une loi fédérale ordinaire, mais, à mon avis, elle est plus que cela, car elle est fondée sur cet article 101 de l'A.A.N.B. de 1867.
Le professeur Hogg, dans la seconde édition de son Constitutional Law of Canada, à la page 166, conclut que, parce que cette Cour doit son exis tence à une loi, il n'est pas besoin d'une révision constitutionnelle pour la changer, ni même pour la supprimer. Cela ne l'empêche toutefois pas d'être une cour supérieure aux termes du paragraphe 99(2). Cet auteur se réfère à la Cour suprême du
Canada, mais ce qu'il dit s'applique également à la Cour de l'Échiquier et à celle qui lui a succédé, la Cour fédérale.
L'avocat de la Couronne a dit, à bon droit, que l'une des raisons principales qu'il y avait de confé- rer une charge d'une telle durée aux juges des cours supérieures des provinces avait été d'offrir une protection constitutionnelle au citoyen contre les actions en justice mal fondées que pouvaient engager contre lui l'État ou des organismes admi- nistratifs inférieurs. Lors de son établissement, la Cour de l'Échiquier a reçu compétence exclusive dans de nombreux cas de ce genre et c'est peut- être un motif valable de maintenir dans leurs fonctions aussi longtemps les juges de cette Cour et de la Cour suprême du Canada.
Par les motifs qui précèdent, je suis d'avis que la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale du Canada sont des cours supérieures au sens du paragraphe 99(2) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 et que les juges de ces deux cours sont et ont été depuis leur constitution des juges de cours supérieures. Il s'ensuit que le paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale exigeant qu'un juge de cette Cour cesse d'occuper sa charge lorsqu'il atteint l'âge de soixante-dix ans est incompatible avec le paragraphe 99(2) de l'A.A.N.B. qui porte qu'un juge de cour supérieure cesse d'occuper sa charge à l'âge de soixante- quinze ans. Ce paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale est invalide pour cette raison en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitution- nelle de 1982.
Le demandeur fait en outre valoir que le para- graphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale est invalide en ce qu'il entre en conflit avec l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'article 15 de la Charte porte:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'in- dividus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.
Voici comment se trouve modifié le droit d'exer- cer la fonction de juge d'une cour supérieure au Canada par suite des divers articles applicables concernant la retraite dans les diverses lois appropriées:
a) Les juges de la Cour suprême du Canada; à soixante- quinze ans, en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi sur la Cour suprême.
b) Les juges des cours suprêmes des provinces; à soixante- quinze ans, en application du paragraphe 99(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 modifiée.
c) Les juges de la Cour fédérale:
(i) pour les anciens juges de la Cour de l'Échiquier; à soixante-quinze ans, en vertu du paragraphe 60(5) de la Loi sur la Cour fédérale,
(ii) pour tous les autres juges; à soixante-dix ans, en vertu du paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale.
L'avocat du demandeur a aussi cité l'article 10 de la Loi sur la Cour fédérale qui porte:
10. (1) ... toute personne qui a occupé le poste de juge d'une cour supérieure, d'une cour de comté ou d'une cour de district au Canada, peu[t], sur demande faite par le juge en chef avec l'approbation du gouverneur en conseil, assumer les fonctions de juge de la Cour fédérale et pendant qu'[elle] assume[...] ces fonctions, [elle a] tous les pouvoirs d'un juge de la Cour et [est] désigné[e] sous le nom de juge suppléant de la Cour.
La Loi ne fixe aucune limite d'âge pour un juge suppléant. On rapporte cette situation comme un cas de discrimination à l'endroit des juges de toutes les juridictions. Cependant celui qui est appelé à agir comme juge suppléant n'a pas le droit d'agir comme juge tant qu'il n'a pas été invité à le faire par le juge en chef de la Cour fédérale. Il peut accepter cette invitation ou la décliner. S'il accepte, il préside à l'instruction d'une affaire, puis il cesse d'être juge suppléant lorsque sa tâche à cet égard est terminée. Il n'oc- cupe donc pas une charge d'une durée définie et sa participation aux procès tenus en Cour fédérale ne peut être comparée à celle des juges de la Cour fédérale, ni n'est pertinente en l'espèce.
Les changements apportés avec le temps à la durée de la charge des juges des cours supérieures sont les suivants: de 1875 1927, les juges tant de la Cour suprême du Canada que de la Cour de l'Échiquier demeuraient en fonction tant qu'ils en étaient dignes. À compter de la dernière année mentionnée jusqu'à juin 1971, l'âge de la retraite pour les deux cours fut de soixante-quinze ans;
après, les juges de la Cour suprême du Canada et les juges de la Cour fédérale nommés le ou avant le ler juin 1971 demeurent en fonction jusqu'à soixante-quinze ans; les juges de la Cour fédérale nommés après la dernière date mentionnée cessent d'exercer leurs fonctions à soixante-dix ans; anté- rieurement au ler mars 1961, aucun âge n'était fixé pour la retraite des juges de la Cour suprême de l'Ontario et des juges des autres cours supérieures provinciales; depuis lors ces juges cessent d'occu- per leur charge à soixante-quinze ans.
Le demandeur soutient que la fixation de l'âge de la retraite obligatoire à soixante-quinze ans pour les juges de la Cour suprême du Canada, comme pour les juges de la Cour de l'Échiquier, par les lois de 1927 (précitées) était une redon- dance puisqu'à compter de l'époque de la création de ces cours, en 1875, par le chapitre 11, ces juges étaient régis, en ce qui concerne leur retraite, par le paragraphe 99(2) de la Loi constitutionnelle en tant que juges d'une cour supérieure.
Les dispositions transitoires de la Loi sur la Cour fédérale prévoient que les juges de la Cour de l'Echiquier continueront à siéger en tant que juges de la Cour fédérale, tant qu'ils en seront dignes, jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de soixante-quinze ans.
Cette discrimination à l'égard des juges de la Cour fédérale nommés après le ler juin 1971 a prévalu jusqu'à ce jour.
L'article 15 de la Charte des droits (précitée) est entré en vigueur le 17 avril 1982. Cet article fait référence à une égalité au sein d'une classe d'indi- vidus et, en l'espèce, sans discrimination en raison de l'âge.
Dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 11 D.L.R. (4th) 641, le juge Dickson [tel était alors son titre] dit à la page 156 R.C.S.; 650 D.L.R.:
La Charte canadienne des droits et libertés est un document qui vise un but. Ce but est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu'elle enchâsse. Elle vise à empêcher le gouvernement d'agir à l'en- contre de ces droits et libertés; elle n'autorise pas en soi le gouvernement à agir.
À nouveau, dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; [1985] 3 W.W.R. 481, à la page 344 R.C.S.; 524 W.W.R., le juge Dickson exprime la même pensée dans les termes suivants:
Le sens d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte doit être vérifié au moyen d'une analyse de l'objet d'une telle garantie; en d'autres termes, ils doivent s'interpréter en fonc- tion des intérêts qu'ils visent à protéger.
Voir aussi Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; 9 D.L.R. (4th) 161, le juge Estey, à la page 366 R.C.S.; 168 D.L.R.:
Évidemment la Déclaration canadienne des droits est, quant à sa forme, identique à toutes les autres lois du Parlement. Elle a été conçue et adoptée en vue de remplir un rôle plus fondamen- tal que les lois ordinaires du pays. Elle ne fait cependant pas partie de la Constitution de ce dernier. Elle se situe probable- ment quelque part entre une loi ordinaire et un texte constitu- tionnel. Néanmoins, elle a donné lieu aux principes d'interpré- tation élaborés par les tribunaux dans le processus d'interprétation et d'application de la Constitution elle-même.
En analysant en l'espèce la validité du paragra- phe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale, je suis arrivé à la conclusion que les juges de la Cour suprême du Canada et les juges de la Cour fédé- rale sont des juges de cours supérieures au sens du paragraphe 99(2) de l'A.A.N.B., tout comme les juges des cours supérieures provinciales. Il ne s'en- suit pas nécessairement que le demandeur et les autres juges de la Cour fédérale font partie d'une même catégorie que les juges de la Cour suprême du Canada et des cours supérieures provinciales, ou de l'une ou l'autre de ces cours, ayant droit à l'égalité avec eux en vertu de cet article 15.
La Cour fédérale ne possède pas, comme les cours supérieures des provinces, la compétence de contrôle de common law sur les cours inférieures et certains organismes administratifs, ni aucun pouvoir qui ne lui serait pas attribué par sa loi constitutive ou par d'autres lois fédérales qui lui confèrent compétence et pouvoir dans certains autres domaines. La Cour suprême du Canada est essentiellement une cour d'appel. La pratique des cours supérieures provinciales diffère en bien des aspects de celle de la Cour fédérale. Aucun procès par jury n'est prévu devant cette dernière.
Je conviens que chaque juge de la Cour fédérale est égal aux autres membres de cette Cour au sens de l'article 15 de la Charte et que tous les juges de la Cour suprême du Canada sont égaux entre eux, mais non avec les membres de ces deux autres tribunaux. Pour déterminer s'il y a eu discrimina tion à l'endroit de quelqu'un au sens de cet article
15, la comparaison doit être faite entre des indivi- dus d'une même catégorie.
Pour décider si les droits à l'égalité garantis par l'article ont été enfreints à l'endroit d'un individu, on doit comparer le traitement dont se plaint l'individu avec celui d'un groupe d'individus qui, pour l'essentiel, appartiennent à la même catégorie et se trouvent placés dans des circonstances semblables.
Dans la déclaration, le demandeur allègue incompatibilité entre le paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale et l'article 15 de la Charte. La défenderesse a demandé d'élaborer à ce sujet. Le demandeur a répliqué: [TRADUCTION] «Le paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale porte atteinte au droit du demandeur que lui con- fère l'article 15 de la Charte canadienne des droits, en ce qu'il fixe l'âge de la retraite obligatoire à soixante-quinze ans pour les juges des autres cours supérieures conformément à l'article 99 de la Loi constitutionnelle.» Le mémoire de Me Henderson, page 13, paragraphe 32, montre qu'il met en cause la discrimination en raison de la différence d'âge de mise à la retraite entre les juges de la Cour fédérale nommés avant le ler juin 1971 et ceux nommés après. Me Bowie ne s'est pas opposé à ce que ce point soit débattu, en a tenu compte et y a répondu oralement. Je m'estime donc libre d'exa- miner ce point comme s'il avait été articulé initialement.
Je suis donc d'avis que mon examen de la ques tion de savoir s'il y a discrimination à l'endroit du demandeur concernant la durée de sa charge doit se limiter â l'âge de la retraite fixé pour les juges de la Cour fédérale en fonction le l er juin 1971, par opposition à ceux qui ont été nommés ultérieure- ment.
La défenderesse soutient avec insistance qu'en contestant la Loi en question on allègue discrimi nation à l'égard des tribunaux plutôt qu'en raison de l'âge du juge. La distinction fondée sur la durée de charge d'un juge de la Cour fédérale et d'un juge de la Cour suprême de l'Ontario ne serait pas fondée sur l'âge, mais plutôt sur le tribunal auquel ils appartiennent. Je ne puis souscrire à cet argu ment car, en l'espèce, c'est le juge qui est lésé et c'est lui qui demande réparation. D'ailleurs, c'est à un individu que l'article 15 confère le droit à la
même protection et au même bénéfice de la loi et c'est de ce droit dont il traite. Et Me Bowie recon- naît, à la page 105 de la plaidoirie, qu'il y a discrimination entre les juges des cours qui ont été nommés le ou avant le ler juin 1971 et ceux nommés après.
La Loi constitutionnelle de 1982 et la Charte des droits sont entrées en vigueur et ont eu effet à compter de la proclamation du 17 avril 1982, en vertu de l'article 58 de la Loi constitutionnelle de 1982, l'exception de l'article 15 de la Charte, au sujet duquel le paragraphe 32(2) dispose:
32....
(2) Par dérogation au paragraphe (1), l'article 15 n'a d'effet que trois ans après l'entrée en vigueur du présent article.
On fait valoir que si la distinction peut être détruite par l'article 15, qui ne devait recevoir effet que trois ans après l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, on devrait raisonnable- ment en conclure qu'il n'avait pas pour objet un tel cas. La réponse me paraît être que la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada et qu'elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit dans la mesure de cette incompatibilité. Il s'ensuit que le paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale, dans la mesure il est incompatible avec le paragraphe 99(2) de la Constitution, est invalide en vertu de l'article 52. Ce paragraphe 8(2) est également invalide en raison de son incompatibilité avec l'article 52.
On soutient aussi que l'exception au paragraphe 8(2) que l'on trouve au paragraphe 60(5) en faveur des juges qui étaient en fonction le ler juin 1971 était raisonnable car, à l'époque ils ont accepté leur nomination à la Cour, la loi fixait la durée de leurs fonctions jusqu'à l'âge de soixante- quinze ans.
L'article 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 garantit les droits qui y sont énoncés et «ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.» On me demande de conclure que cette exception, que les avocats ont baptisée clause de droits acquis, est une limite raisonnable bien qu'aucune preuve n'ait été rapportée à ce sujet.
Il m'est difficile de considérer l'imposition de cette limite d'âge de soixante-dix ans comme une limite raisonnable, surtout lorsque aucune limite semblable n'est imposée aux juges suppléants et qu'au moment de sa nomination à la Cour fédérale le demandeur occupait une charge, en tant que juge de la Cour suprême d'Ontario, qui lui garan- tissait une retraite à l'âge de soixante-quinze ans. L'exception du paragraphe 60(5) aurait pu facile- ment être étendue aux juges ayant siégé à d'autres cours supérieures immédiatement avant leur nomi nation à la Cour fédérale, sans faire de discrimina tion à l'égard de ces juges, par l'adjonction de l'expression «de la Cour de l'Échiquier du Canada ou de toute autre cour supérieure au Canada» immédiatement après le mot «juges», dans la ver sion française, de sorte que l'article se lirait:
60....
(5) Pour les juges de la Cour de l'Échiquier du Canada ou de toute autre cour supérieure au Canada qui étaient en fonction le 1" juin 1971, le paragraphe 8(2) doit se lire comme suit:
«(2) Un juge de la Cour cesse d'occuper son poste à l'âge de soixante-quinze ans.
Le demandeur a été juge à la Cour suprême de l'Ontario du 21 septembre 1967 jusqu'à son trans- fert à la Cour fédérale le 17 septembre 1973. Mettre fin au droit du demandeur de demeurer juge de la Cour fédérale jusqu'à l'âge de soixante- quinze ans le priverait de cinq ans d'exercice de la fonction dont il jouissait au moment de son trans- fert à la Cour fédérale. Par conséquent, on ne peut pas dire que ses droits sont «restreints ... par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonna- bles et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique» au sens de l'article 1 de la Charte.
Il est assez significatif que partout dans la Loi, lorsque mention est faite d'un juge de la Cour fédérale, l'expression habituellement utilisée soit «un juge de la Cour» ou «un juge de la Cour de l'Échiquier», mais qu'au paragraphe 60(5) on décrive les juges qui y sont mentionnés sans appor- ter cette restriction: «Pour les juges qui étaient en fonction le ler juin 1971». C'est une description parfaitement applicable au demandeur. Au para- graphe 8(2), on utilise l'expression «un juge de la Cour», mais on se réfère à son statut et à la durée de sa charge, une fois devenu «un juge de la Cour».
Dans ce paragraphe, le terme «juge» est employé dans un sens suffisamment large pour viser le juge de toute autre cour qui était en fonction le te. juin 1971, qui pouvait être nommé et qui a été nommé à la Cour fédérale par la suite. Cette interprétation est raisonnable, justifiée, et il est plus que probable qu'elle soit fondée, car le Parlement n'aurait pas voulu priver un juge occupant une charge en Cour suprême de l'Ontario, dont une loi fédérale fixait la durée jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans, des cinq dernières années de son droit de siéger comme juge fédéral simplement parce qu'il a été transféré à la Cour fédérale. On s'attendrait à ce que le Parlement traite ce juge de la même façon que les juges de la Cour de l'Échiquier, venus à la Cour fédérale le ler juin 1971, occupant déjà une charge jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans. Le paragra- phe 8(2) ne peut donc viser que ceux qui n'étaient pas juges avant d'être nommés à la Cour fédérale après le ler juin 1971 et qui, nouveaux venus, n'avaient pas antérieurement occupé une charge de cette durée.
Il s'ensuit que le demandeur a été victime de discrimination en raison de ce paragraphe 8(2), en ce sens que celui-ci porte atteinte à son droit d'occuper sa charge de juge de la Cour fédérale jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans, comme les juges de celle-ci qui occupaient cette charge le ler juin 1971, et qu'il l'oblige à cesser d'occuper cette charge lorsqu'il atteindra l'âge de soixante-dix ans, le 28 septembre 1985. Cet article est donc incom patible avec les dispositions de l'article 15 de la manière déjà indiquée et, dans cette mesure, il est inopérant.
Je suis donc d'avis que le paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale n'oblige pas le deman- deur à quitter sa charge de juge de la Cour fédérale du Canada quand il atteindra l'âge de soixante-dix ans, mais qu'il a toujours le droit de l'occuper jusqu'à ce qu'il ait soixante-quinze ans.
Le demandeur a donc droit à l'encontre de la défenderesse au jugement suivant:
a) à une ordonnance déclarant que le paragra- phe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale, qui oblige le demandeur à cesser d'occuper sa charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-dix ans le 28 septembre 1985, est incompatible avec la Constitution du
Canada et, en conséquence, conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitution- nelle de 1867, est inopérant en ce que:
(i) Le paragraphe 8(2) est incompatible avec les dispositions du paragraphe 99(2) de la Loi constitutionnelle de 1867;
(ii) Le paragraphe 8(2) est incompatible avec l'article 15 de la Charte cana- dienne des droits et libertés;
b) à une ordonnance déclarant que, bien inter- prété, le paragraphe 8(2) n'oblige pas le demandeur à quitter sa charge de juge de la Cour fédérale du Canada avant d'avoir atteint l'âge de soixante-quinze ans.
c) à ses dépens en l'action, à être taxés et à lui être payés par la défenderesse.
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