T-682-84
Horst Lietz (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Cullen—
Toronto, 8 mai; Ottawa, 13 mai 1985.
Douanes et accise — Passerelle haute ajoutée à un navire
aux É.-U. — Importation illégale — Droit non payé — Saisie
par la Couronne — Frais dus à la société exploitant la marina
— Le navire a été vendu en vertu d'une ordonnance de la Cour
afin d'acquitter la dette — Le demandeur a acheté le navire
libre de tout privilège — Les droits que la Couronne possédait
avant le prononcé de l'ordonnance de la Cour sont-ils annulés
par celle-ci? — L'art. 2 de la Loi sur les douanes prévoit que
la confiscation est automatique à compter du moment de
l'importation illégale — La Couronne est immédiatement
investie du titre — Par son ordonnance in rem, la Cour confère
le titre du navire au demandeur — L'ordonnance rendue étant
in rem, elle lie tout le monde, y compris la Couronne —
L'ordonnance de la Cour annule les droits de la Couronne —
L'omission par la Couronne d'obtenir le versement des droits
ne lui enlève pas son recours contre l'ancien propriétaire — Loi
sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 2, 18, 150, 163,
164, 165, 175, 176, 180, 192, 205 (mod. par S.C. 1974-75-76,
chap. 5, art. 5), 231 — Règles de la Cour fédérale. C.R.C.,
chap. 663, Règle 474.
Droit maritime — Saisie d'un navire par la Couronne —
Droit non payé — Procédures engagées contre le navire pour
obtenir les frais dus à la marina — La Cour a ordonné la vente
du navire au demandeur, libre de tout privilège — L'ordon-
nance de la Cour annule-t-elle les droits que possédait la
Couronne avant le prononcé de ladite ordonnance? — Suivant
l'art. 2 de la Loi sur les douanes, l'importation illégale de
marchandises entraîne leur confiscation immédiate, le titre
étant dès lors conféré à la Couronne — L'ordonnance in rem
crée un «privilège absolu et antérieur« en faveur de deman-
deurs in rem — Le titre est conféré à l'acheteur — L'ordon-
nance rendue par la Cour étant in rem, elle lie tout le monde, y
compris la Couronne — Les droits de la Couronne sont
annulés par la vente par la Cour — Loi sur les douanes,
S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 2.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Minna Craig Steamship Company v. Chartered Mercan
tile Bank of India, London and China, [1897] I Q.B. 460
(C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Marun, Tvrtko Hardy v. The Queen, [1965] I R.C.É.
280; La Reine c. Sun Parlor Advertising Company, et
autres, [1973] C.F. 1055 (l'° inst.); Johnson v. The SS.
Bella (1922), XXI R.C.E. 305; Sleeth v. Hurlbert
(1895), 25 R.C.S. 620.
AVOCATS:
M. A. Davis et R. Davis pour le demandeur.
Carolyn P. Kobernick pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Bresver, Grossman, Scheininger & Davis,
Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: Le demandeur, Horst Lietz,
est un homme d'affaires qui réside à Toronto,
municipalité de la communauté urbaine de
Toronto (Ontario). La défenderesse est Sa Majesté
la Reine du chef du Canada représentée par le
ministre du Revenu national pour les douanes et
l'accise. Vers le 17 mars 1982, le demandeur a
acheté toutes les actions de Lefroy Harbour Com
pany Limited (Lefroy Harbour), une société onta-
rienne exploitant une marina à Lefroy (Ontario).
Le navire Carole Ann III était à quai dans le port
de Lefroy où il avait été réparé avant l'achat de
Lefroy Harbour par le demandeur.
Au moment de l'achat de Lefroy Harbour par le
demandeur, l'ancien propriétaire du navire, un
citoyen canadien du nom de Paul Stewart, n'avait
pas déclaré aux douanes canadiennes un droit non
payé. Ce droit concernait des améliorations appor-
tées au navire, en particulier une nouvelle passe-
relle haute qui avait été ajoutée au navire aux
États-Unis d'Amérique.
En avril 1982, le demandeur a essayé en vain de
trouver M. Stewart afin de recouvrer les frais
d'entreposage et de réparation dus à Lefroy Har
bour. Vers le 19 mai 1982, Lefroy Harbour a
engagé en Cour fédérale des procédures contre le
navire afin qu'il soit vendu en vertu d'une ordon-
nance de la Cour et que la dette soit acquittée à
même le produit de la vente. Dans une ordonnance
datée du 3 août 1982, le juge Walsh a ordonné que
le navire soit évalué et qu'il soit mis en vente par
voie d'offres scellées. Il a en outre ordonné qu'un
avis public de vente soit publié une fois dans le
Globe and Mail.
L'ordonnance subséquente de vente rendue le 31
août 1982 par le juge Jerome portait notamment:
1. Un nommé Horst Lietz ayant présenté la seule
offre d'achat du navire défendeur et cette offre
étant supérieure au prix évalué pour ledit navire, il
a le droit de prendre possession dudit navire pour
son propre usage.
2. Aux termes de la vente conclue avec ledit Horst
Lietz, il est prévu qu'il doit prendre le navire dans
l'état où il se trouve actuellement à Lefroy Marine,
Lefroy (Ontario), la description dudit navire
n'étant pas garantie, mais celui-ci étant libre de
tout privilège et de toute charge, hypothèque et
créance.
3. Le solde du prix d'achat du navire défendeur
devra être consigné à la Cour au plus tard le 30
septembre 1982. Au moment de la consignation
dudit paiement à la Cour, l'administrateur de dis
trict de la Cour devra remettre tous les documents
nécessaires pour le transfert du titre dudit navire à
Horst Lietz.
4. Un avis public aux créanciers ou autres person-
nes ayant des réclamations contre le navire défen-
deur ou des droits sur le produit de la vente de
celui-ci devra être publié une fois seulement dans
le Globe and Mail, et aucun paiement ne devra
être effectué à même le produit de la vente du
navire défendeur avant l'expiration d'un délai de
30 jours suivant la publication dudit avis.
5. L'administrateur de district de la Cour devra
faire tous les autres actes et signer tous les docu
ments nécessaires à l'exécution de la présente
ordonnance.
Vers le 26 mai 1983, la suite d'une enquête
effectuée par les employés de la défenderesse au
sujet de l'importation illégale de la passerelle
haute, ladite passerelle a été saisie entre les mains
du demandeur conformément aux dispositions des
articles 18, 175, 176, 180, 192, 205 et 231 de la
Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40 et
ses modifications [S.C. 1974-75-76, chap. 5,
art. 5]. Vers le 2 juin 1983, le demandeur a fait
parvenir à la défenderesse un dépôt de 13 718,54 $,
qui représentait la somme requise pour obtenir la
mainlevée des effets saisis. Le demandeur a avisé
la défenderesse qu'il versait l'argent sous toute
réserve et sans reconnaître sa responsabilité.
Le 12 janvier 1984 ou vers cette date, le Minis-
tre a rendu conformément à l'article 163 de la Loi
sur les douanes une décision qui portait qu'une
somme de 8 258,50 $ devait être retenue sur le
montant déposé et saisie, et que le solde de
5 460,04 $ devait être restitué. Vers le 18 janvier
1984, le demandeur a donné un avis conformément
à l'article 164 de la Loi sur les douanes pour faire
savoir qu'il n'acceptait pas la décision du Ministre
et qu'il demandait que, suivant l'article 165 de la
Loi sur les douanes, l'affaire soit déférée à la Cour
fédérale. Aux environs du 26 janvier 1984, le
demandeur a été informé qu'il ne s'agissait pas
d'une affaire que le Ministre déférerait à la Cour
fédérale et on lui a indiqué de se reporter à l'article
150 de la Loi sur les douanes. Le demandeur a
intenté la présente action devant la Cour fédérale
notamment pour obtenir la restitution de son
dépôt.
Les parties ont demandé conformément à la
Règle 474 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C.,
chap. 663] une décision sur une question de droit
qu'elles ont définie comme suit: lorsqu'une per-
sonne achète un navire à la suite d'une ordonnance
de la Cour fédérale lui conférant un titre libre de
tout privilège et de toute charge, hypothèque et
créance, les droits que possédait Sa Majesté la
Reine du chef du Canada avant le prononcé de
cette ordonnance suivant l'article 2 de la Loi sur
les douanes sont-ils éteints ou remplacés par ladite
ordonnance?
L'action, qui a fait l'objet de l'ordonnance du
juge en chef adjoint, a été intentée par Lefroy
Harbour Company Limited contre le navire
Carole Ann III et non contre M. Stewart. Le
demandeur dans cette action a cherché à être
remboursé par M. Stewart avant d'intenter son
action contre le navire.
Aux termes de la loi, M. Stewart avait certaine-
ment l'obligation de faire une déclaration lorsque
le navire est arrivé au Canada. Il ne l'a pas fait
comme l'exige l'article 18 de la Loi sur les doua-
nes. L'article 180 indique clairement que l'omis-
sion de se conformer à cet article entraîne la
confiscation des effets. L'article 2 de la Loi sur les
douanes porte que la confiscation résulte du fait
même de l'infraction à l'égard de laquelle la peine
de confiscation est imposée, à compter du moment
où l'infraction est commise. En d'autres termes, la
confiscation est automatique à compter du
moment de la perpétration de l'infraction et c'est
le cas en l'espèce, c'est-à-dire que l'omission de M.
Stewart de faire une déclaration a entraîné la
confiscation; autrement dit, la Couronne a été
immédiatement investie du titre. Voici ce qu'a dit
le juge Cattanach dans l'arrêt Marun, Tvrtko
Hardy v. The Queen, [1965] 1 R.C.É. 280, la
page 295:
[TRADUCTION] L'article n'exige pas que les effets soient trou-
vés alors que cette personne en avait la garde.
La confiscation ne résulte pas d'un acte des officiers des
douanes ou des fonctionnaires du Ministère; elle est la consé-
quence inévitable de l'importation illégale des effets ...
et plus loin [aux pages 296 et 297] (il faut remar-
quer la ressemblance avec l'espèce):
[TRADUCTION] Aucune des parties n'était au courant de la
réclamation de droits et elles ne s'étaient livrées à aucune
importation illégale.
Le but de l'article 203 [aujourd'hui, l'article 205] est mani-
festement de protéger contre des poursuites en justice la per-
sonne qui, innocemment et sans pouvoir savoir qu'ils ont été
illégalement importés, a en sa possession des effets illégalement
importés ... mais ... non de conférer à cette personne un titre
sur des effets importés illégalement. [C'est moi qui souligne.]
Ce point de vue a été accepté et suivi par le juge
Urie dans la décision La Reine c. Sun Parlor
Advertising Company, et autres, [1973] C.F. 1055
(i re inst.), à la page 1065:
... les dispositions des articles 180 et 205 sont obligatoires et la
confiscation d'effets importés illégalement s'impose automati-
quement en vertu ... de l'article 2(1) de la Loi sur les douanes:
Au moment de l'ordonnance rendue par le juge
Walsh le 3 août 1982, la Couronne était manifes-
tement propriétaire du navire, même si tout le
monde ignorait ce fait soit au moment du prononcé
de la première ordonnance soit lors de l'ordon-
nance subséquente rendue par le juge en chef
adjoint le 31 août 1982.
L'arrêt Johnson v. The SS. Bella (1922), XXI
R.C.É. 305 a clairement établi le principe voulant
que [TRADUCTION] «la vente en justice d'un navire
à la suite d'une décision d'une cour n'ayant pas
compétence pour ordonner une telle vente est abso-
lument nulle» [page 305].
La Cour avait-elle compétence en l'espèce?
L'avocat du demandeur allègue que l'ordonnance
du juge en chef adjoint constituait une «ordon-
nance in rem» et, par conséquent, liait tout le
monde, y compris la Couronne. Citant une défini-
tion tirée de 16 Halsbury, l'avocat soutient qu'il
s'agit dans ce cas [TRADUCTION] «d'un jugement
d'une cour d'amirauté créant un privilège». Le
demandeur a cité la décision rendue par le maître
des rôles, lord Esher, dans Minna Craig Steamship
Company v. Chartered Mercantile Bank of India,
London and China, [1897] 1 Q.B. 460 (C.A.), aux
pages 464 et 465:
[TRADUCTION] Mais, lorsqu'une cour compétente rend un
jugement in rem contre un navire, les anciens propriétaires
perdent la propriété du navire qui devient alors le navire des
demandeurs dans les procédures in rem dans la mesure où leur
demande est concernée. Ces derniers n'ont évidemment pas la
possession du navire et ne peuvent ni le vendre ni en transférer
le droit de propriété une fois qu'il est vendu. Le navire est entre
les mains de la cour qui ordonne sa vente et confère le titre à
l'acheteur, et une fois que la vente a eu lieu, l'argent est
consigné à la cour. [C'est moi qui souligne.]
Plus loin, il cite le lord juge Lopes aux pages
467 et 468:
[TRADUCTION] Nous ne pouvons donc que le considérer comme
un jugement in rem, un jugement final opposable à tous ...
C'est un jugement déclaratoire quant au statut du navire qui lie
tout le monde et aucune cour anglaise ne peut l'attaquer. Il
s'agit d'un jugement déclarant l'existence d'un privilège absolu
et antérieur appartenant aux personnes en faveur de qui le
tribunal allemand s'est prononcé, et nous ne pouvons pas dire
que, compte tenu de tout ce qui s'est produit, les défendeurs
sont obligés de remettre au liquidateur de la compagnie ou à
toute autre personne ce qui leur a été donné en tant qu'avanta-
ges découlant de ce privilège.
En l'espèce, Lefroy Harbour a cherché à faire
exécuter un privilège et, même si la Couronne n'a
pas été avisée expressément, le navire a été vendu.
A mon avis, le jugement du juge en chef adjoint
était un jugement in rem et était opposable à tout
le monde, y compris à la Couronne.
Dans une décision de la Cour suprême du
Canada, Sleeth v. Hurlbert (1895), 25 R.C.S. 620,
le juge Sedgewick a dit à la page 630:
[TRADUCTION] Un jugement in rem est une décision portant
sur le statut d'un objet particulier et rendue par un tribunal
ayant compétence à cette fin. Une telle décision constituant de
la part de l'autorité appropriée une déclaration solennelle por-
tant que le statut de l'objet sur lequel ladite décision a été
rendue est tel qu'il a été déclaré, elle empêche qui que ce soit de
prétendre que le statut de l'objet sur lequel il a été statué n'était
pas tel que l'indiquait la décision.
Le nom du navire figurait dans l'intitulé de la
cause et le demandeur a clairement intenté une
action in rem. Le juge Walsh et le juge en chef
adjoint Jerome ont accepté ces faits. Si le deman-
deur avait poursuivi M. Stewart, cela aurait alors
constitué un cas évident d'action in personam.
La Couronne qualifie l'ordonnance obtenue par
Lefroy Harbour Company Limited d'ordonnance
in personam exécutée in rem. Je ne suis pas d'ac-
cord et je me demande vraiment si un tel point de
vue est plausible. À mon avis, l'action intentée par
Lefroy Harbour Company Limited n'est rien d'une
autre qu'une action in rem lui permettant de faire
valoir sa réclamation et, ayant été rendue, l'ordon-
nance est exécutoire. La Couronne n'est pas
dénuée de ressources ou dégagée de toute respon-
sabilité. Elle a eu deux occasions d'obtenir le verse-
ment des droits, c'est-à-dire lorsque le navire est
arrivé au Canada et qu'une déclaration devait être
faite aux douanes, et à la suite de l'annonce parue
dans le Globe and Mail qui, de l'avis du juge
Walsh, constituait un avis suffisant pour tous les
tiers. La Couronne a encore un recours contre la
partie responsable en premier lieu, M. Stewart.
Il est donc décidé que l'ordonnance de la Cour
fédérale conférant un titre libre de tout privilège et
de toute charge, hypothèque et créance, annule le
droit que possédait Sa Majesté la Reine du chef du
Canada avant le prononcé de ladite ordonnance
suivant l'article 2 de la Loi sur les douanes.
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