T-2289-84
Pacifie Salmon Industries Inc., Cheena B.C. Tra
ders Limited, H & K Sales Ltd., Seaborn Enter
prises Ltd. et O.K. Gift Shop Ltd. (deman-
deresses)
c.
La Reine, Procureur général du Canada, ministre
des Transports et Chern S. Heed (défendeurs)
Division de première instance, juge Strayer—Van-
couver, Zef et 5 novembre 1984.
Transports — Réglementation des activités commerciales à
l'aéroport international, de Vancouver — Contrôle judiciaire
— Requête en décisions provisoires, en injonction et en bref de
prohibition — Les demanderesses livrent des marchandises à
des groupes de touristes à l'aéroport — Évitement de la taxe
de vente provinciale — Le directeur de l'aéroport a conseillé
les demanderesses de ne pas se livrer à une activité sans
obtenir un permis de Transports Canada — Se livrer à une
activité nécessite une autorisation écrite du Ministre Les
demanderesses se livrent-elles à une activité au sens de l'art. 7
du Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports
du gouvernement (RECAG)? — L'art. 7 est-il autorisé par la
Loi sur le ministère des Transports? — Un jugement déclara-
toire ne peut être obtenu par voie de requête à moins que les
défendeurs n'y consentent Demande de décisions provisoires
ne reposant sur aucune autorité — Les demanderesses préten-
dent que les défendeurs ont agi illégalement parce que l'art. 7
n'interdit pas la livraison — Une injonction ne saurait être
décernée contre la Couronne, mais les préposés du gouverne-
ment qui commettent un abus de pouvoir peuvent faire l'objet
d'une injonction — Les demanderesses peuvent obtenir des
dommages-intérêts suffisants si, faute de se voir accorder une
injonction, elles sont en mesure d'établir au procès leur droit
L'engagement de verser aux défendeurs des dommages-
intérêts ne réparerait pas adéquatement le préjudice que pour-
rait entraîner une injonction — Compte tenu de la règle du
plus grand préjudice, l'injonction ne devrait pas être accordée
— Un bref de prohibition peut être accordé mais, à moins d'un
vice évident, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire
— La déposition sous forme d'affidavit ne suffit pas à justifier
l'octroi d'un bref de prohibition — Loi sur le ministère des
Transports, S.R.C. 1970, chap. T-15 Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38 — Règlement sur
l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement,
1979, DORS/79-373, art. 7 — Loi sur l'aéronautique, S.R.C.
1970, chap. A-3.
Contrôle judiciaire Recours en equity — Injonctions —
Demandes d'injonctions provisoires et permanentes en vue
d'interdire à la Reine et aux préposés du gouvernement de
faire obstacle à la livraison de marchandises à l'aéroport — Se
livre-t-on à une activité à l'aéroport? — Application du critère
exposé dans l'affaire American Cyanamid — Les demanderes-
ses soulèvent une question de fond Caractère suffisant des
dommages-intérêts — L'engagement des demanderesses de
verser des dommages-intérêts ne suffit pas — Les activités des
demanderesses entravent la circulation des passagers Les
inconvénients des passagers ne peuvent faire l'objet d'un
dédommagement en vertu de l'engagement — Pertes causées à
des concessionnaires — Règle du plus grand préjudice —
D'autres motifs justifient l'exercice du pouvoir discrétionnaire
de refuser l'injonction.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Transports —
Prohibition — Application de l'art. 7 du Règlement sur l'ex-
ploitation de concessions aux aéroports du gouvernement
quant à la livraison de marchandises à l'aéroport Un bref
de prohibition ou un bref de certiorari peut être accordé pour
permettre d'examiner la validité de la législation déléguée si le
motif allégué peut donner lieu à une décision La Cour peut
exercer son pouvoir discrétionnaire si le vice n'est pas évident
— Autres redressements — Règlement sur l'exploitation de
concessions aux aéroports du gouvernement, 1979, DORS/79-
373, art. 7.
Compétence Cour fédérale Division de première ins
tance — Action en dommages-intérêts intentée contre La
Reine, le procureur général, le ministre des Transports et le
directeur de l'aéroport par suite de l'application du Règlement
régissant les activités commerciales aux aéroports — La Cour
ne saurait connaître d'une demande de dommages-intérêts
formulée contre les défendeurs en tant que particuliers — Il
n'y a pas lieu de radier leur nom parce qu'on pourrait fort bien
établir la responsabilité de la Couronne découlant des actes de
ses employés Les préposés du gouvernement qui commettent
un abus de pouvoir peuvent faire l'objet d'une injonction.
Pratique — Jonction de parties — Le concessionnaire Jet
Set Sam Services Inc. se fonde sur la Règle 1716 pour
demander à se constituer partie défenderesse, prétendant avoir
subi un manque à gagner causé par les activités des demande-
resses La Cour n'a pas compétence sur la requérante
puisqu'une telle action ne pourrait être intentée contre elle
pour obtenir le redressement demandé — Aucun point de vue
nouveau n'ayant été soumis, la requérante n'est pas constituée
partie intervenante — Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663, Règle 1716.
Les demanderesses sont des entreprises de Vancouver qui
vendent des marchandises à des groupes de touristes à l'aéro-
port international de Vancouver. Les magasins des demanderes-
ses vendent des produits puis les livrent à ces groupes à
l'aéroport afin d'éviter la taxe de vente provinciale. Bien qu'el-
les vendent divers produits, leur article principal consiste dans
du saumon fumé. Ce sont les guides touristiques qui organisent
les ventes de saumon fumé et qui s'occupent également d'obte-
nir des acheteurs la somme nécessaire. En juillet 1984, les
demanderesses ont reçu des lettres du directeur général de
l'aéroport les informant qu'elles violaient l'article 7 du Règle-
ment sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gou-
vernement (RECAG) interdisant de se livrer à une activité à un
aéroport sans obtenir de Transports Canada un permis valide,
et qu'elles devaient mettre fin à leurs activités immédiatement.
À la suite de ces événements, les demanderesses ont intenté une
action en vue d'obtenir un jugement déclarant qu'elles ne
violent pas l'article 7 du Règlement et que l'article est nul parce
qu'il n'est pas autorisé par la Loi sur les transports. Elles
sollicitent en outre une injonction interdisant aux défendeurs de
les poursuivre et de faire obstacle à la livraison de leurs
produits. Elles demandent encore un bref de prohibition pour
empêcher l'application de l'article 7 à leur encontre pour ce qui
est de la livraison de leurs marchandises. Les demanderesses
ont demandé seulement qu'il soit interdit aux défendeurs d'em-
pêcher la «livraison» de leurs produits, soutenant que la «livrai-
son» n'est pas visée par l'article 7. Elles réclament également
des dommages-intérêts. Les demanderesses ont alors introduit
la présente requête en redressement provisoire pour ce qui est
des jugements déclaratoires, de l'injonction et du bref de
prohibition.
Jugement: La demande est rejetée avec dépens.
Au début, Jet Set Sam Services Inc. a, en vertu de la Règle
1716 des Règles de la Cour fédérale, demandé à se constituer
partie défenderesse. Jet Set Sam Services Inc., un concession-
naire autorisé vendant du saumon fumé à l'aéroport, soutient
que les activités des demanderesses lui causent un préjudice
important et un manque à gagner. Elle désire appuyer la
validité du Règlement et son application aux demanderesses.
Compte tenu de la jurisprudence pertinente, la demande ne
saurait être accueillie. Une action de ce genre ne saurait être
intentée contre Jet Set Sam Services Inc. pour obtenir l'un
quelconque des redressements sollicités par les demanderesses.
La requérante ne peut être partie défenderesse et relever de la
compétence de la Cour.
À titre de question préliminaire, il a également été décidé
que les demanderesses ne pouvaient obtenir les jugements
déclaratoires demandés. Pour pouvoir agir par voie de requête,
il faut obtenir le consentement des défendeurs. De plus, il
n'existe aucune autorité pour accorder des décisions provisoires.
Certes, une injonction ne peut être décernée directement
contre la Couronne; mais les préposés du gouvernement qui
commettent ou menacent de commettre un abus de pouvoir
peuvent faire l'objet d'une injonction. Il est allégué que les
défendeurs agissent illégalement, en appliquant l'article 7 du
RECAG aux demanderesses parce que cet article n'interdit pas
la livraison. Pour déterminer l'à-propos de l'octroi d'une injonc-
tion, il faut examiner si les dommages-intérêts constitueraient
un redressement suffisant si, faute de délivrance d'une injonc-
tion à ce stade, les droits des demanderesses étaient plus tard
établis au procès. Convenir qu'un engagement peut couvrir les
pertes éventuelles découlant de la délivrance d'une injonction ne
suffit pas. Il est peu probable que les dommages-intérêts puis-
sent indemniser les voyageurs des inconvénients qui leur sont
causés ou les concessionnaires autorisés de leur manque à
gagner.
Compte tenu de la règle du plus grand préjudice, l'injonction
ne devrait pas être accordée. L'obligation des défendeurs de
fournir une aérogare sûre et non encombrée aux voyageurs
l'emporte sur le droit des demanderesses de faire usage d'un
bien public pour leur propre bénéfice. De plus, la vraie nature
des activités des demanderesses n'a pas été établie. Tant que
cette question ne sera pas tranchée, la question de l'application
de l'article 7 aux demanderesses restera purement hypothéti-
que. La Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour
refuser l'injonction.
Quant à la requête en bref de prohibition empêchant l'appli-
cation de l'article 7 aux demanderesses, la Cour doit faire usage
de son pouvoir discrétionnaire lorsque le vice invoqué n'est pas
évident. Bien qu'un bref de prohibition puisse être accordé, la
déposition sous forme d'affidavit ne suffit pas à justifier l'octroi
à ce stade de l'ordonnance.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C.
396 (H.L.); Le groupe des éleveurs de volailles de l'est
de l'Ontario c. Office canadien de commercialisation des
poulets, [1985] 1 C.F. 280.
DÉCISIONS CITÉES:
La Nation dénée c. La Reine, [1983] 1 C.F. 146 (1"
inst.); Waterside Cargo Co-operative c. Le Conseil des
ports nationaux (1979), 107 D.L.R. (3d) 576 (C.F. 1"
inst.); Alda Enterprises Ltd. c. R., [1978] 2 C.F. 106 (1"
inst.); Commission des services téléphoniques du gouver-
nement de l'Alberta c. Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes, [1983] 2 C.F. 839; 76
C.P.R. (2d) 268 (C.A.); Sankey c. Le ministre des
Transports, [1979] 1 C.F. 134 (1P 0 inst.); Pacific Western
Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86; (1979), 105 D.L.R.
(3d) 44 (C.A.); Conseil des Ports Nationaux c. Langelier
et al., [1969] R.C.S. 60; (1968), 2 D.L.R. (3d) 81; Lodge
c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1
C.F. 775; 94 D.L.R. (3d) 326 (C.A.); Lignes aériennes
Canadien Pacifique, Ltée c. R., [1979] 1 C.F. 39; (1978),
87 D.L.R. (3d) 511 (C.A.).
AVOCATS:
C. J. O'Connor pour les demanderesses.
G. C. Carruthers pour les défendeurs.
P. G. Plant pour Jet Set Sam Services Inc.
PROCUREURS:
Ladner Downs, Vancouver, pour les demande-
resses.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour Jet
Set Sam Services Inc.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Les demanderesses sont
toutes des entreprises de Vancouver dont l'activité
principale consiste à vendre des produits à des
groupes de touristes. La plupart de ces groupes
sont composés de touristes japonais. Plusieurs
d'entre eux ne sont que des passagers en transit à
Vancouver pour gagner ensuite d'autres régions du
Canada ou le Japon. À l'exception de O.K. Gift
Shop Ltd., toutes les demanderesses vendent prin-
cipalement du saumon fumé aux membres de ces
groupes. O.K. Gift Shop, qui a des magasins à
Vancouver, vend des produits canadiens, tels que
fourrures, lainages, souvenirs, etc. En général, ce
sont les guides touristiques qui organisent avec les
demanderesses les ventes de saumon fumé et qui
s'occupent également d'obtenir des membres de
leurs groupes la somme nécessaire pour payer les
demanderesses. En ce qui concerne O.K. Gift Shop
Ltd., les touristes choisissent d'habitude des arti
cles dans ses magasins, mais ils s'arrangent pour
que ces articles soient livrés à l'aéroport afin d'être
exemptés de la taxe de vente provinciale. En ce qui
a trait à toutes les demanderesses, elles livrent les
marchandises achetées à l'avance à l'aéroport où
celles-ci sont remises aux groupes de touristes et
enregistrées comme bagages auprès de la compa-
gnie qui les transporte au Japon.
Le 11 juillet 1984, M. Chern S. Heed, le direc-
teur général de l'aéroport, envoyait la lettre sui-
vante à chacune des demanderesses et aux autres
personnes se livrant à des activités semblables à
l'aéroport:
[TRADUCTION] Nous avons remarqué qu'un certain nombre
d'exploitants se livrent à une activité dans l'édifice Aérogare de
l'aéroport international de Vancouver sans obtenir de Trans
ports Canada un permis valide. Cette activité entre en conflit
avec celle de nos exploitants titulaires de permis et viole le
Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du
gouvernement et particulièrement son article 7 qui prévoit:
«7. Sous réserve de l'article 8, à moins d'une autorisation
écrite du Ministre, nul ne peut
a) se livrer à une activité ou à une entreprise, commerciale
ou autre, à un aéroport;
b) faire, à un aéroport, de la publicité ou de la sollicitation
pour son propre compte ou pour celui d'autrui; ou
c) fixer, installer ou placer quoi que ce soit dans un
aéroport aux fins d'une activité ou entreprise..
Les exploitants exerçant ces activités interdites à l'aéroport
international de Vancouver sont priés d'y mettre fin et d'y
renoncer, sinon des mesures seront prises pour prévenir la
violation continue du Règlement.
Les demanderesses ont intenté la présente action
en vue d'obtenir un jugement déclarant qu'elles ne
violent pas l'article 7 parce qu'en [TRADUCTION]
«livrant des produits à l'aéroport, elles ne se livrent
pas à une "activité commerciale à l'aéroport"».
Elles sollicitent un jugement déclarant nul l'article
7 [Règlement 'sur l'exploitation de concessions
aux aéroports du gouvernement, 1979, DORS/79-
373] parce qu'il n'est pas autorisé par la Loi sur le
ministère des Transports [S.R.C. 1970, chap.
T-15]. Elles sollicitent en outre une injonction
provisoire et permanente interdisant aux défen-
deurs de faire obstacle à leur [TRADUCTION]
«livraison à l'aéroport de produits achetés à
l'avance» et de les poursuivre, en vertu de l'article
7, [TRADUCTION] «pour la livraison à l'aéroport de
produits achetés à l'avance». Elles demandent
encore un bref de prohibition pour empêcher les
défendeurs d'appliquer l'article 7 à leur encontre
pour ce qui est de «la livraison à l'aéroport de
produits achetés à l'avance». Elles réclament égale-
ment des dommages-intérêts dans la présente
action.
Les demanderesses ont alors introduit la pré-
sente requête en vue d'obtenir des jugements
déclaratoires, une injonction et un bref de prohibi
tion, semblables aux recours décrits ci-dessus, sauf
qu'elles ne demandent à ce stade qu'une injonction
provisoire, au lieu d'une injonction permanente.
Au début, j'ai entendu la demande formulée par
Jet Set Sam Services Inc. en vue de se constituer
partie défenderesse en vertu de la Règle 1716 des
Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663].
Jet Set Sam Services Inc. est un concessionnaire
de l'aéroport en vertu d'un accord conclu avec Sa
Majesté. C'est le seul concessionnaire de l'aéroport
qui vende du saumon fumé. En raison de ce privi-
lège et de l'espace qu'elle occupe, elle paye des
redevances très élevées. Elle prétend avoir subi un
manque à gagner causé par les activités des
demanderesses à l'aéroport, activités qui consistent
à livrer du saumon fumé acheté à l'avance à des
groupes de touristes. Elle désire donc appuyer la
validité du Règlement et son application aux
demanderesses de manière à restreindre leurs acti-
vités à l'aéroport. J'ai rejeté cette demande en me
fondant sur les décisions La Nation dénée c. La
Reine, [1983] 1 C.F. 146 (i re inst.), Waterside
Cargo Co-operative c. Le Conseil des ports natio-
naux (1979), 107 D.L.R. (3d) 576 (C.F. 1" inst.)
et Alda Enterprises Ltd. c. R., [1978] 2 C.F. 106
(i re inst.). Étant donné le critère énoncé dans ces
affaires, j'estime que Jet Set Sam Services Inc. ne
peut, dans la présente action, être partie défende-
resse et relever de la compétence de la Cour. Si on
utilisait ce critère, je vois difficilement comment,
en écartant les autres défendeurs, une telle action
pourrait être intentée devant cette Cour contre Jet
Set Sam Services Inc. pour obtenir l'un quelcon-
que des redressements demandés en l'espèce. J'ai
également fait remarquer que même si on pouvait
soutenir que Jet Set Sam Services Inc. peut en
théorie être constituée partie intervenante (voir
Commission des services téléphoniques du gou-
vernement de l'Alberta c. Conseil de la radiodif-
fusion et des télécommunications canadiennes,
[1983] 2 C.F. 839; 76 C.P.R. (2d) 268 (C.A.)),
j'aurais des doutes à ce sujet du point de vue du
droit et pour ce qui est du pouvoir d'appréciation
que je dois, en tout état de cause, exercer, je ne
suis pas prêt à accepter qu'elle soit partie interve-
nante, car je ne vois pas comment elle pourrait
apporter en l'espèce un point de vue différent de
celui des présents défendeurs.
À titre de question préliminaire, j'ai également
décidé que les demanderesses ne peuvent obtenir
dans la présente requête les jugements déclaratoi-
res qu'elles ont demandés, pour le motif que les
jugements déclaratoires ne sauraient être deman
dés par voie de requête, du moins lorsque le défen-
deur s'y oppose: voir la décision que j'ai rendue
dans l'affaire Le groupe des éleveurs de volailles
de l'est de l'Ontario c. Office canadien de com
mercialisation des poulets, [1985] 1 C.F. 280 et la
jurisprudence citée aux pages 288 et 289 de cette
décision. De plus, il semble que la requête vise à
obtenir des décisions provisoires, une telle requête
ne reposant sur aucune autorité: voir par exemple
Sankey c. Le ministre des Transports, [ 1979] 1
C.F. 134 W° inst.). Par conséquent, les seuls points
litigieux sont les requêtes des demanderesses en
vue d'obtenir des injonctions provisoires interdi-
sant aux défendeurs de faire obstacle à leur «livrai-
son à l'aéroport de produits achetés à l'avance» ou
de les poursuivre à ce sujet, et la requête en
prohibition visant à empêcher les défendeurs d'ap-
pliquer l'article 7 du Règlement [TRADUCTION]
«pour ce qui est de la livraison à l'aéroport de
produits achetés à l'avance».
Il faut souligner que les demanderesses ont pris
soin de demander seulement qu'il soit interdit aux
défendeurs d'empêcher la «livraison» des produits à
l'aéroport. Elles prétendent effectivement qu'elles
n'ont rien fait de plus, mais si cela allait au-delà de
la livraison, elles seraient disposées à se limiter à
cette activité. Elles soutiennent en outre que la
simple livraison n'est pas visée par l'article 7 du
Règlement qui prévoit que, à moins d'une autorisa-
tion écrite du Ministre, nul ne peut «se livrer à une
activité ou à une entreprise, commerciale ou autre,
à un aéroport». Bien que l'avocat n'ait pu citer
aucune jurisprudence concernant le sens de l'ex-
pression «se livrer à une activité», il soutient qu'on
peut la comparer à [TRADUCTION] «exploitation
d'une entreprise», expression qui a fait l'objet de
maintes interprétations. On m'a cité des décisions
pour prouver que la simple livraison par un détail-
lant de marchandises achetées à l'avance à son
client ne constitue pas en soi l'«exploitation d'une
entreprise».
L'avocat des défendeurs prétend que Chern S.
Heed, le directeur de l'aéroport, n'est pas vraiment
un défendeur, parce que, à titre de particulier, il ne
peut être poursuivi en dommages-intérêts devant la
Cour fédérale lorsque sa responsabilité n'est pas
prévue par une loi fédérale. Toujours selon l'avo-
cat, puisque l'article 7 prévoit que nul ne peut,
sans autorisation, «se livrer à une activité ou à une
entreprise, commerciale ou autre, à un aéroport»
[c'est le juge qui souligne], les activités des deman-
deresses sont interdites parce qu'il s'agit d'entre-
prises, commerciales ou autres, exploitées sur les
lieux de l'aéroport. De plus, il a produit des élé-
ments de preuve pour montrer que, dans certains
cas du moins, une ou plusieurs des demanderesses
avaient recouvré de l'argent de leurs clients à
l'aéroport et que cela constituait plus qu'une
simple livraison.
Compétence de la Cour
L'avocat des défendeurs fait valoir que cette
Cour ne saurait connaître d'une demande de dom-
mages-intérêts formulée contre les défendeurs en
tant que particuliers. La jurisprudence semble
avoir consacré ce principe. Voir Pacific Western
Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86; (1979), 105
D.L.R. (3d) 44 (C.A.). Comme dans l'affaire
Pacific Western, il n'existe en l'espèce aucune «loi
du Canada» régissant ou établissant la responsabi-
lité, au titre de dommages-intérêts, des défendeurs
en tant que particuliers. Cela ne signifie toutefois
pas qu'il faudrait nécessairement radier leur nom
de l'action, ni que la demande de dommages-inté-
rêts devrait être abandonnée à ce stade. Au
moment de l'instruction de l'action, on pourrait
fort bien établir, en vertu de la Loi sur la respon-
sabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38,
la responsabilité de la Couronne au titre de dom-
mages-intérêts, découlant des actes de ses
employés. Par conséquent, je n'ai pas à examiner
davantage cette question dans le présent contexte.
L'avocat des défendeurs soutient également
qu'on ne saurait décerner une injonction contre
l'un quelconque des défendeurs parce que ni la
Couronne ni ses préposés ne peuvent faire l'objet
d'une injonction. Bien qu'il soit clair que les
injonctions ne peuvent être décernées directement
contre la Couronne, il existe une jurisprudence
abondante selon laquelle les préposés du gouverne-
ment qui commettent ou menacent de commettre
un abus de pouvoir peuvent faire l'objet d'une
injonction: voir, par exemple, Conseil des Ports
Nationaux v. Langelier et al., [1969] R.C.S. 60;
(1968), 2 D.L.R. (3d) 81; Sharpe, Injunctions and
Specific Performance, (1983) aux pages 167 à
171. J'ai utilisé l'expression «préposés du gouverne-
ment» pour éviter la distinction peu instructive
qu'on fait fréquemment entre «préposés de la Cou-
ronne» et «préposés de la législature» pour indiquer
que les premiers ne peuvent faire l'objet d'injonc-
tions ni d'aucune forme d'ordonnance d'exécution,
alors que les seconds le peuvent. À mon avis, la
vraie distinction repose sur la nature des fonctions
qu'un préposé du gouvernement assume à un
moment donné. Si ces fonctions sont autorisées par
la loi, aucune injonction ne saurait alors être
accordée pour interdire leur exercice: voir la déci-
sion Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration, [1979] 1 C.F. 775; 94 D.L.R. (3d) 326
(C.A.). Si, d'autre part, elles ne sont pas prévues
par la loi, elles pourront donner lieu à une injonc-
tion. De plus, s'il s'agit d'une fonction prévue par
la loi et non discrétionnaire, faisant en sorte
qu'une obligation est due à une personne identifia
ble, cette personne est en droit de demander une
ordonnance d'exécution de cette obligation. Dans
la présente requête en injonction interlocutoire, il
est allégué essentiellement que les défendeurs agis-
sent illégalement, parce que l'article 7 du Règle-
ment sur l'exploitation de concessions aux aéro-
ports du gouvernement (RECAG) n'interdit pas la
simple livraison à un aéroport de marchandises
achetées à l'avance. Si on pouvait établir ce fait et
si d'autres conditions s'appliquaient, une injonction
interlocutoire pourrait être accordée aux demande-
resses contre certains des défendeurs qui sont des
particuliers ou contre tous ceux-ci, mais non contre
Sa Majesté.
J'examinerai ensuite les redressements particu-
liers sollicités.
Injonctions
Il s'agit, semble-t-il, d'un cas où on peut utiliser
les critères exposés dans l'affaire American Cya-
namid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396
(H.L.). En l'espèce, aucune circonstance spéciale
n'interdit d'appliquer cette solution. Utilisant le
critère adopté dans l'affaire American Cyanamid,
je n'ai pas, au début, à examiner en détail le
bien-fondé des arguments des demanderesses. Il
suffit de dire que le point qu'elles ont soulevé
quant à l'interprétation exacte de l'article 7 du
RECAG est une question de fond et n'est ni futile ni
vexatoire. Je ne veux pas dire par là que je trouve
cet argument contraignant, mais je n'ai pas, pour
les fins de l'espèce, à l'examiner davantage.
Quant aux dommages-intérêts, je suis enclin à
croire que les demanderesses pourront obtenir des
dommages-intérêts suffisants si, faute de se voir
accorder une injonction interlocutoire, elles sont en
mesure d'établir, au procès, le droit qu'elles pré-
tendent avoir de faire la livraison à l'aéroport. Bien
entendu, leur demande de dommages-intérêts peut
être rejetée s'il est prouvé qu'elles n'y ont pas
droit, ou que leurs opérations à l'aéroport sont
interdites parce qu'elles vont au-delà de la «livrai-
son de produits achetés à l'avance», comme les
demanderesses le prétendent. Celles-ci sont dispo
sées à s'engager à payer des dommages-intérêts
pouvant résulter d'une injonction interlocutoire si,
plus tard, on prouvait que c'est à tort que l'injonc-
tion leur a été accordée, mais je ne suis pas
persuadé que cela suffise à réparer le préjudice que
pourrait entraîner une telle injonction. Si j'accor-
dais une injonction, ce serait avant tout les droits
des voyageurs et des personnes qui les accompa-
gnent légalement à l'aérogare qui seraient touchés.
Il ressort des affidavits des défendeurs que les
activités des demanderesses ont gêné considérable-
ment la circulation des voyageurs et des véhicules
à l'aérogare. La sécurité et le confort des visiteurs
et des usagers en règle de l'aéroport, bien que les
défendeurs en soient responsables, ne constituent
pas des droits dont la perte, se prolongeant jus-
qu'au jugement final, pourrait être ou serait
indemnisée au moyen de dommages-intérêts sus-
ceptibles d'être obtenus en vertu de l'engagement
des demanderesses. Je ferai remarquer que les
différents concessionnaires avec qui la Couronne a
signé des ententes relatives à l'utilisation des
locaux de l'aéroport pourraient bien, eux aussi,
subir des pertes financières importantes. Les
demanderesses ont effectivement convenu que leur
engagement peut couvrir les pertes que la Cou-
ronne pourrait subir par suite des réclamations
dirigées contre elle par les concessionnaires qui
versent d'importantes redevances en contrepartie
de l'utilisation d'un espace et du droit exclusif de
vendre certains produits à l'aérogare. En mettant
les choses au mieux, on ne sait pas de façon
certaine dans quelle mesure la Couronne pourrait
les indemniser de ces pertes et, par conséquent, la
valeur de l'engagement concernant les pertes pécu-
niaires très importantes qui pourraient être causées
aux concessionnaires par l'injonction interlocutoire
est douteuse. Je conclus donc que si les demande-
resses ont vraiment une bonne cause d'action, elles
peuvent être suffisamment indemnisées au moyen
de dommages-intérêts, alors que l'engagement
qu'elles sont disposées à prendre ne réparerait pas
adéquatement le préjudice que pourrait entraîner
une injonction interlocutoire.
Ce qui précède peut suffire à trancher la ques
tion, mais, à examiner la question d'un point de
vue plus général, il me semble que, compte tenu de
la règle du plus grand préjudice, l'injonction ne
devrait pas être accordée. En vertu de la Loi sur
l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, les défen-
deurs sont responsables, envers le public, de la
direction générale de l'aéroport de Vancouver. La
Cour d'appel fédérale a jugé que cette responsabi-
lité crée une obligation publique mais ne donne pas
lieu à un droit privé d'action: voir Lignes aériennes
Canadien Pacifique, Ltée c. R., [1979] 1 C.F. 39;
(1978), 87 D.L.R. (3d) 511 (C.A.). Compte tenu
des documents qui m'ont été soumis jusqu'à ce
jour, j'estime que cette obligation publique com-
prend l'exploitation des aérogares pour assurer la
sécurité et le confort des voyageurs et pour mini-
miser les coûts subis par le contribuable. On peut y
arriver en prévoyant des accords avec des conces-
sionnaires. A l'opposé de ces droits, les demande-
resses font valoir en l'espèce leurs droits tout à fait
particuliers de faire usage d'un bien public à titre
gratuit pour leur propre bénéfice. De leur propre
aveu, elles ne sont nullement autorisées par le
Ministre, en vertu de l'article 7 du Règlement, à se
livrer aux activités qu'elles ont choisi d'exercer à
l'aérogare de l'aéroport de Vancouver. Compte
tenu du but général d'une aérogare d'assurer l'arri-
vée et le départ des voyageurs, elles ne m'ont pas
convaincu qu'elles ont le droit de se livrer à ces
activités; il n'est pas non plus, à mon avis, évident
qu'elles sont implicitement autorisées à le faire. I1
est prouvé que leurs activités, jusqu'au moment où
elles y ont mis fin l'été dernier après avoir reçu les
avertissements, pouvaient causer des embouteilla-
ges et des inconvénients aux autres usagers de
l'aérogare. Dans les circonstances, j'estime que,
compte tenu de la règle du plus grand préjudice, il
y a lieu de permettre aux défendeurs de continuer
d'appliquer leur système de réglementation au
nom de la majorité des voyageurs qui n'a pas
besoin des services des demanderesses, et d'exiger
de ces cinq demanderesses qu'elles établissent, si
elles le peuvent, une fois l'ensemble de la preuve
entendu, le droit qu'elles prétendent avoir d'effec-
tuer des livraisons à l'aérogare de Vancouver.
D'autres motifs justifient l'exercice du pouvoir
discrétionnaire de refuser l'injonction. A mon avis,
il n'est pas du tout certain que le redressement
sollicité en l'espèce, à savoir une injonction interdi-
sant de faire obstacle à la «livraison», va résoudre
vraiment la question de savoir si les activités réel-
les des demanderesses sont interdites par l'article 7
du RECAG. Il se peut, comme le montrent certains
des éléments de preuve produits par les défendeurs,
que les demanderesses se livrent à des activités qui
dépassent la simple «livraison». En pareil cas, la
présente requête et, de fait, l'action elle-même,
porte sur une question hypothétique qui peut ne
pas vraiment résoudre le problème de savoir si les
demanderesses peuvent continuer leurs activités à
l'aéroport de Vancouver. Poursuivre une ou plu-
sieurs des demanderesses en raison de leurs activi-
tés pourrait régler plus efficacement cette ques
tion, et c'est là une raison de plus pour ne pas
trancher une question hypothétique sur la base de
quelques affidavits qui n'ont pas fait l'objet d'un
contre-interrogatoire. Qui plus est, rien dans la
preuve ne permet de conclure que les demanderes-
ses ont demandé l'autorisation des défendeurs,
comme le prévoit l'article 7, relativement aux acti-
vités auxquelles elles se livrent à l'aéroport. Si elles
l'avaient fait, elles auraient pu au moins arriver à
un accord satisfaisant. Puisqu'elles n'ont pas exa-
miné cette possibilité, il n'y a pas lieu d'exercer
mon pouvoir discrétionnaire pour faire droit à leur
demande.
Prohibition
Ainsi qu'il a été dit plus haut, les demanderesses
sollicitent un bref de prohibition pour empêcher les
défendeurs d'appliquer l'article 7 du RECAG à leur
encontre «pour ce qui est de la livraison à l'aéro-
port de produits achetés à l'avance». L'acte qu'il
s'agit d'interdire semble revêtir un caractère admi-
nistratif, ce qui implique vraisemblablement une
enquête sur les violations possibles de l'article 7 et,
si nécessaire, une mise en accusation sous le
régime de cet article.
Les défendeurs ont soulevé la question de savoir
si ces fonctions peuvent faire l'objet d'un bref de
prohibition. Je suis enclin à répondre par l'affirma-
tive, pour les mêmes motifs que ceux que j'ai
invoqués dans l'affaire Le groupe des éleveurs de
volailles de l'est de l'Ontario c. Office canadien de
commercialisation des poulets (susmentionnée,
aux pages 314-315), savoir qu'un bref de certiorari
devrait être accordé pour permettre d'examiner la
validité de la législation déléguée. La possibilité
d'obtenir, en pareils cas, un bref de certiorari ou
un bref de prohibition dépend de l'existence d'un
motif allégué pouvant donner lieu à une décision.
Un tel motif est invoqué en l'espèce, parce qu'il est
allégué que l'application de l'article 7 aux deman-
deresses ne relève pas du pouvoir des défendeurs,
puisque l'acte de «livraison» à l'aéroport de mar-
chandises achetées à l'avance n'est pas visé par
l'article 7.
Toutefois, la jurisprudence indique clairement
que lorsqu'un vice n'est pas manifeste, la Cour
peut, à sa discrétion, accorder ou non un bref de
prohibition. L'un des motifs justifiant l'exercice de
ce pouvoir discrétionnaire est l'existence d'autres
redressements. Voir l'ouvrage de de Smith, intitulé
Judicial Review of Administrative Action (4' édi-
tion, 1980), aux pages 416 à 428. Pour les motifs
exposés ci-dessus, je doute sérieusement qu'il
s'agisse là de la meilleure façon de résoudre la
question de la légalité des activités réelles des
demanderesses, sur la base des quelques affidavits
qui n'ont pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire
et en partant du principe que le seul point en litige
est la «livraison» qui, en fait, peut ne pas être
exactement ce que les demanderesses font vrai-
ment ou doivent faire pour exploiter leur entreprise
de vente de produits canadiens à des groupes de
touristes. Par conséquent, je rejetterai également
cet aspect de la requête.
ORDONNANCE
La demande est rejetée avec dépens.
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