T-1860-83
Cat Productions Ltd. (demanderesse)
c.
Dave Macedo et Ross Morell (faisant parfois
affaires sous la raison sociale ZZ Tops), Nu-West
Sportswear & Textiles Inc., Gurdish Singh
Mangat et Mahendra Kaur Singh (défendeurs)
Division de première instance, juge McNair—
Toronto, 25 février; Ottawa, 21 mai 1985.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Demande de
radiation de paragraphes de la défense et de la demande
reconventionnelle conformément à la Règle 419(1) — Action
pour atteinte au droit d'auteur — La plaidoirie contestée
allègue que la demanderesse a incité et amené la police à saisir
et à détenir les marchandises des défendeurs, les empêchant
d'en bénéficier, en violation des art. 7 et 8 de la Charte — La
demande reconventionnelle conclut à des dommages-intérêts
sur le fondement de l'art. 24 de la Charte — La demanderesse
invoque la thèse défendue par Tarnopolsky et Beaudoin selon
laquelle le but de la Charte est de régir les rapports entre un
particulier et le gouvernement, car il vaut mieux laisser les
rapports entre les particuliers aux codes des droits de la
personne, aux autres lois et aux recours de la common law,
conformément au point de vue adopté par les tribunaux — Les
défendeurs se servent de la Charte pour soulever une question
qui n'a rien à voir avec la question litigieuse sur le droit
d'auteur — Les allégations concernent, uniquement la récla-
mation en dommages-intérêts pour abus de procédure —
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 8, 24.
Pratique — Requête en radiation de plaidoiries Demande
de radiation de paragraphes de la défense et de la demande
reconventionnelle conformément à la Règle 419(1) — Radia
tion des paragraphes portant sur l'arrestation des défendeurs
et la saisie de marchandises d'après lesquels la demanderesse
a incité et amené la police à saisir et à détenir les marchandi-
ses des défendeurs, les empêchant ainsi d'en bénéficier, en
violation des art. 7 et 8 de la Charte — Les allégations fondées
sur la Charte ne peuvent étayer une défense ou une cause
d'action parce qu'elles ne soulèvent pas de question jugeable
— Les défendeurs se servent de la Charte pour soulever une
question qui n'a rien à voir avec le fond même du litige entre
les parties — La réclamation concernant le droit d'auteur est
étrangère à la violation de la Charte — Le paragraphe qui
soutient que la déclaration est vexatoire et constitue un abus
de procédure n'est pas radié parce qu'il se suffit à lui-même et
peut servir de fondement à une défense ou à une cause d'action
— Le paragraphe qui soulève le plaidoyer d'irrecevabilité est
radié parce que les faits qui le fondent n'ont pas été plaidés —
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 415(3),
419(1).
Il s'agit d'une demande visant à obtenir la radiation de
certains paragraphes d'une défense et d'une demande reconven-
tionnelle conformément à la Règle 419. La demanderesse solli-
cite, subsidiairement, une ordonnance, conformément au para-
graphe 415(3) des Règles afin d'obtenir des précisions
supplémentaires sur certaines des allégations contenues dans
plusieurs des paragraphes attaqués. La défense modifiée et la
demande reconventionnelle contiennent des allégations faisant
état d'éléments de preuve et qui concernent l'arrestation des
défendeurs, leur inculpation sous divers chefs d'accusation,
ainsi que la saisie et la détention de leurs marchandises. Ces
paragraphes ont pour but d'étayer l'allégation selon laquelle la
demanderesse a incité et a amené la police à saisir et à détenir
les marchandises des défendeurs, leur empêchant ainsi d'en
bénéficier, en violation des articles 7 et 8 de la Charte. Les
défendeurs allèguent en outre que la demanderesse ne peut, en
raison de ses actes abusifs, intenter d'action ou obtenir le
redressement réclamé. La demande reconventionnelle conclut à
des dommages-intérêts sur le fondement de l'article 24 de la
Charte.
La demanderesse a invoqué la thèse défendue par Tarno-
polsky et Beaudoin dans leur ouvrage Charte canadienne des
droits et libertés, d'après laquelle le but de la Charte n'est pas
de régir les rapports entre les particuliers, qu'il vaut mieux
laisser aux lois, aux codes des droits de la personne et aux
recours de la common law, mais de régir les rapports entre les
particuliers et l'État. La défenderesse se fonde sur la déclara-
tion de Manning dans son ouvrage Rights, Freedoms and the
Courts: A Practical Analysis of the Constitution Act, 1981,
suivant laquelle la garantie prévue à l'article 8 de la Charte
contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ne se
limite pas aux seuls cas où les personnes qui y portent atteinte
sont des agents du gouvernement. Il s'agit de savoir si les
allégations fondées sur la Charte et contenues dans une
demande reconventionelle révèlent une défense ou une cause
d'action raisonnable.
Jugement, la demande est accueillie en partie.
La thèse défendue par Tarnopolsky et Beaudoin est davan-
tage conforme au point de vue adopté par les tribunaux que
celle défendue par Manning. Les allégations reprochées ne
soulèvent pas de question jugeable. On n'a pas contesté la
validité d'une loi, et la partie qui aurait porté atteinte aux
droits des défendeurs, à savoir la police, n'a pas été mise en
cause. La demanderesse n'a pas saisi les marchandises des
défendeurs, et celles-ci ne sont pas en sa possession. Les défen-
deurs se servent de la Charte pour soulever une question qui n'a
rien à voir avec le fond même du litige entre les parties. Le
droit d'auteur que revendique la demanderesse est étranger à
une violation quelconque de la Charte. Rien ne laisse croire
qu'il y a eu avec la police de la Communauté urbaine de
Toronto une entente ou un complot criminel dont dépend le
droit d'auteur de la demanderesse; le seul but qu'ils auraient eu
en commun aurait été le harcèlement et l'abus de procédures
donnant lieu à une demande en dommages-intérêts sous le
régime de la Charte.
Le paragraphe où il est allégué que la déclaration est vexa-
toire et constitue un abus de procédure parce que l'action a été
intentée à la seule fin de harceler les défenderesses, se suffit à
lui-même et sert de fondement à une défense ou à une cause
d'action.
Il faut présumer que les actes abusifs auxquels il est fait
allusion désignent les activités de la police et ils n'établissent
pas de fin de non-recevoir. Le paragraphe où est soulevé une fin
de non-recevoir doit être radié.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
55 N.R. 241; Electrolytic Zinc Process Ltd. v. French's
Complex Ore Reducing Co., [1926] R.C.É. 5; Crabb v.
Arun District Council, [ 1976] Ch. 179 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. c. Texaco Explora
tion Canada Ltd., [1976] 1 C.F. 258 (1" inst.); Burnaby
Machine & Mill Equipment Ltd. c. Berglund Industrial
Supply Co. Ltd. et autre (1982), 64 C.P.R. (2d) 206
(C.F. 1" inst.); Succession Creaghan c. La Reine, [1972]
C.F. 732 (1" inst.); Rothschild, Baron Edouard de et al.
v. Custodian of Enemy Property, [1945] R.C.É. 44;
Massie & Renwick Ltd. v. Underwriters' Survey Bureau
Ltd. et al., [1940] R.C.S. 218; Davis v. City of Toronto,
[1942] O.W.N. 120 (H.C.).
AVOCATS:
G. Piasetzki et A. Lambert pour la demande-
resse.
P. Kappel pour les défendeurs, Dave Macedo
et Ross Morell (faisant parfois affaires sous la
raison sociale ZZ Tops).
Aucun avocat pour le compte des défendeurs
Nu -West Sportswear & Textiles Inc., Gur-
dish Singh Mangat et Mahendra Kaur Singh.
PROCUREURS:
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour la
demanderesse.
MacBeth & Johnson, Toronto, pour les défen-
deurs Dave Macedo et Ross Morell (faisant
parfois affaires sous la raison sociale ZZ
Tops).
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: La demanderesse cherche à
obtenir la radiation de certains paragraphes de la
défense et de la demande reconventionnelle, con-
formément à la Règle 419(1) [Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663], pour les motifs:
a) qu'ils ne révèlent aucune cause raisonnable d'action ou
de défense;
b) qu'ils ne sont pas essentiels;
c) qu'ils sont scandaleux, futiles et vexatoires;
d) qu'ils peuvent causer préjudice, gêner ou retarder l'ins-
truction équitable de l'action; et
e) qu'ils constituent un emploi abusif des procédures de la
Cour.
Au cas où la demande en radiation devait
échouer, la demanderesse sollicite, subsidiaire-
ment, une ordonnance, conformément à la Règle
415(3), afin d'obtenir des détails plus amples et
plus précis sur certaines des allégations contenues
dans plusieurs des paragraphes attaqués.
Il s'agit d'une action pour atteinte au droit
d'auteur. La demanderesse allègue que les défen-
deurs ont porté atteinte à son droit d'auteur en
fabriquant et en vendant des tee-shirts portant le
dessin «Man & Star», qui est l'oeuvre artistique à
l'égard de laquelle le droit d'auteur est revendiqué.
Le 19 octobre 1984, la demanderesse a déposé
une déclaration modifiée dans le but, semble-t-il,
de se conformer à l'ordonnance relativement à la
déclaration originale concluant que des détails plus
amples et plus précis devaient être fournis le 19
septembre 1984.
Dans l'affidavit qu'il a produit à l'appui de la
présente requête, M. Anthony Lambert a décrit en
ces termes, aux paragraphes 2, 3 et 4 dudit affida
vit, le cheminement de la cause:
[TRADUCTION] 2. Le 19 novembre 1984, une défense et une
demande reconventionnelle ont été déposées au greffe de la
Cour fédérale pour le compte des défendeurs, Macedo et
Morell.
3. Le 8 janvier 1985, la demanderesse a signifié aux procureurs
des défendeurs Macedo et Morell une demande pour détails
concernant la défense et la demande reconventionnelle. Une
copie de la demande pour détails est jointe aux présentes sous la
cote «A».
4. En réponse à la demande pour détails de la demanderesse, les
défendeurs Macedo et Morell ont déposé, le 6 février 1985, une
défense modifiée et une demande reconventionnelle.
Ce sont cette défense modifiée et cette demande
reconventionnelle qui sont attaquées dans la pré-
sente requête.
Il pourrait être utile, au départ, d'énoncer cer-
tains principes fondamentaux. Il faut aborder une
demande de radiation de plaidoiries avec une cer-
taine prudence. Le pouvoir discrétionnaire d'or-
donner la radiation ne doit être exercé que dans les
cas évidents. Lorsqu'une requête en radiation de
défense est présentée en vertu de la Règle
419(1)a), aucune preuve n'est admissible, et pour
trancher la question il faut se demander, en présu-
mant que les allégations contenues dans les plai-
doiries sont vraies, si on peut prétendre que lesdites
allégations constituent une défense raisonnable ou,
comme il est dit quelquefois, si elles révèlent une
défense soutenable. Dans le cas d'une requête en
radiation de déclaration présentée sur le fonde-
ment de la même Règle—et une demande recon-
ventionnelle fait partie de cette catégorie—il s'agit
de savoir si les allégations qui y sont contenues, en
tenant pour acquis qu'elles sont vraies, révèlent
une cause d'action raisonnable. Voir Amoco
Canada Petroleum Co. Ltd. c. Texaco Explora
tion Canada Ltd., [1976] 1 C.F. 258 (l re inst.);
Burnaby Machine & Mill Equipment Ltd. c. Ber-
glund Industrial Supply Co. Ltd. et autre (1982),
64 C.P.R. (2d) 206 (C.F. Ire inst.). Il ressort en
outre clairement de la jurisprudence qu'une
demande de radiation fondée sur les alinéas b) à J)
de la Règle 419 ne doit être accueillie que si
l'affirmation reprochée est de toute évidence si peu
pertinente ou si futile qu'elle viole le concept
d'équité dans la plaidoirie ou qu'elle constitue
manifestement un emploi abusif des procédures de
la Cour. Le fondement de cette règle est qu'une
partie ne doit pas être privée, pour un rien, de
l'occasion de plaider. Voir Succession Creaghan c.
La Reine, [ 1972] C.F. 732 (I fe inst.); et Roths-
child, Baron Edouard de et al. v. Custodian of
Enemy Property, [1945] R.C.É. 44.
Les paragraphes 19 à 25 de la défense et de la
demande reconventionnelle contiennent des alléga-
tions, dont plusieurs font état d'éléments de
preuve, concernant l'arrestation des défendeurs par
la police de la Communauté urbaine de Toronto,
leur inculpation sous divers chefs d'accusation,
ainsi que la saisie et la détention de leurs marchan-
dises. Ces paragraphes ont manifestement pour
but d'étayer l'allégation des défendeurs, au para-
graphe 26, selon laquelle la demanderesse a incité
et amené la police de la Communauté urbaine de
Toronto à saisir et à détenir les marchandises des
défendeurs, leur empêchant ainsi d'en bénéficier,
en violation des articles 7 et 8 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)] et de la common law.
Il est allégué au paragraphe 28 que la demande-
resse ne peut, en raison de ses actes abusifs, inten-
ter d'action ou obtenir le redressement réclamé. La
demande reconventionnelle reprend les allégations
de la défense et conclut notamment à des domma-
ges-intérêts sur le fondement de l'article 24 de la
Charte.
Les défendeurs fondent leur argumentation sur
les articles 7, 8 et 24 de la Charte canadienne des
droits et libertés, qui sont ainsi conçus:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la
réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard
aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le
tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus
dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés
garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont
écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur
utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la
justice.
L'avocat de la demanderesse soutient que la
Charte ne régit pas les rapports entre particuliers,
que ceux-ci relèvent davantage des lois, des codes
des droits de la personne et des recours de la
common law, et que ladite Charte régit unique-
ment les relations entre les particuliers et l'État. À
l'appui de cette prétention, il cite des passages tirés
de la page 55 de l'ouvrage de Tarnopolsky et
Beaudoin Charte canadienne des droits et libertés:
À la suggestion que la Charte peut s'appliquer aux activités
de particuliers, sans lien avec le gouvernement, on peut répon-
dre automatiquement qu'une charte des droits lie les gouverne-
ments et non les particuliers. Telle est la nature d'un document
constitutionnel: établir la portée des pouvoirs gouvernementaux
et exposer les conditions des relations entre les citoyens et l'État
et entre les divers organes du gouvernement. Le but d'une
charte des droits est de régir les rapports entre un particulier et
le gouvernement en rendant invalides les lois et les mesures
gouvernementales qui empiètent sur les droits garantis par le
document, les rapports entre les particuliers étant laissés aux
codes des droits de la personne, aux autres lois et aux recours
de la «common law», par exemple les lois sur la diffamation. En
outre, le paragraphe 32(1) déclare expressément que la Charte
s'applique au «Parlement et au gouvernement du Canada, pour
tous les domaines relevant du Parlement» (les italiques sont de
nous). Ce sont les actes du gouvernement qui sont visés, non
ceux des particuliers.
Et à la page 60:
En conclusion, même s'il est possible d'interpréter le libellé
de la Charte de façon à l'étendre aux relations entre les
particuliers, cela ne serait pas à propos. Cela aboutirait à
soumettre un contentieux important à un forum judiciaire mal
adapté au problème. Ce n'était l'intention ni des rédacteurs de
la Charte ni des gouvernements qui l'ont acceptée, car la
Charte, partie intégrante de la Constitution, a pour objet de
limiter l'action gouvernementale. Néanmoins, si jamais la
Charte devait s'appliquer à l'activité des particuliers (les argu
ments présentés ici ayant été rejetés), les tribunaux devraient
alors mettre au point des règles d'application différentes de
celles qui visent l'activité gouvernementale.
L'avocat des défendeurs accorde une grande
importance à l'ouvrage de Manning, Rights, Free
doms and the Courts: A Practical Analysis of the
Constitution Act, 1982, et sur les passages sui-
vants, tirés de la page 312:
[TRADUCTION] L'une des questions qui sera soulevée en
vertu de la Charte et qui a donné lieu à de nombreux débats
devant les tribunaux américains, est de savoir si les actes des
agents du gouvernement ou des particuliers échappant au con-
trôle gouvernemental sont assujettis aux dispositions réglemen-
tant les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives à
l'article 8 de la Charte. Cet article garantit en termes généraux
le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les
saisies abusives, et il ressort de la simple lecture de cet article et
de son historique que le droit à cette protection ne se limite pas
aux seuls cas où les personnes qui y portent atteinte sont des
agents du gouvernement.
Et à la page 464:
[TRADUCTION] Quant à l'argument fondé sur l'article 32, il est
fort possible que la Charte s'applique aux actes de particuliers
comme on l'a laissé entendre ailleurs dans cet ouvrage. Le fait
que le terme «exclusivement» n'a pas été employé après les
premiers mots de l'article 32 indique que les rédacteurs de la
Charte n'entendaient pas que celle-ci s'applique uniquement
aux domaines relevant du gouvernement.
Selon moi, la thèse défendue par Tarnopolsky et
Beaudoin est davantage conforme au point de vue
adopté par les tribunaux que celle défendue par
Manning.
Le juge en chef Dickson, qui s'est prononcé au
nom de la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S.
145; 55 N.R. 241, a dit à la page 156 R.C.S.; 248
N.R..
Je commence par ce qui est évident. La Charte canadienne
des droits et libertés est un document qui vise un but. Ce but
est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la
jouissance des droits et libertés qu'elle enchâsse. Elle vise à
empêcher le gouvernement d'agir à l'encontre de ces droits et
libertés; elle n'autorise pas en soi le gouvernement à agir ...
Et, plus loin, à la page 169 R.C.S.; pages 254-
255 N.R.:
Même si les tribunaux sont les gardiens de la Constitution et
des droits qu'elle confère aux particuliers, il incombe à la
législature d'adopter des lois qui contiennent les garanties
appropriées permettant de satisfaire aux exigences de la Consti
tution. Il n'appartient pas aux tribunaux d'ajouter les détails
qui rendent constitutionnelles les lacunes législatives. Si elles
n'offrent pas les garanties appropriées, les lois qui autorisent
des fouilles, des perquisitions et des saisies sont incompatibles
avec l'art. 8 de la Charte. Comme je l'ai dit, toute loi incompa
tible avec les dispositions de la Constitution est, dans la mesure
de cette incompatibilité, inopérante.
Il faut avant tout déterminer si les allégations
fondées sur la Charte et contenues dans une
demande reconventionnelle révèlent une défense ou
une cause d'action raisonnable.
Il s'agit essentiellement de savoir si les alléga-
tions reprochées soulèvent une question jugeable.
Je pense que non et ce, même si on les considère
dans leur sens le plus large. Il faut remarquer qu'il
ne s'agit pas d'un cas où une partie à une action
privée conteste accessoirement la validité d'une
disposition législative particulière dans le but de
revendiquer un droit qui lui serait propre. On n'a
pas présenté d'arguments visant à contester la
validité d'une loi, et la partie qui aurait porté
atteinte aux droit des défendeurs, à savoir la police
de la Communauté urbaine de Toronto, n'a pas été
mise en cause. La demanderesse n'a pas saisi les
marchandises des défendeurs et celles-ci ne sont
pas en sa possession. Selon moi, les défendeurs se
servent de la Charte pour soulever une question
qui n'a rien à voir avec le fond même du litige
entre les parties. Même si l'on tient pour vrai que
la demanderesse a incité la police à saisir et à
détenir illicitement les marchandises des défen-
deurs, le droit d'auteur qu'elle revendique est tout
à fait étranger à cette question ou à une violation
quelconque de la Charte. Rien ne laisse croire qu'il
y a eu avec la police de la Communauté urbaine de
Toronto une entente ou un complot criminel dont
dépend le droit d'auteur de la demanderesse; le
seul but qu'ils auraient eu en commun aurait été le
harcèlement et l'abus de procédure donnant lieu à
une demande en dommages-intérêts sous le régime
de la Charte. Voir Massie & Renwick Ltd. v.
Underwriters' Survey Bureau Ltd. et al., [1940]
R.C.S. 218, à la page 244.
Le délit d'abus de procédures ne traduit pas les
intentions de quelqu'un mais dépend plutôt de
l'existence d'un objectif inapproprié ou illicite et
d'un acte ou d'une menace définis faits dans la
poursuite de cet objectif. Un plaidoyer d'intention
est habituellement considéré comme non pertinent
et on ne cherche généralement pas à connaître les
mobiles d'une partie. Voir Electrolytic Zinc Pro
cess Ltd. v. French's Complex Ore Reducing Co.,
[1926] R.C.É. 5; Davis v. City of Toronto, [1942]
O.W.N. 120 (H.C.).
Dans l'affaire Electrolytic Zinc, précitée, le juge
Maclean a dit à la page 7:
[TRADUCTION] Or, il est clair que les tribunaux n'ont pas à
se préoccuper des rapports qui existent entre le demandeur et
les personnes ou les entités qui ne sont pas parties à l'instance,
et qu'on ne doit pas léser ou embarrasser le demandeur en
l'espèce par des allégations de fait qui ne le concernent pas.
Les défendeurs allèguent au paragraphe 27 de
leur défense qu'ils ont cessé de produire des tee-
shirts après leur arrestation et la saisie de leurs
marchandises. Ils soutiennent en outre que la
déclaration est vexatoire et constitue un abus de
procédure parce que l'action a été intentée à la
seule fin de les harceler et de leur occasionner des
dépenses considérables. Ce paragraphe existe indé-
pendamment des paragraphes qui le précèdent et
qui soulèvent des allégations concernant la police
de la Communauté urbaine de Toronto et il est
implicitement lié au paragraphe 33 de la demande
reconventionnelle où on allègue les dommages
subis par les défendeurs et les avantages obtenus
par la demanderesse; il peut, selon moi, servir de
fondement, si précaire soit-il, à une défense' ou à
une cause d'action. Pour ce motif, je refuse de
radier le paragraphe 27.
Cela m'amène à examiner le paragraphe 28 de
la défense qui soulève le plaidoyer d'irrecevabilité
et qui est ainsi conçu:
[TRADUCTION] 28. Parce qu'elle a commis les actes abusifs
ci-haut décrits, la demanderesse ne peut intenter la présente
action ou obtenir le redressement demandé ou tout autre
redressement.
Il faut présumer que les «actes abusifs» auxquels
il est fait allusion, lorsqu'on les interprète d'une
façon raisonnable, désignent les activités de la
police de la Communauté urbaine de Toronto,
mentionnées aux paragraphes 19 26 inclusive-
ment. On peut concevoir que ces actes, implicite-
ment ou d'une manière générale, se rapportent en
outre à l'allégation de harcèlement contenue au
paragraphe 27 de la défense, allégation que j'ai
acceptée. A part cela, je ne vois pas sur quelle base
pourrait se fonder une fin de non-recevoir.
Dans la pratique actuelle, les faits invoqués pour
établir les différentes sortes de fin de non-recevoir,
et il en existe plusieurs catégories, doivent être
expressément allégués. Sans vouloir en donner une
définition complète, la fin de non-recevoir est un
principe reconnu en equity qui peut en certaines
circonstances empêcher une partie de faire valoir
les droits formels qui lui sont reconnus par la loi.
Dans l'arrêt Crabb v. Arun District Council,
[1976] Ch. 179 (C.A.), le Maître des rôles lord
Denning a donné à la page 188 une définition
générale de la notion de fin de non-recevoir fondée
sur une promesse (promissory estoppel):
[TRADUCTION] Dans quelles circonstances lui sera-t-il alors
interdit de faire valoir les droits formels qui lui sont reconnus
par la loi? S'il s'engage irrévocablement par contrat à ne pas le
faire, une cour d'equity l'obligera à respecter son engagement
contractuel. S'il promet de ne pas exiger le respect de ses droits,
sans aller jusqu'à conclure un contrat irrévocable—même si sa
promesse peut ne pas être exécutoire sur le plan du droit en
raison de l'absence d'une contrepartie ou d'un acte écrit—s'il a
fait cette promesse sachant que l'autre personne agira en
conséquence ou voulant qu'il en soit ainsi, et si c'est le cas, une
cour d'equity l'empêchera alors de renier sa promesse: voir
Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd.
[1947] K.B. 130 et Charles Rickards Ltd. v. Oppenhaim
[1950] 1 K.B. 616, 623. Sans qu'il y ait une promesse, si ses
paroles ou sa conduite amènent une autre personne à croire
qu'il ne fera pas valoir les droits formels qui lui sont reconnus
par la loi—sachant que l'autre agira en conséquence ou voulant
qu'il en soit ainsi—et si c'est le cas, un droit naît alors en faveur
de l'autre personne; et il appartient à une cour d'equity d'éta-
blir comment ce droit pourra être satisfait. D'après la jurispru
dence, ce droit ne découle pas d'un accord mais de paroles ou
d'une conduite.
Les faits allégués ne donnent pas lieu à une fin
de non-recevoir qui entraînerait la radiation du
paragraphe 28 de la défense. S'il existe des motifs
valables pour soulever une fin de non-recevoir, en
sus des allégations contenues au paragraphe 19 à
26 de la défense qui concernent la police de la
Communauté urbaine de Toronto, allégations qui
ont été examinées et sur lesquelles je me suis
prononcé, les défendeurs pourront alors, par voie
de requête ou sur consentement, demander de
modifier leur défense afin d'y ajouter un nouveau
paragraphe dans lequel ils pourront soulever un
plaidoyer de fin de non-recevoir fondé sur des
motifs qu'ils devront alléguer en bonne et due
forme.
Par voie de conséquence et pour les motifs sus-
mentionnés, les paragraphes 19 26 inclusive-
ment, le paragraphe 28 et le paragraphe 34(2) de
la défense et de la demande reconventionnelle
doivent être radiés. Je ne suis pas d'accord avec
l'avocat de la demanderesse pour dire que les
paragraphes 33, 34(3) et 34(4) doivent aussi être
radiés parce qu'ils dépendent d'allégations conte-
nues dans des paragraphes qui, à première vue,
doivent être radiés. Selon moi, il est permis de
croire que ces paragraphes se suffisent à eux-
mêmes et, pour ce motif, ils ne doivent pas être
radiés.
Une ordonnance sera donc prononcée aux condi
tions énoncées aux présentes avec dépens en faveur
de la demanderesse.
ORDONNANCE
1. Les paragraphes 19 26 inclusivement, le para-
graphe 28 et le paragraphe 34(2) de la défense et
de la demande reconventionnelle sont radiés.
2. Les paragraphes 33, 34(3) et 34(4) de la
défense et de la demande reconventionnelle
demeurent.
3. La demanderesse a droit aux dépens de sa
demande et aux faux frais.
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