T-52-84
RCP Inc. (requérante)
c.
Ministre du Revenu national et sous-ministre du
Revenu national pour les douanes et l'accise
(intimés)
Division de première instance, juge Rouleau—
Toronto, 15 et 21 octobre; Ottawa, 13 décembre
1985.
Pratique — Frais et dépens — Règlement — La Règle
344(1) prévoit que les dépens 'suivent le «sort de l'affaire» —
Le «sort de l'affaire» est l'issue du litige, qu'il s'agisse d'un
jugement ou d'un règlement — Il ne dépend pas du fait que la
Cour rende un jugement ou une ordonnance — L'equity exige
qu'on adjuge ses dépens à la requérante, qui a eu gain de cause
— La Cour a le devoir de prendre en considération l'ensemble
des circonstances, y compris la conduite des intimés ayant
donné lieu au litige, l'obligation de contre-interroger longue-
ment les témoins sur des affidavits ambigus et le long débat
sur les dépens — Les frais entre procureur et client ne sont
adjugés que dans des circonstances exceptionnelles — Les
dépens ne sont pas accordés à titre de dommages-intérêts —
En l'espèce, le fait d'adjuger les dépens sur la base procureur
et client équivaudrait à accorder des dommages-intérêts —
Somme globale dépassant ce qui est prévu au Tarif accordée
comme dépens — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663, Règle 344(1),(7), Tarif A, art. 1(4)a), Tarif B, art. 3.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Requête visant à obtenir une ordonnance portant
versement des dépens sur la base procureur-client — La
requérante aurait-elle dû procéder sur le fondement des
art. 46 et 48 de la Loi sur les douanes? — L'art. 46 ne résoud
pas la question principale, savoir celle de l'utilisation des
articles importés — La Cour a compétence — Loi sur les
douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 46, 48 (mod. par
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 65).
Jugement: une somme globale dépassant ce qui est prévu au
Tarif devrait être accordée comme dépens.
La Règle 344(1) prévoit que les dépens de toutes les procédu-
res sont laissés à la discrétion de la Cour et suivent le sort de
l'affaire sauf ordonnance contraire. Le «sort de l'affaire» est
l'issue du litige, qu'il s'agisse d'un jugement ou d'un règlement.
Il n'est pas nécessaire que la Cour rende une ordonnance ou un
jugement pour qu'il y ait «sort de l'affaire». Un règlement
n'empêche nullement de rendre une ordonnance portant adjudi
cation des dépens. L'equity exige qu'on adjuge à la requérante
ses dépens. Elle a eu gain de cause dans l'action et on ne devrait
pas permettre aux intimés d'échapper au paiement des dépens
en réglant l'affaire au moment où il devient apparent que la
requérante aurait gain de cause si un procès avait lieu. Bien que
la Cour ait un pouvoir discrétionnaire absolu pour adjuger les
dépens, un plaideur qui a eu gain de cause peut raisonnable-
ment s'attendre à obtenir une ordonnance portant paiement des
dépens.
La Cour a le devoir de prendre en considération l'ensemble
des circonstances de l'affaire et ce qui a amené l'action, l'obli-
gation de contre-interroger longuement les témoins et le long
débat sur les dépens. La conduite des intimés a été répréhensi-
ble. Le Ministère a persisté dans sa politique pendant quatre
ans et demi. Il a compliqué et prolongé les procédures en
déposant quelques jours avant l'audition de l'affaire des affida
vits remplis de divergences. Un aspect laisse voir qu'on n'a
peut-être pas joué franc-jeu dans la suspension des privilèges de
la requérante, alors que les concurrents conservaient les leurs.
Bien que la requérante ait convaincu la Cour que les intimés
ont fait preuve de mauvaise foi à son égard, qu'elle a été traitée
injustement et que le comportement des fonctionnaires du
Ministère n'a pas été sans reproches, ce comportement n'a pas
persisté après le début des procédures. Orkin affirme, dans son
ouvrage The Law of Costs, que la cour possède un pouvoir
discrétionnaire général pour adjuger les dépens entre procureur
et client, mais pas à titre de dommages-intérêts. En l'espèce, le
fait d'adjuger les dépens sur la base procureur-client équivau-
drait à accorder des dommages-intérêts. Dans les affaires où il
y a eu adjudication de dépens sur une base procureur-client, il y
avait eu outrage au tribunal, défaut de produire tous les
éléments de preuve, chevauchement d'actions, procédures frivo-
les et vexatoires, conduite déraisonnable ou inconduite entraî-
nant des retards ou des dépenses inutiles.
Le pouvoir discrétionnaire inhérent quant aux dépens appar-
tient au juge présidant l'audition. La Règle 344(7) laisse
supposer que le juge de première instance a le pouvoir discré-
tionnaire de modifier les sommes fixées au Tarif B. L'article 3
du Tarif B autorise la Cour à exercer son pouvoir discrétion-
naire pour modifier les sommes fixées au Tarif. Le pouvoir de
la Cour de modifier la somme fixée au Tarif a été reconnu dans
Bourque c. Commission de la Capitale nationale, [1972] C.F.
527 (C.A.). Dans Hillsdale Golf & Country Club Inc. c. R.,
[1979] 1 C.F. 809 (1fe inst.), on a adjugé une somme globale au
lieu de frais taxés. Les circonstances de l'espèce justifient
amplement d'augmenter la somme au-delà de ce qui est prévu
au Tarif.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Creen v Wright (1877), 25 W.R. 502 (C.A.); Field v
Great Northern Railway Company (1878), 26 W.R. 817
(Div. Ct.); Copeland v. The Corporation of the Township
of Blenheim (1885), 11 P.R. 54 (C.A. Ont.); Coniagas
Reduction Co. v. H.E.P. Com'n, [1932] 3 D.L.R. 360
(C.A. Ont.); Hillsdale Golf & Country Club Inc. c. R.,
[1979] 1 C.F. 809 (1" inst.); The Proprietary Associa
tion of Canada, Barnes-Hind/Hydrocurve, Inc., et Alcon
Canada Inc. et R. (1983), 5 C.E.R. 496 (C.F. 1 r inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Andrews v. Barnes (1888), 39 Ch.D. 133 (C.A.); Holman
v. Knox (1912), 3 D.L.R. 207 (C.D. Ont.); McGrath et
al. v. Goldman et al. (1975), 64 D.L.R. (3d) 305
(C.S.C: B.); Food City Ltd. c. Ministre du Revenu natio
nal, [1972] C.F. 1437 (1" inst.); IBM Canada Ltée c.
Xerox of Canada Ltd., [1977] 1 C.F. 181 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Morrison v. Morrison, [1928] 2 D.L.R. 998 (C.A. Ont.);
Mildenberger v. Rur. Mun. of Francis No. 127, [1955] 1
D.L.R. 46 (C.A. Sask.); Bourque c. Commission de la
Capitale nationale, [1972] C.F. 527 (C.A.); Aladdin
Industries Inc. c. Canadian Thermos Products Ltd.,
[1973] C.F. 942 (1`° inst.).
AVOCATS:
K. C. Cancellara pour la requérante.
Lois E. Lehmann pour les intimés.
PROCUREURS:
Cassels, Brock & Blackwell, Toronto, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste a décidé de publier sous une forme
abrégée, cette cause en matière de pratique.
L'examen des faits par le juge a été omis, mais
ses motifs de jugement sur les questions touchant
aux dépens sont publiés intégralement.
Le redressement sollicité dans ce litige, intro-
duit par voie d'avis introductif de requête, était un
bref de certiorari annulant certaines décisions
prises par des agents de douane. Ce n'est pas la
Cour qui a mis fin à la procédure, mais une lettre
dans laquelle les intimés ont consenti au redres-
sement demandé. La requérante soutenait que
les politiques et pratiques qu'avaient suivies les
fonctionnaires étaient injustes et constituaient un
abus de la procédure administrative.
La présente requête sollicitait une ordonnance
adjugeant des dépens sur la base procureur-
client ou, subsidiairement, un jugement déclara-
toire portant que la requête en bref de certiorari
était une action de la classe Ill aux fins de fixation
des frais.
Deux questions se posaient: 1) Est-il possible
de rendre une ordonnance quant aux frais en
l'absence d'une ordonnance ou d'un jugement
formel, autrement dit, s'il n'y a pas «sort de
l'affaire, ainsi que le prévoit la Règle 344 [Règles
de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]? 2)
S'agit-il d'un cas où il convient d'adjuger des frais
sur la base procureur-client?
Avant d'aborder les questions principales, le
juge a examiné l'argument de la Couronne selon
lequel la requérante se trouvait devant la mau-
vaise instance. On a laissé entendre que les
procédures prévues aux articles 46 et 48 de la
Loi sur les douanes (S.R.C. 1970, chap. C-40
(mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art.
65)] auraient dü être suivies. Le juge Rouleau a
rejeté cet argument, invoquant la décision du juge
Cattanach dans l'affaire The Proprietary Associa
tion of Canada, Barnes-Hind/Hydrocurve, Inc., et
Alcon Canada Inc. et R. (1983), C.E.R. 496 (C.F.
l 'e inst.), affaire qui porte sur une disposition
semblable de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C.
1970, chap. E-13. De toute évidence, la Cour
fédérale avait compétence et la Couronne a invo-
qué cet argument principalement pour tenter
d'éviter d'avoir à payer les dépens.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU:
I
Peut-on adjuger les dépens en l'absence d'une
ordonnance ou d'une décision sur les points liti-
gieux soulevés dans l'avis introductif de requête?
Le paragraphe 344(1) des Règles de la Cour
fédérale porte:
Règle 344. (1) Les dépens et autres frais de toutes les
procédures devant la Cour sont laissés à la discrétion de la Cour
et suivent le sort de l'affaire sauf ordonnance contraire. Sans
limiter la portée générale, la Cour pourra prescrire le paiement
d'une somme fixe ou globale au lieu de frais taxés. [C'est moi
qui souligne.]
Au fil des ans, les tribunaux ont eu à examiner
le sens du mot «sort» dans diverses circonstances.
Dans l'affaire Creen v Wright (1877), 25 W.R.
502 (C.A.), la Cour a statué que, dans les cas où, à
l'instruction d'une action, il est rendu une ordon-
nance de non-lieu qui est infirmée, qu'un nouveau
procès est accordé et que, au terme du second
procès, le demandeur obtient verdict et jugement,
il a droit aux dépens du premier procès en tant que
partie des dépens qui «suivent le sort de l'affaire».
Le verdict du jury au second procès constitue le
sort de l'affaire.
Dans l'arrêt Field v Great Northern Railway
Company (1878), 26 W.R. 817 (Div. Ct.), on a
jugé que le sort de l'affaire était le résultat de
toutes les procédures incidentes au litige et que les
dépens qui suivent le sort de l'affaire comprennent
les dépens à toutes les étapes du litige.
Dans Copeland v. The Corporation of the
Township of Blenheim (1885), 11 P.R. 54 (C.A.
Ont.), la Cour a déclaré à la page 55:
[TRADUCTION] On a jugé que le »sort de l'affaire» constituait
précisément ce qu'il impliquait, savoir ale résultat du procès
tout entier»: Field v. Great Northern R.W. Co., 3 Ex. D. 261.
Les frais ont certes été engagés par le demandeur dans la
poursuite de son action et le libellé de la règle est clair—ces
frais doivent se conformer au sort de l'affaire.
Au cours de mes recherches, je n'ai pu trouver
aucun arrêt appuyant l'argument suivant lequel
lorsqu'une affaire a été réglée entre les parties et
que la poursuite du litige devient inutile, il ne peut
y avoir d'ordonnance quant aux dépens. Le «sort
de l'affaire», que les dépens doivent suivre, n'est
rien de plus que l'issue du litige; en l'espèce, le
litige a connu son issue lorsque la requérante a
obtenu le redressement qu'elle demandait par
règlement. En soi, ce fait n'empêche nullement de
rendre une ordonnance portant adjudication des
dépens en faveur de la requérante.
En l'espèce, l'equity exigerait qu'on adjuge à la
requérante ses dépens. Elle a eu gain de cause dans
l'action; elle a reçu des intimés les sommes d'ar-
gent auxquelles elle avait droit, ainsi que d'autres
redressements.
Pour faire respecter son droit, la requérante a
dépensé environ 21 000 $ pour lesquelles, en toute
justice, l'equity exigerait compensation. On ne
devrait pas permettre aux intimés d'échapper au
paiement des dépens en réglant l'affaire au
moment où il devient apparent que la requérante
aurait gain de cause si un procès avait lieu. Bien
que la Cour ait un pouvoir discrétionnaire absolu
et illimité pour adjuger ou non les dépens, un
plaideur qui a gain de cause peut, en l'absence de
circonstances particulières, raisonnablement s'at-
tendre à obtenir une ordonnance portant paiement
des dépens (voir Morrison v. Morrison, [1928] 2
D.L.R. 998 (C.A. Ont.)). Dans l'affaire Coniagas
Reduction Co. v. H.E.P. Com'n, [1932] 3 D.L.R.
360 (C.A. Ont.), on déclare ceci à la page 363:
[TRADUCTION] La question de l'adjudication de ces dépens [du
procès] est une question de discrétion judiciaire; et la discrétion
judiciaire en cause est celle du juge de première instance;
celui-ci peut et doit exercer ce pouvoir discrétionnaire...
En résumé, compte tenu des faits de l'espèce, je
suis disposé à exercer mon pouvoir discrétionnaire
pour rendre une ordonnance quant aux dépens. La
question de savoir s'il y a «sort de l'affaire» ne
dépend pas du fait que la Cour rende une ordon-
nance ou un jugement. Le «sort de l'affaire» est
l'issue du litige, qu'il s'agisse d'un jugement ou
d'un règlement en faveur de la requérante. Un
juge de première instance possède un large pouvoir
discrétionnaire lorsqu'il statue sur la question des
dépens, et lorsque ce pouvoir discrétionnaire est
exercé de façon judiciaire, en tenant compte des
faits de l'espèce, de façon générale, les cours d'ap-
pel ne modifieront pas l'adjudication (voir Mil-
denberger v. Rur. Mun. of Francis No. 127,
[1955] 1 D.L.R. 46 (C.A. Sask.)).
II
Suis-je en position d'adjuger les dépens sur la
base procureur-client?
Le plus ancien précédent qui a examiné le pou-
voir d'adjuger les dépens sur une plus grande
échelle semble être l'affaire Andrews v. Barnes
(1888), 39 Ch.D. 133 (C.A.). La Cour division-
naire de l'Ontario a examiné et commenté ce
précédent dans l'affaire Holman v. Knox (1912), 3
D.L.R. 207, ainsi que dans l'affaire McGrath et al.
v. Goldman et al. (1975), 64 D.L.R. (3d) 305
(C.S.C.-B.). Ces décisions semblent indiquer que
la Cour possède un pouvoir discrétionnaire général
d'adjuger les dépens sur la base procureur-client,
mais que même en equity, les frais entre procureur
et client ne sont adjugés que dans des circons-
tances rares et exceptionnelles.
Je dois donc examiner la question de savoir si les
faits de l'espèce constituent des circonstances rares
et exceptionnelles. Certes, la conduite des intimés
a, à certains moments, été répréhensible. Le
Ministère a persisté dans sa politique pendant
quatre ans et demi. Il a compliqué et prolongé
davantage les procédures en signifiant trois affida
vits à la requérante trois ou quatre jours avant la
date prévue pour l'audition de l'affaire. En raison
de l'importance de ces affidavits produits en
réponse, un ajournement a été accordé pour fins de
contre-interrogatoire.
La transcription des contre-interrogatoires laisse
voir un certain nombre de divergences et de con-
tradictions dans le texte des affidavits soumis par
les fonctionnaires concernés. Un aspect, parmi
bien d'autres, laisse voir qu'on n'a peut-être pas
joué franc-jeu dans la suspension des privilèges de
la requérante, alors que les concurrents conser-
vaient les leurs.
Tout cela étant dit, ai-je le pouvoir discrétion-
naire d'adjuger les dépens sur la base procureur-
client? J'en suis venu à la conclusion que non. Bien
que la longue énumération des faits de l'espèce
pourrait laisser croire que je penche dans cette
direction, les faits en question ont été exposés pour
d'autres fins: soit pour faire ressortir le comporte-
ment équivoque des fonctionnaires et pour signaler
les difficultés auxquelles ont fait face la requérante
et les fonctionnaires en tentant de mener l'affaire;
de plus, l'énumération de ces faits est nécessaire si
je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire pour
accorder une augmentation du tarif prévu dans les
Règles, pour confier ce pouvoir discrétionnaire à
l'officier taxateur ou, subsidiairement, pour fixer
une somme globale.
Bien que, la requérante m'ait convaincu qu'on a
fait preuve de mauvaise foi à son endroit, qu'elle a
été traitée injustement et que le comportement des
fonctionnaires du Ministère n'a pas été sans repro-
ches, ce comportement n'a pas persisté après le
début des procédures en janvier 1984. Je dis cela,
mais non sans certaines réserves, car il ne fait pas
de doute que les affidavits déposés en réponse par
les témoins de la Couronne étaient vagues et ambi-
gus et auraient pu induire en erreur si un juge de
première instance avait dû trancher les questions
en litige sans le bénéfice des contre-interrogatoires.
Ces derniers ont été très révélateurs en ce qu'ils
ont apporté des précisions sur le long litige et
signalé les divergences entre les déclarations conte-
nues dans les affidavits et les faits réels. Par
contre, entre eux, les deux avocats se sont conduits
d'une manière conforme aux normes acceptables
dans le domaine du litige.
Comme l'affirme Mark M. Orkin, dans son
ouvrage The Law of Costs, (1968), la page 53:
[TRADUCTION] Dans un litige inter partes, la cour possède
un pouvoir discrétionnaire général pour adjuger les dépens
entre procureur et client, non à titre de dommages-intérêts
toutefois.
En l'espèce, le fait d'adjuger les dépens sur la base
procureur-client équivaudrait à accorder des dom-
mages-intérêts. À de nombreuses reprises au cours
de leur carrière, les avocats vont voir leurs services
être retenus par des parties qui négocieront des
litiges, se disputeront et discuteront pendant des
mois, voire des années, avant d'en arriver à une
solution sans recourir aux tribunaux. Dans de tels
cas, personne ne demande de dépens et encore
moins ne s'attend à ce que la Cour en adjuge. Les
dépens ne peuvent être envisagés qu'à partir du
moment où des procédures sont intentées.
J'ai examiné un certain nombre de causes dont a
été saisie la Cour fédérale du Canada, mais très
peu d'entre elles portent sur l'adjudication des
dépens sur la base procureur-client. Quand ce fut
le cas, le juge présidant l'audience disposait d'assez
d'éléments de preuve pour conclure qu'il y avait eu
outrage au tribunal, défaut par une partie de
produire tous les éléments de preuve, chevauche-
ment d'actions, procédures frivoles et vexatoires,
conduite déraisonnable, ou inconduite entraînant
des retards ou des dépenses inutiles.
J'en arrive à la conclusion que le ministère du
Revenu national, Douanes et Accise, aurait dû se
rendre compte, bien avant septembre 1984, qu'il
était presque impossible de faire appliquer sa poli-
tique adoptée en décembre 1980; que cette politi-
que a causé des difficultés à la requérante et de la
frustration aux fonctionnaires. L'obstination et la
conduite du Ministère ont persisté jusqu'à ce
qu'une action soit intentée, et le procureur dont il
a retenu les services y est sans doute pour beau-
coup dans sa décision d'abandonner ces nouvelles
lignes directrices. Environ quatre ans et demi après
la proclamation de la politique, le Ministère a
finalement admis qu'il était impossible d'appliquer
ses règlements et a entièrement consenti au redres-
sement sollicité par la requérante.
Il existe des dispositions législatives et suffisam-
ment de décisions, tant de la Division de première
instance que de la Division d'appel, qui établissent
de façon très claire que le pouvoir discrétionnaire
inhérent quant aux dépens appartient au juge pré-
sidant l'audition. Le paragraphe 344(1) des Règles
de la Cour fédérale porte:
Règle 344. ... la Cour pourra prescrire le paiment d'une
somme fixe ou globale au lieu de frais taxés.
La Règle 344(7) prévoit qu'une partie peut requé-
rir la Cour de donner des directives spéciales au
sujet des dépens, y compris une directive visée au
Tarif B. Cette Règle laisse supposer que le juge de
première instance a le pouvoir discrétionnaire de
modifier les sommes fixées dans le Tarif B. L'ali-
néa 1(4)a) du Tarif A prévoit que:
1....
(4) La Cour pourra,
a) donner des instructions pour qu'une démarche ou mesure
ou toutes les démarches et mesures d'une procédure fassent
partie d'une classe autre que celle dont elles feraient autre-
ment partie ...
En outre, l'article 3 du Tarif B autorise la Cour à
exercer son pouvoir discrétionnaire pour modifier
les sommes fixées au Tarif:
3. Il ne doit pas être accordé, par taxation, entre parties,
d'autres sommes que celles indiquées ci-dessus; toutefois, tout
ou partie des sommes indiquées ci-dessus peuvent être augmen-
tées ou diminuées sur instructions données par la Cour dans le
jugement relatif aux dépens ou en vertu de la Règle 344(7).
[C'est moi qui souligne.]
Au début, le pouvoir discrétionnaire d'augmen-
ter ou de réduire la somme fixée au Tarif apparte-
nait à l'officier taxateur. En vertu des Règles de la
Cour fédérale, c'est maintenant la Cour qui est
investie de ce pouvoir, et ce changement a été
reconnu par le juge en chef Jackett dans Bourque
c. Commission de la Capitale nationale, [1972]
C.F. 527 (C.A.). On a appliqué ce principe dans
l'affaire Aladdin Industries Inc. c. Canadian
Thermos Products Ltd., [1973] C.F. 942 (1 re
inst.), à la page 944.
Dans l'arrêt Hillsdale Golf & Country Club
Inc. c. R., [1979] 1 C.F. 809 (1 re inst.), on a adjugé
une somme globale au lieu de frais taxés. Abor-
dant la question de l'adjudication d'une somme
globale, le juge Walsh a déclaré, à la page 810:
Il s'agit en l'espèce d'une requête afin d'obtenir des directives
concernant les dépens de l'instance ou une ordonnance qui
enjoindrait le paiement d'une somme fixe et globale en lieu et
place des frais. La question de l'attribution de sommes appro-
priées au lieu de frais taxés et la procédure à suivre pour les
attribuer est devenue difficile et controversée; elle induit fré-
quemment les avocats des parties en erreur vu l'existence, au
moins jusqu'à tout récemment, d'une jurisprudence contradic-
toire. Dans l'affaire Aladdin Industries Inc. c. Canadian Ther
mos Products Limited ([1973] C.F. 942); le juge Kerr a
accordé des sommes substantiellement supérieures au tarif,
lequel à mon avis est irréaliste et dépassé par les normes
contemporaines, si ce n'est pour quelques espèces relativement
rares, dont la présente cour a à connaître, où les sommes
impliquées et le temps et l'effort dépensés sont minimes; dans le
jugement que j'ai rendu dans Crelinsten Fruit Company c.
Maritime Fruit Carriers Co. Ltd. [1976] 2 C.F. 316, dans
lequel, quoique j'aie substantiellement réduit les sommes récla-
mées, calculées selon un taux horaire, celles accordées furent
quand même considérablement supérieures au tarif. J'ai suivi la
même ligne directrice dans l'affaire Le Bureau de fiducie de
l'Église presbytérienne au Canada c. La Reine, n°s du greffe
T-908-74 [[1977] 2 C.F. 107] et A-404-74, non publiée, datée
du 2 décembre 1976, qui, contrairement aux deux autres causes
précitées, était une action en expropriation engagée, toutefois,
sur le fondement de la nouvelle Loi.
Le juge Kerr a accordé une somme globale dans
l'affaire Food City Ltd. c. Ministre du Revenu
national, [1972] C.F. 1437 (1re inst.). La Cour
d'appel a reconnu le pouvoir discrétionnaire du
juge de première instance de modifier les sommes
fixées au Tarif et c'est ce qu'elle a dit dans IBM
Canada Liée c. Xerox of Canada Ltd., [1977] 1
C.F. 181 (C.A.), aux pages 184 et 185:
La théorie du droit sur la question de la révision de l'exercice
du pouvoir discrétionnaire d'un fonctionnaire taxateur pour
allouer des montants spécifiques révèle clairement qu'un tribu
nal ne devrait intervenir que lorsque les montants accordés sont
inappropriés ou que la décision est déraisonnable au point de
sembler résulter d'une erreur de principe. (Voir: Rickwood c.
Aylmer ([1954] O.W.N. 858); Kaufman c. New York Under
writers Insurance Co. ([1955] O.W.N. 496).)
Je suis convaincu que les circonstances de l'es-
pèce justifient amplement d'augmenter la somme
au-delà de ce qui est prévu au Tarif et ce, pour les
raisons suivantes:
— Je suis convaincu que RCP Inc. a reçu un
traitement différent de celui réservé à ses
concurrents.
— La requérante n'a pas réussi à obtenir du
ministre du Revenu national une déclaration
définitive sur la façon de se conformer à la
politique.
— Il y a preuve, tout au long des négociations, de
la volonté de RCP Inc. de satisfaire à toute
demande.
— Le ministère du Revenu national a recouru à
la menace de suspendre les privilèges de stoc-
kage afin de contraindre RCP Inc. à payer les
droits.
— Des fonctionnaires du Ministère ont fait des
déclarations sous serment qui confirment qu'il
était pratiquement impossible de contrôler
l'utilisation.
— C'est à tort qu'on a accusé la requérante
d'avoir tenu ses dossiers de manière inadé-
quate.
— Les fonctionnaires du ministère du Revenu
national ont convenu que RCP Inc. respectait
tous les critères auxquels les importateurs doi-
vent se conformer pour avoir droit au statut
d'importateur exempt de droits.
— Il y a eu mauvaise foi évidente de la part du
Ministère.
— Il y a eu des retards déraisonnables dans la
révision et la modification de la politique
avant que ne soient intentées les procédures;
— Les affidavits déposés en réponse par les fonc-
tionnaires de Douanes et Accise étaient
trompeurs.
Je suis convaincu que je peux, en l'espèce, tenir
compte de la conduite antérieure des intimés ayant
donné lieu au présent litige, et j'ai le devoir de
prendre en considération l'ensemble des circons-
tances de l'affaire et ce qui a amené l'action,
l'obligation de contre-interroger longuement les
témoins et le débat inhabituellement long sur les
dépens. Pour ces motifs et pour les autres raisons
déjà soulignées, je vais exercer mon pouvoir discré-
tionnaire pour fixer une somme globale.
Vers la fin du débat sur la présente requête, j'ai
délibérément soulevé la question du mémoire de
frais à l'avocat du Ministère. Aucun commentaire
n'a été formulé sur le mémoire soumis par la
requérante. On n'a contesté ni le nombre d'heures
de travail ni le taux horaire qui sont mentionnés
dans le mémoire de frais. Comme je l'ai déjà dit, je
ne peux adjuger les dépens sur la base procureur-
client, je ne peux chercher à indemniser entière-
ment; car comme l'a laissé entendre l'auteur
Orkin, je substituerais alors les dépens aux dom-
mages-intérêts. Ce n'est là ni mon intention ni mon
but.
Le mémoire lui-même ne semble pas inclure
quelque somme que ce soit pour des heures travail-
lées avant l'introduction de l'action. Si tel était le
cas, je les supprimerais. Suivant mon interpréta-
tion du mémoire de frais, le temps consigné semble
raisonnable eu égard aux services rendus et je
conclus au fait que le nombre d'heures réclamées a
été calculé à partir du moment où le litige a été
envisagé. Le montant total du compte pour les
services professionnels et pour le temps consacré
jusqu'à l'introduction de la présente requête s'élève
à 20 000 $. Je fixe et adjuge cette somme à
10 000 $. On réclame des débours de 1 341,17 $
qui semblent justifiables, à l'exception de la récla-
mation des frais de photocopies de 422,55 $. Je
réduis donc cette somme à 100 $ et accorde à titre
de débours la somme de 1 018,62 $.
La présente requête quant aux dépens a duré
deux jours entiers. Il ne fait pas de doute qu'elle a
imposé un travail de préparation considérable à
l'avocat de la requérante. Je fixe et adjuge par la
présente une somme globale de 2 500 $ pour la
présente requête.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.