T-812-84
Le Groupe des éleveurs de volailles de l'est de
l'Ontario, D. Beauchesne, J. Beauchesne, E.
Guay, G. Dupont, B. Piche, M. Piche, M. Ranger,
Jacques Drouin, Jeanne Drouin, P. Soucy, M.
Thiele, F. Quesnel, C. Levac, F. Neveu, A. Lafle-
che, P. St.-Onge, B. Lalonde, M. Lamoureux, D.
Bourgon, R. Seguin, R. Bourgoie, A. Peloquin, J.
C. St-Denis, C. Gravel, A. Grenier, D. Lauzon, L.
Duval, Y. Duval et R. Lalonde (requérants)
c.
Office canadien de commercialisation des poulets
(intimé)
Division de première instance, juge Strayer—
Ottawa, 25 juin et 30 août 1984.
Agriculture — Offices de commercialisation — Commerce
intra et interprovincial — Contingents — Les offices provin-
ciaux établissent des critères d'attribution de contingents pour
le commerce interprovincial ou international — En vertu des
art. 10 et 10.1 du Règlement, les offices devaient attribuer des
contingents aux producteurs ayant des contingents intrapro-
vinciaux au moment de l'entrée en vigueur du plan de com
mercialisation et aux producteurs qui s'étaient engagés dans la
commercialisation interprovinciale au cours de l'année précé-
dant l'entrée en vigueur de celui-ci — L'Office provincial a
rejeté la demande de contingents — Les autorités fédérales ne
sont pas intervenues — Action, intentée contre l'Office fédéral
et contre l'Office provincial en tant que mandataire, en déli-
vrance d'un bref de certiorari, d'une injonction, d'un bref de
prohibition et d'un jugement déclaratoire — Le Règlement a
été contesté parce qu'il serait incompatible avec les objets de la
Loi, discriminatoire et déraisonnable — Des questions concer-
nant la compétence et la procédure ont été soulevées — Loi sur
les offices de commercialisation des produits de ferme, S.C.
1970-71-72, chap. 65, art. 2e), 6, 7, 18, 22, 23(2),(3) —
Règlement canadien sur le contingentement de la commerciali
sation des poulets, DORS/79-559, art. 3, 4, 5, 6, 10, 10.1
(mod. par DORS/82-859, Annexe, art. 1), Annexe Ill, art. 1, 3
(mod. idem, art. 2) — Proclamation visant l'Office canadien de
commercialisation des poulets, DORS/79-158, art. I, 5, 6 —
Ordonnance sur la délégation du pouvoir de contingentement
de l'Office canadien de commercialisation des poulets,
DORS/79-535, art. 3.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté de
circulation et d'établissement — L'art. 6(2)b) garantit le droit
de gagner sa vie dans toute province — L'art. 6(3)a) subor-
donne les droits prévus à l'art. 6(2) aux lois d'application
générale pourvu qu'elles n'établissent aucune distinction
fondée sur la province de résidence — Les lois sur la commer
cialisation sont d'application générale — Aucune distinction
au sens de l'art. 6(3)a) — Examen de l'arrdt Law Society of
Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357 — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 6(2)b),(3)a).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité de la personne — Application du sens de l'expression
«liberté et sécurité de la personne» adopté dans l'affaire R. c.
Operation Dismantle Inc., /19831 I C.F. 745 (C.A.) — L'art. 7
ne garantit aucun droit quant au fond, mais il prévoit une
protection sur le plan de la procédure, quant à la manière dont
il peut être porté atteinte aux droits — Le refus par l'Office
d'entendre l'appel ne constitue nullement un déni de justice
fondamentale — Les lois portant atteinte à la liberté contrac-
tuelle ou à la liberté d'entreprise doivent être interprétées
restrictivement — L'art. 26 n'attribue pas aux libertés de
common law une portée plus grande — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 7, 26.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Échanges
et commerce — La compétence du Parlement relative aux
échanges et au commerce ne comprend pas les échanges et le
commerce intraprovinciaux — Délégation aux offices provin-
ciaux du pouvoir d'administrer le système de contingentement
réglementant la commercialisation interprovinciale de la
viande de poulet — Les requérants n'ont pas réussi à obtenir
des contingents — Action intentée contre l'Office fédéral et
contre l'Office provincial en tant que mandataire — Questions
de compétence soulevées — Loi constitutionnelle de 1867, 30
& 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) JS.R.C. 1970, Appendice II, n° 5 J
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. Il
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
96, 101.
Déclaration des droits — Droit à l'égalité — L'art. lb)
garantit le droit de l'individu à l'égalité devant la loi —
L'Eastern Ontario Broiler Producers' Association a obtenu une
modification du Règlement permettant à ses membres d'ac-
quérir des contingents — Le Règlement n'a pas été modifié
pour les requérants — Une loi ne va à l'encontre de l'art. lb)
que si elle crée des distinctions entre diverses catégories d'indi-
vidus qui n'ont aucun rapport connexe avec un objectif législa-
tif valide — Le Règlement est raisonnable et a un rapport
connexe avec le plan de commercialisation — Le Règlement
n'exige pas qu'on empêche d'autres personnes de recevoir des
contingents — Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970,
Appendice III, art. lb).
Compétence — Cours supérieures des provinces — La Cour
suprême de l'Ontario ne saurait décerner un bref de certiorari
ni un bref de mandamus contre un office fédéral — Il n'est pas
certain que les cours supérieures des provinces puissent rendre
un jugement déclaratoire quant à la validité des règlements
fédéraux qui sont en conflit avec la Charte — Rien ne justifie
un droit implicite garanti de rendre un jugement déclaratoire,
puisque la situation ne menace ni le régime fédéral ni les
sauvegardes constitutionnelles des droits et libertés des parti-
culiers — Examen de l'arrêt Procureur général du Canada et
autres, c. Law Society of British Columbia et autre, 119821 2
R.C.S. 307.
Compétence — Cour fédérale — Division de première ins
tance — L'Office provincial établi en vertu d'une loi provin-
ciale ne relève pas des pouvoirs de contrôle judiciaire de la
Division de première instance de la Cour fédérale — La Cour
d'appel n'est pas l'instance appropriée puisque les procédures
ne visent pas des fonctions de nature judiciaire ou quasi
judiciaire — En vertu des art. 2 et 18, la Cour a compétence
exclusive sur l'Office fédéral, établi en vertu d'une loi fédérale
et exerçant une compétence qu'il tient d'une loi du Parlement
— Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10,
art. 1, 18, 28.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Agriculture
— Un bref de certiorari peut être accordé pour examiner la
validité de la législation déléguée — Dans l'arrêt Martineau c.
Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (n° 2), /19801
1 R.C.S. 602, il est laissé entendre que les processus législatifs
ne peuvent être sujets au contrôle judiciaire, et ceci devrait être
interprété comme signifiant l'absence de l'obligation, sur le
plan de la procédure, d'agir équitablement dans le processus
législatif — La Cour ne saurait examiner les décisions législa-
tives sur le plan de la procédure — Un bref de certiorari peut
être accordé lorsqu'on invoque comme motifs des questions
dont un tribunal peut normalement connaître — Le recours
par voie de certiorari n'est pas approprié lorsqu'on cherche à
interpréter particulièrement le Règlement — Le refus par
l'Office de connaître de l'appel ne constitue nullement un déni
d'équité.
Pratique — Suspension des procédures — Rejet de la
demande de suspension des procédures en attendant une déci-
sion sur l'action intentée devant la Cour suprême de l'Ontario
— Absence d'identité entre les actions et incertitude quant à la
possibilité d'obtenir tous les recours devant la Cour suprême
de l'Ontario — L'intimé n'est pas partie à l'autre action et les
demandeurs demandent en outre des dommages-intérêts.
Pratique — Jugements déclaratoires — Le requérant solli-
cite, par voie de requête, un jugement déclarant nuls les art. 10
et 10.1 du Règlement — On ne saurait obtenir un jugement
déclaratoire par voie de requête lorsque l'intimé s'y oppose —
La Règle 603 prévoit que les procédures prévues par l'art. 18,
à l'exception d'une procédure faite dans le but d'obtenir un
jugement déclaratoire, peuvent être engagées soit sous forme
d'action ou par demande — La Règle 319(1) exige une autori-
sation expresse pour faire une demande à la Cour par voie de
requête — Il n'y a eu ni autorisation expresse ni pouvoir
discrétionnaire permettant une demande de jugement déclara-
toire — Les parties doivent pouvoir recourir aux plaidoiries, à
l'interrogatoire au préalable et à la production de documents
parce que, en ce qui concerne le jugement déclaratoire, le
résultat est semblable à celui qu'on obtiendrait s'il pouvait
être obtenu un jugement au fond — Règlement canadien sur le
contingentement de la commercialisation des poulets,
DORS/79-559, art. 10, 10.1 (mod. par DORS/82-859, Annexe,
art. I), Annexe III, art. 1, 3 (mod. idem, art. 2) — Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 3/9(1), 603.
Les tribunaux ayant décidé que la compétence du Parlement
relative à la «réglementation des échanges et du commerce» ne
comprend pas la majeure partie des échanges et du commerce
intraprovinciaux et comme on ne sait pas, au moment de la
production, si les produits agricoles seront commercialisés à
l'intérieur ou à l'extérieur de la province, il a été jugé souhaita-
ble de combiner les pouvoirs découlant des lois tant fédérales
que provinciales portant sur la commercialisation de tels pro-
duits dans un système intégré de réglementation.
Le législateur a fourni un moyen de réglementer le commerce
interprovincial et international de certaines denrées, et autorisé
la délégation de l'administration de ces systèmes de réglemen-
tation à des organismes provinciaux.
Le 28 décembre 1978, une proclamation a établi l'Office
canadien de commercialisation des poulets et le plan de com
mercialisation que l'Office devait administrer. La Proclamation
définit l'expression «système de contingentement» comme dési-
gnant un mécanisme en vertu duquel l'Office, ou un office
provincial de commercialisation par délégation attribue des
contingents aux producteurs de poulets, permettant à l'Office
provincial de déterminer la quantité de poulets qui pourra être
vendue sur le marché interprovincial ou international.
L'Office canadien de commercialisation des poulets a délé-
gué à l'Ontario Chicken Producers' Marketing Board le pouvoir
d'attribuer aux producteurs ontariens des contingents de pou-
lets à vendre sur le marché interprovincial et international.
L'article 10 du Règlement canadien sur le contingentement
de la commercialisation des poulets prévoit que les producteurs
exerçant leurs activités au moment de l'entrée en vigueur du
plan devraient automatiquement avoir droit à un contingent
interprovincial et international s'ils avaient, à ce moment-là, un
contingent intraprovincial. Le Règlement a été modifié en
septembre 1982 par adjonction de l'article 10.1 et de l'Annexe
III. L'article 10.1 exigeait l'attribution d'un contingent inter-
provincial à certains producteurs qui s'étaient engagés dans la
commercialisation interprovinciale même si, au cours de l'année
précédant l'entrée en vigueur du plan de commercialisation, ils
n'avaient pas un contingent intraprovincial provenant de l'Of-
fice provincial.
À l'égard de nouveaux producteurs, l'Office peut ou bien
attribuer ces contingents selon les mêmes modalités que celles
régissant l'attribution de contingents intraprovinciaux ou bien
recourir à d'autres critères.
En novembre 1982, les requérants ont demandé un contin
gent, disant qu'ils «produisent actuellement des poulets à griller
et seront en mesure de le faire au 31 décembre 1982». Appa-
remment, ils ne s'étaient engagés ni dans la production ni dans
la commercialisation interprovinciale de poulets au cours de la
période de référence; ni se sont-ils vraiment engagés dans la
commercialisation interprovinciale de poulets avant le mois de
juillet 1983. Ils ont produit des poulets pendant quelques mois
avant cette date et les ont vendus pour la forme à une firme
montréalaise, mais les poulets étaient destinés à un transforma-
teur ontarien. Les poulets n'ont jamais quitté l'Ontario et la
«vente» par l'entremise de la firme montréalaise n'était qu'une
opération fictive.
En janvier 1983, les requérants ont demandé, à titre indivi-
duel, un contingent interprovincial, mais leurs demandes ont été
rejetées parce qu'ils n'ont pu faire la preuve qu'ils avaient
commercialisé des poulets sur le marché interprovincial au
cours de la période de référence. L'Office provincial a refusé
d'entendre l'appel parce qu'il ne pouvait «aller au-delà de la
Loi». A la suite d'une réunion entre les comités exécutifs de
l'Office canadien de commercialisation des poulets et le Conseil
national de commercialisation des produits de ferme, il a été
convenu que toute personne pourrait s'adresser à l'Office pour
demander le réexamen de sa requête. Les requérants en tant
que groupe ont demandé une audition pour établir la produc
tion des années antérieures à 1978, mais l'Office n'a pas donné
suite à cette requête parce qu'il ne s'agissait pas d'une demande
d'audition individuelle, parce que cette requête ne portait pas
sur le commerce interprovincial et qu'elle se rapportait à la
production de 1965 1978, période qui ne relève pas du
mandat de l'Office.
Les requérants soulèvent les questions suivantes: 1) c'est à
tort que l'Office a refusé de connaître de l'appel formé par les
requérants; 2) les articles 10 et 10.1 du Règlement canadien sur
le contingentement de la commercialisation des poulets sont
nuls parce qu'ils ne sont pas autorisés par la Loi sur les offices
de commercialisation des produits de ferme; 3) le Règlement
est nul sur le plan constitutionnel parce qu'il entre en conflit
avec l'alinéa 6(2)b) de la Charte qui garantit le droit de gagner
sa vie dans toute province; 4) le Règlement est sans effet parce
qu'il va à l'encontre de l'article 7 de la Charte qui garantit le
droit à la vie et à la liberté et 5) le Règlement doit être
interprété et appliqué conformément à l'alinéa 1 b) de la Décla-
ration canadienne des droits. Le redressement demandé dans
cette requête comprend un jugement déclaratoire, des brefs de
certiorari, de prohibition et une injonction.
À titre de question préliminaire, l'intimé a contesté la procé-
dure, alléguant qu'il s'agissait essentiellement d'une demande
de jugement déclaratoire et que les autres formes de redresse-
ment étaient incidentes. Pour obtenir un jugement déclaratoire,
on devrait introduire une action et non une requête. L'intimé
soutient également que les présentes procédures devraient être
suspendues jusqu'à ce que la Cour suprême de l'Ontario ait
statué sur l'action intentée contre l'Office provincial, où il a été
demandé notamment des dommages-intérêts pour délit civil et
des dommages-intérêts en vertu de l'article 31.1 de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions. L'intimé soutient
également que, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale, la Division de première instance de la Cour fédérale
n'a pas compétence sur l'Office, qui a été établi en vertu d'une
loi provinciale.
Jugement: la demande doit être rejetée.
On ne saurait obtenir un jugement déclaratoire par voie de
requête, du moins lorsque l'intimé s'y oppose. La Règle 603
prévoit que les procédures prévues par l'article 18, l'exception
d'une procédure faite dans le but d'obtenir un jugement décla-
ratoire, peuvent être engagées soit sous forme d'action ou par
voie de requête. D'après la formulation de la Règle 319(1), il
doit y avoir une autorisation expresse pour s'adresser à la Cour
par voie de requête. Il n'existe aucune autorisation expresse
permettant d'obtenir un jugement déclaratoire par voie de
requête; il n'existe pas non plus de pouvoir discrétionnaire
permettant de demander des jugements déclaratoires par voie
de requête. En ce qui concerne un jugement déclaratoire, le
résultat devrait, en pratique, être le même que s'il pouvait être
obtenu un jugement au fond, et, en conséquence, les parties
devraient pouvoir recourir aux plaidoiries, à l'interrogatoire au
préalable et à la production de documents.
Il n'y a pas lieu de rejeter les présentes procédures dans leur
totalité ni de les suspendre parce qu'elles portent en partie sur
le contrôle judiciaire d'un office fédéral, l'Office canadien de
commercialisation des poulets, établi sous le régime d'une loi
fédérale et exerçant ou prétendant exercer la compétence confé-
rée par une loi du Parlement. En vertu de l'article 18 de la Loi
sur la Cour fédérale, la Division de première instance de la
Cour fédérale a compétence exclusive en première instance
pour rendre une décision contre un tel office. Les cours supé-
rieures telles que la Cour suprême de l'Ontario ne peuvent
décerner un bref de certiorari ni un bref de mandamus contre
un office fédéral. La Cour suprême de l'Ontario pourrait ne pas
être en mesure de rendre le jugement déclaratoire demandé
quant à la validité des règlements fédéraux, mais la Cour
fédérale peut, de toute évidence, rendre un tel jugement décla-
ratoire. A supposer que l'arrêt Procureur général du Canada et
autres c. Law Society of British Columbia et autre, [1982] 2
R.C.S. 307, s'applique de manière à permettre à la Cour
suprême de l'Ontario de rendre un jugement déclaratoire conc-
ernant des conflits entre des règlements adoptés par des offices
fédéraux et la Charte, il est douteux que la règle puisse
s'appliquer au point de permettre le contrôle judiciaire des
actes d'un office fédéral sous la forme d'un jugement
déclaratoire portant que ses règlements, quoique relevant de la
compétence fédérale, ne sont pas autorisés par le Parlement.
Rien ne justifie un droit implicite garanti des cours supérieures
des provinces de rendre un tel jugement déclaratoire, puisque la
situation ne menace ni le système fédéral ni les sauvegardes
constitutionnelles des droits et libertés des particuliers. Une
cour supérieure provinciale peut déterminer si un règlement
fédéral est valide lorsqu'il s'agit d'une cause d'action et de
parties relevant de la compétence de la cour et que, sans cela,
elle devrait donner effet à un règlement invalide. Mais cela
diffère d'un jugement déclaratoire prononcé dans une action
intentée uniquement à cette fin. La suspension est également
refusée parce que les parties et les litiges dans les deux actions
diffèrent.
Puisqu'il n'est pas certain que les présentes procédures
visaient des fonctions de nature judiciaire ou quasi judiciaire, le
recours approprié était sous le régime de l'article 18 de la Loi.
La Cour n'a pas compétence pour accorder un redressement
contre la décision de l'Office ontarien ni pour examiner celle-ci.
La Cour a entendu la preuve relative à la nature juridique de
l'«appel» formé devant l'Office et de la tenue par l'Office d'une
telle procédure, à la validité des textes réglementaires et à
d'éventuelles violations par l'Office des droits prévus aux
articles 6 et 7 de la Charte.
L'Office était disposé à entendre les appels par voie d'audi-
tion de demande individuelle de tout requérant. Il n'a nullement
le pouvoir d'attribuer un contingent particulier ni de modifier
cette attribution. Il ne peut qu'établir un mécanisme par lequel
les offices provinciaux attribuent des contingents aux produc-
teurs. L'Office n'est pas expressément tenu d'entendre les
appels formés contre les décisions de l'Office provincial ni n'a le
pouvoir d'enjoindre à un office provincial de modifier une
attribution. Tout au plus, il a été adopté une pratique officieuse
par laquelle l'Office entend des observations et fait des proposi
tions ou des recommandations à un office provincial.
N'est nullement fondée l'allégation selon laquelle le fait pour
l'Office de n'avoir pas fait une enquête générale sur la produc
tion de poulets dans l'Est ontarien constitue un déni d'équité.
Ce que les requérants désirent est une modification du Règle-
ment qui leur donnerait droit à des contingents pour la com
mercialisation sur le marché interprovincial. Il s'agirait alors
d'une procédure législative. L'obligation d'agir équitablement
ne s'applique pas à un processus essentiellement législatif. Il n'y
a donc pas lieu de rendre contre l'intimé une ordonnance en ce
qui concerne la procédure qu'il a employée en appel.
Il a été procédé à l'examen de la validité du Règlement lors
même qu'un jugement déclaratoire ne pourrait être obtenu
parce que, en principe, un bref de certiorari devrait être
accordé pour examiner la validité de la législation déléguée. Si,
dans l'arrêt Martineau c. Comité de discipline de l'Institution
de Matsqui, (n° 2), [1980] 1 R.C.S. 602, il est laissé entendre
que les processus législatifs peuvent faire l'objet de contrôle
judiciaire, c'est que le processus législatif n'est pas assujetti, sur
le plan de la procédure, à l'obligation d'agir équitablement, ce
qui fait que les tribunaux n'ont pas compétence pour examiner
les décisions législatives sur le plan de la procédure. Un bref de
certiorari devrait être accordé lorsqu'on invoque des motifs
dont un tribunal peut normalement connaître, comme le défaut
de compétence (d'après la loi ou la Constitution). Il ne convien-
drait pas de rendre une injonction contre l'intimé parce que la
preuve qu'il prend des dispositions pour appliquer ce Règlement
fait défaut.
Les requérants soutiennent que les articles 10 et 10.1 du
Règlement vont à l'encontre de la Loi. En vertu de l'article 22
de la Loi, l'Office a pour objets «de favoriser l'établissement
d'une production et d'une industrie fortes, efficaces et concur-
rentielles» et «de tenir compte des intérêts des producteurs et
des consommateurs». En vertu de l'accord fédéral-provincial, les
parties ont adopté la politique «de chercher à réduire au
minimum la valeur du contingent individuel». Selon les requé-
rants, le système créé par le Règlement élimine la concurrence,
fait peu de cas des intérêts du consommateur, et a pour effet de
faire des contingents un produit coûteux: un nouveau produc-
teur ne peut obtenir un contingent qu'en achetant un bien-fonds
à l'égard duquel un contingent a été attribué dans le passé, le
prix d'achat reflétant fortement la valeur du contingent. Il est
douteux que l'incompatibilité avec un accord fédéral-provincial
constitue un motif de contestation de la validité du Règlement.
Le Règlement ne constitue pas une restriction du nombre ou
des catégories de producteurs à qui un office provincial peut
attribuer des contingents. Il garantit plutôt que certains pro-
ducteurs se verront attribuer un contingent. Le Règlement
n'empêche pas d'attribuer des contingents pour le commerce
interprovincial et d'exportation dans des cas autres que ceux
prévus aux articles 10 et 10.1. L'article 4 du Règlement, qui
prévoit qu'il est interdit à un producteur de commercialiser des
poulets sur le marché interprovincial ou à des fins de commerce
d'exportation sans qu'un contingent ait été attribué, signifie
qu'un producteur doit obtenir un contingent de l'Office provin
cial même pour la commercialisation à l'extérieur de la pro
vince. Il ne signifie pas qu'un producteur doit avoir un contin
gent pour la commercialisation intraprovinciale afin d'obtenir
un contingent pour la commercialisation à l'extérieur de la
province.
D'après cette interprétation, le Règlement ne va pas à l'en-
contre de la Loi (article 22), ni n'est discriminatoire ou dérai-
sonnable. Il semble tout à fait logique, lorsqu'entre en vigueur
un plan de commercialisation, de protéger les droits de com
mercialisation des personnes qui ont prouvé qu'elles sont des
producteurs authentiques et compétents. L'exercice du pouvoir
discrétionnaire de l'Office provincial n'est pas soumis au con-
trôle. Toutefois, en adoptant le Règlement et en laissant à
l'Office provincial le pouvoir discrétionnaire qui lui appartient
relativement à l'attribution de contingents, l'Office a agi rai-
sonnablement et d'une manière conforme aux objets de la Loi.
Les requérants soutiennent qu'on leur refuse le droit de
gagner leur vie au Québec en y vendant leurs poulets. Selon
eux, l'exercice du droit garanti par l'alinéa 6(2)b) n'exige pas
d'une personne qu'elle se rende dans la province où elle désire
gagner sa vie. Dans l'arrêt Law Society of Upper Canada c.
Skapinker, [ 1984] 1 R.S.C. 357, la Cour suprême du Canada a
jugé que l'alinéa 6(2)b) ne crée pas un droit de gagner sa vie
dans sa propre province indépendamment de tout élément de
circulation interprovinciale. L'affaire Skapinker ne s'applique
pas tout à fait à la présente situation où les producteurs
résidant en Ontario sont empêchés de gagner leur vie au
Québec en y vendant des poulets, même s'ils peuvent ne jamais
avoir l'occasion d'aller dans cette province pour y exercer leurs
activités commerciales. Il n'est pas clair si, compte tenu de
l'arrêt Skapinker, l'alinéa 6(2)b) peut s'appliquer pour proté-
ger les personnes qui désirent simplement vendre leurs produits
dans une autre province sans s'y rendre.
En vertu de l'alinéa 6(3)a), on peut apporter des restrictions
au droit énoncé à l'alinéa 6(2)b) au moyen de lois d'application
générale pour autant que celles-ci n'établissent «entre les per-
sonnes aucune distinction fondée principalement sur la province
de résidence antérieure ou actuelle». Les lois sur la commercia
lisation en question en l'espèce sont d'application générale. Se
référant au système de contingentement, elles n'établissent, à
l'encontre de quiconque, aucune distinction fondée sur sa pro
vince de résidence antérieure ou actuelle. Dans la mesure où
elles font obstacle à une personne qui ne s'était pas engagée
dans la commercialisation sur le marché interprovincial, ou qui
ne possédait pas de contingent intraprovincial, avant le 28
décembre 1978, elles imposent également des restrictions aux
personnes qui n'ont pas ces qualités, qu'elles soient ou non
résidentes de l'Ontario. On ne peut pas dire non plus que les
requérants n'ont pas le droit de vendre au Québec simplement
parce qu'ils sont résidents de l'Ontario. C'est plutôt parce qu'ils
n'ont pas de contingents interprovinciaux, et ces contingents
sont délivrés sans qu'il soit fait mention de la résidence du
producteur. Il n'y a donc pas conflit avec l'article 6 de la
Charte.
Les requérants soutiennent que la «liberté» mentionnée à
l'article 7 de la Charte comprend la liberté contractuelle qui,
selon eux, leur est refusée par le Règlement contesté. La
jurisprudence américaine se rapportant à la garantie de la
«liberté» donnée par le Quatorzième Amendement n'est pas
particulièrement utile parce que le mot «liberté» y est men-
tionné en liaison avec l'expression «procédure conforme».
L'article 7 ne garantit aucun droit quant au fond. Il vise à
protéger les personnes par le biais de la procédure, quant à la
manière dont il peut être porté atteinte à ces droits.
Il n'y a pas eu déni de justice fondamentale découlant du
prétendu refus par l'Office de connaître d'un appel pour les
motifs déjà invoqués.
Les requérants cherchent à convertir en un droit reconnu par
l'article 26 de la Charte le principe de common law relatif à la
liberté contractuelle et à la liberté d'entreprise. La common law
n'a jamais voulu dire que les lois ou les règlements faisant
obstacle à ces libertés sont nuls. Au contraire, ces libertés ont
été reconnues, dans les domaines non réglementés par des textes
législatifs, dans la mesure où les tribunaux ont refusé de
confirmer certains types de contrats qui y faisaient obstacle.
Dans les domaines réglementés par la loi, il y a eu tendance à
interpréter strictement les lois portant atteinte à la liberté
contractuelle ou à la liberté d'entreprise, mais on ne saurait
attribuer aux «principes de common law» une portée plus
grande.
Les requérants se plaignent qu'ils ont reçu un traitement
différent de celui réservé aux membres de l'Eastern Ontario
Broiler Producers' Association. L'article 10.1 a été ajouté au
Règlement à la suite de la demande de contingents de cette
association. Le Règlement a été modifié de manière à permet-
tre aux autres producteurs d'obtenir des contingents, mais il n'a
pas été modifié pour le permettre aux requérants.
Une loi ou un règlement irait à l'encontre de l'alinéa 1b) de
la Déclaration canadienne des droits seulement s'il créait des
distinctions entre diverses catégories d'individus qui n'ont
aucun rapport ou objectif connexe. Le Règlement est raisonna-
ble et a un rapport connexe avec le lancement du plan de
commercialisation. Le Règlement n'exige pas qu'on empêche
d'autres personnes de recevoir des contingents, et si des person-
nes telles que les requérants ont été exclues, c'est la responsabi-
lité de l'Office provincial qui n'est pas partie devant cette Cour.
S'il y a incompatibilité entre le Règlement et la Déclaration
canadienne des droits, il se peut que le bref de certiorari ne soit
pas un recours approprié, parce que tout ce qu'il faudrait c'est
une interprétation particulière du Règlement et non une annu-
lation de celui-ci.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Sherman & Ulster Ltd. c. Le Commissaire des brevets et
Industrial Chemical Industries Ltd. (1974), 14 C.P.R.
(2d) 177 (C.F. 1f 0 inst.); Martineau c. Comité de disci
pline de l'Institution de Matsqui (no 2), [1980] 1 R.C.S.
602; R. c. Operation Dismantle Inc., [1983] 1 C.F. 745
(C.A.); deMercado c. La Reine et al., jugement en date
du 19 mars 1984, Cour fédérale, Division de première
instance, T-2588-83, encore inédit.
DÉCISION ÉCARTÉE:
Re Williams and Attorney -General for Canada et al.
(1983), 6 D.L.R. (4th) 329 (C. div. Ont.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Commission nationale des libérations conditionnelles c.
MacDonald, [1976] 1 C.F. 532 (C.A.); Le Procureur
général du Manitoba c. Manitoba Egg and Poultry
Association et autres, [1971] R.C.S. 689; Procureur
général du Canada et autres c. Law Society of British
Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S. 307; Law Society of
Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357.
DÉCISIONS CITÉES:
«B» c. Le ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion, [1975] C.F. 602 (1' inst.); Alexandre c. Ministre de
l'Emploi & de l'Immigration, jugement en date du 15
mai 1984, Cour fédérale, Division de première instance,
T-675-84, encore inédit; Lodge c. Le ministre de l'Emploi
et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 775 (C.A.) 94 D.L.R.
(3d) 326; C.P. Transport Co. Ltd. v. Highway Traffic
Bd., [1976] 5 W.W.R. 541 (C.A. Sask.); Re Bicknell
Freighters Ltd. and Highway Transport Board of Mani-
toba (1977), 77 D.L.R. (3d) 417 (C.A. Man.); Carru-
thers c. Comités de l'avortement thérapeutique, [1983] 2
C.F. 581; 6 D.L.R. (4th) 57 (C.A.); Conseil canadien des
relations du travail et autre c. Paul L'Anglais Inc. et
autre, [1983] 1 R.C.S. 147; Bates v. Lord Hailsham of
St. Marylebone, [1972] 1 W.L.R. 1373 (Ch.D.); Procu-
reur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et
autre, [1980] 2 R.C.S. 735; New Brunswick Broadcas
ting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F. 410
(C.A.); Re Bedesky et al. and Farm Products Marketing
Board of Ontario et al. (1975), 8 O.R. (2d) 516 (C.
Div.); Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2
C.F. 734 (1" inst.); MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S.
370.
AVOCATS:
E. Binavince et R. Lunau pour les requérants.
F. Lemieux et P. J. Wilson pour l'intimé.
T. B. Smith, c.r. et M. Kinnear pour l'interve-
nant (procureur général du Canada).
PROCUREURS:
Cowling & Henderson, Ottawa, pour les
requérants.
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour l'intimé.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intervenant (sous-procureur général du
Canada).
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER:
Redressement sollicité
Il s'agit d'une requête sollicitant diverses formes
de redressement qu'on ne saurait résumer facile-
ment et qui sont donc reproduites en entier
ci-dessous:
a) une ordonnance déclarant nuls les articles 10 et 10.1 du
Règlement canadien sur le contingentement de la com
mercialisation des poulets, modifié, (ale Règlement») et
adopté par l'intimé en ce que:
(i) ils ne relèvent pas du pouvoir de l'intimé établi par
la Loi sur les offices de commercialisation des
produits de ferme, S.C. 1970-1971, chap. 65;
(ii) ils enfreignent la Constitution du Canada, particu-
lièrement l'alinéa 6(2)b) et l'article 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés;
b) une ordonnance infirmant:
(i) la décision par laquelle l'Ontario Chicken Produ
cers' Marketing Board, agissant à titre de manda-
taire de l'intimé, a rejeté la demande des requérants
visant à obtenir des contingents pour la commercia
lisation sur le marché interprovincial et internatio
nal;
(ii) la décision par laquelle l'intimé a refusé de connaî-
tre d'un appel de la décision de l'Ontario Chicken
Producers' Marketing Board mentionnée au sous-
alinéa b)(i) ci-dessus,
parce que les deux décisions fondées sur les articles 10 et
10.1 du Règlement, compte tenu de la violation de
l'obligation d'agir équitablement par l'intimé et l'Onta-
rio Chicken Producers' Marketing Board, lorsqu'ils ont
examiné la demande de contingents pour la commercia
lisation sur le marché interprovincial et international et
la requête en appel, sont nulles pour les motifs qui sont
notamment mentionnés aux sous-alinéas a)(i) et a)(ii)
ci-dessus;
c) une ordonnance interdisant à l'intimé d'appliquer les
articles 10 et 10.1 du Règlement ou d'y donner suite de
quelque autre façon, ou lui interdisant d'ordonner à son
mandataire l'Ontario Chicken Producers' Marketing
Board d'appliquer ou de faire appliquer ces articles ou
d'y donner suite de quelque autre façon lorsqu'ils exami-
nent et tranchent les demandes de contingents pour la
commercialisation sur le marché interprovincial et
international;
d) une ordonnance
(i) interdisant, de façon permanente, à l'intimé, à ses
cadres, préposés, mandataires et à toute autre per-
sonne qui doit avoir connaissance de l'ordonnance
d'empêcher, de quelque manière que ce soit, les
requérants de jouir du droit que leur confère l'ali-
néa 6(2)b) de la Charte canadienne des droits et
libertés de gagner leur vie dans toute province et du
droit à la vie et à la liberté que leur garantit
l'article 7 de la Charte, en ce qui concerne particu-
lièrement l'exploitation de leur entreprise de pro
duction et de commercialisation de poulets à griller
sur le marché interprovincial et dans le commerce
d'exportation;
ou, subsidiairement
(ii) enjoignant à l'intimé ou à son mandataire, l'Ontario
Chicken Producers' Marketing Board, d'attribuer
immédiatement des contingents aux requérants
pour la production en Ontario de huit millions
(8 000 000) de livres de poulets à griller et pour la
commercialisation au Québec, ailleurs au Canada
et à l'étranger, de ces poulets à griller;
e) un redressement, tel qu'il est demandé ci-dessus ou
autre, que la Cour juge approprié et juste dans les
circonstances conformément à l'article 24 de la Charte
canadienne des droits et libertés.
Au début, l'avocat de l'intimé a soulevé plu-
sieurs objections relativement aux procédures
employées par les requérants et à la compétence de
la Cour pour accorder le redressement sollicité.
Possibilité d'obtenir un jugement déclaratoire par
voie de requête
Tout d'abord, l'intimé s'est opposé à l'ensemble
de la procédure, alléguant qu'il s'agissait essentiel-
lement d'une demande de jugement déclaratoire et
que les autres formes de redressement étaient sim-
plement incidentes. Pour obtenir un jugement
déclaratoire, il aurait fallu introduire une action et
non une requête. Les requérants font valoir que, en
vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10], qui confère à
la Division de première instance une compétence
exclusive en première instance pour accorder un
jugement déclaratoire, cette Division tient sa com-
pétence de la Loi et elle peut l'exercer dans toute
procédure. La jurisprudence de cette Cour ayant
indiqué dans le passé qu'on ne saurait obtenir un
tel redressement par voie de requête, les requérants
ont soutenu qu'on pouvait établir une distinction
avec cette jurisprudence, et même dire qu'elle était
erronée. J'ai statué qu'on ne saurait obtenir un
jugement déclaratoire par voie de requête, du
moins lorsque l'intimé s'y oppose. Même si la
Division de première instance tient sans aucun
doute de la Loi sa compétence pour accorder un
jugement déclaratoire, elle doit se conformer aux
Règles de la Cour [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663] jusqu'à ce que celles-ci soient
modifiées. La Règle 603 prévoit:
Règle 603. Les procédures prévues par l'article 18 de la Loi en
vue d'obtenir l'un quelconque des redressements qui y sont
mentionnés, à l'exception d'une procédure contre le procureur
général du Canada ou d'une procédure faite dans le but d'obte-
nir un jugement déclaratoire, peuvent être engagées soit
a) sous forme d'action en vertu de la Règle 400; ou
b) par demande faite à la Cour en vertu des Règles 319 et
suivantes. [C'est moi qui souligne.]
La Règle 603 ne nous donne pas le choix de
recourir soit à une action soit à une requête pour
obtenir une ordonnance déclaratoire. De l'aveu de
tous, la Règle 603 ne précise pas quelle procédure
on doit suivre pour obtenir une telle ordonnance.
Le paragraphe 319(1) des Règles prévoit cepen-
dant que «Lorsqu'il est permis de faire une
demande à la Cour, à un juge ou un protonotaire,
la demande doit être faite par voie de requête»
(c'est moi qui souligne). Cela veut dire qu'il doit y
avoir une autorisation expresse avant qu'une
demande ne puisse être faite à la Cour par voie de
requête. Je n'ai pu trouver une autorisation
expresse permettant d'obtenir de cette Cour un
jugement déclaratoire par voie de requête. Il faut
souligner que dans l'affaire Sherman & Ulster
Ltd. c. Le Commissaire des brevets et Industrial
Chemical Industries Ltd. (1974), 14 C.P.R. (2d)
177 (C.F. 1 r inst.), à la page 180, le juge Maho-
ney a décidé qu'un jugement déclaratoire ne pou-
vait être obtenu par voie de requête. Voir égale-
ment la décision rendue par le juge Addy dans «B„
c. Le ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immi-
gration, [1975] C.F. 602 (1re inst.), aux pages 606,
621 et 622; et celle du juge Dubé dans l'affaire
Alexandre c. Ministre de l'Emploi & de l'Immi-
gration (jugement en date du 15 mai 1984, Divi
sion de première instance de la Cour fédérale,
T-675-84, encore inédit). Si je comprends bien, la
Cour d'appel, dans son arrêt La Commission
nationale des libérations conditionnelles c. Mac-
Donald, [1976] 1 C.F. 532, aux pages 533 et 534,
a confirmé que de telles procédures étaient «mau-
vaises" bien que, dans cette affaire, il s'agisse d'un
appel comportant une telle procédure. Elle a expli-
qué que, à ce stade, les deux parties avaient
renoncé à invoquer une erreur de procédure et
avaient demandé qu'on se prononce en appel sur le
fond.
Cette obligation de procéder par voie d'action
pour obtenir un jugement déclaratoire n'est pas
simplement une question de procédure. Avec défé-
rence, je partage l'opinion exprimée par le juge
Mahoney dans l'affaire Sherman & Ulster Ltd.,
où, explique-t-il à la page 180, la raison en est, en
ce qui concerne l'obtention d'un jugement déclara-
toire, qu'en pratique le résultat doit être le même
que s'il pouvait être obtenu un jugement au fond et
que, par conséquent, la procédure prévue pour
l'obtention de l'un devrait ressembler à celle
prévue pour l'obtention de l'autre. Cela veut dire
que les parties devraient pouvoir recourir aux plai-
doiries, à l'interrogatoire préalable, à la production
de documents, etc. À mon avis, il y aurait peut-
être lieu que la Cour ait, dans des cas appropriés,
le pouvoir discrétionnaire d'accorder des juge-
ments déclaratoires demandés par voie de requête,
mais, en vertu des règles actuelles, je ne dispose
d'aucun pouvoir discrétionnaire pour le faire.
J'ai donc décidé que le redressement demandé
au paragraphe (a) de l'avis de requête susmen-
tionné ne pouvait être accordé en l'espèce. J'ai
rejeté cette partie de la requête sans préjudice du
droit des requérants de demander pareil redresse-
ment par voie d'action s'ils choisissent de le faire.
En même temps, j'ai refusé de rejeter, à ce stade,
les autres parties de la requête parce qu'il me
semblait de prime abord que les autres redresse-
ments sollicités pouvaient exister indépendamment
de la délivrance d'une ordonnance déclarant nul le
Règlement canadien sur le contingentement de la
commercialisation des poulets [DORS/79-559].
Cela signifie, me semble-t-il, que plusieurs des
questions qui seraient en cause dans un tel juge-
ment déclaratoire pourraient également être abor-
dées dans les autres redressements.
Objections à la compétence et aux redressements;
requête en suspension d'instance
L'avocat de l'intimé a alors soulevé plusieurs
autres objections à la compétence de la Cour et
aux autres aspects de la requête entendus jus-
que-là. La plupart de ces objections découlent des
ententes fédérales-provinciales plutôt complexes
qui ont dû être élaborées au Canada dans le
domaine de la commercialisation des produits
naturels afin d'éviter certaines rigidités constitu-
tionnelles. En bref, les tribunaux ayant décidé que
la compétence du Parlement relative à «la régle-
mentation des échanges et du commerce» ne com-
prend pas la majeure partie des échanges et du
commerce intraprovinciaux et comme on ne sait
pas, au moment de la production, si les produits
agricoles seront commercialisés à l'intérieur ou à
l'extérieur de la province, il a été jugé souhaitable
de combiner les pouvoirs découlant des lois tant
fédérales que provinciales portant sur la commer
cialisation de tels produits dans un système intégré
de réglementation. Un tel système existe en
l'espèce.
Bien que les paramètres constitutionnels de ces
plans conjoints de commercialisation soient main-
tenant assez bien définis, les questions de procé-
dure et de compétence en jeu dans les présentes
procédures soulèvent des questions connexes qui
n'ont pas été examinées à fond. Ce qui est d'abord
en cause en l'espèce, c'est le rôle de la Cour
fédérale et des cours supérieures des provinces
dans l'exercice des pouvoirs de contrôle sur les
organismes administratifs qui appliquent ces lois
fédérales et provinciales enchevêtrées en vue de
l'établissement de plans conjoints de commerciali
sation. En conséquence, il se pose des problèmes
lorsqu'il s'agit d'interpréter correctement les arti
cles 96 et 101 de la Loi constitutionnelle de 1867,
30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1).
En 1972, le Parlement a adopté la Loi sur les
offices de commercialisation des produits de
ferme, S.C. 1970-71-72, chap. 65, notamment
pour répondre aux problèmes constitutionnels et
réglementaires illustrés par la prétendue «guerre
des poulets et des oeufs» de la fin des années 60 et
du début des années 70. Dans cette «guerre», cer-
taines provinces ont tenté de protéger leurs propres
producteurs de poulets ou d'oeufs en limitant ou en
empêchant l'importation de ces denrées produites
en excès par d'autres provinces. Dans l'arrêt Le
Procureur général du Manitoba c. Manitoba Egg
and Poultry Association et autres, [1971] R.C.S.
689, la Cour suprême du Canada a jugé que les
provinces ne pouvaient, afin de protéger leurs pro-
pres producteurs, restreindre l'importation de ces
produits provenant d'autres provinces, parce que
cela équivalait à une «réglementation du trafic et
du commerce», domaine qui relève du Parlement
fédéral et qui entraîne, en tant que tel, des échan-
ges commerciaux entre les provinces.
La Loi sur les offices de commercialisation des
produits de ferme prévoit notamment la création
d'un Conseil national de commercialisation des
produits de ferme nommé par le gouverneur en
conseil. Le Conseil de commercialisation a notam-
ment pour fonctions, ainsi qu'il est prévu à
l'article 6 de la Loi, de conseiller le Ministre sur
toutes questions relatives à la création et au fonc-
tionnement d'«offices». En vertu de l'article 7, le
Conseil est censé examiner les requêtes tendant à
la création d'un office relativement à la commer
cialisation d'un produit de ferme et recommander
les modalités d'un ((plan de commercialisation» qui
sera administré par cet office. L'alinéa 2e) de la
Loi définit en ces termes le «plan de commerciali
sation»:
2.
e) . . un plan relatif au développement, à la réglementation
et au contrôle de la commercialisation de tout produit régle-
menté vendu dans le commerce interprovincial ou le com
merce d'exportation, qui prévoit l'ensemble ou l'une quelcon-
que des dispositions suivantes:
(iii) la commercialisation du produit réglementé suivant
une formule qui permet à l'office qui exécute le plan de
fixer et de déterminer, le cas échéant, en quelle quantité le
produit réglementé ou l'une de ses variétés, classes ou
qualités peuvent être commercialisés dans le commerce
interprovincial ou le commerce d'exportation par chacune
des personnes qui s'occupent de cette commercialisation et
par l'ensemble de ces personnes ...
L'article 17 de la Loi autorise le gouverneur en
conseil à établir par proclamation ces offices et, en
vertu de l'article 18, cette proclamation doit énon-
cer les modalités du plan de commercialisation que
l'office a le pouvoir d'exécuter. En vertu du para-
graphe 18(3), il semble que, malgré les termes
généraux employés précédemment dans la Loi, le
gouverneur en conseil ne puisse conférer à un
office le pouvoir de déterminer en quelle quantité
un produit réglementé peut être commercialisé
dans le commerce interprovincial ou le commerce
d'exportation que s'il s'agit d'ceufs ou de volaille.
L'article 23 de la Loi énonce certains des objets
et pouvoirs de ces offices. Les paragraphes (2) et
(3) revêtent une importance particulière pour les
fins de l'espèce. Ils portent:
23....
(2) Un office peut exercer au nom d'une province toute
fonction relative au commerce intraprovincial d'un produit
réglementé relativement auquel il peut exercer ses pouvoirs qui
est spécifiée dans un accord conclu en application de
l'article 32.
(3) Un office peut, avec l'approbation du gouverneur en
conseil, accorder à un organisme, autorisé en vertu de la
législation d'une province à exercer des pouvoirs réglementaires
en ce qui concerne la commercialisation locale dans les limites
de la province d'un produit réglementé relativement auquel
l'office peut exercer ses pouvoirs, le pouvoir de remplir au nom
de l'office toute fonction relative au commerce interprovincial
ou au commerce d'exportation du produit réglementé que l'of-
fice est autorisé à remplir.
On prévoit donc une délégation réciproque de pou-
voirs administratifs, soit de la province à l'office
fédéral, ainsi qu'il est dit au paragraphe 23(2), soit
de l'autorité fédérale à un organisme provincial
comme il est énoncé au paragraphe 23(3). C'est ce
dernier paragraphe qui a été employé en l'espèce.
Le 28 décembre 1978, le gouverneur en conseil
approuvait la signature par le ministre de l'Agri-
culture d'un accord fédéral-provincial, conclu avec
la plupart des provinces, accord qui sanctionnait
un plan de commercialisation des poulets. Le
même jour, la Proclamation visant l'Office cana-
dien de commercialisation des poulets, DORS/79-
158, a été adoptée par le gouverneur en conseil
soi-disant en application du paragraphe 17(1) de
la Loi, et elle établit à la fois l'Office canadien de
commercialisation des poulets et le plan de com
mercialisation (approuvé par les provinces signa-
taires) que l'Office doit administrer. L'expression
«Office de commercialisation» est définie à l'article
1 de la Proclamation et désigne, en Ontario, l'On-
tario Chicken Producers' Marketing Board, qui est
l'Office mentionné dans l'avis de requête en l'es-
pèce. L'expression «système de contingentement»
est définie comme désignant:
5....
... un mécanisme en vertu duquel l'Office, ou l'Office de
commercialisation par délégation attribue des contingents
aux producteurs de poulet, permettant à l'Office ou à l'Office
de commercialisation de fixer ou de déterminer, s'il y a lieu,
la quantité de poulet de chaque espèce, classe ou catégorie
qui pourra être vendue sur le marché interprovincial ou
international.
De même, l'article 6 prévoit le système de contin-
gentement à obtenir en vertu du plan de commer
cialisation que l'Office doit administrer. Le para-
graphe 6(1) est ainsi rédigé:
6. (1) L'Office doit, par règlement ou ordonnance, instituer
un mécanisme de contingentement pour la région réglementée
par lequel des contingents sont attribués à tous les membres de
différentes classes de producteurs de poulets de chaque pro
vince auxquels des contingents sont attribués par la Régie ou
l'Office de commercialisation compétent.
Le paragraphe 6(4) exige que l'Office, en insti-
tuant le système de contingentement, attribue des
contingents à chaque province de telle sorte que le
contingent d'une province donnée égalera la quan-
tité de viande de poulet produite et vendue à
l'intérieur de la province, plus la quantité de
viande de poulet qui peut être produite et vendue à
l'extérieur de la province sur le marché interpro-
vincial et international, plus la quantité de viande
de poulet produite dans la province et qui n'est pas
soumise au contingentement. Le paragraphe 6(5)
de la Proclamation fixe les contingents provinciaux
en précisant le nombre de livres ou de kilogram-
mes, province par province. La Proclamation a
connu de nombreuses modifications qui n'influent
pas, à mon avis, sur la situation actuelle.
À la suite de la promulgation de cette Proclama
tion, le gouverneur en conseil a, le 9 juillet 1979,
approuvé l'Ordonnance sur la délégation du pou-
voir de contingentement de l'Office canadien de
commercialisation des poulets, DORS/79-535, qui
avait été adoptée par l'Office et approuvée par le
Conseil. L'article 3 de cette ordonnance prévoit:
3. Sous réserve des règlements établis par lui, l'Office auto-
rise les Offices de commercialisation à attribuer en son nom
aux producteurs de leur province, les contingents de poulets
destinés au marché interprovincial et au commerce d'exporta-
tion et, à cette fin, à exercer tous pouvoirs analogues à ceux
qu'ils peuvent exercer à l'intérieur de leur province respective
pour la commercialisation locale des poulets.
Aussi l'Office a-t-il, avec l'approbation du Conseil
et du gouverneur en conseil et conformément au
paragraphe 23(3) de la Loi, délégué notamment à
l'Ontario Chicken Producers' Marketing Board le
pouvoir d'attribuer aux producteurs ontariens des
contingents de poulets à vendre sur le marché
interprovincial et international.
De plus, l'Office, avec l'approbation du Conseil,
a, le 30 juillet 1979, adopté le Règlement canadien
sur le contingentement de la commercialisation
des poulets, DORS/79-559. Ce Règlement prévoit
notamment:
4. Il est interdit à un producteur d'une région réglementée de
commercialiser des poulets sur le marché interprovincial ou à
des fins de commerce d'exportation sans que l'Office de com
mercialisation de sa province lui ait, au préalable, attribué un
contingent.
5. Chaque Office de commercialisation doit attribuer des
contingents aux producteurs pour la commercialisation sur le
marché interprovincial et aux fins du commerce d'exportation
et à cette fin, il peut exercer tous les pouvoirs relatifs à la
commercialisation locale des poulets dans la province
concernée.
6. Un contingent peut être attribué à un producteur d'une
province donnée de la même manière et selon les mêmes
modalités que celles régissant l'attribution de contingents pour
la commercialisation locale des poulets à l'intérieur de la
province.
10. L'Office de commercialisation autorise les producteurs de
sa province respective à commercialiser des poulets sur le
marché interprovincial et aux fins du commerce d'exportation
si, le 28 décembre 1978 ou avant, ils étaient déjà autorisés à le
faire localement dans cette province et le sont demeurés depuis.
Le 14 septembre 1982, l'Office, avec l'approbation
du Conseil, a modifié ce Règlement au moyen de
DORS/82-859 [art. 1]. Ces modifications compor-
tent ce qui suit:
10.1 Nonobstant l'article 10, l'Office de commercialisation
d'une province qui, le 28 décembre 1978 ou avant cette date,
était autorisé, en vertu du paragraphe 2(1) de la Loi sur
l'organisation du marché des produits agricoles, à régler la
vente des poulets, autorise tout producteur de la province à
commercialiser des poulets sur le marché interprovincial, con-
formément aux dispositions de l'annexe Ill, si
a) le producteur n'était pas, le 28 décembre 1978 ou avant
cette date, autorisé par ledit office à commercialiser des
poulets localement dans la province; et
b) le producteur a commercialisé des poulets sur le marché
interprovincial au cours de la période de référence définie à
l'article 1 de l'annexe Ill.
L'article 1 de la nouvelle Annexe III mentionnée à
l'article 10.1 contient la définition suivante:
1. ...
»période de référence» désigne la période commençant le 28
décembre 1977 et se terminant le 27 décembre 1978;
L'article 3 de l'Annexe III prévoit en outre:
3....
(2) L'Office de commercialisation n'attribue un contingent
de base de poulets à griller qu'après avoir vérifié les renseigne-
ments soumis par le requérant dans sa demande ainsi que, si
nécessaire, les livres et registres que le requérant doit mettre à
la disposition de l'Office de commercialisation pour lui permet-
tre de déterminer la quantité de poulets à griller produits dans
l'établissement enregistré du requérant et commercialisés sur le
marché interprovincial au cours de la période de référence.
Même s'il peut être nécessaire d'examiner d'au-
tres aspects de la législation et des textes régle-
mentaires, les dispositions susmentionnées forment
le cadre essentiel du système et expliqueront les
questions de compétence soulevées par l'intimé. Il
en ressort que le législateur a fourni un moyen de
réglementer le commerce interprovincial et inter
national de certaines denrées, et autorisé la déléga-
tion de l'administration de ces systèmes de régle-
mentation à des organismes provinciaux. De plus,
il semble que cette délégation ait porté notamment
sur l'attribution, aux producteurs ontariens de
viande de poulet, de contingents pour la commer
cialisation sur le marché interprovincial et interna
tional. Le Règlement fédéral exige qu'un tel pro-
ducteur ait un contingent attribué par l'Ontario
Chicken Producers' Marketing Board pour vendre
sur le marché interprovincial ou international.
L'article 6 du Règlement autorise mais n'oblige
pas l'Office provincial à attribuer des contingents
pour la commercialisation interprovinciale et inter-
nationale de la même façon que pour la commer
cialisation intraprovinciale. Toutefois, l'article 10
exige que les producteurs exerçant leurs activités
au moment de l'entrée en vigueur du plan aient
automatiquement droit à un contingent interpro-
vincial et international s'ils avaient, à ce
moment-là, un contingent intraprovincial. La
modification apportée par l'article 10.1 du Règle-
ment exige en outre l'attribution d'un contingent
interprovincial à certains producteurs qui s'étaient
engagés dans la commercialisation interprovin-
ciale, même si, au cours de l'année précédant
l'entrée en vigueur du plan de commercialisation,
ils n'avaient pas un contingent intraprovincial pro-
venant de l'Office provincial. Au cours du débat,
on a souvent qualifié cette modification de «clause
des droits acquis».
À mon avis, il découle de ce qui précède que
même si l'Office provincial est tenu d'accorder des
contingents interprovinciaux ou interprovinciaux et
internationaux à certaines catégories précises de
producteurs qui exerçaient leurs activités avant
l'entrée en vigueur du plan, il peut, à l'égard de
nouveaux producteurs, ou bien attribuer ces con
tingents selon les mêmes modalités que celles
régissant l'attribution de contingents intraprovin-
ciaux ou bien recourir à d'autres critères. Les
requérants se plaignent essentiellement qu'ils n'ont
pu se classer dans l'une des catégories auxquelles
l'Office provincial est tenu par le Règlement fédé-
ral d'accorder des contingents interprovinciaux ou
internationaux. Ils prétendent qu'ils se sont enga-
gés et désirent s'engager dans le commerce inter-
provincial et peut-être international, mais l'Office
provincial leur a refusé des contingents pour ce
faire. Ils soutiennent en outre que malgré des
observations faites à l'Office fédéral et au Conseil
national de commercialisation des produits de
ferme, ces autorités fédérales n'ont pris aucune
mesure pour voir à ce que ces contingents soient
délivrés pour la commercialisation interprovinciale
ou internationale. C'est ce qui explique les présen-
tes procédures intentées contre l'Office en vue
d'obtenir un redressement concernant à la fois les
activités de l'Office et celles de l'Office provincial
qui, selon les requérants, est simplement un man-
dataire de l'Office fédéral.
Comme il a été souligné plus haut, l'avocat de
l'intimé a soulevé plusieurs autres objections aux
procédures employées et à la compétence de la
Cour. Tout d'abord, tout en reconnaissant que la
Règle 603 permet d'obtenir une injonction par voie
de requête sans qu'une action soit nécessaire, ce
fait ayant été semble-t-il implicitement confirmé
par la Cour d'appel dans l'arrêt Lodge c. Le
ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1979] 1
C.F. 775, à la page 783; 94 D.L.R. (3d) 326, à la
page 333, il soutient qu'il ne convient pas, dans un
cas comme l'espèce présente, d'accorder une
injonction permanente sans un examen complet
des faits par voie d'action. Je crois que, à ce stade,
je n'ai pas à examiner davantage cette objection. À
mon avis, il faut tout d'abord voir si la Cour serait
justifiée d'accorder une injonction, puis examiner
si elle devrait néanmoins exercer son pouvoir dis-
crétionnaire de ne pas l'accorder.
De plus, l'intimé a objecté que, dans la mesure
où le redressement encore contesté à ce stade
(c.-à-d. tout sauf le jugement déclaratoire sollicité
au paragraphe a)) vise l'Ontario Chicken Produ
cers' Marketing Board, ce redressement ne relève
pas de la compétence de cette Cour. Il a invoqué
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale qui
essentiellement reconnaît la compétence de la
Division de première instance pour accorder un
redressement contre un «office, une commission ou
un autre tribunal fédéral>. L'article 2 de cette Loi
définit «office, commission ou autre tribunal fédé-
ral> de manière à inclure les organismes qui exer-
cent des pouvoirs conférés par une loi du Parle-
ment ou sous le régime d'une telle loi, mais non
ceux qui sont «constitués ou établis par une loi
d'une province ou sous le régime d'une telle loi». Il
est admis que l'Ontario Chicken Producers' Mar
keting Board est établi sous le régime d'une loi
provinciale et n'est donc pas assujetti au contrôle
judiciaire de la Division de première instance de la
Cour fédérale. À l'appui de cette conclusion, l'avo-
cat de l'intimé a cité les décisions suivantes: C.P.
Transport Co. Ltd. v. Highway Traffic Bd.,
[1976] 5 W.W.R. 541 (C.A. Sask.); Re Bicknell
Freighters Ltd. and Highway Transport Board of
Manitoba (1977), 77 D.L.R. (3d) 417 (C.A.
Man.). Voir également Carruthers c. Comités de
l'avortement thérapeutique, [1983] 2 C.F. 581; 6
D.L.R. (4th) 57 (C.A.) (autorisation de faire
appel rejetée par la C.S.C. le 2 fév. 1984).
En dernier lieu, l'intimé a fait valoir que, en tout
état de cause, je devrais suspendre les présentes
procédures devant la Cour fédérale en attendant
qu'on ait statué sur l'action intentée par les requé-
rants en l'espèce devant la Cour suprême de l'On-
tario. Il s'agit d'une action intentée le 23 janvier
1984, soit environ trois mois avant le dépôt de la
présente requête devant la Cour fédérale. Même si
les demandeurs dans cette action semblent être les
mêmes que les requérants en l'espèce, l'intimé
comparaissant devant moi n'est pas partie à cette
action. Les défendeurs dans cette action sont
plutôt l'Ontario Chicken Producers' Marketing
Board, la Fédération des producteurs de volailles
du Québec (ci-après appelée «Volbec») et certains
particuliers. Bien que le redressement sollicité
dénote quelque ressemblance, dans la mesure où
les demandeurs dans cette action demandent éga-
lement une ordonnance enjoignant à l'Office pro
vincial de leur délivrer des contingents et une
injonction interdisant aux défendeurs de faire obs
tacle à leur droit de gagner leur vie en vendant de
la viande de poulet à l'extérieur de la province, ils
réclament également des dommages-intérêts pour
délit civil et des dommages-intérêts en vertu de
l'article 31.1 de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23 (mod. par
S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 12)]. Ils sollicitent
également un jugement déclaratoire pour faire
déclarer nuls non seulement les règlements ou
ordonnances de l'Office provincial, mais également
[TRADUCTION] toutes ordonnances, tous règlements, toutes lois
applicables adoptés par les provinces de l'Ontario, de Québec et
par le Canada ou par la prérogative de la Couronne ou en vertu
du pouvoir de celles-ci ... appuyant les actes illicites des
défendeurs
parce qu'ils vont à l'encontre de la Constitution. Il
semble qu'une défense ait maintenant été déposée
dans cette action. En février 1984, les demandeurs
dans cette instance ont demandé une injonction
interlocutoire et, le 28 juin 1984, le juge Callon a
rejeté cette requête. Bien qu'il ait considéré que
c'était une question importante à juger, il n'a pas
estimé qu'il s'agissait d'un cas où il devrait accor-
der une injonction interlocutoire avant que l'action
ne soit instruite et qu'un jugement ne soit rendu.
L'intimé fait valoir que l'action devant la Cour
suprême de l'Ontario couvre les questions soule-
vées en l'espèce et qu'elle a une plus grande portée
puisqu'elle comporte également une demande de
dommages-intérêts. Il soutient en outre que la
Cour suprême de l'Ontario a le pouvoir de rendre
tout jugement déclaratoire nécessaire quant à la
validité de la Proclamation, de l'Ordonnance sur la
délégation du pouvoir de contingentement, et du
Règlement adoptés par les autorités fédérales en
cause. À l'appui de cette prétention, il invoque les
décisions Procureur général du Canada et autres
c. Law Society of British Columbia et autre,
[ 1982] 2 R.C.S. 307, et Re Williams and Attor-
ney -General for Canada et al. (1983), 6 D.L.R.
(4th) 329 (C. div. Ont.).
L'avocat des requérants prétend qu'il y a lieu
dans le présent cas d'accorder une injonction.
Quant à la compétence de la Cour, il soutient
essentiellement que ce qui est en jeu dans la
présente procédure est le contrôle judiciaire d'un
office fédéral. Tout en reconnaissant que, en vertu
de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, cette
Cour ne peut exercer de contrôle judiciaire sur
l'Office provincial en tant que tel, elle a compé-
tence exclusive sur l'Office fédéral et peut rendre
des ordonnances contre cet Office et ses mandatai-
res relativement à la réglementation du commerce
interprovincial et du commerce d'exportation.
Selon lui, les procédures devant la Cour suprême
de l'Ontario sont distinctes en raison du fait qu'el-
les portent sur une action délictuelle et aussi à
cause du fait que, dans la mesure où elles visent un
jugement déclaratoire quant à la validité du sys-
tème de contingentement, il s'agit de contingents
intraprovinciaux, alors que les procédures devant
la Division de première instance de la Cour fédé-
rale, se rapportent à des contingents interprovin-
ciaux et internationaux. 11 s'oppose donc à la sus
pension des présentes procédures.
Après examen de ces conclusions, j'ai décidé que
je ne saurais conclure, à ce stade, au rejet de la
totalité des présentes procédures ni à leur suspen
sion. J'ai constaté que, normalement, la Cour est
réticente à rejeter ou à radier des procédures à la
suite d'objections préliminaires s'il n'est pas mani-
festement clair que ces procédures ne sauraient
réussir.
Plus particulièrement, je ne suis pas disposé à
rejeter les procédures pour le motif qu'elles ne
relèvent pas de la compétence de cette Cour ni à
les suspendre en faveur de l'action intentée devant
la Cour suprême de l'Ontario, parce que, à mon
avis, ces procédures portent, en partie, sur le con-
trôle judiciaire d'un office fédéral, à savoir l'Office
canadien de commercialisation des poulets, établi
sous le régime d'une loi fédérale et exerçant ou
prétendant exercer la compétence conférée par une
loi du Parlement. En vertu de l'article 18 de la Loi
sur la Cour fédérale, la Division de première
instance de la Cour fédérale a compétence exclu
sive en première instance pour rendre un jugement
déclaratoire contre un tel office. J'en déduis que le
législateur a voulu que le contrôle judiciaire d'or-
ganismes fédéraux soit normalement exercé par la
Cour fédérale et non par les cours supérieures des
provinces telles que la Cour suprême de l'Ontario.
Il n'est pas certain que la Cour suprême de
l'Ontario puisse accorder la totalité du redresse-
ment sollicité par les requérants dans la présente
procédure. De toute évidence, elle ne saurait décer-
ner un bref de certiorari ni un bref de mandamus
contre un office fédéral. Elle peut ne pas être en
mesure de rendre le jugement déclaratoire
demandé quant à la validité des règlements fédé-
raux. Il est vrai, comme l'a prétendu l'intimé, que
l'arrêt Law Society of British Columbia, précité,
autorise la Cour suprême de l'Ontario à rendre des
jugements déclaratoires portant que des lois ou
règlements fédéraux sont nuls parce qu'ils sont en
conflit avec le partage des pouvoirs prescrit par la
Constitution. Il ressort de l'arrêt rédigé par le juge
Estey au nom de la Cour suprême du Canada, aux
pages 328 et 329, qu'il ne suffit pas qu'une cour
supérieure reconnue par l'article 101 de la Loi
constitutionnelle de 1867 (c.-à-d. la Cour fédé-
rale), dont les décisions sont susceptibles d'examen
par une autre cour prévue à l'article 101 (la Cour
suprême du Canada), ait le pouvoir d'accorder un
jugement déclaratoire; un tel pouvoir doit égale-
ment être accordé aux cours supérieures des pro
vinces autorisées (bien que non établies) par l'arti-
cle 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, dont les
décisions peuvent également faire l'objet d'un
appel devant une cour prévue à l'article 101 (la
Cour suprême du Canada). Refuser aux cours des
provinces une telle compétence a pour conséquence
que
... ces organismes judiciaires de base qu'a établis la Constitu
tion de ce pays, notamment les cours supérieures des provinces,
seraient dépouillés d'un pouvoir judiciaire fondamental dans un
régime fédéral ...
Cette décision a été suivie dans Conseil canadien
des relations du travail et autre c. Paul L'Anglais
Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147. Ces affaires
portaient sur le partage des pouvoirs. La question
de savoir si le même principe s'applique lorsque le
jugement déclaratoire sollicité, comme en l'espèce,
se rapporte à des conflits possibles avec la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)] reste à voir, puisque la prétendue
violation de la Charte n'implique pas une intrusion
illicite des autorités fédérales dans la compétence
provinciale et par conséquent ne menace pas le
»régime fédéral». À supposer toutefois que la règle
adoptée dans l'affaire Law Society of British
Columbia s'applique de manière à permettre à la
Cour suprême de l'Ontario de rendre un jugement
déclaratoire concernant des conflits entre des
règlements adoptés par des offices fédéraux et la
Charte, il est douteux que la règle puisse s'appli-
quer au point de permettre un tel contrôle judi-
ciaire des actes d'un office fédéral sous la forme
d'un jugement déclaratoire portant que ses règle-
ments, quoique relevant de la compétence fédérale,
ne sont pas autorisés par le Parlement canadien. A
mon avis, rien ne justifie un droit implicite garanti
des cours supérieures des provinces de rendre un
tel jugement déclaratoire, puisque la situation ne
menace ni le régime fédéral ni les sauvegardes
constitutionnelles des droits et libertés des particu-
liers. C'est pour cette raison que j'écarte, avec
déférence, le raisonnement adopté par la Cour
divisionnaire de l'Ontario dans la décision Re Wil-
liams and Attorney -General for Canada et al.,
précitée, où elle a, semble-t-il, interprété l'arrêt
Law Society of British Columbia comme autori-
sant une cour supérieure d'une province à détermi-
ner, dans une action visant à obtenir un jugement
déclaratoire, si le gouverneur en conseil a agi
conformément au pouvoir légal qui lui est conféré
par le législateur. Voir Mullan, Annotation (1983),
3 Admin. L.R. aux pages 114 et 115. Je suis
certain que, si une telle question était applicable à
une cause d'action et à des parties relevant de la
compétence d'une cour supérieure d'une province,
et si la cour se trouvait dans une situation où si elle
ne pouvait examiner la validité d'un règlement
fédéral par rapport à son pouvoir légal, elle pour-
rait donner effet à un règlement invalide, elle
devrait alors être en mesure d'examiner cette ques
tion et de rendre une décision aux fins de cette
action. Mais cela diffère d'un jugement déclara-
toire prononcé dans une action intentée unique-
ment à cette fin. A ce stade, il est impossible de
dire dans quelles circonstances on pourrait s'atten-
dre à ce que la Cour suprême de l'Ontario rende
un jugement déclaratoire concernant les lois et
règlements fédéraux, ainsi qu'il a été sollicité,
devant ladite Cour, dans la demande de redresse-
ment formulée dans cette action. On ne sait donc
pas si un jugement déclaratoire pourrait être rendu
dans les procédures devant cette cour. De toute
évidence, la Cour fédérale peut rendre un tel juge-
ment déclaratoire si l'action est intentée en bonne
et due forme.
De même, je refuse de suspendre les présentes
procédures en raison d'autres différences existant
entre elles et l'action intentée devant la Cour
ontarienne. L'intimé en l'espèce n'est même pas
partie à l'action devant la Cour de cette province.
L'Office provincial et Volbec sont parties à cette
action mais non aux présentes procédures. Il existe
plusieurs questions différentes soulevées dans l'ac-
tion ontarienne, notamment des revendications
d'une grande portée fondées sur un délit civil.
Vu l'absence d'identité entre les deux actions et
le fait qu'on ne pourrait pas nécessairement obte-
nir devant la Cour provinciale tous les redresse-
ments sollicités en l'espèce, j'ai refusé d'accorder
la suspension.
De même, comme l'a laissé entendre l'avocat du
procureur général du Canada, il aurait peut-être
mieux valu, dans la présente affaire, recourir aux
procédures prévues à l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale en vue d'un examen par la Cour
d'appel. J'ai conclu que, à ce stade, je n'étais pas
en mesure de déterminer si ces procédures visaient
des fonctions de nature judiciaire ou quasi judi-
ciaire de l'Office et, par conséquent, il m'a semblé
que le recours approprié, tel qu'il a été choisi par
les requérants, était sous le régime de l'article 18
de la Loi. Je pourrais ajouter que rien de ce qui est
survenu par la suite n'a modifié cette conclusion.
Ayant décidé que les procédures devraient suivre
leur cours, j'ai statué en même temps que certaines
formes de redressement mentionnées dans l'avis de
requête ne seraient pas accordées. En premier lieu,
comme il a été décidé précédemment, le jugement
déclaratoire sollicité au paragraphe a) n'est pas
accordé en l'espèce parce que les présentes procé-
dures n'ont pas été intentées sous forme d'action.
En outre, l'Ontario Chicken Producers' Marketing
Board ne relevant pas de la compétence de cette
Cour, il ne peut faire l'objet d'aucune forme de
redressement ni d'aucun contrôle judiciaire. J'ai
également exprimé des doutes quant à la question
de savoir si l'une quelconque des décisions atta-
quées, pour autant qu'elle soit essentiellement de
nature législative, pourrait faire l'objet d'un
examen par voie de certiorari.
J'ai donc conclu que les seules questions que je
pouvais aborder dans les présentes procédures
étaient les suivantes. Pour ce qui est du redresse-
ment sollicité au paragraphe b), je ne pourrais
qu'examiner le bien-fondé de l'ordonnance men-
tionnée au sous-paragraphe (ii). Quant à l'ordon-
nance sollicitée au paragraphe c), je ne pourrais
examiner cette possibilité qu'à l'égard de l'Office
intimé. J'ai décidé que j'étais disposé à considérer
cette question comme une requête en redressement
ou bien sous la forme d'un bref de prohibition ou
bien sous la forme d'une injonction, et qu'il fallait
savoir laquelle de ces formes, si recours il y avait
sous l'une ou l'autre forme, était justifiée par les
faits et par d'autres arguments. En ce qui concerne
le redressement demandé au paragraphe d), j'ai
conclu que je n'examinerais que la requête formu-
lée au sous-paragraphe (i) dans la mesure où cela
donnait lieu à une ordonnance contre l'Office
intimé mais non contre l'Office provincial en tant
que «mandataire» de ce dernier. Au sujet du
redressement subsidiaire demandé au sous-para-
graphe (ii), l'ordonnance prononcée par le juge
Walsh le 31 mai 1984 portait que les requérants
étaient autorisés à se désister du redressement
demandé à ce sous-paragraphe sans qu'il soit porté
atteinte à leur droit de le demander à nouveau à la
suite de l'audition de cette demande, étant donné
que la preuve pertinente était disponible et permet-
tait de rendre une ordonnance exigeant l'attribu-
tion d'un contingent à quelques-uns seulement des-
dits requérants. À ce stade, je n'en dirai pas
davantage sur cette question. Le redressement
demandé au paragraphe e), à savoir toute mesure
que la Cour juge appropriée, sera examiné dans
mon ordonnance finale.
Pour résumer, j'ai alors indiqué que j'étais dis-
posé à entendre la preuve et les arguments quant à
la nature légale de l'«appel» devant l'Office men-
tionné au sous-paragraphe b)(ii) et au déroule-
ment d'une telle procédure devant l'Office, la
preuve et les arguments quant à la validité des
textes réglementaires, et la preuve et les arguments
quant aux violations possibles par l'Office des
droits garantis par les articles 6 et 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés. J'ai exclu la
preuve et les arguments en ce qui concerne l'exer-
cice par l'Office provincial du pouvoir qui lui est
conféré par les textes réglementaires fédéraux ou
autres. En guise de conclusion, j'ai souligné que si
cette distinction entre les diverses formes de
redressement semblait compliquée, c'est parce
qu'elle reflète les complications de la Constitution
qui divisait le pouvoir de réglementer le commerce
entre les deux paliers de gouvernement et qui
autorisait la création de (n'ayant pas elle-même
procédé à la création de) cours supérieures par le
Parlement et les législatures provinciales en vue du
contrôle judiciaire des tribunaux administratifs
créés par chacun de ces corps législatifs.
C'est sur la base de ce qui précède que la
requête a été entendue. Je résumerai les faits
essentiels et je statuerai ensuite sur les questions
de fond soulevées par les parties.
Les faits
L'Ontario Chicken Producers' Marketing Board
a été établi en 1965 sous le régime d'une loi
provinciale. Il a octroyé aux producteurs ontariens
des contingents intraprovinciaux, c.-à-d. des con
tingents pour la production de poulets à vendre en
Ontario. Selon l'avocat des requérants, quelque
834 producteurs de poulets ont reçu un tel contin
gent de l'Office, mais aucun d'eux, à l'exception
d'un contingent accordé en 1969, n'était, antérieu-
rement à 1983, un producteur de poulets établi à
l'Est de Kingston (Ontario). Il est admis qu'il
existait néanmoins des producteurs de poulets
exerçant leurs activités dans l'Est de l'Ontario au
cours de cette période, vendant la totalité ou la
plus grande partie de leur production au Québec et
aux Etats-Unis.
Comme il a été souligné plus haut, le plan de
commercialisation des poulets établi sous le régime
de la Loi sur les offices de commercialisation des
produits de ferme est entré en vigueur le 28
décembre 1978. Au début de 1979, Mc Yvon
Montpetit, d'Hawkesbury (Ontario), a soumis un
mémoire au Conseil de commercialisation des pro-
duits de ferme, établi en vertu de la Loi, au nom de
11 producteurs de cette région qui avec d'autres
ont formé l'Eastern Ontario Broiler Producers'
Association. L'essentiel de sa démarche portait que
depuis 1967 ses clients produisaient des poulets à
griller pour les vendre sur le marché montréalais.
On ne leur a pas fait connaître le plan de commer
cialisation ni les restrictions de contingentement
lorsqu'ils se sont établis en Ontario dans les années
60. L'Office provincial s'était montré peu intéressé
à eux et semblait souhaiter uniquement qu'ils ne
vendent pas sur le marché torontois. Comme ces
producteurs désiraient continuer de vendre à
Montréal, ils ont demandé un «permis» aux autori-
tés fédérales pour le faire, de façon permanente ou
jusqu'à ce que l'Office ontarien ait pris une déci-
sion concernant leurs demandes de contingents.
Ces démarches ont apparemment été portées à
l'intention de l'Office canadien de commercialisa
tion des poulets en mars 1979 et ont été examinées
par l'Office lors d'une réunion tenue en mai 1979.
Selon l'affidavit de M. Romeo Leblanc, directeur
général de l'Office, le problème auquel faisait face
l'Eastern Ontario Broiler Producers' Association et
les solutions possibles à ce problème ont été discu-
tés avec les représentants de toutes les provinces
qui avaient signé l'accord fédéral-provincial
approuvant le plan de commercialisation. Ces dis
cussions ont eu lieu en 1980 et en 1981. Par la
suite, les modifications apportées au Règlement
qu'on trouve maintenant à l'article 10.1 et à l'An-
nexe III ont été adoptées le 14 septembre 1982 et
publiées dans la Gazette du Canada à DORS/82-
859. Ces modifications ont eu pour effet d'exiger
des offices provinciaux qu'ils autorisent la com
mercialisation sur le marché interprovincial en
faveur des producteurs qui s'étaient engagés dans
la commercialisation interprovinciale au cours de
la «période de référence» et qui, à cette époque,
n'avaient pas obtenu un contingent de l'Office
provincial. La «période de référence» a été définie
comme désignant la période commençant le 28
décembre 1977 et se terminant le 27 décembre
1978, c'est-à-dire l'année qui précède immédiate-
ment l'entrée en vigueur du plan de commerciali
sation. Cette période couvre la situation des mem-
bres de l'Eastern Ontario Broiler Producers'
Association.
Peu de temps après l'adoption et la publication
de ces modifications, l'Office a publié des annon-
ces indiquant la nature de ces modifications et la
façon dont on pouvait demander ces contingents.
Ces annonces ont été publiées dans 13 journaux de
l'Est ontarien, notamment dans des journaux de
langue anglaise et de langue française et notam-
ment dans ce qui semble être trois revues commer-
ciales. C'est à la suite de cette publicité que les
requérants en l'espèce ont communiqué pour la
première fois avec l'Office. Me Pierre Lamoureux,
d'Ottawa, a écrit à l'Office en leur nom. Sa lettre
en date du 26 novembre 1982 disait que ses clients
[TRADUCTION] «produisent actuellement des pou-
lets à griller et seront en mesure de le faire au 31
décembre 1982». Il a fait mention d'autres produc-
teurs de la région qui produisaient sans contingent
et à qui on avait donné le droit d'utiliser un
contingent interprovincial. Il faisait vraisemblable-
ment allusion aux membres de l'Eastern Ontario
Broiler Producers' Association. Il a demandé le
même traitement pour ses clients.
La preuve n'indique pas clairement la date du
commencement ni la quantité de la production de
poulets de la plupart des requérants, ni s'il s'agit,
pour la plupart d'entre eux, d'une occupation prin-
cipale. Seulement sept des requérants ont déposé
des affidavits et tous sauf un ne font que confirmer
l'affidavit de François Quesnel, le président du
Groupe des éleveurs de volailles de l'est de l'Onta-
rio (GEVEO), l'un des requérants à l'instance dont
font partie les autres requérants. La majeure
partie des dépositions contenues dans ces affidavits
semble être du ouï-dire, ce qui ne suffit pas pour
une requête de ce genre qui n'est pas une procé-
dure interlocutoire. L'intimé et les requérants dif-
fèrent quelque peu d'opinion quant à l'époque à
laquelle ceux-ci ont commencé à produire des pou-
lets. Il y a peu d'éléments de preuve portant qu'ils
ont vraiment commencé à produire avant la
seconde moitié de 1982. En particulier, il semble
admis que les requérants ne se sont engagés ni
dans la production ni dans la commercialisation
interprovinciale de poulets au cours de la période
de référence prévue à l'article 10.1 du Règlement,
c'est-à-dire la période allant du 28 décembre 1977
au 27 décembre 1978. De plus, selon l'affidavit de
M. Leblanc, qui est étayé par celui de Thomas
McClintock, expert-comptable qui a été nommé
inspecteur de l'Office à cette fin, les requérants ne
se sont pas vraiment engagés dans la commerciali
sation interprovinciale de poulets au moins avant
le mois de juillet 1983. Ils ont, semble-t-il, produit
des poulets pendant quelques mois avant cette date
et les ont vendus pour la forme à une firme
montréalaise, Cronkhite Poultry (Montreal) Ltd.,
mais, selon les déposants Leblanc et McClintock,
les poulets étaient effectivement destinés à un
transformateur ontarien, Maple Lodge Farms de
Norval, Ontario. Cela veut dire que les poulets
n'ont jamais quitté l'Ontario et la «vente» par
l'entremise de la firme montréalaise n'était, selon
eux, qu'une opération fictive.
À la suite des annonces susmentionnées et de la
correspondance avec l'Office, les requérants à
l'instance se sont adressés, à titre individuel, à
l'Ontario Chicken Producers' Marketing Board au
mois de janvier 1983 en vue de demander un
contingent interprovincial. En février, l'Office leur
a écrit, disant qu'ils devaient produire des livres
comptables pour justifier la commercialisation de
leurs poulets sur le marché interprovincial au cours
de la période de référence, soit la période allant du
28 décembre 1977 au 27 décembre 1978. Par la
suite, en avril 1983, ils ont été avisés par écrit du
rejet de leurs demandes parce qu'ils n'avaient pu
faire la preuve de la commercialisation des poulets
sur le marché interprovincial au cours de la
période de référence. Les requérants ont alors
envoyé des lettres individuelles, en date du 2 juin
1983, à l'Office pour faire appel de sa décision.
Par lettre datée du 13 juin 1983, le secrétaire-
directeur de l'Office provincial a écrit à M. Ques-
nel, qui représentait les requérants, disant que
l'Office ne pouvait [TRADUCTION] «aller au-delà
de la loi» et que tout appel devrait être formé
devant l'Office canadien de commercialisation des
poulets ou devant le Conseil national de commer
cialisation des produits de ferme. Selon M. Ques-
nel, il a alors téléphoné à M. Leblanc, le directeur
général de l'Office, et on l'a avisé qu'il n'y avait
pas lieu de former un appel et que l'Office [TRA-
DUCTION] «n'accorderait pas d'appel à quiconque
n'aurait pas produit au cours de la période de
référence». Par la suite, selon M. Leblanc, les
procureurs des requérants, accompagnés de cer-
tains des requérants, ont, le 4 août 1983, rencontré
les cadres du Conseil national de commercialisa
tion des produits de ferme pour examiner la situa
tion. Le lendemain, le comité exécutif du Conseil a
rencontré celui de l'Office, et il a été convenu que
toute personne demandant un contingent interpro-
vincial pourrait s'adresser à l'Office pour deman-
der l'examen de sa requête. Le 9 août 1983, M. J.
Boynton, le vice-président du Conseil national de
commercialisation des produits de ferme, a écrit
aux procureurs représentant à l'époque les requé-
rants une lettre qui disait notamment:
[TRADUCTION] Tel qu'il a été convenu à la réunion avec vos
clients le 27 juillet 1983, le conseil exécutif s'est réuni le 4 août
1983 pour examiner la situation concernant vos commettants
dans l'Est de l'Ontario.
Le 5 août 1983, le conseil exécutif s'est réuni à Toronto avec
l'exécutif de l'Office canadien de commercialisation des poulets
et un représentant de l'Ontario Chicken Producers' Marketing
Board pour discuter des préoccupations et de la position des
producteurs de l'Est de l'Ontario que vous représentez. À cette
réunion, l'OCCP nous a assuré que toute personne demandant
un contingent interprovincial pourrait s'adresser à l'Office
canadien de commercialisation des poulets pour solliciter l'exa-
men de sa requête.
Compte tenu de cette observation, nous vous prions de
demander à vos clients qui peuvent le désirer d'écrire à l'OCCP
pour demander un tel examen au cours duquel le requérant
pourrait présenter des renseignements ou des éléments de
preuve additionnels qu'il juge pertinents. L'Office veillera à ce
que l'on procède à de tels examens avec promptitude.
Selon M. Leblanc, l'Office n'a, depuis ce temps-là,
reçu pratiquement aucune demande individuelle
des requérants relativement à l'examen des déci-
sions sur les contingents qu'on leur a appliquées.
Au lieu de cela, les requérants Quesnel et Thiele
ont rencontré des représentants du Conseil le 13
septembre 1983 et ils ont introduit une requête
écrite sous forme d'une lettre en date du 12 sep-
tembre adressée à l'Office canadien de commercia
lisation des poulets et rédigée en ces termes:
[TRADUCTION] L'Eastern Ont. Chicken Farmers Ass.
G.E.V.E.O., qui est entraînée dans un conflit avec l'Ont. Chic
ken Producers' Marketing Board, sollicite une audition devant
votre office pour examiner la quantité de poulets produits dans
l'Est ontarien de 1965 1978, et le défaut par l'O.C.P.M.B.
d'attribuer des contingents pour notre production.
Pour les fins de la discussion, nous voudrions établir la
production des années antérieures à 1978.
Veuillez nous aviser de la date et de l'heure de cette audition.
Les cadres de G.E.V.E.O. assisteront à cette audition.
L'Office a décidé de ne pas donner suite à cette
requête parce qu'il ne s'agissait pas d'une requête
visant à faire entendre individuellement des pro-
blèmes relatifs au contingentement, parce que
cette requête ne portait pas sur le commerce inter-
provincial et parce qu'elle se rapportait à la pro
duction couvrant la période de 1965 1978 qui ne
relève pas du mandat de l'Office. En octobre et en
décembre 1983, l'Office a cependant examiné des
demandes individuelles de contingents, y compris,
semble-t-il, des demandes provenant de l'un ou de
deux des requérants à l'instance. En conséquence,
il a fait des recommandations à l'Office provincial
pour l'ajustement des contingents à l'égard de
certains producteurs, et il semble que ces recom-
mandations aient été adoptées par l'Office. La
procédure suivie au cours de ces «auditions» a été
que le comité exécutif de l'Office examinait la
preuve produite à une audition d'examen tenue
devant lui et faisait ensuite des recommandations à
l'Office provincial.
Les requérants se plaignent que depuis le mois
de juillet 1983, ils ont fait l'objet de diverses
formes d'interférence et d'harcèlement de la part
de l'Office provincial et de La Fédération des
producteurs de volailles du Québec (voLsEc). Il
n'y a pas de preuve concluante indiquant que
l'intimé est impliqué directement dans ces préten-
dues activités. Comme il a été souligné précédem-
ment, les requérants ont, le 23 janvier 1984,
intenté une action devant la Cour suprême de
l'Ontario contre l'Office provincial, VOLBEC et
contre certains autres producteurs et réclamé
notamment des dommages-intérêts en raison de
cette prétendue activité. Le 25 avril 1984, ils ont
introduit la présente requête devant la Division de
première instance.
Les requérants attaquent les actes de l'intimé en
invoquant cinq points principaux: 1) c'est à tort
que l'Office a refusé de connaître de l'appel formé
par les requérants; 2) les articles 10 et 10.1 du
Règlement sont nuls parce qu'ils ne sont pas auto-
risés par la Loi sur les offices de commercialisa
tion des produits de ferme; 3) le Règlement est,
sur le plan constitutionnel, nul parce qu'il entre en
conflit avec l'alinéa 6(2)b) de la Charte cana-
dienne des droits et libertés; 4) le Règlement est
sans effet parce qu'il va à l'encontre de l'article 7
de la Charte canadienne des droits et libertés; et
5) le Règlement doit être interprété et appliqué
conformément à l'alinéa 1 b) de la Déclaration
canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice
III]. Je vais statuer sur chacune de ces questions
de fond et, par rapport à chacune d'elles, j'exami-
nerai quels redressements, le cas échéant, sont
pertinents et peuvent être accordés.
Le refus par l'Office de connaître de l'appel
Les requérants à l'instance se plaignent princi-
palement de ce que l'intimé a refusé d'entendre
leur cause. Certes, ils reconnaissent que la loi
n'exige nullement une telle audition; mais ils sou-
tiennent que l'Office a pour politique de tenir ces
auditions, et l'équité exige que si d'autres person-
nes bénéficient de ces auditions, il devrait en être
de même pour les requérants.
Dans la mesure où il s'agit d'une plainte portant
que l'intimé a refusé de tenir une audition particu-
lière à l'égard de l'un ou l'autre ou de chacun des
requérants, je n'hésite nullement à la rejeter. La
lettre adressée en date du 9 août 1983 par M.
Boynton, le vice-président du Conseil, au procu-
reur des requérants précise, au nom de l'Office,
que celui-ci est disposé à entendre de tels appels.
Les requérants ne nient pas que cette lettre a été
écrite ni que leur procureur l'a reçue. Rien dans la
preuve ne révèle que l'Office a par la suite rejeté la
demande d'audition d'un requérant en particulier.
En conséquence, je n'ai pas à examiner la ques
tion de savoir si, en tout état de cause, l'intimé
était tenu de tenir une telle audition. Il est clair
que l'intimé n'a nullement le pouvoir d'attribuer
un contingent particulier ni de modifier cette attri
bution. Il ressort clairement du paragraphe 6(1) de
l'annexe de la Proclamation, DORS/79-158, que
l'Office ne peut qu'établir un mécanisme de con-
tingentement par lequel l'Office de commercialisa
tion provincial attribue des contingents aux pro-
ducteurs. L'Office canadien n'est pas
expressément tenu d'entendre les appels formés
contre les décisions de l'Office provincial, ni n'a le
pouvoir d'enjoindre à un office provincial de modi
fier une attribution. Tout au plus, on peut conclure
à l'adoption d'une pratique officieuse par laquelle
l'Office entend des observations et fait des proposi
tions ou des recommandations à un office provin
cial. Il est possible que, une fois une telle pratique
adoptée, il incombe à l'Office de traiter tous les
producteurs sur le même pied, mais la question est
discutable.
Dans la mesure où il s'agit d'une plainte—
comme il semble que ce le soit—que l'Office n'a
pas fait une enquête générale sur la production de
poulets dans l'Est ontarien, j'estime que l'alléga-
tion relative au déni d'équité est nullement fondée.
Il me semble que cela relève du processus législatif
et vise ce que les requérants désirent réellement, à
savoir une modification au Règlement. Ce dont les
requérants se plaignent réellement c'est que les
modifications, que représentent l'article 10.1 et
l'annexe III du Règlement, visaient à avantager
l'Eastern Ontario Broiler Producers' Association,
et ils désirent vraisemblablement une audition,
comme l'indique la lettre de M. Quesnel en date
du 12 septembre 1983, pour montrer qu'ils peuvent
eux aussi exiger un règlement qui leur donnerait
droit à des contingents pour la commercialisation
sur le marché interprovincial. Une telle enquête
suivie de l'examen et de l'adoption de règlements
constitueraient, à mon avis, une procédure législa-
tive. Les règlements qui en résulteraient seraient
d'application générale dans tout le pays. Il n'y a
lieu d'examiner que le processus d'adoption des
modifications faites en 1982. À la suite des obser
vations de l'Eastern Ontario Broiler Producers'
Association et des discussions avec celle-ci, l'Office
a discuté avec tous les signataires provinciaux de
l'accord fédéral-provincial de 1978 pour finale-
ment adopter les modifications qui sont d'applica-
tion générale. On procéderait probablement de la
même façon si on apportait d'autres modifications
pour régler le problème des requérants. Selon moi,
l'obligation d'agir équitablement ne s'applique pas
à un processus essentiellement législatif: voir Bates
v. Lord Hailsham of St. Marylebone, [ 1972] 1
W.L.R. 1373 (Ch.D.), à la page 1378; Procureur
général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et
autre, [1980] 2 R.C.S. 735, aux pages 756 à 758;
New Brunswick Broadcasting Co., Limited c.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommuni-
cations canadiennes, [1984] 2 C.F. 410 (C.A.). La
plainte des requérants relative au refus d'entendre
un appel porte essentiellement sur un déni d'équité
qui ne peut, à mon avis, être pris en considération
dans les circonstances. J'estime donc qu'il n'y a
pas lieu de rendre contre l'intimé une ordonnance
en ce qui concerne la procédure qu'il a employée
en «appel».
Le Règlement n'est pas autorisé par la Loi sur les
offices de commercialisation des produits de
ferme
Je vais examiner la validité du Règlement lors
même qu'un jugement déclaratoire ne pourrait être
obtenu dans les présentes procédures, parce que
j'ai conclu que, en principe, un bref de certiorari
devrait être accordé pour examiner la validité de la
législation déléguée. Bien que, à un moment
donné, le bref de certiorari n'ait été utilisé qu'aux
fins du contrôle de décisions judiciaires ou quasi
judiciaires, il est maintenant clair qu'on peut l'em-
ployer pour examiner des décisions administrati-
ves: voir Martineau c. Comité de discipline de
l'Institution de Matsqui (n° 2), [ 1980] 1 R.C.S.
602. Il est vrai que dans l'arrêt Martineau, tant les
motifs de jugements majoritaires prononcés par le
juge Pigeon (à la page 634, citant le jugement du
juge Megarry dans l'affaire Bates, précitée) que
les motifs de jugement minoritaires concourants
prononcés par le juge Dickson [tel était alors son
titre] (à la page 628), laissent entendre que les
processus législatifs ne peuvent être sujets au con-
trôle judiciaire. Mais il me semble clair que, dans
le contexte, ceci devrait être interprété comme
signifiant l'absence de l'obligation, sur le plan de
la procédure, d'agir équitablement dans le proces-
sus législatif (ainsi qu'il a été souligné ci-dessus),
ce qui fait que les tribunaux n'ont pas compétence
pour examiner les décisions législatives sur le plan
de la procédure. À part ces restrictions particuliè-
res aux motifs pour lesquels un bref de certiorari
est accordé lorsque des fonctions législatives sont
en cause, je ne vois aucune raison pour décider
qu'un tel bref ne peut être accordé à titre de
redressement lorsqu'on invoque comme motifs
qu'un tribunal peut normalement connaître de
questions telles que le défaut de compétence
(légale ou constitutionnelle) qui seront examinées
plus loin. À cet égard, j'adopte, avec déférence,
l'opinion exprimée par le juge Dickson dans l'arrêt
Martineau précité, à la page 619:
Lorsqu'il s'agit de cas individuels et de personnes lésées, l'on
tend à oublier que l'on traite de recours de droit public qui,
lorsque les tribunaux les accordent, non seulement remédient à
l'injustice individuelle, mais aussi garantissent que les organis-
mes publics qui exercent des pouvoirs touchant les citoyens
respectent la compétence qui leur a été attribuée. Le certiorari
est issu du pouvoir de surveillance qu'ont assumé les cours sur
certains tribunaux pour garantir le bon fonctionnement de
l'appareil gouvernemental. Donner une interprétation étroite ou
formaliste aux «droits» dans un sens individuel est se méprendre
sur l'objectif plus large du contrôle judiciaire de l'activité de
l'administration. On devrait, selon moi, partir de la prémisse
que tout organisme public qui exerce un pouvoir sur des
citoyens peut être assujetti au contrôle judiciaire, l'intérêt
individuel en cause n'étant qu'un des facteurs à considérer pour
résoudre la question de principe générale de la nature du
pouvoir de révision qu'il convient d'appliquer à un organisme
administratif particulier.
Voir également Evans, de Smith's Judicial Review
of Administrative Action (4° éd., 1980) aux pages
72, 395.
Les plaintes des requérants concernant le Règle-
ment, pour des motifs fondés soit sur la loi soit sur
la Constitution, se rapportent essentiellement aux
articles 10 et 10.1 et à l'annexe III. Ceux-ci ont été
cités plus haut. Il suffit de dire que l'article 10
exige des offices provinciaux qu'ils attribuent des
contingents pour la commercialisation interprovin-
ciale et étrangère à tout producteur à qui l'Office a
accordé un contingent avant l'entrée en vigueur du
plan de commercialisation. L'article 10.1 exige en
outre que l'Office provincial accorde un contingent
interprovincial à tout producteur qui n'avait pas de
contingent mais qui commercialisait des poulets
sur le marché interprovincial au cours de la
période de référence. L'annexe III définit la
période de référence comme la période commen-
çant le 28 décembre 1977 et se terminant le 27
décembre 1978 et exige de l'Office provincial qu'il
vérifie les renseignements que le requérant doit
mettre à sa disposition pour qu'il détermine si ledit
requérant faisait une telle commercialisation au
cours de la période de référence.
Les requérants soutiennent que ce Règlement va
à l'encontre de la Loi. Ils soulignent que, en vertu
de l'article 22 de la Loi, un office a pour objets «de
favoriser l'établissement d'une production et d'une
industrie fortes, efficaces et concurrentielles» et
«de tenir compte des intérêts des producteurs et
des consommateurs». Ils prétendent en outre que,
en vertu de l'accord fédéral-provincial, approuvé
par le gouvernement du Canada dans C.P. 1978-
3967 daté du 28 décembre 1978, les parties se sont
engagées à donner à leurs représentants des ins
tructions sur diverses politiques, notamment la
politique «de chercher à réduire au minimum la
valeur du contingent individuel». Selon les requé-
rants, le système créé ou maintenu par le Règle-
ment élimine la concurrence pour les producteurs
établis, fait peu de cas ou ne tient nullement
compte de l'efficacité ou des intérêts du consom-
mateur, et il a pour effet de faire des contingents
un produit coûteux: un nouveau producteur ne
peut obtenir un contingent qu'en achetant un bien-
fonds à l'égard duquel un contingent a été attribué
dans le passé, le prix d'achat reflétant fortement la
valeur du contingent. Ils ajoutent que, compte tenu
des principes généraux de droit, les pouvoirs prévus
par la loi d'adopter des règlements devraient être
exercés de façon non pas discriminatoire, mais
raisonnable.
Je doute que l'incompatibilité avec un accord
fédéral-provincial constitue, en tout état de cause,
un motif de contestation de la validité du
Règlement.
Pour ce qui est des autres moyens, il me faut, à
ce stade, clarifier ce que je crois être l'interpréta-
tion correcte du Règlement. À mon avis, il ne
constitue pas une restriction du nombre ou des
catégories de producteurs à qui un office provincial
peut attribuer des contingents. Il garantit plutôt
que certains producteurs se verront attribuer un
contingent pour la commercialisation interprovin-
ciale, ou interprovinciale et internationale. Les
requérants préfèrent cette interprétation et je
pense que c'est la bonne. L'avocat de l'intimé
prétend que, en vertu du Règlement, un office ne
doit accorder des contingents que dans les cas où le
Règlement exige expressément une attribution. À
l'appui de cette prétention, il invoque l'article 4 du
Règlement qui prévoit effectivement qu'il est inter-
dit à un producteur d'une région réglementée de
commercialiser des poulets sur le marché interpro-
vincial ou à des fins de commerce d'exportation
«sans que l'Office de commercialisation de sa pro
vince lui ait, au préalable, attribué un contingent».
À mon avis, cela signifie simplement qu'un pro-
ducteur doit obtenir de l'Office provincial une
attribution, même pour la commercialisation à
l'extérieur de la province. Sans cette disposition, il
est douteux qu'une loi provinciale puisse imposer
une telle condition parce que le commerce inter-
provincial et étranger relève du Parlement fédéral.
L'article 4 ne signifie pas, à mon avis, qu'un
producteur doit avoir un contingent pour la com
mercialisation intraprovinciale afin d'obtenir un
contingent pour la commercialisation à l'extérieur
de la province. C'est cette interprétation que l'avo-
cat de l'intimé semble avoir prônée. Je la rejette et
je conclus que l'Office provincial a un pouvoir
général en vertu de l'Ordonnance sur la délégation
du pouvoir de contingentement de l'Office cana-
dien de commercialisation des poulets, DORS/79-
535, dont l'article 3 autorise l'Office provincial
3. ... à attribuer en son nom aux producteurs de leur
province, les contingents de poulets destinés au marché inter-
provincial et au commerce d'exportation et, à cette fin, à
exercer tous pouvoirs analogues à ceux qu'ils peuvent exercer à
l'intérieur de leur province respective pour la commercialisation
locale des poulets.
Bien que, de toute évidence, l'Office provincial
doit procéder à des attributions conformément au
Règlement de l'Office, celui-ci, n'interdit pas, à
mon avis, d'attribuer des contingents pour le com
merce interprovincial et d'exportation dans des cas
autres que ceux prévus aux articles 10 et 10.1.
Compte tenu de cette interprétation, il est donc
impossible de dire que le Règlement va à l'encon-
tre de la Loi et qu'il est discriminatoire ou dérai-
sonnable. Il me semble tout à fait logique, lors-
qu'entre en vigueur un plan de commercialisation
qui, pour la première fois, porte sur la commercia
lisation sur le marché interprovincial et d'exporta-
tion, de protéger les droits de commercialisation
des personnes qui ont prouvé, par leur production
récente, qu'elles sont des producteurs authentiques
et compétents. Telle a été la conclusion tirée par la
Cour divisionnaire de l'Ontario dans l'affaire Re
Bedesky et al. and Farm Products Marketing
Board of Ontario et al. (1975), 8 O.R. (2d) 516,
aux pages 545 et 546, od on a examiné le plan de
commercialisation des poulets en Ontario. Je ne
pense pas qu'on puisse dire que garantir l'attribu-
tion de contingents du moins à ces producteurs va
clairement à l'encontre de l'établissement «d'une
production et d'une industrie fortes, efficaces et
concurrentielles» ou revient à ne pas «tenir compte
des intérêts des producteurs et des consomma-
teurs» comme l'exige l'article 22 de la Loi. On ne
m'a pas prouvé que ce Règlement est intrinsèque-
ment déraisonnable. Il n'est pas non plus discrimi-
natoire dans le sens usuel du terme. Il est vrai que
le Règlement fait la distinction entre les personnes
qui ont produit avant une certaine date ou qui ont
eu un contingent avant une certaine date, mais
cette date est choisie par rapport à l'entrée en
vigueur du nouveau plan de commercialisation qui
englobe le commerce interprovincial et internatio
nal. Cette date repose donc sur un fondement
logique qui est conforme aux objets légitimes du
Règlement, et on ne saurait dire qu'elle est
discriminatoire.
En concluant ainsi, je dois souligner que je ne
fais qu'attirer mon attention sur les actes de l'in-
timé. A mon avis, l'Office a laissé à l'Office pro
vincial une marge de manoeuvre considérable. On
peut fort bien prouver, dans d'autres procédures
engagées contre l'Office provincial, que ce dernier
n'a pas exercé ce pouvoir discrétionnaire d'une
manière conforme aux objets de la Loi ou d'une
manière raisonnable ou non discriminatoire. Ainsi
qu'il a été décidé au début, je n'ai nullement le
pouvoir d'examiner les actes de l'Office provincial,
directement ou indirectement, en le considérant
comme mandataire de l'intimé, qui est un office
fédéral. En adoptant le Règlement comme il l'a
fait, et en laissant à l'Office provincial le pouvoir
discrétionnaire qui lui appartient relativement à
l'attribution de contingents pour la commercialisa
tion sur le marché interprovincial et international,
l'Office fédéral a, à mon avis, agi raisonnablement
et d'une manière conforme aux objets de la Loi, et
c'est tout ce que j'ai à déterminer en l'espèce.
Si j'avais trouvé dans le Règlement un vice
quelconque, telle une incompatibilité avec la Loi
ou une absence de pouvoir conféré par celle-ci,
pour les motifs susmentionnés, j'estime que je
pourrais y remédier en délivrant un bref de certio-
rari. Quant aux autres redressements, ces ques
tions auraient pu, bien entendu, être abordées dans
une action en jugement déclaratoire, mais les
requérants ont choisi de ne pas procéder par voie
d'action et ils ont donc renoncé au droit d'obtenir
un jugement déclaratoire. Bien qu'ils demandent
également des injonctions pour empêcher l'intimé
d'agir sur la base du Règlement contesté, ils n'ont
fait la preuve d'aucune mesure que l'intimé lui-
même est susceptible de prendre en vertu de ce
Règlement et qui porterait directement atteinte à
leur droit. Par conséquent, même si une injonction
était justifiée, il n'y aurait pas lieu d'en accorder
une contre l'intimé. L'administration du plan
appartient à l'Office provincial, et ce dernier ne
relève pas de ma compétence.
Validité du Règlement par rapport à l'alinéa
6(2)b) de la Charte
L'article 6 de la Charte prévoit:
6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au
Canada, d'y entrer ou d'en sortir.
(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut
de résident permanent au Canada ont le droit:
a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir leur résidence
dans toute province;
b) de gagner leur vie dans toute province
(3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont
subordonnés:
a) aux lois et usages d'application générale en vigueur dans
une province donnée, s'ils n'établissent entre les personnes
aucune distinction fondée principalement sur la province de
résidence antérieure ou actuelle;
b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue
de l'obtention des services sociaux publics.
(4) Les paragraphes (2) et (3) n'ont pas pour objet d'inter-
dire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer, dans
une province, la situation d'individus défavorisés socialement ou
économiquement, si le taux d'emploi dans la province est
inférieur à la moyenne nationale.
Il est nécessaire d'examiner, dans ce contexte,
l'alinéa en question.
Les requérants soutiennent fermement qu'on
leur refuse le droit de gagner leur vie au Québec
en y vendant leurs poulets. Selon eux, l'exercice du
droit garanti par l'alinéa 6(2)b) n'exige pas d'une
personne qu'elle se rende dans la province où elle
désire gagner sa vie. Toujours selon eux, comme la
Charte lie également les autorités tant fédérales
que provinciales, il importe peu que les unes ou les
autres ou les deux soient responsables de cette
conséquence qui, en tout état de cause, est inter-
dite par la Charte.
La décision qui fait le plus autorité à ce jour
concernant cet alinéa est l'arrêt rendu par la Cour
suprême du Canada dans Law Society of Upper
Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357. Cette
affaire portait notamment sur une personne qui
n'était pas citoyen canadien, mais qui satisfaisait à
toutes les conditions d'adhésion au barreau de
l'Ontario sauf aux exigences en matière de
citoyenneté. Il a demandé un jugement déclara-
toire portant que les conditions en matière de
citoyenneté pour qu'il soit admis au barreau sont
incompatibles avec l'alinéa 6(2)b) de la Charte,
parce qu'elles ont pour effet de lui refuser le droit
de gagner sa vie en Ontario même s'il a été admis
comme résident permanent. Au moment où l'af-
faire a été déférée à la Cour suprême, un citoyen
américain du nom de Richardson qui satisfaisait
également, sous d'autres rapports, aux conditions
d'adhésion au barreau, est intervenu dans l'ins-
tance. La Cour suprême a conclu que l'alinéa
6(2)b) ne crée pas un droit distinct de gagner sa
vie dans sa propre province, étranger à quelque
élément de la circulation interprovinciale. Voici ce
qu'à dit le juge Estey au nom de la Cour à la page
382 de l'arrêt:
Pour ces motifs, je conclus que l'al. 6(2)b) ne crée pas un
droit distinct au travail qui n'a rien à voir avec les dispositions
relatives à la liberté de circulation et d'établissement parmi
lesquelles il se trouve. Les deux droits (à l'al. a) et à l'al. b)) se
rapportent au déplacement dans une autre province, soit pour y
établir sa résidence, soit pour y travailler sans y établir sa
résidence.
Comme cette affaire ne comportait pas d'élément
extraprovincial, on a conclu que l'alinéa ne s'appli-
quait pas à la situation de manière à empêcher la
province d'Ontario d'exiger la citoyenneté cana-
dienne de personnes adhérant au barreau de
l'Ontario.
Bien que très pertinente, l'affaire Skapinker ne
s'applique pas tout à fait à la présente situation où,
dit-on, les producteurs résidant en Ontario sont
empêchés de gagner leur vie au Québec en y
vendant des poulets, même s'ils peuvent ne jamais
avoir l'occasion d'aller dans cette province pour y
exercer leurs activités commerciales. À l'évidence,
une telle situation comporte un élément extrapro-
vincial, mais on ne sait pas si, compte tenu de
l'arrêt Skapinker de la Cour suprême, l'alinéa
6(2)b) peut s'appliquer pour protéger les personnes
qui désirent simplement vendre leurs produits dans
une autre province sans s'y rendre. L'avocat de
l'intimé a souligné l'anomalie qui existerait si cet
alinéa couvrait la présente situation, parce qu'il
garantirait le droit d'une personne physique de
vendre ses produits dans une autre province, mais
ne protègerait pas une société qui agirait ainsi
puisqu'il ne s'applique qu'aux citoyens et aux rési-
dents permanents et non à une société. Il faut
également savoir si l'article 6 devait garantir la
libre circulation des marchandises entre les provin
ces; il s'agit là d'une question discutée avec passion
lors des récents débats constitutionnels sans qu'un
consensus apparent s'en doit dégagé.
Toutefois, je n'ai pas, à mon avis, à décider de la
question en me cantonnant dans le texte de l'alinéa
6(2)b). Il me semble que, en vertu de l'alinéa
6(3)a), on puisse apporter des restrictions au droit
énoncé à l'alinéa 6(2)b) au moyen de lois d'appli-
cation générale pour autant que celles-ci n'établis-
sent «entre les personnes aucune distinction fondée
principalement sur la province de résidence anté-
rieure ou actuelle». A mon avis, les lois sur la
commercialisation en question en l'espèce sont
d'application générale. Se référant au système de
contingentement, elles n'établissent, à l'encontre
d'une personne, aucune distinction fondée sur sa
province de résidence antérieure ou actuelle. Dans
la mesure où, en l'espèce, elles font obstacle à une
personne qui ne s'est pas engagée dans la commer
cialisation sur le marché interprovincial, ou qui ne
possède pas de contingent intraprovincial, avant le
28 décembre 1978, elles imposent également des
restrictions aux personnes qui n'ont pas ces quali-
tés, qu'elles soient ou non résidentes de l'Ontario.
Il appert, par exemple, que tous les requérants à
l'instance ou la plupart d'entre eux sont ou ont été
depuis longtemps résidents de l'Ontario. On ne
peut pas dire non plus que les requérants n'ont pas
le droit de vendre au Québec simplement parce
qu'ils sont résidents de l'Ontario. C'est plutôt
parce qu'ils n'ont pas de contingents interprovin-
ciaux, et ces contingents ont été délivrés sans qu'il
ait expressément été fait mention de la résidence
du producteur. Je conclus donc qu'il n'y a pas
conflit avec l'article 6 de la Charte.
Une fois de plus, un bref de certiorari aurait pu,
bien entendu, être accordé à titre de redressement
si l'on avait pu justifier son octroi. Cette question
relative à la Charte aurait pu également être abor-
dée dans une action déclaratoire, mais les requé-
rants n'y ont pas eu recours. Il n'y a pas lieu de
rendre une injonction contre l'intimé, puisque rien
ne prouve qu'il prend des mesures pour appliquer
ce Règlement, ni que, autant que je sache, il
pourrait le faire.
Validité du Règlement par rapport à l'article 7 de
la Charte
L'article 7 de la Charte porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Les requérants soutiennent tout d'abord que la
«liberté» mentionnée comprend la liberté contrac-
tuelle qui, selon eux, leur est refusée par le Règle-
ment contesté. À l'appui de cette prétention, ils
citent plusieurs décisions rendues par la Cour
suprême des États-Unis, la plupart d'entre elles se
rapportant à la garantie donnée par le Quator-
zième Amendement de la Constitution américaine
selon laquelle aucun État ne pourra [TRADUC-
TION] «priver une personne de sa vie, de sa liberté
ou de sa propriété sans une procédure conforme au
droit».
Il convient tout d'abord de faire remarquer que
la jurisprudence de la Cour suprême des États-
Unis a eu tendance, depuis au moins les quarante
dernières années, à ne pas favoriser une liberté
contractuelle absolue en tant que «liberté» visée au
Quatorzième Amendement. De plus, le mot
«liberté» y est mentionné en liaison avec l'expres-
sion «procédure conforme». Il est nécessaire d'exa-
miner le texte même de la disposition canadienne.
Avec déférence, je suis d'accord avec le juge-
ment rendu par le juge Pratte dans l'affaire R. c.
Operation Dismantle Inc., [1983] 1 C.F. 745
(C.A.), à la page 752, où il a décidé que l'expres-
sion «liberté et sécurité de [la] personne» doit être
comprise globalement comme une protection
contre les arrestations et les détentions arbitraires,
et avec la décision rendue par le juge Cattanach
dans deMercado c. La Reine et autre (jugement en
date du 19 mars 1984, Division de première ins
tance de la Cour fédérale, T-2588-83, encore
inédit), où, aux pages 12 et 13, il suit l'arrêt du
juge Pratte. De plus, j'ai décidé dans d'autres
affaires et je persiste à croire que l'article 7 ne
garantit aucun droit quant au fond. Il vise plutôt à
protéger les personnes par le biais de la procédure
quant à la manière dont il peut être porté atteinte
à ces droits. Voir Latham c. Solliciteur général du
Canada, [1984] 2 C.F. 734 (1' ° inst.).
Les requérants prétendent toutefois que même si
l'article 7 ne prévoit qu'une protection sur le plan
de la procédure, et non quant au fond, il y a eu, en
l'espèce, déni de justice fondamentale. Ils n'ont pas
expliqué la nature de ce déni qu'en se fondant sur
le prétendu refus de l'Office de connaître d'un
appel relativement à leurs contingents. J'ai déjà
statué sur cette question, et pour les mêmes raisons
qui m'ont amené à conclure à l'inexistence d'un
déni d'équité, je conclus qu'il n'y a pas eu déni de
«justice fondamentale».
La prétention des requérants selon laquelle la
common law a toujours protégé jalousement la
liberté contractuelle et la liberté d'entreprise est
intimement liée à cet argument fondé sur l'article
7. Ils cherchent à convertir ce principe de common
law en un droit qui, selon eux, est reconnu par
l'article 26 de la Charte que voici:
26. Le fait que la présente charte garantit certains droits et
libertés ne constitue pas une négation des autres droits ou
libertés qui existent au Canada.
À mon avis, la common law n'a jamais voulu dire
que les lois ou les règlements faisant obstacle à ces
libertés sont nuls. Au contraire, ces libertés ont été
reconnues, dans les domaines non réglementés par
la loi, dans la mesure où les tribunaux ne confir-
ment pas certains types de contrats qui y font
obstacle. Dans les domaines réglementés par la loi,
il y a certainement eu tendance à interpréter stric-
tement les lois portant atteinte à la liberté contrac-
tuelle ou à la liberté d'entreprise. On ne saurait
attribuer aux «principes de common law» une
portée plus grande et l'inclusion de l'article 26 de
la Charte n'ajoute certainement rien à leur
contenu.
Pour les motifs que j'ai soulignés dans la partie
précédente portant sur l'alinéa 6(2)b) de la
Charte, il me semble que, si je commets une erreur
relativement à la non-applicabilité de l'article 7 de
la Charte, un bref de certiorari pourrait être
accordé, mais il n'en est pas de même pour les
autres redressements sollicités.
Nécessité d'interpréter et d'appliquer le Règlement
conformément à l'alinéa lb) de la Déclaration
canadienne des droits
Cet alinéa de la Déclaration canadienne des
droits porte:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa
religion ou son sexe:
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la
protection de la loi;
Les requérants se plaignent qu'ils ont reçu un
traitement différent de celui réservé aux membres
de l'Eastern Ontario Broiler Producers' Associa
tion. Ils veulent probablement dire par là que le
Règlement a été modifié de manière à permettre
aux autres producteurs mais non aux requérants
d'obtenir des contingents.
Étant donné l'interprétation très étroite de cet
alinéa par beaucoup de tribunaux, notamment la
Cour suprême du Canada, je crois que, au mieux,
on peut dire qu'une loi ou un règlement irait à
l'encontre de l'alinéa 1b) de la Déclaration cana-
dienne des droits seulement s'il créait des distinc
tions entre diverses catégories d'individus qui n'ont
aucun rapport connexe avec un objectif législatif
valide. Voir p. ex. MacKay c. La Reine, [ 1980] 2
R.S.C. 370, aux pages 390 et 391. Ainsi que je l'ai
expliqué plus haut au sujet de l'idée selon laquelle
le Règlement en question en l'espèce n'était pas
autorisé par la Loi, il me semble que le Règlement
adopté par l'Office, qui assurait des attributions de
contingents en vue de la commercialisation sur le
marché interprovincial ou à des fins d'exportation
aux personnes engagées dans la production avant
le 28 décembre 1978 (la date d'entrée en vigueur
du plan de commercialisation sous le régime de la
loi fédérale), est, dans les circonstances, raisonna-
ble et a un rapport connexe avec le lancement du
plan de commercialisation. J'ai également insisté
sur le fait que le Règlement adopté par l'Office
n'exige pas qu'on empêche d'autres personnes de
recevoir des attributions, et que si des personnes
telles que les requérants ont été exclues, c'est la
responsabilité de l'Office provincial qui n'est pas et
ne saurait être partie devant cette Cour. Il ne
m'appartient pas d'examiner ses actes pour déter-
miner s'ils sont conformes à la Déclaration cana-
dienne des droits, même si on peut soutenir que, en
exerçant les pouvoirs conférés par la Loi sur les
offices de commercialisation des produits de
ferme, l'Office est tenu de se conformer à la
Déclaration canadienne des droits.
À supposer que je commette une erreur en con-
cluant qu'il n'y a pas incompatibilité entre le
Règlement et la Déclaration canadienne des
droits, il n'est pas certain qu'un bref de certiorari
puisse être utilisé en l'espèce contre l'Office pour
remédier à la situation. Il se peut que le bref de
certiorari ne soit pas un recours approprié, parce
que tout ce qu'il faudrait c'est une interprétation
particulière du Règlement—interprétation qui, de
l'avis des requérants, concorderait avec les exigen-
ces de l'alinéa 1b) de la Déclaration canadienne
des droits—et non une annulation de ce Règle-
ment. De même, pour les motifs précédemment
invoqués, le jugement déclaratoire n'est pas
accordé dans les présentes procédures, et une
injonction ne peut pas être décernée contre l'in-
timé, parce que ce dernier ne prend pas, ni n'est
sur le point de prendre, en vertu du Règlement, de
mesures administratives à l'égard des requérants.
Conclusions
Le champ d'action dont je pouvais disposer s'est
rétréci ou est devenu incertain par le fait que la
présente instance n'a pas été introduite par une
action, une ordonnance déclaratoire ne pouvant
donc être accordée, et en outre à cause de ma
conclusion portant que, en raison de contraintes
constitutionnelles et des limites légales imposées
par l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, je ne
peux accorder aucun redressement qui équivau-
drait à un contrôle judiciaire des actes d'un office
créé en vertu d'une loi provinciale, même si celui-ci
exerçait des pouvoirs conférés par des lois fédéra-
les. La seule forme de redressement qui me semble
pouvoir être applicable est un bref de certiorari
pouvant être décerné contre l'Office intimé pour
examiner ses décisions notamment les décisions à
caractère législatif.
Compte tenu de ces contraintes, je conclus que
rien ne justifie de déclarer erronées ou invalides les
décisions de l'Office intimé relativement à l'«appel»
sollicité par les requérants ou à l'égard du Règle-
ment canadien sur le contingentement de la com
mercialisation des poulets qu'il a adopté.
Je rejette donc la requête avec dépens sans qu'il
soit porté atteinte au droit des requérants de solli-
citer, par voie d'action, un jugement déclaratoire
semblable à celui demandé dans la présente
requête.
ORDONNANCE
La Cour rejette la présente requête avec dépens.
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