A-935-84
Procureur général du Canada, gouverneur en con-
seil, directeur général de la région du Pacifique du
ministère des Pêches et Océans, «fonctionnaires
des Pêcheries», Wayne Shinners, Sa Majesté la
Reine du chef du Canada représentée par le minis-
tère des Pêches et Océans (appelants) (défen-
deurs)
c.
Fishing Vessel Owners' Association of British
Columbia, Pacific Coast Salmon Seiners Associa
tion, Prince Rupert Fishing Vessel Owners Asso
ciation, certains membres de la Fishing Vessel
Owners' Association of British Columbia énumé-
rés à l'annexe «A» et certains autres propriétaires
de bateaux de pêche à la senne coulissante énumé-
rés à l'annexe «B» (intimés) (demandeurs)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Stone—Van-
couver, 10, 11 et 12 avril; Ottawa, 29 avril 1985.
Contrôle judiciaire -- Recours en equity — Injonctions —
Appel interjeté d'une ordonnance du juge de première instance
interdisant à des fonctionnaires du Ministère de rendre des
décisions en vertu de la Loi sur les pêcheries — Le directeur
régional a fixé pour la région du Pacifique des périodes plus
longues d'ouverture de la pêche au saumon pour les bateaux
utilisant des engins de pêche à filets maillants que pour ceux
utilisant des engins à senne coulissante — Appel accueilli —
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [19751 A.C. 396
(H.L.) appliqué — Le juge de première instance s'est trompé
en tentant de résoudre les contradictions de la preuve sur la
question de savoir si la décision se fondait sur des considéra-
tions relatives à la protection du poisson — Le juge de
première instance a eu tort de tenir pour acquis que l'injonc-
tion ne causerait aucun préjudice aux appelants — L'intérêt
public subit un tort irréparable lorsqu'on empêche un orga-
nisme public d'exercer les pouvoirs que la loi lui confère — Le
juge a commis une erreur en ne prenant pas en considération le
fait que la demande visait à modifier le statu quo — Dans les
années antérieures, des périodes de pêche différentes ont été
attribuées.
Pêches — Interdiction au directeur régional de fixer des
périodes plus longues d'ouverture de la pêche commerciale du
saumon pour les bateaux utilisant des engins de pêche à filets
maillants que pour ceux utilisant des engins à senne coulis-
sante — Injonction interlocutoire annulée — Le juge de pre-
mière instance s'est trompé en tentant de résoudre les contra
dictions de la preuve sur la question de savoir si la décision se
fondait sur des considérations relatives à la protection du
poisson, en tenant pour acquis qu'il ne serait causé aucun
préjudice aux appelants et en ne prenant pas en considération
le fait que la demande visait à modifier le statu quo — Loi
constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
[S.R.C. 1970, Appendice II, no 51 (mod. par la Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, n° I), art. 91(12) — Loi sur les pêcheries,
S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 34a),b),m) — Règlement de
pêche commerciale du saumon dans le Pacifique, C.R.C., chap.
823, art. 5(1) (mod. par DORS/82-529, art. 3).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C.
396 (H.L.).
AVOCATS:
G. O. Eggertson pour les appelants (défen-
deurs).
N. E. Daugulis pour les intimés (deman-
deurs).
Gordon L. Bisaro pour Pacific Gillnetters,
intervenante.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants (défendeurs).
Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour les
intimés (demandeurs).
Gordon L. Bisaro, Vancouver, pour Pacific
Gillnetters, intervenante.
DuMoulin, Lowes & Boskovich, Vancouver,
pour Gulf Trollers Association.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La Cour statue sur l'appel
interjeté contre une ordonnance de la Division de
première instance [en date du 13 juillet 1984,
T-1356-84, encore inédite] par laquelle le juge
Collier a interdit à des fonctionnaires désignés du
ministère des Pêches et Océans de rendre les déci-
sions qu'ils se proposaient de rendre en vertu de la
Loi sur les pêcheries', avant que la Cour statue de
façon définitive sur la demande.
Aux termes du paragraphe 91(12) de la Loi
constitutionnelle de 1867, [30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1)], le Parlement fédéral a reçu le pouvoir
exclusif de légiférer en matière de «pêcheries des
côtes de la mer et de l'intérieur». La Loi sur les
pêcheries a été promulguée en vertu de ce pouvoir.
Aux termes de l'article 34 de cette Loi, le gouver-
neur en conseil peut édicter des règlements:
1 S.R.C. 1970, chap. F-14.
34....
a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des
pêches côtières et des pêches de l'intérieur;
b) concernant la conservation et la protection du poisson;
in) autorisant une personne engagée ou employée à l'admi-
nistration ou l'application de la présente loi à modifier une
période de temps prohibé ou la quantité maximum de poisson
qu'il est permis de prendre, que les règlements ont fixées.
En vertu des pouvoirs que lui confèrent ces
dispositions, le gouverneur en conseil a édicté le
Règlement de pêche commerciale du saumon dans
le Pacifique 2 . Ce Règlement interdit complète-
ment la pêche commerciale de toute espèce de
saumon dans tous les secteurs de la région du
Pacifique entre le ler janvier et le 31 décembre de
chaque année. Il dispose cependant à son paragra-
phe 5(1) [mod. par DORS/82-529, art. 3]:
5. (1) Le directeur régional ou un fonctionnaire des pêcheries
peut modifier les périodes de fermeture ou les contingents fixés
dans le présent règlement pour un cours d'eau, un secteur ou un
sous-secteur donné.
C'est donc le directeur régional qui, à l'occasion,
fixe la saison de la pêche au saumon dans la région
du Pacifique. Au début de chaque année, le Minis-
tère publie un «guide» qui indique notamment les
dates et les lieux où le directeur régional a l'inten-
tion de permettre la pêche au saumon pour l'année
en cours. Le 1984 Commercial Fishing Guide, qui
a paru en mars 1984, indique que, pour 1984, la
«saison de pêche» pour les bateaux de pêche utili-
sant des engins de pêche à filets maillants dans les
secteurs 12, 13, 16 et 23 serait plus longue que
celle accordée aux bateaux utilisant des engins à
senne. Le guide précisait que la saison de pêche
aux filets maillants s'ouvrirait avant celle de la
pêche à la senne'.
Les trois intimées sont des associations de pro-
priétaires de bateaux de pêche équipés pour la
pêche à la senne coulissante. Ils ont poursuivi les
appelants en vue d'obtenir de la Cour un jugement
déclaratoire portant que le plan de pêche proposé
outrepassait les pouvoirs législatifs du Parlement
et les pouvoirs conférés par la Loi sur les pêcheries
au ministère des Pêches et Océans et à ses fonc-
2 C.R.C., chap. 823.
3 Suivant la preuve, [TRADUCTION] «la pêche à la senne
coulissante est une méthode qui consiste à encercler les poissons
dans un filet, alors que la pêche aux filets maillants est une
méthode qui consiste à étendre un filet dans lequel les poissons
s'empêtrent par les ouïes».
tionnaires, dans la mesure où il établissait une
distinction entre les pêcheurs qui utilisent le filet à
maille et ceux qui utilisent une senne. Ils ont
également demandé une injonction interlocutoire
pour empêcher la mise en œuvre du plan de pêche
proposé avant que la Cour ait statué de façon
définitive sur la demande. Le juge Collier a
accueilli la demande, d'où le présent appel.
Dans les motifs de son jugement, le juge s'est
tout d'abord dit d'avis que l'objectif fondamental
de la Loi sur les pêcheries et du pouvoir législatif
du Parlement en matière de pêcheries était la
protection et la conservation du poisson. Il a ajouté
que le mécanisme qui permettait au directeur
général de modifier les dates d'ouverture de la
saison de pêche et les secteurs de pêche énumérés
dans le Règlement avait le même objectif. Il a
ensuite apprécié les preuves contradictoires présen-
tées sous forme d'affidavit par les deux parties et,
après avoir écarté la preuve contenue dans un
affidavit produit par les appelants, il a statué que
la répartition proposée des périodes de pêche dans
les secteurs concernés n'était pas fondée sur des
considérations de protection ou de conservation.
Voici comment il a formulé sa conclusion sur cette
question [à la page 7]:
Je suis persuadé que le plan proposé à l'égard des secteurs
12, 13, 16 et 23 qui vise à détourner au profit des pêcheurs aux
filets maillants une plus grande partie de la prise permise n'est
fondé sur aucun motif de protection ou de conservation. Il n'a
également rien à voir avec la gestion ou la surveillance des
pêches qui découlent nécessairement des pouvoirs de conserva
tion et de protection. La preuve m'amène à conclure que le seul
motif de cette mesure est d'ordre socio-économique et qu'elle
vise à accorder aux pêcheurs qui utilisent des engins à filet
maillant une plus grande part de l'industrie de la pêche au
saumon et à leur assurer le gagne-pain en découlant.
Ceci étant posé, le juge a ensuite [aux pages 7-8]
fait droit à la requête en injonction interlocutoire
des demandeurs et a «[interdit] au directeur géné-
ral et à tout fonctionnaire des pêcheries de modi
fier les périodes de fermeture de la pêche et les
contingents fixés dans le 1984 Commercial Fish
ing Guide». Le juge a cité les principes énoncés par
lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid Co.
v. Ethicon Ltd. 4 , et s'est fondé sur les considéra-
tions suivantes pour en arriver à cette conclusion:
4 [1975] A.C. 396 (H.L.).
1. ainsi que l'a reconnu le procureur des défen-
deurs, la question à trancher est sérieuse;
2. les demandeurs subiront un tort irréparable si
l'injonction n'est pas accordée; par contre, les
défendeurs ne souffriront aucun tort si l'injonc-
tion est accordée;
3. les demandeurs ont une très bonne cause.
À mon avis, cette décision devrait être annulée
pour les motifs suivants:
a) le juge n'aurait pas dû essayer de résoudre les
contradictions de la preuve sur la question de
savoir si la répartition des périodes de pêche qui
était proposée se fondait sur des considérations
relatives à la protection du poisson. Ainsi que l'a
déclaré lord Diplok dans l'arrêt American
Cyanamid 5 :
[TRADUCTION] La cour n'a pas, en cet état de la cause, à
essayer de résoudre les contradictions de la preuve soumise par
affidavit, quant aux faits sur lesquels les réclamations de
chaque partie peuvent ultimement reposer, ni à trancher les
épineuses questions de droit qui nécessitent des plaidoiries plus
poussées et un examen plus approfondi.
La cour n'est pas justifiée d'entreprendre quoi que ce soit qui
puisse ressembler à une instruction de l'action à partir d'affida-
vits contradictoires pour évaluer la force des arguments de l'une
ou l'autre partie.
b) le juge a eu tort de tenir pour acquis que le
fait d'accorder l'injonction ne causerait aucun
tort aux appelants. Lorsqu'on empêche un orga-
nisme public d'exercer les pouvoirs que la loi lui
confère, on peut alors affirmer, en présence d'un
cas comme celui qui nous occupe, que l'intérêt
public, dont cet organisme est le gardien, subit
un tort irréparable;
c) le juge n'a pas pris en considération le fait
que la demande des intimés visait, dans un
certain sens, à modifier plutôt qu'à préserver le
statu quo. Il ressort en effet du dossier que, dans
les années antérieures à 1984, le directeur régio-
nal avait, dans l'exercice des pouvoirs que lui
conférait le paragraphe 5(1) du Règlement,
attribué des périodes de pêches différentes aux
senneurs et aux pêcheurs utilisant le filet à
maille.
Par ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel,
d'annuler l'ordonnance de la Division de première
instance et de rejeter la demande d'injonction
5 [1975] A.C. 396 (H.L.) aux pp. 407 et 409.
interlocutoire des intimés. Je suis d'avis d'accorder
aux appelants leurs dépens dans les deux Divisions
mais de ne rendre aucune ordonnance quant aux
dépens des intervenantes.
LE JUGE HEALD: Je soucris à ces motifs.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.