A-1198-84
Commission de l'Emploi et de l'Immigration du
Canada (requérante)
c.
Martial Roy (intimé)
et
M. le juge Yvon Pinard, juge-arbitre (mis - en-
cause)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et MacGui-
gan—Montréal, 11 septembre; Ottawa, 23 octobre
1985.
Assurance-chômage — L'intimé s'est trouvé un nouvel
emploi après avoir perdu le sien par suite d'un arrêt de travail
dû à un conflit collectif — L'intimé exerçait-il «quelque autre
occupation d'une façon régulière» au sens de l'art. 44(1)c) de
la Loi? — Interprétation de l'arrêt rendu par la Cour suprême
du Canada dans l'affaire Abrahams c. Procureur général du
Canada — Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-
71-72, chap. 48, art. 3(2)b), 44(1)b),c),(2), 58 — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 28
Règlement sur l'assurance-chômage, C.R.C., chap. 1576, art.
49.
Martial Roy, Marcel Cournoyer et Gratien Jacques, intimés
dans la présente cause et dans les causes n°' A-1199-84 et
A-1201-84 respectivement, étaient, depuis plusieurs années, des
employés permanents de la Compagnie Sidbec-Feruni située au
Québec. Ils ont perdu leur emploi en raison d'un arrêt de travail
attribuable à un conflit collectif. Les trois comptaient reprendre
leur emploi une fois le conflit réglé. Entre temps, tous trois se
sont trouvés un autre emploi. L'emploi temporaire de l'intimé,
qui consistait à effectuer des travaux d'entretien d'un kiosque
de vente de crèrrïe glacée, ne devait durer que quelques jours,
mais au départ la durée exacte n'était pas connue. Jacques, un
opérateur de locomotive, a été embauché exceptionnellement
par une compagnie de distribution d'eau gazeuse et son travail
consistait à laver les bouteilles. Il a travaillé un total de 65
heures réparties inégalement sur trois semaines. Cournoyer, un
forgeron, a travaillé dans une conserverie depuis la fin de juillet
jusqu'à la fin de la récolte en octobre. Il s'agit de déterminer si,
eu égard aux directives établies par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Abrahams, il faut considérer que les
intimés exerçaient «quelque autre occupation d'une façon régu-
lière», au sens de l'alinéa 44(1)c) de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage, mettant ainsi fin à l'inadmissibilité au
bénéfice des prestations tant que durerait le conflit de travail.
La Commission a répondu négativement dans les trois cas mais
le conseil arbitral et le juge-arbitre ont décidé, au contraire, que
tous trois avaient exercé «quelque autre occupation d'une façon
régulière». Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28
tendant à l'examen et à l'annulation de la décision du
juge-arbitre.
Arrêt (le juge Marceau dissident en l'espèce et dans la cause
n° A-1201-84): les demandes doivent être rejetées.
Le juge Pratte: Il a été décidé dans la cause Abrahams qu'un
employé en grève pouvait exercer un emploi «d'une façon
régulière» au sens de l'alinéa 44(1)c) même si cet employé
entendait abandonner ce nouvel emploi à la fin de la grève afin
de retourner à son emploi habituel. Comme le juge-arbitre, la
Cour suprême a estimé que la caractéristique essentielle n'avait
pas trait à la durée de l'emploi mais à la régularité de l'horaire
de travail. La Cour suprême a préféré cette interprétation
premièrement, parce que le législateur n'a pas spécifié, comme
il aurait pu le faire, que la durée de l'emploi était un élément
essentiel à sa régularité, deuxièmement, parce que l'interpréta-
tion suivant laquelle «d'une façon régulière» signifierait «d'une
façon permanente» inciterait les employés en grève à ne pas
travailler, ce qui serait inconciliable avec le but poursuivi par le
législateur en édictant le paragraphe 44(1), qui est d'éviter les
fraudes et les abus et, troisièmement, parce que, en cas de
doute, la Loi doit être interprétée de façon à favoriser le
paiement des prestations à ceux qui en ont besoin. Bien que
l'idée de continuité et celle de régularité de l'horaire de travail
présupposent nécessairement une certaine durée, lorsqu'un
employé a été réellement embauché pour effectuer un certain
travail suivant un horaire régulier de travail, comme c'est le cas
en l'espèce, cet employé, lorsqu'il commence à travailler, exerce
une occupation d'une façon régulière au sens de l'alinéa
44(1)c).
Le juge MacGuigan: L'arrêt Abrahams a reconnu deux
conditions à la régularité du travail qu'exige l'alinéa 44(1)c): la
première est l'absence de fraude; la seconde impose au presta-
taire l'obligation d'établir positivement qu'il exerçait une autre
occupation de façon régulière. La seule régularité exigée de
l'emploi dépend de la nature du travail lui-même. Par consé-
quent, un emploi saisonnier n'exige qu'une durée saisonnière,
un emploi à court terme, une durée temporaire. La question de
savoir si l'emploi n'a pas duré assez longtemps pour être
accepté comme un emploi véritable est une question de fait. En
l'espèce, il n'était pas question de fraude et, compte tenu des
faits et en appliquant les règles de l'arrêt Abrahams, l'intimé
occupait d'une façon régulière une nouvelle occupation.
Le juge Marceau (dissident en l'espèce et dans la cause n°
A-1201-84): Relativement à l'interprétation de l'alinéa 44(1)c),
l'arrêt Abrahams a mis fin à une jurisprudence établie de
longue date du juge-arbitre. Auparavant, la plupart des juges-
arbitres prenaient l'expression «exercer quelque autre occupa
tion d'une façon régulière» dans le sens de s'engager dans des
fonctions nouvelles de façon à attester d'un certain éloigne-
ment, d'une dissociation, d'un désintéressement de l'issue du
conflit syndical.
Les faits ne sont pas contestés et ne l'ont jamais été devant
les instances inférieures. Le litige porte sur la qualification qu'il
faut en faire et cela soulève de toute évidence une question de
droit. Les mots-clés de toute la pensée qui se dégage de l'arrêt
Abrahams sont les mots «engagement formé». La «forme de
fraude» dont il est question comme étant le «mal» que le
Parlement a voulu éviter, est celle résultant de l'exercice d'une
occupation, mais sans engagement ferme et sérieux et dans le
seul but de contourner le principe d'inadmissibilité établi par
l'article 44, sans cette sorte d'engagement véritable qu'est prêt
à assumer celui qui cherche à sortir de sa situation de sans-
emploi. Cette interprétation doit être préférée à celle du conseil
arbitral et du juge-arbitre qui, en faisant de la régularité de
l'horaire de travail et de l'absence de fraude les seuls éléments à
considérer, enlève au principe d'inadmissibilité de l'article 44
une grande part de sa portée en le rendant excessivement facile
à contourner. Elle doit aussi être préférée à celle de la Commis
sion qui, en rendant possible la disqualification systématique de
tout emploi qui n'est pas permanent en soi, tient peu compte de
la réalité pratique et est difficilement conciliable avec l'esprit
libéral qui, selon la Cour suprême, doit présider à l'interpréta-
tion des dispositions applicables en l'espèce. Par conséquent, la
présente demande et celle présentée dans le cas du dossier n°
A-1201-84 doivent être accueillies, et la requête dans le dossier
n° A-1199-84 doit être rejetée.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Abrahams c. Procureur généra! du Canada, [1983] I
R.C.S. 2, infirmant [1982] 1 C.F. 839 (C.A.).
AVOCATS:
J. Levasseur et G. Leblanc pour la requérante.
R. Cousineau et G. Campeau pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
Campeau, Cousineau & Ouellet, Montréal,
pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Monsieur le juge Marceau
relate les faits qui ont donné naissance à ces trois
litiges et il expose clairement le problème qu'ils
soulèvent. Je n'ai pas à répéter ce qu'il a déjà dit.
Il faut donc préciser l'interprétation que doit
recevoir l'alinéa 44(1)c) de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48]'
depuis l'arrêt de la Cour suprême dans Abrahams
' Le texte du paragraphe 44(1) de cette Loi est le suivant:
44. (1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un
arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou
en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible
au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une
des éventualités suivantes, à savoir:
a) la fin de l'arrêt du travail,
b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs
dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la
sienne,
c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation
d'une façon régulière.
c. Procureur général du Canada 2 .
Dans cette affaire Abrahams, la Cour suprême
a infirmé un arrêt de cette Cour et rétabli la
décision d'un juge-arbitre à l'effet qu'un employé
en grève pouvait exercer un emploi «d'une façon
régulière» au sens de l'alinéa 44(1)c) même si cet
employé avait l'intention d'abandonner ce nouvel
emploi dès la fin de la grève afin de retourner alors
à son emploi habituel. Madame le juge Wilson,
parlant au nom de la Cour, se demanda d'abord
quelle interprétation devait recevoir les mots
«d'une façon régulière» dans l'alinéa 44(1)c). Elle
répondit à cette question en approuvant dans les
termes suivants [à la page 8] les motifs que le
juge-arbitre avait donnés à l'appui de sa décision:
Le juge-arbitre a conclu que «d'une façon régulière» ne vise
pas la durée de l'emploi, mais plutôt sa «continuité». 11 faut
opposer l'expression à «occasionnel» ou «intermittent». Par
exemple une personne n'exerce pas un emploi «d'une façon
régulière» si elle ne doit se présenter au travail que sur appel.
«D'une façon régulière», selon lui, exige un cadre fixe plutôt
qu'une période fixe d'emploi. Deux jours par semaine peuvent
constituer un emploi «régulier». Faire un quart précis de travail
chaque jour peut constituer un emploi «régulier». La caractéris-
tique essentielle n'a pas trait à la durée de l'emploi mais à la
régularité de l'horaire de travail. Il ressort implicitement de
cette interprétation que l'emploi n'a pas besoin d'être de longue
durée. Il peut durer le temps d'une grève seulement, pour
autant qu'il est régulier pendant qu'il dure.
À mon avis, il faut préférer cette interprétation pour de
multiples raisons.
Madame le juge Wilson poursuivit en exposant les
motifs qui lui faisaient préférer cette interprétation
à celle que cette Cour avait adoptée. La première
de ces raisons était que si la durée de l'emploi était
un élément essentiel à sa régularité, il aurait été
facile au législateur de le dire; la seconde était que
l'interprétation retenue par la Cour d'appel, sui-
vant laquelle «d'une façon régulière» aurait signifié
«d'une façon permanente», inciterait les employés
en grève à ne pas travailler, ce qui serait inconci-
liable avec le but poursuivi par le législateur en
édictant le paragraphe 44(1). Parlant ainsi du but
que visait le Parlement, Madame le juge Wilson
s'exprima comme suit [aux pages 9 et 10]:
Je suis venue à la conclusion que ce que le législateur a encore
voulu éviter, c'est une forme de fraude envers la Commission.
Un emploi fictif dans une autre occupation ne devrait pas avoir
l'effet de rétablir l'admissibilité aux prestations. Il faut que ce
soit un emploi «régulier» et non un emploi d'un jour ou deux, ici
et là, sans engagement ferme de la part du prestataire ou de son
2 [1983] 1 R.C.S. 2.
nouvel employeur. Le but du législateur, en insérant des réser-
ves par l'adverbe dans un alinéa et par la locution adverbiale
dans l'autre, a été, à mon avis, d'empêcher que l'article ne
donne lieu à des abus. Je crois que le législateur a voulu le
rétablissement de l'admissibilité aux prestations si le prestataire
a obtenu un emploi de bonne foi ailleurs dans son occupation
habituelle ou s'il a obtenu un emploi régulier dans une autre
occupation; il n'a pas voulu de demandes «bidon» de prestations.
Quant à la troisième raison donnée par Madame
le juge Wilson à l'appui de son interprétation,
c'était que, en cas de doute, les dispositions de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage doivent être
interprétées de façon à favoriser le paiement des
prestations d'assurance-chômage à ceux qui en ont
besoin.
Ainsi, les seuls passages de cette décision où
Madame le juge Wilson interprète l'alinéa 44(1)c)
sont ceux que j'ai cités où, d'abord, elle résume et
approuve la décision du juge-arbitre et où, ensuite,
parlant du but de l'alinéa 44(1)c), elle affirme
qu'un «emploi d'un jour ou deux, ici et là, sans
engagement ferme de la part du prestataire ou de
son nouvel employeur» ne serait pas un emploi
régulier. C'est le premier de ces deux passages qui
me parait le plus important. Madame le juge
Wilson y dit clairement que ce qui importe pour
déterminer si un emploi est exercé de façon régu-
lière, ce n'est pas la durée de l'emploi mais, plutôt,
sa continuité ou, plus exactement, la régularité de
l'horaire de travail imposé à l'employé. Il résulte
nécessairement de cette affirmation qu'un emploi
ne peut être exercé régulièrement s'il s'agit d'un
emploi pour un temps si court qu'il soit impossible
de juger de sa continuité. En effet, l'idée de conti-
nuité et celle de régularité de l'horaire de travail
présupposent nécessairement une certaine durée.
Comment savoir si un employé a un horaire régu-
lier s'il n'a été embauché que pour une journée?—
C'est à cause de cela, je le crois, que le juge
Wilson, au début du premier passage précité, a
affirmé que le mot «régulier» s'oppose non seule-
ment à «intermittent» mais aussi à «occasionnel».
Celui qui exerce une occupation de façon occasion-
nelle ne l'exerce donc pas de façon régulière.
Quand exercera-t-on un emploi de façon occasion-
nelle?—Lorsque, à mon avis, on s'engagera pour
un laps de temps si bref qu'il sera vraiment impos
sible dé juger de la régularité de l'horaire de
travail. Celui qui obtient un emploi temporaire qui
est susceptible de durer longtemps peut, dans un
certain sens, être un employé occasionnel; je ne
peux cependant croire, si j'ai présent à l'esprit le
but de l'alinéa 44(1)c), qu'il s'agisse là d'un emploi
occasionnel au sens où l'entendait le juge Wilson
dans sa décision. Dès lors, donc, qu'un employé a
été réellement embauché pour effectuer un travail
suivant un horaire régulier de travail, cet employé,
lorsqu'il commence à travailler, exerce une occu
pation d'une façon régulière au sens de l'alinéa
44(1)c).
Il s'ensuit que, dans ces trois affaires, je ne peux
trouver dans la décision du juge-arbitre aucune
erreur qui puisse justifier l'intervention de la Cour.
Je rejetterais la demande.
* * *
Voici les motifs du jugment rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU (dissident): J'ai pensé
regrouper, pour fins d'analyse, ces trois demandes
d'examen et d'annulation faites en vertu de l'arti-
cle 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970
(2e Supp.), chap. 10]. Bien que les parties en litige
ne soient pas les mêmes et que les faits diffèrent de
l'une à l'autre, elles soulèvent toutes trois le même
problème de fond et la possibilité de considérer ce
problème en même temps par rapport à trois con-
textes de faits distincts m'est apparu fort utile. Les
trois décisions attaquées, d'ailleurs, émanent du
même juge-arbitre agissant sous l'autorité de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, et elles ont
été rendues ensemble appuyées de motifs identi-
ques.
Le problème qui se soulève a trait à l'interpréta-
tion de l'une de ces dispositions bien connues de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage qui ont trait
à l'inadmissibilité au bénéfice des prestations de
celui qui perd son emploi par suite d'un arrêt de
travail dû à un conflit collectif, dispositions conte-
nues à l'article 44 dont on peut au départ rappeler
les deux premiers paragraphes dans leur intégra-
lité:
44. (1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un
arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou
en tout autre local où il exercait un emploi n'est pas admissible
au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une
des éventualités suivantes, à savoir:
a) la fin de l'arrêt du travail,
b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs
dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la
sienne,
c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation
d'une façon régulière.
(2) Le paragraphe (1) n'est pas applicable si le prestataire
prouve
a) qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt
du travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directe-
ment intéressé; et
b) qu'il n'appartient pas au groupe de travailleurs de même
classe ou de même rang dont certains membres exerçaient,
immédiatement avant le début de l'arrêt du travail, un
emploi à l'endroit où s'est produit l'arrêt du travail et partici-
pent au conflit collectif, le financent ou y sont directement
intéressés.
Les règles contenues dans cet article, qui vise
tous les cas de grève ou de lock-out, ont une
importance et une portée pratiques manifestement
considérables et on comprend sans peine que cha-
cune d'elles ait pu déjà faire l'objet de maintes
controverses qui ont donné lieu à de multiples
décisions. Et pourtant, il s'agit ici, en quelque
sorte, d'une primeur. Le 25 janvier 1983, la Cour
suprême, dans une affaire Abrahams c. Procureur
général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, prononçait
un arrêt qui, relativement à l'interprétation de
l'alinéa c) du paragraphe (1) de l'article, mettait
fin à une jurisprudence élaborée de longue date du
juge-arbitre et ouvrait quant à sa mise-en-ceuvre
une ère tout-à-fait nouvelle. C'est la première fois
que cette Cour est appelée à analyser cet arrêt
Abrahams pour en assurer une application con-
forme à ses directives.
Jusqu'en 1983, les juges-arbitres avaient tou-
jours refusé d'interpréter sans quelque rigueur la
disposition contenue dans cet alinéa c) du paragra-
phe 44(1). Ils invoquaient le caractère fondamen-
tal, dans l'économie générale de la Loi, de l'inad-
missibilité de principe édictée à l'article: une
inadmissibilité qui vise à dénier à des employés
inactifs mais non véritablement en chômage l'accès
à des fonds destinés essentiellement à aider des
travailleurs qui, après avoir perdu leur emploi, ne
parviennent pas à s'en trouver immédiatement un
nouveau; une inadmissibilité qui aussi assure que
le versement de prestations ne viendra pas fausser
le jeu des forces économiques devant présider à la
solution des conflits ouvriers. Ces limites que les
alinéas b) et c) apportent à l'application d'un
principe aussi fondamental, devaient, selon eux, se
comprendre en fonction de l'idée qui paraissait les
avoir motivées, soit la disparution d'une influence
possible sur la poursuite de la grève. C'est ainsi
que la plupart d'entre eux avaient été conduits à
prendre l'expression «exercer quelque autre occup-
tion d'une façon régulière» utilisée à l'alinéa c)
dans le sens de s'engager dans une fonction nou-
velle de façon à attester d'un certain éloignement,
d'une dissociation, d'un désintéressement de l'issue
du conflit collectif. Il y avait là une exigence qui
ne se retrouvait pas de façon expresse à l'alinéa b)
puisque l'expression «engagement de bonne foi» là
utilisée s'entendait, aux termes d'un règlement
spécial, comme étant simplement l'exercice réel
d'un emploi pendant au moins deux semaines con-
sécutives (voir l'article 49 du Règlement sur l'as-
surance-chômage [C.R.C., chap. 1576]). Mais
l'alinéa b) s'appliquait à l'employé qui s'engage
ailleurs dans l'occupation qui est la sienne, donc
pour exercer son propre métier chez un compéti-
teur de son employeur, et peut-être avait-on pensé
que son geste témoignait plus aisément de sa déso-
lidarisation avec ses compagnons grévistes. Aucun
pouvoir de réglementation n'avait été prévu quant
à l'alinéa c) (voir l'article 58 de la Loi) et le texte
là ne pouvait qu'être compris dans son contexte,
sans plus. De toute façon, il était acquis, dans la
jurisprudence arbitrale dominante, que celui qui ne
s'était jamais détaché du résultat de la grève, avait
toujours voulu en profiter et n'avait nullement mis
en cause le lien qui l'unissait à son employeur, ne
pouvait prétendre «avoir exercé de façon régulière»
l'occupation «autre que la sienne» à laquelle il
s'était consacré un certain temps pendant la grève.
C'est cette jurisprudence arbitrale dominante
que l'affaire Abrahams mettait directement en
cause devant la Cour suprême. Les faits ne pou-
vaient être plus typiques. Moins d'un mois après le
début de la grève qui lui avait fait perdre son
emploi de foreur, l'appelant Abrahams s'était
engagé comme aide-infirmier dans un hôpital. Il
avait travaillé ainsi comme aide-infirmier pendant
sept mois à raison de trois jours par semaine et de
sept heures et demi par jour, et c'est malgré lui,
pour subir une intervention chirurgicale, qu'il avait
dû quitter. Abrahams, cependant, avait admis, en
présentant sa demande de prestations, qu'il n'avait
jamais voulu laisser son métier de foreur et enten-
dait reprendre son emploi dès que, suite à la
solution du conflit collectif, il serait mis fin à
l'arrêt de travail qui paralysait les activités de son
ancien employeur; aussi, cette Cour [[1982] 1 C.F.
839] avait-elle reproché au juge-arbitre de s'être
dissocié de la jurisprudence dominante en affir-
mant que le prestataire avait pu, malgré le main-
tien de son intérêt dans le conflit, exercer son
emploi d'aide-infirmier de façon régulière au sens
de l'alinéa c).
Dans un arrêt rapporté à [1983] 1 R.C.S. 2, la
Cour suprême cassa la décision de cette Cour. À
son avis, il n'y avait pas lieu d'interpréter l'alinéa
c) en y introduisant cet élément subjectif de désin-
téressement ou de coupure définitive avec le conflit
collectif. La nature de la Loi exigeait que ses
dispositions favorables à l'octroi de bénéfices
soient interprétées de façon libérale et le juge-arbi-
tre avait eu raison de rejeter l'approche restrictive
que ses collègues avaient adoptée. Formulant les
motifs de jugement pour la Cour, Madame le juge
Wilson écrit (à la page 8 du rapport):
Le juge-arbitre a conclu que «d'une façon régulière» ne vise
pas la durée de l'emploi, mais plutôt sa «continuité». Il faut
opposer l'expression à «occasionnel», ou «intermittent». Par
exemple une personne n'exerce pas un emploi «d'une façon
régulière» si elle ne doit se présenter au travail que sur appel.
«D'une façon régulière», selon lui, exige un cadre fixe plutôt
qu'une période fixe d'emploi. Deux jours par semaine peuvent
constituer un emploi «régulier». Faire un quart précis de travail
chaque jour peut constituer un emploi «régulier». La caractéris-
tique essentielle n'a pas trait à la durée de l'emploi mais à la
régularité de l'horaire de travail. Il ressort implicitement de
cette interprétation que l'emploi n'a pas besoin d'être de longue
durée. Il peut durer le temps d'une grève seulement, pour
autant qu'il est régulier, pendant qu'il dure.
À mon avis, il faut préférer cette interprétation ...
L'interprétation de la jurisprudence arbitrale
dominante était ainsi définitivement mise de côté.
L'élément psychologique de désintéressement à
l'égard du conflit n'avait rien à voir. L'existence de
la condition requise par l'alinéa c) pour éteindre
l'inadmissibilité de principe du paragraphe 44(1),
devait se vérifier à partir de critères ayant trait à
l'emploi lui-même. Et parmi ces critères, celui de
la régularité de l'horaire de travail était dominant.
Voilà qui était tout à fait clair eu égard aux faits
de la cause, mais qui demandait quelques préci-
sions pour valoir comme directives d'avenir face à
des situations autres. Aussi, Madame le juge
Wilson poursuit-elle ses remarques au-delà des
propos cités ci-haut. C'est le sens exact de ces
remarques additionnelles, et partant la portée de la
décision elle-même en tant que précédent, qu'il
s'agit ici de préciser.
Les trois intimés étaient, depuis plusieurs années
(6, 6 et 5 ans respectivement), des employés per
manents de la Compagnie Sidbec-Feruni, une
filiale de la sidérurgie Sidbec Dosco, à Contre-
Coeur (Québec). Ils avaient dû cesser de travailler
le 15 juillet 1982 du fait d'un arrêt de travail dû à
un conflit collectif. Les trois étaient directement
intéressés dans le résultat du conflit et en aucun
temps avaient-ils eu l'idée d'abandonner leur
emploi qu'ils comptaient reprendre sitôt le conflit
résolu. Mais ils s'étaient tous trois mis à exercer,
pendant l'arrêt de travail, une occupation autre
que leur occupation habituelle. Martial Roy, un
commis-magasinier, avait été embauché par son
frère, du 29 septembre jusqu'au 8 octobre, pour
faire des travaux sur un abri utilisé par ce dernier
pendant la saison estivale pour vendre de la crème
glacée aux passants. Il s'agissait de «faire de la
peinture, réparer le toit et fabriquer des tablettes».
Naturellement les deux savaient que l'emploi ne
durerait que quelques jours, mais combien exacte-
ment, au départ, ils l'ignoraient. Gratien Jacques,
un opérateur de locomotive, avait été engagé du 4
au 21 octobre, comme aide-camionneur, par une
petite compagnie de distribution d'eau gazeuse. Il
avait travaillé un total de 65 heures réparties
inégalement sur les trois semaines, dans des condi
tions que l'employeur décrivit comme suit:
M. Gratien Jacques avait déjà travaillé pour nous il y a
plusieurs années comme aide-camionneur. Il est venu nous voir
récemment pour du travail. Nous l'avons embauché temporai-
rement et exceptionnellement pour me remplacer et me permet-
tre de faire autre chose. Il a travaillé principalement au lavage
des bouteilles et un peu comme aide-camionneur. Notre compa-
gnie embauche 6 employés habituellement, et un peu plus
durant l'été, mais jamais à l'automne, cet embauche était
exceptionnelle. Actuellement il n'y a que mon mari et moi qui
travaillons.
Quant à Marcel Cournoyer, un forgeron, il s'était
trouvé un emploi de journalier dans une conserve-
rie où il avait travaillé régulièrement, depuis le 28
juillet 1982 jusqu'au 6 octobre, soit, jusqu'à la fin
de la récolte annuelle et la cessation des activités
saisonnières de mise en conserve de la compagnie.
Dans chacun des trois cas, la question qui évi-
demment se posait à la Commission était celle de
savoir si, eu égard aux directives de la décision
Abrahams, il fallait considérer que le prestataire
avait exercé «une autre occupation de façon régu-
lière», au sens de l'alinéa 44(1)c), mettant fin,
alors, à l'inadmissibilité de principe qui devait
l'empêcher de toucher des prestations tant que
durerait le conflit de travail dans lequel il était
impliqué. La Commission répondit négativement
dans les trois cas et refusa d'admettre le bien-
fondé des réclamations, mais le conseil arbitral
contesta sa façon de voir et le juge-arbitre fit de
même en la déboutant de son appel. Et c'est
maintenant à cette Cour à se poser la question.
Je me permets une observation préliminaire que
me suggère cette remarque du juge-arbitre à l'effet
qu'il entendait bien se garder «de substituer (sa)
propre appréciation des faits à celle faite par le
conseil arbitral». Je vois mal comment on peut
craindre ici un conflit d'appréciation de faits. Les
faits en eux-mêmes n'ont jamais apparemment
soulevé de difficultés. J'ai compris que personne ne
contestait ni n'a jamais contesté la revue que je
viens d'en faire. C'est la concordance de ces faits
avec ceux envisagés par la règle de droit invoquée
qui est mise en cause, c'est leur qualification,
laquelle dépend bien sûr de l'interprétation à
apporter à la règle à appliquer, et cela pose évi-
demment une question de droit. Si la Commission
est en désaccord avec le conseil arbitral et le
juge-arbitre, ce n'est pas parce que ses conclusions
sur les faits ne concorderaient pas avec les leurs,
c'est que sa compréhension du jugement Abra-
hams quant à l'interprétation qu'il donne à l'alinéa
44(1)c) diffère de la leur.
Les membres du conseil arbitral, d'après leur
décision, retiennent de l'arrêt Abrahams que pour
vérifier si un prestataire a exercé un emploi de
façon régulière au sens de l'alinéa 44(1)c), il faut
examiner le régime de travail que l'emploi lui
imposait, car c'est la régularité de l'horaire de
travail pendant la durée de l'emploi qui vraiment
compte. Le juge-arbitre confirme cette façon de
voir tout en ajoutant un élément: «En outre», dit-il,
reprenant les mots mêmes utilisés par Madame le
juge Wilson, «rien ne me permet ici de déceler
"une forme de fraude envers la Commission" ni
"un emploi fictif dans une autre occupation". Je ne
saurais conclure que le prestataire a fait une
demande «bidon» de prestations ...» (page 100 du
dossier Martial Roy). Et le procureur des intimés
naturellement reprend le tout: «Essentiellement,
soumet-il, l'arrêt Abrahams retient comme carac-
téristiques du nouvel emploi correspondant à l'arti-
cle 44(1)c) de la Loi, la régularité de l'horaire de
travail et l'absence de fraude envers la Commis
sion.» (paragraphe 13 du mémoire Gratien Jac-
ques). Comme dans chacun des cas en litige se
retrouve une certaine régularité dans l'horaire de
travail du nouvel emploi exercé par le prestataire
et qu'en l'absence de preuve de fraude, il faut
toujours présumer la bonne foi, l'alinéa 44(1)c),
selon cette interprétation, s'applique dans les trois
cas.
La Commission et ses procureurs prétendent lire
dans l'arrêt Abrahams des précisions que le conseil
arbitral et le juge-arbitre auraient négligées.
D'après eux, il ressort de la lecture de l'ensemble
des motifs de jugement que ne pourrait être un
emploi exercé de façon régulière, tel que l'exige
l'alinéa 44(1)c), l'emploi intermittent, temporaire,
saisonnier ou occasionnel—le terme occasionnel
étant pris, comme il l'est déjà à l'alinéa 3(2)b),
dans le sens de dénué de tout caractère de conti-
nuité ou de retour périodique. Et on voit tout de
suite pourquoi, disent-ils: si les intentions du pres-
tataire quant au temps où il entend garder l'emploi
n'importent pas, il reste néanmoins nécessaire
qu'existent pour lui au départ des possibilités et
des perspectives de continuité. Le fait que, dans
chacun des cas à résoudre ici, l'emploi était en
lui-même intermittent, temporaire, saisonnier ou
occasionnel devient, dans leur optique, décisif:
aucun ne pouvait satisfaire aux exigences de l'ali-
néa 44(1)c).
Je regrette, mais ni les uns ni les autres ne
parviennent à me convaincre pleinement. Ma
propre analyse et compréhension des propos de
Madame le juge Wilson ne me permettent pas
d'adopter l'une ou l'autre des deux thèses en pré-
sence. Je reconnais qu'il est possible de citer des
passages de la décision qui paraissent alternative-
ment favorables à l'une et à l'autre et les procu-
reurs ont pu réussir à appuyer leurs prétentions de
citations. Mais je pense qu'on ne peut pas sortir
certains propos de Madame le juge Wilson de leur
contexte et les utiliser sans tenir compte des consi-
dérations particulières qui se présentaient à elle,
étant donné le cas qu'il fallait résoudre et l'état de
la jurisprudence du moment qu'elle voulait discu-
ter et écarter.
Plus je relis les remarques de Madame le juge
Wilson, plus je suis frappé par deux mots qui
semblent ressortir de façon spéciale, les mots
«engagement ferme». Il me semble maintenant que
ce sont les mots-clés de toute la pensée qui s'en
dégage. La «forme de fraude à la Commission»,
dont il y est question comme étant le «mal» que le
Parlement aurait voulu éviter, ne me semble pas
celle résultant d'une machination, d'une tromperie,
d'un mensonge ayant pour objet de faire croire à
ce qui n'est pas. Il n'était tout simplement pas
besoin de texte de loi spécifique pour couvrir ce
genre de fraude. L'exercice d'une occupation «de
façon régulière» dit certes plus que le vrai exercice
d'une vraie occupation. La «forme de fraude» évo-
quée est, il me semble, celle résultant de l'exercice
d'une occupation, mais sans engagement ferme et
sérieux et dans le seul but de contourner le prin-
cipe d'inadmissibilité, établi par l'article 44, sans
cette sorte d'engagement véritable qu'est prêt à
assumer celui qui cherche à sortir de sa situation
de sans-emploi. Et c'est dans cette optique, je
pense, que Madame le juge Wilson passe en revue
les caractéristiques possibles de l'emploi: sa durée,
son cadre, l'horaire de travail qu'il implique, son
caractère permanent, temporaire ou occasionnel.
Car ce sont ces caractéristiques qui témoigneront
du caractère sérieux de l'engagement. Le témoi-
gnage sera parfois clair: l'engagement prévu pour
un temps minime, ou celui purement occasionnel
créé de toute apparence pour les fins du moment,
ou encore celui intermittent, soumis à un horaire
laissé au caprice de l'employeur, impliquera fort
rarement un engagement sérieux. Mais le plus
souvent une analyse des circonstances et de la
situation d'ensemble sera nécessaire quelles que
soient les caractéristiques particulières de l'emploi
car on ne saurait déduire du seul fait que l'emploi
est temporaire, saisonnier et sans horaire pré-établi
et fixe que l'engagement impliqué n'est pas
authentique, plein et sérieux.
On s'empressera sans doute d'adresser à ma
façon de comprendre les remarques de Madame le
juge Wilson le reproche de laisser la disposition de
l'alinéa 44(1)c) sans critères d'application précis et
stricts. Mais je crois qu'il est illusoire de penser
qu'une disposition de cette nature, qui cherche à
concilier dans le concret des situations pratiques,
des intérêts aussi divergents, puisse jamais jouer à
la manière d'une formule mathématique. Les
interprétations défendues par les parties en pré-
sence conduisent sans doute à une règle plus facile
d'application mais on peut voir aux dépens de quoi!
Celle du conseil arbitral et du juge-arbitre—qui
voudrait faire de la régularité de l'horaire de tra
vail et de l'absence de fraude résultant de déclara-
tions mensongères quant à la réalité de l'emploi les
seuls éléments à considérer—enlève au principe
d'inadmissibilité de l'article 44 une grande part de
sa portée en le rendant excessivement facile à
contourner. Celle de la Commission—qui voudrait
pouvoir disqualifier systématiquement tout emploi
non en lui-même permanent—tient peu compte de
la réalité pratique et est difficilement conciliable
avec l'esprit ouvert et libéral qu'il faut constam-
ment garder—nous dit la Cour suprême—en inter-
prétant les dispositions d'une loi sociale de distri
bution de bénéfices comme celle ici en cause.
Ainsi, ma compréhension de l'enseignement con-
tenu dans l'arrêt Abrahams ne correspond pas à
celles suggérées par les parties en présence. Ce que
j'en dégage est qu'un travailleur en grève sera
considéré comme ayant exercé une occupation «de
façon régulière» au sens de l'alinéa 44(1)c), et
ayant mis fin, ce faisant, à l'inadmissibilité de
principe qui résultait de son état de gréviste, si le
nouvel emploi qu'il a occupé temporairement avait
des caractéristiques qui témoignaient de sa part un
engagement ferme et sérieux. Et je n'ai aucune
difficulté, à partir de cet enseignement, à disposer
des trois cas en présence. Il me semble qu'en
acceptant de faire pour le compte de son frère
quelques travaux manuels sur une petite cabane
servant à la vente de crème glacée, l'intimé Roy
«ne s'est pas mis à exercer une occupation de façon
régulière» au sens de l'alinéa 44(1)c); ni non plus
l'intimé Jacques, lorsqu'il accepta l'emploi tout à
fait occasionnel et de pure convenance que la
compagnie de distribution d'eau gazeuse lui offrit
pour trois semaines. Mais je crois que l'intimé
Cournoyer «s'est mis à exercer une autre occupa
tion d'une façon régulière» lorsque quelques jours
après le début de la grève, en juillet, il a assumé à
la conserverie un emploi à temps plein qu'il enten-
dait tenir jusqu'à la toute fin de la saison, en
octobre: les caractéristiques de l'emploi, dans ce
dernier cas, en dépit de son caractère saisonnier, et
les conditions dans lesquelles il a été assumé et
maintenu témoignent, à mon avis, du caractère
sérieux de son engagement. -
C'est pourquoi, dans le cas du dossier n°
A-1198-84, je maintiendrais la demande, annule-
rais la décision du juge-arbitre et lui retournerais
l'affaire pour qu'il la considère à nouveau en pre-
nant pour acquis que le prestataire-intimé ne pou-
vait, dans les circonstances révélées par la preuve,
se prévaloir des dispositions de l'alinéa 44(1)c). Je
ferais de même dans le cas du dossier n°
A-1201-84. Mais je rejetterais la requête dans le
dossier n° A-1199-84.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MACGIIGAN: Le point en litige se
rapporte à l'interprétation de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage («la Loi») à l'égard de l'inad-
missibilité générale des prestataires qui ont perdu
leur emploi suite à un conflit collectif.
Il est admis que le prestataire/intimé a perdu
son emploi en raison d'un conflit collectif. À cause
d'un conflit de travail chez son employeur, Sidbec-
Feruni, il ne put pas à son retour de vacances le 15
juillet 1982 y reprendre son travail de commis-
magasinier. Pendant le conflit collectif il occupa
un emploi pour le commerce de son frère,
Royaume de la Crème Glacée, pour une période
allant du 29 septembre au 8 octobre 1982. Son
nouvel emploi consista à faire des travaux de
peinture et d'entretien. À ce moment-là le com
merce fut fermé pour la saison d'hiver.
Le 14 octobre l'intimé demanda des prestations
d'assurance-chômage, mais il fut déclaré inadmis
sible au bénéfice des prestations par la Commis
sion de l'emploi et de l'immigration («la Commis
sion»). Un conseil arbitral accueillit à l'unanimité
son appel sur la base de l'alinéa 44(1)c) de la Loi
et conclut que l'intimé s'était mis à exercer une
autre occupation d'une façon régulière. Le 6 mai
1983 la Commission interjeta appel devant un
juge-arbitre. Par un jugement du 27 septembre
1984 le juge-arbitre a maintenu la décision du
conseil arbitral, d'où la présente requête sous l'ar-
ticle 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
L'alinéa 44(1)c) de la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage est rédigé comme suit:
44. (1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un
arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou
en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible
au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une
des éventualités suivantes, à savoir:
a) la fin de l'arrêt du travail,
b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs
dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la
sienne,
c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation
d'une façon régulière.
L'argument de la requérante, en bref, est que le
juge-arbitre a erré en droit en interprétant comme
il l'a fait l'alinéa 44(1)c) de la Loi et qu'il est
arrivé à une conclusion de fait erronée en con-
cluant que les faits de la présente cause donnent
ouverture à l'application de cet alinéa.
La Cour suprême du Canada dans l'affaire
Abrahams c. Procureur général du Canada,
[1983] 1 R.C.S. 2, aux pages 8 à 10, a récemment
étudié cet alinéa, le juge Wilson exprimant l'opi-
nion de la Cour:
Le juge-arbitre a conclu que «d'une façon régulière» ne vise
pas la durée de l'emploi, mais plutôt sa «continuité». Il faut
opposer l'expression à «occasionnel» ou «intermittent». Par
exemple une personne n'exerce pas un emploi «d'une façon
régulière» si elle ne doit se présenter au travail que sur appel.
«D'une façon régulière», selon lui, exige un cadre fixe plutôt
qu'une période fixe d'emploi. Deux jours par semaine peuvent
constituer un emploi «régulier». Faire un quart précis de travail
chaque jour peut constituer un emploi «régulier». La caractéris-
tique essentielle n'a pas trait à la durée de l'emploi mais à la
régularité de l'horaire de travail. Il ressort implicitement de
cette interprétation que l'emploi n'a pas besoin d'être de longue
durée. Il peut durer le temps d'une grève seulement, pour
autant qu'il est régulier pendant qu'il dure.
À mon avis, il faut préférer cette interprétation pour de
multiples raisons. La première est celle que j'ai déjà mention-
née, savoir que le législateur a visé expressément la durée du
travail à l'al. b) au point de prescrire une période minimale de
deux semaines. Si la durée avait été un aspect essentiel de l'al.
c), il semble raisonnable de conclure que le législateur aurait
créé une disposition semblable à l'égard de cet alinéa. Son
omission de le faire me porte à chercher une autre
interprétation.
Je suis venue à la conclusion que ce que le législateur a encore
voulu éviter, c'est une forme de fraude envers la Commission.
Un emploi fictif dans une autre occupation ne devrait pas avoir
l'effet de rétablir l'admissibilité aux prestations. Il faut que ce
soit un emploi «régulier» et non un emploi d'un jour ou deux, ici
et là, sans engagement ferme de la part du prestataire ou de son
nouvel employeur. Le but du législateur, en insérant des réser-
ves par l'adverbe dans un alinéa et par la locution adverbiale
dans l'autre, a été, à mon avis d'empêcher que l'article ne donne
lieu à des abus. Je crois que le législateur a voulu le rétablisse-
ment de l'admissibilité aux prestations si le prestataire a obtenu
un emploi de bonne foi ailleurs dans son occupation habituelle
ou s'il a obtenu un emploi régulier dans une autre occupation; il
n'a pas voulu de demandes «bidon» de prestation.
Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations
aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale
des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je
crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se
résoudre en faveur du prestataire. [L'emphase ajoutée est la
mienne.]
Peut-être pourrait-on conclure de la lecture de
ce passage que la Cour suprême ne reconnaît
qu'une seule caractéristique à la régularité de tra-
vailler qu'exige l'alinéa 44(1)c), c'est-à-dire, qu'il
faille éviter la fraude, les abus, les demandes
«bidon» de prestations. Il me semble qu'une inter-
prétation plus juste de cette décision nous oblige à
constater la présence de deux conditions à cette
régularité: la première est négative et consiste dans
l'absence de la fraude, etc.; la seconde est positive
et impose au prestataire l'obligation d'établir posi-
tivement une façon régulière d'exercer une autre
occupation. On ne peut pas conclure qu'il existe
une façon régulière de travailler seulement en
absence de fraude. On doit aussi prouver la
régularité.
En effet, la requérante plaide que cette condi
tion positive réside dans la durabilité de cette autre
occupation. Si tel était le cas, tout emploi tempo-
raire ou saisonnier serait exclu. Certes, l'emploi
trouvé acceptable par la Cour suprême dans l'af-
faire Abrahams était permanent, même si la façon
de l'exercer par le prestataire était limitée. Aussi,
à titre d'exemple, Madame le juge Wilson exclut
«un emploi d'un jour ou deux, ici et là, sans
engagement ferme de la part du prestataire ou de
son nouvel employeur».
Mais selon moi on ne peut pas restreindre la
portée de l'arrêt Abrahams strictement aux faits
de la cause. Si le but du législateur est «d'empê-
cher que l'article [44] ne donne lieu à des abus», il
est impossible d'exclure tous les emplois à court
terme. N'importe quel emploi réel doit être
acceptable.
Il me semble que l'intimé a raison: la seule
régularité exigée de l'emploi dépend de la nature
du travail lui-même. En ce sens, la durabilité
requise d'un emploi saisonnier n'est qu'une durée
saisonnière, ou une durée temporaire d'un emploi à
court terme. Bien entendu, un terme pourrait être
trop court pour être accepté comme réel, s'il était,
par exemple, «un emploi d'un jour ou deux, ici et
là, sans engagement ferme de la part du presta-
taire ou de son nouvel employeur». Mais c'est
sûrement une question de fait, non de droit, qui
devait être prise en considération par le conseil
arbitral.
En l'espèce, comme le juge-arbitre l'a indiqué, il
n'était pas question de fraude ou de demande
«bidon» (condition négative), et le conseil arbitral a
pris soin de considérer les éléments essentiels pour
établir la condition positive:
[Ill est en preuve que le prestataire a occupé d'une façon
régulière une nouvelle occupation auprès de son nouvel
employeur et en application des dispositions de l'arrêt de la
Cour Suprême mentionnées ci-dessus [Abrahams], on ne peut
tenir compte dans le présent cas du critère temporaire, étant
donné qu'au départ l'embauche de toute façon était pour une
période indéfinie et que le prestataire a régulièrement travaillé
pour son nouvel employeur durant la durée de son nouvel
emploi.
La requérante a aussi prétendu que la décision
du conseil arbitral a été viciée par une erreur de
fait, mais en l'absence d'une conclusion de fait
erronée, tirée de façon absurde, ou arbitraire ou
sans tenir compte des éléments portés à la connais-
sance du conseil, il n'est pas permis à cette Cour
d'intervenir, suivant l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale. En l'espèce, il y a des éléments de
preuve sur lesquels on peut fonder une conclusion
d'admissibilité. Même si je ne tirais pas la même
conclusion sur les faits, je n'aurais pas le droit de
casser la décision pour cette raison.
Donc, je maintiendrais la décision du juge-arbi-
tre et je rejetterais la requête de la requérante.
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