T-837-85
George Addy (demandeur)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse)
Division de première instance, juge suppléant
Grant-Toronto, 30 juillet et 28 août 1985.
Droit constitutionnel - Magistrature - Juges de la Cour
fédérale - Durée des fonctions - La Cour fédérale est une
cour supérieure au sens de l'art. 99(2) de la Loi constitution-
nelle - La durée des fonctions des juges de la Cour fédérale
devrait être la même que celle des juges des cours supérieures
- Disposition incompatible et donc inopérante de la Loi sur la
Cour fédérale - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5J (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 96, 97, 98, 99 (mod.
par la Loi constitutionnelle de 1960, 9 Eliz. II, chap. 2 (R.-U.)
[S.R.C. 1970, Appendice II, n° 36] (mod. par la Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 25)), 100, 101 - Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 52(1), 58 - Acte de la Cour suprême et
de l'Echiquier, 38 Vict., chap. 11, art. 58 - Loi de la Cour de
l'Echiquier, S.R.C. 1906, chap. 140, art. 10 (mod. par S.C.
1926-27, chap. 30, art. 1) - Loi de la cour Suprême, S.R.C.
1906, chap. 139, art. 9 (mod. par S.C. 1926-27, chap. 38, art.
2) - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10, art. 3, 8(2), 10, 17, 20, 21, 22, 24, 26(1), 28 - Loi sur les
juges, S.R.C. 1970, chap. J-1 (mod. par S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 64(2)), art. 2, 23(1)a),d) - Loi d'inter-
prétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, (mod. par S.R.C. 1970 (2 e
Supp.), chap. 10, art. 64(2)J, art. 28.
Droit constitutionnel - Charte des droits - Droits à
l'égalité - Age de la retraite obligatoire - Discrimination
envers les juges de la Cour fédérale nommés après le 1' juin
1971 par rapport à ceux nommés antérieurement - L'imposi-
tion d'un âge moins avancé de retraite obligatoire ne constitue
pas une limite raisonnable dont la justification puisse se
démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique
Disposition incriminée de la Loi sur la Cour fédérale inopé-
rante - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue
la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 15 -
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art.
3, 8(2), 10, 17, 20, 21, 22, 24, 26(1), 28, 60(5).
Juges et tribunaux - Juges de la Cour fédérale - Âge de
la retraite obligatoire des juges de la Cour fédérale nommés
après le 1' juin 1971 - Le terme «juge», à l'art. 60(5) de la
Loi sur la Cour fédérale, inclut les juges de tout autre tribunal
occupant leur poste le le' juin 1971 - La Cour fédérale est
une cour supérieure au sens de l'art. 99(2) de la Loi constitu-
tionnelle et les juges de la Cour fédérale sont des juges de cour
supérieure au sens de ladite disposition - Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 3, 8(2), 10, 17,
20, 21, 22, 24, 26(1), 28, 60(5) - Loi constitutionnelle de
1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice
II, n° 5J (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° I),
art. 99(2) (mod. par la Loi constitutionnelle de 1960, 9 Eliz. II,
chap. 2 (R-U.) /S.R.C. 1970, Appendice II, n° 36] (mod. par
la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe
de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 25).
Le demandeur, né en 1915, a été nommé juge à la Cour
suprême de l'Ontario en 1967, et juge à la Cour fédérale du
Canada en 1973.
L'âge de la retraite obligatoire pour les juges de la Cour
fédérale, fixé par le paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour
fédérale, est de 70 ans.
Il s'agit de savoir si cette disposition peut fixer validement la
retraite obligatoire à un âge différent et moins favorable que
celui prévu, dans le cas des juges des cours supérieures, par
l'article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Jugement: action est accueillie et ordonnance est rendue,
déclarant que le paragraphe 8(2) est inopérant, en raison de son
incompatibilité avec le paragraphe 99(2) de la Loi constitu-
tionnelle de 1867 et avec l'article 15 de la Charte, et que le
paragraphe 8(2) n'oblige pas le demandeur à quitter sa charge
avant l'âge de 75 ans.
La Cour fédérale, comme la Cour suprême du Canada, est
une cour supérieure au sens du paragraphe 99(2) de la Loi
constitutionnelle de 1867. Cela ressort clairement du texte de
l'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale et de la définition de
«cour supérieure» de la Loi sur les juges et de la Loi d'interpré-
tation. De plus, la compétence de la Cour fédérale comporte
des pouvoirs et des fonctions comparables à ceux qu'exercent
les cours supérieures provinciales. Aucune disposition constitu-
tionnelle ou légale n'interdit de considérer un juge de la Cour
fédérale comme un juge d'une cour supérieure et rien dans la
Constitution n'indique que le terme «supérieur» signifie autre
chose qu'une cour qui exerce un contrôle, par opposition à un
tribunal inférieur, qui ne dispose pas de pouvoir de contrôle.
L'article 99, qui fixe la durée d'exercice des fonctions des juges
des cours supérieures, est général. Il s'applique à l'ensemble des
juges des cours supérieures, que le juge ait été nommé juge
d'une cour supérieure d'une province ou d'une cour créée en
vertu de l'article 101. Le paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour
fédérale est donc invalide en vertu du paragraphe 52(1) de la
Loi constitutionnelle de 1982, étant incompatible avec le para-
graphe 99(2).
Le paragraphe 8(2) porte aussi atteinte aux droits à l'égalité
du demandeur que lui garantit l'article 15 de la Charte.
Comme le reconnaît la défenderesse, il y a discrimination entre
les juges de la Cour fédérale nommés après le 1 °' juin 1971 et
ceux qui ont été nommés avant cette date. La distinction n'est
pas fondée sur le tribunal auquel ils appartiennent. Le fait que
l'article 15 ne devait recevoir effet que trois ans après l'entrée
en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982 n'est pas un
empêchement à son application` en l'espèce.
Il est difficile de considérer qu'imposer 70 ans comme une
limite d'âge est raisonnable au sens de l'article 1 de la Charte,
surtout lorsque aucune limite semblable n'est imposée aux juges
suppléants et qu'au moment de sa nomination à la Cour
fédérale le demandeur occupait une charge, à la Cour suprême
de l'Ontario, dont la durée était de cinq ans supérieure.
En outre, le terme «juge», au paragraphe 60(5) de la Loi sur
la Cour fédérale, comprend le juge de toute autre cour qui était
en fonction le lei juin 1971, qui pouvait être nommé à la Cour
fédérale, et qui a effectivement été nommé à cette Cour par la
suite.
Le paragraphe 8(2) porte donc atteinte au droit du deman-
deur d'occuper sa charge jusqu'à l'âge de 75 ans, comme les
juges de celle-ci qui occupaient cette charge le 1" juin 1971. Il
est donc incompatible avec l'article 15 de la manière déjà
indiquée et, dans cette mesure, il est inopérant.
Le paragraphe 8(2) n'oblige donc pas le demandeur à pren-
dre sa retraite avant d'avoir atteint l'âge de 75 ans.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1
R.C.S. 228; Lees c. La Reine, [1974] 1 C.F. 605 (1"e
inst.); Ex p. Quevillon (1974), 20 C.C.C. (2d) 555 (C.F.
1"e inst.); R. c. Livingston, [1977] 1 C.F. 368 (1"e inst.);
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
11 D.L.R. (4th) 641; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et
autres, [1985] 1 R.C.S. 295; [1985] 3 W.W.R. 481; Law
Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S.
357; 9 D.L.R. (4th) 161.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Beauregard (L'hon. juge Marc) c. R., [1981] 2 C.F. 543
(1f» inst.).
DÉCISION CITÉE:
Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c.
Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518.
AVOCATS:
Gordon F. Henderson, c.r. et Emilio Bina-
vince pour le demandeur.
Eric A. Bowie et Paul Betournay pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT GRANT: Le demandeur a
été nommé juge de la Cour suprême de l'Ontario le
21 septembre 1967 et il a siégé en cette qualité
jusqu'au 17 septembre 1973, date à laquelle il a
été nommé juge de la Cour fédérale du Canada. Il
siège toujours en cette dernière qualité actuelle-
ment.
Il est né le 28 septembre 1915; il aura donc
soixante-dix (70) ans le 28 septembre 1985.
La Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [[S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 1)] prévoit le mode de nomina
tion, la durée des fonctions des juges et la création
de tribunaux fédéraux. Les articles suivants sont
pertinents en l'espèce:
96. Le gouverneur général nommera les juges des cours
supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf
ceux des cours de vérification en Nouvelle-Ecosse et au
Nouveau-Brunswick.
99. Les juges des cours supérieures resteront en fonctions
durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le
gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre
des communes.
L'ancien article 99 de la Loi a été modifié par la
Loi constitutionnelle de 1960, 9 Eliz. II, chap. 2
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 36] (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 25) qui est entrée en vigueur le 1" mars
1961. La modification consistait à ajouter, immé-
diatement avant le texte énoncé ci-dessus, la
réserve suivante:
Sous réserve du paragraphe (2) du présent article,
On trouvera le texte de l'article modifié plus
loin.
101. Nonobstant toute disposition de la présente loi, le
Parlement du Canada pourra, de temps à autre, prévoir la
constitution, le maintien et l'organisation d'une cour générale
d'appel pour le Canada, ainsi que l'établissement d'autres
tribunaux pour assurer la meilleure exécution des lois du
Canada. (C'est moi qui souligne.)
La Cour suprême du Canada et la Cour de
l'Échiquier furent constituées par la loi [Acte de la
Cour Suprême et de l'Echiquier] 38 Vict., chap.
11, en 1875. L'article 58 de celle-ci décrivait
notamment la compétence de la Cour de
l'Échiquier:
58.... et la dite cour aura juridiction exclusive en première
instance dans tous les cas où demande sera faite ou recours sera
cherché au sujet de toute matière qui pourrait, en Angleterre,
faire le sujet d'une poursuite ou action devant la Cour de
l'Echiquier en sa juridiction du revenu, contre la couronne ou
quelque officier de la couronne.
Pendant un certain temps après la création de la
Cour suprême du Canada et de la Cour de l'Échi-
quier en 1875, les juges des deux Cours ont été les
mêmes.
Il n'y avait pas alors d'âge de la retraite pour les
juges de ces Cours et ils occupaient leur charge à
vie, sous réserve de révocation par le gouverneur
général, sur adresse du Sénat et de la Chambre des
communes, tel que prévu à l'article 99. Par le
chapitre 30 des Statuts du Canada de 1926-27,
l'article 10 de la Loi de la cour de l'Echiquier
[S.R.C. 1906, chap. 140] fut modifié par l'adjonc-
tion de ce qui suit:
1....
«Toutefois, qu'il ait été nommé jusqu'ici ou qu'il le soit à
l'avenir, il doit cesser d'occuper sa charge dès qu'il atteint l'âge
de soixante-quinze ans, ou immédiatement, s'il a déjà atteint
cet âge.»
Par le chapitre 38 de 17 George V [S.C.
1926-27, chap. 38], le même ajout était inséré à
l'article 9 de la Loi de la cour Suprême [S.R.C.
1906, chap. 139]. Par la Loi constitutionnelle de
1960, l'article 99 était modifié pour se lire:
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les
juges des cours supérieures resteront en fonctions à titre inamo-
vible, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général
sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes.
(2) Un juge d'une cour supérieure, nommé avant ou après
l'entrée en vigueur du présent article, cessera de détenir sa
charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou à
la date d'entrée en vigueur du présent article si, à cette date, il
a déjà atteint cet âge.
Cet article entra en vigueur le ter mars 1961 en
vertu de la loi du Royaume-Uni, 9 Eliz. II,
chap. 2.
La Loi sur la Cour fédérale fut adoptée en 1970
(S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10). Elle continuait
d'exercer les compétences de la Cour de l'Échi-
quier sous son nouveau nom et demeurait une cour
supérieure d'archives. Voici le paragraphe 8(2) de
la Loi:
s....
(2) Un juge de la Cour cesse d'occuper son poste à l'âge de
soixante-dix ans. [C'est moi qui souligne.]
60....
(5) Pour les juges qui étaient en fonction le let juin 1971, le
paragraphe 8(2) doit se lire comme suit:
«(2) Un juge de la Cour cesse d'occuper son poste à l'âge
de soixante-quinze ans.»
et, pour les juges nommés à la Cour à compter du 1»' juin 1971,
l'alinéa 23(1)a) de la Loi sur les juges doit se lire comme si
l'âge qui y est indiqué était de «soixante-cinq ans» au lieu de
«soixante-dix ans» et l'alinéa 23(1)d) doit se lire comme si l'âge
qui y est indiqué était de «soixante-dix ans» au lieu de «soixante-
quinze ans».
La disposition finale de l'article ci-dessus porte sur
le montant de «la pension du juge».
Le demandeur fait valoir que ce paragraphe
8(2) de la Loi sur la Cour fédérale est incompati
ble avec la Constitution du Canada, et donc inopé-
rant en vertu de l'article 52 de la Loi constitution-
nelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], et qu'il porte
atteinte au droit du demandeur, garanti par l'arti-
cle 15 de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)11, dans la mesure
où il fixe l'âge de la retraite obligatoire à soixante-
dix ans, un âge donc différent et moins favorable
que l'âge obligatoire de la retraite fixé à soixante-
quinze ans, dans le cas des juges des cours supé-
rieures, par l'article 99 de la Loi constitutionnelle
de 1867, modifiée en 1960. Voici le paragraphe
52(1) de cette Loi [Loi constitutionnelle de 1982]:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du
Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de
toute autre règle de droit.
Le demandeur ne conteste pas en l'espèce la
compétence du législateur fédéral d'imposer une
retraite aux juges et d'en fixer l'âge, pourvu que
cela soit fait dans le respect de l'article 15 de la
Charte des droits. Il fait valoir que le législateur
fédéral ne peut, conformément à cet article, fixer
la retraite à un âge moins avancé ou moins favora
ble, dans le cas des juges de la Cour fédérale, que
l'âge reconnu dans le cas des autres juges des cours
supérieures canadiennes. Il ne conteste pas non
plus que la retraite soit obligatoire.
À l'époque de l'adoption de l'Acte de l'Améri-
que du Nord Britannique, 1867, les juges des cours
supérieures des provinces jouissaient de la pléni-
tude de juridiction et étaient les successeurs directs
des juges des cours royales d'Angleterre. Ils étaient
considérés, en ce qui concernait leur compétence
historique, comme la principale autorité investie
du pouvoir judiciaire au Canada.
L'avocat de la Couronne soutient que l'expres-
sion «cour supérieure» utilisée aux articles 96 et
100 de cette Loi ne vise que les cours supérieures
provinciales et que la Cour suprême du Canada et
la Cour fédérale doivent leur existence, leur rôle et
leur compétence uniquement à la législation fédé-
rale qui les constitue et qu'en conséquence elles, et
les juges qui les composent, ne jouissent pas du
même statut constitutionnel, pour ce qui est de la
durée de leur charge, que les juges des cours
supérieures des provinces. Il fait aussi valoir que
l'article 101 de cette Loi, qui autorise le Parlement
à constituer, maintenir et organiser une cour géné-
rale d'appel pour le Canada, ainsi que d'autres
tribunaux, pour assurer la meilleure exécution des
lois du Canada, permet au législateur fédéral de
fixer la durée des fonctions des juges nommés pour
siéger à ces tribunaux nouvellement constitués
indépendamment de la réserve de l'article 99 (pré-
cité). Pour étayer cela, il se réfère à l'opinion
incidente du juge Addy dans la décision Beaure-
gard (L'hon. juge Marc) c. R., [1981] 2 C. F. 543
(ire inst.), à la page 552, où il dit:
... l'existence, le rôle et la compétence des juges de la Cour
fédérale du Canada, de même que ceux de la Cour suprême du
Canada, sont régis entièrement par des lois fédérales et que ces
juges n'ont pas le même statut constitutionnel que les juges des
cours supérieures des provinces, qui exercent la compétence
attribuable à un tribunal de droit commun dans les diverses
provinces et qui, sur le plan constitutionnel, sont les vrais
successeurs des premiers juges des Central Courts d'Angleterre
nommés par le Roi.
Je suis d'avis que ces mots-là sont employés pour
attirer l'attention sur la différence de compétence
de ces tribunaux plutôt que sur la durée des fonc-
tions de leurs juges. Le terme «supérieur» est
opposé aux tribunaux «inférieurs» qui ne détien-
nent aucune compétence de contrôle.
L'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale décrit
celle-ci comme un «tribunal supplémentaire pour
la bonne application du droit du Canada, et
demeure une cour supérieure d'archives ayant
compétence en matière civile et pénale.»
La Loi sur les juges, S.R.C. 1970, chap. J-1
(mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art.
64(2)), en son article d'interprétation, dit:
2....
«cour supérieure» comprend la Cour suprême du Canada et la
Cour fédérale du Canada;
La Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23
(mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art.
64(2)) définit «cour supérieure»:
28....
a) dans les provinces d'Ontario ... la Cour suprême de la
province,
et comprend la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale
du Canada.
Dans l'arrêt Commonwealth de Puerto Rico c.
Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228, aux pages 232 et
233, le juge Pigeon, traitant de la question de
compétence, rappelle que:
... la Cour fédérale, en matière fédérale, [n'est pas] une «cour
supérieure» au sens que possède cette expression lorsqu'elle est
appliquée aux cours supérieures des provinces, c'est-à-dire à des
cours qui ont compétence dans toutes les matières qui ne sont
pas exclues de leur juridiction ou, pour employer les termes du
Juge en chef Ritchie dans l'arrêt Valin c. Langlois (1879), 3
R.C.S. 1, p. 19, [TRADUCTION] «des cours tenues de prendre
connaissance de toutes les lois et de les appliquer . ..». La Cour
de l'Échiquier n'était pas une «cour supérieure» dans ce sens-là
... Vu tout ce qui précède, il me parait que la Cour fédérale est
une «cour supérieure» au sens d'une cour ayant un pouvoir de
surveillance. C'est là un sens souvent employé, comme le
démontrent les nombreux précédents étudiés dans l'arrêt Re
Macdonald, [1930] 2 D.L.R. 177 [[1930] 1 W.W.R. 242, 38
Man. L.R. 446] et il est significatif que pareille compétence
soit conférée par la Loi.
Cette espèce, Commonwealth de Puerto Rico c.
Hernandez, fut renversée par l'arrêt Ministre des
Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville
et autre, [ 1982] 2 R.C.S. 518, sur un autre point,
sans que cependant aucun doute ne soit jeté sur le
bien-fondé du passage précité du juge Pigeon.
Dans l'affaire Lees c. La Reine, [1974] 1 C.F.
605 (l ie inst.), le juge Heald a dit, à la page 608:
La Cour fédérale du Canada et la Cour du banc de la Reine de
la Saskatchewan sont toutes deux des cours supérieures d'archi-
ves et on ne peut contester simultanément leurs ordonnances.
Voir aussi Ex p. Quevillon (1974), 20 C.C.C.
(2d) 555 (C.F. ire inst.) à la page 556, et l'affaire
R. c. Livingston, [1977] 1 C.F. 368 (l ie inst.), à la
page 370.
En vertu de l'article 17 de la Loi [Loi sur la
Cour fédérale], la Division de première instance de
la Cour fédérale a compétence en première ins
tance dans tous les cas où l'on demande contre la
Couronne un redressement et, sauf disposition con-
traire, cette compétence est exclusive. En vertu de
l'article 20, elle a compétence concurrente dans les
cas qui y sont prévus. La Cour d'appel fédérale
aussi a compétence exclusive dans tous les cas
d'appel interjeté de la Division de première ins
tance, sous réserve de pourvoi en Cour suprême du
Canada. Les fonctions des juges de la Cour fédé-
rale paraissent égales à celles qu'exercent les juges
des cours supérieures des provinces.
Dans un article intitulé «The Independence of
the Judiciary» (1956), 34 R.B.C. 769 et 1139, la
page 1176, le professeur W. R. Lederman expose
son raisonnement sur le sujet comme suit:
[TRADUCTION] En d'autres mots, mon raisonnement est le
suivant: la clause «nonobstant» de l'article 101 joue le même
rôle que dans la disposition liminaire de l'article 91, c'est-à-dire
qu'elle protège les matières énumérées de compétence fédérale
de tout conflit textuel avec une catégorie de compétence provin-
ciale et, cela fait, elle a rempli son office. D'où mon opinion que
l'expression «cour supérieure» des articles 99 et 100 vise toutes
les cours supérieures fédérales constituées en vertu de l'article
101. Si cela était avéré, les juges des cours supérieures fédérales
se trouveraient dans la même position, quant à leur traitement,
à leur charge, à leur retraite et à leur révocation, que les juges
des cours supérieures provinciales, et ce pour les mêmes raisons
constitutionnelles.
Dans son Canadian Constitutional Law, 4° éd.
rev., 1975, la page 762, Laskin, ultérieurement
juge en chef, se déclare en désaccord avec cette
opinion de Lederman, disant:
[TRADUCTION] Lederman a laissé entendre, The Indepen
dence of the Judiciary, [ ... précité], que les restrictions des
art. 96 100 de l'A.A.N.B. peuvent fort bien être incorporées à
l'art. 101 de façon que les tribunaux fédéraux soient assujettis
aux mêmes restrictions, mais il n'existe aucun motif soutenable,
historique ou textuel, qui étaye cette proposition.
Ce que Laskin critique de l'article de Lederman
dans la citation précitée, c'est que les restrictions
des articles 96 100 de l'A.A.N.B. puissent fort
bien être incorporées à l'article 101, de façon que
les tribunaux fédéraux soient assujettis aux mêmes
restrictions. Il ne se réfère nullement à la durée des
fonctions des juges nommés par le fédéral.
Une cour supérieure, par opposition à une cour
inférieure, possède une vaste compétence de con-
trôle sur les organismes administratifs inférieurs
qu'elle maintient dans les limites de leurs pouvoirs
par l'évocation devant elle de leurs décisions ou par
la prohibition de procéder devant le tribunal
inférieur.
Blackstone, 3 Commentaries (1768) 42-46.
La compétence de la Cour fédérale comporte
des pouvoirs et des fonctions comparables à celles
qu'exercent les cours supérieures provinciales. On
trouvera des exemples de cela dans les articles
suivants de la Loi sur la Cour fédérale:
17 — Litiges où la Couronne est défenderesse;
21 — Appels en matière de citoyenneté;
22 — Navigation et marine marchande, juridiction
maritime;
24 — Appels en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt
sur les biens transmis par décès;
26 (1) — Tribunal de droit commun;
28 — Examen des décisions d'un office, d'une commission
ou d'un autre tribunal fédéral.
En outre, des lois spéciales confèrent à la Cour une
compétence de contrôle, telles la Loi sur l'accès à
l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111,
annexe I, et la Loi sur la protection des renseigne-
ments personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111,
annexe II.
Il n'y a rien dans la Loi constitutionnelle ni dans
toute autre loi qui interdise de considérer un juge
de la Cour fédérale comme un juge d'une cour
supérieure et rien à l'article 99, ni ailleurs dans
cette Loi, n'indique que le terme «supérieure» ne
signifie pas qu'il s'agit d'une cour qui exerce un
contrôle par opposition à un tribunal inférieur qui
ne dispose pas de pouvoirs de contrôle—par exem-
ple, la Loi sur les juges (précitée). On ne saurait
dire que la Cour suprême du Canada n'est pas une
cour supérieure simplement parce qu'elle a été
constituée en vertu d'une loi, en application des
pouvoirs conférés par l'article 101 de la Loi
constitutionnelle.
Pendant un certain temps, après la création de
la Cour suprême du Canada et de la Cour de
l'Échiquier, en 1875, les juges des deux cours ont
été les mêmes.
L'avocat de la Couronne soutient que l'expres-
sion «cours supérieures» figurant à l'article 99 ne
renvoie qu'à l'expression qui précède: «les juges des
cours supérieures, de district et de comté dans
chaque province». J'entretiens des doutes à cet
égard, car l'article 99 ne fait aucune référence aux
juges des cours de district et de comté. Cela se
comprend, car ces tribunaux n'exerçaient pas de
pouvoirs de contrôle sur d'autres tribunaux comme
la cour supérieure; il n'était pas aussi important
que leurs juges occupent leur charge à vie.
Il faut rapprocher le paragraphe 99(2) de l'arti-
cle 101 de la même Loi qui permet la création
d'une cour d'appel pour tout le Canada et d'autres
tribunaux. Le législateur fédéral devait savoir que
cette cour d'appel, à tout le moins, serait une cour
supérieure au sens ordinaire du mot. Si l'on avait
voulu que les juges de cette cour n'occupent pas
leur charge aussi longtemps, on aurait pu s'atten-
dre à ce que cela soit clairement exprimé dans
cette Loi. Si les autres tribunaux, dont on pré-
voyait aussi l'établissement, ne devaient pas non
plus être considérés comme des cours supérieures,
on pourrait tirer la même conclusion. Les termes
du paragraphe 99(2), «nommé avant ou après l'en-
trée en vigueur du présent article», sont une indica
tion qu'une charge de cette durée allait être dévo-
lue à tous ceux qui auraient la qualité de juge
d'une cour supérieure, sans égard au moment de la
constitution de cette cour. On notera que l'article
101 ne traite pas de la durée des fonctions des
juges nommés pour siéger à ces cours, mais uni-
quement de la constitution, du maintien et de
l'organisation d'une cour générale d'appel et de
l'établissement d'autres tribunaux. Il faut se réfé-
rer au paragraphe 99(2) pour trouver la source de
la durée des fonctions des juges qui y sont
nommés.
L'article 96 qui permet la nomination des juges
des cours supérieures, de district et de comté dans
chaque province se veut particulier aux provinces.
Le paragraphe 99(1), qui prévoit la durée des
fonctions des juges des cours supérieures, est, lui,
général. Il s'applique à l'ensemble des juges des
cours supérieures, que le juge ait été nommé juge
d'une cour supérieure d'une province ou d'une cour
supérieure créée en vertu de l'article 101.
Certains auteurs parlent de la loi qui a constitué
la Cour suprême du Canada comme d'une loi
fédérale ordinaire, mais, à mon avis, elle est plus
que cela, car elle est fondée sur cet article 101 de
l'A.A.N.B. de 1867.
Le professeur Hogg, dans la seconde édition de
son Constitutional Law of Canada, à la page 166,
conclut que, parce que cette Cour doit son exis
tence à une loi, il n'est pas besoin d'une révision
constitutionnelle pour la changer, ni même pour la
supprimer. Cela ne l'empêche toutefois pas d'être
une cour supérieure aux termes du paragraphe
99(2). Cet auteur se réfère à la Cour suprême du
Canada, mais ce qu'il dit s'applique également à la
Cour de l'Échiquier et à celle qui lui a succédé, la
Cour fédérale.
L'avocat de la Couronne a dit, à bon droit, que
l'une des raisons principales qu'il y avait de confé-
rer une charge d'une telle durée aux juges des
cours supérieures des provinces avait été d'offrir
une protection constitutionnelle au citoyen contre
les actions en justice mal fondées que pouvaient
engager contre lui l'État ou des organismes admi-
nistratifs inférieurs. Lors de son établissement, la
Cour de l'Échiquier a reçu compétence exclusive
dans de nombreux cas de ce genre et c'est peut-
être là un motif valable de maintenir dans leurs
fonctions aussi longtemps les juges de cette Cour
et de la Cour suprême du Canada.
Par les motifs qui précèdent, je suis d'avis que la
Cour suprême du Canada et la Cour fédérale du
Canada sont des cours supérieures au sens du
paragraphe 99(2) de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867 et que les juges de ces
deux cours sont et ont été depuis leur constitution
des juges de cours supérieures. Il s'ensuit que le
paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale
exigeant qu'un juge de cette Cour cesse d'occuper
sa charge lorsqu'il atteint l'âge de soixante-dix ans
est incompatible avec le paragraphe 99(2) de
l'A.A.N.B. qui porte qu'un juge de cour supérieure
cesse d'occuper sa charge à l'âge de soixante-
quinze ans. Ce paragraphe 8(2) de la Loi sur la
Cour fédérale est invalide pour cette raison en
vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitution-
nelle de 1982.
Le demandeur fait en outre valoir que le para-
graphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale est
invalide en ce qu'il entre en conflit avec l'article 15
de la Charte canadienne des droits et libertés.
L'article 15 de la Charte porte:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois,
programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'in-
dividus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur
race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de
leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences
mentales ou physiques.
Voici comment se trouve modifié le droit d'exer-
cer la fonction de juge d'une cour supérieure au
Canada par suite des divers articles applicables
concernant la retraite dans les diverses lois
appropriées:
a) Les juges de la Cour suprême du Canada; à soixante-
quinze ans, en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi sur la
Cour suprême.
b) Les juges des cours suprêmes des provinces; à soixante-
quinze ans, en application du paragraphe 99(2) de la Loi
constitutionnelle de 1867 modifiée.
c) Les juges de la Cour fédérale:
(i) pour les anciens juges de la Cour de l'Échiquier; à
soixante-quinze ans, en vertu du paragraphe 60(5) de
la Loi sur la Cour fédérale,
(ii) pour tous les autres juges; à soixante-dix ans, en vertu
du paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale.
L'avocat du demandeur a aussi cité l'article 10
de la Loi sur la Cour fédérale qui porte:
10. (1) ... toute personne qui a occupé le poste de juge
d'une cour supérieure, d'une cour de comté ou d'une cour de
district au Canada, peu[t], sur demande faite par le juge en
chef avec l'approbation du gouverneur en conseil, assumer les
fonctions de juge de la Cour fédérale et pendant qu'[elle]
assume[...] ces fonctions, [elle a] tous les pouvoirs d'un juge
de la Cour et [est] désigné[e] sous le nom de juge suppléant de
la Cour.
La Loi ne fixe aucune limite d'âge pour un juge
suppléant. On rapporte cette situation comme un
cas de discrimination à l'endroit des juges de
toutes les juridictions. Cependant celui qui est
appelé à agir comme juge suppléant n'a pas le
droit d'agir comme juge tant qu'il n'a pas été
invité à le faire par le juge en chef de la Cour
fédérale. Il peut accepter cette invitation ou la
décliner. S'il accepte, il préside à l'instruction
d'une affaire, puis il cesse d'être juge suppléant
lorsque sa tâche à cet égard est terminée. Il n'oc-
cupe donc pas une charge d'une durée définie et sa
participation aux procès tenus en Cour fédérale ne
peut être comparée à celle des juges de la Cour
fédérale, ni n'est pertinente en l'espèce.
Les changements apportés avec le temps à la
durée de la charge des juges des cours supérieures
sont les suivants: de 1875 1927, les juges tant de
la Cour suprême du Canada que de la Cour de
l'Échiquier demeuraient en fonction tant qu'ils en
étaient dignes. À compter de la dernière année
mentionnée jusqu'à juin 1971, l'âge de la retraite
pour les deux cours fut de soixante-quinze ans;
après, les juges de la Cour suprême du Canada et
les juges de la Cour fédérale nommés le ou avant
le ler juin 1971 demeurent en fonction jusqu'à
soixante-quinze ans; les juges de la Cour fédérale
nommés après la dernière date mentionnée cessent
d'exercer leurs fonctions à soixante-dix ans; anté-
rieurement au ler mars 1961, aucun âge n'était fixé
pour la retraite des juges de la Cour suprême de
l'Ontario et des juges des autres cours supérieures
provinciales; depuis lors ces juges cessent d'occu-
per leur charge à soixante-quinze ans.
Le demandeur soutient que la fixation de l'âge
de la retraite obligatoire à soixante-quinze ans
pour les juges de la Cour suprême du Canada,
comme pour les juges de la Cour de l'Échiquier,
par les lois de 1927 (précitées) était une redon-
dance puisqu'à compter de l'époque de la création
de ces cours, en 1875, par le chapitre 11, ces juges
étaient régis, en ce qui concerne leur retraite, par
le paragraphe 99(2) de la Loi constitutionnelle en
tant que juges d'une cour supérieure.
Les dispositions transitoires de la Loi sur la
Cour fédérale prévoient que les juges de la Cour
de l'Echiquier continueront à siéger en tant que
juges de la Cour fédérale, tant qu'ils en seront
dignes, jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de
soixante-quinze ans.
Cette discrimination à l'égard des juges de la
Cour fédérale nommés après le ler juin 1971 a
prévalu jusqu'à ce jour.
L'article 15 de la Charte des droits (précitée) est
entré en vigueur le 17 avril 1982. Cet article fait
référence à une égalité au sein d'une classe d'indi-
vidus et, en l'espèce, sans discrimination en raison
de l'âge.
Dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc.,
[1984] 2 R.C.S. 145; 11 D.L.R. (4th) 641, le juge
Dickson [tel était alors son titre] dit à la page 156
R.C.S.; 650 D.L.R.:
La Charte canadienne des droits et libertés est un document
qui vise un but. Ce but est de garantir et de protéger, dans des
limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu'elle
enchâsse. Elle vise à empêcher le gouvernement d'agir à l'en-
contre de ces droits et libertés; elle n'autorise pas en soi le
gouvernement à agir.
À nouveau, dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart
Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; [1985] 3
W.W.R. 481, à la page 344 R.C.S.; 524 W.W.R.,
le juge Dickson exprime la même pensée dans les
termes suivants:
Le sens d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte doit
être vérifié au moyen d'une analyse de l'objet d'une telle
garantie; en d'autres termes, ils doivent s'interpréter en fonc-
tion des intérêts qu'ils visent à protéger.
Voir aussi Law Society of Upper Canada c.
Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; 9 D.L.R. (4th)
161, le juge Estey, à la page 366 R.C.S.; 168
D.L.R.:
Évidemment la Déclaration canadienne des droits est, quant à
sa forme, identique à toutes les autres lois du Parlement. Elle a
été conçue et adoptée en vue de remplir un rôle plus fondamen-
tal que les lois ordinaires du pays. Elle ne fait cependant pas
partie de la Constitution de ce dernier. Elle se situe probable-
ment quelque part entre une loi ordinaire et un texte constitu-
tionnel. Néanmoins, elle a donné lieu aux principes d'interpré-
tation élaborés par les tribunaux dans le processus
d'interprétation et d'application de la Constitution elle-même.
En analysant en l'espèce la validité du paragra-
phe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale, je suis
arrivé à la conclusion que les juges de la Cour
suprême du Canada et les juges de la Cour fédé-
rale sont des juges de cours supérieures au sens du
paragraphe 99(2) de l'A.A.N.B., tout comme les
juges des cours supérieures provinciales. Il ne s'en-
suit pas nécessairement que le demandeur et les
autres juges de la Cour fédérale font partie d'une
même catégorie que les juges de la Cour suprême
du Canada et des cours supérieures provinciales,
ou de l'une ou l'autre de ces cours, ayant droit à
l'égalité avec eux en vertu de cet article 15.
La Cour fédérale ne possède pas, comme les
cours supérieures des provinces, la compétence de
contrôle de common law sur les cours inférieures
et certains organismes administratifs, ni aucun
pouvoir qui ne lui serait pas attribué par sa loi
constitutive ou par d'autres lois fédérales qui lui
confèrent compétence et pouvoir dans certains
autres domaines. La Cour suprême du Canada est
essentiellement une cour d'appel. La pratique des
cours supérieures provinciales diffère en bien des
aspects de celle de la Cour fédérale. Aucun procès
par jury n'est prévu devant cette dernière.
Je conviens que chaque juge de la Cour fédérale
est égal aux autres membres de cette Cour au sens
de l'article 15 de la Charte et que tous les juges de
la Cour suprême du Canada sont égaux entre eux,
mais non avec les membres de ces deux autres
tribunaux. Pour déterminer s'il y a eu discrimina
tion à l'endroit de quelqu'un au sens de cet article
15, la comparaison doit être faite entre des indivi-
dus d'une même catégorie.
Pour décider si les droits à l'égalité garantis par
l'article ont été enfreints à l'endroit d'un individu,
on doit comparer le traitement dont se plaint
l'individu avec celui d'un groupe d'individus qui,
pour l'essentiel, appartiennent à la même catégorie
et se trouvent placés dans des circonstances
semblables.
Dans la déclaration, le demandeur allègue
incompatibilité entre le paragraphe 8(2) de la Loi
sur la Cour fédérale et l'article 15 de la Charte.
La défenderesse a demandé d'élaborer à ce sujet.
Le demandeur a répliqué: [TRADUCTION] «Le
paragraphe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale
porte atteinte au droit du demandeur que lui con-
fère l'article 15 de la Charte canadienne des droits,
en ce qu'il fixe l'âge de la retraite obligatoire à
soixante-quinze ans pour les juges des autres cours
supérieures conformément à l'article 99 de la Loi
constitutionnelle.» Le mémoire de Me Henderson,
page 13, paragraphe 32, montre qu'il met en cause
la discrimination en raison de la différence d'âge
de mise à la retraite entre les juges de la Cour
fédérale nommés avant le ler juin 1971 et ceux
nommés après. Me Bowie ne s'est pas opposé à ce
que ce point soit débattu, en a tenu compte et y a
répondu oralement. Je m'estime donc libre d'exa-
miner ce point comme s'il avait été articulé
initialement.
Je suis donc d'avis que mon examen de la ques
tion de savoir s'il y a discrimination à l'endroit du
demandeur concernant la durée de sa charge doit
se limiter â l'âge de la retraite fixé pour les juges
de la Cour fédérale en fonction le l er juin 1971, par
opposition à ceux qui ont été nommés ultérieure-
ment.
La défenderesse soutient avec insistance qu'en
contestant la Loi en question on allègue discrimi
nation à l'égard des tribunaux plutôt qu'en raison
de l'âge du juge. La distinction fondée sur la durée
de charge d'un juge de la Cour fédérale et d'un
juge de la Cour suprême de l'Ontario ne serait pas
fondée sur l'âge, mais plutôt sur le tribunal auquel
ils appartiennent. Je ne puis souscrire à cet argu
ment car, en l'espèce, c'est le juge qui est lésé et
c'est lui qui demande réparation. D'ailleurs, c'est à
un individu que l'article 15 confère le droit à la
même protection et au même bénéfice de la loi et
c'est de ce droit dont il traite. Et Me Bowie recon-
naît, à la page 105 de la plaidoirie, qu'il y a
discrimination entre les juges des cours qui ont été
nommés le ou avant le ler juin 1971 et ceux
nommés après.
La Loi constitutionnelle de 1982 et la Charte
des droits sont entrées en vigueur et ont eu effet à
compter de la proclamation du 17 avril 1982, en
vertu de l'article 58 de la Loi constitutionnelle de
1982, l'exception de l'article 15 de la Charte, au
sujet duquel le paragraphe 32(2) dispose:
32....
(2) Par dérogation au paragraphe (1), l'article 15 n'a d'effet
que trois ans après l'entrée en vigueur du présent article.
On fait valoir que si la distinction peut être
détruite par l'article 15, qui ne devait recevoir effet
que trois ans après l'entrée en vigueur de la Loi
constitutionnelle de 1982, on devrait raisonnable-
ment en conclure qu'il n'avait pas pour objet un tel
cas. La réponse me paraît être que la Constitution
du Canada est la loi suprême du Canada et qu'elle
rend inopérantes les dispositions incompatibles de
toute autre règle de droit dans la mesure de cette
incompatibilité. Il s'ensuit que le paragraphe 8(2)
de la Loi sur la Cour fédérale, dans la mesure où il
est incompatible avec le paragraphe 99(2) de la
Constitution, est invalide en vertu de l'article 52.
Ce paragraphe 8(2) est également invalide en
raison de son incompatibilité avec l'article 52.
On soutient aussi que l'exception au paragraphe
8(2) que l'on trouve au paragraphe 60(5) en
faveur des juges qui étaient en fonction le ler juin
1971 était raisonnable car, à l'époque où ils ont
accepté leur nomination à la Cour, la loi fixait la
durée de leurs fonctions jusqu'à l'âge de soixante-
quinze ans.
L'article 1 de la Loi constitutionnelle de 1982
garantit les droits qui y sont énoncés et «ils ne
peuvent être restreints que par une règle de droit,
dans des limites qui soient raisonnables et dont la
justification puisse se démontrer dans le cadre
d'une société libre et démocratique.» On me
demande de conclure que cette exception, que les
avocats ont baptisée clause de droits acquis, est
une limite raisonnable bien qu'aucune preuve n'ait
été rapportée à ce sujet.
Il m'est difficile de considérer l'imposition de
cette limite d'âge de soixante-dix ans comme une
limite raisonnable, surtout lorsque aucune limite
semblable n'est imposée aux juges suppléants et
qu'au moment de sa nomination à la Cour fédérale
le demandeur occupait une charge, en tant que
juge de la Cour suprême d'Ontario, qui lui garan-
tissait une retraite à l'âge de soixante-quinze ans.
L'exception du paragraphe 60(5) aurait pu facile-
ment être étendue aux juges ayant siégé à d'autres
cours supérieures immédiatement avant leur nomi
nation à la Cour fédérale, sans faire de discrimina
tion à l'égard de ces juges, par l'adjonction de
l'expression «de la Cour de l'Échiquier du Canada
ou de toute autre cour supérieure au Canada»
immédiatement après le mot «juges», dans la ver
sion française, de sorte que l'article se lirait:
60....
(5) Pour les juges de la Cour de l'Échiquier du Canada ou de
toute autre cour supérieure au Canada qui étaient en fonction
le 1" juin 1971, le paragraphe 8(2) doit se lire comme suit:
«(2) Un juge de la Cour cesse d'occuper son poste à l'âge de
soixante-quinze ans.
Le demandeur a été juge à la Cour suprême de
l'Ontario du 21 septembre 1967 jusqu'à son trans-
fert à la Cour fédérale le 17 septembre 1973.
Mettre fin au droit du demandeur de demeurer
juge de la Cour fédérale jusqu'à l'âge de soixante-
quinze ans le priverait de cinq ans d'exercice de la
fonction dont il jouissait au moment de son trans-
fert à la Cour fédérale. Par conséquent, on ne peut
pas dire que ses droits sont «restreints ... par une
règle de droit, dans des limites qui soient raisonna-
bles et dont la justification puisse se démontrer
dans le cadre d'une société libre et démocratique»
au sens de l'article 1 de la Charte.
Il est assez significatif que partout dans la Loi,
lorsque mention est faite d'un juge de la Cour
fédérale, l'expression habituellement utilisée soit
«un juge de la Cour» ou «un juge de la Cour de
l'Échiquier», mais qu'au paragraphe 60(5) on
décrive les juges qui y sont mentionnés sans appor-
ter cette restriction: «Pour les juges qui étaient en
fonction le ler juin 1971». C'est là une description
parfaitement applicable au demandeur. Au para-
graphe 8(2), on utilise l'expression «un juge de la
Cour», mais on se réfère là à son statut et à la
durée de sa charge, une fois devenu «un juge de la
Cour».
Dans ce paragraphe, le terme «juge» est employé
dans un sens suffisamment large pour viser le juge
de toute autre cour qui était en fonction le te. juin
1971, qui pouvait être nommé et qui a été nommé
à la Cour fédérale par la suite. Cette interprétation
est raisonnable, justifiée, et il est plus que probable
qu'elle soit fondée, car le Parlement n'aurait pas
voulu priver un juge occupant une charge en Cour
suprême de l'Ontario, dont une loi fédérale fixait
la durée jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans, des
cinq dernières années de son droit de siéger comme
juge fédéral simplement parce qu'il a été transféré
à la Cour fédérale. On s'attendrait à ce que le
Parlement traite ce juge de la même façon que les
juges de la Cour de l'Échiquier, venus à la Cour
fédérale le ler juin 1971, occupant déjà une charge
jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans. Le paragra-
phe 8(2) ne peut donc viser que ceux qui n'étaient
pas juges avant d'être nommés à la Cour fédérale
après le ler juin 1971 et qui, nouveaux venus,
n'avaient pas antérieurement occupé une charge de
cette durée.
Il s'ensuit que le demandeur a été victime de
discrimination en raison de ce paragraphe 8(2), en
ce sens que celui-ci porte atteinte à son droit
d'occuper sa charge de juge de la Cour fédérale
jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans, comme les
juges de celle-ci qui occupaient cette charge le ler
juin 1971, et qu'il l'oblige à cesser d'occuper cette
charge lorsqu'il atteindra l'âge de soixante-dix ans,
le 28 septembre 1985. Cet article est donc incom
patible avec les dispositions de l'article 15 de la
manière déjà indiquée et, dans cette mesure, il est
inopérant.
Je suis donc d'avis que le paragraphe 8(2) de la
Loi sur la Cour fédérale n'oblige pas le deman-
deur à quitter sa charge de juge de la Cour
fédérale du Canada quand il atteindra l'âge de
soixante-dix ans, mais qu'il a toujours le droit de
l'occuper jusqu'à ce qu'il ait soixante-quinze ans.
Le demandeur a donc droit à l'encontre de la
défenderesse au jugement suivant:
a) à une ordonnance déclarant que le paragra-
phe 8(2) de la Loi sur la Cour fédérale, qui
oblige le demandeur à cesser d'occuper sa
charge lorsqu'il aura atteint l'âge de
soixante-dix ans le 28 septembre 1985, est
incompatible avec la Constitution du
Canada et, en conséquence, conformément
au paragraphe 52(1) de la Loi constitution-
nelle de 1867, est inopérant en ce que:
(i) Le paragraphe 8(2) est incompatible
avec les dispositions du paragraphe
99(2) de la Loi constitutionnelle de
1867;
(ii) Le paragraphe 8(2) est incompatible
avec l'article 15 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés;
b) à une ordonnance déclarant que, bien inter-
prété, le paragraphe 8(2) n'oblige pas le
demandeur à quitter sa charge de juge de la
Cour fédérale du Canada avant d'avoir
atteint l'âge de soixante-quinze ans.
c) à ses dépens en l'action, à être taxés et à lui
être payés par la défenderesse.
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