T-514-84
Leslie Blake Danielson (requérant)
c.
Ludvik Gordan Sterba, J. F. Denis Cousine au
(intimés)
Division de première instance, juge Rouleau—
Vancouver, 21 septembre; Ottawa, 22 novembre
1984.
Juges et tribunaux — Juge de la Cour fédérale — Celui-ci
a accueilli la demande par laquelle le Ministre cherchait à
obtenir un mandat de main-forte prévu à la Loi sur les
stupéfiants — Le mandat porte la signature d'un fonctionnaire
du greffe — Le juge a-t-il délégué son pouvoir de délivrer des
mandats? — A-t-il rempli une fonction judiciaire ou une
fonction administrative à titre de persona designata? — La Loi
n'exige pas que le mandat soit signé — La signature du
fonctionnaire n'a qu'une fonction d'authentification — Doc
trine »omnia praesumuntur» invoquée — Il n'y a pas lieu
d'accorder un certiorari contre le fonctionnaire ni contre le
juge — Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art.
10(1)a),(3) (mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art.
64(2)) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10, art. 2.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Fouilles, perquisitions et saisies —
Le mandat a été délivré avant l'adoption de la Charte et l'acte
reproché s'est produit après son entrée en vigueur — Il est
souhaitable, dans une société libre et démocratique, que des
mandats de main-forte soient délivrés conformément à la Loi
sur les stupéfiants — L'art. 10(1)a) de la Loi n'est pas
inconstitutionnel mais il peut être déclaré inopérant dans
certaines circonstances (R. v. Rao et R. v. Hamill) — Le
caractère raisonnable d'une fouille, d'une perquisition ou d'une
saisie doit être déterminé cas par cas, qu'elles aient ou non été
autorisées par la loi — Pour que l'entrée dans des lieux
effectuée en vertu de l'art. 10(1)a) soit justifiée, il faut qu'il y
ait des motifs raisonnables de croire que des stupéfiants s'y
trouvent, qu'une infraction ait été commise, et que la perquisi-
tion soit effectuée d'une manière raisonnable — Distinction
faite avec l'arrêt Southam — Les restrictions apportées aux
droits des particuliers se justifient par la nécessité qu'on
exerce, dans l'intérêt public, un contrôle sur les stupéfiants —
Il est possible de procéder à un contrôle judiciaire une fois que
les événements ont eu lieu — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 1, 8, 24(2) — Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970,
chap. N-1, art. 10(1)a),(3) (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, art. 64(2)).
Stupéfiants — Mandat de main-forte délivré par un juge
conformément à l'art. 10(3) de la Loi — Mandat délivré avant
que la Charte soit adoptée — Les actes reprochés ont eu lieu
après son entrée en vigueur — Il est souhaitable, dans une
société libre et démocratique, de délivrer de tels mandats — Il
faut déterminer dans chaque cas si une fouille, une perquisi-
tion ou une saisie a un caractère raisonnable — Demande de
certiorari rejetée — Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap.
N-1, art. 10(1)a),(3) (mod. par S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 64(2)) — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 8, 24(2).
Pratique — Actes de procédure émanant d'un tribunal —
Mandats de main-forte — Le greffier n'a pas excédé sa
compétence en signant le mandat et il n'y pas lieu d'accorder
un certiorari — La fonction du greffier consistait à authenti-
fier le mandat délivré conformément à l'autorisation du juge
qui tire ses pouvoirs du texte de la Loi.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Stupéfiants
— Certiorari — La délivrance d'un mandat de main-forte par
un juge de la Cour fédérale est une fonction judiciaire et non
une fonction administrative, et le juge n'agit pas à titre de
persona designata — Le certiorari ne s'applique pas aux juges
de la Cour fédérale — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(1• Supp.), chap. 10, art. 2.
Un agent de police est entré et a perquisitionné dans une
maison d'habitation en vertu d'un mandat de main-forte. Ledit
mandat avait été délivré par cette Cour à la suite d'une
demande à cet effet présentée par le ministre de la Santé
nationale et du Bien-être social conformément au paragraphe
10(3) de la Loi sur les stupéfiants. Le juge a accueilli la
demande en écrivant sur celle-ci: [TRADUCTION] «Mandats
délivrés conformément à la demande.», et il l'a signée. Le
mandat utilisé en l'espèce a été délivré conformément à cette
directive et il a été signé par un fonctionnaire du greffe.
La présente demande vise à obtenir un bref de certiorari afin
d'annuler le mandat de main-forte.
La compétence de la Cour à connaître de la présente
demande ne fait pas l'objet du litige. Le requérant allègue
toutefois que le mandat, signé par le greffier, est nul parce
qu'un juge ne peut déléguer son pouvoir de délivrer des man-
dats à moins qu'il n'existe des dispositions législatives l'autori-
sant à le faire. Un autre des points en litige consiste à détermi-
ner si une demande de certiorari est le recours approprié en
l'espèce. Cela dépend de la question de savoir si le juge exerçait
une fonction judiciaire ou s'il agissait à titre de persona desi-
gnata, c'est-à-dire s'il exerçait une fonction administrative.
Le requérant a aussi soulevé la question de savoir si, compte
tenu en particulier de la décision de la Cour suprême dans
l'arrêt Southam, la délivrance de mandats de main-forte et les
perquisitions sans mandat effectuées en vertu de ceux-ci contre-
viennent au droit à la protection contre les fouilles, les perquisi-
tions et les saisies abusives, garanti par l'article 8 de la Charte.
Arrêt: la demande est rejetée.
En apposant sa signature sur le document officiel, le greffier
n'a pas excédé sa compétence et il ne peut faire l'ojet d'un
certiorari: sa fonction consiste à authentifier des documents; le
mandat est délivré conformément à l'autorisation d'un juge
habilité à ce faire par la Loi. On ne trouve nulle part dans la
Loi l'obligation qu'une signature apparaisse sur le mandat de
main-forte.
Lorsqu'un juge de la Cour fédérale délivre un tel mandat, il
exerce une fonction judiciaire et il ne peut faire l'objet d'un
certiorari. Même s'il y a peu de place pour l'exercice d'un
pouvoir discrétionnaire, cela ne veut pas dire que le juge exerce
une fonction administrative. Il n'agit pas non plus à titre de
persona designata étant donné que la Loi ne contient aucune
disposition à cet effet.
Bien qu'il ait admis que la décision rendue dans Southam a
créé un problème parce qu'elle a reconnu le droit du public
d'être protégé en vertu de l'article 8 de la Charte contre les
fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, l'avocat de la
Couronne a soutenu que ledit arrêt Southam n'exclut pas la
possibilité de suspendre une autorisation préalable lorsqu'il est
impossible de l'obtenir. Dans l'arrêt Southam, il n'a pas été
nécessaire pour la Cour suprême du Canada de mettre en
balance l'article 8 de la Charte et les exigences d'une société
libre et démocratique prévues à l'article I. Il était loisible aux
tribunaux de conclure que, dans certaines circonstances, les
droits de la société ont préséance sur les droits des individus. La
suppression des mandats de main-forte rendrait très difficile le
travail du personnel chargé de l'application de la loi dans sa
lutte contre le commerce illicite des drogues. L'affaire R. v.
Rao ne peut être considérée comme établissant le principe que
les mandats de main-forte contreviennent à la Charte. Le juge
Martin n'aurait pas statué que l'admission des éléments de
preuve aurait discrédité l'administration de la justice simple-
ment parce qu'ils avaient été obtenus au cours d'une perquisi-
tion sans mandat. Il les a plutôt exclus parce que la «violation
flagrante» des droits constitutionnels constituait un «abus de
pouvoir grossier».
Les perquisitions sans mandat étaient inhabituelles mais on
devait y avoir recours dans les affaires de stupéfiants en raison
des sommes d'argent importantes en jeu, de la mobilité des
auteurs des infractions, des problèmes sociaux créés et de
l'inquiétude du public.
Dans l'affaire R. v. Hamill, le juge Esson a statué que, même
si l'entrée dans des lieux sous l'autorité d'un mandat de main-
forte était légale, elle devait être raisonnable pour être con-
forme à l'article 8 de la Charte. Mais même si la perquisition
était illégale ou abusive, cela ne voulait pas dire qu'il fallait
écarter les éléments de preuve recueillis. La plupart du temps,
la réparation appropriée en vertu de l'article 24(1) de la Charte
ne consisterait pas à exclure les éléments de preuve. L'exclusion
des éléments de preuve ne serait appropriée que si leur admis
sion serait susceptible de déconsidérer l'administration de la
justice.
L'entrée dans des lieux effectuée en vertu de l'alinéa 10(1)a)
de la Loi sur les stupéfiants doit être faite avec des motifs
raisonnables de croire qu'il se trouve un stupéfiant dans ces
lieux et qu'une infraction à la Loi a été commise. De plus, la
perquisition doit être effectuée d'une manière raisonnable.
Il fallait établir une distinction avec l'arrêt Southam parce
que dans cette affaire, l'autorisation d'effectuer des perquisi-
tions prévue dans la Loi créait un conflit d'intérêts et n'accor-
dait pas une protection suffisante au public. Le juge Dickson a
conclu que la personne autorisant le mandat en vertu de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions n'agissait pas de façon
judiciaire. Ladite Loi ne contenait même pas d'exigences quant
au caractère raisonnable.
Pour ce qui est des mandats de main-forte délivrés au cours
d'enquêtes sur les stupéfiants, les tribunaux assurent la protec
tion adéquate du public après coup. Le juge de première
instance est une tierce personne objective, agissant de façon
judiciaire, qui examinera minutieusement ce qui s'est passé.
L'empiètement sur les droits prévus à l'article 8 de la Charte se
justifie par l'article I .
Comme l'a suggéré le juge La Forest dans un article paru
dans la Revue du Barreau canadien, il ne faut pas suivre
aveuglément les décisions rendues par les tribunaux américains
ni les conventions internationales. La Charte oblige les tribu-
naux à porter un jugement de valeur sur les lois même si leur
libellé est clair, mais pour ce faire, ils doivent se laisser guider
par les besoins ressentis dans notre société et par ses traditions.
La société canadienne est prête à accepter les restrictions que la
présente ordonnance impose aux droits prévus à la Charte.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; 37 C.R. (3d)
97; R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80 (C.A.), confirmé
par [1984] 2 R.C.S. ix; Re Soenen and Thomas et al.
(1983), 3 D.L.R. (4th) 658 (B.R. Alb.); Basile v. Attor-
ney -General of Nova Scotia (1983), 148 D.L.R. (3d) 382
(C.S.N.-E.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
United Assn. of Journeymen and Apprentices of Plumb
ing and Pipe Fitting Industry of U.S. and Can., Local
488 v. Bd. of Industrial Relations, [1975] 2 W.W.R. 470
(C.A. Alb.); Affaire intéressant les mandats de main-
forte (1975), 34 C.C.C. (2d) 62 (C.F. 1fe inst.); Herman
et autres c. Sous-procureur général du Canada, [ 1979] I
R.C.S. 729; 91 D.L.R. (3d) 3; Ministre des Affaires
indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre,
[1982] 2 R.C.S. 518; 139 D.L.R. (3d) I; R. v. Hamill,
[1984] 6 W.W.R. 530; 41 C.R. (3d) 123 (C.A.C.-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Carriere (1983), 32 C.R. (3d) 117 (C.P. Ont.); R. v.
Cuff (1983), 34 C.R. (3d) 344 (C. cté C.-B.).
AVOCATS:
M. L. Moore pour le requérant.
Ingrid C. Hutton, c.r. pour les intimés.
PROCUREURS:
Woolliams, Korman, Moore & Wittman, Cal-
gary, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: La présente demande vise
l'annulation d'un mandat de main-forte délivré par
cette Cour le 22 mai 1975, à la suite d'une
demande à cet effet présentée par le ministre de la
Santé nationale et du Bien-être social conformé-
ment au paragraphe 10(3) de la Loi sur les stupé-
fiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, modifiée.
Il est utile à ce stade-ci de citer l'alinéa 10(1)a)
et le paragraphe 10(3) [mod. par S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 64(2)] de la Loi sur les
stupéfiants:
10. (1) Un agent de la paix peut, à toute époque,
a) sans mandat, entrer et perquisitionner dans tout endroit
autre qu'une maison d'habitation, et, sous l'autorité d'un
mandat de main-forte ou d'un mandat délivré aux termes du
présent article, entrer et perquisitionner dans toute maison
d'habitation où il croit, en se fondant sur des motifs raisonna-
bles, qu'il se trouve un stupéfiant au moyen ou à l'égard duquel
une infraction à la présente loi a été commise;
(3) Un juge de la Cour fédérale du Canada doit, à la
demande du Ministre, délivrer un mandat de main-forte autori-
sant et habilitant la personne qui y est nommée, aidée et
assistée de tel individu que la personne y nommée peut requérir,
à entrer à toute heure dans une maison d'habitation quelconque
pour découvrir des stupéfiants.
La régularité de la demande présentée par le
Ministre le 13 mai 1975 ne fait aucun doute. Un
juge de la Cour fédérale a écrit sur la demande:
[TRADUCTION] «Mandats délivrés conformément à
la demande.», et il l'a signée. A la suite de cette
directive, un mandat de main-forte en bonne et
due forme a été délivré à Ludvik Gordan Sterba,
un membre de la section des drogues de la G.R.C.
Le document porte le sceau de la Cour, estampé de
la manière requise, et la signature de J. F. Denis
Cousineau, fonctionnaire du greffe. Le 15 juin
1983, alors qu'il poursuivait une enquête sur une
infraction qui aurait été commise relativement à
un stupéfiant, l'agent de police est entré et a
perquisitionné dans une maison d'habitation en
vertu du mandat de main-forte. Il y a trouvé une
substance qu'il croyait être de la cocaïne. Cette
substance ainsi que les autres accessoires habituel-
lement liés aux consommateurs et aux trafiquants
de drogue ont été saisis.
Après l'incarcération de l'accusé mais avant son
procès, l'avocat de ce dernier a demandé l'ajourne-
ment de l'action intentée en Cour provinciale pour
lui permettre de saisir cette Cour d'une demande
de certiorari visant à faire annuler le mandat de
main-forte. L'ajournement a été accordé, d'où la
présente demande.
Dès le début, le requérant a renoncé à sa
demande de quo warranto et a également consenti
à ce que Sa Majesté la Reine soit radiée comme
partie défenderesse.
Les arguments portaient sur deux points princi-
paux, l'un relatif à la procédure et l'autre, à la
constitutionnalité. L'avocat du requérant a laissé
entendre que, étant donné que j'avais été saisi de
tous les éléments de preuve possibles, il n'était pas
nécessaire de procéder à une instruction complète
et que je devrais pouvoir trancher la question de la
constitutionnalité.
La procédure
Arguments du requérant:
L'avocat soutient que cette Cour peut et devrait
connaître de la demande d'annulation car c'est elle
qui a délivré le mandat, et que la Cour du Banc de
la Reine de l'Alberta ne peut mettre en doute le
pouvoir d'un autre tribunal. Ce principe a été
examiné minutieusement dans l'arrêt Wilson c. La
Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; 37 C.R. (3d) 97, et en
particulier à la page 608 S.C.R.; 127 C.R. où le
juge McIntyre dit:
Les exigences de l'administration judiciaire ainsi que le décès
ou la maladie du juge qui a accordé l'autorisation font qu'il
n'est pas toujours pratique ou possible d'adresser une demande
de révision au juge qui a rendu l'ordonnance. Il ressort de la
jurisprudence qu'un autre juge de la même cour peut réviser
une ordonnance rendue ex parte. Voir, par exemple, les arrêts
Bidder v. Bridges (1884), 26 Ch.D. 1 (C.A.) et Boyle v. Sacker
(1888), 39 Ch.D. 249 (C.A.) Dans l'arrêt Gulf Islands Naviga
tion Ltd. v. Seafarers' International Union (1959), l8 D.L.R.
(2d) 625 (C.A.C.-B.), le juge Smith affirme, aux pp. 626 et
627:
[TRADUCTION] Examen fait des arrêts, qui ne sont ni aussi
concluants ni aussi uniformes qu'ils pourraient l'être, j'estime
qu'il y a une jurisprudence prépondérante qui appuie les
propositions suivantes relativement à la révision par un juge
d'une ordonnance rendue ex parte par un autre juge: (1) il a
le pouvoir d'annuler l'ordonnance ou l'injonction; (2) plutôt
que d'exercer ce pouvoir, il devrait déférer la demande au
premier juge, sauf dans des circonstances spéciales, par
exemple, lorsqu'il agit avec le consentement ou l'autorisation
du premier juge, ou lorsque celui-ci ne peut entendre la
demande; (3) si le second juge entend la demande, il doit en
reprendre l'audition au complet à la fois sur le plan du droit
et celui des faits en cause.
J'estime qu'à une seule restriction près, ce passage s'applique à
la révision d'une autorisation d'écoute électronique. Le juge
chargé de la révision ne doit pas substituer son appréciation à
celle du juge qui a accordé l'autorisation. Il n'y a lieu de
toucher à l'autorisation que s'il appert que les faits sur lesquels
on s'est fondé pour l'accorder diffèrent de ceux prouvés dans le
cadre de la révision ex parte. À mon avis, compte tenu du
mutisme du Code criminel sur ce point et de la confusion qui en
résulte, il convient de suivre la pratique déjà décrite.
Ni l'avocat des intimés ni moi-même ne nous
inscrivons en faux contre cette position.
II
Le requérant allègue que le mandat, signé par le
greffier, est nul. La Loi (la Loi sur les stupéfiants)
habilite le Ministre à présenter une demande de
mandat de main-forte qui est ensuite soumise à la
Cour. En l'espèce, la demande a été présentée à un
juge de la Cour fédérale qui y a écrit: [TRADUC-
TION] «Mandats délivrés conformément à la
demande.» Le requérant soutient que, même si la
Cour suit cette procédure depuis des années, il n'en
demeure pas moins qu'elle est inappropriée. Le
pouvoir de délivrer des mandats à été conféré à un
juge qui ne peut le déléguer à moins qu'il n'existe
des dispositions législatives l'autorisant à le faire.
Pour bien rendre le sens du terme «délivrance», le
requérant a invoqué l'arrêt United Assn. of Jour
neymen and Apprentices of Plumbing and Pipe
Fitting Industry of U.S. and Can., Local 488 v.
Bd. of Industrial Relations, [1975] 2 W.W.R. 470
(C.A. Alb.), et en particulier à la page 473:
[TRADUCTION] Les termes «issuance», «issuing» et «issue»
(«délivrance» et «délivrer») ont fait l'objet de nombreuses déci-
sions qui leur ont attribué différents sens, et dans le présent
contexte, je mentionnerai la seule définition de «issue» («déli-
vrer») contenue au Dictionary of English Law de Earl Jowitt:
«Un mandat, un subpoena ou autre document semblable est
délivré lorsqu'il est remis par le fonctionnaire compétent de
la cour à la partie qui en a demandé la délivrance, une fois
que le sceau ou une autre marque y a été apposé pour
indiquer son caractère officiel.» [C'est moi qui souligne.]
Il conclut que la signature du mandat par le
greffier n'a pas été apposée par le «fonctionnaire
compétent» et que, par conséquent, le mandat est
nul.
IlI
Le requérant est d'avis qu'une demande de cer-
tiorari est le recours approprié pour faire annuler
les actes exécutés par le juge et le greffier parce
qu'il prétend que l'exercice de leurs fonctions revê-
tait un caractère administratif.
Il laisse entendre que, lorsque le juge Collier
dans l'arrêt Affaire intéressant les mandats de
main-forte, publié dans (1975), 34 C.C.C. (2d) 62
(C.F. 1 r inst.), renvoie aux remarques du juge en
chef Jackett en 1965, il émet l'opinion qu'un juge,
qui se conforme aux exigences d'une loi, agit de
manière administrative parce qu'il semble qu'il
n'existe aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui
concerne l'exercice de la fonction qui n'est ni
judiciaire ni même quasi judiciaire. L'avocat du
requérant cite les propos tenus par le juge Collier à
la page 64:
Je juge bon de répéter ses conclusions parce qu'elles indi-
quent que cette cour se plie avec réticence aux exigences de la
Loi et qu'elle ne peut ni exprimer son avis ni exercer un pouvoir
discrétionnaire en ce qui concerne l'émission de ces mandats
qui sont alors confiés à des personnes qui, dans des cas particu-
liers, pourraient abuser gravement de ces pouvoirs de perquisi-
tion illimités.
À la page 65, il a écrit:
Étant donné la décision très bien motivée du juge en chef en
1965, certains diront que j'aurais dû, moi, un novice en 1975,
me contenter de signer (au nom de la Cour) ce mandat précis.
D'après les motifs du juge en chef, je crois cependant qu'il
faisait des réserves sur les très vastes pouvoirs conférés par ces
mandats et sur l'impossibilité dans laquelle se trouvait la Cour
d'exercer un pouvoir discrétionnaire relativement au nombre de
mandats émis, aux aptitudes de celui qui sera investi de ces
pouvoirs et à la durée de ces mandats. Dix ans après, on
demande toujours ces mandats illimités. Pour ce motif et parce
que je suis conscient des abus récents du pouvoir exécutif aux
Etats-Unis, j'ai décidé de présenter une autre fois, par écrit,
l'opinion exprimée par le président Jackett. [C'est moi qui
souligne.]
L'avocat laisse entendre que ces remarques du
juge Collier signifient que ces décisions sont admi-
nistratives, qu'elles peuvent faire l'objet d'un con-
trôle judiciaire et, par conséquent, d'un certiorari,
qui constitue le recours approprié pour faire annu-
ler les décisions des autres organismes ou person-
nes qui sont habilités par la loi à se prononcer sur
les questions concernant les droits d'autrui.
Arguments des intimés:
Comme je l'ai déjà dit, l'avocat des intimés n'a
pas contesté que la demande relevait de la compé-
tence de la Cour fédérale.
I I
Les intimés soutiennent que le mandat de main-
forte a été délivré de la manière appropriée et que
la signature du document par le greffier n'a pas
vicié la procédure; qu'une demande en bonne et
due forme a été présentée au nom du Ministre; que
la personne désignée par le mandat de main-forte
était une personne compétente; qu'étant donné que
la demande a été validée par un juge de la Cour
fédérale, un «fonctionnaire compétent» a autorisé
la délivrance du mandat; que le document lui-
même revêtait la forme requise et qu'il portait le
sceau de la Cour; que la signature du greffier avait
pour but de confirmer l'authenticité du document
et qu'elle ne signifiait nullement que le fonction-
naire qui a validé le mandat était celui qui l'a
délivré.
III
Les intimés admettent qu'il y aurait lieu à cer-
tiorari si le greffier avait accompli des actes qui
excédaient sa compétence; toutefois, étant donné
qu'il n'était pas en réalité tenu de rendre une
décision, il n'existait aucun recours.
L'avocat a soutenu qu'on ne peut demander un
certiorari contre un juge de la Cour fédérale. Juge
un jour, juge toujours. Bien que, dans certaines
circonstances, le Parlement puisse nommer un juge
pour qu'il agisse à titre de persona designata, il ne
peut le faire qu'en employant des termes exprès et
généraux. Il faut examiner l'intention du Parle-
ment et de la loi. L'avocat a invoqué l'arrêt
Herman et autres c. Sous-procureur général du
Canada, [1979] 1 R.C.S. 729; 91 D.L.R. (3d) 3, à
la page 749 R.C.S.; 18 D.L.R.:
A première vue, dès qu'une loi confère des pouvoirs à un
juge, il faut considérer que l'intention du Parlement est que ce
juge agisse à titre de juge. Celui qui prétend qu'un juge agit à
titre de persona designata doit trouver dans la loi particulière
des dispositions qui prouvent clairement une intention contraire
du Parlement. Le critère applicable pour déterminer si la loi
pertinente fait ressortir une intention contraire peut se formuler
comme une question: le juge exerce-t-il une compétence parti-
culière, distincte, exceptionnelle et indépendante de ses tâches
quotidiennes de juge, et qui n'a aucun rapport avec la cour dont
il est membre?
Après avoir examiné l'interprétation par le
requérant des remarques du juge Collier dans l'ar-
rêt Affaire intéressant les mandats de main-forte
(précité), les intimés n'étaient pas d'accord pour
dire que le juge agissait à titre administratif; il
n'est pas possible de déduire de ses remarques qu'il
exerçait une fonction autre que judiciaire. On a
soutenu qu'il devait d'abord établir s'il s'agissait
ou non d'une demande régulière qui avait été
présentée par le Ministre; deuxièmement, qu'une
personne compétente (c'est-à-dire un agent de la
G.R.C.) était la personne désignée dans le mandat
de main-forte, et troisièmement, que l'étendue du
pouvoir conféré par le mandat n'excédait pas celle
des pouvoirs conférés par la Loi. Bien qu'il n'y eût
pas lieu d'exercer un pouvoir discrétionnaire, il
s'agissait de l'exercice d'une fonction judiciaire.
Un juge de la Cour fédérale est habilité à recou-
rir aux brefs de prérogative en ce qui concerne les
décisions rendues par les tribunaux ou organismes
inférieurs définis à l'article 2 de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]; en
vertu des dispositions d'interprétation, le terme
«juge» désigne un juge de la Cour et on ne peut en
déduire qu'un juge de la Cour fédérale puisse
jamais exercer les fonctions d'une commission,
d'un office ou d'un autre tribunal fédéral.
Pour faire modifier ou changer la décision d'un
juge de la Cour fédérale, ce n'est pas à la Division
de première instance qu'il faut s'adresser, mais
plutôt à la Division d'appel de la Cour fédérale du
Canada.
L'avocat des intimés a en outre prétendu que,
lorsqu'un juge remplit une fonction en vertu d'une
loi, il ne peut agir qu'à titre de juge; ce principe
trouve son fondement dans l'arrêt Ministre des
Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville
et autre, [1982] 2 R.C.S. 518; 139 D.L.R. (3d) 1,
à la page 528 R.C.S.; 9 D.L.R.:
En l'espèce, suivre le principe du stare decisis créerait plus
d'incertitude que de certitude. L'arrêt Herman établit que le
statut de persona designata ne sera reconnu que dans des
circonstances exceptionnelles. Cela ne tranche toutefois pas la
question de savoir si, dans une affaire donnée, les circonstances
ont un caractère suffisamment exceptionnel. Il s'ensuit qu'en
continuant à reconnaître la distinction approuvée par cette
Cour dans l'arrêt Commonwealth de Puerto Rico c. Hernan-
dez, précité, on ne peut que laisser planer des doutes quant à la
procédure de contrôle ou d'appel qu'une partie doit suivre. A ce
que je peux déterminer, le concept jurisprudentiel de persona
designata n'a pas d'utilité dans le contexte actuel et on peut
facilement l'abandonner sans porter atteinte à un principe
juridique. Eu égard à la formulation claire et non équivoque du
par. 2g) de la Loi sur la Cour fédérale, «à l'exclusion [...] des
personnes nommées [...] en vertu de l'article 96 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, /867», j'estime qu'il convient
de s'en tenir aux termes de la Loi comme preuve de l'intention
du législateur.
L'avocat des intimés soutient finalement que la
doctrine omnia praesumuntur s'applique, et que le
mandat de main-forte doit être présumé conforme
à la loi jusqu'à preuve du contraire. Il s'agit en
l'espèce d'un document officiel et on présume que
toutes les conditions et formalités nécessaires ont
été respectées; bien qu'il s'agisse d'une présomp-
tion réfutable, le requérant ne s'est pas acquitté de
cette obligation.
Conclusion sur la procédure
Il est incontestable que la demande de redresse-
ment visé en l'espèce a été présentée au tribunal
compétent. Je suis également convaincu que, a
priori, le mandat a été régulièrement délivré. En
apposant sa signature sur le document officiel, le
greffier n'a pas excédé sa compétence et il ne peut
faire l'objet d'un certiorari. Sa fonction est d'au-
thentifier le mandat de main-forte ou tout autre
document délivré conformément à l'autorisation
d'un juge de la Cour fédérale qui tire ses pouvoirs
du texte de la loi. On ne trouve nulle part dans les
dispositions habilitantes l'obligation que la signa
ture d'un juge, ni d'ailleurs celle d'un autre fonc-
tionnaire, apparaisse sur le mandat de main-forte.
Je rejette en outre l'argument voulant qu'un
juge de cette Cour puisse faire l'objet d'un certio-
rari ou que, dans les présentes circonstances, le
juge agissait à titre de persona designata. Bien que
le juge Collier ait pu affirmer que la délivrance des
mandats de main-forte laissait peu de place à
l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, il n'en a
pas déduit pour autant qu'il agissait de manière
administrative. Lorsqu'un juge de la Cour fédérale
(Cour de l'Échiquier) autorise la délivrance d'un
mandat de main-forte conformément à la Loi sur
les stupéfiants, il remplit une fonction judiciaire. Il
ne peut agir à un autre titre, à moins que la Loi
n'ait indiqué une intention contraire et n'ait pres-
crit qu'il agissait d'une manière «indépendante de
ses tâches quotidiennes de juge, et qui n'a aucun
rapport avec la cour dont il est membre» (voir
l'arrêt Herman, précité, à la page 749 R.C.S.; 18
D.L.R.).
La constitutionnalité
Arguments du requérant:
L'avocat du requérant soutient que le motif
principal de la décision du juge en chef Dickson
dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc.,
[1984] 2 R.C.S. 145 fait désormais autorité lors-
qu'il s'agit des pouvoirs de fouille, de saisie et de
perquisition conférés par la loi; qu'un mandat de
main-forte est un document qui porte atteinte aux
droits constitutionnels prévus et garantis par l'arti-
cle 8 de la Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], et que les pou-
voirs quasi-illimités accordés sans interruption à
un agent de police sont incompatibles avec ces
droits et ne peuvent être conservés.
On m'a fortement incité à examiner et à suivre
les décisions rendues dans R. v. Carriere (1983),
32 C.R. (3d) 117 (C.P. Ont.) et R. v. Cuff (1983),
34 C.R. (3d) 344 (C. cté C.-B.), et à adopter sans
réserve l'interprétation faite par l'avocat de la
conclusion tirée dans l'arrêt R. v. Rao (1984), 46
O.R. (2d) 80 (confirmé par la Cour suprême du
Canada [ 1984] 2 R.C.S. ix), une décision de la
Cour d'appel de l'Ontario où le juge Martin a écrit
à la page 109:
[TRADUCTION] Pour les motifs que j'ai énoncés, je conclus
que la perquisition d'un bureau effectuée sans mandat lorsqu'il
n'est pas impossible d'obtenir un tel mandat est abusive et, dans
ce cas, l'al. 10(1)a) est inopérant.
S'appuyant sur l'arrêt Southam (précité), l'avo-
cat allègue qu'une perquisition et une saisie doi-
vent respecter les critères minimums imposés par
le Code criminel sinon, le texte législatif serait
sans effet. Il est essentiel qu'une personne indépen-
dante ou objective apprécie les circonstances avant
qu'un mandat puisse être délivré. C'est désormais
une étape indispensable de la procédure avant que
des fouilles, des perquisitions et des saisies puissent
être effectuées.
Le juge en chef Dickson a écrit (dans l'arrêt
Southam, précité, aux pages 161 et 162):
L'exigence d'une autorisation préalable vise à donner l'occa-
sion, avant le fait, d'apprécier les droits opposés de l'État et du
particulier, de sorte qu'on ne puisse porter atteinte au droit du
particulier à la vie privée que si l'on a satisfait au critère
approprié, et si la supériorité des intérêts de l'État peut 'être
démontrée. Pour qu'un tel processus d'autorisation ait un sens,
il faut que la personne qui autorise la fouille ou la perquisition
soit en mesure d'apprécier, d'une manière tout à fait neutre et
impartiale, la preuve offerte quant à la question de savoir si on
a satisfait à ce critère. En common law, le pouvoir de décerner
un mandat de perquisition était réservé à un juge de paix.
En l'espèce, le mandat de main-forte a été déli-
vré avant l'adoption de la Charte; l'acte reproché
s'est produit après son entrée en vigueur. La Cour
fédérale a délivré le mandat de main-forte avant la
promulgation de la Charte, à un moment où il
n'existait aucune restriction et où la Cour n'avait
d'autre choix que de délivrer le mandat demandé.
À l'appui de cette position, l'avocat invoque encore
l'arrêt Southam, précité (à la page 156):
La Charte canadienne des droits et libertés est un document
qui vise un but. Ce but est de garantir et de protéger, dans des
limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu'elle
enchâsse. Elle vise à empêcher le gouvernement d'agir à l'en-
contre de ces droits et libertés; elle n'autorise pas en soi le
gouvernement à agir.
Arguments des intimés:
L'alinéa 10(1)a) et le paragraphe 10(3) de la
Loi sur les stupéfiants doivent être lus en corréla-
tion. Ils laissent clairement entendre qu'il existe
des conditions sine qua non avant qu'il soit possi
ble d'avoir recours à un mandat de main-forte au
moment de pénétrer dans une «maison d'habita-
tion». Ils supposent tout d'abord qu'il existe des
motifs raisonnables de croire qu'il s'y trouve un
stupéfiant et, deuxièmement, qu'une infraction a
été commise. Suivant l'alinéa 10(1)a), la Cour doit
en premier lieu être convaincue de l'urgence de la
situation avant que les éléments de preuve obtenus
grâce à la perquisition et à la saisie puissent être
déposés. En d'autres termes, il incombe au juge de
première instance de s'assurer de la nécessité abso-
lue du mandat et de l'urgence de la situation avant
que les éléments de preuve puissent être produits.
En deuxième lieu, la Cour devra vérifier si la
personne exerçant les pouvoirs conférés par le
mandat de main-forte a des motifs raisonnables de
croire qu'il y a des stupéfiants dans les lieux en
cause et qu'une infraction a été commise. Ce rai-
sonnement a été adopté par le juge Martin dans
l'arrêt R. v. Rao (précité) et il a été suivi dans
l'arrêt R. v. Hamill, [1984] 6 W.W.R. 530; 41
C.R. (3d) 123 une décision de la Cour d'appel de
la Colombie-Britannique en date du 4 septembre
1984.
On m'a recommandé vivement d'accepter
comme prémisse qu'il est déraisonnable d'envisa-
ger, dans tous les cas, la nécessité d'une autorisa-
tion préalable à l'obtention d'un mandat. Imposer
une telle condition assurerait certainement une
meilleure protection des droits des particuliers
comme l'exige l'article 8 de la Charte. Par contre,
cela pourrait contrebalancer le droit de la société
d'être protégée contre les activités criminelles dans
le domaine des stupéfiants. On m'a aussi incité à
accepter que la Cour suprême du Canada n'avait
pas été appelée, dans le débat soulevé dans l'arrêt
Southam (précité), à apprécier l'article 8 de la
Charte à la lumière de l'article 1 concernant les
exigences d'une société libre et démocratique.
L'avocat de la Couronne admet que la décision
rendue dans Southam crée un problème parce que
le public a le droit d'être protégé contre les fouil-
les, les perquisitions et les saisies abusives en vertu
de l'article 8 de la Charte; cet article protège le
public contre la délivrance et l'utilisation de ces
procédures avant qu'elles ne soient requises ou
avant qu'un événement précis ne se soit produit.
En revanche, l'arrêt Southam n'exclut pas l'argu-
ment voulant qu'une autorisation préalable peut
être suspendue lorsqu'il est impossible de l'obtenir.
On m'a fait valoir que l'arrêt Southam impose le
fardeau de la preuve à la partie effectuant la
saisie, mais que ce fardeau peut être renversé. Il
peut exister des cas où l'autorisation préalable peut
et doit être exclue. Il devrait être permis, dans une
société libre et démocratique, d'effectuer dans cer-
taines circonstances précises des perquisitions sans
mandat à condition qu'elles soient restreintes et
assujetties à des limites raisonnables.
Les tribunaux ont le devoir de se demander ce à
quoi il faut remédier, et ils peuvent déterminer ce
qu'il est nécessaire de faire en ayant recours à des
lois efficaces pour imposer un contrôle sur les
stupéfiants. Ils peuvent conclure que les droits de
la société ont préséance sur les droits des individus
dans certaines circonstances. La disparition des
mandats de main-forte rendrait très difficile l'ap-
plication des lois principalement en raison de l'ur-
gence avec laquelle il faut procéder lorsqu'il s'agit
du commerce illicite des drogues. La décision
rendue dans l'arrêt R. v. Rao (précité), qui a été
confirmée par la Cour suprême du Canada, ne
signifie pas que les mandats de main-forte contre-
viennent à la Charte. Elle corrobore l'opinion vou-
lant qu'un certain pouvoir doit être conféré aux
agents de police lorsqu'il est impossible d'obtenir
un mandat. On ne peut toutefois permettre l'exer-
cice illimité du pouvoir de perquisition ou de saisie
même avec un mandat de main-forte lorsqu'il est
possible d'obtenir un mandat dans des circons-
tances où il n'y a pas urgence. En conclusion, on a
avancé que lorsqu'il est possible d'obtenir un
mandat en bonne et due forme, il n'est pas justifié
d'accorder un mandat de main-forte.
Il vaut la peine de remarquer que, dans l'arrêt
R. v. Rao (précité), les éléments de preuve n'ont
pas été exclus parce que la Cour avait conclu que
l'alinéa 10(1)a) était nul. Le juge Martin a déclaré
qu'il n'aurait pas statué que l'admission des élé-
ments de preuve aurait discrédité l'administration
de la justice simplement parce que lesdits éléments
de preuve avaient été saisis au cours d'une perqui-
sition sans mandat. Il était nécessaire de détenir un
mandat pour satisfaire au critère constitutionnel
du caractère raisonnable fixé par l'article 8 de la
Charte. Comme l'a écrit le juge à la page 110, les
éléments de preuve ont été exclus parce que:
[TRADUCTION] ... la violation flagrante des droits constitu-
tionnels de l'intimé constituait un abus de pouvoir grossier et
impardonnable dans une société libre et démocratique.
Les perquisitions sans mandat sont inhabituel-
les, mais elles doivent être maintenues dans les
affaires de stupéfiants si on veut conserver un
semblant d'ordre dans la société. Il est essentiel
qu'il existe des dispositions spéciales en matière de
stupéfiants en raison des sommes d'argent impor-
tantes en jeu, de la mobilité des auteurs des infrac
tions, des problèmes sociaux créés et de l'indigna-
tion générale du public.
Conclusion sur la question de la constitutionnalité:
Je suis convaincu qu'il est souhaitable, dans une
société libre et démocratique, que des mandats de
main-forte soient délivrés conformément à la Loi
sur les stupéfiants et qu'ils soient assujettis à
certaines restrictions et limites; contrairement au
requérant, je ne crois pas que le juge Martin ait
conclu autrement dans l'arrêt R. v. Rao (précité).
Il n'a pas statué que l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur
les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N- I, était
inconstitutionnel. Il a jugé qu'il était inopérant
dans le cas sur lequel il devait se prononcer parce
qu'il résultait des faits particuliers en cause une
incompatibilité avec la Charte, et il a écrit aux
pages 109 et 110:
[TRADUCTION] A mon avis, les pouvoirs de perquisition sans
mandat conférés par l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur les stupé-
fiants ne sont pas a priori nécessairement abusifs et ne vont pas
obligatoirement à l'encontre de la Charte bien que, dans certai-
nes circonstances, les perquisitions sans mandat autorisées par
l'alinéa 10(1)a) puissent entrer en conflit avec la protection
accordée par la Charte contre les fouilles, les perquisitions et
les saisies abusives. Ce n'est pas comme l'article 8 de la Loi sur
les stupéfiants où le fardeau de la preuve a été renversé et qui,
à prime abord, va à l'encontre de la présomption d'innocence
garantie par "article 8 de la Charte ... Par conséquent, je ne
crois pas que "alinéa 10(1)a) soit inconstitutionnel, mais j'es-
time qu'il est inopérant dans la mesure où il est incompatible
avec l'article 8 de la Charte. A mon avis, "alinéa 10(1)a) est
inopérant dans la mesure où il permet d'effectuer une perquisi-
tion sans mandat dans le bureau d'une personne en l'absence de
circonstances rendant impossible l'obtention d'un mandat; il
n'est pas nécessaire d'aller plus loin en "espèce. A cet égard,
mon point de vue diffère quelque peu de celui du juge de
première instance.
II a ensuite conclu que, si on confère au bureau
d'une personne le caractère d'une maison d'habita-
tion, la perquisition sans mandat dudit bureau peut
être abusive; il a écrit à la page 106:
[TRADUCTION] La common law accorde depuis toujours une
protection particulière aux maisons d'habitation, protection qui
est reconnue par l'article t0 puisque celui-ci exige la possession
d'un mandat pour effectuer une perquisition dans une maison
d'habitation. A mon avis toutefois, les expectatives légitimes de
l'individu en matière de vie privée dans la société contempo-
raine s'étendent également à son bureau. Dans l'affaire Re
Alder et al. and The Queen (1977), 37 C.C.C. (2d) 234 à la p.
251, [1977] 5 W.W.R. 132, 5 A.R. 473 sub nom. Alder v.
A.-G. Alta. et al. (C.S. 1" inst. Mb.), le juge Moshansky a dit:
«Le pouvoir de fouiller la demeure d'un citoyen, ou son bureau
privé, comporte une violation exceptionnelle de sa liberté et de
son intimité.» (C'est moi qui souligne.) La Commission de
réforme du droit du Canada a suggéré qu'il faudrait réexami-
ner la possibilité de créer des règles distinctes pour la perquisi-
tion de maisons d'habitation et d'autres lieux privés où l'on est
en droit de s'attendre à ce que la vie privée soit préservée,
comme par exemple les bureaux: aux pp. 24 et 25.
Il semble exister une contradiction évidente, et peut-être
même une incompatibilité, entre l'al. 10(1)a) de la Loi sur les
stupéfiants qui, même lorsqu'il serait possible d'obtenir un
mandat, habilite un agent de police à fouiller sans mandat le
bureau d'une personne parce qu'il a des motifs raisonnables de
croire qu'il s'y trouve quelques onces de marijuana, et "art. I l
de la Loi sur les secrets officiels qui exige la possession d'un
mandat de perquisition pour fouiller des locaux privés, sauf
dans des circonstances exceptionnelles où il existe une situation
d'urgence qui demande une action immédiate dans l'intérêt de
l'État. Même dans ce dernier cas, un gendarme de la G.R.C.
est obligé d'obtenir l'autorisation écrite d'un officier principal,
dont le grade ne doit pas être inférieur à celui de surintendant,
avant d'entreprendre une perquisition alors qu'en vertu de la
Loi sur les stupéfiants, ragent de police agissant à sa discrétion
peut fouiller des locaux privés sans avoir obtenu de mandat ou
d'autorisation écrite, même s'il n'existe pas une situation d'ur-
gence rendant "obtention d'un mandat impossible.
À mon avis, pour qu'elle respecte le critère constitutionnel du
caractère raisonnable garanti par l'art. 8 de la Charte, la
perquisition sans mandat du bureau d'une personne doit être
justifiée et les dispositions législatives autorisant ces perquisi-
tions sans mandat peuvent être contestées en vertu de la
Charte. L'existence de circonstances rendant impossible l'ob-
tention d'un mandat peuvent servir de justification aux perqui-
sitions sans mandat: voir par exemple, le par. 101(2) du Code
et le par. 11(2) de la Loi sur les secrets officiels. Il faut
évidemment considérer l'expectative raisonnable de l'individu
en matière de vie privée en regard de l'intérêt public dans
l'application efficace de la loi. Cependant, lorsqu'il n'existe
aucune circonstance rendant impossible l'obtention d'un
mandat, et que cette obtention n'empêche pas l'application
efficace de la loi, la perquisition sans mandat d'un bureau d'un
lieu déterminé (sauf lorsque cela constitue un incident qui se
rapporte à une arrestation légale) ne peut se justifier et ne
respecte pas le critère constitutionnel du caractère raisonnable
prévu à l'art. 8 de la Charte. [C'est moi qui souligne.]
Au dire du juge Martin dans l'arrêt R. v. Rao
(précité), il faut examiner le caractère raisonnable
d'une perquisition à la lumière de l'article 8 de la
Charte; il a écrit à la page 90:
[TRADUCTION] Il est possible de contester en vertu de la
Charte le caractère raisonnable d'une perquisition particulière
en se fondant sur deux éléments. On peut en premier lieu,
contester le caractère raisonnable de la disposition législative
autorisant la perquisition; en second lieu, une saisie effectuée
sur le fondement d'une disposition législative constitutionnelle-
ment valide peut être faite de manière abusive, par exemple,
lorsqu'on fait usage d'une force excessive.
Par conséquent, le critère du caractère raisonna-
ble prévu à l'article 8 de la Charte va plus loin que
l'entrée légale d'un agent dans des locaux. Celle-ci
peut être légale mais abusive. Le juge Martin a
écrit à la page 105 dans l'arrêt R. v. Rao (précité):
[TRADUCTION] À l'appui de son argument valable selon
lequel les pouvoirs de perquisition sans mandat conférés par
l'al. 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants étaient raisonnables,
M. Dambrot a souligné le fait que l'al. 10(1)a) n'autorise une
perquisition sans mandat que lorsqu'un agent de la paix a des
motifs raisonnables de croire qu'un stupéfiant se trouve dans les
lieux à fouiller en violation de la Loi, et qu'il n'autorise pas
l'entrée sans mandat dans des lieux pour y chercher des élé-
ments de preuve. M. Dambrot a évidemment raison d'affirmer
que l'entrée dans des lieux en vertu de l'al. 10(1)a) n'est
justifiée que lorsque l'agent a des motifs raisonnables de croire
qu'il s'y trouve un stupéfiant au moyen ou à l'égard duquel une
infraction à la Loi a été commise. Toutefois, des pouvoirs très
vastes sont conférés lors d'une entrée légale dans des lieux.
L'agent de la paix peut fouiller toute personne se trouvant sur
les lieux, forcer toute porte ou contenant et saisir et emporter
non seulement les stupéfiants mais aussi tout ce qui, à son avis,
peut raisonnablement servir de preuve à la perpétration d'une
infraction à la Loi.
La protection de la vie privée à laquelle toute personne est en
droit de s'attendre dans sa demeure ou son bureau constitue
l'un des droits les plus précieux dans une société démocratique.
D'après le juge Martin dans l'arrêt R. v. Rao
(précité), il s'agit d'une question de circonstances.
Les perquisitions sans mandat peuvent raisonna-
blement se justifier. Il a écrit à la page 109:
[TRADUCTION] L'alinéa 10(1)a) n'est pas a priori nécessai-
rement incompatible avec l'art. 8 de la Charte bien que, dans
certaines circonstances, une perquisition sans mandat autorisée
par cet alinéa peut, en fait, violer le critère constitutionnel du
caractère raisonnable prévu à l'art. 8 de la Charte, tout dépen-
dant des circonstances de la perquisition. Cette disposition est
inopérante dans la mesure où elle permet une perquisition
abusive. Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de
1982 porte:
52 (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du
Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles
de toute autre règle de droit. (C'est moi qui souligne.)
Dans l'arrêt R. v. Hamill (précité), le juge
Esson a admis que l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur
les stupéfiants n'est pas en soi inconstitutionnel; il
a dit aux pages 534, 535 W.W.R.; 129 C.R.:
[TRADUCTION] Il s'agit de déterminer si l'al. 10(1)a), en
autorisant la perquisition d'une habitation en vertu du pouvoir
conféré par un mandat de main-forte, est incompatible avec
l'art. 8 de la Charte et, par conséquent, inopérant. Cet article
autorise un agent de la paix, sous l'autorité d'un mandat de
main-forte ou d'un mandat, à entrer et perquisitionner dans
toute maison d'habitation où il croit, en se fondant sur des
motifs raisonnables, qu'il se trouve un stupéfiant au moyen ou à
l'égard duquel une infraction à la Loi a été commise.
À mon avis, cet article confère validement le pouvoir d'entrer
et de perquisitionner sous l'autorité d'un mandat de main-forte.
S'il n'exigeait que la possession d'un mandat de main-forte, il
serait incompatible avec l'art. 8. L'existence de motifs raisonna-
bles ne serait donc pas requise. Toutefois, cet article n'autorise
qu'une perquisition fondée sur des motifs raisonnables de croire
à la présence d'un stupéfiant au moyen ou à l'égard duquel une
infraction a été commise. Une perquisition fondée sur des
motifs raisonnables de croire à la présence d'un stupéfiant relié
à une infraction constitue une perquisition raisonnable. Il n'y a
donc pas incompatibilité avec l'art. 8.
Les pouvoirs conférés par l'alinéa 10(1)a) sont
très vastes; leur objet est toutefois très précis et le
législateur a cru à la nécessité qu'il en soit ainsi
étant donné les circonstances particulières qui
entourent les enquêtes sur les stupéfiants.
Selon le juge Esson, l'entrée dans des lieux sous
l'autorité d'un mandat de main-forte est légale.
Toutefois, afin de respecter l'article 8 de la Charte,
la perquisition doit être raisonnable. Quand
l'est-elle?
Voici ce qu'il a dit à la page 547 W.W.R.; 141
C.R.:
[TRADucrioNI Conclure que le mandat de main-forte est
constitutionnellement valide ne met pas un terme à la question
de savoir si la perquisition qui a été effectuée sous son autorité
était raisonnable. L'entrée dans des lieux sous l'autorité d'un
mandat de main-forte est légale et ne contrevient pas à l'art. 8
de la Charte que lorsque l'agent avait des motifs raisonnables
de croire à la présence d'un stupéfiant. Même si au départ
l'entrée dans des lieux est raisonnable, la perquisition peut
devenir abusive si elle est effectuée de manière déraisonnable.
Par contre, même si la perquisition a été effectuée sans être
autorisée par la loi ou était autrement abusive, cela ne constitue
pas en soi un motif pour écarter les éléments de preuve recueil-
lis. Si elle viole la Charte, elle justifiera l'obtention en vertu de
l'art. 24(1) d'une réparation juste et convenable. La réparation
consistant à exclure les éléments de preuve ne sera, dans la
plupart des cas, ni juste ni convenable. Il n'en est ainsi que si
l'utilisation des éléments de preuve, pour reprendre les termes
de l'art. 24(2), est susceptible de déconsidérer l'administration
de la justice.
Au fil des ans, plusieurs commissions ont été
chargées d'analyser les mandats de main-forte
ainsi que leur usage et leur valeur. Dans le rapport
de 1972 de la Commission d'enquête sur l'usage
des drogues à des fins non-médicales (la Commis
sion Le Dain), le professeur Le Dain (tel était
alors son titre) a écrit au nom de la Commission [à
la page 241]:
Un mandat de main-forte est un pouvoir général, sans res
triction de temps ni de lieu, qui demeure valide pendant toute la
carrière de l'agent de la paix à qui il est délivré. Il est fourni par
un juge de la cour (sic) fédérale, à la demande du ministre de la
Santé nationale et du Bien-être social. Le juge est tenu de
délivrer le mandat sur réception de cette demande. Ce mandat
autorise l'agent qui y est désigné à entrer à toute heure, avec
l'aide des personnes qu'il estime nécessaires, dans toute maison
d'habitation pour y découvrir des stupéfiants. En pratique, les
mandats de main-forte ne sont délivrés, au titre des lois sur les
stupéfiants, qu'à des agents de la Gendarmerie royale.
À la page 298, la Commission a notamment
déclaré dans ses conclusions et recommandations:
Recours à des procédés inhabituels pour appliquer la loi. -
Comme nous l'avons vu au chapitre 5, le dépistage est extrême-
ment difficile parce qu'il n'y a pour ainsi dire jamais de
plaignant, ce qui oblige à employer des méthodes inusitées pour
appliquer la loi. L'utilisation de méthodes spéciales d'investiga-
tion, d'indicateurs et d'informateurs, voire l'incitation au délit
par la police, voilà d'importants facteurs de ressentiment et de
dépit. Ces procédés sont de nature à jeter un certain discrédit
sur la loi et sur la police. Les observateurs participants que la
Commission avait chargés d'étudier l'application de la loi au
phénomène de la drogue ont conclu qu'en privant la police de
ces pouvoirs extraordinaires, on compromettrait sérieusement
l'efficacité de son intervention. Il faudrait donc considérer que
ces procédés et méthodes sont indispensables dans un régime de
prohibition s'appliquant à la distribution et à l'usage de la
drogue. [C'est moi qui souligne.]
J'en conclus qu'une perquisition peut être légale
mais abusive; elle peut également être effectuée
sans être autorisée par la loi, mais être raisonnable
et respecter le critère de l'article 8 de la Charte.
En pratique, l'entrée dans des lieux effectuée en
vertu de l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur les stupé-
fiants doit, en tout temps, être faite avec des
motifs raisonnables de croire qu'il se trouve un
stupéfiant dans les lieux devant faire l'objet de la
perquisition, qu'une infraction à la Loi a été com-
mise et que la perquisition est effectuée d'une
manière raisonnable.
Lorsqu'il traite de l'entrée dans une maison
d'habitation, l'alinéa 10(1)a) n'est donc pas en
lui-même inconstitutionnel, mais il peut devenir
inapplicable et de nul effet selon les circonstances
particulières de l'espèce. Il pourrait être considéré
inapplicable compte tenu de l'article 8 de la
Charte.
Dans l'arrêt Southam (précité), la loi en cause
était la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
[S.R.C. 1970, chap. C-23]. Le paragraphe 10(3)
prévoit que les perquisitions doivent être préalable-
ment autorisées par un membre de la Commission
sur les pratiques restrictives du commerce. Il ne
fait aucun doute qu'il existe un conflit d'intérêts et
comme on l'a dit, on ne peut affirmer qu'un com-
missaire agit de façon judiciaire.
La Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
n'accorde pas une protection suffisante au public.
Les tribunaux ont conclu que cette Loi entraînait
des perquisitions et des saisies abusives et qu'elle
ne respectait pas les normes imposées par la
Charte.
Le litige dans l'arrêt Southam (précité) était
beaucoup plus limité, et on en trouve les paramè-
tres à la page 154:
Il importe d'abord de souligner que la question en litige dans
ce pourvoi concerne la constitutionnalité d'une loi autorisant
des fouilles, des perquisitions et des saisies. Elle ne concerne pas
le caractère raisonnable ou autre de la façon dont les appelants
ont exercé les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi. Il faut
se pencher non pas sur la conduite des appelants mais plutôt sur
les textes de loi en vertu desquels ils ont agi.
Le juge en chef Dickson a conclu que la per-
sonne autorisant le mandat n'agissait pas de façon
judiciaire et qu'elle ne pouvait subir avec succès le
test du critère objectif. Il a écrit à la page 162:
Il n'est pas nécessaire que la personne qui exerce cette fonction
soit un juge, mais elle doit au moins être en mesure d'agir de
façon judiciaire.
Il a défini cette fonction et l'impartialité qu'elle
exige à la page 164:
À mon avis, l'attribution à la Commission ou à ses membres
de pouvoirs d'enquête importants a pour effet d'empêcher le
membre de la Commission d'agir de façon judiciaire lorsqu'il
autorise une fouille, une perquisition ou une saisie en vertu du
par. 10(3). Il ne s'agit pas, bien sûr, de mettre en doute
l'honnêteté ou la bonne foi de la Commission ou de ses mem-
bres. C'est là plutôt une conclusion que la nature administrative
des devoirs d'enquête de la Commission (qui a comme points de
référence appropriés l'intérêt public et l'application efficace de
la Loi) cadre mal avec la neutralité et l'impartialité nécessaires
pour évaluer si la preuve révèle qu'on a atteint un point où les
droits du particulier doivent constitutionnellement céder le pas
à ceux de l'État. Un membre de la CPRC qui examine l'oppor-
tunité de procéder à une perquisition en vertu de la Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions est touché par la maxime nemo
judex in sua causa. Il ne peut tout simplement pas être l'arbitre
impartial nécessaire pour accorder une autorisation valable.
Le juge en chef Dickson a en outre conclu à la
page 168 que la loi elle-même ne contenait aucune
exigence quant au caractère raisonnable:
Dans des cas comme la présente affaire, l'existence de motifs
raisonnables et probables, établie sous serment, de croire
qu'une infraction a été commise et que des éléments de preuve
se trouvent à l'endroit de la perquisition, constitue le critère
minimal, compatible avec l'art. 8 de la Charte, qui s'applique à
l'autorisation d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie.
Dans la mesure où les par. 10(1) et 10(3) de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions ne comportent pas une telle exi-
gence, j'estime qu'ils sont davantage incompatibles avec l'art. 8.
Toutefois, il est d'avis qu'il peut exister quelques
exceptions (aux pages 160 et 161):
Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte
qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des
particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce
dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous
les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider
des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers
en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure
qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une
condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi-
tion et d'une saisie.
La Loi sur les stupéfiants est un texte législatif
très particulier, et pour justifier la délivrance d'un
mandat de main-forte lorsqu'il y a entrée dans une
«maison d'habitation», il faut faire l'équilibre entre
les droits des particuliers et l'intérêt public. Étant
donné la nature des drogues et leurs répercussions
considérables sur la société, je suis convaincu qu'il
faut, dans une société libre et démocratique,
accepter que les droits des particuliers soient assu-
jettis à certaines restrictions qui devraient être
considérées raisonnables et dans l'intérêt public.
Lorsque la constitutionnalité d'une loi est con-
testée et que la Charte canadienne des droits et
libertés est invoquée, je dois déterminer s'il y a eu
violation dans des limites qui soient raisonnables.
Dans l'affaire Re Soenen and Thomas et al.
(1983), 3 D.L.R. (4th) 658 (B.R. Alb.), la cour a
statué que si on applique l'article limitatif de la
Charte, il faut alors faire l'équilibre entre les
droits du particulier et ceux de la collectivité. La
Cour doit déterminer ce qui peut constituer une
limite raisonnable dont la justification puisse se
démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique. Dans l'arrêt Basile v. Attorney -
General of Nova Scotia (1983), 148 D.L.R. (3d)
382, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a
avancé comme raisonnement que s'il devient néces-
saire de protéger le public, on peut apporter certai-
nes limites et contraintes à nos libertés.
En l'espèce, la Couronne a démontré que, tout
en restant dans des limites raisonnables, nous
devrions apporter à l'article 8 de la Charte certai-
nes restrictions dont la justification puisse se
démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique, compte tenu du bien-être des Cana-
diens sur les plans social, économique et politique.
L'article 1 de la Charte a été rédigé de manière à
prévoir l'imposition de certaines restrictions à nos
droits et libertés. Son libellé lui-même n'impose
aucune limite au pouvoir de censure grâce auquel
les tribunaux peuvent à juste titre restreindre nos
libertés.
Les fouilles, les perquisitions et les saisies consti
tuent des intrusions dans la vie privée de l'individu.
Elles ne peuvent être tolérées à moins de circons-
tances exceptionnelles.
Bien qu'il peut ne pas y avoir d'autorisation
préalable, les tribunaux assurent la protection adé-
quate du public après coup. Les critères sont appli-
qués par une tierce personne objective et agissant
de façon judiciaire, le juge de première instance.
Les mandats de main-forte délivrés en vertu de la
Loi sur les stupéfiants sont toujours assujettis à un
examen minutieux en vertu de l'article 8 de la
Charte, mais ils peuvent être raisonnables et exé-
cutoires à condition qu'ils se conforment à certains
critères rigoureux. Il faut démontrer l'urgence de
la situation et l'impossibilité d'obtenir un mandat
de perquisition dans ce cas particulier; il faut
également établir que la perquisition a été effec-
tuée d'une manière raisonnable, que la personne
qui se sert du mandat de main-forte croit pour des
motifs raisonnables qu'il se trouve sur les lieux un
stupéfiant à l'égard duquel une infraction à la Loi
a été commise, qu'on a examiné minutieusement si
l'agent effectuant l'enquête avait des motifs rai-
sonnables de croire à la présence de stupéfiant
avant d'effectuer la saisie et que les éléments de
preuve cherchés et obtenus pendant la perquisition
se limitaient à l'infraction que l'agent croyait, pour
des motifs raisonnables, avoir été commise.
Ces critères, bien qu'ils ne soient ni restrictifs ni
globaux, ne laissent pas l'individu sans protection
contre les fouilles, les perquisitions et les saisies
sans mandat. Même si les droits des individus
garantis par l'article 8 de la Charte peuvent faire
l'objet de ces intrusions, j'estime que ces intrusions
sont requises par l'article 1 de ladite Charte; elles
ne sont pas incompatibles avec les exigences con-
cernant l'application de la loi dans le domaine des
stupéfiants dans le cadre d'une société libre et
démocratique. Le paragraphe 24(2) de la Charte
accorde en outre une protection supplémentaire.
Il faut craindre de saper les pouvoirs des agents
de police en interprétant les droits accordés par la
loi de manière à protéger les criminels et, en même
temps, à diminuer la protection des citoyens.
Le juge Gérard V. La Forest de la Cour d'appel
du Nouveau-Brunswick (tel était alors son titre) a
écrit dans la Revue du Barreau canadien au sujet
de la Charte canadienne des droits et libertés dans
un article intitulé «The Canadian Charter of
Rights and Freedoms: An overview», publié
(1983), 61 R. du B. Can. 19, la page 20:
[TRADUCTION] Par une série de présomptions désignées par
l'expression .protection contre l'ingérence de l'État dans la
liberté ou les biens de la personnes, les tribunaux interprètent
les textes législatifs de manière à ce que la liberté de l'individu
ou ses droits de propriété ne soient pas restreints de manière
arbitraire. En agissant ainsi, les tribunaux exercent ce qui
constitue essentiellement une fonction constitutionnelle. Ils col-
laborent avec le pouvoir législatif afin de préserver nos valeurs
politiques fondamentales. En utilisant un langage clair, le
législateur peut, bien sûr, infirmer la décision du tribunal;
toutefois, en insistant sur la nécessité d'un tel langage clair, les
tribunaux aident à susciter des changements d'avis et des
débats publics qui, de l'avis de tous, constituent une protection
essentielle dans une démocratie parlementaire.
Et traitant de l'article 1 de la Charte, il a ajouté à
la page 25:
[TRADUCTION] Dans toute société, il est nécessaire de faire
l'équilibre entre les différents droits. Il n'existe pratiquement
pas de droits absolus. Les tribunaux auraient de toute façon à
faire l'équilibre entre les droits énoncés dans la Charte et
d'autres droits, et en agissant ainsi, ils utiliseraient naturelle-
ment ce qui peut raisonnablement se justifier dans le cadre
d'une société démocratique, car c'est le genre de société dans
laquelle nous vivons et les juges, comme les autres citoyens,
sont intéressés par l'état de leur société.
Il a écrit à la page 24:
[TRADUCTION] Je pourrais ajouter en passant que la Charte
nous force à examiner les questions d'une manière différente. Si
clairs une loi ou ses buts puissent-ils être, les tribunaux auront à
porter un jugement de valeur sur ceux-ci, ce qui est très
différent de leur rôle traditionnel. Cela devrait avoir un effet
très important sur les sources dont les tribunaux doivent s'inspi-
rer, et en particulier, le renvoi aux décisions judiciaires rendues
dans d'autres juridictions, notamment aux Etats-Unis, ou fon-
dées sur le Pacte relatif aux droits civils et politiques des
Nations Unies et sur la Convention européenne des droits de
l'homme. Ce n'est pas que j'estime que nous devrions suivre
aveuglément ces décisions. Ce sont les besoins ressentis dans
notre société et ses traditions qui doivent guider nos tribunaux.
Toutefois, ces décisions seront précieuses car elles nous permet-
tront de déterminer les questions qui doivent être examinées. Il
arrive si souvent que nous ne nous rendions pas compte qu'une
certaine ligne de conduite peut inutilement porter atteinte aux
droits de l'individu parce que nous sommes tout simplement
devenus habitués à cette manière de faire les choses.
Comme le juge La Forest l'a fait remarquer, il
ne nous est pas nécessaire de suivre aveuglément
les décisions des autres juridictions, mais nous
devrions nous inspirer des besoins et traditions de
notre société. Il se peut que ce jugement entraîne
des changements d'avis. Selon ce que je comprends
de l'état de notre société, je conclus qu'elle est
prête à accepter les restrictions que j'impose à ses
droits et libertés.
Je ne peux faire de commentaires sur les faits
particuliers de l'espèce. Le juge de première ins
tance devra déterminer si les éléments de preuve
obtenus au cours de la perquisition et de la saisie
sont admissibles ou non.
La demande est rejetée avec dépens.
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