T-2815-83
Conseil canadien des ingénieurs (appelant)
c.
Lubrication Engineers, Inc. (intimée)
Division de première instance, juge Muldoon—
Ottawa, 12 septembre et 12 octobre 1984.
Marques de commerce — Appel formé contre le rejet de
l'opposition à l'enregistrement de la marque de commerce
«Lubrication Engineers.. — L'intimée a renoncé au droit à
l'usage exclusif du mot «Lubrication. — Marque enregistrée
aux É.-U. — Le mot «Engineers.. est-il enregistrable? —
Application de la décision rendue dans la cause Association of
Professional Engineers of the Province of Ontario v. Registrar
of TradeMarks, /19591 R.C.É. 354 en rapport avec l'art.
12(1)b) de la Loi: la marque proposée constituait une descrip
tion claire ou une description fausse et trompeuse de la nature
ou de la qualité des marchandises de l'intimée — Autre motif
d'opposition fondé sur les dispositions législatives adoptées
par les provinces et les territoires — Il est interdit d'enregis-
trer une marque si elle est contraire à l'ordre public (art.
14(1)c)) ou si elle est susceptible de porter à croire que les
marchandises ont reçu l'approbation gouvernementale (art.
9(1)d)) — Les dispositions législatives provinciales réglemen-
tant les professions sont des lois d'ordre public La régle-
mentation des professions relève de la compétence législative
des provinces — Les assemblées législatives des provinces et
des territoires interdisent l'emploi du mot «engineero lors-
qu'une personne qui n'est ni titulaire d'un permis ni inscrite
auprès d'une association l'emploie d'une manière qui laisse
croire qu'elle a droit de porter ce titre — L'emploi du mot
«engineer» est prohibé par les lois adoptées par les provinces et
par les territoires, et il est donc visé par l'interdiction contenue
à l'art. 9(1)d) — L'expression «porter à croire» vise à la fois
les titres officiels et les désignations familières — Il n'existe
entre les dispositions législatives fédérales et provinciales
aucune contradiction permettant d'invoquer la doctrine de la
primauté — La marque projetée n'est pas enregistrable —
Appel accueilli — Loi sur les marques de commerce, S.R.C.
1970, chap. T-10, art. 9(1)d), 12(1)b), 14, 37(9) (édictés par
S.C. 1976-77, chap. 28, art. 44) — The Engineering Profession
Act, C.C.S.M., chap. E-120, art. 28, 29 — Loi des ingénieurs,
S.R.Q. 1964, chap. 262, art. 27 (mod. par L.Q. 1973, chap. 60,
art. 22) — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap.
3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 92(15).
Appel est interjeté d'une décision d'un fonctionnaire chargé
de l'audition (ci-après appelé le registraire) nommé conformé-
ment au paragraphe 37(9) de la Loi sur les marques de
commerce. Le registraire a rejeté l'opposition de l'appelant à la
demande d'enregistrement de la marque de commerce «Lubri-
cation Engineers». Enregistrée aux États-Unis, la marque serait
employée en liaison avec des graisses, des lubrifiants graphites
et des huiles. L'intimée a renoncé au droit à l'usage exclusif du
mot «Lubrication» parce qu'il n'est pas enregistrable. Il s'agit
de déterminer si le mot «Engineers» est enregistrable. L'appe-
lant se fonde sur la décision de la Cour de l'Échiquier Associa
tion of Professional Engineers of the Province of Ontario v.
Registrar of TradeMarks, où la Cour a maintenu l'opposition
de l'Association à l'enregistrement de la marque «Finishing
Engineer» pour qu'elle soit employée comme titre d'un périodi-
que publié aux Etats-Unis. La Cour a conclu que les mots
«Finishing Engineer» ne distinguaient pas la publication de la
requérante mais constituaient une description claire de son
contenu et n'étaient donc pas enregistrables. En l'espèce, le
registraire a rejeté l'opposition de l'appelant fondée sur l'alinéa
12(1)b) de la Loi parce qu'il a jugé que le présent litige était
différent de l'affaire portant sur la marque de commerce
«Finishing Engineer». Ayant tiré cette conclusion, il a jugé
inutile d'examiner la demande de l'intimée fondée sur l'article
14. 11 a également rejeté le motif d'opposition fondé sur l'alinéa
9(1)d).
Jugement: l'appel doit être accueilli.
L'appelant a fourni suffisamment de preuves pour amener la
Cour à conclure de la même façon que la Cour de l'Échiquier
dans l'arrêt concernant la marque «Finishing Engineer». La
marque de commerce projetée constitue une description claire
ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la
qualité des marchandises de l'intimée et contrevient donc à
l'alinéa 12(1)b) de la Loi.
Il existe un motif plus important de refuser l'enregistrement.
Énoncé aux alinéas 14(1)c) et 9(1)d) de la Loi, cet autre motif
concerne les diverses dispositions législatives adoptées par les
provinces et les territoires, qui réglementent la profession d'in-
génieur. Aux termes de l'alinéa 14(1)c), une marque de com
merce étrangère ne peut pas être enregistrée si elle est contraire
à l'ordre public ou si elle est de nature à tromper le public.
L'article 14 renvoie aux questions d'ordre public énumérées à
l'article 9, qui est un article d'application générale. L'alinéa
9(1)d) dispose qu'une marque de commerce ne peut être enre-
gistrée si elle est susceptible de porter à croire que les marchan-
dises ont reçu, notamment, l'approbation ou l'autorité
gouvernementale.
Les dispositions législatives provinciales qui réglementent les
professions sont incontestablement des lois d'ordre public. Au
Canada, la réglementation des professions relève de la compé-
tence législative des provinces. Les assemblées législatives des
territoires et des dix provinces ont décrété, dans les limites des
compétences exclusives qui leur sont conférées par la Constitu
tion, que personne (cette expression désigne également une
société) ne doit s'approprier un mot, une abréviation, un nom
ou une désignation qui porterait à croire qu'elle est un ingé-
nieur, ou faire croire, en utilisant un moyen ou un autre, y
compris la publicité, qu'elle en est un à moins que cette
personne ne soit titulaire d'un permis ou ne se soit dûment
inscrite auprès de l'association professionnelle et qu'elle ne
fasse l'objet ni d'une suspension ni d'une radiation. Ainsi, le
mot «engineer», qui est prohibé par les lois d'ordre public
adoptées par les provinces et les territoires lorsqu'une personne
s'en approprie de la manière décrite plus haut, est également
visé par l'interdiction contenue à l'alinéa 9(1)d) de la Loi parce
qu'il s'agit d'un «mot ... susceptible de porter à croire que les
marchandises ou services en liaison avec lesquels il est employé
ont reçu l'approbation ... gouvernementale, ou sont produits,
vendus ou exécutés ... sur l'autorité ... gouvernementale». Les
Canadiens ont droit de déduire l'existence de cette autorité de
l'emploi du mot «engineers» comme titre de profession, au sens
des lois provinciales, ou dans une marque de commerce, au sens
de la loi fédérale, lorsque son emploi dans chaque cas a reçu
une approbation officielle.
Il faut conclure que l'expression «porter à croire» vise à la fois
les titres officiels des professionnels et les expressions familières
utilisées pour les désigner et que le registraire ne doit pas
permettre l'enregistrement d'expressions comme «bone sur
geons», «divorce lawyers» et a fortiori, «lubrication engineers».
Un autre motif pour justifier le refus d'enregistrer des titres
professionnels comme marques de commerce est qu'il est prati-
quement impossible pour le registraire de savoir, de jour en
jour, qui est habilité à porter un titre professionnel ou à qui il
est interdit de le faire en raison de son expulsion d'une associa
tion professionnelle ou de l'abandon de son statut professionnel.
L'application de la discipline relève des organes de direction
créés par les provinces et les territoires.
La Cour n'a pas jugé nécessaire d'examiner la doctrine de la
primauté de l'interprétation constitutionnelle parce qu'il n'y a
aucune contradiction entre les dispositions législatives fédérales
et provinciales permettant d'invoquer cette doctrine. Dans le
cas présent, on évite le conflit en concluant que la Loi sur les
marques de commerce exige simplement que le registraire
s'abstienne d'enregistrer des mots composés de noms de profes
sions dont les membres sont les seules personnes habilitées à
employer ces noms conformément aux lois adoptées par les
provinces et les territoires. La marque de commerce «Lubrica-
tion Engineers» ne peut donc pas être enregistrée.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Association of Professional Engineers of the Province of
Ontario v. Registrar of TradeMarks, [1959] R.C.E. 354;
31 C.P.R. 79; Pauze v. Gauvin, [1954] R.C.S. 15;
Laporte c. Collège des pharmaciens (Québec), [1976] 1
R.C.S. 101; Association of Professional Engineers v.
Martin and Bucklaschuk (1983), 23 Man.R. (2d) 244
(C. cté.); Procureur général du Canada et autres c. Law
Society of British Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S.
307; Hodge v. Reg. (1883-84), 9 App. Cas. 117 (P.C.);
Cherry v. The King ex rel. Wood (1937), 69 C.C.C. 219
(C.A. Sask.); Molson Companies Ltd. c. John Labatt
Ltd. et autre (1981), 58 C.P.R. (2d) 157 (C.F. 1"° inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Scowby v. Chmn. of B. of Inquiry, [1983] 4 W.W.R. 97
(C.A. Sask.); Multiple Access Ltd. c. McCutcheon et
autres, [1982] 2 R.C.S. 161.
AVOCATS:
John Macera pour l'appelant.
Nicholas Fyfe pour l'intimée.•
PROCUREURS:
Macera & Jarzyna, Ottawa, pour l'appelant.
Smart & Biggar, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Le présent appel a été
débattu devant la Cour le 12 septembre 1984, à
Ottawa. Il s'agit d'un appel de la décision du
fonctionnaire chargé de l'audition dûment nommé
par le registraire des marques de commerce con-
formément au paragraphe 37(9) de la Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10,
et ses modifications [S.C. 1976-77, chap. 28, art.
44]. Pour des raisons de commodité, le fonction-
naire chargé de l'audition est appelé, ci-après, le
registraire. Dans une décision écrite datée du 29
septembre 1983, le registraire a rejeté l'opposition
de l'appelant à la demande d'enregistrement de la
marque de commerce «Lubrication Engineers» pré-
sentée par l'intimée.
L'avis d'appel contient un exposé des faits essen-
tiels dont l'intimée, dans sa réponse audit avis
d'appel, admet effectivement les extraits suivants:
[TRADUCTION] 1. Le 10 janvier 1977, Lubrication Engineers,
Inc. a présenté au registraire des marques de commerce une
demande d'enregistrement d'une marque 'de commerce compor-
tant les termes LUBRICATION ENGINEERS, pour l'employer en
liaison avec des marchandises décrites comme «des graisses
épaissies, des lubrifiants graphités pour rouleaux, des lubri-
fiants pour engrenages, des lubrifiants pour coussinets de roue,
des graisses fibreuses, de l'huile pour moteur, du lubrifiant
diesel, de l'huile frigélisée, de l'huile pour cueilleuse à coton, de
l'huile à cylindre de machines à vapeur», cette demande se
fondant sur l'emploi de cette marque au Canada depuis le 8
novembre 1965, et sur son emploi et son enregistrement aux
États-Unis. Il y a eu par la suite une modification incluant un
acte de renonciation à l'emploi du mot «LUBRICATION». Après
cette modification, la requérante a déposé une demande révisée
dans laquelle elle a réclamé le bénéfice de l'article 14 de la Loi
sur les marques de commerce.
2. Ladite demande a été annoncée le 31 mai 1978 dans le
Journal des marques de commerce.
3. En date du 24 août 1978, l'appelant a déposé une déclaration
d'opposition à la demande de la requérante. Par la suite, il a
déposé le 7 février 1979 une déclaration d'opposition modifiée
qui a été signifiée à l'intimée le 6 mars 1979. Celle-ci a déposé
une contre-déclaration révisée le 5 avril 1979.
4. La déclaration d'opposition modifiée déposée par l'appelant
contenait un avis d'opposition à l'enregistrement de la marque
de commerce projetée de l'intimée pour les motifs suivants:
a) L'opposant se fonde sur le motif énoncé à l'alinéa 37(2)b),
c'est-à-dire que la marque de commerce revendiquée dans la
demande n'est pas enregistrable en raison des dispositions de
l'alinéa 12(1)b), et c'est pourquoi le registraire aurait dû la
rejeter conformément aux dispositions de l'alinéa 36(1)b).
b) L'opposant se fonde sur le motif énoncé à l'alinéa 37(2)d),
c'est-à-dire que la marque de commerce revendiquée dans la
demande n'est pas distinctive parce qu'elle ne peut distinguer
les marchandises en liaison avec lesquelles elle est employée
par la requérante des marchandises d'autres propriétaires, et
n'est pas adaptée à les distinguer ainsi. En conséquence, il est
allégué que la demande devrait être rejetée.
c) L'opposant se fonde sur le motif énoncé à l'alinéa 37(2)b),
c'est-à-dire que la marque de commerce n'est pas enregistra-
ble en raison des dispositions des alinéas 12(1)b) et 14(1)d)
étant donné qu'elle est interdite par l'alinéa 9(1)d) parce que
la requérante n'a pas satisfait aux exigences prévues dans les
lois des provinces ou des territoires du Canada lui permettant
d'employer le mot «ENGINEERS»; par conséquent, le regis-
traire aurait dû rejeter la demande d'enregistrement en vertu
de l'alinéa 36(1)b).
d) L'opposant se fonde sur le motif énoncé à l'alinéa 37(2)b),
c'est-à-dire que la marque de commerce n'est pas enregistra-
ble en raison des dispositions des alinéas 12(1)e) et 14(1)d)
étant donné qu'elle est interdite par l'article 10 parce que les
mots «LUBRICATION ENGINEERS», en raison d'une pratique
commerciale ordinaire et authentique, sont devenus reconnus
au Canada comme désignant le genre, la qualité et le lieu
d'origine de marchandises ou services fournis par une catégo-
rie particulière de personnes inscrites et faisant affaire à titre
d'ingénieurs en vertu de lois provinciales pertinentes et que
l'emploi de la marque par la requérante serait susceptible
d'induire en erreur; par conséquent, le registraire aurait dû
rejeter la demande d'enregistrement en vertu de l'alinéa
36(1)b).
e) L'opposant se fonde sur le motif énoncé à l'alinéa 37(2)b),
c'est-à-dire que la marque de commerce n'est pas enregistra-
ble en raison des dispositions des alinéas 12(1)b) et 14(1)c)
étant donné qu'elle constitue une description fausse et trom-
peuse de la nature ou de la qualité des marchandises ou
services en liaison avec lesquels elle est employée, ou des
conditions de leur production, ou des personnes qui y sont
employées, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou
services, et qu'elle est de nature à tromper le public; par
conséquent, le registraire aurait dû rejeter la demande d'en-
registrement en vertu de l'alinéa 36(1)b).
f) L'opposant se fonde sur le motif énoncé à l'alinéa 37(2)a),
c'est-à-dire que la demande ne satisfait pas aux exigences de
l'alinéa 29i) étant donné que, en droit, seules les personnes
qui ont satisfait aux dispositions législatives pertinentes et
qui continuent à s'y conformer sont habilitées à employer la
marque; la requérante ne peut donc satisfaire à l'alinéa 29i)
et, par conséquent, le registraire aurait dû rejeter la demande
d'enregistrement en vertu de l'alinéa 36(1)a).
6. La contre-déclaration modifiée de l'intimée portait:
a) La requérante soutient que la marque de commerce
annoncée est enregistrable en liaison avec les marchandises
énumérées dans la demande annoncée et elle nie que la
marque de commerce annoncée constitue soit une description
claire soit une description fausse et trompeuse lorsqu'elle est
employée avec ces marchandises, au sens de l'alinéa 12(1)b)
de la Loi sur les marques de commerce (par la suite, tous les
renvois seront des renvois à des articles de la Loi sur les
marques de commerce).
b) La requérante est propriétaire de la marque déposée aux
États-Unis sous le numéro 1,075,343 en date du 18 octobre
1977, concernant la marque de commerce LUBRICATION
ENGINEERS applicable aux graisses épaissies, aux lubrifiants
graphités pour rouleaux, aux lubrifiants pour engrenages,
aux lubrifiants pour coussinets de roue, aux graisses fibreu-
ses, à l'huile pour moteur, au lubrifiant diesel, à l'huile
frigélisée, à l'huile pour cueilleuse à coton, et à l'huile à
cylindre de machines à vapeur, et elle emploie la marque de
commerce LUBRICATION ENGINEERS aux Etats-Unis en liai
son avec ces marchandises. Le 7 février 1978, une copie
certifiée conforme de l'enregistrement aux États-Unis por-
tant le numéro 1,075,343 a été déposée au Canada au Bureau
des marques de commerce pendant l'instruction de la
demande annoncée. La requérante a le droit de bénéficier des
dispositions de l'article 14 et en réclame par conséquent
l'application.
c) La requérante nie que la marque de commerce annoncée
n'est pas distinctive et qu'elle ne peut distinguer les marchan-
dises en liaison avec lesquelles elle l'emploie des marchandi-
ses d'autres propriétaires. La requérante a employé au
Canada la marque de commerce annoncée pendant une
période d'environ treize ans afin de distinguer ses marchandi-
ses de celles d'autres propriétaires et cette marque de com
merce est distinctive.
d) La requérante nie que la marque de commerce annoncée
ne peut être enregistrée en raison des dispositions de l'alinéa
12(1)b) (voir les alinéas a) et b) de la présente contre-décla-
ration), et elle nie en outre que l'adoption et l'enregistrement
de la marque de commerce annoncée sont interdits par
l'alinéa 9(1)d). La marque de commerce annoncée ne porte
pas à croire que les marchandises en liaison avec lesquelles
elle est employée ont reçu l'approbation royale, vice-royale
ou gouvernementale, ou sont produites ou vendues sous le
patronage ou sur l'autorité royale, vice-royale ou gouverne-
mentale, et elle n'est pas destinée à laisser croire pareille
chose.
e) La requérante nie que la marque de commerce annoncée
ne peut être enregistrée en raison de l'alinéa 12(1)e), ou que
l'article 10 interdit son adoption ou son enregistrement. À sa
connaissance, elle est la seule à avoir employé au Canada la
marque de commerce annoncée en liaison avec les marchan-
dises visées dans la demande qui a été annoncée, et cette
marque de commerce n'est pas devenue reconnue au Canada
comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destina
tion, la valeur, le lieu d'origine ou la date de production des
marchandises en liaison avec lesquelles elle est employée par
la requérante.
f) La requérante nie que la marque de commerce annoncée
ne peut être enregistrée en raison de l'alinéa 12(1)b) (voir les
alinéas a) et b) de la présente contre-déclaration), et que la
marque de commerce constitue une description fausse et
trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises en
liaison avec lesquelles elle est employée, ou des conditions de
leur production, ou des personnes qui y sont employées, ou du
lieu d'origine de ces marchandises.
g) La requérante nie que la demande annoncée ne satisfait
pas aux exigences de l'alinéa 29i). En fait, cette demande
comporte la déclaration exigée par l'alinéa 29i); étant donné
qu'elle croit être le seul usager de la marque de commerce au
Canada et vu qu'aucune personne ou société ou aucun orga-
nisme gouvernemental ni même l'opposant en l'espèce, ne
s'est opposé à l'emploi de cette marque de commerce même si
celle-ci a été employée au Canada pendant une période de
treize ans, la requérante n'avait, au moment du dépôt de la
demande, et n'a encore actuellement aucun motif de croire
qu'elle n'a pas le droit d'employer la marque de commerce au
Canada en liaison avec les marchandises comprises dans la
demande annoncée.
7. L'appelant a déposé et signifié l'affidavit de Caroline Botte-
rell le 5 juillet 1979, et celui de Claude Lajeunesse le 12
septembre 1979 à titre de preuves dans les procédures
d'opposition.
8. L'intimée a déposé deux affidavits de Robert F. Wimmer le
9 janvier 1980 à titre de preuves dans les procédures
d'opposition.
[Les paragraphes 9, 10, 11 et 12 sont relatifs aux moyens
utilisés dans les procédures d'opposition déposées devant le
registraire.]
13. ... le registraire a rendu une ordonnance permettant le
contre-interrogatoire de M. Wimmer à l'aide de questions
écrites. Ces questions ont été envoyées à M. Wimmer dont les
réponses ont été déposées au Bureau des marques de commerce.
15. Le registraire a fixé la tenue d'une audience à 9 h 30 le
jeudi 23 juin 1983; les représentants de chacune des parties y
ont assisté.
16. Dans une décision écrite datée du 29 septembre 1983, le
registraire des marques de commerce a rejeté l'opposition de
l'appelant conformément au paragraphe 37(8) de la Loi sur les
marques de commerce.
L'appelant n'invoque pas les paragraphes 12 et
17 de l'avis d'appel.
Dans sa réplique, l'intimée répond aux alléga-
tions d'erreur contenues dans l'avis d'appel, sous-
crit aux motifs du registraire et demande le rejet
de l'appel.
Il est important de souligner que l'intimée a
renoncé au droit à l'usage exclusif, sauf en ce qui
concerne la marque de commerce demandée subsé-
quemment, du mot «Lubrication» parce qu'il n'est
pas enregistrable. Si le seul mot qui reste, «Engi-
neers», n'est pas non plus enregistrable, il n'est
alors pas possible d'enregistrer l'expression «Lubri-
cation Engineers» obtenue par la combinaison de
ces mots. C'est ce qui constitue l'essentiel du litige
entre les parties tel qu'il a été soumis au
registraire.
Tout comme il l'a fait lorsqu'il était opposant
devant le registraire, l'appelant a cité en l'espèce la
décision de la Cour de l'Échiquier du Canada
Association of Professional Engineers of the Pro
vince of Ontario v. Registrar of TradeMarks,
[1959] R.C.É. 354; 31 C.P.R. 79. I1 s'agissait de
l'appel d'une décision par laquelle le registraire des
marques de commerce avait rejeté l'opposition pré-
sentée par The Association of Professional Engi
neers of Ontario à l'enregistrement de la marque
de commerce «Finishing Engineer» pour qu'elle
soit employée comme titre d'un périodique publié
par la société Metalwash Machinery Co. du New
Jersey (États-Unis). Dans son appel, l'opposante a
invoqué les deux moyens suivants: (a) le registraire
a commis une erreur en décidant que la marque de
commerce ne constituait ni une description claire
ni une description fausse et trompeuse des mar-
chandises; et (b) l'adoption et l'emploi de la
marque de commerce par la requérante violaient la
Professional Engineers Act, R.S.O. 1950, chap.
292, et toutes les dispositions législatives sembla-
bles adoptées par les provinces et les territoires.
Dans cette affaire, le juge Fournier a écrit ce qui
suit dans ses motifs de jugement:
[TRADUCTION] En ce qui concerne les exemplaires du pério-
dique déposés devant le registraire et que j'ai lus attentivement,
ils traitent des produits de la requérante et des produits d'autres
sociétés au sujet desquels ils contenaient des articles. Ils renfer-
ment des renseignements techniques, des articles et des données
d'ingénierie intéressant ceux qui s'adonnent à la production de
matériaux de finition et à la finition. Les affidavits portent que
le titre indique correctement la nature et le contenu de la
publication et qu'il s'adresse aux chefs des services des sociétés
chargés de la finition des pièces manufacturées. [Page 359
R.C.É.; pages 84 et 85 C.P.R.]
Il ne fait aucun doute que le titre «Finishing Engineer.
constitue une description claire de la nature ou de la qualité des
marchandises à l'égard desquelles on projette de l'employer.
[Page 360 R.C.É.; page 86 C.P.R.]
En l'espèce, la marque de commerce «Finishing Engineer.
comprenait, à la date de la demande d'enregistrement, deux
mots anglais employés pour décrire les personnes formées en
ingénierie travaillant dans ce domaine et spécialisées dans les
techniques de finition. L'emploi de ces deux mots comme titre
d'une publication suffit pour faire savoir qu'elle contiendra des
idées, des données et des renseignements s'adressant aux cadres
et aux ingénieurs pour qui les nouvelles méthodes et les nou-
veaux matériaux de finition présentent un intérêt. En d'autres
termes, l'expression «Finishing Engineer. décrit clairement une
personne qui exerce l'ingénierie et utilise les techniques de
finition. C'est exactement ce que fait la publication. L'expres-
sion ne distingue pas la publication de la requérante, mais elle
constitue une description claire de son contenu. Tant au point
de vue grammatical que dans le langage courant, ces deux mots
employés comme titre d'un périodique évoquent immédiate-
ment pour moi (et, je crois, pour toutes les personnes qui les
lisent) la qualité ou la nature de cette publication. Je ne vois
aucun autre but dans lequel ces mots pourraient être employés
ni aucun autre sens qui pourrait leur être attribué. [Page 362
R.C.É.; page 88 C.P.R.]
À mon avis, l'enregistrement de la marque de commerce
«Finishing Engineer» conférerait à la requérante l'emploi exclu-
sif de ces mots comme titre de son périodique. Cela gênerait
certainement les personnes qui essaieraient de publier des
oeuvres, des livres ou des publications sous un titre dont le
premier mot serait «Finishing» suivi d'un autre mot relatif à
l'ingénierie comme, par exemple, «Finishing Engineering»,
«Finishing Engineers' Handbook» ou «Finishing Engineers'
Information». Toutes ces publications traiteraient de techniques
de finition et indiqueraient la nature de leur contenu. Le mot
«nature» étant défini dans les dictionnaires de langue anglaise
comme «character», le titre des publications susmentionnées
définirait leur caractère.
Pour les motifs donnés ci-dessus, je conclus que l'expression
«Finishing Engineer» employée comme titre du périodique de la
requérante constitue une description claire de la nature et de la
qualité des marchandises de la requérante en liaison avec
lesquelles elle est employée, ou à l'égard desquelles on projette
de l'employer et que, par conséquent, elle n'est pas enregistra-
ble sous le régime de la Loi sur les marques de commerce.
Étant donné cette conclusion, je ne me prononcerai pas sur le
second moyen invoqué dans l'avis d'appel. [Page 363 R.C.É.;
pages 88 et 89 C.P.R.]
Les motifs du juge Fournier sont cités à titre
d'exemple dans la troisième édition de l'ouvrage de
Fox, The Canadian Law of Trade Marks and
Unfair Competition (Carswell, 1972); l'auteur
déclare aux pages 91 et 92:
[TRADUCTION] Le principe suivant lequel on refuse habituel-
lement de protéger dans une action l'emploi de mots constituant
une description exacte ou une description fausse, ou se rappor-
tant à la géographie, et suivant lequel on considère que ces mots
ne peuvent à prime abord être enregistrés comme marques de
commerce en vertu de la loi, est le même dans chaque cas. Si un
mot ou une autre marque ne distingue pas véritablement les
marchandises ou services d'une personne, il ne peut être
employé exclusivement. Les mots courants de la langue et les
autres éléments qui ne constituent rien de plus qu'une descrip
tion de la nature 126 , de la qualité ou du lieu d'origine des
marchandises ou services en liaison avec lesquels ils sont
employés, ou des personnes responsables de la présence de ces
marchandises sur le marché, doivent pouvoir être employés de
la même façon par tous les commerçants. [La note numéro 126
en bas de page renvoie à l'affaire citée plus haut.]
Les éléments de preuve, et notamment ceux qui
ont été déposés aux fins de l'audition du présent
appel, sont abondants. À l'audience, les avocats
ont attiré l'attention du tribunal sur les parties de
la preuve qu'il valait la peine, selon eux, de mettre
en évidence. En outre, le délibéré a donné le temps
et l'occasion de procéder à un examen attentif
desdits éléments de preuve. Un seul déposant,
Robert F. Wimmer de Forth Worth (Texas), pre-
mier vice-président de l'intimée, a été contre-inter-
rogé; ce contre-interrogatoire a été effectué par
écrit. L'appelant a déposé en preuve l'affidavit de
Claude Lajeunesse qui, au moment de sa déposi-
tion le 7 septembre 1979, était directeur général de
l'appelant; celui de Caroline Botterell, qui était
employée par les représentants de l'appelant et qui
a effectué des recherches sur les divers textes
législatifs des provinces et des territoires régissant
la profession d'ingénieur; et de Patricia Heidi
Sprung, étudiante en droit qui a effectué une
recherche approfondie dans les bibliothèques avec
l'aide du personnel et de l'ordinateur du Groupe de
recherche bibliographique, Prêts interbibliothè-
ques, à l'Institut canadien de l'information scienti-
fique et technique (ICIST) du Conseil national de
recherches du Canada; et finalement, celui de
Me John Kevin Carton. Les deux derniers dépo-
sants, Sprung et Carton, ont fait leur déclaration
assermentée en vue des procédures d'appel devant
cette Cour. Il en est de même pour le témoin de
l'intimée, Charles L. Brandt, de Forth Worth
(Texas) qui est vice-président exécutif de cette
dernière.
On peut souligner en passant que dans son
affidavit daté du 13 janvier 1984, M. Brandt a
déclaré sous serment:
[TRADUCTION] 15. La marque de commerce LUBRICATION
ENGINEERS a été choisie et employée à l'origine parce que la
nature du produit pour lequel elle devait être employée exigeait
des connaissances techniques des problèmes de lubrification et
de leurs solutions. Elle était considérée comme unique et propre
à Lubrication Engineers, Inc. et à ses produits, qui surpassaient
les produits analogues sur le marché.
Voir aussi le paragraphe 12 de la déclaration sous
serment de Robert F. Wimmer en date du 25 juin
1981.
Si on se rappelle maintenant que l'intimée a
renoncé à employer dans la marque de commerce
désirée le mot «Lubrication» qui, tout en étant un
nom, y est utilisé comme adjectif, l'idée de qualité
supérieure ou d'une meilleure qualité du produit
qu'évoque la marque ressort clairement. Le mot
«Engineers» fait immédiatement penser aux con-
naissances spécialisées d'un métier ou d'une pro
fession; employé au pluriel, il évoque en outre la
qualité spéciale ou particulière des opinions d'un
ou de plusieurs professionnels et de la mise en
commun de leurs connaissances techniques. Cela
rappelle ce qu'a déclaré le juge Cattanach dans
l'arrêt Molson Companies Ltd. c. John Labatt
Ltd. et autre (1981), 58 C.P.R. (2d) 157, la page
160:
L'opposition à l'enregistrement du mot «extra» à titre de
marque de commerce était fondée sur le fait que son emploi
pour des boissons alcooliques brassées constituait «une descrip
tion claire ... de la nature ou de la qualité des marchandises ou
services ... à l'égard desquels on projette de l'employer. et que
cette marque n'est pas enregistrable en vertu de l'al. 12(1)b).
Le registraire a rejeté l'opposition, mais cette décision a été
infirmée en appel sans qu'il y ait eu de motifs écrits.
Pure coïncidence, c'est moi-même qui ai entendu cet appel
(no du greffe T-3011-80). Après avoir entendu les plaidoiries
des avocats, il m'a paru tout à fait évident que le registraire
avait commis une telle erreur que sa décision ne pouvait être
maintenue.
L'emploi du mot «extra» pour des marchandises a une conno
tation louangeuse et laisse entendre que les marchandises sor-
tent de l'ordinaire ou encore qu'elles sont extraordinaires ou
spéciales. L'emploi de ce mot pris en lui-même est elliptique et
comme l'a déclaré le juge Pigeon dans l'arrêt S. C. Johnson &
Son, Ltd. et autre c. Marketing Intl Ltd. (1979), 44 C.P.R.
(2d) 16, à la p. 25, 105 D.L.R. (3d) 423, à la page 430, [1980]
1 R.C.S. 99, à la p. 110, ce mot «décrit la marchandise» et ne
constitue donc pas une simple suggestion des particularités de
celle-ci. Il en découle que le mot «extra» indique une améliora-
tion notable de la nature ou de la qualité des marchandises. Ces
motifs, qui ont été exprimés oralement à l'audience, sont à
l'origine de la décision d'accueillir l'appel.
Cela étant, le mot «extra» n'est donc pas enregistrable, en
vertu de l'al. 12(1)b).
Le juge Cattanach a ajouté [à la page 160] que la
marque de commerce projetée composée du nom
de l'intimée et du mot «extra» n'était pas enregis-
trable car «aucun des éléments de la marque de
commerce projetée ... n'étant enregistrable sépa-
rément», par conséquent, «leur combinaison n'est
pas enregistrable non plus».
Il ressort clairement de la preuve présentée par
l'appelant que certains ingénieurs inscrits au
Canada et aux États-Unis se sont intéressés sur le
plan professionnel à un domaine de la science que
l'on peut désigner sous le nom de génie de la
lubrification et en sont devenus des experts. En
fait, l'existence de l'American Society of Lubrica
ting Engineers (ASLE) et la connaissance de ce
fait par l'intimée sont amplement démontrées. La
pièce H jointe à l'affidavit de Patricia H. Sprung
montre que, dès août 1964, un dénommé C. H.
Elsley de Hamilton (Ontario), était vice-président
de l'ASLE pour la région du Canada. La pièce X
jointe audit affidavit révèle qu'un dénommé Wil-
liam H. Mann, en 1974-1975, a eu [TRADUCTION]
«l'honneur d'être le premier Canadien à devenir
président national de l'ASLE». Les pièces AA et
AB jointes à l'affidavit de Mm" Sprung indiquent
que la 32e assemblée annuelle de l'ASLE a été
organisée par des [TRADUCTION] «membres
dévoués du comité de planification de la section de
Montréal» et a été tenue à Montréal (Québec), en
mai 1977. La déclaration sous serment de Mmc
Sprung, en date du 9 décembre 1983, n'a pas été
soumise au registraire et c'est sans doute ce qui
explique qu'il a conclu que [TRADUCTION] «les
premières publications de l'ASLE jointes à l'affi-
davit de Lajeunesse sont datées de 1978, c'est-à-
dire bien après la date du dépôt de la présente
demande».
En l'espèce, l'appelant a fourni suffisamment de
preuves pour amener la Cour à arriver à la même
conclusion que le juge Fournier dans l'arrêt con-
cernant la marque «Finishing Engineer» (précité).
C'est pourquoi la Cour doit dans la présente ins
tance annuler la décision du registraire. La
marque de commerce projetée constitue une des
cription claire ou une description fausse et trom-
peuse de la nature ou de la qualité des marchandi-
ses de l'intimée. Elle contrevient à l'alinéa 12(1)b)
de la Loi.
Il existe entre le jugement rendu dans l'affaire
Association of Professional Engineers of the Pro
vince of Ontario v. Registrar of TradeMarks et
l'affaire en instance certaines différences qui pour-
raient paraître plus importantes devant un autre
tribunal bien qu'elles ne semblent pas déterminan-
tes pour l'issue du présent litige. Ainsi, le compte
rendu de la décision du juge Fournier n'indique
aucune renonciation à l'emploi du mot «Finishing».
Les dispositions de l'article 14 ne s'appliquaient
pas dans cette affaire. En outre, les marchandises
de la requérante consistaient en une série de pério-
diques plutôt qu'en des graisses, graphites et huiles
qui font partie en l'espèce des marchandises de
l'intimée. En réalité, le registraire s'est fondé sur
cette dernière différence pour ne pas appliquer la
décision du juge Fournier aux faits de l'espèce.
Après avoir rejeté l'opposition de l'appelant
fondée sur l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les mar-
ques de commerce parce qu'il jugeait que le pré-
sent litige était différent de l'affaire portant sur la
marque «Finishing Engineer», le registraire a jugé
qu'il n'avait pas besoin d'examiner la demande de
l'intimée fondée sur l'article 14 de la Loi. Il a écrit:
[TRADUCTION] Tout au long des procédures d'opposition et
pendant l'audition, plusieurs arguments ont été avancés relati-
vement à la revendication par la requérante du bénéfice de
l'article 14 de la Loi. Étant donné ma conclusion en ce qui
concerne les motifs d'opposition fondés sur l'alinéa 12(1)b) de
la Loi, il devient inutile d'examiner la revendication de la
requérante concernant l'article 14. Cependant, j'aimerais souli-
gner en passant que, de toute façon, les affidavits de M.
Wimmer (et en particulier, le troisième) n'auraient pas suffi
pour justifier la revendication de l'application de l'article 14 de
la Loi compte tenu du nombre minime de ventes effectuées au
Canada par la requérante [l'intimée en l'espèce].
Si le registraire avait examiné et analysé de
manière plus approfondie la revendication de l'inti-
mée fondée sur l'article 14, il aurait très bien pu
conclure qu'elle était sans fondement pour de bien
meilleurs motifs que celui du «nombre minime de
ventes effectuées au Canada par... [l'intimée...]».
Lorsqu'on les interprète du point de vue de
l'intérêt public, l'alinéa 14(1)c) et l'article 9 englo-
bent la partie de l'alinéa 12(1)b) qui ne permet pas
l'enregistrement d'une marque de commerce si elle
constitue «soit une description claire, soit une des
cription fausse et trompeuse ... des personnes qui
... sont employées [à la production des marchan-
dises ou services]». Il existe donc un motif plus
important que celui qui est exprimé en termes
voilés à l'alinéa 12(1)b) pour justifier le refus de
l'enregistrement d'une marque de commerce proje-
tée, et il est formulé aux alinéas 14(1)c) et 9(1)d).
Même si la Cour commettait une erreur en
accueillant le présent appel et en infirmant, sur le
fondement de l'alinéa 12(1)b) seulement, la con
clusion du registraire en ce qui concerne le carac-
tère enregistrable de la marque, il existe un autre
moyen d'opposition fondé sur les diverses disposi
tions législatives adoptées par les provinces et les
territoires relativement à la profession d'ingénieur.
L'appelant a invoqué ce moyen au cours des procé-
dures d'opposition devant le registraire et en appel
devant cette Cour. Le même moyen d'appel, ou un
moyen similaire, a été avancé devant le juge Four-
nier dans l'affaire relative à la marque «Finishing
Engineer», mais comme ce dernier l'a fait remar-
quer dans les extraits cités plus haut, il a refusé de
se prononcer sur le second moyen d'appel invoqué
dans l'avis d'appel, une fois sa décision rendue
concernant l'alinéa 12(1)b). Toutefois, en l'espèce,
le registraire a examiné cet autre moyen d'opposi-
tion (et d'appel) en rapport avec l'alinéa 9(1)d) de
la Loi.
Le registraire a écrit dans les motifs de sa
décision:
[TRADUCTION] En ce qui concerne le motif d'opposition
fondé sur l'alinéa 9(l)d) de la Loi, cet alinéa est libellé comme
suit:
9. (1) Nul ne doit adopter à l'égard d'une entreprise, comme
marque de commerce ou autrement, une marque composée
de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on
pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit:.. .
d) un mot ou symbole susceptible de porter à croire que les
marchandises ou services en liaison avec lesquels il est
employé ont reçu l'approbation royale, vice-royale ou gouver-
nementale, ou sont produits, vendus ou exécutés sous le
patronage ou sur l'autorité royale, vice-royale ou gouverne-
mentale;
La seule partie de l'alinéa 9(l)d) de la Loi qui pourrait
s'appliquer est la mention de »l'approbation ... gouvernemen-
tale ... ou ... le patronage ou ... l'autorité ... gouvernemen-
tale», l'opposant étant d'avis que l'emploi de la marque de
commerce par la requérante porterait à croire que cette der-
nière a satisfait aux dispositions des divers textes de lois adoptés
par les provinces et les territoires relativement à la réglementa-
tion de la profession d'ingénieur au Canada. Même si on
acceptait cette conclusion de l'opposant, je ne vois pas comment
elle pourrait m'amener à conclure que les marchandises de la
requérante ont d'une manière ou d'une autre reçu l'approbation
gouvernementale ou sont produites ou vendues sous le patro
nage ou sur l'autorité gouvernementale. Ce n'est pas parce
qu'un gouvernement permet à une profession d'adopter ses
propres règles qu'il faut conclure que toutes les activités de
ladite profession sont exercées sur l'autorité du gouvernement
ou avec l'approbation de celui-ci, ou encore, que le public croira
qu'il existe un tel rapport. Je rejette donc le motif d'opposition
de l'opposant fondé sur l'alinéa 9(1)d) de la Loi.
Il est évident que le registraire a mal interprété le
sens de cette disposition; il semble toutefois avoir
compris la signification de l'expression «autorité
... gouvernementale». Cette expression ne se
limite pas à l'idée de gouvernement en place qui
correspond, au sens partisan, au corps politique
formé par le premier ministre et son parti politi-
que. Au contraire, elle englobe la notion plus
générale de pouvoir officiel découlant du souverain
et du peuple, et elle inclut les branches législative,
exécutive et judiciaire du gouvernement et peut-
être même, les autorités municipales.
L'article 9 de la Loi a une portée civile et
administrative qui relève de la décision du regis-
traire et des tribunaux, et comporte également un
aspect pénal qui n'est pas pertinent en l'espèce si
ce n'est pour indiquer que ces deux aspects déno-
tent d'emblée une politique générale qui assure
l'ordre public. C'est également l'objet de l'alinéa c)
de l'article 14 sur lequel le registraire n'a pas cru
bon de se prononcer en ce qui concerne les revendi-
cations de l'intimée visant l'enregistrement de sa
marque de commerce projetée. Étant donné le rôle
de l'alinéa 12(1)b) dans la décision concernant le
présent appel et la ressemblance de cet alinéa avec
une partie de l'alinéa 14(1)c), il convient d'exposer
les dispositions applicables de l'article 14:
14. (1) Nonobstant l'article 12, une marque de commerce
que le requérant ou son prédécesseur en titre a fait dûment
déposer dans son pays d'origine est enregistrable si, au Canada,
c) elle n'est pas contraire à ... l'ordre public, ni de nature à
tromper le public; ou
d) son adoption comme marque de commerce n'est pas
interdite par l'article 9 ou 10. [C'est moi qui souligne.]
Ainsi, indépendamment de l'article 12, une
marque de commerce étrangère ne peut être enre-
gistrée si elle est contraire à l'ordre public ou si
elle est de nature à tromper le public selon les
termes de l'article 14, qui renvoie aux questions
d'ordre public énumérées à l'article 9. Ledit article
9 est un article d'application générale et ne se
limite pas à la question des marques de commerce
étrangères.
Les dispositions législatives provinciales régle-
mentant les professions sont des lois d'ordre public.
Dans l'arrêt Pauze v. Gauvin, [ 1954] R.C.S. 15, le
juge Taschereau a écrit, en son nom et en celui du
juge Fauteux, à la page 19:
Ce n'est pas la première fois que les tribunaux sont saisis
d'un semblable litige et qu'on ait eu à décider que cette loi des
Architectes était une loi d'ordre public. Je suis entièrement
d'accord avec cette jurisprudence, de même qu'avec les opinions
émises par les juges dissidents dans la présente cause. [C'est
moi qui souligne.]
Le juge Cartwright a souscrit dans des motifs
distincts à l'opinion du juge Taschereau; toutefois,
sur ce point particulier, la Cour suprême était
unanime, car même les juges Rand et Kellock ont
dit à la page 23 de leur jugement dissident pro-
noncé par le juge Kellock:
[TRADUCTION] À mon avis, compte tenu du préambule, on
ne peut prétendre que cette loi n'est pas d'ordre public ...
De toute façon, je suis d'avis qu'une loi comme celle dont il
est question en l'espèce est une loi d'ordre public entraînant la
nullité de tous les contrats conclus en violation de celle-ci; ...
[C'est moi qui souligne.]
Plus récemment, la Cour suprême du Canada
s'est encore une fois prononcée de manière una-
nime sur ce point par l'intermédiaire du juge de
Grandpré dans l'arrêt Laporte c. Collège des
pharmaciens (Québec), [ 1976] 1 R.C.S. 101, aux
pages 102 et 103:
L'étude de la question doit être entreprise à la lumière du
principe posé par cette Cour dans l'arrêt Pauze c. Gauvin. En
particulier, je fais mien le passage suivant tiré des notes de M.
le juge Taschereau, devenu plus tard juge en chef: (à la p. 18):
Les statuts créant ces monopoles professionnels sanctionnés
par la loi, dont l'accès est contrôlé, et qui protègent leurs
membres agréés qui remplissent des conditions déterminées,
contre toute concurrence, doivent cependant être strictement
appliqués. Tout ce qui n'est pas clairement défendu peut être
fait impunément par tous ceux qui ne font pas partie de ces
associations fermées.
Dans une décision rendue au Manitoba, Asso
ciation of Professional Engineers v. Martin and
Bucklaschuk (1983), 23 Man.R. (2d) 244, le juge
Ferg de la Cour de comté (tel était alors son titre)
a décrit la question en litige comme suit aux pages
244 et 245:
[TRADUCTION] La requérante se considérant aune personne
lésée» présente, conformément aux dispositions de la Business
Names Registration Act, C.C.S.M., c. B110, art. 15(1), une
demande visant une ordonnance enjoignant à l'intimé, le minis-
tre de la Consommation et des Corporations, d'annuler l'enre-
gistrement de la raison sociale de l'autre intimée, «l.S.-Con
crete Engineering», notamment pour le motif que l'intimé Peter
Martin n'est pas un ingénieur inscrit à l'ordre, et qu'on peut
s'opposer, pour des raisons d'ordre public, à ce que sa société
soit considérée ou jugée capable de fournir des services profes-
sionnels d'ingénierie. Le Ministre intimé ainsi, évidemment, que
l'intimé Peter Martin s'opposent à la demande.
On peut constater que le litige dont le juge Ferg a
été saisi est différent de celui dont il est question
dans le présent appel. Bien que cette affaire
semble soulever le même principe juridique, l'in-
timé Peter Martin, qui n'était pas un ingénieur
inscrit à l'ordre, fournissait et installait par l'inter-
médiaire de sa société, dont il était seul proprié-
taire, des produits de remplissage pour structures
en béton, et il effectuait les réparations desdites
structures, notamment en rendant étanches des
réacteurs nucléaires, et en réparant des ouvrages
d'évacuation des crues pour des projets hydro-élec-
triques, des barrages en béton, d'autres installa
tions de régulation des eaux, des ponts, des routes
et des parcs-autos. Il a affirmé qu'il ne se préten-
dait pas ingénieur et qu'il faisait affaire la plupart
du temps avec des ingénieurs et des ingénieurs-
conseils qui étaient eux-mêmes employés par les
gouvernements provinciaux, les villes, les services
d'électricité et d'autres services publics.
Après avoir souligné les dispositions applicables
de la Business Names Registration Act du Mani-
toba [R.S.M. 1970, chap. B-110], le juge Ferg a
mentionné les articles suivants de la Engineering
Profession Act, C.C.S.M., chap. E-120:
[TRADUCTION] 28 Sauf disposition contraire de la présente
loi, nul ne doit
a) se livrer à l'exercice de la profession d'ingénieur;
b) s'attribuer verbalement ou autrement le titre d'oingénieuro
ou une abréviation de ce titre, ou un nom, un titre, une
désignation ou un terme descriptif qui peut amener une autre
personne à croire qu'il est un ingénieur ou qu'il a le droit de
se livrer à l'exercice de la profession d'ingénieur;
c) agir d'une manière qui porte à croire qu'il est autorisé à
exercer les fonctions d'ingénieur ou à agir à ce titre; ou
d) en aucun temps ni d'aucune manière annoncer, inscrire,
mettre en évidence ou utiliser, en rapport avec sonnom, un
titre, un nom, une désignation ou un terme descriptif laissant
supposer qu'il est inscrit sous le régime de la présente loi ou
qu'il a le droit de se livrer à l'exercice de la profession
d'ingénieur ou visant à amener une autre personne à tirer
cette conclusion
à moins qu'il ne soit inscrit sous le régime de la présente loi et
qu'il ne soit membre de l'association ou détenteur d'un permis
accordé en vertu de ladite loi. [C'est moi qui souligne.]
29 Toute personne qui contrevient aux dispositions de la
présente loi est coupable d'une infraction et passible, sur décla-
ration sommaire de culpabilité, d'une amende d'au moins vingt-
cinq dollars et d'au plus cent dollars dans le cas d'une première
infraction, et d'une amende d'au moins cent dollars et d'au plus
deux cents dollars dans le cas d'une récidive.
L'article 29 précité tire sa source législative et
constitutionnelle de la rubrique 15 de l'article 92
de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 1)] qui prévoit que les assemblées
législatives des provinces peuvent exclusivement
légiférer relativement à:
92....
15. L'imposition de sanctions, par voie d'amende, de pénalité
ou d'emprisonnement, en vue de faire exécuter toute loi de la
province sur des matières rentrant dans l'une quelconque des
catégories de sujets énumérés au présent article;
Après avoir fait mention de la Engineering Pro
fession Act, (précitée), le juge Ferg a ajouté aux
pages 246 et 247:
[TRADUCTION] Cette Loi, qui est une loi d'ordre public et a
été sanctionnée par l'autorité législative, prévoit qu'en cas de
violation, le contrevenant peut être poursuivi. (Voir art. 29
précité.) ... Il ne faut toutefois pas oublier que ces dispositions
législatives existent principalement dans le but de protéger le
public contre les charlatans, les soi-disant avocats ou les ingé-
nieurs non qualifiés ... le tribunal doit agir uniquement dans
l'intérêt des membres du public qui pourraient être induits en
erreur, trompés ou victimes de confusion, le dommage causé à
une partie étant une conséquence tout à fait secondaire.
Le texte législatif créant cette profession s'intitule «The
Engineering Professions (l'italique est de moi) et ce mot revient
tout au long de la loi. Celui-ci ne peut certes pas faire l'objet
d'un usage exclusif par la profession; il peut avoir d'autres
emplois, mais lorsqu'un non-professionnel l'utilise dans sa
raison sociale et le fait connaître publiquement en l'employant
comme raison sociale, il me semble évident que cette personne a
pleinement l'intention de donner à penser au public qu'elle lui
offre ou lui fournit des services d'ingénierie. Si ce mot n'est pas
destiné à évoquer quelque chose de bien particulier pour le
public, alors pourquoi l'employer dans une raison sociale, et
surtout en l'espèce, pour le genre d'entreprise exploitée par
l'intimé Peter Martin. Quelle autre signification ou quelles
autres connotations pourrait-il avoir?
Dans l'affaire en instance, la réponse à cette ques
tion a été fournie par le vice-président exécutif de
l'intimée, Charles L. Brandt, cité plus haut, ainsi
que par Robert F. Wimmer.
Au Canada, la réglementation des professions
relève de la compétence législative des provinces.
La jurisprudence citée plus haut donne des exem-
ples de cas précis concernant des lois d'ordre
public. Procureur général du Canada et autres c.
Law Society of British Columbia et autre, [1982]
2 R.C.S. 307 est un autre arrêt récent faisant
autorité. Dans cette affaire, le jugement unanime
de la Cour suprême du Canada a été rendu par le
juge Estey qui a écrit aux pages 334 et 335:
Assurer cette protection, voilà l'objet premier de la Legal
Professions Act. On peut ne pas être d'accord sur l'efficacité du
mode choisi à cette fin par la législature, mais aucune partie en
l'espèce ne conteste le droit de la province d'adopter la loi.
Il appartient à la législature d'étudier et de régler toutes ces
questions et je ne vois aucune conséquence constitutionnelle qui
découle nécessairement du mode de réglementation établi par
la province au moyen d'une loi validement adoptée dans l'exer-
cice de sa compétence exclusive, comme c'est le cas en l'espèce.
Les propos du juge Estey de la Cour suprême du
Canada rappellent l'exposé de Sir Barnes Peacock
qui a rendu le jugement du Comité judiciaire du
Conseil privé dans l'arrêt Hodge v. Reg.
(1883-84), 9 App. Cas. 117, la page 132, Olms-
ted, vol. 1, page 184, aux pages 198 et 199:
[TRADUCTION] Toutefois, il semble évident à leurs Seigneu-
ries que l'objection ainsi soulevée par les appelants repose sur
une conception tout à fait erronée du caractère et de la
situation réels des législatures provinciales. Celles-ci ne sont en
aucune façon les délégués du Parlement impérial; elles n'agis-
sent pas non plus en vertu d'aucun mandat reçu de ce dernier.
En décrétant que l'Ontario avait droit à une législature et qu'il
appartenait en exclusivité à son Assemblée législative d'adopter
des lois pour la province et pour des fins provinciales relative-
ment aux catégories de sujets énumérés à l'art. 92, l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique lui conféra, non pas des
pouvoirs qu'elle était censée exercer par délégation ou en
qualité de représentant du Parlement impérial, mais une auto-
rité aussi complète et aussi vaste, dans les limites prescrites par
l'art. 92, que le Parlement impérial, dans la plénitude de ses
attributions, possédait et pouvait conférer. Dans les limites des
sujets précités et à l'intérieur de ce cadre, la législature locale
est souveraine et possède le même pouvoir que le Parlement
impérial ou le Parlement du Dominion aurait, dans des circons-
tances analogues, de déléguer à une institution municipale ou à
un organisme de sa création le pouvoir d'adopter des règle-
ments ou résolutions quant aux sujets mentionnés dans la loi, en
vue de la mise en vigueur et de l'application de ladite loi.
Ce pouvoir gouvernemental des assemblées législa-
tives provinciales, dans leurs domaines de compé-
tence, est aussi étendu et absolu aujourd'hui qu'il
l'était un siècle plus tôt.
La déclaration sous serment de Caroline Botte-
rell, en date du 14 juillet 1979, a été déposée
devant le registraire au cours des procédures d'op-
position et devant cette Cour dans le présent appel.
Sont jointes à cet affidavit des copies des ordon-
nances des deux territoires ainsi que des copies des
lois adoptées par les assemblées législatives des dix
provinces relativement à la profession d'ingénieur.
Chacun de ces textes de loi d'ordre public contient
des dispositions identiques ou semblables aux arti
cles 28 et 29 de la Engineering Profession Act du
Manitoba susmentionnés. Cela veut dire que toutes
ces assemblées législatives ont solennellement
décrété, dans les limites des compétences exclusi
ves qui leur sont conférées par la Constitution, que
personne (cette expression désigne également une
société) ne doit s'approprier un mot, une abrévia-
tion, un nom ou une désignation qui porterait à
croire qu'elle est un ingénieur, ou faire croire en
utilisant un moyen ou un autre, y compris la
publicité, qu'elle en est un à moins que cette
personne ne soit titulaire d'un permis ou ne soit
dûment inscrite auprès de l'association profession-
nelle et qu'elle ne fasse l'objet ni d'une suspension
ni d'une radiation.
On trouve un exemple (rédigé dans les deux
langues officielles) de ce genre de disposition dans
la Loi des ingénieurs, chapitre 262 des lois du
Québec [S.R.Q. 1964 (mod. par L.Q. 1973, chap.
60, art. 22)] qui porte:
27. Quiconque, sans être membre en règle de l'Ordre:
1° exécute l'un des actes visés à l'article 3 ci-dessus;
2° prend le titre d'ingénieur seul ou avec qualificatifs, ou se
sert d'une abréviation de ce titre, ou d'un nom, titre ou
désignation pouvant faire comprendre qu'il est ingénieur ou
membre de l'Ordre;
3° s'annonce comme tel;
4° agit de manière à donner lieu de croire qu'il est autorisé
à exercer les fonctions d'ingénieur ou à agir comme tel;
5° authentique par sceau, signature ou initiales un docu
ment relatif à l'exercice de la profession d'ingénieur; ou
6° sciemment, annonce ou désigne comme ingénieur une
personne qui n'est pas membre de l'Ordre,
est coupable d'une infraction et passible des peines prévues à
l'article 182 du Code des professions.
Toutes les autres lois et ordonnances prévoient que
quiconque viole leurs dispositions à cet égard est
passible, sur déclaration sommaire de culpabilité,
d'une amende et également, dans plusieurs cas,
d'une peine d'emprisonnement.
Il faut souligner en l'espèce que, étant interrogé
pour la troisième fois au sujet de son affidavit, M.
Wimmer a répondu par la négative à la question
de savoir si l'intimée a les qualifications requises
pour exploiter son entreprise dans une province ou
un territoire du Canada. En outre, l'intimée n'a
jamais prétendu qu'elle-même, ses cadres ou ses
employés étaient membres en règle d'une associa
tion professionnelle d'ingénieurs d'une province ou
d'un territoire. Elle a bien présenté des éléments de
preuve démontrant le statut professionnel de cer-
tains de ses membres en vertu de lois de divers
États américains, mais dans les circonstances ces
éléments de preuve ne sont pas du tout pertinents.
Ainsi, le mot «engineer», qui est prohibé par les
lois d'ordre public adoptées par les provinces et les
territoires lorsqu'une personne qui n'est ni titulaire
d'un permis ni inscrite auprès d'une association
l'emploie de manière à laisser croire qu'elle est
légalement autorisée à porter ce titre, est égale-
ment visé par l'interdiction contenue à l'alinéa
9(1)d) de la Loi sur les marques de commerce
parce qu'il s'agit d'un «mot ... susceptible de
porter à croire que les marchandises ou services en
liaison avec lesquels il est employé ont reçu l'ap-
probation ... gouvernementale, ou sont produits,
vendus ou exécutés ... sur l'autorité ... gouverne-
mentale». Dans une large mesure, les Canadiens
font confiance à juste titre aux actes officiels
effectués et aux désignations faites avec l'approba-
tion ou sur l'autorité gouvernementale. Ils sont en
droit de déduire l'existence de cette autorité de
l'emploi du mot «engineers» comme titre de profes
sion, au sens des lois provinciales, ou dans une
marque de commerce, au sens de la loi fédérale,
lorsque son emploi dans chaque cas a reçu une
approbation officielle.
Il faut conclure qu'en employant l'expression
«porter à croire», ou d'autres mots ayant le même
effet, le parlement fédéral et les autres législatures
visaient à la fois les titres officiels des profession-
nels et les expressions populaires ou familières
utilisées pour les désigner. Ainsi, on utilise de
manière quasi générale le mot docteurs (doctors)
pour désigner les médecins et les chirurgiens (phy-
sicians and surgeons). En anglais, les «barristers»
et les «solicitors» sont désignés par le terme
«lawyers». C'est pourquoi lorsqu'il lui faut décider
si des marques de commerce projetées peuvent être
enregistrées, le registraire ne doit pas permettre
l'enregistrement d'expressions comme «baby doc
tors», «bone surgeons», «divorce lawyers» ou «liti-
gation barristers», et a fortiori, «lubrication
engineers».
Il existe un autre motif pour justifier le refus
d'enregistrer des titres professionnels comme mar-
ques de commerce. Il s'agit d'un motif d'ordre
pratique tout à fait conséquent avec les interdic-
tions contenues dans les textes de loi. C'est qu'il
est pratiquement impossible pour le registraire de
savoir, de jour en jour, qui est habilité à porter un
titre professionnel ou à qui il est interdit de le faire
en raison de son expulsion d'une association pro-
fessionnelle d'une province ou d'un territoire, ou
encore de l'abandon de son statut professionnel.
Les organes de direction créés par les lois applica-
bles des divers territoires et provinces tiennent des
dossiers relatifs à ces questions. Ils sont chargés
d'appliquer la discipline et de faire respecter leurs
règles respectives interdisant l'exercice non auto-
risé d'une profession et l'emploi non autorisé de
titres professionnels qui «portent à croire» dans le
public qu'une personne qui n'est pas titulaire d'un
permis ou qui n'est pas inscrite auprès d'une asso
ciation professionnelle particulière en est un
membre qualifié.
Dans un État fédéral qui, comme le Canada,
comporte plusieurs juridictions, il est tout autant
nécessaire, sinon plus, qu'il existe un accord entre
les divers textes de loi comme c'est le cas entre les
nations. C'est sans aucun doute pour cette raison
que le législateur fédéral a adopté l'alinéa 9(1)d)
de la Loi sur les marques de commerce.
Compte tenu des conclusions exposées ci-dessus,
il semble qu'il ne soit pas nécessaire d'examiner la
doctrine de la primauté de l'interprétation consti-
tutionnelle. Il apparaît qu'il n'existe entre les dis
positions législatives fédérales et provinciales
aucune contradiction permettant d'invoquer cette
doctrine. Si, toutefois, on peut ressentir le besoin
d'invoquer cette doctrine de la primauté dans les
circonstances, la Cour n'a qu'à recourir aux arrêts
récents des juridictions d'appel au Canada. Il est
possible de constater comment cette doctrine est
appliquée dans les arrêts Scowby v. Chmn. of B. of
Inquiry, [1983] 4 W.W.R. 97, décision unanime
de la Cour d'appel de la Saskatchewan sur laquelle
devra maintenant se pencher la Cour suprême du
Canada [jugement non encore rendu, dossier n°
17313]; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon et
autres, [ 1982] 2 R.C.S. 161, et Procureur général
du Canada et autres c. Law Society of British
Columbia et autre (précité).
Certains passages des motifs de jugement du
juge Estey qui a rendu le jugement unanime de la
Cour suprême du Canada dans l'arrêt Jabour, cité
plus haut, montreront par analogie que, dans l'af-
faire en instance, la primauté reconnue de la loi
fédérale dans le domaine des marques de com
merce n'annule pas les interdictions adoptées par
les provinces relativement à l'emploi non autorisé
de titres professionnels prévus par la loi. Le juge a
écrit à la page 347:
Le rapport entre les lois de réglementation provinciales et la
loi fédérale est une question souvent débattue devant les cours.
Les arrêts dans ce domaine sont généralement appelés «arrêts
relatifs aux industries réglementées. Les appelants se fondent
sur ces arrêts pour démontrer la prépondérance du pouvoir
fédéral, du moins lorsque:
a) la loi provinciale n'autorise pas expressément la conduite
de l'autorité publique impliquée dans le litige, et
b) la loi fédérale prévoit expressément que pareille conduite
constitue une infraction criminellle.
Les intimées, par contre, tirent de ces arrêts la conclusion que,
à moins que la loi fédérale ne soit clairement incompatible avec
la loi de réglementation provinciale, la bonne interprétation est
celle qui évite tout conflit.
On trouve aussi le passage suivant aux pages 348
et 349:
Dans l'affaire R. v. Simoneau (1935), 65 C.C.C. 19, une
commission nommée par la province, agissant en vertu d'une loi
québécoise, avait fixé des prix minimums pour la vente de lait
dans la province de Québec. Suivant le même raisonnement que
celui adopté dans l'arrêt Chung Chuck, la cour a conclu qu'il
n'y avait pas conflit entre les lois provinciale et fédérale et
qu'en outre, l'observation d'une loi provinciale valide ne pouvait
résulter en un acte contraire à l'intérêt public.
Le juge Estey a ensuite cité à la même page le juge
Martin de la Cour d'appel de la Saskatchewan
dans l'arrêt Cherry v. The King ex rel. Wood
(1937), 69 C.C.C. 219, la page 226:
[TRADUCTION] De plus, on ne saurait sûrement pas prétendre
avec succès que, lorsqu'une commission exerce les pouvoirs que
lui confère la législature et qui visent la réglementation et le
contrôle de la production, du traitement et de la distribution
d'une denrée dans la province acompte tenu surtout des intérêts
du public ainsi que de la continuité et de la qualité de l'approvi-
sionnement», elle se rend passible de poursuites fondées sur
l'art. 498; s'il en était ainsi la province se trouverait dans
l'impossibilité d'exercer ses pouvoirs en matière de propriété et
de droits civils, domaines qui relèvent de sa compétence
exclusive.
Des exemples de cette sorte abondent dans les
motifs de jugement de l'arrêt Jabour, mais une
dernière citation tirée de cette affaire suffira en
l'espèce. Le juge Estey a dit aux pages 355 et 356:
Cette obligation s'inscrit dans le cadre d'un vaste ensemble de
pouvoirs accordés à l'Association pour qu'elle puisse régir la
profession dans l'intérêt à la fois du public et des membres de
l'Association. Les mots que le Parlement a utilisés à l'art. 32 et
que je viens de reproduire ne s'emploient pas d'ordinaire pour
désigner les actes de personnes qui occupent une charge au sein
d'un organisme de réglementation dont la création est autorisée
par une province et qui s'acquittent de leurs obligations envers
la collectivité en application de la loi constitutive de l'orga-
nisme. Cela tient particulièrement lorsque le groupe dont on dit
qu'il a comploté agissait en réalité, à l'époque en question, à
titre de corps délibérant dont l'existence tenait à une loi
provinciale. Chaque fois qu'on peut légitimement interpréter
une loi fédérale de manière qu'elle n'entre pas en conflit avec
une loi provinciale, il faut appliquer cette interprétation de
préférence à toute autre qui entraînerait un conflit.
Ainsi, en l'espèce, on évite un conflit en con-
cluant que la Loi sur les marques de commerce
exige simplement que le registraire s'abstienne
d'enregistrer des mots ou des expressions compo-
sées de mots désignant le nom officiel ou familier
de professions dont les membres sont les seules
personnes habilitées à employer ces noms, désigna-
tions ou titres à des fins commerciales ou profes-
sionnelles, conformément aux lois adoptées par les
provinces et les territoires.
Enfin, étant donné que l'intimée a renoncé au
mot «Lubrication» et que le mot «Engineers» ne
peut être enregistré pour tous les motifs exposés
plus haut, la marque de commerce projetée intitu-
lée «Lubrication Engineers» est rejetée. Elle ne doit
pas être enregistrée. L'appel est accueilli avec
dépens taxables en faveur de l'appelant.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.