T-9628-82
Bertram S. Miller Ltd. (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Dubé—Monc-
ton (Nouveau-Brunswick), 2, 3, 4 avril; Ottawa, 7
mai 1985.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, per-
quisitions ou saisies — Arbres importés retenus et détruits
sans mandat en vertu de la Loi sur la quarantaine des plantes
— Arbres infestés de larves — Il était facile d'obtenir un
mandat mais la Loi n'oblige pas à le faire — Si on applique
l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Hunter c. Sou-
tham Inc. et la jurisprudence pertinente, la saisie est abusive
au sens de l'art. 8 de la Charte et la destruction est illégale —
L'art. 6(1)a) de la Loi est inopérant dans la mesure où il est
incompatible avec l'art. 8 de la Charte — Dommages-intérêts
alloués — Loi sur la quarantaine des plantes, S.R.C. 1970,
chap. P-13, art. 3(1),(2), 6(1)a), 9(1),(2),(4) — Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 24(1), 52(1) — Décla-
ration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art.
la), 2e) — Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 443.
Agriculture — Perquisition et saisie effectuées sans mandat
— Arbres importés retenus et détruits en vertu de la Loi sur la
quarantaine des plantes — Arbres infestés de larves —
Mandat non obligatoire mais facile à obtenir — Si on applique
l'arrêt de la Cour suprême Hunter c. Southam Inc. et la
jurisprudence pertinente, la saisie est abusive au sens de l'art.
8 de la Charte et la destruction est illégale — L'art. 6(1)a) est
inopérant dans la mesure où il est incompatible avec l'art. 8 de
la Charte — Dommages-intérêts alloués — Loi sur la quaran-
taine des plantes, S.R.C. 1970, chap. P-13, art. 3(1),(2), 6(1)a),
9(1),(2),(4) — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 8, 24(1), 52(1).
Des inspecteurs du ministère fédéral de l'Agriculture ont
constaté qu'un chargement d'arbres importés par la demande-
resse était infesté de larves de spongieuses et ont immédiate-
ment ordonné leur rétention. Le lendemain, après que les larves
eurent été dûment identifiées, les inspecteurs ont ordonné la
destruction des arbres. La demanderesse n'a pas immédiate-
ment obtempéré mais elle a essayé de sauver les arbres en les
vaporisant. Les arbres ont finalement été détruits, cinq jours
après leur arrivée. Les inspecteurs ont toujours agi conformé-
ment à la Loi sur la quarantaine des plantes et au Règlement.
La demanderesse a intenté la présente action en dommages-
intérêts, soutenant que les inspecteurs ont violé les règles de la
justice naturelle en refusant d'entendre sa version des faits et de
permettre que les arbres soient inspectés par des experts indé-
pendants, et en détruisant les éléments de preuve. Elle invoque
également les alinéas la) et 2e) de la Déclaration canadienne
des droits, mais elle allègue principalement que la saisie était
abusive et en violation de l'article 8 de la Charte.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
Il ressort de la preuve que les inspecteurs ont entendu les
arguments de la demanderesse mais qu'ils sont venus à la
conclusion que les arbres devaient être détruits. La Loi sur la
quarantaine des plantes confère aux inspecteurs des pouvoirs
étendus en matière de fouille, de perquisition ou de saisie, de
retenue, de confiscation et de destruction de plantes, mais elle
ne contient aucune disposition portant qu'un inspecteur doit
obtenir un mandat avant d'exercer ces pouvoirs draconiens.
Un examen de la jurisprudence récente concernant les fouil-
les, les perquisitions ou les saisies, et en particulier l'arrêt
Hunter c. Southam Inc., démontre clairement qu'une autorisa-
tion préalable, qui prend habituellement la forme d'un mandat
valide, est la condition préalable d'une fouille, d'une perquisi-
tion ou d'une saisie valides sous le régime de la common law et
de la plupart des lois, à moins qu'il soit «impossible» d'obtenir
une telle autorisation. En l'espèce, les inspecteurs avaient tout
le temps nécessaire pour obtenir un mandat.
Il est également établi que l'autorisation doit provenir d'arbi-
tres impartiaux et objectifs et non, comme en l'espèce, de
personnes qui exécutaient les ordres. Peu avant l'affaire Sou-
tham, la Cour d'appel fédérale a déclaré dans l'arrêt Ministre
du Revenu national c. Kruger Inc. qu'ail est possible, sauf dans
des cas exceptionnels, de considérer qu'une loi autorisant des
fouilles ou des perquisitions sans mandat contrevient à l'article
8» de la Charte. Les fouilles effectuées aux frontières peuvent
être considérées comme des «cas spéciaux». Mais en l'espèce, il
n'existait pas de circonstances exceptionnelles.
Dans la présente affaire, les inspecteurs ne sont pas entrés
sans autorisation à la pépinière lors de leur première visite car
ils y avaient été invités implicitement. Toutefois, entre le
moment de la découverte des larves et la destruction des arbres,
un arbitre impartial aurait pu apprécier s'il y avait lieu ou non
de saisir et de détruire les arbres, si c'est ce que la Loi avait
prescrit.
Les pouvoirs de fouille et de perquisition sans mandat confé-
rés par l'alinéa 6(1)a) de la Loi ne sont pas nécessairement
abusifs et ils n'entrent pas inévitablement en conflit avec l'arti-
cle 8 de la Charte. Il peut exister des circonstances où il serait
impossible d'obtenir un mandat. L'alinéa 6(1)a) est toutefois
inopérant dans la mesure où il est incompatible avec l'article 8,
comme dans le cas présent où il n'a pas été démontré qu'il était
impossible d'obtenir un tel mandat. Par conséquent, la destruc
tion des biens de la demanderesse était illégale et son droit à la
protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies
abusives a été violé. La demanderesse sera donc indemnisée du
préjudice qu'elle a subi.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
11 D.L.R. (4th) 641; 55 N.R. 241; [1984] 6 W.W.R.
577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 84 DTC 6467; 14 C.C.C.
(3d) 97; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; Ministre du
Revenu national du Canada, et autres c. Kruger Inc., et
autres, [1984] 2 C.F. 535; 55 N.R. 255 (C.A.); R. v. Rao
(1984), 4 O.A.C. 162; 46 O.R. (2d) 80; 40 C.R. (3d) 1;
Her Majesty The Queen and Brian Eric Belliveau and
Claude Cecil Losier, jugement en date du 25 février
1985, Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick,
F/CR/11/84, encore inédit.
DECISIONS CITÉES:
United States y Ramsey, 52 L. Ed. 2d 617 (S.C. 1977);
R. v. Jordan (1984), 11 C.C.C. (3d) 565 (C.A.C.-B.); R.
v. Simmons (1984), 45 O.R. (2d) 609; 7 D.L.R. (4th)
719; 39 C.R. (3d) 223; 11 C.C.C. (3d) 193 (C.A.).
AVOCATS:
Mark M. Yeoman, c.r. pour la demanderesse.
A. R. Pringle pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Yeoman, Savoie, LeBlanc & Assoc., Moncton
(Nouveau-Brunswick), pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DURÉ: Il s'agit en l'espèce d'une action
en dommages-intérêts intentée par une compagnie
du Nouveau-Brunswick qui exploite une pépinière
faisant le commerce d'arbres et d'arbustes orne-
mentaux, au village de St. Martins dans le comté
de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick).
Les dommages en cause résultent de la retenue
et de la destruction d'un chargement d'arbres par
des inspecteurs du ministère fédéral de l'Agricul-
ture, le 25 mai 1982. La demanderesse avait
importé ces arbres des États-Unis. Les inspecteurs
ont jugé que les arbres étaient infestés de larves
d'insectes identifiées comme des spongieuses.
Il ressort de la preuve que Donald Miller,
diplômé en agriculture et vice-président de la com-
pagnie demanderesse, s'occupe personnellement de
l'exploitation de la pépinière et avait présenté, plus
tôt en mai, une demande de permis d'importation
au bureau du Ministère à Saint-Jean. Le permis,
qui a été délivré le 13 mai 1982, porte que le lieu
de livraison aux fins de l'inspection est St. Martins
(Nouveau-Brunswick). (Comme c'est la coutume
lorsqu'il s'agit d'envois de ce genre et pour des
raisons pratiques à la fois pour l'importateur et
pour le Ministère, l'inspection a été faite non pas à
la frontière, mais dans les locaux de l'importa-
teur.) A la même date, l'inspecteur qui était pré-
sent au bureau de Saint-Jean a averti Donald
Miller de se méfier des spongieuses qui étaient à
l'origine d'un grave problème dans les États de la
Nouvelle-Angleterre. Il lui a aussi remis une bro
chure intitulée «The Gypsy Moth, a potential
threat to the Maritimes».
Donald Miller admet qu'avant de quitter les
pépinières américaines avec son chargement, il n'a
pas examiné à fond tous les arbres. Il a cependant
vaporisé un insecticide contre les spongieuses sur
les arbres avant de les charger à bord de son
camion. Peu après son arrivée à St. Martins, il a
avisé le Ministère à Saint-Jean de son retour et un
inspecteur s'est présenté le même jour, le 20 mai
1982. À mesure que les arbres étaient déchargés,
l'inspecteur a constaté qu'ils étaient infestés de
larves d'insectes. Il a immédiatement donné un
avis de retenue conformément à la Loi sur la
quarantaine des plantes' et a avisé la demande-
resse de ne pas déplacer les arbres tant que les
larves n'auraient pas été identifiées. Le lendemain,
la demanderesse a été dûment informée que les
larves étaient des spongieuses et que les arbres
importés devraient être détruits.
La demanderesse n'a pas détruit les arbres, mais
a plutôt essayé de résoudre le problème en les
vaporisant une nouvelle fois. Après le long week
end (le lundi était jour de congé) pendant lequel ils
ont découvert que les arbres importés n'avaient pas
été brûlés, les inspecteurs se sont rendus à la
demeure de Miller le 25 mai 1982. Ils lui ont remis
un nouvel avis de retenue portant que les arbres
devaient être brûlés, une lettre indiquant les motifs
de leur décision et une copie des articles pertinents
de la Loi sur la quarantaine des plantes (la
demanderesse avait déjà demandé un exemplaire
de ladite Loi.)
Après quelques discussions au cours desquelles
les inspecteurs ont rejeté la solution consistant à
retourner les arbres aux États-Unis (parce que
cela était trop risqué), ils se sont rendus à la
pépinière où des gardes forestiers du Nouveau-
Brunswick (agissant à titre de mandataires du
Ministère) avaient déjà allumé un feu. Les arbres
importés ont été aussitôt détruits.
Je suis tout à fait convaincu que les inspecteurs
se sont acquittés des obligations que leur imposent
' S.R.C. 1970, chap. P-13.
la Loi sur la quarantaine des plantes et le Règle-
ment. La demanderesse soutient toutefois qu'ils
ont violé les règles de la justice naturelle parce
qu'ils ont refusé d'entendre sa version des faits et
de permettre que les arbres soient examinés par
des experts indépendants, et qu'ils ont détruit les
éléments de preuve. Elle allègue également que les
actes reprochés constituent une saisie abusive con-
traire aux dispositions de l'article 8 de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)], qu'elle a été privée de ses droits et de
la jouissance de ses biens sans qu'il y ait eu
application régulière de la loi et sans la tenue
d'une audition impartiale en violation des alinéas
la) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits
[S.R.C. 1970, Appendice III].
Il ressort, à mon avis, de la preuve que les
inspecteurs n'ont pas refusé d'entendre la version
de la demanderesse. Les inspecteurs ont, en fait,
discuté de l'affaire avec Donald Miller et son père,
qui est le président de la compagnie demanderesse,
mais ils n'ont pas accepté les solutions proposées
par ces derniers. Selon les inspecteurs, une nou-
velle vaporisation ne détruirait pas les larves et le
renvoi des arbres infestés aux Etats-Unis pouvait
propager l'infestation. Ils ont considéré que les
larves constituaient des parasites dangereux qui
devaient être détruits sur le champ. A leur avis, ils
avaient des motifs raisonnables de croire que les
arbres étaient infestés de parasites et ils étaient
donc habilités par la Loi sur la quarantaine des
plantes à ordonner leur destruction.
Je dois examiner cependant si les dispositions de
cette loi respectent l'article 8 de la Charte dont
voici le texte:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Les dispositions suivantes de la Loi sur la qua-
rantaine des plantes sont applicables:
3. (1) Sauf les exceptions prévues par la présente loi et par
les règlements, nul ne doit sciemment introduire, ni propager au
Canada, ni transporter au Canada ou hors du Canada un
parasite, une plante ou une autre matière qui sont effectivement
ou probablement infestés par un parasite ou qui constituent un
obstacle biologique à la lutte contre un parasite.
(2) Le Ministre peut ordonner qu'une indemnité soit versée
relativement à une plante ou autre matière détruite ou dont la
vente est prohibée ou restreinte ou à toute restriction à l'utilisa-
tion d'un bien ou local en conformité de la présente loi, selon les
montants qu'approuvent les règlements et sous réserve des
modalités qui y sont prescrites.
6. (1) Un inspecteur peut, à tout moment raisonnable,
a) entrer dans tout lieu ou local dans lesquels il a des raisons
de croire qu'il y a un parasite ou une plante ou autre matière
auxquels s'applique la présente loi, et il peut ouvrir tout
récipient ou colis qui s'y trouve ou examiner toute chose qui
s'y trouve lorsqu'il a des raisons de croire qu'ils contiennent
un tel parasite ou une telle plante ou autre matière, et en
prélever des échantillons, et
9. (1) Chaque fois qu'un inspecteur croit, en se fondant sur
des motifs raisonnables, qu'une infraction prévue par la pré-
sente loi a été commise, il peut saisir- et retenir la plante ou
autre matière lorsqu'il a des raisons de croire que l'infraction a
été commise au moyen de cette plante ou autre matière ou à
son sujet.
(2) Une plante ou autre matière saisie ou retenue en confor-
mité du paragraphe (1) ne doit plus être retenue
a) dès que, de l'avis d'un inspecteur, les dispositions de la
présente loi et des règlements ont été observées,
b) dès que le propriétaire convient de disposer de cette plante
ou autre matière d'une manière satisfaisante pour le Minis-
tre, ou
c) dès l'expiration de quatre-vingt-dix jours à compter de la
date de la saisie, ou du délai plus long qui peut être prescrit
relativement à une plante ou autre matière,
à moins que, avant cela, des procédures n'aient été instituées
relativement à l'infraction, auquel cas la plante ou autre
matière peut être retenue jusqu'à la fin des procédures.
(4) Chaque fois qu'un inspecteur croit, en se fondant sur des
motifs raisonnables, qu'une plante ou autre matière constitue
un danger parce qu'elle est ou pourrait être infestée par un
parasite ou qu'elle constitue un obstacle biologique à la lutte
contre un parasite, il peut confisquer cette plante ou autre
matière et peut ordonner qu'elle soit détruite ou qu'il en soit
disposé immédiatement.
Il est clair que la Loi confère aux inspecteurs de
larges pouvoirs pour leur permettre d'atteindre son
objet, c'est-à-dire empêcher l'introduction et la
propagation de parasites nuisibles aux plantes.
Suivant l'alinéa 6(1)a), un inspecteur peut entrer
et fouiller dans tout endroit dans lequel il a «des
raisons de croire» qu'il se trouve un parasite de
cette sorte. En vertu du paragraphe 9(1), lorsqu'il
«croit, en se fondant sur des motifs raisonnables,»
qu'une infraction a été commise, il peut saisir et
retenir la plante. Le paragraphe 9(4) l'autorise à
confisquer et à détruire une telle plante s'il «croit,
en se fondant sur des motifs raisonnables,» qu'elle
«pourrait être infestée par un parasite». La Loi ne
contient aucune disposition portant qu'un inspec-
teur doit obtenir un mandat avant d'exercer l'un
ou l'autre de ces pouvoirs draconiens.
La décision qui fait autorité en ce qui concerne
les fouilles, les perquisitions et les saisies effectuées
sans mandat est l'arrêt récent de la Cour suprême
du Canada Hunter et autres c. Southam Inc. 2 . Les
bureaux de Southam avaient été fouillés et les
documents qui s'y trouvaient avaient été saisis en
vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23]. Au début de
son jugement, le juge Dickson [tel était alors son
titre] (parlant au nom de la Cour) a exposé le
problème sans détour. Il a déclaré que le point
capital de l'espèce était le sens qu'il fallait donner
au terme «abusives» que l'on trouve dans la formu
lation de la protection que garantit l'article 8
contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies
abusives. Il a décrit la Charte des droits et libertés
comme un «document qui vise un but», ce but étant
de protéger, «dans des limites raisonnables, la
jouissance des droits et libertés qu'elle enchâsse».
Il s'est ensuite concentré sur «l'appréciation» qui
doit être faite de la situation avant qu'une fouille,
une perquisition ou une saisie soit effectuée. Il a
dit aux pages 159 et 160 R.C.S.; 249 N.R.:
La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et
les saisies abusives * ne vise qu'une attente raisonnable *. Cette
limitations du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée
sous la forme négative, c'est-à-dire comme une protection
contre les fouilles, les perquisitions et les saisies «abusives», ou
sous la forme positive comme le droit de s'attendre «raisonna-
blement» à la protection de la vie privée, indique qu'il faut
apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne
pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au
droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des
particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer
l'application de la loi. [C'est moi qui souligne.]
Il s'est ensuite demandé quand il faut faire une
telle appréciation, qui doit la faire et sur quel
fondement.
A—QUAND?
Dans son jugement, la Cour suprême souligne
que si la détermination de la prépondérance des
droits en concurrence entre un particulier et le
gouvernement n'avait lieu qu'une fois la perquisi-
tion effectuée, elle entrerait sérieusement en con
2 [1984] 2 R.C.S. 145; 11 D.L.R. (4th) 641; 55 N.R. 241;
[1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 84 DTC 6467;
14 C.C.C. (3d) 97; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355.
* Note de l'arrêtiste: C'est le juge Dickson qui souligne.
flit avec le but de l'article 8 qui est de protéger les
particuliers contre les intrusions injustifiées dans
leur vie privée. Un système d'autorisation préala-
ble plutôt que de validation subséquente est par
conséquent nécessaire. La Cour a dit aux pages
160 et 161 R.C.S.; 250 N.R.:
L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituelle-
ment la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition
préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides
sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une
telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la
supériorité de son droit par rapport à celui du particulier.
Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte
qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des
particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce
dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous
les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider
des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers
en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure
qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une
condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi-
tion et d'une saisie. [C'est moi qui souligne.]
Il en résulte donc qu'une fouille, une perquisi-
tion ou une saisie (et a fortiori, une destruction)
effectuée sans mandat valide doit être considérée
prima fade abusive et il incombe à l'État de
réfuter cette présomption en prouvant qu'il était
«impossible» 3 d'obtenir une autorisation préalable.
En l'espèce, les inspecteurs ont eu tout le temps
nécessaire pour se procurer un mandat: un délai de
cinq jours s'est écoulé entre la découverte des
larves et la destruction des arbres. Il ne fait aucun
doute dans mon esprit qu'ils en auraient obtenu un
(ils m'apparaissent comme des fonctionnaires très
responsables) si la Loi qui régissait leurs activités
avait exigé un mandat.
B—PAR QUI?
Dans l'arrêt Southam, la Cour a fait remarquer
(à la page 162 R.C.S.; 250 N.R.) que pour que le
processus d'autorisation ait un sens, la personne
qui autorise la fouille ou la perquisition devrait le
faire «d'une manière tout à fait neutre et impar-
tiale». Il est clair que les inspecteurs n'étaient pas
les personnes appropriées pour faire l'appréciation
de la situation puisqu'ils exécutaient eux-mêmes
les ordres. Suivant le principe nemo judex in sua
3 Certains dictionnaires et certains auteurs préfèrent l'adjec-
tif «infeasible» à l'adjectif «unfeasible» employé en l'espèce dans
la version anglaise. Les deux sont acceptables.
causa, les inspecteurs n'étaient manifestement pas
les arbitres impartiaux et sans préjugés qui sont
habilités à donner une autorisation exécutoire.
C—SUR QUEL FONDEMENT?
Lorsqu'il a examiné cette question dans l'arrêt
Southam, le juge Dickson a tenu compte des critè-
res fixés par la common law, par l'article 443 du
Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] et par la
Déclaration des droits des Etats-Unis. I1 a conclu
(à la page 168 R.C.S.; 254 N.R.):
Dans des cas comme la présente affaire, l'existence de motifs
raisonnables et probables, établie sous serment, de croire
qu'une infraction a été commise et que des éléments de preuve
se trouvent à l'endroit de la perquisition, constitue le critère
minimal, compatible avec l'art. 8 de la Charte, qui s'applique à
l'autorisation d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie.
[C'est moi qui souligne.]
Dans l'arrêt Ministre du Revenu national du
Canada, et autres c. Kruger Inc., et autres 4 , une
décision de la Cour d'appel fédérale rendue peu
avant la décision Southam, la Cour a examiné la
constitutionnalité d'une perquisition et d'une saisie
de documents effectuées sans mandat conformé-
ment à la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C.R.
1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap.
63, art. 1)]. La Cour a statué (aux pages 548 et
549 C.F.; 262 N.R.):
Une fouille ou une perquisition sans mandat peut être justifiée
ou non, peu importe qu'elle ait été effectuée sans mandat;
cependant, il est possible, sauf dans des cas exceptionnels, de
considérer qu'une loi autorisant des fouilles ou des perquisitions
sans mandat contrevient à l'article 8 parce qu'elle prive l'indi-
vidu de la protection qui découle normalement de l'obligation
de détenir un mandat. [C'est moi qui souligne.]
Plusieurs mois avant cette décision, la Cour
d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. v. Raos a
examiné la question des fouilles, des perquisitions
et des saisies effectuées en vertu de la Loi sur les
stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1] et a statué
qu'il n'existe en vertu de la common law aucun
pouvoir de perquisitionner des locaux sans mandat,
sauf lorsque cela constitue un incident qui se rap-
porte à une arrestation légale. Parlant au nom de
la Cour d'appel, le juge Martin a conclu à la page
182 O.A.C.; 106 et 107 O.R.:
4 [1984] 2 C.F. 535; 55 N.R. 255 (C.A.).
5 (1984), 4 O.A.C. 162; 46 O.R. (2d) 80; 40 C.R. (3d) 1.
[TRADUCTION] À mon avis, pour qu'elle respecte le critère
constitutionnel du caractère raisonnable garanti par l'art. 8 de
la Charte, la perquisition sans mandat du bureau d'une per-
sonne doit être justifiée et les dispositions législatives autorisant
ces perquisitions sans mandat peuvent être contestées en vertu
de la Charte. L'existence de circonstances rendant impossible
l'obtention d'un mandat peuvent servir de justification aux
perquisitions sans mandat: voir par exemple, le par. 101(2) du
Code et le par. 11(2) de la Loi sur les secrets officiels. Il faut
évidemment considérer l'expectative raisonnable de l'individu
en matière de vie privée en regard de l'intérêt public dans
l'application efficace de la loi. Cependant, lorsqu'il n'existe
aucune circonstance rendant impossible l'obtention d'un
mandat, et que cette obtention n'empêche pas l'application
efficace de la loi, la perquisition sans mandat d'un bureau d'un
lieu déterminé (sauf lorsque cela constitue un incident qui se
rapporte à une arrestation légale) ne peut se justifier et ne
respecte pas le critère constitutionnel du caractère raisonnable
prévu à l'art. 8 de la Charte. [C'est moi qui souligne.]
D—FOUILLES EFFECTUÉES AUX FRON-
TIÈRES
Les [TRADUCTION] «fouilles effectuées aux
frontières», que les tribunaux américains 6 ont jugé
«raisonnables» et qui ont été définies comme des
cas spéciaux dans certains précédents canadiens',
peuvent constituer des exceptions à la règle géné-
rale voulant que les fouilles et les perquisitions
effectuées sans mandat soient prima facie inconsti-
tutionnelles. Dans son livre intitulé Legal Rights in
the Canadian Charter of Rights and Freedoms, le
juge McDonald expose cette question à la page 71:
[TRADUCTION] Il y a une exception à l'obligation voulant
qu'il existe une cause probable ou que l'on détienne un mandat
pour justifier une fouille ou une perquisition lorsque ladite
fouille ou perquisition est effectuée aux frontières par des
fonctionnaires qui appliquent les lois sur les douanes, si on
compare ces fouilles ou perquisitions à celles qui sont effectuées
relativement à l'application formelle de la loi.
L'un des motifs sous-jacents expliquant l'exis-
tence d'une telle exception est énoncé dans l'arrêt
R. v. Simmons 8 où la Cour d'appel de l'Ontario,
qui devait se prononcer sur la fouille effectuée sur
la personne même d'un passager à son arrivée à un
aéroport canadien, a statué que [TRADUCTION]
«les fouilles effectuées aux frontières afin de
découvrir des marchandises de contrebande font
partie d'une catégorie très spéciale». Le juge en
chef Howland a fait remarquer à la page 220
C.C.C.:
6 United States y Ramsey, 52 L.Ed. 2d 617 (S.C. 1977).
7 R. v. Jordan (1984), 11 C.C.C. (3d) 565 (C.A.C-B.).
8 (1984), 45 O.R. (2d) 609; 7 D.L.R. (4th) 719; 39 C.R. (3d)
223; 11 C.C.C. (3d) 193 (C.A.).
[TRADUCTION] Je ne crois pas qu'il soit déraisonnable de la
part de nations souveraines comme le Canada de prévoir la
possibilité de détenir temporairement des personnes entrant au
pays et, si nécessaire, de les fouiller pour vérifier si elles
apportent au Canada des marchandises de contrebande.
On peut trouver un motif encore plus fondamen-
tal justifiant l'existence de cette exception dans
l'arrêt Southam où la Cour a affirmé que le droit
garanti par l'article 8 [TRADUCTION] «visait une
attente raisonnable de protection contre les fouil-
les, les perquisitions et les saisies abusives». Les
personnes franchissant des frontières courent le
risque de subir des fouilles corporelles et de voir les
marchandises qu'elles ont importées examinées et
saisies sur le champ.
Cependant, en l'espèce, la fouille, la saisie et la
destruction des marchandises n'ont été effectuées
ni à la frontière ni en vertu de la Loi sur les
douanes [S.R.C. 1970, chap. C-40], mais avec le
consentement des parties sur la propriété même de
la demanderesse. De plus, il est maintenant claire-
ment établi qu'il faut accorder une interprétation
large à la Charte en tant que document
constitutionnel.
Dans une affaire très récente (Her Majesty The
Queen and Brian Eric Belliveau and Claude Cecil
Losier) 9 , la Cour du Banc de la Reine du Nou-
veau-Brunswick a dû se prononcer sur la saisie
d'un camion contenant des cartouches de cigaret
tes qui auraient été apportées au Canada en viola
tion des dispositions de la Loi de la taxe sur le
tabac [L.R.N.-B. 1973, chap. T-7] du Nouveau-
Brunswick. La saisie a eu lieu non pas à la fron-
tière mais en face d'un poste d'essence à Harvey
(N.-B.). Le juge Stevenson a analysé le jugement
rendu dans Southam et a fait remarquer que dans
l'affaire dont il était saisi, la Couronne n'a pas
allégué qu'il était impossible ou inutile d'obtenir
une autorisation préalable pour les fouilles et per-
quisitions prévues par la Loi. Il a dit à la page 19:
[TRADUCTION] En l'absence d'un tel argument ou de preuves
appuyant une telle prétention, je conclus que les par. 2.2(3) et
(4) de la Loi tels qu'ils étaient libellés au moment de l'infrac-
tion reprochée étaient incompatibles avec l'art. 8 de la Charte.
On n'a suggéré ni en première instance ni au cours du présent
appel que les dispositions de ces deux paragraphes restreignent
le droit garanti par l'art. 8 dans des limites raisonnables dont la
justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique ... Ces dispositions n'étant pas exécutoi-
res, une fouille, une perquisition ou une saisie effectuée sur le
9 F/CR/11/84, juge Stevenson, 25 février 1985.
fondement de celles-ci contrevenait donc au droit du citoyen à
la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies
abusives. Compte tenu des circonstances, la fouille et la saisie
étaient non seulement abusives mais aussi illégales parce qu'el-
les ont été effectuées en vertu de dispositions qui contrevenaient
à la Constitution. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, les inspecteurs ne sont pas entrés
sans autorisation à la pépinière lors de leur pre-
mière visite car ils y avaient été invités implicite-
ment à la suite de l'entente par laquelle les deux
parties avaient conclu que l'inspection aurait lieu à
cet endroit. Je suis cependant d'avis que, entre le
moment de la découverte des larves et la destruc
tion réelle des arbres, un arbitre impartial aurait
pu apprécier s'il y avait lieu ou non de saisir et de
détruire les marchandises, si c'est ce qu'avait pres-
crit la Loi.
Il ne m'est pas possible de conclure à partir de la
jurisprudence appliquée aux faits de l'espèce que
les pouvoirs de fouille et de perquisition sans
mandat conférés par l'alinéa 6(l)a) de la Loi sur
la quarantaine des plantes sont nécessairement
abusifs et qu'ils entrent inévitablement en conflit
avec l'article 8 de la Charte. Il peut exister des cas
d'urgence où il serait impossible d'obtenir un
mandat. À mon avis, cependant, l'alinéa 6(l)a) est
inopérant dans la mesure où il est incompatible
avec l'article 8, comme dans le cas présent où il n'a
pas été démontré qu'il était impossible ou même
difficile d'obtenir un tel mandat. Le paragraphe
52(1) de la Charte prévoit les cas de ce genre:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du
Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de
toute autre règle de droit.
Étant donné les circonstances, j'estime que la
destruction des biens de la demanderesse était
illégale et que son droit à la protection contre les
fouilles, les perquisitions et les saisies abusives,
garanti par l'article 8 de la Charte, a été violé. Le
paragraphe 24(1) de la Charte porte:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la
réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard
aux circonstances.
La Division de première instance de la Cour
fédérale du Canada est le tribunal compétent en
l'espèce et la réparation «convenable et juste» est
une indemnité accordée à la demanderesse pour le
montant de ses pertes 10 .
Il est admis que la valeur des biens détruits est
de 13 073,50 $, les frais de location d'un vaporisa-
teur sont de 108 $, les honoraires d'un courtier
165 $, les frais d'interurbains 92,52 $, ce qui donne
un total de 13 439,02 $. La demanderesse réclame
également 1 980 $ au titre de [TRADUCTION]
«salaires versés pour un travail effectué inutile-
ment», mais elle ne m'a pas convaincu que ces
salaires avaient dû être payés à la suite de la perte
des biens. La somme adjugée est donc de
13 439,02 $, plus les dépens.
10 Il faut remarquer que le paragraphe 3(2) de la Loi sur la
quarantaine des plantes (précitée) prévoit que le Ministre peut
ordonner qu'une indemnité soit versée relativement à une
plante détruite.
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