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A-1147-84
Tirath Kaur Kosley (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Stone— Vancouver, 28 novembre 1984; Ottawa, 18 janvier 1985.
Immigration Demande tendant à l'annulation d'une ordonnance d'expulsion pour défaut de compétence en vertu de l'art. 35(2) du Règlement L'enquête qui avait été ajournée n'a pas repris à la date et à l'heure prévues malgré la présence de l'avocat et de l'agent chargé de présenter le cas L'enquête a repris deux jours plus tard devant un arbitre différent La requérante était détenue Demande rejetée La seule déduction raisonnable qui se dégage est que l'arbitre a ajourné l'enquête pour une raison valable Ni l'omission de trans- crire les procédures ni l'ajournement n'ont causé préjudice à la requérante La requérante ne s'est pas déchargée du fardeau qui lui incombait d'établir, à première vue, l'absence de com- pétence Arrêt suivi: Mavour c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, /1984J 2 C.F. /22 (C.A.) Loi sur l'immigra- tion de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 27(2)b),c),e),g), 2 9 , 45(1), 70(2), 71(1), 104(2),(3),(6) Règlement sur l'immigra- tion de 1978, DORS/78-172, art. 32(1), 34(2), 35 Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 28 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap. 10, art. 28 Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 738.
Il s'agit en l'espèce d'une demande tendant à l'annulation de la décision d'un arbitre ordonnant l'expulsion de la requérante. Le 18 novembre 1982, une enquête a eu lieu en vue de déterminer si la requérante, alors détenue, devait être expulsée. L'enquête a été ajournée au 22 novembre, à 13 h. Durant la fin de semaine, la requérante a été arrêtée en vertu d'un article de la Loi sur l'immigration de 1976 et placée sous garde dans un endroit différent. Elle ne s'est pas présentée à l'endroit et à l'heure prévus pour la reprise de l'enquête, ce que firent toute- fois son avocat et l'agent chargé de présenter le cas. Rien au dossier n'indique ce qui s'est passé le 22 novembre, mais le 24 novembre, l'enquête a repris malgré les protestations de la requérante qui alléguait qu'il y avait absence de compétence. La requérante soutient qu'en omettant de reprendre l'enquête au moment prévu lors de l'ajournement, l'arbitre a perdu compétence en vertu de l'article 35 du Règlement. L'ordon- nance d'expulsion était donc nulle. Le paragraphe 35(2) prévoit que lorsqu'une enquête est ajournée, elle «doit reprendre à l'heure et à l'endroit prescrits par l'arbitre» présidant l'enquête.
Arrêt (le juge Heald dissident): la demande devrait être rejetée.
Le juge Urie: La seule déduction raisonnable qui se dégage est qu'un arbitre a, au moment et à l'endroit qui avaient été fixés pour la reprise de l'enquête, ajourné celle-ci au 24 novem- bre pour une raison valable. La requérante n'a pas subi préju- dice par suite du défaut de transcrire les procédures du 22 novembre ou par suite de l'ajournement au 24 novembre. Il n'y a donc pas eu perte de compétence puisqu'on n'a pas omis de se
conformer au paragraphe 35(2) du Règlement. En outre, c'est la requérante qui avait le fardeau d'établir, à première vue à tout le moins, son allégation suivant laquelle il y avait absence de compétence. La requérante n'a pas cherché à faire modifier le dossier en apportant, par voie d'affidavit, des éléments de preuve tendant à convaincre la Cour qu'il n'y avait pas eu reprise de l'audition ajournée.
La décision de cette Cour dans l'arrêt Mavour c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1984] 2 C.F. 122 (C.A.) devrait être suivie. Dans cet arrêt, on a jugé que le principe énoncé dans l'affaire R. c. Krannenburg, [1980] I R.C.S. 1053, prin- cipe suivant lequel une cour d'instance inférieure peut perdre compétence par suite d'une irrégularité de procédures comme par exemple, lorsque le jour auquel l'affaire a été ajournée se passe sans qu'il y ait audition ou comparution, se limitait aux procédures criminelles. Il ne conviendrait pas d'appliquer ce principe aux tribunaux administratifs qui doivent jouir d'une certaine latitude pour ajourner et reprendre les enquêtes qu'ils mènent. La possibilité qu'il y ait détention ne justifie pas l'application du principe établi dans Krannenburg au cas l'on omet de reprendre l'enquête à la date prévue après l'ajour- nement. Le paragraphe 104(6) de la Loi sur l'immigration de /976 prévoit la révision régulière de la prolongation de la détention.
Cette approche est conforme à celle formulée par le juge Laskin dans l'arrêt Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immi- gration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850.
Le juge Heald (dissident): Il n'existe aucune preuve permet- tant de déduire qu'une quelconque personne en ayant le pouvoir a ajourné l'enquête concernant la requérante. Le paragraphe 35(2) du Règlement n'a donc pas été respecté et il est néces- saire d'examiner l'effet du non-respect de cette disposition sur la validité de l'ordonnance d'expulsion.
L'affaire Mavour se distingue du présent cas quant aux faits. Dans cette affaire, la décision contestée concernait la détention et non la validité de l'ensemble des procédures de l'enquête. Dans Mavour, la conclusion a été prise en tenant compte du paragraphe 104(6) de la Loi qui exige, à tous les sept jours, une révision des motifs justifiant la détention. Par conséquent, les graves conséquences afférentes au non-respect de cette exigence dans une affaire criminelle ne découleraient pas du non-respect de cette exigence en matière de détention dans le cadre de la Loi sur l'immigration de 1976, vu la protection supplémentaire fournie par le paragraphe 104(6). Dans l'affaire Mavour, la Cour n'avait pas examiné la validité des procédures d'enquête menant à l'expulsion. Elle était plutôt appelée à se pencher sur l'effet du non-respect d'un règlement sur l'immigration dans le cadre d'une procédure accessoire.
Les paragraphes 35(1) et (3) emploient le terme directif «peut» alors que les paragraphes 35(2) et (4) utilisent les termes impératifs «doit» et «faut». L'article 28 de la Loi d'interpréta- tion prévoit que, dans chaque texte législatif, «peut» ou «pourra», devant un infinitif, exprime une faculté alors que «doit» ou «devra», devant un infinitif, exprime une obligation. Le problème qui se pose en l'espèce est que la loi emploie un langage impératif, mais ne dit pas quelles sont les conséquences en cas de non-respect de ses dispositions. Eu égard à l'article 28 de la Loi d'interprétation et au fait que dans certaines parties de l'article 35, c'est le terme «doit» qui est employé alors que dans d'autres, c'est le terme «peut» qui l'est, il apparaît que
l'intention du législateur était d'imposer à l'arbitre l'obligation de se conformer aux exigences du paragraphe 35(2).
La question ultime qui se pose consiste à déterminer quelles sont les conséquences du défaut de se conformer à cette disposi tion. Le critère applicable à cet égard est celui énoncé dans l'arrêt Howard v. Bodington (1877), 2 P.D. 203. Dans chaque cas, il faut rechercher l'objet de la loi; examiner l'importance de la disposition qui a été enfreinte et le rapport entre cette dernière et l'objectif général visé par la Loi; et, après avoir étudié le cas sous cet aspect, décider s'il s'agit d'un sujet dit impératif ou simplement directif.
Il est nécessaire d'examiner l'importance que revêt le para- graphe 35(2) du Règlement dans le contexte de l'économie générale de la Loi sur l'immigration de 1976. Les articles 27 à 39 du Règlement prévoient des garanties procédurales détail- lées visant à assurer la protection des droits de la personne faisant l'objet d'une enquête. Le paragraphe 35(2) a pour but d'assurer, d'une part, que la personne en cause et son avocat savent bien, en tout temps, l'enquête en est rendue et, d'autre part, qu'ils sont tenus au courant de toutes les dates d'enquête qui sont fixées. Voilà qui est essentiel afin de proté- ger les droits de la personne en cause. Il y a également possibilité de préjudice lorsque la personne en cause est déte- nue. L'article 104 de la Loi sur l'immigration de 1976 permet à l'intimé d'arrêter une personne qui doit faire l'objet d'une enquête. Le paragraphe 104(3) autorise l'arbitre à mettre cette personne en liberté aux conditions jugées appropriées. Comme l'enquête n'a pas repris le 22 novembre, la requérante est restée sous garde deux jours supplémentaires. Il s'agit d'un cas manifeste de préjudice prouvable. Comme l'arbitre a élargi la requérante sous cautionnement le 24 novembre, cette dernière aurait pu, selon toute probabilité, obtenir sa mise en liberté sous caution deux jours plus tôt si on avait respecté les disposi tions du paragraphe 35(2).
Si l'on présume que l'arbitre a perdu compétence le 22 novembre, la décision rendue dans l'affaire R. v. Stedelbauer Chevrolet Oldsmobile Ltd. (1974), 19 C.C.C. (2d) 359 (C.S. Alb.), est convaincante. Cette décision portait sur le paragra- phe 738(l) du Code criminel. On a conclu que si l'instruction des accusations était ajournée à des temps et lieux déterminés et qu'il ne se passe rien à cette date, la Cour perdait compé- tence. Même si la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks n'a vu aucun motif d'introduire dans des procédures administrati- ves d'expulsion les considérations très différentes qui régissent les accusations criminelles, il semble permis, par analogie, de considérer la façon avec laquelle les tribunaux ont abordé une disposition semblable du Code criminel.
La jurisprudence indique que la Cour tranchera la question à la lumière des faits particuliers de l'espèce, après avoir examiné les conséquences pratiques du non-respect des dispositions. Dans le présent cas, le non-respect des dispositions a eu pour conséquence de priver la requérante de sa liberté pendant deux jours supplémentaires. Il s'agit de conséquences graves auto- risant la Cour à invalider l'enquête. La demande fondée sur l'article 28 devrait être accueillie.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Mavour c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1984] 2 C.F. 122 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. c. Krannenburg, [1980] 1 R.C.S. 1053; Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks, [ 1974] R.C.S. 850; R. v. Stedelbauer Chevrolet Oldsmobile Ltd. (1974), 19 C.C.C. (2d) 359 (C.S. Alb.); Faiva c. Minis- tre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] 2 C.F. 3; 145 D.L.R. (3d) 755 (C.A.); Singh c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1982] 2 C.F. 785 (C.A.); Copeland c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, jugement en date du 10 janvier 1984, Division d'appel de la Cour fédérale, A-1171-83, encore inédit; Saraos c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1982] I C.F. 304 (C.A.); Emms c. R., [1978] 2 C.F. 174 (C.A.); Schaaf c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1984] 2 C.F. 334; 52 N.R. 54 (C.A.); Howard v. Bodington (1877), 2 P.D. 203.
DECISIONS CITÉES:
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (C.A.); Weber c. Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1977] 1 C.F. 750 (C.A.); Murray c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration, [1979] 1 C.F. 518; (1978), 23 N.R. 344 (C.A.).
AVOCATS:
Cameron A. Beheshti pour la requérante. Leonard Cohen pour l'intimé.
PROCUREURS:
Evans, Goldstein & Company, Vancouver, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD (dissident): J'ai lu les présents motifs de jugement de mon collègue Urie, mais malgré tout le respect que je lui dois, je suis incapable de me rallier à ses motifs ou au résultat qu'il propose.
Le juge Urie a bien résumé ce qui s'est produit à 9 h 20 le jeudi 18 novembre 1982 lorsqu'a été convoquée pour la première fois l'enquête de la requérante. La page 10 du dossier démontre qu'à 14 h 11 le 18 novembre, après plusieurs brefs ajournements, l'enquête fut ajournée en vue de reprendre à 13 h le lundi 22 novembre 1982.
Il n'y a aucune indication au dossier établissant que l'enquête a repris à 13 h le lundi 22 novembre ou à quelque autre moment ce jour-là. La trans cription subséquente que renferme le dossier est celle d'une reprise d'enquête concernant la requé- rante ayant débuté à 15 h 30 le 24 novembre 1982.
Le 18 novembre 1982, l'arbitre était R. G. Smith et le 24 novembre 1982, il s'agissait de Daphne Shaw. Il n'y a aucun élément de preuve direct qui nous renseigne sur ce qui s'est passé, relativement à l'enquête prévue de la requérante, le 22 novembre 1982, si effectivement il s'est passé quelque chose. Il est possible toutefois de tirer certaines déductions relativement aux événements du 22 novembre en examinant attentivement la transcription des procédures du 24 novembre. Le juge Urie a produit dans ses motifs les passages pertinents de ce dossier (voir les pages 12 et 13 de la transcription). Voici les déductions que je tire de ce dossier:
1. Il semble que l'avocat de la requérante (M. Goldstein) ait été présent tant le 18 novembre que le 24 novembre. M. Fader, l'agent chargé de pré- senter le cas, a également été présent à ces deux occasions.
2. Le 22 novembre, l'enquête de la requérante n'a pas repris à l'heure fixée ni à quelque autre moment par la suite ce jour-là. M. Goldstein a comparu au moment et à l'endroit convenus le 22 novembre (c'est-à-dire à 13 h au Centre d'immi- gration du Canada, au 1550, rue Alberni à Van- couver) mais pour employer les mots de M. Gold- stein (page 12 de la transcription): «J'étais ici. On m'a donné à entendre que M. Gordon du Ministère était ici, mais il ne s'est rien passé.» (C'est moi qui souligne.) Apparemment, l'arbitre Shaw s'est dite d'accord avec M. Goldstein puisqu'elle a déclaré que la reprise prévue pour le 22 novembre [TRA- DUCTION] «n'avait pas eu lieu» mais qu'elle avait plutôt lieu le 24 novembre (voir la page 12 de la transcription).
3. Rien dans le dossier ne permet de déduire que M. Gordon était un arbitre nommé en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] ayant compétence pour convoquer et ajourner une enquête en vertu de la Loi. Au
surplus, il n'existe aucune preuve permettant de déduire que quelqu'un qui en avait le pouvoir a ajourné au 24 novembre l'enquête concernant la requérante qui se déroulait le 22 novembre. Au contraire, selon moi, il ressort clairement des déclarations précitées de M. Goldstein et de l'arbi- tre Shaw qu'il n'y a pas eu reprise le 22 novembre.
À la lumière de ces faits, je conclus qu'en l'es- pèce, les dispositions du paragraphe 35(2) du Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78- 172] exigeant la reprise de l'enquête à l'heure et à l'endroit prescrits par l'arbitre présidant l'enquête n'ont pas été respectées.
En raison de ma conclusion précitée quant aux faits, il devient nécessaire d'examiner l'effet, le cas échéant, du non-respect de cette exigence sur la validité de l'ordonnance d'expulsion rendue par l'arbitre en l'espèce. Comme l'a souligné mon col- lègue Urie, il est nécessaire d'examiner la récente décision de cette Cour dans l'affaire Mavour c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1984] 2 C.F. 122 (C.A.). Il s'agissait, dans l'affaire Mavour, d'une demande fondée sur l'article 28 tendant à l'examen et à l'annulation de la décision d'un arbitre relativement à la mise en liberté de la requérante conformément au paragraphe 104(3) de la Loi sur l'immigration de 1976. Soupçonnée de faire partie de l'une des catégories visées aux alinéas 27(2)b),e) et g) de la Loi sur l'immigration de 1976, la requérante avait été arrêtée le 15 mars 1983 conformément au paragraphe 104(2) de la Loi. Son enquête fut fixée au 22 mars. A la date prévue, l'arbitre a ajourné l'enquête jusqu'au 30 mars et a ordonné la prolongation de la détention de la requérante. Comme aucun agent chargé de présenter le cas n'était disponible, l'enquête n'a pu reprendre le 30 mars. Elle reprit le 6 avril. La détention de la requérante n'a donc pas été exami née par un arbitre entre le 22 mars et le 6 avril. Cette circonstance a constitué une contravention aux dispositions du paragraphe 104(6) de la Loi qui porte:
104....
(6) Au cas l'examen, l'enquête ou le renvoi qui, en vertu de la présente loi, ont motivé la détention, n'ont pas lieu dans les quarante-huit heures de celle-ci, la personne détenue doit être immédiatement amenée devant un arbitre aux fins de révision des motifs justifiant une détention prolongée; par la suite, la personne devra être amenée devant un arbitre aux mêmes fins, au moins une fois tous les sept jours.
Dans Mavour, l'avocat de la requérante a pré- tendu que l'arbitre avait perdu compétence par suite de son défaut de reprendre l'enquête le 30 mars 1983, date à laquelle elle avait été ajournée. Pour étayer cette prétention, l'avocat s'est appuyé sur le principe énoncé comme suit par le juge Dickson (tel était alors son titre) dans R. c. Kran- nenburg, [1980] 1 R.C.S. 1053, à la page 1055: «Il est reconnu depuis longtemps dans notre droit qu'une cour d'instance inférieure peut perdre juri- diction en raison d'une irrégularité de procédure, comme par exemple, lorsque le jour auquel la comparution du prévenu a été renvoyée ou auquel l'affaire a été ajournée se passe sans qu'il y ait d'audition ou de comparution, "sans que rien ne se fasse".» Traitant de cette prétention, le juge Le Dain (tel était alors son titre) parlant pour la Cour d'appel fédérale a dit [aux pages 129 et 130]:
Ce principe, établi pour la première fois par la Cour suprême dans Trenholm v. The Attorney -General of Ontario, [1940] R.C.S. 301, a été retenu dans plusieurs autres affaires, mais pour autant que j'ai pu le constater, il a toujours été appliqué par les juridictions répressives et aux poursuites pénales. L'avo- cat de la requérante n'a pu citer aucune décision et je n'en ai trouvé aucune, ce principe aurait été appliqué devant un tribunal administratif, qu'il exerce ou non des pouvoirs judiciai- res ou quasi judiciaires. A mon avis, ce n'est pas un principe qu'il convient d'appliquer aux tribunaux administratifs puis- qu'ils doivent jouir d'une certaine latitude pour ajourner et reprendre les enquêtes qu'ils mènent. Cette latitude ressort du paragraphe 35(2) du Règlement sur l'immigration de 1978 qui prévoit: «L'enquête ajournée selon le présent règlement ou le paragraphe 29(5) de la Loi doit reprendre à l'heure et à l'endroit prescrits par l'arbitre présidant l'enquête. Je ne crois pas que la possibilité qu'il y ait détention justifie l'application du principe établi dans Krannenburg au cas l'on omet de reprendre l'enquête à la date prévue après l'ajournement. Le paragraphe 104(6) de la Loi prévoit la révision régulière des motifs justifiant la prolongation de la détention et ce, indépen- damment du progrès de l'enquête. Je suis donc d'avis que l'arbitre n'a pas perdu sa compétence faute d'avoir repris l'enquête le 30 mars 1983, date prévue pour la reprise de l'enquête.
À première vue, la citation susmentionnée semble certes déterminante quant à la question en litige aux présentes. Toutefois, il faut se rappeler que les faits dans l'affaire Mavour étaient entière- ment différents en ce que la décision qui y était attaquée était une décision relative à la détention et non une décision portant sur validité de l'ensemble des procédures de l'enquête. Il me
semble que le juge Le Dain a conclu ainsi en sachant parfaitement bien que le paragraphe 104(6) de la Loi exige des révisions périodiques à tous les sept jours des motifs justifiant la déten- tion. Ce qu'il dit, à mon avis, dans le passage cité plus haut, c'est que les graves conséquences affé- rentes au non-respect de cette exigence dans une affaire criminelle ne découleraient pas du non-res pect de cette exigence en matière de détention dans le cadre de la Loi sur l'immigration de 1976 vu la protection supplémentaire fournie par le paragraphe 104(6). Dans l'affaire Mavour, la Cour n'avait pas à examiner la validité des procé- dures d'enquête menant à l'expulsion. Elle était plutôt appelée à se pencher sur l'effet du non-res pect d'un règlement sur l'immigration dans le cadre d'une procédure accessoire. J'estime que cette différence factuelle distingue l'affaire Mavour de celle qui nous intéresse'.
Ayant conclu que la décision de cette Cour dans l'arrêt Mavour précité n'est pas déterminante dans les circonstances de la présente affaire, je reviens maintenant à l'examen de l'effet du non-respect du paragraphe 35(2) du Règlement sur l'immigration de 1978 sur l'ordonnance d'expulsion dont il est question aux présentes. L'article 35 du Règlement sur l'immigration de 1978 porte:
35. (1) L'arbitre qui préside l'enquête peut l'ajourner à tout moment afin de veiller à ce qu'elle soit complète et régulière.
(2) L'enquête ajournée selon le présent règlement ou le paragraphe 29(5) de la Loi doit reprendre à l'heure et à l'endroit prescrits par l'arbitre présidant l'enquête.
(3) L'enquête ajournée selon la Loi ou le présent règlement peut, avec le consentement de la personne en cause ou lorsque aucune preuve réelle n'a été produite, être reprise par un arbitre autre que celui qui a présidé l'enquête ajournée.
(4) Lorsqu'une preuve réelle a été produite à une enquête ajournée et que la personne en cause refuse de consentir à la reprise de l'enquête par un arbitre autre que celui qui a présidé
I Si j'avais conclu que l'affaire Mavour n'était pas différente quant aux faits et si j'avais été convaincu que la question devant être tranchée en l'espèce était la même que celle décidée dans Mavour, j'aurais très certainement suivi l'opinion de la majorité de cette Cour dans Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (C.A.) et l'opinion unanime de la Cour dans Murray c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 518; (1978), 23 N.R. 344 (C.A.) et j'aurais suivi l'arrêt Mavour dans les intérêts de la »bonne administration de la justice».
l'enquête ajournée, il faut recommencer l'enquête.
Je remarque que les paragraphes (1) et (3) de cet article emploient le terme directif «peut» alors que les paragraphes (2) et (4) utilisent les termes impératifs «doit» et «faut». Je remarque également que l'article 28 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23 prévoit que, dans chaque texte législatif, «peut» ou «pourra», devant un infinitif, exprime une faculté alors que «doit» ou «devra», devant un infinitif, exprime une obligation. Dans Evans, Administrative Law: Cases, Text & Mate rials, les auteurs, au chapitre 6 de leur volume, examinent l'effet des contraventions aux exigences en matière de procédure. À la page 316, ils discu- tent du problème auquel nous faisons face dans le présent cas, c'est-à-dire quels sont les critères à utiliser lorsque la loi en litige emploie un langage impératif («doit» ou «devra») mais ne dit pas quel- les sont les conséquences en cas de non-respect? Les auteurs écrivent: [TRADUCTION] «La première question à examiner est celle de savoir s'il ressort d'une interprétation adéquate de la loi qu'il s'agis- sait d'une procédure ou formalité que devait suivre le tribunal ou si le libellé de la loi indique que le législateur ne visait qu'à encourager ou à autoriser la pratique en question. Règle générale, l'emploi des termes "doit" ou "faut" par opposition au terme directif "peut", indique qu'une obligation a été imposée.» Je suis d'accord avec cette opinion. Il me semble clair, à la lumière des dispositions de la Loi d'interprétation précitée et eu égard au fait que le terme «doit» est employé dans certaines parties de l'article 35 du Règlement alors que le terme «peut» est utilisé dans d'autres, que l'inten- tion manifeste du législateur était d'imposer à l'arbitre l'obligation de se conformer aux exigences du paragraphe 35(2) du Règlement. Driedger dans Construction of Statutes, édition, affirme, à la page 13: [TRADUCTION] «On prétend que peut ne veut jamais dire doit et que doit ne veut jamais dire peut. Le mot peut, par lui-même, ne fait qu'accorder une autorisation ou un pouvoir, il n'impose pas une obligation; s'il existe une obliga tion, elle découle non pas du mot peut mais de l'objet et du libellé de la loi ainsi que des faits de l'espèce.» En outre, à la page 14: [TRADUCTION] «Dans les décisions des tribunaux, le mot doit s'est vu donner deux sens: impératif et directif. Voilà incontestablement des étiquettes extrêmement
commodes pour décrire les résultats dans un cas particulier, mais au plan linguistique, cette distinc tion n'est pas fondée. Le mot doit, sauf s'il est utilisé à titre d'auxiliaire du futur, a toujours un sens obligatoire. Si par "directif" on entend sim- plement un conseil ou une directive, laissant à la personne visée la liberté de s'y conformer ou non, alors le mot doit est mal utilisé; s'il signifie que le conseil ou la directive doit être suivie, alors "direc- tif" veut dire "impératif".»
Toutefois, ma conclusion suivant laquelle les exigences imposées par le paragraphe 35(2) du Règlement sont obligatoires et impératives ne règle pas définitivement la question. La question ultime à laquelle il faut répondre consiste à déterminer quelles sont les conséquences du défaut de se con- former à cette disposition. Le point de départ d'une telle analyse est le passage suivant tiré de l'opinion de lord Penzance dans Howard v.
Bodington (1877), 2 P.D. 203, la page 211: [TRADUCTION] «J'estime, dans la mesure il est question d'une règle, que la prudence commande de ne pas s'aventurer plus loin que ce qui précède et, dans chaque cas, de rechercher l'objet de la loi; d'examiner l'importance de la disposition qui a été enfreinte et le rapport entre cette dernière et l'ob- jectif général visé par la Loi; et, après avoir étudié le cas sous cet aspect, de décider s'il s'agit d'un sujet dit impératif ou simplement directif.»
Si l'on applique ce critère aux faits de l'espèce, il devient nécessaire d'examiner l'importance que revêt le paragraphe 35(2) du Règlement sur l'im- migration de 1978 dans le contexte de l'économie générale de la Loi sur l'immigration de 1976. Les articles 27 39 du Règlement sur l'immigration de 1978 prévoient des garanties procédurales détaillées visant à assurer la protection des droits de la personne faisant l'objet d'une enquête. Le paragraphe 35(2) du Règlement a pour effet d'as- surer, entre autres, que la personne en cause et son avocat savent bien, en tout temps, en est rendu l'enquête et qu'ils sont tenus au courant de toutes les dates d'enquête. C'est sûrement essentiel afin de protéger les droits de la personne en cause. Si l'enquête n'est pas reprise à la date prévue et que, en raison d'un malentendu par exemple, elle ne soit jamais reprise ou qu'elle le soit sans qu'avis en soit donné à la personne en cause, la possibilité que cette dernière en subisse préjudice est énorme car
une ordonnance d'expulsion pourrait alors être rendue sans que la personne en cause ait l'occasion de répondre aux allégations formulées contre elle; ou encore, le droit de la personne en cause de revendiquer le statut de réfugié «au cours d'une enquête» en vertu du paragraphe 45(1) de la Loi pourrait lui être retiré si l'enquête était menée à terme en son absence ou à son insu. Je donne ces exemples extrêmes pour bien faire ressortir la nécessité et l'importance de ce paragraphe dans l'économie générale de la Loi. Il y a également possibilité d'un préjudice encore plus grand lors- que, comme en l'espèce, la personne en cause est détenue. L'article 104 de la Loi sur l'immigration de 1976 permet à l'intimé ou à ses fonctionnaires d'émettre un mandat d'arrestation visant une per- sonne qui doit faire l'objet d'une enquête en vertu de la Loi. Le paragraphe (3) de cet article autorise l'arbitre à mettre en liberté cette personne aux conditions jugées appropriées, notamment le dépôt d'un bon de garantie d'exécution ou d'un gage en espèces. Dans le présent cas, l'arbitre Smith a prolongé la détention de la requérante le 18 novembre 1982. Si l'enquête avait repris le 22 novembre 1982, l'arbitre la présidant aurait alors examiné la détention de la requérante. Le dossier laisse clairement voir que l'avocat de la requérante a comparu à cette date en compagnie de deux cautions éventuelles qui étaient disposées à assurer la mise en liberté de la requérante ce jour-là soit en déposant un bon de garantie d'exécution soit en versant un gage en espèces. Comme l'enquête n'a pas repris à cette date, la requérante est demeurée sous garde pendant deux jours supplémentaires jusqu'au 24 novembre 1982, date à laquelle elle fut libérée en vertu d'un gage en espèces de 3 000 $. Il s'agit d'un cas manifeste de préjudice prouvable puisque la requérante est demeurée sous garde pendant deux jours supplémentaires 2 . Il n'est pas déraisonnable, je crois, d'en déduire que, comme l'arbitre a libéré la requérante sous cautionnement le 24 novembre, cette dernière aurait pu, selon toute probabilité, obtenir sa mise en liberté sous caution deux jours auparavant si on avait respecté les dispositions du paragraphe 35(2) du Règle- ment. Quoi qu'il en soit, le moins qu'on puisse dire
2 11 s'agit également d'un cas les dispositions du paragra- phe 104(6) ne seraient d'aucun secours pour la requérante puisque ce paragraphe n'exige l'examen de la détention qu'à tous les sept jours.
c'est que la requérante a très certainement été privée d'une révision de sa demande de cautionne- ment le 22 novembre. A mon avis, lorsque l'une des conséquences du non-respect est la prolonga tion probable de la détention de la personne faisant l'objet de l'enquête, on ne peut dire qu'il s'agit d'une erreur sans importance. Il ressort clairement du dossier que l'arbitre Smith désirait vivement ajourner l'enquête le moins longtemps possible le 18 novembre étant donné que la requérante était sous garde. Voilà une attitude louable et appro- priée de la part de l'arbitre si l'on tient compte de l'économie et de l'objet de la Loi qui renferme, à l'article 106, une disposition généreuse concernant le droit d'un requérant de demander, durant l'en- quête, sa mise en liberté'.
De même, je ne partage pas l'opinion suivant laquelle, à supposer que l'arbitre ait perdu compé- tence le 22 novembre, elle l'aurait retrouvée le 24 novembre lorsqu'elle a prétendu reprendre l'en- quête. À cet égard, je trouve convaincante la déci- sion de la Cour suprême de l'Alberta, Division d'appel, dans l'affaire R. v. Stedelbauer Chevrolet Oldsmobile Ltd. 4 . Cette décision portait sur les dispositions du paragraphe 738(1) du Code crimi- nel [S.R.C. 1970, chap. C-34] qui porte: «738(1) La cour des poursuites sommaires peut, à sa dis- crétion, avant ou pendant le procès, ajourner le procès à des temps et lieu qui doivent être désignés et indiqués en présence des parties ou de leurs avocats ou représentants respectifs, mais nul sem- blable ajournement ne doit, sans le consentement des deux parties, comporter une période excédant huit jours.» Voici quel était le droit aux termes du Code criminel: si l'audition des accusations a été ajournée à des temps et lieu déterminés, comme l'exige le paragraphe 738(1), et, qu'à cette date il ne se passe rien, la Cour perd alors compétence tant sur la personne de l'accusé que sur l'infrac- tion. Il faudrait alors présenter une nouvelle dénonciation et on ne pourrait se contenter d'émet-
3 Selon mon expérience, c'est également l'attitude qu'adop- tent habituellement les arbitres. Il en est probablement ainsi parce que le pouvoir d'arrestation et de détention conféré par l'article 106 est limité. En outre, il est fort probable, selon moi, que les arbitres sachent très bien que la procédure d'enquête n'est pas une procédure criminelle et que la personne faisant l'objet de cette enquête n'est pas accusée d'une infraction criminelle.
4 (1974), 19 C.C.C. (2d) 359.
tre de nouveaux actes judiciaires sur la foi de la dénonciation antérieure. Cependant, si les accusa tions ne sont qu'ajournées de façon inadéquate, par exemple pour plus de huit jours sans consentement ou en l'absence de l'accusé, ou encore si elles sont ajournées sine die, il n'y a alors perte de compé- tence que sur la personne et non sur l'infraction. De nouveaux actes judiciaires peuvent alors être émis en vertu de la dénonciation demeurée valable. Je sais que la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Im- migration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850, la page 854, n'a vu aucun motif d'introduire dans des procédures administratives d'expulsion les «consi- dérations très différentes qui régissent les accusa tions criminelles». Néanmoins, il me semble permis, par analogie, de considérer la façon avec laquelle les tribunaux ont abordé une disposition du Code criminel affichant une très grande res- semblance. Cette Cour, dans l'affaire Weber c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1977] 1 C.F. 750 (C.A.), a adopté, par analogie, une disposition du Code criminel en interprétant un règlement édicté en vertu de la Loi sur l'immigration.
Il est également instructif selon moi d'examiner l'attitude de cette Cour dans des cas d'autres articles de loi ou de règlement ont été enfreints. Dans l'affaire Faiva c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigrations, la Cour était appelée à se pencher sur l'effet du non-respect par un arbitre de l'alinéa 27(2)c) du Règlement sur l'immigration de 1978. Cet alinéa oblige l'arbitre présidant une enquête à s'assurer, avant que tout élément de preuve soit présenté, que la personne en cause est en mesure de comprendre la langue dans laquelle se tient l'enquête et de communiquer dans cette langue. Dans Faiva, il était clair que l'arbitre n'était pas convaincu que l'exigence était respectée et qu'il était d'avis que la présence d'un interprète était nécessaire. Toutefois, lorsqu'il est devenu mani- feste, après deux ajournements, que la Commission avait été incapable de trouver un interprète pou- vant parler le tonga, il exprima l'opinion qu'il avait l'obligation de mener l'enquête sans interprète si cela était possible. Parlant pour la Cour, le juge Le Dain (tel était alors son titre) a dit la page 9 C.F.; aux pages 760 et 761 D.L.R.]:
5 [1983] 2 C.F. 3; 145 D.L.R. (3d) 755 (C.A.).
Bien que je me rende compte du problème auquel l'arbitre devait faire face et de la conscience professionnelle avec laquelle il a examiné la question dont il était saisi, je suis d'avis qu'il n'avait pas compétence pour agir ou, étant donné les circonstances et les conditions, qu'il a commis une erreur de droit en poursuivant l'enquête et en recueillant le témoignage du requérant en l'absence d'un interprète. Son devoir de tenir une enquête était assujetti à l'obligation de fournir, si néces- saire, les services d'un interprète pour permettre à la personne en cause de comprendre et de s'exprimer. Si la présence d'un interprète était requise, ce qui était manifestement l'opinion de l'arbitre, et qu'il n'était pas possible d'en trouver, l'arbitre n'avait plus l'obligation de poursuivre l'enquête. Il n'avait pas le droit de le faire. 11 n'avait pas le droit d'appliquer avec moins de rigueur les normes ou exigences relatives à la capacité de comprendre et de s'exprimer. A mon avis, l'arbitre ne pouvait pas corriger ce vice ou cette erreur lorsqu'il a déclaré, à la fin de l'enquête, après que le requérant eut témoigné sans l'aide d'un interprète, qu'il était alors convaincu que ce dernier avait une compréhension suffisante de la langue et la capacité de communiquer dans celle-ci. Cette déclaration de l'arbitre doit nécessairement être examinée à la lumière de sa déclaration antérieure selon laquelle il était disposé à appliquer avec moins de rigueur les normes ou exigences relatives à la capacité de comprendre la langue et de communiquer dans celle-ci. Mais selon moi, le point essentiel est que l'arbitre n'est pas habilité à poursuivre une enquête et à recueillir le témoignage de la personne en cause en l'absence d'un interprète à moins qu'il ne soit convaincu qu'elle est en mesure de comprendre la langue dans laquelle se tient l'enquête et de communiquer dans cette langue. L'arbitre n'en était manifestement pas convaincu. A mon avis, le fait qu'il sera peut-être impossible de tenir l'en- quête si l'on ne peut trouver un interprète dans la langue voulue, ne libère pas l'arbitre de l'obligation de fournir les services d'un interprète car il s'agit d'un droit fondamental de la personne en cause. En fait, il est possible que celle-ci soit lésée même s'il peut ressortir de son témoignage, comme c'est peut-être le cas en l'espèce, qu'elle était en mesure de compren- dre la langue dans laquelle se tenait l'enquête et de communi- quer dans cette langue.
De même, dans l'affaire Weber précitée, cette Cour a annulé une ordonnance d'expulsion en raison du non-respect d'un règlement sur l'immi- gration similaire à la disposition examinée dans Faiva. Une autre décision de cette Cour qui est pertinente à la question de l'effet du non-respect d'un article de la Loi sur l'immigration de 1976 est l'affaire Singh c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration 6 . Dans cette affaire, la Cour exami- nait la disposition du paragraphe 70(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 qui oblige la personne revendiquant le statut de réfugié et désirant pré- senter à la Commission d'appel de l'immigration une demande de réexamen de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention à
6 [1982] 2 C.F. 785 (C.A.).
annexer à sa demande une copie de l'interrogatoire sous serment et une déclaration assermentée. Dans Singh, la demande était accompagnée d'une copie de l'interrogatoire mais non de la déclaration assermentée. La question posée à la Cour était celle de savoir si la disposition du paragraphe 70(2) prévoyant le dépôt d'une déclaration asser- mentée en même temps que la demande était impérative. La Commission d'appel de l'immigra- tion ne s'est pas penchée sur le fond de la revendi- cation du requérant étant d'avis qu'elle n'avait pas compétence en raison du non-respect du paragra- phe 70(2). Traitant de cette question, le juge suppléant MacKay a dit à la page 798:
S'il est possible de dire que certaines dispositions de cet article, relatives au contenu de la déclaration, constituent des directives, celle portant que la déclaration sous serment doit être déposée avec la demande de réexamen est impérative.
Si la loi donnait au requérant le choix de décider s'il y a lieu de joindre une déclaration à sa demande de réexamen de statut de réfugié, c'est le mot «peut» qui aurait été employé au lieu du mot «doit», au paragraphe 70(2) de la loi.
Je ne trouve rien dans la loi, ni dans les règles qui permette à la Commission de dispenser le requérant de déposer la déclara- tion sous serment, ou encore de procéder au réexamen en l'absence de cette déclaration.
C'est au requérant qu'il incombe de se conformer aux dispo sitions de la loi lorsqu'il présente une demande de réexamen de sa revendication, faute de quoi, il ne peut se plaindre du rejet de sa demande.
Le juge Urie a lui aussi vu dans le paragraphe 70(2) une disposition impérative plutôt que direc tive (voir à la page 796) '. Récemment, dans Cope- land c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, jugement en date du 10 janvier 1984, Division d'appel de la Cour fédérale, A-1171-83, encore inédit, cette Cour a rendu une autre décision au même effet lorsqu'elle a annulé une ordonnance d'expulsion pour le motif que l'arbitre avait fait défaut de respecter le paragraphe 34(2) du Règle- ment adopté en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 qui oblige l'arbitre, avant qu'il ne prenne sa décision et la fasse connaître, à demander à
' À titre de troisième membre de la Cour dans l'affaire Singh, j'ai prononcé des motifs dissidents mais non sur la question de savoir si le mot «doit» utilisé au paragraphe 70(2) avait un sens directif ou impératif. Il ressort implicitement de mes motifs qu'il faut donner au mot «doit» utilisé au paragraphe 70(2) un sens impératif.
l'avocat de présenter ses arguments le cas échéant.
Pour des opinions à l'effet contraire, il faut mentionner les affaires Saraoss, Emms 9 et Schaaf 10 . Dans l'affaire Saraos, la question en litige était celle de savoir si la décision de la Commission d'appel de l'immigration devait être annulée parce que la Commission avait tenu compte de documents autres que ceux mentionnés au paragraphe 70(2) de la Loi sur l'immigration de 1976. C'était l'opinion qu'avait adoptée au départ cette Cour dans un certain nombre de décisions en raison du fait que le terme impératif «doit» est utilisé au paragraphe 71(1) de la Loi. Le juge Pratte, parlant pour la Cour, a conclu que le non-respect de la disposition impérative du para- graphe 71(1) n'invalidait pas la décision de la Commission dans les cas les éléments de preuve en question n'étaient pas préjudiciables au requé- rant et dans les cas où, même s'ils le sont, le requérant ou quelqu'un en son nom a consenti à ce que ces éléments de preuve soient versés au dos sier. Le juge Pratte a conclu toutefois que la décision de la Commission doit être annulée si la preuve est préjudiciable au requérant et si la Com mission l'a prise en considération sans son consentement.
L'affaire Emms portait sur les dispositions impératives du paragraphe 30(3) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique [DORS/67-129]. Aux termes de ce paragraphe: [TRADUCTION] «Lorsque la période de stage d'un employé est prolongée, le sous-chef doit immédia- tement en aviser par écrit l'employé et la Commis sion.» Après avoir examiné l'économie et l'objectif du Règlement, le juge Ryan, parlant pour la Cour, a conclu que la page 183]: «11 est aussi bien de ne pas surcharger le pouvoir de prolongation avec les risques inhérents à l'application littérale, et je ne trouve aucune intention de ce faire.»
Dans Schaaf, les paragraphes 32(1) et 34(2) du Règlement adoptés en vertu de la Loi sur l'immi- gration de 1976 n'avaient pas été respectés. Aux termes du paragraphe 32(1), lors de l'enquête, la personne en cause ou son conseil «doit pouvoir
8 Saraos c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1982] 1 C.F. 304 (C.A.), à la p. 309.
9 Emms c. R., [1978] 2 C.F. 174 (C.A.), à la p. 183.
10 Schaaf c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1984] 2 C.F. 334; 52 N.R. 54 (C.A.).
produire toute preuve qu'elle juge pertinente et que l'arbitre estime recevable». Le paragraphe 34(2), comme je l'ai souligné plus tôt, oblige l'ar- bitre à inviter, avant de prendre sa décision et de la faire connaître, l'avocat à présenter ses arguments. Les juges de la majorité (les juges d'appel Maho- ney et Hugessen) se sont dit d'avis que comme ces erreurs ne pouvaient avoir de conséquences sur l'issue de l'enquête et qu'en fait, elles n'en avaient eu aucune, elles n'invalidaient pas l'enquête. Le juge en chef s'est rallié à la décision proposée par les juges - majoritaires mais pour le motif que le requérant avait renoncé aux droits qui lui étaient conférés par le Règlement par suite des conces sions faites par son avocat à l'enquête.
Que faut-il donc déduire alors de la jurispru dence en général et de la jurisprudence de cette Cour en particulier sur cette question? L'approche qui semble avoir trouvé la faveur des tribunaux est celle que l'on pourrait qualifier de fonctionnelle, savoir, que la Cour tranchera la question à la lumière des faits particuliers de l'espèce après avoir examiné les conséquences pratiques du non- respect. Cette approche est formulée de la façon suivante, à la page 145 de l'ouvrage de de Smith's Judicial Review of Administrative Action, 4e édi- tion: [TRADUCTION] «Souvent, ce sont les consé- quences pratiques de l'exercice d'un pouvoir sur les droits des individus qui vont indiquer si les règles de forme et de procédure pertinentes doivent être qualifiées d'impératives ou de directives.» Faisant mienne cette approche et l'appliquant aux faits tels que je les perçois en l'espèce, j'en viens à la conclusion qu'il ne s'agit pas d'un cas qui devrait être régi par le courant jurisprudentiel établi par les arrêts Saraos, Emms et Schaaf dans lesquels il n'y avait aucun préjudice prouvable ou potentiel. En l'espèce, comme je l'ai souligné plus tôt, le non-respect de la disposition a eu pour consé- quence de priver la requérante d'un examen de sa demande de cautionnement le 22 novembre et elle fut, selon toute probabilité, privée de sa liberté pour deux jours supplémentaires. À mon avis, il s'agit de conséquences graves autorisant la Cour à invalider l'enquête. Je trouve inquiétant qu'un arbitre choisisse de ne pas tenir compte d'une disposition impérative du Règlement conçue pour la protection des deux parties à l'enquête.
Pour ces motifs, j'accueillerais la demande fondée sur l'article 28 et annulerais l'ordonnance d'expulsion dont il est question aux présentes.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: La présente demande fondée sur l'article 28 tendant à l'annulation de la décision de l'arbitre d'ordonner l'expulsion de la requérante soulève une seule question, celle de savoir si l'arbi- tre avait ou non compétence pour rendre l'ordon- nance attaquée.
Voici, en bref, les circonstances ayant donné lieu au présent litige. Dans la matinée du jeudi 18 novembre 1982, une enquête a eu lieu conformé- ment à la Loi sur l'immigration de 1976 («la Loi») en vue de déterminer si la requérante, alors déte- nue, devait ou non être expulsée parce qu'elle avait négligé de quitter le Canada avant la date précisée dans l'avis d'interdiction de séjour qui lui avait été signifié au début de 1981. Plus tard ce jour-là, après plusieurs ajournements, un avocat a com- paru au nom de la requérante. A la demande de ce dernier, l'enquête fut ajournée jusqu'au lundi 22
novembre 1982 13 heures afin qu'il puisse se préparer. Entre-temps, la requérante est restée en détention.
Le dossier est imprécis sur ce qui s'est produit au moment qui avait été fixé pour la reprise de l'enquête le 22 novembre, mais apparemment, durant la fin de semaine la requérante avait été arrêtée en vertu d'un article de la Loi sur l'immi- gration de 1976 et se trouvait sous garde dans un endroit différent de celui elle avait été détenue auparavant. Elle n'a pas comparu à l'endroit et à l'heure fixés pour la reprise de l'enquête, ce que fit toutefois son avocat. Malheureusement, il n'y a absolument rien au dossier qui indique ce qui s'est passé en la présence de l'avocat le 22 novembre. Cependant, pour ce qui est du 24 novembre 1982, on trouve une [TRADUCTION] «Transcription de la REPRISE de l'enquête au Centre d'immigration du Canada ... à 15 h 30 ...» M. Goldstein, l'avocat de la requérante, de même que M. Fader, l'agent chargé de présenter le cas qui était présent à l'audition du 18 novembre, ont comparu devant l'arbitre, M me Shaw. Après quelques protestations de la part de M. Goldstein, protestations dont la
nature sera révélée plus loin, l'enquête s'est pour- suivie et l'arbitre aurait ordonné l'expulsion de la requérante si cette dernière n'avait revendiqué le statut de réfugiée au sens de la Convention. En conséquence, l'enquête fut ajournée, conformé- ment à l'article 45 de la Loi, pour l'examen de la prétention de la requérante au statut de réfugiée.
L'enquête fut finalement reprise le 17 mai 1984 après que l'on eut déterminé que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. On ordonna son expulsion. C'est cette ordonnance que la requérante attaque au motif que toutes les procédures postérieures au 18 novembre 1982 sont illégales en ce que, par suite de son défaut de reprendre l'enquête au moment qui avait été fixé lors de l'ajournement, c'est-à-dire à 13 heures le 22 novembre 1982, l'arbitre a perdu compétence en vertu de l'article 35 du Règlement sur l'immigra- tion de 1978. En conséquence, toutes les procédu- res ultérieures ont eu lieu devant un arbitre n'ayant pas compétence et l'ordonnance d'expul- sion était donc nulle.
L'article 35 du Règlement porte:
35. (1) L'arbitre qui préside l'enquête peut l'ajourner à tout moment afin de veiller à ce qu'elle soit complète et régulière.
(2) L'enquête ajournée selon le présent règlement ou le [sic] paragraphe 29(5) de la Loi doit reprendre à l'heure et à l'endroit prescrits par l'arbitre présidant l'enquête.
(3) L'enquête ajournée selon la Loi ou le présent règlement peut, avec le consentement de la personne en cause ou lorsque aucune preuve réelle n'a été produite, être reprise par un arbitre autre que celui qui a présidé l'enquête ajournée.
(4) Lorsqu'une preuve réelle a été produite à une enquête ajournée et que la personne en cause refuse de consentir à la reprise de l'enquête par un arbitre autre que celui qui a présidé l'enquête ajournée, il faut recommencer l'enquête.
L'avocat a soutenu que la perte de compétence découlait du défaut de l'arbitre de se conformer à l'exigence impérative énoncée au paragraphe (2) par la phrase «doit reprendre à l'heure et à l'en- droit prescrits par l'arbitre».
Il serait utile, je crois, de reproduire en entier la transcription de ce qui s'est passé au début de la «Reprise de l'enquête ...» le 24 novembre 1984, une fois accomplies les formalités préliminaires.
[TRADUCTION] ARBITRE (ARB) Merci. M. Fader, voulez-vous, s'il vous plaît, pour fins de consignation au dossier, donner lecture de la directive et du rapport.
L'AGENT CHARGÉ DE PRÉSENTER LE CAS (ACPC) Oui.
L'AVOCAT (Av) Juste un moment, avant que M. Fader ne commence, je suis un brin confus. J'ai comparu dans cette affaire le 18 novembre 1982 devant M. Smith, l'arbitre, et l'affaire a été ajournée jusqu'au lundi, ce lundi, 22 novembre 1982.
ARB Oui. Excusez-moi, j'aurais expliquer que l'arbitre Smith ne pouvait être présent aujourd'hui. Et le dos sier indique que la directive et le rapport n'ont pas été consignés.
AV Ouais, j'ai un seul commentaire à formuler. Je suis venu ici le 22 novembre, prêt pour l'enquête en com- pagnie des deux observateurs indiqués, et on m'a signalé que Mue Kosley n'assisterait pas à l'enquête car elle était alors sous la garde d'autres officiers de la Cour sur la rue Main. J'ai alors fait part à M. Gordon de mes préoccupations quant à ce qui se produirait et M. Gordon m'a souligné que comme elle était sous la garde de—devant les tribunaux de juridiction crimi- nelle—que cette question serait réglée.
ARB Excusez-moi, s'il vous plaît, permettez à l'interprète de traduire.
AV Oui. Très bien.
(L'interprète s'est exécuté)
AV Et ensuite, une fois que cette question serait réglée, elle serait ramenée à l'enquête une autre demande de cautionnement pourrait être présentée. Mainte- nant, la question, ou le litige est le suivant, cette enquête avait été convoquée pour lundi. J'étais ici. On m'a donné à entendre que M. Gordon du Ministère était ici mais il ne s'est rien passé. Et sûrement, la procédure à suivre et votre premier souci, comme cette enquête devait avoir lieu ce jour-là précisément, devraient être de vous demander pourquoi cette per- sonne est sous garde et nous devrions avoir la possibi- lité de faire des représentations quant au cautionne- ment.
ARB Vous n'êtes pas prêt à procéder aujourd'hui?
AV Bien, je, c'est que—Madame l'arbitre, si vous compre- nez mon problème, à un moment on me dit une chose. Je viens ici lundi pour je suis prêt à procéder, mais ce que je dis c'est qu'on m'a dit que lorsque cette dame reviendrait du Ministère à un moment donné, que le Ministère envisagerait alors une demande de cautionnement, et c'est ce qui m'intéresse pour le moment. Je me suis alors présenté ici aujourd'hui. M. Fader a communiqué avec moi ce matin pour m'indi- quer qu'elle était revenue du Ministère. Maintenant, ou bien nous continuons quelque chose ou bien il s'agit d'une toute nouvelle enquête.
ARB Ceci est la reprise de l'enquête qui a débuté le 18 novembre 1982.
AV Et moi je vous dis que—
ARB Il semble qu'entre-temps on avait fixé la reprise à une autre date; je ne suis pas certaine, vous dites lundi?
AV Lundi, oui, à 13 heures.
ARB Et en raison de circonstances sur lesquelles l'arbitre n'avait aucun contrôle, cette reprise n'a pas eu lieu; elle a lieu maintenant.
AV Et je dis que la première question qu'il vous faut examiner est la demande de cautionnement.
ARB Je n'ai aucune raison d'examiner à ce moment-ci la question du cautionnement. La reprise qui était prévue pour le 22 était, c'était pour l'enquête. De sorte que c'est ce qui va avoir lieu aujourd'hui.
AV Mais cette enquête n'a pas eu—en d'autres mots, ce que je dis, ce n'était pas, cette enquête qui devait avoir lieu le 22 n'a pas été ajournée par M. Smith. C'était simplement, je suis venu ici. Ils ont dit que MDC Kosley n'était pas ici; elle est entre les mains des autorités fédérales, et ils ne savaient pas quand elle reviendrait ici. Et ce que je dis c'est, s'il n'y a pas eu ajournement le 22 alors ceci, selon moi, n'est pas la reprise de cette audition; il s'agit, en fait, d'une nouvelle audition il devrait être question d'une demande de cautionne- ment pour la mise en liberté de cette personne.
ARB Bien, cette question peut être abordée si je conclus que la personne est visée par l'article de la Loi sur l'immigration. Je n'ai aucune raison de me pencher à ce moment-ci sur la question de la détention. Il est très possible qu'il ne s'agisse pas d'une personne visée.
AV Bon, c'est possible, mais ...
ARB J'estime que nous n'avançons pas beaucoup en ne nous penchant pas sur les allégations.
M. Fader, voulez-vous donner lecture de la directive et du rapport s'il vous plait.
Plusieurs faits ressortent de cette échange:
1. L'arbitre qui a présidé le 18 novembre 1982, M. Smith, n'a pas présidé l'audience du 24 novembre et personne ne s'est opposé à ce chan- gement. l'audience, devant cette Cour, l'avo- cat a reconnu que comme aucun élément de preuve n'avait été présenté, le changement d'ar- bitre était valide.)
2. L'avocat représentant la requérante le 18 novembre, M. Goldstein, avait également com- paru les 22 et 24 novembre.
3. L'agent chargé de présenter le cas était le même le 18 novembre et le 24 novembre, soit M. Fader. On ne sait pas si c'est lui qui était présent le 22 novembre.
4. Un monsieur Gordon «du Ministère« a ren- contré M. Goldstein le 22 novembre. On ne sait pas avec certitude s'il a comparu à titre d'arbitre ou d'agent chargé de présenter le cas.
5. Peu importe ce qui s'est passé le 22 novembre, quelqu'un a alors fixé la date de reprise de l'enquête au 24 novembre car non seulement les deux avocats, M. Fader et M. Goldstein ainsi
que sa cliente, ont-ils comparu, mais le nouvel arbitre, Mme Shaw, a fait de même. De toute évidence, ni M. Fader ou quelqu'un comparais- sant pour lui ni M. Goldstein n'auraient pu fixer le moment et l'endroit de cette reprise. Il a fallu que ce soit un arbitre qui prononce ce nouvel ajournement à un endroit et à un moment déter- minés, si j'ai bien compris les exigences de l'arti- cle 29 de la Loi. Est-ce M. Gordon qui l'a fait, c'est loin d'être clair. Ce qui est clair toutefois, c'est que quelqu'un qui en avait le pouvoir l'a fait puisque les deux avocats, la requérante et l'arbitre se sont réunis pour l'enquête le 24 novembre à 15 h, heure à laquelle ils ont pro- cédé jusqu'à ce qu'une décision soit rendue.
À la lumière de tout ce qui précède, il est manifeste que le seul élément qui manque au dossier est la transcription de ce qui s'est passé à 13 h le 22 novembre. Pour autant que j'ai pu m'en assurer par moi-même ou auprès des avocats, ni la Loi ni le Règlement n'exigent de façon spécifique la transcription des procédures lors d'une enquête. Toutefois, dans la pratique, on le fait habituelle- ment. Cette pratique est prudente car il peut arri- ver, comme c'est le cas en l'espèce, que le défaut de le faire amène à spéculer sur ce qui s'est passé. S'il faut spéculer et qu'aucune déduction raisonna- ble ne puisse être tirée des faits connus et, évidem- ment, si cette déduction va à l'encontre des droits de la personne en cause, il faut se garder de faire quelque déduction que ce soit. Toutefois, en l'es- pèce, la seule déduction raisonnable qui peut être tirée des faits connus est qu'un arbitre a, au moment et à l'endroit qui avaient été fixés pour la reprise de l'enquête, ajourné, pour une raison vala- ble, ladite enquête jusqu'au 24 novembre à 15 h, heure à laquelle la requérante et son avocat se sont présentés. Malgré le deuxième ajournement, ils étaient tous deux prêts à procéder et c'est ce qu'ils ont effectivement fait. La requérante n'a pas subi le moindre préjudice par suite du défaut de trans- crire les procédures du 22 novembre ou par suite de l'ajournement jusqu'au 24 novembre. Par con- séquent, à la lumière des faits connus et de la déduction raisonnable qui peut en être tirée, j'en viens à la conclusion que le 22 novembre, l'enquête a de nouveau été ajournée jusqu'au 24 novembre 1982 15 h. Selon moi, il n'y a donc pas eu perte de compétence puisqu'on n'a pas fait défaut de se conformer aux exigences du paragraphe 35(2) du Règlement.
Je tiens à ajouter que de toute façon, j'estime qu'il appartenait à la requérante de solliciter une modification du dossier en apportant des éléments de preuve par voie d'affidavit afin de convaincre la Cour qu'il n'y avait pas eu reprise de l'audition ajournée au moment et à l'endroit précisés, si elle souhaitait voir accueillir son objection quant à la compétence. Dans des circonstances comme celles de l'espèce, c'est à la personne alléguant l'absence de compétence qu'il incombe d'établir, à première vue au moins, son allégation. En l'espèce, la requé- rante a négligé de le faire.
Même si ma conclusion sur les faits est erronée, il existe de la jurisprudence de cette Cour qui, me semble-t-il, tranche la question. Dans Mavour c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1984] 2 C.F. 122 (C.A.), l'avocat de la requérante a attaqué la validité de la décision de l'arbitre au motif que celle-ci avait perdu compétence pour poursuivre l'enquête faute de l'avoir reprise le 30 mars 1983, date à laquelle elle avait été ajournée. Aux pages 129 et 130 du jugement, le juge Le Dain a souligné que l'attaque reposait sur le prin- cipe énoncé comme suit par le juge Dickson, tel était alors son titre, dans R. c. Krannenburg, [ 1980] 1 R.C.S. 1053, la page 1055:
«11 est reconnu depuis longtemps dans notre droit qu'une cour d'instance inférieure peut perdre juridiction en raison d'une irrégularité de procédure, comme par exemple, lorsque le jour auquel la comparution du prévenu a été renvoyée ou auquel l'affaire a été ajournée se passe sans qu'il y ait d'audition ou de comparution, "sans que rien ne se fasse".» Ce principe, établi pour la première fois par la Cour suprême dans Trenhoim v. The Attorney -General of Ontario, [1940] R.C.S. 301, a été retenu dans plusieurs autres affaires, mais pour autant que j'ai pu le constater, il a toujours été appliqué par les juridictions répressives et aux poursuites pénales. L'avocat de la requérante n'a pu citer aucune décision et je n'en ai trouvé aucune, ce principe aurait été appliqué devant un tribunal administratif, qu'il exerce ou non des pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires. A mon avis, ce n'est pas un principe qu'il convient d'appli- quer aux tribunaux administratifs puisqu'ils doivent jouir d'une certaine latitude pour ajourner et reprendre les enquêtes qu'ils mènent. Cette latitude ressort du paragraphe 35(2) du Règle- ment sur l'immigration de 1978 qui prévoit: «L'enquête ajour- née selon le présent règlement ou le paragraphe 29(5) de la Loi doit reprendre à l'heure et à l'endroit prescrits par l'arbitre présidant l'enquête.» Je ne crois pas que la possibilité qu'il y ait détention justifie l'application du principe établi dans Krannen- burg au cas l'on omet de reprendre l'enquête à la date prévue après l'ajournement. Le paragraphe 104(6) de la Loi prévoit la révision régulière des motifs justifiant la prolongation de la détention et ce, indépendamment du progrès de l'enquête. Je suis donc d'avis que l'arbitre n'a pas perdu sa compétence faute d'avoir repris l'enquête le 30 mars 1983, date prévue pour
la reprise de l'enquête.
Cette approche est conforme, si je puis respec- tueusement me permettre, à celle formulée par le juge Laskin, tel était alors son titre, dans Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks, [ 1974] R.C.S. 850, à la page 854:
Je ne vois également aucun motif d'introduire dans des procé- dures administratives d'expulsion, bien qu'elles soient entourées de toutes les garanties d'une audition judiciaire, les considéra- tions très différentes qui régissent les accusations criminelles.
J'en viens donc à la conclusion que la bonne administration de la justice, la courtoisie judiciaire ou la règle du stare decisis (peu importe comment on appelle ce principe) exige que l'on suive la décision de cette Cour dans l'affaire Mavour car on ne m'a certes pas convaincu que cette décision était incorrecte (comparez avec Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration c. Widmont, [ 1984] 2 C.F. 274 (C.A.)). Cela étant, la prétention de la requérante suivant laquelle l'arbitre a, en l'espèce, perdu compétence doit être rejetée.
En conséquence, je rejetterais la demande fondée sur l'article 28.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
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