A-246-82
St. Lawrence Construction Limited (demande-
resse)
c.
Federal Commerce and Navigation Company
Limited et Tande Shipping Limited (défenderesse)
et
Federal Commerce and Navigation Company
(demanderesse reconventionnelle)
c.
St. Lawrence Construction Limited (défenderesse
reconventionnelle)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Stone—
Montréal, 5, 6, 7 et 8 novembre 1984; Ottawa, 4
janvier 1985.
Droit maritime — Transport de marchandises par eau —
Chaland échoué — Dommages par suite du retard à livrer les
marchandises — Y-a-t-il eu exercice de la diligence néces-
saire pour rendre les bâtiments navigables? — Limitation de
responsabilité «par colis. en vertu des Règles de La Haye —
Inapplicabilité de la limitation de responsabilité en vertu de
l'art. 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada —
Cumul ou non de l'action délictuelle et de l'action contrac-
tuelle — Cas d'avaries communes — Loi sur la marine
marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9, art. 647(2) —
Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970.
chap. C-15, Annexe, art. lb), III la), 3, 8, IV 5 — Code civil
du Bas-Canada, art. 1053.
Les faits, ainsi que certains des points litigieux que traite le
jugement sont exposés ci-dessous dans la note de l'arrêtiste.
Arrêt: l'appel est accueilli en partie et l'appel incident rejeté.
L'appelante, Federal Commerce and Navigation Company
Limited, n'a pas exercé la «diligence nécessaire» exigée par
l'article III, règle la) des Règles de La Haye. Les caprices du
vent dans les parages étaient bien connus et un examen adéquat
aurait montré que le chaland, chargé comme il l'était, ne
pourrait être manoeuvré par le remorqueur dans un vent comme
celui qui s'est levé.
Le juge de première instance a refusé à tort d'octroyer à
l'appelante le bénéfice de la limitation de responsabilité «par
colis» prévu à l'article IV, règle 5 des Règles de La Haye. Il est
vrai qu'aucun connaissement n'a été émis mais, ce qui importe,
c'est qu'on en avait prévu l'émission, comme dans l'arrêt de la
Cour suprême du Canada Anticosti Shipping Co. c. St-Amand.
L'intention prépondérante était que l'appelante puisse limiter sa
responsabilité selon l'article IV, règle 5, si cela s'avérait néces-
saire. Cette intention ne devrait pas être niée parce qu'il y a
absence de connaissement, alors que tout ce qu'il y avait à faire
c'était d'en demander un. L'appelante peut donc limiter sa
responsabilité à 500 $ par colis ou unité de cargaison. Et le
texte de l'article IV, règle 5 est suffisamment large pour viser
un dommage découlant d'un retard dans la livraison de la
cargaison.
C'est à bon droit que le juge de première instance a refusé de
reconnaître une limitation de responsabilité en vertu du para-
graphe 647(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada.
L'échouement et le dommage qui s'ensuivit sont directement
reliés à la décision par la direction de ne pas choisir pour
l'inspection un expert en remorquage. En conséquence, elle a
choisi un remorqueur inapte. Donc, l'échouement et le dom-
mage qui s'ensuivit ne se sont pas produits sans «qu'il y ait
faute ou complicité réelle» de l'appelante.
L'intimée, St. Lawrence Construction Limited, peut recou-
vrer des dommages-intérêts pour faute ou négligence délictuelle
indépendamment de l'existence du contrat de transport (voir
Wabasso Ltd. c. National Drying Machinery Co., [19811 1
R.C.S. 578, la page 590). Mais, d'autre part, l'intimée ne
devrait pas pouvoir échapper aux stipulations conventionnelles
limitant sa responsabilité simplement en faisant valoir une
faute délictuelle. Comme il a été dit dans l'arrêt Elder, Demps-
ter, la limitation de responsabilité doit s'appliquer [TRADUC-
TION] «quelle que soit la forme que prend l'action».
On ne peut dire, parce que le chaland n'était pas en danger,
qu'il ne s'agissait pas d'un cas véritable d'avaries communes.
Certes, le chaland n'était pas en danger imminent d'être
détruit, mais il n'était pas en sécurité au point de vue commer
cial. Il était complètement immobilisé. Comme on l'a dit dans
l'affaire The Glaucus: «il ne sert à rien de dire que ce bien[...]
est en sécurité, s'il l'est dans des circonstances où il n'est pas
utilisable». D'autre part, la loi dit aussi clairement que le
transporteur ne saurait recouvrer du chargeur une contribution
aux avaries communes lorsque ces avaries communes ont été
suscitées par sa propre faute, pouvant faire l'objet d'une action
en justice.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Goodfellow (Charles) Lumber Sales Ltd. c. Verreault et
autres, [1971] R.C.S. 522; [1971] 1 Lloyd's Rep. 185;
Anticosti Shipping Co. c. SI-Amand, [1959] R.C.S. 372;
The "Raphael", [1982] 2 Lloyd's Rep. 42 (C.A.); The
Glaucus (1948), 81 LI. L. Rep. 262 (Adm.); Goulandris
Brothers Ltd. v. B. Goldman & Sons Ltd., [1958] 1 Q.B.
74; Federal Commerce and Navigation Co. Ltd. c. Eise-
nerz, [ 1974] R.C.S. 1225; Monarch Steamship Co. Ld. v.
Karlshamns Oljefabriker (A/B), [1949] A.C. 196 (H.L.);
Smith, Hogg & Co., Ltd. v. Black Sea & Baltic General
Insurance Company, Ltd. (1939), 64 LI. L. Rep. 87
(C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Harland & Wolff, Limited v. The Burns & Laird Lines,
Limited, [1931] S.C. 722 (Scot. Sess.); Anns v. Merton
London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.);
Elder, Dempster & Co. v. Paterson, Zochonis & Co.,
[1924] A.C. 522 (H.L.); Nunes Diamonds (✓.) Ltd. c.
Dominion Electric Protection Co., [ 1972] R.C.S. 769;
Wabasso Ltd. c. National Drying Machinery Co., [1981]
1 R.C.S. 578.
DÉCISIONS CITÉES:
Baxter's Leather Company v. Royal Mail Steam Packet
Company, [1908] 2 K.B. 626 (C.A.); Gosse Millard v.
Canadian Government Merchant Marine, [1927] 2 K.B.
432; Pyrene Company, Ltd. v. Scindia Steam Navigation
Company, Ltd., [1954] 1 Lloyd's Rep. 321 (Q.B.D.);
Renton & Co., Ltd. v. Palmyra Trading Corporation,
[1956] 2 Lloyd's Rep. 379 (H.L.); Commercio Transita
Internazionale vs. Lykes Bros. S.S. Co., [1957] 1 A.M.C.
1188 (2nd Cir.); Lennard's Carrying Company Limited v.
Asiatic Petroleum Company Limited (1915), 13 Asp.
M.L.C. 81 (H.L.); Robin Hood Mills Ltd. v. Paterson
Steamships Ltd., [1937] 3 D.L.R. 1 (C.P.); Leval &
Company Incorporated v. Colonial Steamship Limited,
[1961] R.C.S. 221; British Columbia Telephone Com
pany et autres c. Marpole Towing Ltd., [1971] R.C.S.
321; Czarnikow (C.) Ltd. v. Koufos, [1969] 1 A.C. 350
(H.L.); Dominion Chain Co. Ltd. v. Eastern Construc
tion Co. Ltd. (1976), 12 O.R. (2d) 201 (C.A.); Power v.
Halley (1978), 88 D.L.R. (3d) 381 (C.S.T.-N.); Surrey
(District of) v. Carroll-Hatch & Associates Ltd. et al.
(1979), 101 D.L.R. (3d) 218 (C.A.C.-B.); Midland Bank
Trust Co. Ltd. v. Hett, Stubbs & Kemp, [ 1979] Ch. 384;
Can. Western Natural Gas Co. Ltd. v. Pathfinders Sur
veys Ltd. (1980), 12 Alta. L.R. (2d) 135 (C.A.); Kienzle
v. Stringer (1981), 35 O.R. (2d) 85 (C.A.); Coggs v.
Bernard (1703), 2 Ld. Raym. 909 (K.B.); Nugent v.
Smith (1876), 1 C.P.D. 19, infirmé 423 (C.A.); Belfast
Ropework Company v. Bushell, [1918] 1 K.B. 210;
S.M.T. [Eastern] Ltd. v. Ruch, [1940] 1 D.L.R. 190
(C.S.N.-B.); Paterson Steamships, Ld. v. Canadian
Co-operative Wheat Producers Ld., [1934] A.C. 538
(P.C.); Bretherton v. Wood (1821), 3 Brod. & Bing. 54
(Ex. Ch.); Liver Alkali Company v. Johnson (1874),
L.R. 9 Exch. 338; Stag Line, Ld. v. Foscolo, Mango &
Co., Ld., [1932] A.C. 328 (H.L.); Esso Petroleum Co.
Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801 (C.A.); Batty v. Metro
politan Property Realisations Ltd., [1978] Q.B. 554
(C.A.); Maryon (John) International Ltd. et al. v. New
Brunswick Telephone Co., Ltd. (1982), 141 D.L.R. (3d)
193 (C.A.N.-B.); Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C.
562 (H.L.); Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller &
Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.); Dorset Yacht Co.
Ltd. v. Home Office, [1970] A.C. 1004 (H.L.); Junior
Books Ltd. v. Veitchi Co. Ltd., [1983] I A.C. 520 (H.L.);
Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2
R.C.S. 2; 54 N.R. 1; Simpson v. Thomson (1877), 3 App.
Cas. 279 (H.L.); Margarine Union G.m.b.H. v. Cambay
Prince Steamship Co. Ltd., [1969] 1 Q.B. 219; Schif-
fahrt-Und Kohlen G.m.b.H. v. Chelsea Maritime Ltd.
(The nIrene's Success.), [1981] 2 Lloyd's Rep. 635
(Q.B.); Union of India v. N. V. Reederij Amsterdam,
[1963] 2 Lloyd's Rep. 223 (H.L.).
AVOCATS:
Blake Knox pour St. Lawrence Construction
Ltd.
Jean Brisset et David Colford pour Federal
Commerce and Navigation Co. Ltd.
PROCUREURS:
Simmard & Desjardins, Montréal, pour St.
Lawrence Construction Ltd.
Brisset, Bishop, Davidson & Davis, Montréal,
pour Federal Commerce and Navigation Co.
Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE:
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Cet arrêt est important à cause de l'étude qu'il
fait de la diligence raisonnable, de la limitation de
responsabilité, «par colis», prévue par les Règles
de La Haye, de la limitation de responsabilité en
vertu de la Loi sur la marine marchande du
Canada et des avaries communes. Une question
encore plus importante y est traitée, celle du
cumul de la responsabilité contractuelle et de la
responsabilité délictuelle dans une affaire de ce
genre, question qu'aucune espèce canadienne
antérieure n'avait examinée. Le texte intégral de
l'arrêt de la Cour, portant sur ces points, est
reproduit ici.
Étant donné que l'arrêt comporte quelque 42
pages dans sa version anglaise, l'arrêtiste a
décidé d'en préparer un résumé couvrant les
points suivants: les faits en cause, les conditions
du contrat, les moyens d'appel et d'appel inci
dent, les Règles de La Haye, les questions d'in-
navigabilité, de frais de carburant pour l'hélipor-
tage de la cargaison, de la compensation
opposée au paiement du fret, du taux d'intérêt et
des dépens.
L'espèce consiste en un appel et en un appel
incident d'un jugement faisant droit à l'action en
dommages-intérêts de l'intimée et rejetant les
demandes reconventionnelles de l'appelante en
limitation de sa responsabilité et en contribution
aux avaries communes. L'intimée est une compa-
gnie de construction de routes et l'appelante est
armateur. Les parties ont conclu un contrat de
transport, par chaland remorqué, de matériel de
construction et d'équipement à destination d'une
localité éloignée, près de la Baie James. Le cha-
land s'est échoué sur un haut-fond. Une partie de
la cargaison a été enlevée à l'aide d'un remor-
queur et d'hélicoptères, mais la livraison d'une
partie des marchandises a été retardée d'environ
quatre mois. L'intimée a réclamé des dommages-
intérêts s'élevant à 2 650 000 $ en raison de ce
retard. L'appelante a demandé qu'il y ait contribu
tion aux avaries communes, y compris au coût de
construction de ponts de glace pour relier le
chaland au chantier de construction. L'intimée a
invoqué la limitation de sa responsabilité en vertu
des Règles de La Haye et de /a Loi sur la marine
marchande du Canada.
Le contrat, sous forme de lettre, comportait une
clause Paramount assujettissant les conditions du
connaissement aux dispositions de la Loi du
transport des marchandises par eau, 1936 du
Canada. Il stipulait aussi que le transporteur ne
serait tenu responsable d'aucun dommage pour
retard de livraison. Certaines dispositions de la
convention traitaient de la contribution aux ava-
ries communes et on y trouvait une nouvelle
clause Jason.
Le juge Walsh a constaté que l'échouement
était dû à l'innavigabilité et que l'appelante n'avait
pas exercé une diligence raisonnable pour mettre
le remorqueur et le chaland en état de navigabi-
lité. Cette faute étant attribuable à la haute direc
tion de l'appelante, celle-ci ne pouvait se préva-
loir de la limitation de responsabilité «par colis»
des Règles de La Haye, ni limiter sa responsabi-
lité en vertu de /a Loi sur la marine marchande du
Canada.
Voici certains des huit moyens invoqués en
appel: (1) l'échouement a été causé par des
fautes nautiques pour lesquelles l'appelante
n'était pas responsable; (2) il y a eu diligence
raisonnable pour mettre le chaland et le remor-
queur en état de navigabilité; (3) la limitation de
responsabilité prévue par les Règles de La Haye
et par la Loi s'appliquait; (4) aucune action délic-
tuelle n'était recevable.
L'un des arguments de l'intimée pour former
appel incident était que le juge de première ins
tance avait, à tort, jugé qu'il s'agissait d'un cas
véritable d'avaries communes.
Sur l'innavigabilité, le juge de première instance
a dit que les fautes nautiques n'avaient pas été la
cause réelle de l'échouement. C'était plutôt la
puissance du remorqueur qui, étant insuffisante,
n'avait pas permis de redresser la situation lors-
que le vent avait fraîchi. L'appelante aurait dei le
prévoir lorsqu'elle a arrêté son choix sur ce
remorqueur qui n'était pas approprié à la fin
auquel on le destinait. La constatation du juge
Walsh était conforme aux preuves administrées.
On peut citer l'opinion de lord Wright dans l'arrêt
Monarch Steamship Co. Ld. v. Karlshamns Olje-
fabriker (A/B), [1949] A.C. 196 (H.L.), à la page
226, lorsqu'il fait remarquer que [TRADUCTION]
«l'essence de l'innavigabilité ... c'est que le
navire innavigable n'est pas apte à faire face au
danger». En l'espèce, les «fautes» nautiques
n'ont été que l'effet secondaire de l'innavigabilité
et non pas en elles-mêmes la cause de l'échoue-
ment. Il y a une jurisprudence qui dit que, lorsqu'il
n'y aurait eu aucun dommage n'eut été l'innaviga-
bilité du navire, les armateurs sont responsables
même s'il y a eu négligence de la part du capi-
taine: Smith, Hogg & Co., Ltd. v. Black Sea &
Baltic General Insurance Company, Ltd. (1939),
64 Ll. L. Rep. 87 (C.A.).
La diligence raisonnable
L'appelante soutient ensuite qu'elle a exercé une
diligence raisonnable comme l'exige l'article III,
règle la) des Règles de La Haye et qu'en consé-
quence elle n'est pas responsable du dommage.
C'est ce que dit clairement l'article IV, règle 1,
lequel met aussi la preuve de l'exercice de cette
«diligence raisonnable» à la charge de l'appelante.
Il est manifeste que si l'appelante avait procédé à
un examen adéquat, elle aurait constaté que le
chaland, chargé comme il l'était, ne pouvait être
manoeuvré par le Nelson River dans un vent
comme celui qui s'est levé. L'appelante semble
n'avoir pas accordé suffisamment d'attention à
l'effet de résistance du vent, créé par les citernes
de carburant, sur la capacité du remorqueur de
manoeuvrer le chaland. De plus, si une enquête
minutieuse avait été faite, elle aurait permis de
constater que le vent pouvait changer brusquement
de direction et de vitesse. Cet aspect de la question
ne semble pas avoir été suffisamment examiné. Il
était facile de s'informer, comme l'indique le
témoignage du capitaine Gjerde.
Les Règles de La Haye constituent une entente
intervenue entre les intérêts des transporteurs et
ceux des chargeurs. Au Canada, cette entente a été
entérinée par la loi de 1936. Avant l'adoption de
ces Règles à la conférence diplomatique de 1924,
la doctrine de la liberté contractuelle autorisait le
transporteur à s'exonérer de sa responsabilité en
common law, virtuellement à volonté. En l'absence
d'accord exprès, la responsabilité du transporteur
concernant la sécurité des marchandises transpor-
tées était absolue, sauf dans le cas de dommage
causé par une force majeure ou par les ennemis de
la Reine ou par le fait d'un vice inhérent aux
marchandises. (Voir par ex. Baxter's Leather
Company v. Royal Mail Steam Packet Company,
[1908] 2 K.B. 626 (C.A.); Gosse Millard v. Cana-
dian Government Merchant Marine, [ 1927] 2 K.B.
432.) L'état de la common law fut jugé insatisfai-
sant dans le cas de marchandises transportées en
vertu d'un connaissement constituant à la fois un
contrat de transport et un titre de propriété. Les
tiers, notamment, qui acquéraient une participa
tion dans un connaissement n'avaient pas la possi-
bilité de connaître à l'avance ses conditions sou-
vent complexes et divergentes. Il s'est donc
constitué une demande de standardisation des con
ditions des connaissements particulièrement dans
le cas du commerce international. Les Règles de
La Haye en ont résulté. Elles imposent aux char-
geurs et aux transporteurs certaines responsabilités
et leur confèrent certains droits et immunités.
L'obligation que la common law met à la charge
du transporteur de rendre son navire navigable a
été modifiée par l'article III, règle la) qui l'oblige
plutôt à exercer une «diligence raisonnable» pour le
mettre dans cet état avant et au début du voyage.
L'exécution de cette obligation exonère le trans-
porteur de toute responsabilité pour dommage dû à
l'innavigabilité.
À mon sens, un transporteur n'exerce pas une
diligence raisonnable lorsque, comme c'est le cas
ici, il prévoit et exécute un transport par des
navires qu'il sait ou devrait savoir incapables de
faire face aux conditions météorologiques qu'on
pouvait raisonnablement s'attendre à rencontrer au
cours du voyage. L'appelante aurait-elle exercé
cette diligence nécessaire qu'elle aurait découvert
que le remorqueur choisi était incapable de
manoeuvrer le chaland dont la cargaison avait été
arrimée comme elle l'a été. Les caprices du vent
dans les parages étaient bien connus. Leur igno
rance de la part de l'appelante ne saurait être
excusée. Elle aurait dû prendre l'initiative et obte-
nir cette information avant de décider de confier le
chaland au Nelson River. Le remorqueur aurait-il
été à même de remorquer le chaland, avec sa
cargaison arrimée comme elle l'était, que la dérive
sur la gauche aurait pu être contrôlée et (pour
paraphraser lord Wright) remorqueur et chaland
[TRADUCTION] «auraient traversé le péril sans
subir de dommages».
La nature de l'obligation mise à la charge du
transporteur aux termes de l'article III, règle la)
fut examinée par la Cour suprême du Canada dans
son arrêt Goodfellow (Charles) Lumber Sales Ltd.
v. Verreault et autres, [1971] R.C.S. 522; [1971]
1 Lloyd's Rep. 185, oil le juge Ritchie a déclaré (à
la page 540 R.C.S.; page 193 Lloyd's Rep.):
Quand cette Cour a entendu l'affaire Maxime Footwear (préci-
tée), ([1957] R.C.S. 801), M. le Juge Cartwright (alors juge
puîné) a prononcé un jugement dissident. Dans ses motifs, que
le Conseil privé a confirmés, M. le Juge Cartwright a adopté la
définition suivante de la diligence raisonnable requise par la
règle 1 de l'art. III:
[TRADUCTION] La "diligence raisonnable" semble être
l'équivalent d'une diligence normale, compte tenu des cir-
constances connues ou raisonnablement prévisibles, de la
nature du voyage et de la cargaison. Il suffit que cette
diligence ait été exercée jusqu'au départ du port de charge-
ment. Toutefois, l'état du navire à ce moment-là doit être
considéré en fonction de la cargaison et de l'itinéraire du
voyage projeté et il incombe au propriétaire du navire de
montrer qu'il a exercé une diligence raisonnable pour mettre
son bâtiment en bon état.
À mon sens, l'appelante n'a pas démontré, comme
elle devait le faire, qu'elle s'est déchargée de l'obli-
gation que lui imposait l'article III, règle 1 a) des
Règles de La Haye, qui l'oblige à exercer une
diligence raisonnable avant et au début du voyage
pour mettre ses bâtiments en état de navigabilité.
La limitation de responsabilité «par colis»
L'appelante soutient que le juge de première
instance a refusé à tort de lui octroyer le bénéfice
de la limitation de responsabilité «par colis» prévue
à l'article IV, règle 5 des Règles de La Haye.
L'intimée répond en disant que l'appelante ne peut
limiter sa responsabilité parce qu'aucun connaisse-
ment n'a été émis ni même envisagé. Le contrat,
soutient-elle, était un contrat spécial car le char-
geur et le destinataire des marchandises étaient les
mêmes. L'article IV, règle 5, fait-elle valoir, pré-
suppose l'existence d'un connaissement, de même
que la possibilité pour le chargeur de se garder
d'une limitation de responsabilité en déclarant une
valeur plus élevée pour les marchandises, p'ar une
insertion en ce sens dans le connaissement consta-
tant le contrat de transport.
L'appelante soutient que le juge de première
instance lui a refusé la limitation de responsabilité
parce qu'il était d'avis que l'échouement et le
dommage qui en résultait ont été causés, ou du
moins y ont-ils contribué, par «la faute ou la
complicité réelle» de l'appelante. C'est là, bien
entendu, le critère familier auquel doivent se con-
former ceux qui concluent à la limitation de leur
responsabilité en vertu de l'article 647 de la Loi
sur la marine marchande du Canada [S.R.C.
1970, chap. S-9]. En abordant ce sujet, le juge
déclare [à la page 65 de ses motifs]:
Le deuxième problème juridique soulevé sur la question de
responsabilité tient au concours de la société défenderesse aux
erreurs commises et à sa demande d'exonération de responsabi-
lité pour les actes des capitaines de navires ou de ses préposés
dans la navigation ou la direction du navire. Cette limitation est
fondée sur ... [les] Règles de La Haye adoptées au Canada
dans la Loi du transport des marchandises par eau, /936 [S.C.
1936, chap. 49] ...
Après avoir cité des extraits de l'article IV, règle 5
et discuté assez longuement de la question de
savoir si la responsabilité de l'appelante pourrait
être limitée en vertu de l'article 647 de la Loi sur
la marine marchande du Canada, le juge de pre-
mière instance a -onclu que cet article ne pouvait
être invoqué parce que l'échouement ne s'était pas
produit «sans qu'il y ait faute ou complicité réelle»
de l'appelante. Il semble avoir sous-entendu que,
pour le même motif, l'article IV, règle 5 ne pouvait
être invoqué, mais je dois admettre ne pas com-
prendre parfaitement ses raisons pour conclure en
ce sens. Néanmoins, comme il a refusé de faire
droit à la demande de limitation de responsabilité
«par colis» prévue aux Règles de La Haye, il
devient nécessaire de traiter de la question en
appel.
Le droit de limiter sa responsabilité conformé-
ment à l'article IV, règle 5 des Règles de La Haye,
contrairement au droit de limiter sa responsabilité
en vertu de l'article 647 de la Loi sur la marine
marchande du Canada, ne dépend pas du fait que
la responsabilité soit établie «sans qu'il y ait faute
ou complicité réelle» du transporteur. Au con-
traire, l'article IV, règle 5, prévoit que ni le trans-
porteur ni le navire «ne seront tenus en aucun cas»
du dommage. Un transporteur peut limiter sa res-
ponsabilité pour le dommage causé par l'innaviga-
bilité même s'il n'a pas exercé une diligence rai-
sonnable, comme le requiert l'article III, règle 1 a).
La «faute ou complicité réelle» du transporteur en
tant que telles ne jouent alors aucun rôle.
L'intimée invoque la décision de la Cour de
session écossaise Harland & Wolff, Limited v. The
Burns & Laird Lines, Limited, [1931] S.C. 722.
Dans cette espèce, la demanderesse avait conclu un
contrat de transport par mer pour le transport de
sa machinerie de Glasgow à Belfast. Le contrat
avait été conclu par correspondance et stipulait
que le transport serait [TRADUCTION] «aux risques
des propriétaires et sous réserve des conditions de
transport figurant dans nos feuilles de route». Les
feuilles de route stipulaient qu'il n'y avait pas de
connaissement, que la cargaison n'était acceptée
que sous réserve de certaines conditions expresses,
y compris que la défenderesse ne serait pas respon-
sable de [TRADUCTION] d'innavigabilité ou l'inap-
titude du navire à la mer...» La cargaison passa
par dessus bord pour cause d'innavigabilité et la
demanderessse alla en justice. Elle soutint que le
contrat était assujetti au Carriage of Goods by Sea
Act, 1924, 14 & 15 Geo. 5., chap. 22 (R.-U.), que
l'irresponsabilité contractuelle ne pouvait prévaloir
sur la loi et que la défenderesse n'avait pas exercé
une diligence raisonnable comme elle le devait.
Ces arguments furent rejetés, le président, lord
Clyde faisant observer (à la page 728):
[TRADUCTION] Comme l'indique la correspondance mention-
née ci-dessus, le contrat d'affrètement en l'espèce revêtait un
caractère tout à fait spécial. Non seulement il n'était pas
«constaté» par un connaissement, mais encore un connaissement
(tel que ce document est connu et utilisé coutumièrement par
les marchands) était-il étranger à son objet. Son objet n'était
pas mercantile (car les marchandises n'avaient pas été vendues
et n'étaient pas à vendre) mais il était limité au transport de la
machinerie—que la demanderesse avait spécialement fabriqué
dans ses ateliers de Glasgow, à Finnieston, pour un certain
navire qu'elle construisait dans sa cale-sèche de Belfast—de
Finnieston à cette cale. Je ne vois pas quel rôle contractuel un
connaissement, susceptible de servir de titre de propriété, aurait
pu jouer dans un tel contrat d'affrètement, ni comment le
contrat de transport dans ce cas aurait pu être «constaté» par un
connaissement.
Les parties avaient en fait convenu d'elles-mêmes
qu'aucun connaissement ne serait émis, et en con-
séquence, que le transport serait régi par les autres
dispositions des feuilles de route. Les parties
n'avaient jamais envisagé qu'un connaissement
puisse régir le contrat.
L'appelante invoque l'arrêt de la Cour suprême
du Canada Anticosti Shipping Co. c. St-Amand,
[1959] R.C.S. 372, lequel a appliqué l'arrêt de la
Haute cour de justice anglaise Pyrene Company,
Ltd. v. Scindia Steam Navigation Company, Ltd.,
[1954] 1 Lloyd's Rep. 321 (Q.B.D.). Le deman-
deur, qui voulait faire transporter son camion de
l'Île d'Anticosti à Rimouski sur le continent avait
convenu certains arrangements en ce sens avec la
société maritime défenderesse. Un connaissement
fut rempli par un préposé aux écritures du bureau
de la société maritime, mais il fut égaré et ne fut
pas émis. Quoiqu'elle ait reconnu sa responsabilité
pour les dommages causés au camion au cours du
voyage, la défenderesse a voulu limiter sa respon-
sabilité à 500 $ sur le fondement de l'article IV,
règle 5. Le demandeur a soutenu que l'article IV,
règle 5, était inapplicable parce qu'aucun connais-
sement n'avait été émis et qu'en conséquence ce
«contrat de transport>, tel que le définissait l'arti-
cle Ib) des Règles, n'était «constaté» par aucun
connaissement. La Cour a rejeté cet argument, le
juge Rand disant (à la page 375):
[TRADUCTION] C'était une opération ordinaire et si, en tant
que mandataire de l'intimée, il n'a pas jugé nécessaire d'exiger
un connaissement—comme l'article III, règle 3, lui en donnait
le droit—cela ne peut influer sur l'intention des deux parties.
Je suis convaincu qu'en l'espèce aussi, en incor-
porant les Règles de La Haye dans le contrat de
transport, les parties ont voulu traiter leur opéra-
tion comme une opération ordinaire et que les
Règles de La Haye devraient s'appliquer. Il est
vrai qu'aucun connaissement n'a été émis, mais la
chose importe peu dans la mesure où les parties en
avaient prévu l'émission. Je crois que telle était
leur intention. Comme je vois la chose, l'intention
prépondérante, c'était que l'appelante puisse limi-
ter sa responsabilité selon l'article IV, règle 5, si
cela s'avérait nécessaire. Un connaissement type
fut annexé au contrat et les reçus provisoires de
l'appelante incorporaient [TRADUCTION] «les
termes, conditions, exceptions et libertés énoncés
dans le connaissement d'usage courant ...» Cette
intention ne devrait pas être niée parce qu'il y a
absence de connaissement alors que l'intimée, en
tant que chargeur, pouvait en demander et en
obtenir un en vertu de l'article III, règle 3, à tout
moment après réception des marchandises par
l'appelante. Je conclus donc que l'appelante peut
en vertu du contrat de transport limiter sa respon-
sabilité, pour tout dommage causé aux marchandi-
ses, à un montant ne dépassant pas 500 $ par colis
ou unité de cargaison. Je suis aussi d'avis que le
texte de l'article IV, règle 5, est suffisamment
large pour viser un dommage découlant d'un
retard dans la livraison de la cargaison (Renton &
Co., Ltd. v. Palmyra Trading Corporation,
[1956] 2 Lloyd's Rep. 379 (H.L.), lord Morton of
Henryton, à la page 390; Commercio Transito
Internazionale vs. Lykes Bros. S.S. Co., [ 1957] 1
A.M.C. 1188 (2nd Cir.)). Au cours de l'instruc-
tion, l'avocat de l'appelante a fait savoir à la Cour
qu'il ne s'appuyait pas sur les dispositions de la
clause 12 de la formule type de connaissement,
stipulant exonération de toute responsabilité pour
retard, mais qu'il se contentait de limiter sa res-
ponsabilité conformément à l'article IV, règle 5.
Cela étant, il n'est plus nécessaire d'examiner si,
comme le prétend l'intimée, cette clause était nulle
et non avenue en vertu de l'article III, règle 8, des
Règles de La Haye. Il sera nécessaire d'y revenir
lorsque sera examiné l'argument de l'appelante
voulant que les dommages assujettis à la limitation
de responsabilité peuvent être recouvrés en raison
de l'inexécution du contrat et non de la responsabi-
lité délictuelle, comme l'a décidé le juge de pre-
mière instance.
La limitation de responsabilité fondée sur la Loi
sur la marine marchande du Canada
L'appelante soutient que, le cas échéant, elle est
en droit de limiter sa responsabilité conformément
au paragraphe 647(2) de la Loi sur la marine
marchande du Canada dont voici un extrait:
647... .
(2) Le propriétaire d'un navire, immatriculé ou non au
Canada, n'est pas, lorsque l'un quelconque des événements
suivants se produit sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de
sa part, savoir:
d) avarie ou perte de biens, autres que ceux qui sont mention-
nés à l'alinéa b), ou violation de tout droit
(i) par l'acte ou l'omission de toute personne, qu'elle soit
ou non à bord du navire, dans la navigation ou la conduite
du navire, le chargement, le transport ou le déchargement
de sa cargaison, ou l'embarquement, le transport ou le
débarquement de ses passagers, ou
(ii) par quelque autre acte ou omission de la part d'une
personne à bord du navire;
responsable des dommages-intérêts au-delà des montants sui-
vants, savoir:
À mon sens, c'est à bon droit que le juge de
première instance a refusé de reconnaître cette
limitation de responsabilité et son jugement à cet
égard ne devrait pas être modifié. La décision de
conclure le contrat de transport fut prise par M.
Bell, un vice-président de l'appelante, après qu'il
eut reçu le rapport et la recommandation de
l'équipe d'inspection qu'il avait envoyée à la Baie
James. Il n'est pas nécessaire de répéter ici ce qui
a déjà été dit concernant les carences de cette
inspection et les insuffisances du rapport qui en a
découlé. M. Bell n'était pas un homme de mer. Et
pourtant, il n'a pas choisi pour cette inspection
importante un expert en remorquage. L'aurait-il
fait, qu'il est probable que les investigations appro-
priées, au sujet du temps qu'on pouvait raisonna-
blement prévoir au moment de l'opération de
touage, auraient été faites et il se peut qu'alors il
ait été convaincu de ne pas employer le Nelson
River seul pour faire remonter la rivière au cha-
land. Il occupait un poste au sein de la haute
direction de l'appelante, ses actes étant de ce fait
[TRADUCTION] «les actes de la compagnie elle-
même» (Lennard's Carrying Company Limited v.
Asiatic Petroleum Company Limited (1915), 13
Asp. M.L.C. 81 (H.L.); Robin Hood Mills Ltd. v.
Paterson Steamships Ltd., [1937] 3 D.L.R. 1
(C.P.); Leval & Company Incorporated v. Colo
nial Steamship Limited, [1961] R.C.S. 221; Bri-
tish Columbia Telephone Company et autres c.
Marpole Towing Ltd., [1971] R.C.S. 321).
À mes yeux, la décision de M. Bell est directe-
ment reliée à l'échouement qui s'est produit lors-
que le chaland, dont la cargaison avait été arrimée
comme on sait, n'a pu être manoeuvré par le
remorqueur de la puissance que l'on sait, vu l'état
du vent. Le droit de limiter sa responsabilité,
conformément aux dispositions de la Loi sur la
marine marchande du Canada, est un droit impor
tant qu'il faut respecter à moins que la législation
n'oblige au contraire. En l'espèce, l'échouement et
le dommage qui s'ensuivit ont été causés par l'in-
navigabilité plutôt que par une faute nautique
attribuable au remorqueur ou au chaland. C'est la
propre décision de la direction de choisir un remor-
queur inapte qui en est la cause. Cela étant, à mon
sens, l'échouement et le dommage qui s'ensuivit ne
se sont pas produits sans «qu'il y ait faute ou
complicité réelle» de l'appelante et c'est à bon droit
que le juge de première instance a refusé la limita-
tion de responsabilité conformément à l'article 647
de la Loi sur la marine marchande du Canada.
La responsabilité délictuelle
L'appelante conteste le jugement de première
instance en faisant valoir un autre moyen; elle
soutient que le juge de première instance a accordé
à tort ce qu'il a appelé des «dommages-intérêts
délictuels pour ce qui est une conséquence directe
et prévisible du retard». Le juge de première ins
tance a conclu à cet égard que les dommages
avaient été causés par la faute de l'appelante «par
imprudence, négligence ou inhabileté» au sens de
l'article 1053 du Code civil du Québec. Dans ses
actes de procédure, l'appelante invoque la clause
12 de la formule du connaissement excluant toute
responsabilité pour «retard». L'intimée fait valoir
expressément que l'échouement était dû [TRADUC-
TION] «uniquement à la négligence ou à la faute
lourde de la défenderesse et à son inexécution du
contrat». Le juge a conclu que la clause 12 ne
pouvait profiter à l'appelante parce que, comme il
le dit [à la page 90], «la présente action n'est pas
seulement à titre contractuel, mais elle est aussi à
titre délictuel». À ses yeux donc, la clause 12
n'avait aucun effet. Comme tout moyen fondé sur
cette clause a été abandonné devant nous, il n'est
pas nécessaire de se demander si cette clause cons-
tituait une tentative d'exonération de responsabi-
lité totale ou partielle contraire à l'article III, règle
8, des Règles de La Haye. Le juge de première
instance n'a pas examiné cette possibilité.
L'appelante prétend que les dommages de l'inti-
mée sont d'ordre contractuel, et uniquement d'or-
dre contractuel, puisque la faute dont on se plaint
s'est produite lors de l'exécution du contrat et non
autrement. La question est d'importance pour les
parties à un contrat de transport fondé sur les
Règles de La Haye, conclu dans les circonstances
précitées, puisqu'elle soulève la question de savoir
si une partie à un tel contrat peut, à partir des
mêmes faits, réclamer des dommages-intérêts tant
pour la faute délictuelle que pour la faute contrac-
tuelle. L'avocat de l'appelante soutient que, si nous
devions confirmer le jugement de première ins
tance à cet égard, le chargeur d'un transport flu-
vial ou maritime de marchandises pourrait tou-
jours, par le simple expédient d'une action en
responsabilité délictuelle, contourner les protec
tions conventionnelles favorisant le transporteur
par l'exclusion ou la limitation de sa responsabi-
lité.
Traditionnellement, le recours en common law
d'un demandeur victime d'un dommage par suite
de l'inexécution d'une obligation conventionnelle
était, sauf quelques exceptions, le recours en dom-
mages-intérêts pour rupture de contrat (voir par
exemple Czarnikow (C.) Ltd. v. Koufos, [ 1969] 1
A.C. 350 (H.L.)). Les exceptions à cette règle sont
du domaine de la responsabilité professionnelle
(voir par exemple Dominion Chain Co. Ltd. v.
Eastern Construction Co. Ltd. (1976), 12 O.R.
(2d) 201 (C.A.); Power v. Halley (1978), 88
D.L.R. (3d) 381 (C.S.T.-N.); Surrey (District of)
v. Carroll -Hatch & Associates Ltd. et al. (1979),
101 D.L.R. (3d) 218 (C.A.C.-B.); Midland Bank
Trust Co. Ltd. v. Hett, Stubbs & Kemp, [ 1979]
Ch. 384; Can. Western Natural Gas Co. Ltd. v.
Pathfinders Surveys Ltd. (1980), 12 Alta. L.R.
(2d) 135 (C.A.); Kienzle v. Stringer (1981), 35
O.R. (2d) 85 (C.A.)) et aussi de la responsabilité
des personnes pratiquant une «profession publique»
(common calling), comme le voiturier obligé de
transporter en toute sécurité les marchandises qui
lui ont été confiées, sous réserve des quelques
exceptions déjà mentionnées (Coggs v. Bernard
(1703), 2 Ld. Raym. 909 (K.B.); Nugent v. Smith
(1876), 1 C.P.D. 19, infirmé 423 (C.A.); Belfast
Ropework Company v. Bushell, [1918] 1 K.B.
210; S.M.T. [Eastern] Ltd. v. Ruch, [1940] 1
D.L.R. 190 (C.S.N.-B.); et voir aussi Paterson
Steamships, Ld. v. Canadian Co-operative Wheat
Producers Ld., [1934] A.C. 538 (P.C.), à la page
544). La responsabilité du voiturier joue dans le
cas [TRADUCTION] «où l'action ne peut être fondée
sur un contrat» (Bretherton v. Wood (1821), 3
Brod. & Bing. 54 (Ex. Ch.), à la page 62). Quoi-
qu'il ne soit pas un voiturier au sens strict, le
transporteur maritime encourt la même responsa-
bilité (Liver Alkali Company v. Johnson (1874),
L.R. 9 Exch. 338). Les Règles de La Haye ont
modifié ces principes de common law dans le cas
des transports maritimes de marchandises en vertu
d'un contrat constaté par un connaissement (Stag
Line, Ld. v. Foscolo, Mango & Co., Ld., [ 1932]
A.C. 328 (H.L.), lord Atkin à la page 340). Ainsi,
l'obligation du transporteur de mettre son navire
en bon état de navigabilité devient par le jeu des
Règles de La Haye l'obligation d'exercer une «dili-
gence raisonnable» à cette fin. La tendance ces
dernières années à reconnaître aussi la responsabi-
lité délictuelle pour l'exécution négligente d'une
obligation contractuelle, malgré l'existence des
rapports contractuels, n'a pas été limitée aux cas
de fautes professionnelles ni aux fautes des person-
nes exerçant une profession publique (common
callings) (Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon,
[1976] Q.B. 801 (C.A); Batty v. Metropolitan
Property Realisations Ltd., [1978] Q.B. 554
(C.A.)), et la responsabilité délictuelle pour faute
professionnelle a été fondée sur des motifs fort
larges plutôt que sur la simple existence de rap
ports conventionnels (Maryon (John) International
Ltd. et al. v. New Brunswick Telephone Co., Ltd.
(1982), 141 D.L.R. (3d) 193 (C.A.N.-B.)).
Ces dernières années, on a assisté à une véritable
révolution dans le développement de la common
law concernant la faute, développement suscité par
l'arrêt de la Chambre des lords Donoghue v. Ste-
venson, [ 1932] A.C. 562 et élargi par les décisions
Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners
Ltd., [1964] A.C. 465 et Dorset Yacht Co. Ltd. v.
Home Office, [ 1970] A.C. 1004. Plus récemment,
dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough
Council, [1978] A.C. 728, la Chambre des lords a
résumé l'état du droit lorsqu'il s'agit de savoir
quand il doit de prime abord y avoir obligation de
prudence, et quelles sont les limites de cette obliga
tion; voici ce qu'a dit lord Wilberforce (aux pages
751 et 752):
[TRADUCTION] Cette trilogie d'arrêts de la Chambre—
Donoghue v. Stevenson [1932] A.C. 562, Hedley Byrne & Co.
Ltd. v. Heller & Partners Ltd. [1964] A.C. 465, et Dorset
Yacht Co. Ltd. v. Home Office [ 1970] A.C. 1004, nous a
maintenant conduit en un point où, pour établir qu'une obliga
tion de prudence existe dans un cas particulier, il n'est pas
nécessaire que les faits particuliers à cette situation soient
identiques à ceux des cas antérieurs où il a été jugé qu'il y avait
obligation de prudence. La question doit plutôt être examinée
en deux étapes. D'abord, on doit se demander si, entre l'auteur
présumé de la faute et la personne qui a subi des dommages, il
y a un rapport de proximité ou de voisinage suffisant pour que,
selon ce que l'auteur de la faute pouvait raisonnablement
prévoir, une imprudence de sa part puisse vraisemblablement
causer un dommage à la victime—auquel cas, une obligation de
prudence existe de prime abord. Ensuite, si la première question
reçoit une réponse affirmative, il est nécessaire de se demander
s'il existe des facteurs qui pourraient supprimer, réduire ou
limiter la portée de cette obligation, ou la catégorie de gens qui
en sont créanciers, ou les dommages-intérêts auxquels son
inexécution pourrait donner lieu: Voir l'affaire Dorset Yacht
[1970] A.0 1004, lord Reid, à la p. 1027.
Cette décision importante fut appliquée dans l'af-
faire Junior Books Ltd. v. Veitchi Co. Ltd., [1983]
1 A.C. 520 (H.L.), qui portait sur la responsabilité
en cas de perte purement économique, ainsi que
dans un arrêt, prononcé à la majorité, de la Cour
suprême du Canada: Kamloops (Ville de) c. Niel-
sen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; 54 N.R. 1.
À l'appui de son argument selon lequel le droit
d'action de l'intimée ne peut être fondé que sur un
contrat, l'avocat de l'appelante accorde une grande
importance à l'arrêt de la Chambre des lords
Elder, Dempster & Co. v. Paterson, Zochonis &
Co., [1924] A.C. 522. Le contrat de transport dans
cette affaire n'était pas assujetti aux Règles de La
Haye, mais c'est le fondement de cette décision et
le traitement subséquent qu'il a reçu dans notre
pays qu'invoque l'appelante. Il s'agissait dans cette
affaire d'un transport maritime de tonneaux et de
barils d'huile de palme constaté par un connaisse-
ment émis par l'affréteur et excluant sa responsa-
bilité pour dommages causés par suite de l'arri-
mage d'autres marchandises. Les barils furent
écrasés sous le poids d'autres marchandises, cau-
sant la perte de l'huile de palme. Le propriétaire
de la cargaison engagea une action en inexécution
de contrat ou, subsidiairement, pour négligence, à
la fois contre l'affréteur et contre l'armateur. On
prétendit qu'il y avait eu négligence dans l'arri-
mage et que cette négligence était indépendante du
contrat, de sorte qu'elle rendait inapplicable l'ex-
clusion stipulée au connaissement, surtout dans le
cas de l'armateur. Ces arguments furent rejetés.
On jugea que l'affréteur de même que l'armateur
étaient protégés par le connaissement. Vicomte
Finlay estima qu'il y avait responsabilité pour
cause d'innavigabilité, mais lui aussi rejeta l'argu-
ment subsidiaire, fondé sur la responsabilité délic-
tuelle, pour les motifs suivants (à la page 548):
[TRADUCTION] Si la faute dont on se plaint avait constitué un
délit indépendant, sans lien avec l'exécution du contrat constaté
par le connaissement, l'affaire aurait été différente. Mais,
lorsque la faute intervient dans le cours des services mêmes qui
sont rendus dans l'exécution du connaissement, la limitation de
responsabilité qu'il contient doit jouer, quelle que soit la forme
que prend l'action et que la poursuite soit engagée contre le
propriétaire ou l'affréteur. Il serait absurde que le propriétaire
des marchandises puisse contourner les clauses protectrices du
connaissement relatives à tous les arrimages en poursuivant le
propriétaire du navire en responsabilité délictuelle.
Les autres lords juges souscrivirent à l'arrêt, mais
pour des motifs différents. Il me semble que les
propos du vicomte Finlay précités confirment clai-
rement le principe voulant qu'une partie à un
contrat de transport ne puisse contourner une
exclusion expresse prévue au contrat en agissant en
responsabilité délictuelle, à moins que la faute
n'ait aucun rapport avec l'exécution du contrat
constatée par le connaissement.
En 1972, la Cour suprême du Canada a appli-
qué l'arrêt Elder, Dempster dans son arrêt Nunes
Diamonds (J.) Ltd. c. Dominion Electric Protec
tion Co., [ 1972] R.C.S. 769. Dans cette espèce,
l'intimée avait convenu de fournir et d'installer un
système d'alarme dans un coffre-fort appartenant
à l'appelante, un marchand de diamants torontois.
Le contrat excluait expressément toutes [TRADUC-
TION] «conditions, garanties ou déclarations» de
l'intimée, ses dirigeants, préposés ou agents, autres
que celles stipulées dans le contrat. Il contenait
aussi une clause limitant la responsabilité à 50 $ en
cas d'inexécution de service. Le coffre-fort fut
forcé et des diamants furent volés. La Cour
suprême du Canada a reconnu, comme les tribu-
naux inférieurs, qu'il n'y avait pas eu inexécution
de contrat en ce sens que le système avait fonc-
tionné normalement mais qu'il avait manifeste-
ment été déjoué par les voleurs. L'appelante avait
aussi fait valoir certaines déclarations extra-con-
tractuelles comme fondement de son action, indé-
pendamment du contrat, en arguant qu'il y avait
déclaration trompeuse et en invoquant le principe
de l'arrêt Hedley Byrne. La Cour, à la majorité
des juges, a conclu que les déclarations ne don-
naient lieu à aucun droit d'action mais, en rejetant
l'argument, le juge Pigeon, au nom de la majorité,
a dit (aux pages 777 et 778):
Le critère de responsabilité délictuelle étudié dans l'affaire
Hedley Byrne ne peut pas s'appliquer lorsque les relations entre
les parties sont régies par un contrat, à moins qu'il soit possible
de considérer que la négligence imputée constitue un délit civil
indépendant n'ayant aucun rapport avec l'exécution du contrat,
comme on l'a dit dans la cause Elder, Dempster & Co. Ltd. v.
Paterson, Zochonis & Co. Ltd. ([1924] A.C. 522), p. 548. En
l'espèce, c'est là un point particulièrement important, à cause
des dispositions contractuelles relatives à la nature des obliga
tions assumées et l'exclusion virtuelle de toute responsabilité en
cas de défaut de les remplir.
Cette affaire, bien entendu, ne concernait pas un
contrat de transport maritime ou fluvial de mar-
chandises. Mais même alors, la Cour suprême du
Canada,, tout comme la Chambre des lords dans
son arrêt Elder, Dempster, ne permettra pas à une
partie à un contrat d'échapper à une exclusion
expresse de responsabilité découlant du rapport
conventionnel existant entre les parties.
Comme le montreront les affaires de responsabi-
lité professionnelle et les autres causes précitées,
beaucoup d'eau a encore coulé sous les ponts
depuis 1972. D'ailleurs, en 1981, la Cour suprême
du Canada a eu à étudier la question du cumul de
la faute contractuelle et de la faute délictuelle
dans l'affaire Wabasso Ltd. c. National Drying
Machinery Co., [1981] 1 R.C.S. 578. Dans cette
espèce, l'appelante concluait, dans une action
engagée en Cour supérieure de Trois-Rivières, à la
responsabilité de l'intimée, une firme américaine,
en vertu de l'article 1053 du Code civil du Québec.
Quelques années après l'installation par l'intimée
d'un certain équipement dans les locaux de l'appe-
lante à Trois-Rivières, ces locaux avaient été
détruits par le feu qui, prétendait-on, était dû à la
faute de l'intimée. L'intimée déclina la compétence
de la Cour supérieure parce que, notamment, il
s'agissait d'une action en rupture d'un contrat
conclu aux États-Unis. L'appelante prétendit que
la Cour supérieure était compétente parce que
«l'action est basée sur des faits et actes qui sont
survenus à Trois-Rivières et les actes fautifs allé-
gués ont été commis ... à Trois-Rivières». On
argua que l'existence du contrat interdisait de faire
valoir toute faute délictuelle, mais la Cour
suprême du Canada fut d'un avis différent. Le
principe de cet arrêt, me semble-t-il, fort large
dans son exposition, est énoncé en peu de mots par
le juge Chouinard, au nom de la Cour, à la page
590:
Je conclus qu'un même fait peut constituer à la fois une faute
contractuelle et une faute délictuelle et que l'existence de
relations contractuelles entre les parties ne prive pas la victime
du droit de fonder son recours sur la faute délictuelle.
Autant que je sache, la question du cumul des
responsabilités contractuelle et délictuelle dans une
affaire du genre de la présente espèce n'a encore
fait l'objet d'aucune décision par un tribunal de
notre pays. À mon avis, cette question doit recevoir
une réponse dans l'optique de ce qui précède.
Avant de ce faire, je noterais en passant qu'il a
déjà été jugé qu'en common law un tiers peut agir
en responsabilité délictuelle contre un transporteur
s'il était propriétaire des marchandises au moment
du dommage (Simpson v. Thomson (1877), 3
App. Cas. 279 (H.L.) aux pages 289 et 290;
Margarine Union G.m.b.H. v. Cambay Prince
Steamship Co. Ltd., [1969] 1 Q.B. 219, aux pages
236 et 237). De plus, il a été jugé que l'acheteur de
marchandises pouvait agir en responsabilité délic-
tuelle contre le transporteur bien qu'il n'ait pas été
propriétaire des marchandises au moment du dom-
mage (Schiffahrt-Und Kohlen G.m.b.H. v. Chel-
sea Maritime Ltd. (The aIrene's Success»), [1981]
2 Lloyd's Rep. 635 (Q.B.)).
J'en suis venu à la conclusion que le juge de
première instance a décidé à bon droit que l'inti-
mée pouvait recouvrer des dommages-intérêts pour
faute ou négligence délictuelle indépendamment de
l'existence du contrat de transport. Cela, me sem-
ble-t-il, résulte du principe fort large énoncé dans
l'arrêt Wabasso. N'avoir pas exercé une diligence
raisonnable constituait une faute contractuelle
aussi bien que délictuelle. Je considère cette faute,
de même que lord Devlin dans l'arrêt Union of
India v. N. V. Reederij Amsterdam, [ 1963] 2
Lloyd's Rep. 223 (H.L.), à la page 235, comme de
la «négligence». Je ne vois pas comment son carac-
tère en serait modifié simplement parce qu'il existe
un rapport contractuel créant une obligation con-
ventionnelle correspondante. Comme je comprends
la chose, c'est cette négligence qui a causé
l'échouement et l'appelante doit en répondre tant
en responsabilité délictuelle qu'en responsabilité
contractuelle.
D'autre part, je souscris entièrement à l'argu-
ment de l'appelante selon lequel l'intimée ne
devrait pas pouvoir échapper aux stipulations con-
ventionnelles limitant sa responsabilité, simple-
ment en faisant valoir une faute délictuelle. Pour
reprendre l'expression du vicomte Finlay dans l'ar-
rêt Elder, Dempster (à la page 548), la limitation
de responsabilité doit s'appliquer [TRADUCTION]
«quelle que soit la forme que prend l'action».
Manifestement, l'intimée ne saurait recouvrer dou
bles dommages-intérêts et ceux-ci, lorsqu'ils seront
établis, devront être limités «par colis ou unité»
comme je l'ai déjà décidé. A cet égard, le commen-
taire suivant de Sir John Donaldson, Maître des
rôles, dans l'affaire The «Raphael», [ 1982] 2
Lloyd's Rep. 42 (C.A.), me paraît être une expres
sion particulièrement heureuse du principe qui, je
pense, devrait être appliqué en l'espèce. Il dit (à la
page 46):
[TRADUCTION] Mais je ne connais aucune affaire où l'on a
jugé qu'une stipulation d'exclusion de responsabilité jouait dans
le cas de la responsabilité contractuelle, mais non dans celui de
la responsabilité délictuelle, pour inexécution de la même obli
gation. D'ailleurs, qu'on puisse concevoir une discussion hypo-
thétique entre deux parties, à moins qu'il ne s'agisse d'étudiants
en droit, menant à une telle convention serait manifestement
absurde.
Les parties n'ont pas rapporté à l'instruction
suffisamment de preuves pour nous permettre de
déterminer la mesure des dommages de l'intimée.
Ils se sont contentés, semble-t-il, de demander au
juge de première instance de statuer sur le fond de
l'affaire, les dommages devant être établis en réfé-
rence. À mons avis, c'est à la Division de première
instance qu'il appartient de déterminer quels dom-
mages réclamés peuvent être recouvrés. Cela ne
peut être fait par l'arbitre, dont la fonction se
borne à calculer le montant des dommages une fois
ceux-ci déterminés. L'affaire devrait donc être ren-
voyée en première instance pour qu'ils soient déter-
minés, après administration des preuves des deux
parties. Ultérieurement, en référence, l'arbitre
pourra procéder au calcul des dommages pouvant
être recouvrés.
Les avaries communes
L'appelante soutient que le juge de première
instance a conclu à tort que la contribution aux
avaries communes proportionnelle à l'intérêt de
l'intimée dans l'aventure, totalisant 604 763,64 $,
ne peut être recouvrée. L'intimée souscrit à cette
conclusion, mais elle ajoute en outre, ce qui plaide-
rait contre tout recouvrement, qu'il n'y aurait pas
dû y avoir déclaration d'avaries communes en tout
premier lieu, parce qu'il ne s'agissait pas d'un cas
véritable d'avaries communes. Le chaland
demeura fermement échoué sur le haut-fond, sans
possibilité de remise à flot avant la rupture des
glaces, à l'été 1973. La remise à flot du chaland au
cours de l'été 1973 n'a été possible qu'après l'enlè-
vement d'une partie de la cargaison.
J'éprouve quelques difficultés à accepter l'argu-
ment de l'intimée. Le chaland était à toutes fins
utile au sec à marée basse. L'expert en avaries
communes présent au moment de la remise à flot a
rapporté que [TRADUCTION] «c'était risqué» en
parlant du succès de l'opération. On y parvint à
l'aide d'une ancre et d'un palan. On disposait d'un
remorqueur, mais son tirant d'eau l'a forcé à se
tenir à l'écart. Il fallait déplacer le chaland du
haut-fond sur un fond de sable et lui faire franchir
deux autres battures de sable, qu'il a touchées au
cours de l'opération. Pour reprendre les termes de
l'expert: [TRADUCTION] «le chaland quitta lente-
ment la batture, s'arrêta, repartit, s'échoua et fina-
lement flotta.» Le chaland ne semble pas avoir été
en danger imminent d'être détruit, mais il n'était
pas non plus, sur le haut-fond, en sécurité du point
de vue commercial. Il était complètement immobi-
lisé. Je crois que les commentaires suivants du juge
Willmer dans l'affaire The Glaucus (1948), 81 Ll.
L. Rep. 262 (Adm.) (à la page 266) s'appliquent
au cas d'espèce:
[TRADUCTION] Il ne sert à rien de dire que ce bien de valeur,
d'environ un million de livres, est en sécurité, s'il l'est dans des
circonstances où il n'est pas utilisable. Il pourrait tout aussi
bien se trouver au fond de l'océan, à toutes fins utiles.
Je conviens donc qu'il s'agissait bien en l'espèce
d'un véritable cas d'avaries communes.
D'autre part, la loi dit aussi clairement que le
transporteur ne saurait recouvrer du chargeur une
contribution aux avaries communes lorsque ces
avaries communes ont été suscitées par sa propre
faute pouvant faire l'objet d'une action en justice.
C'est ce que montre clairement l'arrêt Goulandris
Brothers Ltd. v. B. Goldman & Sons Ltd.,
[1958] 1 Q.B. 74. Dans cette affaire, la Cour
devait interpréter la Règle D des Règles de York
et d'Anvers de 1950:
[TRADUCTION] Lorsque l'événement qui a donné lieu au
sacrifice ou à la dépense aura été la conséquence d'une faute
commise par l'une des parties engagées dans l'aventure, il n'y
en aura pas moins lieu à contribution, mais sans préjudice des
recours pouvant être ouverts contre cette partie à raison d'une
telle faute.
Le juge Pearson en a conclu que le «droit» à une
contribution aux avaries communes pouvait céder
le pas au «recours» pour fautes. Il dit (aux pages
92 et 93):
[TRADUCTION] À mon avis, il s'agit bien de la façon, dont les
deux parties de la Règle D devaient s'appliquer, et cela nous
guide dans l'interprétation de cette règle. La première partie
fait référence aux droits à la contribution à l'avarie commune
qui seront stipulés dans le règlement de l'avarie, et il s'agit bien
de droits, parce que leur détenteur a droit à un paiement. Mais
la deuxième partie de la règle dispose que la première partie ne
saurait porter préjudice aux recours pour faute, ce qui implique
que, dans certains cas, les recours auxquels il est fait référence
dans la deuxième partie de la règle excluront les droits visés
dans la première partie; autrement dit, la deuxième partie
constitue une réserve qui nuance, exclut et ampute la première
partie ou y apporte dérogation. Les droits peuvent être annulés,
supprimés, réduits ou touchés d'une autre manière par les
recours. À cet égard, les droits visés dans la première partie de
la règle sont des droits prima facie parce qu'ils sont assujettis à
des recours.
Par conséquent, la position adoptée veut que les requérants
aient le droit, prima facie, de réclamer une contribution des
intimés à l'avarie commune, mais les intimés peuvent faire
échec à ce droit en utilisant leurs «recours» pour la faute des
requérants.
La Cour suprême du Canada a interprété la Règle
D de façon similaire dans l'arrêt Federal Com
merce and Navigation Co. Ltd. c. Eisenerz, [ 1974]
R.C.S. 1225. Voir aussi «Lowndes & Rudolph,
General Average and the York Antwerp Rules»,
10e éd., British Shipping Laws, vol. 7, par. 67, aux
pages 36 et 37.
En outre, le contrat de transport incorporait la
«nouvelle clause Jason» qui, si on l'interprète cor-
rectement, ne donne pas droit à l'appelante de
recouvrer une contribution aux avaries communes
de la cargaison si elle est responsable de la situa
tion [TRADUCTION] «de par la loi, le contrat ou
autrement». À mon sens, le juge de première ins
tance, était fondé à conclure que l'appelante ne
pouvait obtenir une contribution aux avaries com
munes. L'appelante avait l'obligation d'exercer une
diligence raisonnable pour mettre le remorqueur et
le chaland en état de navigabilité. Qu'elle ne l'ait
pas fait résultait entièrement de sa propre négli-
gence et c'est cette négligence qui a causé
l'échouement et le dommage qui en a résulté. Si
une diligence raisonnable avait été exercée, comme
elle aurait dû l'être, l'échouement ne se serait pas
produit et la déclaration d'avaries communes n'au-
rait pas été nécessaire. Comme l'appelante est
elle-même en faute, elle ne saurait attendre de
l'intimée une contribution quelconque aux avaries
communes.
Le juge de première instance a reporté toute
décision sur la demande reconventionnelle de
l'appelante, en paiement de 50 % des frais de
carburant de l'hélicoptère, ultérieurement à une
référence. Cela n'était pas nécessaire puisque la
créance était liquide et qu'aucune preuve addi-
tionnelle n'était requise. Il n'est pas juste que
l'appelante ne puisse être remboursée de ses
frais de carburant.
L'appel incident pour refus d'autoriser l'intimée
à opposer ses dommages-intérêts en compensa-
tion du reliquat du fret est devenu hypothèse
d'école, le fret ayant été payé en exécution d'un
jugement. La décision du juge de -première ins
tance selon laquelle il ne peut y avoir compensa
tion dans une affaire de ce genre s'appuie sur
une jurisprudence abondante.
Dans sa déclaration modifiée, l'intimée avait
demandé «l'intérêt au taux légal» sur ses domma-
ges. Le juge de première instance a accordé un
intérêt de 5 %. Bien que la Cour d'appel ait rejeté
une requête en modification de la déclaration
modifiée qui concluait à un intérêt supérieur au
«taux légal», cela n'interdisait pas de soulever la
question du taux d'intérêt dans l'appel incident.
Etant donné que la requête ne portait que sur le
bien-fondé d'une modification de la procédure
écrite subséquente au procès, le principe de la
chose jugée ne s'appliquait pas. Mais aucune
réclamation d'un taux d'intérêt supérieur n'a été
faite avant jugement et aucune preuve justifiant un
taux supérieur n'a été présentée à l'instruction.
Ce volet de l'appel incident doit en conséquence
être rejeté.
L'argument de l'appelante voulant que l'adjudi-
cation des dépens devait attendre que la réfé-
rence soit terminée ne peut être accepté. A bon
droit, le juge de première instance a décidé que
l'intimée avait droit à jugement. La modification de
ce jugement en appel ne justifiait pas d'intervenir
dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
L'appel est accueilli en partie et l'appel incident
rejeté. La défenderesse peut limiter sa responsa-
bilité conformément à la Loi sur le transport des
marchandises par eau, mais non en vertu de la
Loi sur la marine marchande du Canada.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.