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A-190-82
Réjean Morin (appelant) c.
Comité national chargé de l'examen des cas d'USD, J. U. M. Sauvé, commissaire adjoint, Sécurité, président du Comité national, D r Gar- neau, commissaire adjoint, Programme pour les détenus, Howard Mansfield, directeur général, Services médicaux, D' R. Benoit, représentant désigné pour la région de Montréal, M. St-Onge et M. Bonhomme, enquêteur correctionnel, tous membres du Comité national chargé de l'examen du cas de Réjean Morin (intimés)
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et MacGui- gan—Montréal, 18 mars; Ottawa, 15 mai 1985.
Pénitenciers Un jury acquitte l'appelant du meurtre d'un autre détenu Le commissaire adjoint, Sécurité, laisse l'ap- pelant dans une unité spéciale de détention (USD) malgré l'acquittement Le commissaire adjoint s'est donné de mau- vaises directives en droit Examen du concept du double péril et de la doctrine de la chose jugée au Canada, en Angleterre et aux É.-U. Les critères de l'identité d'objet et des sanctions criminelles tirés des précédents américains sont respectés Le commissaire adjoint s'est appuyé sur des questions déjà tranchées par le jury Il n'y avait aucun élément de preuve relativement à l'inconduite de l'appelant autre que ceux soumis au jury Les procédures disciplinaires en matière carcérale sont analogues aux sanctions criminelles
Les parties n'ont pas soulevé la question du pouvoir du commissaire adjoint d'ordonner la détention en USD Appel accueilli Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 13(3), 29(/) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 44),(3)
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 2, 13, 14, 40(1),(2) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. la).
Fin de non-recevoir Chose jugée Détenu acquitté par un jury du meurtre d'un autre détenu Le commissaire adjoint, Sécurité, laisse le détenu dans l'unité spéciale de détention (USD) malgré l'acquittement Examen des notions de chose jugée et de double péril au Canada, en Angleterre et aux É.-U. Adoption de la notion américaine de «collateral estoppel» Les critères de l'identité d'objet et des sanctions criminelles tirés des précédents américains sont respectés La jurisprudence américaine a valeur de précédent au Canada par le biais de la doctrine de la chose jugée Appel accueilli
Un jugement déclaratoire est accordé portant que la déci- sion des intimés de maintenir l'appelant dans une USD ne reposait sur aucun fondement juridique Loi constitution- nelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1l (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91(27) Code criminel, S.R.C. 1970, chap. 34, art. 688 Constitution des E.-U., Amendements V, XIV.
Pendant qu'il purgeait une peine d'emprisonnement à vie dans un établissement à sécurité maximale, l'appelant a été accusé du meurtre au premier degré d'un autre détenu. Après étude de son dossier par le Comité national chargé de l'examen des cas de l'unité spéciale de détention, présidé par le commis- saire adjoint, Sécurité, l'appelant a été placé dans une unité spéciale de détention (USD), une installation mise sur pied conformément à la Directive du commissaire 274 dans le but d'isoler les détenus particulièrement dangereux. Après son procès aux termes duquel il a été acquitté par un jury, l'appe- lant a demandé son transfert dans un établissement à sécurité moyenne. Le commissaire adjoint, Sécurité, a rejeté la demande. Ce refus présupposait que l'appelant avait en fait commis le meurtre. Ce dernier a contesté sans succès cette détention continue par voie d'habeas corpus devant la Cour supérieure de Montréal. Il en a ensuite appelé par voie de certiorari et de mandamus devant la Division de première instance de cette Cour qui a cependant rejeté sa demande. C'est de cette décision dont il appelle en l'espèce.
Arrêt (le juge Pratte dissident): l'appel devrait être accueilli et un jugement déclaratoire portant que la décision des intimés de maintenir l'appelant dans une USD après son acquittement ne reposait sur aucun fondement juridique devrait être rendu.
Le juge MacGuigan (avec l'appui du juge Hugessen): Les transferts ordinaires de prisonniers sont des actes purement administratifs, et la décision de laisser un détenu dans une USD, qui peut être considérée comme une décision refusant un transfert, est une décision de nature administrative plutôt que quasi judiciaire. Le contrôle judiciaire des actes administratifs, si limité soit-il, n'en existe pas moins. L'arrêt qui fait autorité dans ce domaine est Padfield and Others v. Minister of Agri culture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997, dans lequel la Chambre des lords a jugé que le fait pour le Ministre d'avoir tenu compte de facteurs n'ayant aucune pertinence en droit et d'avoir mal utilisé son pouvoir constituait un acte ultra vires. Lord Upjohn, adoptant la classification proposée par le juge en chef, lord Parker, de la Cour divisionnaire, a jugé que a) le fait de refuser catégoriquement d'examiner une question pertinente, ou b) le fait de se donner des directives erronées quant au droit, ou c) le fait de tenir compte d'un facteur complètement dénué de pertinence ou n'ayant aucun rapport avec la question, ou d) le fait de négliger de tenir compte d'un facteur pertinent constituait un comportement illégal.
La principale question sur laquelle il faut statuer est donc celle de savoir s'il est possible que le commissaire adjoint ait appliqué des directives erronées en droit au point de donner ouverture à une intervention judiciaire. Cette question exige l'examen de la notion de double péril et de la doctrine de la chose jugée. Les précédents canadiens et anglais n'ont traité de cette doctrine que dans le contexte de poursuites criminelles successives. Aux États-Unis, la notion de collateral estoppel, qui «tire son origine du concept plus large de la chose jugée de la common law», a été adoptée «afin de combler les lacunes de la protection offerte par la notion du double péril».
Selon le juge Stewart dans Ashe v. Swenson, 397 U.S. 436 (1970), l'expression collateral estoppel «signifie tout simple- ment que lorsqu'une question de fait a été tranchée par un jugement valide et final, cette question ne peut être remise en litige entre les mêmes parties dans quelque autre poursuite
ultérieure». Cette «approche exige de la cour qu'elle "exa
le dossier de la procédure antérieure" ... en tenant compte de
toutes les circonstances entourant les procédures».
Il serait difficile de ne pas être d'accord avec la proposition selon laquelle l'acquittement prononcé dans une procédure criminelle ne peut constituer un empêchement à une action civile ultérieure fondée sur les mêmes faits. La véritable ques tion qui se pose est celle de savoir comment il faut qualifier la procédure ultérieure lorsqu'elle ne correspond pas exactement à toutes les caractéristiques habituelles d'un litige criminel ou civil. Ce qu'on peut tirer d'utile des précédents américains tient aux deux critères d'application du collateral estoppel, c'est-à- dire, l'identité d'objet et les sanctions criminelles. Comme le collateral estoppel est une notion reconnue au Canada par le biais de la doctrine de la chose jugée, les précédents américains pourraient avoir une valeur convaincante en tant que précé- dents au Canada même si, à l'époque pertinente, il n'existait pas au pays de charte constitutionnelle des droits.
(1) Identité d'objet
En réalité, la décision du commissaire adjoint de prolonger la détention de l'appelant reposait sur les documents qu'il avait en main et qui l'avaient convaincu que l'appelant était coupable du meurtre. Ces documents avaient été produits et pris en considé- ration lors du procès de l'appelant. En outre, le commissaire adjoint a continué de s'appuyer sur une déclaration faite avant le procès par un témoin et sur une déclaration faite par la victime avant de mourir, autre question qui a été soumise au jury. En résumé, le commissaire adjoint ne disposait d'absolu- ment aucun élément de preuve de quelque inconduite que ce soit si ce n'est ceux portés à la connaissance du jury. Par conséquent, la véritable question sur laquelle le commissaire adjoint prétendait fonder sa décision, c'est-à-dire la question de savoir si l'appelant avait assassiné l'autre détenu, avait déjà été tranchée par jury à la lumière des mêmes faits. Le critère de l'identité d'objet semble donc respecté de façon plus que satisfaisante.
(2) Critère des sanctions criminelles
Il faut examiner le libellé, le but et l'effet de l'article 8 de la Directive du commissaire 274, qui traite des unités spéciales de détention, afin de déterminer si les procédures disciplinaires en matière de discipline carcérale comme celles qui nous inté- ressent, se rapprochent des procédures criminelles ou civiles.
Le langage de l'article 8 est celui du droit criminel: «particu- lièrement dangereux», «nuire au maintien de la discipline», «motifs raisonnables et probables», «a l'intention ou est suscepti ble de commettre un acte violent ou dangereux». Son but est également identique à celui du droit criminel, c'est-à-dire, placer dans des conditions de détention spéciales les individus qui ont été impliqués dans des actes de violence graves. L'effet de la détention dans une USD, c'est-à-dire le resserrement des conditions de détention à l'intérieur même de la prison, est également très analogue aux conséquences d'une sanction cri- minelle. Il s'agit d'une disposition législative préventive tout comme l'article 688 du Code criminel qui traite des délinquants dangereux. Pour qu'il y ait sanction «criminelle» aux fins de la notion de chose jugée, il n'est pas nécessaire qu'une infraction soit criminelle au sens du paragraphe 91(27) de la Loi consti- tutionnelle de 1867. La Cour suprême du Canada dans Ex p.
Matticks (1973), 10 C.C.C. (2d) 438 (C.A. Qc), [1973] R.C.S. vi sub nom. Pearson c. Lecorre, a même jugé que le libellé antérieur de l'article 688 respectait ce critère. La Cour a également décidé dans cet arrêt que la Déclaration canadienne des droits n'avait pas rendu l'article 688 inopérant. De plus, lorsque le commissaire adjoint admet avoir posé ce geste pour «lui éviter des problèmes ultérieurs»», il formule un objectif caractéristique du droit criminel. Par conséquent, l'analogie doit se faire avec le droit criminel plutôt qu'avec le droit civil.
L'argument des intimés suivant lequel il s'agit d'une décision discrétionnaire qui ne devrait pas être modifiée par un tribunal, ne pourrait être retenu que si la décision reposait aussi sur des faits qui n'avaient pas été révélés durant la procédure crimi- nelle. Dans les circonstances de l'espèce, les intimés se sont manifestement formulé les mauvaises directives en droit lors- qu'ils ont refusé de donner plein effet à l'acquittement prononcé aux termes de la procédure criminelle.
La question du pouvoir du commissaire adjoint de décider du transfèrement et du maintien en détention des détenus en USD n'a pas été soulevée, étant donné que les parties n'ont pas débattu de la légalité des Directives du commissaire. Les Directives, valides en tant que directives internes liant les fonctionnaires des pénitenciers en matière de discipline interne au sein du Service correctionnel, ne pouvaient conférer quelque pouvoir légal sur les détenus surtout lorsqu'elles entraient en conflit avec le Règlement établi en vertu du pouvoir du gouver- neur en conseil. Il a semblé que le seul fondement légal du pouvoir de transfèrement des détenus dans une USD se trouve au paragraphe 40(1) du Règlement sur le service des péniten- ciers qui confère au chef de l'institution ou à son adjoint légitime la responsabilité d'ordonner l'isolement punitif des détenus ou leur isolement pour fins de protection.
Le juge Pratte (dissident): C'est le commissaire adjoint qui avait à décider si l'appelant était un détenu dangereux. Il ne pouvait se décharger de cette obligation en se fiant aveuglément au verdict d'un jury rendu suivant des règles de preuve très particulières. Le commissaire adjoint pouvait fonder sa décision sur ce qui lui paraissait être le plus probable; le jury, lui, ne pouvait fonder son verdict sur de simples probabilités. Le verdict d'acquittement signifiait seulement que la preuve, telle que l'avait appréciée le jury, laissait subsister un doute raison- nable sur la culpabilité de l'appelant; la décision attaquée, elle signifiait que, de l'avis du commissaire adjoint, l'appelant était probablement coupable. La contradiction existant entre le ver dict et la décision attaquée était donc plus apparente que réelle et elle ne me paraît pas plus choquante que celle qu'il peut y avoir entre les décisions des cours civiles et criminelles.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Ex p. Matticks (1973), 10 C.C.C. (2d) 438 (C.A. Qc), [1973] R.C.S. vi sub nom. Pearson c. Lecorre.
DÉCISION APPLIQUÉE:
Padfield and Others v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Helvering v. Mitchell, 303 U.S. 376 (1938); One Lot Emerald Cut Stones v. United States, 409 U.S. 232 (1972).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Coffey v United States, 116 U.S. 436 (1886); Ashe v. Swenson, 397 U.S. 436 (1970); Barrows v. Hogan, 379 F. Supp. 314 (D. Pa. 1974); People v. Grayson, 319 N.E. 2d 43 (III. 1974); People v. Robart, 29 Cal. App. 3d 891; 106 Cal. Rptr. 51 (1973); Standlee v. Rhay, 557 F.2d 1303 (9th Cir. 1977), infirmant 403 F. Supp. 1247 (E.D. Wash. 1975); Bledsoe v. State of Wash. Bd. of Prison Terms & Paroles (Mem.), 608 F.2d 396 (9th Cir. 1979).
DÉCISIONS CITÉES:
Industrial Acceptance Corp. v. Couture, [1954] R.C.S. 34; Re Miller and The Queen (1982), 141 D.L.R. (3d) 330 (C.A. Ont.); Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Hardayal, [1978] 1 R.C.S. 470; Marti- neau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Re Chester (1984), 40 C.R. (3d) 146 (H.C. Ont.); Bruce et autre c. Yeomans et autre, [1980] 1 C.F. 583; (1979), 49 C.C.C. (2d) 346 (1" inst.); Re Anaskan and The Queen (1977), 34 C.C.C. (2d) 361 (C.A. Ont.); R v Secretary of State for the Home Dept, ex p McAvoy, [1984] 3 All E.R. 417 (Q.B.D.); Connelly v. Director of Public Prosecutions, [1964] A.C. 1254 (H.L.); Director of Public Prosecu tions v. Humphrys, [1977] A.C. 1 (H.L.); Rourke c. R., [1978] 1 R.C.S. 1021; Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729; Benton v. Maryland, 395 U.S. 784 (1969); Avery v. State—Alaska, 616 P.2d 872 (Alaska 1980); U.S. v. Chambers, 429 F.2d 410 (3d Cir. 1970); State ex rel. Flowers v. Department of Health and Social Servi ces, 260 N.W.2d 727 (Wis. 1978); R. v. Mingo et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23 (C.S.C.-B.); In re Prisons Act and in re Pollard et al., jugement en date du 20 février 1980, Cour suprême de Terre-Neuve, du greffe 1355, non publié; R. v. Simon (1982), 141 D.L.R. (3d) 380 (C.S.T.N.-O.); R. v. Gustayson (1982), 143 D.L.R. (3d) 491 (C.S.C.-B.).
AVOCATS:
Nicole Daignault pour l'appelant. Stephen E. Barry pour les intimés.
PROCUREURS:
Daignault et Lemonde, Montréal, pour l'appelant.
Le sous -procureur général du Canada pour les intimés.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE (dissident): L'appelant pur- geait une peine d'emprisonnement à vie lorsqu'il fut accusé du meurtre d'un autre prisonnier. L'ap- pelant fut alors placé dans une unité de détention spéciale réservée aux détenus dangereux. Il subit son procès et fut acquitté. Faisant état de cet acquittement, il réclama d'être transféré hors de l'unité spéciale de détention. L'intimé Sauvé, dont c'était la fonction de juger quels étaient les détenus suffisamment dangereux pour devoir être placés dans une unité spéciale de détention, refusa de donner suite à cette demande'. Il considérait en effet que l'appelant était dangereux parce que, à son avis, celui-ci avait très probablement commis le meurtre dont il avait été acquitté.
L'appelant se pourvut alors par voie de certio- rari et mandamus; il prétendait que l'intimé Sauvé avait agi illégalement en refusant de donner suite au verdict d'acquittement et demandait qu'on lui ordonne de le transférer hors de l'unité spéciale de détention.
Le premier juge a rejeté cette requête, à mon avis, avec raison.
C'est l'intimé Sauvé qui avait à décider si l'ap- pelant était un détenu dangereux. Il ne pouvait se décharger de cette obligation en se fiant aveuglé- ment au verdict d'un jury rendu suivant des règles de preuve très particulières. L'intimé pouvait fonder sa décision sur ce qui lui apparaissait être le plus probable; le jury, lui, ne pouvait fonder son verdict sur de simples probabilités. Le verdict d'ac- quittement signifiait seulement que la preuve, telle que l'avait appréciée le jury, laissait subsister un doute raisonnable sur la culpabilité de l'appelant; la décision attaquée, elle, signifiait que, de l'avis de l'intimé Sauvé, l'appelant était probablement cou- pable. La contradiction existant entre le verdict et la décision attaquée était donc plus apparente que
' Les parties ont pris pour acquis que la Loi sur les péniten- ciers [S.R.C. 1970, chap. P-6] ainsi que les règlements et directives adoptés sous son empire confiaient au commissaire adjoint la tâche de décider quels étaient les détenus qui devaient être placés dans une unité spéciale de détention. En fait, si on lit attentivement ces textes, on peut douter que le commissaire adjoint ait eu ce pouvoir. Il ne convient cependant pas d'exprimer une opinion sur ce point qui n'a aucunement été discuté par les parties.
réelle et, en tous cas, elle ne me paraît pas plus choquante que celle qu'il peut y avoir entre les décisions des cours civiles et criminelles 2 .
Pour les motifs qu'a donnés le premier juge, je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Cette affaire soulève pour la première fois la question du droit des autorités correctionnelles d'imposer à un détenu d'un pénitencier, après son acquittement par un jury du meurtre d'un codétenu, des sanctions de nature administrative présupposant en fait qu'il ait commis le meurtre.
I
L'appelant, Réjean Morin, a été condamné à l'emprisonnement à vie pour avoir commis un meurtre non qualifié, le 18 mars 1970. Il était incarcéré à l'Établissement Leclerc, établissement à sécurité moyenne, le 21 septembre 1980, quand un codétenu, Claude Payeur, a été tué à la suite d'une querelle avec un autre codétenu, Serge Cou- sineau. Le 22 septembre, l'appelant était transféré au Centre de développement correctionnel [«CDC»] à Laval, établissement à sécurité maxi- male, il a été placé en ségrégation.
Le 25 septembre, il a témoigné à l'enquête du coroner, de même que le codétenu Serge Cousi- neau, et le coroner a conclu à la responsabilité criminelle du seul Serge Cousineau dans la mort violente dudit Payeur. Néanmoins, le 2 octobre, l'appelant a été accusé de meurtre au premier degré sur la personne de Claude Payeur. Le 27 novembre, après étude de son dossier par le
2 Voir Industrial Acceptance Corp. v. Couture, [1954]
R.C.S. 34, la p. 43, le juge Fauteux [tel était alors son titre], après avoir décidé, dans une affaire civile, qu'un certain Gagnon avait volé un camion, ajoutait:
Il se peut qu'accusé devant les tribunaux criminels d'avoir volé ce camion, Gagnon ait une défense ou des explications à offrir et qu'un jury ne soit pas, par la preuve ci-dessus, convaincu hors de tout doute de sa culpabilité. Mais, dans une cause civile la preuve d'un crime est matérielle au succès de l'action, la règle de preuve applicable n'est pas celle prévalant dans une cause criminelle les sanctions de la loi pénale sont recherchées, mais celle régissant la détermination de l'action au civil.
Comité national chargé de l'examen des cas de l'unité spéciale de détention («USD»), le président du comité, le commissaire adjoint, Sécurité (l'in- timé J. U. M. Sauvé), a décidé de transférer l'appelant dans une USD. Le 5 décembre, il était transféré à l'USD de Laval.
Le 19 mai 1981, l'appelant a subi un procès à Montréal présidé par le juge Jean-Paul Bergeron et le 30 mai, le jury l'a acquitté de l'accusation de meurtre. Le lendemain, il a adressé un grief au commissaire adjoint, Sécurité, demandant son transfert en établissement à sécurité moyenne. Le 15 juin, M. Sauvé lui a répondu que son cas serait examiné par le Comité national chargé de l'exa- men des cas d'USD. Le 8 juillet, lors d'une audi tion devant le Comité national, Sauvé informa l'appelant que la décision le concernant était remise en attendant des rapports de police. Le 22 juillet, l'avocat de l'appelant demandait au com- missaire aux services correctionnels des informa- tions sur ces rapports. Le 11 août 1981, le commis- saire a confirmé que le Comité national attendait toujours ces rapports. Enfin le 10 septembre, l'ap- pelant fut informé, par lettre signée par M. Sauvé, de la décision de le maintenir dans l'USD.
Subséquemment, l'appelant a demandé à la Cour supérieure de Montréal l'émission d'un bref d'habeas corpus afin de faire vérifier si la déten- tion dans l'USD était légale. Le 18 novembre, le juge Jean-Paul Bergeron a refusé d'accorder le bref pour le motif qu'il n'avait pas compétence étant donné l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]. (Dans l'arrêt Re Miller and The Queen (1982), 141 D.L.R. (3d) 330 (C.A. Ont.), à la page 339, en appel actuellement devant la Cour suprême du Canada, le juge d'appel Cory de la Cour d'appel de l'Ontario a refusé de suivre la décision du juge Bergeron et soutenu que l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale ne prive pas une cour supérieure provinciale de sa compétence d'accorder un bref d'habeas corpus accompagné d'un certiorari auxi- liaire dans le cas des détenus placés dans l'USD.) Le 8 décembre, l'appelant déposait un avis de requête introductif d'instance à la Division de première instance demandant un bref de certiorari pour annuler la décision des intimés. Le 4 février 1982, la Division de première instance a rejeté la requête, et l'appelant a déposé un avis d'appel à l'encontre du jugement.
Bien que l'appelant ait depuis longtemps été transféré hors de l'USD, cette Cour, avec le con- sentement des deux parties et en vertu du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose à cet égard, a décidé d'entendre cette affaire au fond, car il sera toujours difficile de parvenir à une décision judi- ciaire finale avant la fin d'une période de détention dans l'USD: Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Hardayal, [1978] 1 R.C.S. 470.
II
II importe de signaler que tous les événements en litige sont survenus avant l'entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. La Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] était évidem- ment en vigueur, mais elle ne renferme aucune garantie explicite contre le double péril bien qu'elle reconnaisse à l'alinéa la) le concept de «l'application régulière de la loi».
La disposition statutaire visant le transfert des détenus dans les pénitenciers fédéraux se trouve au paragraphe 13(3) de la Loi sur les pénitenciers:
13....
(3) Lorsqu'une personne a été condamnée ou envoyée au pénitencier, le commissaire ou tout fonctionnaire agissant sous les ordres de ce dernier peut, par mandat revêtu de sa signa ture, ordonner que la personne soit incarcérée dans un péniten- cier quelconque au Canada ou y soit transférée, que cette personne ait été ou non reçue dans le pénitencier approprié désigné dans les règles établies sous le régime du paragraphe ( 2 ).
Les paragraphes 29(1) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 44] et (3) de ladite Loi entrent également en jeu:
29. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements
a) relatifs à l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'ef- ficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service;
b) relatifs à la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus;
c) relatifs, de façon générale, à la réalisation des objets de la présente loi et l'application de ses dispositions.
(3) Sous réserve de la présente loi et de tous règlements édictés sous le régime du paragraphe (1), le commissaire peut établir des règles, connues sous le nom d'Instructions du com- missaire, concernant l'organisation, l'entraînement, la disci-
pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus et la direction judicieuse des pénitenciers.
Le Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, à l'article 13, contient la disposition suivante en matière de garde des détenus:
13. Le détenu doit, conformément aux directives, être incar- céré dans l'institution qui semble la plus appropriée, compte tenu
a) du degré et de la nature de la surveillance jugée nécessaire ou désirable pour la protection de la société; et
b) du programme de traitement disciplinaire jugé le plus approprié au détenu.
C'est en vue de faire face aux situations excep- tionnelles que les détenus réputés particulièrement dangereux peuvent causer pour la discipline et le bon ordre des pénitenciers, que la Directive du commissaire 274 («DC 2740) intitulée «Unités spéciales de détention» a été émise. Les passages pertinents en l'espèce sont les suivants:
3. Établir des installations et des programmes pour les déte- nus réputés particulièrement dangereux.
4. «Détenu particulièrement dangereux), désigne un détenu dont on a la preuve écrite que, par ses agissements, pen dant qu'il est sous la garde de quelque juridiction que ce soit ou pendant que sa peine est en vigueur, il constitue une menace pour le personnel, les détenus ou d'autres person- nes, ou manifeste son intention de le devenir. Ce comporte- ment ne se limite pas à l'une ou plusieurs des conditions suivantes, mais inclut:
a. le rapt, la prise d'otages, la séquestration ou tentatives de rapt, de prise d'otage ou de séquestration;
b. de graves actes de violence;
c. l'évasion ou la tentative d'évasion ou l'évasion planifiée avec violence;
d. une condamnation pour le meurtre d'un agent de la paix, d'un détenu ou d'une autre personne, commise pendant que la peine du détenu est en vigueur;
e. la fabrication, la possession, l'introduction ou la tenta tive d'introduction dans un établissement, d'armes à feu, de munitions, d'explosifs puissants, d'armes offensives, tels que définis dans le Code criminel;
f. l'incitation à tuer ou à faire une émeute, ou la conspira- tion d'un meurtre ou d'une émeute; et
g. de sérieuses indications de menaces à la vie d'un membre du personnel, d'un détenu ou d'une autre personne.
5. «Unité spéciale de détention. (USD) désigne une installa tion destinée exclusivement aux détenus qui, tout en répon- dant aux critères de sécurité maximale, sont reconnus comme particulièrement dangereux.
6. Le «Comité national chargé de l'examen des cas d'USD), comprend le commissaire adjoint, Sécurité, qui fait fonc-
tion de président; le commissaire adjoint, Programmes pour les détenus; le directeur général, Services médicaux; et des représentants régionaux principaux des régions d'ac- cueil et d'origine désignés par le directeur général régional. Conformément à l'article 13(3) de la Loi sur les péniten- ciers, le commissaire adjoint, Sécurité, a le pouvoir d'auto- riser le transfèrement des détenus vers l'USD et hors de celle-ci.
7. L'USD doit avoir pour rôle:
a. d'assurer une protection suffisante au personnel et aux détenus;
b. de protéger le détenu contre les conséquences de sa propension à la violence; et
c. de donner l'occasion à chaque détenu de regagner, dans la mesure du possible, la population carcérale générale d'un établissement à sécurité maximale.
8. La principale raison qui doit motiver le transfèrement d'un détenu dans une USD est le fait qu'il est considéré comme particulièrement dangereux et qu'il peut, par conséquent, nuire au maintien de la discipline dans l'établissement. Les détenus ne doivent pas être transférés dans une USD sur des motifs de suspicion seulement. Lorsque l'on s'appuie sur des motifs raisonnables et probables pour croire qu'un détenu a l'intention ou est susceptible de commettre un acte violent ou dangereux, on doit fournir des documents à l'appui.
9. Le directeur qui est convaincu qu'un détenu devrait être placé dans une USD parce qu'il est considéré comme particulièrement dangereux doit d'abord le placer en ségré- gation administrative (article 40(1) du Règlement sur le service des pénitenciers) et lui en donner la raison par écrit avant la fin du jour ouvrable suivant.
12. Dans les limites imposées par les ressources physiques disponibles, le programme doit comprendre en quatre phases:
a. phase 1—évaluation initiale;
b. phase 2—contacts limités;
c. phase 3—réintégration graduelle; et
d. phase 4—transfèrement conditionnel à un établissement à sécurité maximale.
13. Un détenu qui en est à la phase 1 du programme est en ségrégation administrative en vertu d'un ordre émis par le directeur, conformément à l'article 40(1)(a) du Règlement sur le service des pénitenciers. On examinera le cas de chacun de ces détenus, conformément à l'article 40 du Règlement sur le service des pénitenciers, pour déterminer s'il doit lui être permis ou non de se joindre aux autres.
15. Le simple fait d'avoir passé par les phases 1, 2 et 3 ne justifie pas en lui-même un transfert conditionnel à un établissement à sécurité maximale. Le Comité national chargé de l'examen des cas d'USD autorisera ce dernier lorsqu'il jugera que le détenu ne constitue plus une menace pour le personnel, les détenus ou d'autres personnes.
III
La principale question en litige porte sur le pouvoir du commissaire adjoint, Sécurité, de déci- der du transfert et du maintien en détention des détenus en USD.
Les USD ont été mises en place à la fin des années 70 dans le but d'isoler les détenus particu- lièrement dangereux. Des critères d'application ont été élaborés et la politique et les modalités ont été énoncées dans la DC 274, précitée.
À la lumière de la décision majoritaire de la Cour suprême du Canada dans Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, la page 129, les Directives du commissaire ont un statut juridi- que qui est au mieux nébuleux, celles-ci étant «nettement de nature administrative et non législa- tive», et «rien de plus que des instructions relatives à l'exécution de ... fonctions dans l'institution».
La DC 274 est ambiguë en ce qui concerne les pouvoirs respectifs du commissaire adjoint, Sécu- rité, du Comité national chargé de l'examen des cas d'USD et des divers directeurs d'établissement. L'opinion de l'intimé Sauvé à cet égard est expri- mée au paragraphe 16 de son affidavit dans lequel il affirme que le Comité a un rôle purement con- sultatif vis-à-vis de son président (lui-même) [TRA- DUCTION] «qui seul a le pouvoir de décider du transfert d'un détenu dans une USD». Cette opi nion semble en accord avec l'article 6 de la Direc tive (précitée) suivant lequel le commissaire adjoint, Sécurité, se voit déléguer le pouvoir, con- formément au paragraphe 13(3) de la Loi, d'auto- riser le transfert des détenus dans une USD ou hors de celle-ci.
Cependant, malgré cette disposition de l'article 6, l'article 9 prévoit que «Le directeur qui est convaincu qu'un détenu devrait être placé dans une USD ... doit d'abord le placer en ségrégation administrative (article 40(1) du Règlement sur le service des pénitenciers)» (c'est moi qui souligne) et l'article 13 prévoit en toutes lettres qu'«Un détenu qui en est à la phase 1 du programme [d'USD] est en ségrégation administrative en vertu d'un ordre émis par le directeur, conformément à l'article 40(1)(a) du Règlement sur le service des
pénitenciers.»
Le paragraphe 40(1) du Règlement prévoit à son alinéa a) ce qu'on appelle l'isolement punitif
tandis que l'alinéa b) autorise l'isolement pour fins de protection du détenu:
40. (1) Si le chef de l'institution est convaincu que,
a) pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l'institution, ou
b) dans le meilleur intérêt du détenu,
il est nécessaire ou opportun d'interdire au détenu de se joindre aux autres, il peut le lui interdire, mais le cas d'un détenu ainsi placé à l'écart doit être étudié, au moins une fois par mois, par le Comité de classement qui recommandera au chef de l'institu- tion la levée ou le maintien de cette interdiction.
(2) Un détenu placé à l'écart n'est pas considéré comme frappé d'une peine à moins qu'il n'y ait été condamné, et il ne doit, pour autant, perdre aucun de ses privilèges et agréments, sauf ceux
a) dont il ne peut jouir qu'en se joignant aux autres détenus; ou
b) qui ne peuvent pas raisonnablement être accordés, compte tenu des limitations du lieu le détenu est ainsi placé à l'écart et de l'obligation d'administrer ce lieu de façon efficace.
De façon générale, lorsqu'il y a mandat, le commettant conserve des pouvoirs concurrents et, en règle générale, l'autorité qui délègue ses pou- voirs ne s'en départit pas pour autant. Toutefois, la situation est entièrement différente lorsque la loi confère certains pouvoirs à un organisme ou à un agent précis. Voilà pourquoi, dans Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, la Cour suprême du Canada a jugé, entre autres choses, que la Com mission des liqueurs du Québec ne pouvait révo- quer un permis de vente d'alcool à l'instigation du Premier ministre de la province. Comme l'a dit le juge Martland la page 157) [TRADUCTION] «La Commission ne peut renoncer à ses propres fonc- tions et pouvoirs et agir suivant une telle directive.» Les autorités subalternes ont donc, dans chaque cas, l'obligation d'exercer leur jugement à moins de pouvoir déduire de ce que S. A. de Smith, dans Judicial Review of Administrative Action, London, Stevens & Sons Limited, éd., 1980, à la page 310, appelle [TRADUCTION] «l'effet cumula- tif de la nature de la question en litige et de leur subordination hiérarchique», qu'il est préférable d'obtenir des directives. Telle était apparemment l'interprétation donnée par le juge Holland dans Re Chester (1984), 40 C.R. (3d) 146 (H.C. Ont.), à la page 169:
[TRADUCTION] Le commissaire adjoint, Sécurité, a, en vertu du par. 13(3) de la Loi [la Loi sur les pénitenciers], le pouvoir
de transférer un détenu d'un établissement à un autre. Ce pouvoir, conjugué au pouvoir général du commissaire et de ses adjoints d'édicter des règles, des ordonnances et des directives liant leurs subordonnés, confère au commissaire adjoint le pouvoir nécessaire d'ordonner au directeur de l'établissement d'accueil de placer un détenu dans une partie de l'établissement les conditions de détention sont plus sévères.
Toutefois, l'article 29 de la Loi sur les péniten- ciers confère au gouverneur en conseil et non au commissaire le pouvoir d'édicter des règlements, et il faut bien comprendre que ce pouvoir illimité de délégation du commissaire en matière de transfert est néanmoins restreint par le paragraphe 40(1) du Règlement par lequel le gouverneur en conseil confère aux chefs d'institution le pouvoir d'imposer l'isolement punitif. Selon l'article 2 du Règlement, «chef d'institution» désigne «le fonctionnaire nommé aux termes de la Loi ou du présent règle- ment pour administrer l'institution et comprend, en cas d'absence ou d'incapacité d'agir de ce der- nier, son adjoint légitime». En d'autres mots, il peut y avoir délégation vers le bas mais non vers le haut. Au surplus, l'article 14 du Règlement prévoit que:
14. Le dossier d'un détenu doit être soigneusement examiné avant qu'une décision ne soit prise relativement à la classifica tion, première ou nouvelle, ou au transfert du détenu.
Cette disposition exige clairement du chef de l'ins- titution ou de son adjoint légitime qu'ils examinent personnellement le dossier et prennent une déci- sion. Une directive venant d'un échelon supérieur ne saurait remplacer cet examen personnel et cette décision.
Non seulement n'y avait-il aucune preuve qu'un tel examen personnel avait été fait en l'espèce, mais M. P. Goulem, directeur du CDC et de l'USD du Québec pendant toute la période perti- nente, avait répondu à la plainte logée par l'appe- lant le 11 décembre qu'il n'avait aucune autorité en la matière qu'il s'agisse des transferts dans l'USD ou hors de celle-ci. Sa note à ce sujet reflétait manifestement sa perception des directi ves du commissaire.
MEMORANDUM
A 5744-MORIN, Réjean
DE Directeur,
CDC
le 15 décembre 1980
OBJET VOTRE REQUÊTE DU 11 DÉCEMBRE 1980
J'ai pris connaissance de votre requête ci-haut mentionnée, je vous transmets ci-dessous mes commentaires.
Je n'ai aucune autorité pour décider les transferts inter-institu tion et encore moins les transferts vers l'USD ou hors de l'USD. La directive du Commissaire dont vous avez pris connaissance est claire d'ailleurs à ce sujet là.
Votre transfert a été recommandé par un comité régional suite au meurtre d'un détenu au Leclerc pour lequel vous êtes accusé et cette recommandation a été acceptée par le Comité National des cas dangereux qui a décidé que vous serez transféré à l'USD Québec.
(Signature) P. Goulem
P. Goulem, Directeur.
c.c.: Dossier 5744—moaw, Réjean.
Monsieur Sauvé, comme en témoigne son affi davit aux paragraphes 10 et 11, interprétait la loi de la façon suivante: le chef de l'institution prend une décision préliminaire sur l'opportunité de placer le détenu en question dans l'USD, il ordonne la ségrégation administrative et fait en sorte que la question soit soumise ensuite à un comité régional chargé d'examiner les cas d'USD, puis ultimement au Comité national d'examen pour décision finale. Il semble que cette procédure ait été suivie en l'espèce et ce serait une bonne chose si par ailleurs la DC 274 avait force de loi.
Néanmoins, il semble que le seul fondement légal du pouvoir de transfert des détenus dans une USD se trouve au paragraphe 40(1) qui en confère expressément la responsabilité au chef de l'institu- tion ou à son adjoint légitime. Les Directives du commissaire sont valides comme directives internes liant les fonctionnaires des pénitenciers en matière de discipline interne au sein du Service correction- nel, mais il est difficile d'imaginer comment elles pourraient conférer quelque pouvoir légal sur les détenus (ou sur d'autres personnes n'appartenant pas au Service) surtout lorsqu'elles entrent en conflit avec le Règlement édicté en vertu du pou- voir du gouverneur en conseil.
Cependant, comme les parties n'ont pas débattu de la légalité des Directives du commissaire et qu'en outre l'appelant paraît admettre la légalité de son transfert initial dans l'USD, il serait préfé- rable, à mon avis, que je m'abstienne de décider du litige en me fondant sur ce motif.
IV
La façon dont l'appelant a attaqué devant cette Cour le jugement de première instance était loin d'être un modèle de précision. Il serait donc utile de définir les véritables questions en litige en l'espèce.
Premièrement, les transferts ordinaires de pri- sonniers sont des actes purement administratifs: Bruce et autre c. Yeomans et autre, [1980] 1 C.F. 583; (1979), 49 C.C.C. (2d) 346 (1T° inst.). Comme l'a dit le juge d'appel MacKinnon (tel était alors son titre) pour la Cour d'appel de l'Ontario dans Re Anaskan and The Queen (1977), 34 C.C.C. (2d) 361, la page 370, [TRA- DUCTION] «L'endroit un détenu purge sa peine est une matière politique et un problème adminis- tratif.» La décision de laisser l'appelant dans l'USD après son acquittement peut être considérée comme une décision de refuser un transfert bien qu'il soit possible, comme je l'ai suggéré plus tôt, qu'elle trouve son fondement juridique dans la ségrégation administrative; quoi qu'il en soit, il s'agit d'une décision de nature administrative et non quasi judiciaire.
Deuxièmement, l'appelant n'a pas été en mesure de découvrir dans les faits de l'espèce quelque manquement à l'équité ou à la justice naturelle. La plainte de l'appelant a donné lieu à une audience administrative et il ne semble pas y avoir eu d'irrégularités importantes dans la procédure, comme ce fut le cas dans l'affaire Re Chester, précitée.
Troisièmement, le contrôle judiciaire des actes purement administratifs, si limité soit-il, n'en existe pas moins. C'est l'arrêt Padfield and Others v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [ 1968] A.C. 997 (H.L.) qui fait autorité dans ce domaine du droit administratif. Dans cette affaire, la Chambre des lords a jugé que le pouvoir discré- tionnaire du Ministre de nommer un comité d'en- quête sur des plaintes n'était pas illimité et que les motifs qu'il avait fournis pour justifier son refus indiquaient qu'il avait outrepassé ses pouvoirs en tenant compte de facteurs n'ayant aucune perti nence en droit et en faisant usage de son autorité pour faire échec à la politique établie dans la loi en question. Quatre des cinq lords saisis de l'affaire sont allés jusqu'à dire que, même si le Ministre n'avait pas fourni de motifs pour justifier sa déci-
sion, dès que l'existence d'un cas d'abus de pouvoir était établie prima facie, la Cour pouvait en déduire qu'il avait agi illégalement.
Lord Upjohn, qui faisait partie de la majorité, a peut-être fait dans cet arrêt l'exposé le plus clair du droit applicable en matière de contrôle judi- ciaire la page 1058):
[TRADUCTION] Il est donc clair que le Ministre possède un pouvoir discrétionnaire et que la véritable question soumise à cette Chambre est de savoir dans quelle mesure ce pouvoir discrétionnaire est soumis au contrôle judiciaire.
Vos Seigneuries, il n'y a pas eu de véritable divergence d'opinions quant aux principes fondamentaux du droit à appli- quer, la principale question portant plutôt sur la façon dont ils devaient être appliqués à l'espèce.
L'exercice par le Ministre des pouvoirs et devoirs qui lui sont conférés par la loi ne peut être contrôlé que par le biais d'un bref de prérogative qui sera délivré uniquement s'il agit illéga- lement. Il est possible, aux fins du présent appel, d'énoncer avec suffisamment de précision ce qui constitue un comportement illégal de la part du Ministre (et ici j'adopte la classification proposée par le juge en chef, lord Parker, de la Cour division- naire): a) le fait de refuser catégoriquement d'examiner une question pertinente, ou b) le fait de se donner des directives erronées sur un point de droit, ou c) le fait de tenir compte d'un facteur complètement dénué de pertinence ou n'ayant aucun rapport avec la question, ou d) le fait de négliger complètement de tenir compte d'un facteur pertinent.
Ces propositions, qui n'ont pas été contestées durant les débats, s'appuient sur une jurisprudence abondante. Dans la pratique, elles se fondent l'une dans l'autre pour finalement aboutir à la question de savoir si, pour une raison ou pour une autre, le Ministre a agi illégalement en ce qu'il s'est donné des directives erronées en droit, c'est-à-dire, non seulement sur un point de droit précis, mais aussi par l'inobservation des autres points dont j'ai fait mention.
Dans le récent arrêt de R v Secretary of'State for the Home Dept, ex p McAvoy, [1984] 3 All E.R. 417 (Q.B.D.), à la page 422, le juge Webster a affirmé que la décision du Ministre de transférer un prisonnier d'une prison à une autre pouvait [TRADUCTION] «en principe être soumise à con- trôle judiciaire si on démontrait que ce dernier s'était donné des directives erronées en droit». Tou- tefois, à la lumière des faits de cette affaire, la Cour a jugé que le Ministre n'avait pas commis ce genre d'erreur en droit puisqu'en fait il avait tenu compte du droit du requérant de recevoir la visite de sa famille et de ses avocats.
La principale question sur laquelle il faut sta- tuer en l'espèce est donc celle de savoir s'il est possible que l'intimé Sauvé ait appliqué des direc tives erronées en droit au point de donner ouver-
ture à une intervention judiciaire. Quel est donc le droit applicable en matière de sanctions imposées par les autorités pénitentiaires après l'acquitte- ment d'un détenu au terme d'une procédure criminelle?
Dans son importante étude du concept du double péril, Double Jeopardy, Oxford, Clarendon Press, 1969, le professeur Martin E. Friedland soutient la page 117) que cet aspect de la notion de chose jugée, qui empêche la Couronne de soule- ver des questions déjà tranchées en faveur de l'accusé au cours d'une procédure antérieure, [TRADUCTION] «est maintenant accepté dans la plupart des juridictions de langue anglaise et est généralement appelé "issue estoppel" (fin de non- recevoir) en Australie et en Angleterre; "collateral estoppel" (fin de non-recevoir indirecte) aux États-Unis; et "chose jugée" au Canada».
La conclusion du professeur Friedland au sujet du droit applicable en Angleterre reposait sur l'af- faire Connelly v. Director of Public Prosecutions, [1964] A.C. 1254 (H.L.) mais la Chambre des lords, dans Director of Public Prosecutions v. Humphrys, [1977] A.C. 1, a par la suite désavoué son interprétation de l'affaire Connelly, affirmant que la doctrine de l'issue estoppel n'a pas sa place dans le droit criminel anglais et que le fait qu'une question soit tranchée en faveur de l'accusé dans un procès criminel n'empêche pas qu'on en fasse la preuve dans un second procès visant à établir qu'il y a eu parjure au cours du premier. Lord Hails- ham la page 31) est même allé jusqu'à désap- prouver explicitement le point de vue soutenu par le professeur Friedland.
Au Canada, la proposition formulée dans l'af- faire Connelly consistant à dire que les tribunaux possèdent une juridiction inhérente en matière cri- minelle pour empêcher qu'on abuse du processus judiciaire au moyen de procédures oppressives ou vexatoires a été rejetée par la Cour suprême dans une décision partagée (5-4) dans l'affaire Rourke c. R., [1978] 1 R.C.S. 1021, mais la doctrine traditionnelle de la chose jugée a été réaffirmée avec vigueur dans l'arrêt Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729, la Cour suprême du Canada a décidé, dans une décision partagée (5-4), qu'un accusé condamné pour viol dans un procès ne peut, dans le même procès, être trouvé coupable d'avoir eu des relations sexuelles illicites avec une
personne de sexe féminin de moins de 14 ans et ce, même s'il ne s'agissait pas d'une infraction incluse. Le juge Laskin, tel était alors son titre, a exprimé l'opinion des juges majoritaires (aux pages 748 à
752, passim):
A mon avis, l'expression «chose jugée» est celle qui exprime le mieux la théorie qui empêche des condamnations multiples pour le même délit, même si la chose ou affaire sert de fondement à deux infractions distinctes.
La question pertinente pour ce qui est de l'autorité de fa chose jugée est de savoir si la même cause ou chose (plutôt que la même infraction) se trouve comprise dans deux infractions ou plus.
En disant que la chose jugée (une expression plus large que l'expression autrefois convict) constituerait un moyen de défense complet, j'applique le principe bis vexari contre les poursuites consécutives, un principe qui ... a sa source dans le pouvoir qu'a la cour de protéger une personne contre l'abus du pouvoir de poursuivre et de punir que possède le ministère public.
Pierre Béliveau et Diane Labrèche dans «L'élar- gissement du concept de "double jeopardy" en droit pénal canadien: de bis puniri a bis vexari» (1977), 37 R. du B. 589, à la page 645, soulignent une évolution importante de notre droit à cet égard:
Par la suite, les tribunaux, en se fondant sur la notion de res judicata, ont reconnu qu'un accusé pouvait avoir recours au concept de double jeopardy lorsque l'infraction reprochée n'est pas la même mais en est une liée. Ainsi, la jurisprudence a reconnu la défense de issue estoppel et de l'interdiction des condamnations multiples, la première étant un complément du plaidoyer d'autrefois acquit, tandis que la seconde complète celui d'autrefois convict. Ces deux motifs de non-recevabilité constituent en quelque sorte les deux volets d'une défense générale de res judicata.
Ces auteurs ajoutent la page 646) qu'il est fort probable que les tribunaux adoptent une attitude stricte vis-à-vis de la notion d'issue estoppel:
Ainsi, on a pu constater que les tribunaux se sont montrés plutôt sévères en matière de issue estoppel, imposant plusieurs exigences relativement à la preuve de ce motif d'exonération et de nombreuses restrictions concernant sa recevabilité quant au fond.
Une façon de poser la bonne question consiste à se demander quelle est la valeur d'un acquitte- ment. Le professeur Friedland formule ainsi son opinion (aux pages 129 et 130):
[TRADUCTION] Le problème théorique de la valeur d'un acquittement a été formulé comme suit par lord Devlin dans Connelly v. D.P.P.:
La défense jouit à bon droit du privilège de n'avoir rien à prouver; elle n'a qu'à soulever un doute raisonnable. Doit-elle également avoir le droit d'affirmer qu'un fait sur lequel elle a jeté un doute raisonnable doit être considéré comme ayant été prouvé de façon concluante en sa faveur?
Il faudrait, nous dit-on, répondre par l'affirmative. L'adminis- tration du droit criminel est régie par un principe fondamental, savoir que, dans toute procédure criminelle subséquente, le ministère public doit reconnaître qu'un acquittement équivaut à une déclaration d'innocence. Au début de l'instruction, l'accusé jouit de la présomption d'innocence. Il ne devrait pas, en cas d'acquittement, se retrouver dans une situation plus précaire que celle dans laquelle il se trouvait avant d'être acquitté. En fait, les mots «non coupable» employés par le jury montrent qu'un acquittement vaut davantage qu'une conclusion de doute raisonnable. Un jury ne peut prononcer un verdict «non prouvé», sauf en Écosse.
Dans la plupart des cas, il ne serait pas possible de savoir si le verdict du jury repose sur un doute raisonnable ou sur une conclusion d'innocence. L'équité envers l'accusé exige qu'on présume qu'il s'agit de la dernière conclusion.
Mais même si un acquittement reposait sur un doute raison- nable supposer qu'un jury ou un magistrat le déclare de façon expresse), cela devrait permettre d'opposer une fin de non-recevoir dans une affaire criminelle ultérieure l'accusé doit être acquitté en cas de doute raisonnable.
Au surplus, un principe comparable devrait s'appliquer lors- que la Couronne tente de mettre en doute un acquittement antérieur en produisant des éléments de preuve factuels similai- res ou des éléments de preuve se rapportant directement à l'infraction reprochée. Cette dernière situation s'est produite dans Sambasivam v. Public Prosecutor, Federation of Malaya (1950) [[1950] A.C. 458] ... [C'est moi qui souligne.]
Les précédents canadiens et anglais semblent ne traiter de la notion de chose jugée que dans le contexte de poursuites criminelles successives; voilà pourquoi il est utile de faire appel à l'expé- rience plus vaste du droit américain.
V
Comme on pouvait s'y attendre, la clause rela tive au double péril, au Cinquième Amendement de la Constitution des États-Unis de même que la clause d'application régulière de la loi, au Quator- zième Amendement, ont donné lieu à un nombre considérable d'affaires devant les tribunaux améri- cains. L'approche générale a été décrite comme suit par Joseph A. Colussi dans «Notes: An appli cation of Double Jeopardy and Collateral Estoppel Principles to Successive Prison Disciplinary and Criminal Prosecutions», 55 Ind. L.J. 667 (1980), aux pages 679 et 680:
[TRADUCTION] Bien que les théories traditionnelles relatives au double péril n'aient pas réussi à protéger les détenus contre
la multiplicité des poursuites et des châtiments, la doctrine du collateral estoppel (fin de non-recevoir indirecte), qui est inhé- rente à la clause de double péril, constitue un recours subsi- diaire. La notion de collateral estoppel tire son origine du concept plus large de la chose jugée de la common law. Suivant cette doctrine, les conclusions de fait et de droit déjà pronon- cées à l'occasion d'une action s'appliquent à toute action ulté- rieure dans laquelle les mêmes questions pourraient à nouveau être soulevées et ce, même si la cause d'action est différente. La doctrine du collateral estoppel n'exige pas, contrairement au plaidoyer du double péril, l'identité des infractions. Invoqué avec succès, le plaidoyer du double péril a pour résultat d'empê- cher toute autre poursuite tandis que le plaidoyer de collateral estoppel pourrait n'empêcher que la remise en litige de certai- nes questions.
Cette approche tire son origine de l'arrêt Coffey y United States, 116 U.S. 436 (1886), dans lequel la Cour suprême des États-Unis a jugé qu'un acquittement antérieur constituait une exception opposable à toute action en confiscation intentée ultérieurement par les États-Unis contre la même personne, devant la même Cour de circuit et fondée sur les mêmes dispositions législatives. Le juge Blatchford a rendu jugement pour la Cour la page 443):
[TRADUCTION] On allègue avec insistance ... que l'acquitte- ment dans l'affaire criminelle a pu découler de la règle qui exige la preuve de la culpabilité au-delà de tout doute raisonna- ble et, qu'à la lumière de la même preuve, les États-Unis pourraient, en vertu de la règle de la prépondérance de preuves, avoir gain de cause dans l'action in rem. Néanmoins, le fait ou l'acte a été mis en litige et tranché à l'encontre des États-Unis; et tout ce qu'impose la loi, par suite de ce verdict de culpabilité, c'est une peine. Une fois qu'il y a eu acquittement dans le cadre d'une poursuite criminelle, celle-ci ne peut être instruite à nouveau; et l'instruction de l'action civile revient essentielle- ment à la même chose si ce n'est de la différence quant aux conséquences découlant d'un jugement défavorable au requé- rant.
Lorsqu'un défendeur, dans une action intentée contre lui par un particulier, allègue ou présente en preuve son acquittement dans une poursuite criminelle intentée au nom du gouverne- ment, la règle ne s'applique pas parce que les parties ne sont pas les mêmes et pour le motif additionnel, maintes fois invo- qué, que la preuve d'une certaine intention doit être faite pour appuyer l'acte d'accusation, ce qui n'est pas nécessaire dans l'action civile. Cependant, dans le présent dossier, comme nous l'avons déjà vu, les parties et la question en litige sont les mêmes.
Dans Benton v. Maryland, 395 U.S. 784 (1969), la Cour suprême des États-Unis a jugé que la garantie prévue au Cinquième Amendement contre le double péril peut être invoquée contre les États par le biais du Quatorzième Amendement et, dans Ashe v. Swenson, 397 U.S. 436 (1970), elle a décidé que le collateral estoppel fait partie inté-
Brante de la disposition du Cinquième Amende- ment concernant le double péril. Parlant pour la majorité, le juge Stewart a dit dans Ashe (aux pages 443 et 444):
[TRADUCTION] L'expression «collateral estoppel» est plutôt maladroite, mais elle énonce néanmoins un principe extrême- ment important de notre système de justice accusatoire. Elle signifie tout simplement que lorsqu'une question de fait a été tranchée par un jugement valide et final, cette question ne peut être remise en litige entre les mêmes parties dans quelque autre poursuite ultérieure. Bien qu'elle ait d'abord été élaborée dans des litiges civils, la notion de collateral estoppel est maintenant une règle de droit criminel fédéral au moins depuis la décision rendue par cette Cour, il y a plus de 50 ans, dans United States v. Oppenheimer, 242 U.S. 85. Comme l'a dit le juge Holmes dans cette affaire, «On ne peut affirmer que les garanties protégeant la personne, si souvent invoquées et à bon droit d'ailleurs avec le respect le plus solennel, sont moins grandes que celles qui protège les individus contre leur responsabilité financière.» 242 U.S. à la page 87. On peut donc affirmer, pour ce qui est du droit fédéral, qu'ail est beaucoup trop tard pour soutenir que ce principe n'est pas entièrement applicable à un jugement antérieur dans une cause criminelle, soit parce qu'il y a absence de "connexité" soit parce que le jugement indique seulement que l'on pense que le gouvernement ne s'est pas acquitté du lourd fardeau qui lui est imposé dans de tels cas pour l'ensemble de sa preuve mais pas nécessairement pour chacun des éléments de cette preuve». United States v. Kramer, 289 F. 2d 909, à la page 913.
Il ressort clairement des décisons fédérales que la règle du collateral estoppel ne doit pas, dans les affaires criminelles, être appliquée suivant l'approche technique et archaïque des règles de plaidoirie du 19 0 siècle mais plutôt de façon réaliste et rationnelle. Lorsque le jugement antérieur prononçant l'acquit- tement repose sur un verdict général, comme c'est générale- ment le cas, cette approche exige de la cour qu'elle «examine le dossier de la procédure antérieure en tenant compte des plaidoi- ries écrites, de la preuve, de l'accusation et de toute autre question pertinente, et qu'elle décide si un jury raisonnable aurait pu fonder son verdict sur une question autre que celle que le défendeur cherche à exclure du débat». L'enquête «doit se tenir dans un cadre pratique et être envisagée en tenant compte de toutes les circonstances entourant les procédures». Sealfon v. United States, 332 U.S. 575, à la page 579. Il va de soi que tout critère plus restrictif au plan technique équivau- drait tout simplement à refuser d'appliquer la règle du collate ral estoppel dans des procédures criminelles, à tout le moins dans les cas le premier jugement serait fondé sur un verdict général d'acquittement.
Dans Ashe, trois ou quatre individus avaient volé six joueurs de poker; le requérant fut accusé, dans un dossier distinct, d'avoir volé l'un des joueurs et le jury l'a trouvé [TRADUCTION] «non coupable en raison de l'insuffisance de la preuve». Il a par la suite été reconnu coupable d'avoir volé un autre des joueurs et a sollicité un bref d'habeas corpus. Sur cette question, le juge Stewart a conclu la page 445):
[TRADUCTION] La seule question que pouvait raisonnablement se poser le jury était de savoir si le requérant était l'un des voleurs. Par son verdict, le jury a répondu que non. La règle de droit fédérale interdit donc complètement d'intenter une seconde poursuite pour le vol de Roberts.
Bon nombre de questions incidentes sont soule- vées dans les diverses opinions formulées dans l'arrêt Ashe. Colussi, précité, à la note 60, page 680, fait le commentaire suivant:
[TRADUCTION] L'arrêt Ashe soulève plusieurs questions, parmi elles et non la moindre, la raison pour laquelle le collateral estoppel devrait avoir préséance sur la doctrine plus globale du double péril. Le juge Brennan a reconnu qu'une définition plus large de l'expression «même infraction» aurait empêché la seconde poursuite dans l'affaire Ashe ... Appliquée au processus disciplinaire carcéral, elle empêcherait la multipli- cité des poursuites pour la même infraction ... La notion de collateral estoppel a été adoptée dans l'arrêt Ashe afin de combler les lacunes de la protection offerte par la notion du double péril. Elle constitue un compromis entre l'opinion des membres de la Cour qui condamnent la multiplicité des pour- suites et l'opinion de ceux qui apparemment préfèrent encore les règles archaïques du double péril.
Aussi intéressantes que puissent être ces questions dans le contexte de la Constitution américaine, elles ne devraient toutefois pas retenir notre atten tion en l'espèce.
La décision dans l'affaire Ashe a reçu une inter- prétation large de la part de certains autres tribu- naux. Dans Barrows v. Hogan, 379 F. Supp. 314 (D. Pa. 1974), une Cour de district des États-Unis a jugé qu'un prisonnier qui venait d'être acquitté par un jury d'une accusation de voies de fait avait droit de récupérer tous les jours de remise de peine dont il avait été déchu en raison des voies de fait présumées, même si l'administration pénitentiaire était tenue à un fardeau de preuve moins lourd que le tribunal. Le juge Muir a déclaré la page 316):
[TRADUCTION] La conclusion de ce jury de douze hommes et femmes constitue une décision finale à l'encontre du gouverne- ment quant à la question de savoir si le requérant a commis des voies de fait à l'endroit du fonctionnaire. Compte tenu de la décision judiciaire suivant laquelle le prisonnier n'est pas cou- pable de l'infraction qui lui est reprochée, il est interdit aux autorités carcérales de conclure autrement et de punir le prison- nier pour une infraction dont il a été acquitté.
De même, dans People v. Grayson, 319 N.E. 2d 43 (1974), la Cour suprême de l'Illinois a jugé qu'un verdict de non-culpabilité sur une accusation de vol à main armée empêchait l'État, en vertu de la doctrine du collateral estoppel, de soulever à nouveau la question du vol dans des procédures
ultérieures intentées en vue d'obtenir la révocation d'une probation. Le juge en chef Underwood a écrit, au nom de la Cour (aux pages 45 et 46):
[TRADUCTION] Suivant le raisonnement de la cour d'appel, bien que le témoignage identifiant l'accusé ait pu ne pas être suffisant pour entraîner une condamnation pour vol à main armée, il s'est néanmoins avéré suffisant pour établir, par prépondérance de preuves, qu'il y avait eu violation des condi tions de probation. Dans son mémoire, l'État distingue l'affaire Ashe v. Swenson du présent cas, en tenant pour acquis que dans Ashe le défendeur était mis en péril dans deux procès criminels distincts pour le même vol à main armée tandis qu'en l'espèce, le défendeur n'a été mis en péril qu'une seule fois pour le vol ... et a, par la suite, fait l'objet d'une procédure civile au terme de laquelle sa probation fut révoquée.
Bien que des procédures puissent être civiles au plan de la forme, elles peuvent néanmoins être criminelles par nature (United States v. United States Coin and Currency, 401 U.S. 715, 91 S.Ct. 1041, 28 L.Ed.2d 434), et l'individu faisant face à la possibilité d'une révocation de sa probation peut se voir priver de sa liberté de façon toute aussi rapide et certaine que le défendeur dans une cause criminelle. Par conséquent, nous concluons que le principe du collateral estoppel s'applique dans les circonstances de l'espèce. En acquittant le défendeur de l'accusation de vol à main armée, on s'est trouvé, à la lumière de la preuve produite en l'espèce, à décider qu'il n'était pas l'un des voleurs. Une fois qu'on avait tranché, par un jugement final et valide, le seul véritable fait contesté, c'est-à-dire la question de l'identité, l'État ne pouvait plus, en vertu de la Constitution, traîner le défendeur devant un autre tribunal dans le cadre d'une procédure criminelle ou d'une révocation de sa probation et remettre cette question en litige.
La Cour d'appel de la Californie est arrivée à la même conclusion dans People v. Robart, 29 Cal. App. 3d 891; 106 Cal. Rptr. 51 (1973). Le juge Brown, au nom de la Cour la page 52) conclut:
[TRADUCTION] En l'espèce, le requérant a subi son procès devant un jury qui l'a acquitté. La décision du jury, suivant laquelle il n'était coupable d'aucune infraction, trouvait ample- ment appui dans la preuve. Aucun motif autre que les accusa tions dont il a été acquitté n'appuyait la révocation de sa libération conditionnelle.
Dans Standlee v. Rhay, 403 F. Supp. 1247 (1975), le juge en chef Neill de la Cour de district des États-Unis du district Est de Washington a suivi les arrêts précités pour finalement conclure que, par l'application du collateral estoppel, une déclaration antérieure d'innocence dans une procé- dure criminelle empêchait la commission des libé- rations conditionnelles d'en arriver à une conclu sion de fait différente. Toutefois, la Ninth Circuit Court of Appeals, à l'occasion de l'appel de ce jugement, a adopté un point de vue différent, 557 F.2d 1303 (1977), jugeant que la doctrine du
collateral estoppel n'empêchait pas une commis sion des libérations conditionnelles de trouver le requérant coupable de certaines infractions après son acquittement sur les mêmes accusations dans un procès criminel. Toutefois, pour en arriver à cette conclusion, les juges ont distinguer et, dans une certaine mesure, critiquer l'arrêt Coffey la page 1306, note 2):
[TRADUCTION] L'intimé s'appuie fortement sur le vieil arrêt Coffey v. United States ... Interprété largement, cet arrêt appuie la proposition suivant laquelle l'acquittement prononcé dans une procédure criminelle constitue, dans toute action civile ultérieure, une décision définitive sur un fait particulier. Toute- fois, dans Helvering v. Mitchell, 303 U.S. 391, 58 S.Ct. 630, 82 L.Ed. 917 (1938), la Cour a fait une distinction avec l'arrêt Coffey parce que la procédure de confiscation dans cette affaire comportait une peine criminelle tandis que l'affaire Mitchell ne traitait que d'une sanction civile. En outre, l'arrêt Coffey a été sévèrement critiqué et sa valeur de précédent mise en doute par cette Cour dans United States v. Cramer, 191 F.2d 741, 743 (9 Cir. 1951). Nous n'avons pas à décider si l'arrêt Coffey con serve quelque pertinence puisque nous acceptons l'interpréta- tion qu'en donne la Cour dans l'affaire Mitchell.
La Cour suprême de l'Alaska a suivi l'arrêt Stand - lee dans Avery v. State—Alaska, 616 P.2d 872 (1980) et des conclusions identiques ont été pro- noncées par la Third Circuit dans U.S. v. Cham bers, 429 F.2d 410 (1970) et dans l'affaire du Wisconsin, State ex rel. Flowers v. Department of Health and Social Services, 260 N.W.2d 727 (1978). Toutefois, dans Bledsoe v. State of Wash. Bd. of Prison Terms & Paroles (Mem.), 608 F.2d 396 (1979), de la même Ninth Circuit, le juge Ely, bien que suivant l'arrêt Standlee, a fait la remar- que suivante au nom de deux des trois juges saisis de l'affaire (ibid.):
[TRADUCTION] Compte tenu de l'effet contraignant de l'ar- rêt Standlee, le juge Ferguson et moi-même n'avons d'autre choix que de souscrire au dispositif confirmant la décision. Nous avons, toutefois, la conviction profonde que l'arrêt Stand - lee est une mauvaise décision et nous souhaitons ardemment que l'ensemble de la Cour en vienne bientôt à désavouer sa décison dans l'arrêt Standlee.
La décision de la Cour suprême dans Helvering v. Mitchell, 303 U.S. 376 (1938), sur laquelle s'est appuyée l'Appeals Court dans Standlee, pourrait aussi faire l'objet de distinctions quant aux faits. Dans cette affaire, le requérant avait été acquitté d'une accusation d'évasion fiscale et la Cour avait jugé que cet acquittement n'empêchait pas l'État d'intenter une action non criminelle de nature réparatrice, découlant des mêmes faits. L'arrêt One Lot Emerald Cut Stones v. United States, 409
U.S. 232 (1972), invoqué également dans Stand - lee, peut sans doute être distingué pour des raisons identiques. Dans cette affaire, la Cour avait jugé que le fait d'avoir été acquitté d'une accusation qui, contrairement à la procédure civile de confis cation, exigeait la preuve de l'intention de frauder, n'interdisait pas la confiscation des marchandises importées mais non déclarées.
Somme toute, les arrêts américains ne donnent pas de réponse claire, en ce qui concerne particu- lièrement les questions tenant à la libération condi- tionnelle et à la probation qui sont aussi les plus fréquentes. La principale conclusion qui en émerge est que les divers éléments des deux procédures doivent être soumis à un examen minutieux. Cela ressort très clairement du jugement de la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt One Lot Eme rald Cut Stones, précité, aux pages 234 et 235:
[TRADUCTION] La notion de collateral estoppel empêcherait une confiscation en vertu de l'article 1497 [19 U.S.C.] s'il était jugé, dans une procédure criminelle antérieure, que le gouver- nement n'avait pas établi les éléments d'une confiscation en vertu dudit article. Ashe v. Swenson, 397 U.S. 436, 443 (1970). Dans cette affaire, toutefois, l'acquittement prononcé à l'égard de l'accusation criminelle n'a pas nécessairement réglé les questions soulevées dans l'action en confiscation. Pour obtenir une condamnation en vertu de l'article 545 [18 U.S.C.], le gouvernement doit faire la preuve de l'acte matériel d'importa- tion illégale ainsi que de l'intention de frauder sciemment et délibérement les États-Unis. Il est possible que l'acquittement prononcé à l'égard de l'accusation criminelle ait comporté la conclusion que l'acte matériel n'a pas été commis avec l'inten- tion requise. En fait, la cour qui a instruit l'accusation crimi- nelle a conclu spécifiquement que le gouvernement n'avait pas fait la preuve de l'intention. Par contre, pour avoir gain de cause dans une action en confiscation intentée en vertu de l'article 1497, le gouvernement n'a qu'à établir que le bien a été importé aux États-Unis sans la déclaration requise; le gouver- nement n'a aucun fardeau en ce qui a trait à l'intention. Par conséquent, l'acquittement dans la procédure criminelle ne peut être considéré comme une décision portant que le bien n'a pas été illégalement importé aux États-Unis et la procédure de confiscation ne porte pas sur une question préalablement débat- tue par les parties et tranchée de façon définitive.
Une chose est encore moins claire cependant. En cas d'identité d'objet, faut-il tenir compte aussi de la différence entre les fardeaux de preuve? L'arrêt One Lot Emerald Cut Stones y voit un second critère applicable au collateral estoppel, le critère exigé dans l'arrêt Helvering v. Mitchell qui a conclu que le Congrès pouvait imposer des sanc tions tant criminelles que civiles à l'égard du même acte ou de la même omission.
Il serait difficile de ne pas être d'accord avec la proposition selon laquelle l'acquittement prononcé dans une procédure criminelle ne peut constituer un empêchement à une action civile ultérieure fondée sur les mêmes faits. La véritable question qui se pose est celle de savoir comment il faut qualifier la procédure ultérieure lorsqu'elle ne cor respond pas exactement à toutes les caractéristi- ques habituelles d'un litige criminel ou civil. La Cour suprême de l'Illinois dans l'arrêt Grayson, précité, a conclu que la révocation d'une probation est une procédure de nature criminelle, même si elle n'en prend pas la forme, en raison de la possibilité pour le détenu en liberté conditionnelle de perdre sa liberté. Appliquant un critère formulé de façon légèrement différente, la Ninth Circuit Court of Appeals dans l'affaire Standlee, précitée, à la page 1306, conclut que [TRADUCTION] «La révocation d'une libération conditionnelle est une mesure réparatrice plutôt que punitive puisqu'elle vise à protéger le bien-être des détenus en liberté conditionnelle et la sécurité de la société.»
À la page 237 de l'arrêt One Lot Emerald Cut Stones, précité, la Cour suprême des États-Unis a dit que [TRADUCTION] «La question de savoir si une sanction donnée est civile ou criminelle est une question d'interprétation de la loi», et voici l'ana- lyse que la Cour suprême faisait de la disposition législative en cause dans cette affaire (ibid.):
[TRADUCTION] La confiscation prévue à l'article 1497 a pour but de faciliter l'application du règlement tarifaire. Elle empêche la circulation aux États-Unis de marchandises interdi- tes et, par le biais de la sanction pécuniaire qui y est prévue, elle prévoit une forme raisonnable de dommages-intérêts déter- minés payables en cas de violation des dispositions relatives à l'inspection et servant à rembourser le gouvernement pour les frais occasionnés par l'enquête et l'exécution. Nous avons reconnu, dans des contextes différents, que de tels objectifs étaient caractéristiques de sanctions réparatrices plutôt que punitives ... En outre, il est impossible d'affirmer que l'am- pleur du recouvrement fixé par le Congrès à l'article 1497 est à ce point déraisonnable ou excessif qu'il transforme en sanction pénale ce qui se voulait manifestement un redressement civil.
À mon avis, ce qu'on peut tirer d'utile de l'expé- rience américaine tient au deux critères d'applica- tion du collateral estoppel, c'est-à-dire, l'identité d'objet et les sanctions criminelles. Comme l'issue ou collateral estoppel est une notion reconnue au Canada par le biais de la doctrine de la chose jugée, ces critères pourraient avoir une valeur con- vaincante en tant que précédents au Canada même si, à l'époque pertinente, il n'existait pas, ici, de charte constitutionnelle des droits.
Je suis d'avis que les opinions exprimées par le juge Toy dans R. v. Mingo et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23 (C.S.C.-B.) et les observations à l'effet contraire formulées par le juge Goodridge dans In re Prisons Act and in re Pollard et al., le 20 février 1980, non publié, du greffe 1355, Cour suprême (Terre-Neuve), relativement à la qualifi cation des auditions en matière de discipline carcé- rale, ne sont d'aucun secours en l'espèce car les questions en litige dans ces affaires étaient différentes.
VI
Dans sa lettre du 10 septembre 1981, l'intimé Sauvé appuie sa décision de garder l'appelant dans l'USD sur deux motifs apparents: la documenta tion de la police et l'appel qui allait être interjeté:
le 10 septembre 1981
M. Réjean Morin
Centre de développement correctionnel
Unité spéciale de détention
Région du Québec
Lors de la révision de votre cas en juillet 1981, le comité des USD vous informait que votre cas serait vu de nouveau dès la réception d'un rapport de police concernant votre implication dans le meurtre du détenu Payeur.
Le comité a maintenant reçu la documentation nous confirmant que l'accusation contre vous était basée sur une déclaration ante mortem par la victime avec une autre déclaration donnée aux policiers enquêteurs par un témoin. Ces sources de rensei- gnements vous ont identifié comme ayant participé au meurtre. Le comité a aussi été avisé que la Couronne en appellera du jugement fait dans votre cas.
Par conséquent, la décision de vous transférer à une unité spéciale de détention a été basée selon les critères indiqués au paragraphe 4 de la directive du commissaire 274, et demeure inchangée.
Vous serez vu de nouveau par le comité lors de sa prochaine révision, en décembre 1981.
(Signature) JUM Sauvé J.U.M. Sauvé
Cette lettre est complétée par l'affidavit signé le 12 janvier 1982 par M. Sauvé dans lequel il réca- pitule les événements et les motifs de sa décision:
[TRADUCTION] 22° Comme il est indiqué au paragraphe 12 de l'affidavit de M. Morin, ce dernier m'a soumis un grief concer- nant sa présence dans l'USD, auquel j'ai répondu le 15 juin 1981;
25° Les recommandations supplémentaires que j'ai demandées, comme l'indique le paragraphe 25, m'ont été transmises vers le 11 juin 1981, en même temps qu'un rapport rédigé par une
employée du SCC, Ginette Breton, avec l'aide du directeur intérimaire du CDC, rapports que j'ai produits en liasse sous la cote I-3;
26° Dans les jours qui ont suivi, j'ai répondu au grief et, le 16 juin 1981, j'ai demandé au Comité chargé de l'examen des cas d'USD d'examiner le cas de M. Morin, alors détenu en USD et j'ai décidé, à la lumière de la documentation supplémentaire dont je fais mention au paragraphe 25 de mon affidavit, de ne pas transférer ce dernier malgré son acquittement sur l'accusa- tion du meurtre du détenu Claude Payeur;
27° En outre, durant cette réunion du 16 juin 1981, j'ai pensé qu'un rapport ou des observations émanant de la police, sur l'ensemble de la situation, pourraient s'avérer utiles et jette- raient un nouvel éclairage sur la question;
29° Conformément à l'article 17 de la DC 274, le Comité national chargé de l'examen des cas d'USD a examiné, aux environs du 8 juillet 1981, la détention de M. Morin dans l'USD;
32° Nous avons ensuite rencontré M. Morin à qui nous avons dit que je continuais de penser qu'il était impliqué dans l'inci- dent Payeur; qu'un acquittement devant un tribunal de juridic- tion criminelle ne voulait pas nécessairement dire que je devais automatiquement modifier ma décision administrative; je lui ai dit que nous essayerions d'obtenir des rapports supplémentaires et que nous nous attendions à recevoir, dans les 15 jours, les commentaires de la police sous forme de résumé, en ajoutant cependant qu'on ne pouvait garantir que cela se ferait dans ce délai de 15 jours; finalement, j'ai fait remarquer que ma décision ne se limiterait pas uniquement à un examen du résumé ou des notes de la police;
36° Le résumé de la police dont il est question n'a jamais été soumis au directeur général de la région de Québec et, après un délai administratif que je considère raisonnable, j'ai répondu à la question de savoir si le détenu Morin devait être transféré suivant la phase IV ou retiré du programme et j'en suis venu à la conclusion que non; les autres intimés à la requête n'ont pas pris cette décision le ou aux environs du 10 septembre 1981;
37° M'appuyant ensuite sur les documents cotés 1-3 et sur ce que je savais des faits lorsque j'ai décidé de placer M. Morin dans le programme USD, j'étais personnellement convaincu que ces documents établissaient qu'il s'était produit un incident dans lequel M. Morin était impliqué, ce qui justifiait que l'on continue d'appliquer la D.C. 274 et de garder M. Morin au C.D.C.;
38° En ce qui concerne ma lettre du 10 septembre 1981 à M. Morin, la pièce G de son affidavit, je dois admettre qu'elle laisse à désirer. Ce sont des membres de mon personnel qui l'ont rédigée. L'expression «document maintenant reçu« que j'utilise est trompeuse; j'aurais dire les documents qui se trouvent dans notre dossier car entre le 7 ou 8 juillet et le 10 septembre 1981, je n'ai pas reçu de nouveau document; la mention concernant l'appel était superflue et reposait probable- ment sur des renseignements obtenus de vive voix de la région de Québec, mais je ne peux me rappeler ni de qui ni à quel moment. Cette mention est une erreur; appel ou non, ma décision aurait été la même et je ne pense pas que cette question de l'appel soit importante;
54° Comme je l'ai mentionné précédemment, je suis au courant de l'acquittement de M. Morin. Toutefois, malgré cet acquitte- ment et le fait que certains des documents produits sous les cotes I-4 à I-8 de mon affidavit (particulièrement I-7) n'au- raient peut-être pas été admissibles devant une cour de justice dans le cadre du processus juridique d'instruction d'un crime et d'admission de la preuve selon les conditions énoncées dans la Loi sur la preuve au Canada, ma décision était une décision administrative rendue au terme d'un processus entièrement différent et engagé à des fins différentes; de plus, j'estime ne pas avoir à être convaincu au-delà de tout doute raisonnable que M. Morin est coupable du meurtre de M. Payeur, ce qui n'est manifestement pas le cas, pour pouvoir le considérer comme un détenu dangereux aux termes de la D.C. 274;
55° Un exemple aidera peut-être à préciser ce que j'essaie de dire au paragraphe 54 de mon affidavit. Un détenu pourrait en déposant à l'enquête du coroner, sous la protection de l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada, avouer être coupable du meurtre d'un autre détenu. Ce témoignage ne pourrait être utilisé devant une cour de justice et il est possible qu'en fin de compte le détenu soit acquitté de l'accusation de meurtre. Pour les fins de ma décision, cet élément de preuve, par ailleurs inadmissible devant une cour de justice, n'en constituerait pas moins un fait pertinent;
59° Dans le présent cas, les documents l-4 à I-9 m'ont con- vaincu de façon raisonnable et probable que M. Morin consti- tue un risque élevé pour le maintien de la sécurité dans nos établissements ordinaires compte tenu des actes qui ont été relatés dans certains documents, notamment le fait que Claude Payeur, la victime décédée, a impliqué M. Morin dans l'inci- dent, que M. Morin se trouvait sur la scène de l'incident, que le détenu Cousineau qui s'est finalement reconnu coupable de l'homicide involontaire de Claude Payeur a effectivement fait une déclaration impliquant M. Morin; je n'ai aucune raison de mettre en doute les déclarations des membres du personnel;
60° En ce qui a trait maintenant aux paragraphes 53 et 59 de mon affidavit, le témoignage du détenu Cousineau au procès était entièrement différent de la déclaration qu'il avait faite à la police; le document I-7 a été déclaré inadmissible par la cour de juridiction criminelle; Cousineau a nié avoir fait la déclaration, mais il a reconnu que les initiales S.C. sur le document auraient pu être les siennes mais qu'elles ne l'étaient pas; l'agent Savard a déclaré avoir reçu la déclaration I-7 de Cousineau; son collègue M. Aubertin de même que M. Guerin du personnel du S.C.C. ont dit la même chose;
64° Mon but n'est pas de punir M. Morin pour avoir été impliqué dans cet incident, mais plutôt de lui éviter des problè- mes ultérieurs pendant qu'il purgera sa peine et d'écarter tout doute au sujet des risques qu'il pourrait poser au plan de la sécurité, en lui laissant l'occasion de faire la preuve de sa bonne conduite dans une USD et afin qu'il puisse retourner dans un avenir rapproché au sein de la population carcérale générale d'un établissement à sécurité maximale ... [C'est moi qui souligne.]
Il ressort clairement de cet affidavit que la lettre du 10 septembre manquait totalement de fran-
chise. Dans les faits, ni l'un ni l'autre des motifs allégués par l'intimé Sauvé n'étaient vrais. Il ne disposait d'aucun document provenant de la police et il ne jugeait pas importante la question de l'appel. En réalité, sa décision de prolonger la détention de l'appelant dans l'USD reposait sur les documents qu'il avait en main et qui l'avaient convaincu que l'appelant était coupable du meurtre.
Les divers documents dont il fait mention dans cet affidavit prolixe, s'ils éclairaient d'une façon ou d'une autre les circonstances du meurtre de Payeur, ont été produits au procès de Morin et ont été pris en considération à l'instruction. Le fait que le témoin principal, Cousineau, ait modifié la déclaration qu'il avait faite avant le procès et ait dit au jury que l'appelant n'était pas impliqué dans le meurtre, justifie difficilement la décision de Sauvé de continuer à s'appuyer sur la déclaration faite avant le procès. De même, Sauvé a continué de s'en rapporter à la déclaration faite par la victime avant de mourir, autre question qui a été soumise au jury. En fait, il ne disposait d'absolu- ment aucun élément de preuve autre que ceux portés à la connaissance du jury, qui puisse prou- ver que le comportement de Morin exigeait un traitement particulièrement sévère.
C'est la réaction du juge du procès, le juge Bergeron, à l'occasion de la requête en habeas corpus dont il a été saisi, qui démontre le mieux que la preuve et les questions en litige dans les deux procédures étaient identiques. Le juge n'a pas mâché ses mots dans les commentaires qu'il a formulés relativement à la décision de continuer, en raison du meurtre, la détention de Morin dans un milieu à sécurité super-maximum après que ce dernier eut été acquitté de ce même meurtre:
Il y a sûrement lieu de s'étonner du comportement des autorités carcérales à l'endroit du requérant, si on examine les motifs basant leurs différentes décisions de continuer une détention dans un milieu à sécurité super-maximum en raison d'une déclaration ante-mortem de la victime et d'une déclara- tion d'un co-détenu.
Un examen succinct du dossier des Assises criminelles de Montréal, relativement au procès subi par le requérant et se terminant par un verdict d'acquittement, aurait vite fait de les satisfaire, plus qu'un simple rapport de police, que tant la déclaration ante-mortem que la déclaration d'un témoin co- détenu ont fait l'objet d'une longue preuve devant le Tribunal et ont été dûment examinées et pesées par le jury saisi de l'instance.
Si on avait pris le soin de ce faire, on aurait rapidement constaté que ces facettes principales formant la base d'une prolongation de détention à caractère maximum, ne peuvent dorénavant prévaloir à l'endroit du requérant.
Je ne peux m'empêcher de souligner cet aspect particulier qui résulte, non pas de l'examen du dossier et des pièces per se, mais de ma connaissance judiciaire de l'instance de meurtre que j'ai présidée. Les seules facettes soulevées pour justifier la continuation de la détention, en sécurité super-maximum, ne tiennent pas, à mon humble avis.
Cette décision, dans le cadre des circonstances dont les autorités étaient saisies, dès le 21 septembre 1980, ne peut souffrir de reproches, ou être qualifiée d'être injustifiée.
La continuation par ailleurs de cette détention, après l'ac- quittement du requérant de l'accusation de meurtre qui pesait contre lui, semble faire fi des règles de justice naturelle et d'équité. [C'est moi qui souligne.]
Dans son propre affidavit, Sauvé nie l'existence de tout renseignement supplémentaire dans les mains de l'administration du pénitencier. La ques tion sur laquelle Sauvé prétendait fonder sa déci- sion, c'est-à-dire la question de savoir si Morin avait assassiné Payeur, avait déjà été tranchée par un jury à la lumière des mêmes faits. Le critère de l'identité d'objet est donc respecté de façon plus que satisfaisante.
VII
En ce qui a trait au critère des sanctions crimi- nelles, il faut, selon moi, reconnaître que des pro- cédures en matière de discipline carcérale, comme celles qui nous intéressent, se situent entre les procédures criminelles et civiles traditionnelles. Mais avec lesquelles doit-on faire l'analogie? Des- quelles se rapprochent-elles le plus?
Reprenons l'article 8 de la DC 274:
8. La principale raison qui doit motiver le transfèrement d'un détenu dans une USD est le fait qu'il est considéré comme particulièrement dangereux et qu'il peut, par conséquent, nuire au maintien de la discipline dans l'établissement. Les détenus ne doivent pas être transférés dans une USD sur des motifs de suspicion seulement. Lorsque l'on s'ap- puie sur des motifs raisonnables et probables pour croire qu'un détenu a l'intention ou est susceptible de commettre un acte violent ou dangereux, on doit fournir des docu ments à l'appui.
Voilà bien le langage du droit criminel: «particu- lièrement dangereux», «nuire au maintien de la discipline», «motifs raisonnables et probables», «a l'intention ou est susceptible de commettre un acte violent ou dangereux».
Son but est également identique à celui du droit criminel, c'est-à-dire, placer dans des conditions de détention spéciales les individus qui ont été impli- qués dans une prise d'otages ou dans des actes de violence graves, qui ont été condamnés pour le meurtre d'un détenu ou dont on sait qu'ils mena- çaient gravement la vie de quelqu'un, etc. (article 4 précité, DC 274).
Signalons au passage que «des motifs de suspi cion seulement» ne suffisent pas à justifier la détention dans une USD, surtout en matière de meurtre l'on exige une condamnation, ce qui signifie nécessairement une condamnation par un tribunal de juridiction criminelle.
L'effet de la détention dans une USD, c'est-à- dire le resserrement des conditions de détention à l'intérieur même de la prison, est également très analogue aux conséquences d'une sanction crimi- nelle. Je cite ce qu'en disait le juge d'appel Cory dans Re Miller and The Queen, précité, à la page 332:
[TRADUCTION] Les détenus gardés dans l'unité spéciale de détention bénéficient de très peu, voire même d'aucun des privilèges accordés aux autres détenus gardés dans d'autres parties du pénitencier et leurs conditions de détention sont beaucoup plus rigoureuses.
Il ne s'agit pas, reconnaissons-le, d'une peine comme telle. En effet, cette mesure survient avant le fait plus qu'après et elle est plus préventive que punitive. Elle doit être le résultat d'un événement quelconque, mais elle intervient également par anticipation. En cela, il s'agit d'une disposition législative préventive tout comme l'article 688 du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] qui traite des délinquants dangereux. Je ne suis pas convaincu que pour être une sanction «criminelle» aux fins de la notion de chose jugée une infraction doive être criminelle au sens du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution- nelle de 1982, 1)]. Quoi qu'il en soit, la Cour suprême du Canada au complet dans Ex p. Mat - ticks (1973), 10 C.C.C. (2d) 438 (C.A. Qc), [1973] R.C.S. vi (sub nom. Pearson c. Lecorre) a même jugé que le libellé antérieur de l'article 688 respectait ce critère. Dans cet arrêt, la Cour a également décidé que la Déclaration canadienne
des droits n'avait pas rendu l'article 688 inopérant. Cet article a également résisté à des attaques intentées pour d'autres motifs en vertu de la Charte: R. v. Simon (N° 3) (1982), 141 D.L.R. (3d) 380 (C.S.T.N.-O.); R. v. Gustavson (1982), 143 D.L.R. (3d) 491 (C.S.C.-B.).
Certes, la déclaration de Sauvé suivant laquelle son but n'est pas de punir Morin peut être prise au pied de la lettre, mais quand, dans un même souffle, il admet avoir posé ce geste pour «lui éviter des problèmes ultérieurs» (paragraphe 64 de l'affi- davit, précité), il formule un objectif caractéristi- que du droit criminel. Ce serait tout aussi vrai si la prolongation de la détention de Morin en USD était fondée non pas sur la DC 274 mais sur les mots «pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l'institution» de l'alinéa 40(1)a) du Règlement. Force est de conclure que l'analogie doit se faire avec le droit criminel plutôt qu'avec le droit civil.
VIII
L'argument des intimés suivant lequel il s'agit d'une décision discrétionnaire, d'une [TRADUC- TION] «question de jugement» qui ne devrait pas être modifiée par un tribunal, ne pourrait être retenu que si la décision reposait aussi sur des faits qui n'avaient pas été révélés durant la procédure criminelle ou sur des circonstances n'ayant absolu- ment aucun rapport avec le meurtre de Payeur et pouvant justifier la décision de prolonger la déten- tion de Morin en USD. Dans les circonstances de l'espèce les procédures carcérales ultérieures avaient non seulement un objet identique au procès criminel mais elles ont également amené des sanctions pénales tant par leur nature que par leur but et leur effet, les intimés se sont manifestement formulé les mauvaises directives en droit lorsqu'ils ont refusé de donner plein effet à l'acquittement prononcé au terme de la procédure criminelle.
Par conséquent, j'accueillerais l'appel avec dépens et annulerais le rejet de la requête en certiorari. Comme un bref de certiorari n'aurait plus aucun effet en l'espèce, je rendrais un juge- ment déclaratoire portant que la décision des inti- més de maintenir l'appelant dans l'unité spéciale de détention après son acquittement le 30 mai 1981 ne reposait sur aucun fondement juridique.
Le JUGE HUGESSEN: Je suis d'accord.
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