A-1596-83
Air Canada (requérante)
c.
Paul S. Carson, Ramon Sanz, William Nash,
Barry James, Arie Tall et Commission canadienne
des droits de la personne (intimés)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et MacGui-
gan—Toronto, 28, 29, 30 et 31 janvier; Ottawa, 15
février 1985.
Droits de la personne — Discrimination fondée sur l'âge —
Politique concernant l'âge maximum d'embauchage —
Demande d'examen et d'annulation de la décision par laquelle
le tribunal d'appel a statué que la politique d'Air Canada
fixant à 27 ans l'âge maximum d'embauchage des pilotes ne
découlait pas d'exigences professionnelles normales — Le
tribunal d'appel a conclu que le double critère, qui a été énoncé
dans la décision américaine Smallwood v. United Air Lines,
Inc., 661 F.2d 303 (4th Cir. 1981) pour justifier un refus
d'embaucher quelqu'un en vertu d'une exception relative aux
exigences professionnelles normales, était «semblable, en sub
stance++ à celui établi par la C.S.C. dans l'arrêt Commission
ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité
d'Etobicoke, /19821 1 R.C.S. 202; 132 D.L.R. (3d) 14 — Air
Canada a soutenu que le critère énoncé dans Hodgson v.
Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859 (7th Cir. /974) était la
norme appliquée dans l'arrêt Etobicoke — La C.S.C. n'a pas
désapprouvé ni endossé le critère appliqué dans Greyhound —
Le critère dégagé dans Smallwood constitue une étape prélimi-
naire dans la détermination d'une exigence professionnelle
normale — Même si la preuve révèle qu'il est possible qu'Air
Canada n'ait pas satisfait aux deux volets du critère dégagé
aux États-Unis, le tribunal d'appel est arrivé au même résul-
tat en se fondant entièrement sur le libellé plus général du
critère énoncé dans Etobicoke — Le tribunal d'appel n'a pas
commis d'erreur en appliquant le critère — Le tribunal d'appel
a commis une erreur en concluant que l'esprit de la Loi
empêchait une exigence professionnelle normale fondée sur un
motif prescrit de discrimination — Cette erreur n'a aucun effet
sur la décision de conclure que le problème du "renversement
des âges" ne constituait pas une exigence professionnelle nor-
male et n'est pas un motif pour annuler la décision — Le
tribunal d'appel a commis une erreur en rejetant les témoigna-
ges des experts médicaux et la preuve fondée sur des statisti-
ques, et il se serait trompé quant au fardeau de la preuve
imposé à Air Canada — Ces erreurs ne constituent pas un
motif permettant d'annuler la décision car elles ne touchent
pas au fond véritable du litige qui concernait la justification
de la politique — Loi canadienne sur les droits de la personne,
S.C. 1976-77, chap. 33, art. 2a), 3, 7, 10a), 14a), 42.1 — Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Il s'agit en l'espèce du premier cas soumis aux tribunaux
canadiens au sujet de la discrimination fondée sur l'âge d'em-
bauchage. La présente demande vise l'annulation de la décision
par laquelle le tribunal d'appel a statué que la politique d'Air
Canada de ne pas engager de nouveaux pilotes âgés de plus de
27 ans ne découlait pas d'exigences professionnelles normales.
L'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne
prévoit que ne constitue pas un acte discriminatoire une restric
tion de l'employeur qui démontre qu'elle est fondée sur des
exigences professionnelles normales. Le tribunal d'appel a
conclu que le double critère, qui a été énoncé dans la décision
américaine Smallwood v. United Air Lines, Inc., 661 F.2d 303
(4th Cir. 1981) pour justifier un refus d'embaucher quelqu'un
en vertu d'exigences professionnelles normales, était «sembla-
ble, en substance» à celui établi par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la
personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1
R.C.S. 202; 132 D.L.R. (3d) 14. Air Canada allègue que le
critère énoncé dans Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499
F.2d 859 (7th Cir. 1974), est la norme appliquée dans l'arrêt
Etobicoke. Air Canada devait démontrer que l'âge maximum
d'embauchage adopté, c'est-à-dire 27 ans, était une exigence
professionnelle normale et non simplement qu'un certain âge
maximum d'embauchage aurait constitué une telle exigence.
Air Canada allègue que le tribunal d'appel a commis une erreur
(1) en établissant un parallèle entre l'arrêt Etobicoke et la
décision rendue par un tribunal américain dans Arritt v. Gri-
sell, décision qu'il a suivie dans Smallwood; (2) en appliquant
sa perception de la Loi canadienne sur les droits de la personne
au cours de l'examen de certains éléments de preuve et (3) en
exigeant qu'Air Canada prouve que ses préoccupations au sujet
de la sécurité, qui étaient sous-jacentes à sa politique, repo-
saient sur des faits plutôt que de prouver qu'elles étaient
fondées sur un débat médical non résolu.
Arrêt: la demande est rejetée.
Le juge Mahoney (avec l'appui du juge Stone): Suivant
l'arrêt Etobicoke, pour constituer une exigence professionnelle
réelle, une restriction doit être imposée de bonne foi et avec la
conviction que cette restriction est imposée en vue d'assurer la
bonne exécution du travail, et elle doit se rapporter objective-
ment à l'emploi en question, en étant raisonnablement néces-
saire pour assurer l'exécution sans danger du travail. Dans
l'affaire Arritt, le tribunal adopte un double critère: il incombe
à l'employeur de démontrer (1) que l'exigence professionnelle
normale imposée est raisonnablement nécessaire à la nature
même de son entreprise et (2) qu'il a un motif raisonnable,
c'est-à-dire fondé sur des faits réels, de croire que toutes les
personnes de la catégorie seraient incapables d'exécuter le
travail sans danger, ou qu'il serait peu pratique d'examiner
individuellement le cas de chaque personne ayant dépassé l'âge
limite. Le premier volet du critère dégagé dans l'affaire Arritt
est, pour l'essentiel, semblable à l'aspect subjectif du critère
énoncé dans l'arrêt Etobicoke, et le deuxième volet du critère
appliqué dans Arritt est approprié en l'espèce. Lorsqu'on se
demande ce qui est raisonnablement nécessaire pour s'assurer
que les pilotes accomplissent leurs fonctions en toute sécurité à
mesure qu'ils vieillissent, il semble raisonnable et conséquent
avec l'arrêt Etobicoke de vérifier s'il n'est pas possible ou
pratique d'examiner le cas de chaque pilote plutôt que d'empê-
cher leur embauchage par un refus général de les embaucher.
Même si la Cour suprême n'a pas désapprouvé le critère
appliqué aux États-Unis dans Greyhound (c'est-à-dire que
l'employeur n'a qu'à prouver une augmentation minime des
risques), elle ne l'a pas endossé. Air Canada doit prouver,
suivant la prépondérance des probabilités, que sa pratique
constitue une exigence professionnelle normale. L'arrêt Etobi-
coke expose le critère applicable en termes généraux. La
manière dont ce critère peut être appliqué en termes concrets
dépendra des circonstances de chaque cas particulier.
Air Canada a soulevé «le problème du renversement des âges»
comme motif justifiant l'âge limite d'embauchage. Ce problème
concernait le potentiel de conflit dans la cabine lorsqu'un
nouveau pilote plus âgé se retrouvait sous le commandement
d'un jeune pilote ayant plus d'ancienneté. Le tribunal d'appel a
jugé que le problème du «renversement des âges» ne supportait
pas l'existence d'une exigence professionnelle normale parce
que la preuve que le renversement des âges est un problème
considérable n'était pas suffisante et parce que les problèmes
qui découlent d'attitudes qui reflètent la partialité fondée sur
un motif de discrimination interdit par la Loi ne peuvent se
justifier comme des exigences professionnelles normales. Le
tribunal d'appel a commis une erreur de droit en jugeant que
l'esprit de la Loi empêchait de conclure que le problème du
renversement des âges pouvait constituer une exigence profes-
sionnelle normale. La Loi a pour but non seulement d'interdire
la discrimination fondée sur des motifs prescrits, mais de
permettre cette discrimination lorsqu'elle constitue une exi-
gence professionnelle normale. Étant donné que cette erreur de
droit n'a eu aucun effet sur la décision du tribunal d'appel qui
avait déjà tranché le problème du renversement des âges en se
fondant sur des motifs appropriés, elle ne justifie pas l'annula-
tion de la décision.
Le tribunal d'appel a commis une erreur de droit en décla-
rant que le sophisme dans l'approche des experts médicaux était
qu'elle tend à assumer que le fait qu'il y ait un rapport entre
l'âge et l'incapacité est non seulement un fondement nécessaire,
mais qu'il suffit pour maintenir que l'âge constitue une exi-
gence professionnelle normale. Le tribunal d'appel a également
commis une erreur en rejetant la preuve fondée sur des statisti-
ques, et ce serait le cas aussi quant au fardeau de la preuve
imposé à Air Canada. Aucune de ces erreurs ne touchait le
fond du litige: la justification de la politique fixant un âge
maximum d'embauchage. Elles ont toutes été commises par le
tribunal d'appel dans son examen des effets du vieillissement
sur les pilotes et des problèmes de sécurité qui en découlent;
aucune n'a été commise dans son appréciation du rapport entre
la politique en cause et ces préoccupations et dangers. Air
Canada n'a pas réussi à établir un rapport vraisemblable entre
les effets du vieillissement des pilotes sur la sécurité et sa
politique fixant l'âge maximum d'embauchage à 27 ans afin de
prouver que cette politique constitue une exigence profession-
nelle normale. Le tribunal d'appel n'a pas commis d'erreur en
concluant ainsi.
Le juge MacGuigan: La requérante prétend que, dans l'arrêt
Etobicoke, la citation par la Cour suprême de la décision
américaine Greyhound indique qu'elle approuve le raisonne-
ment qui y a été suivi, de sorte que cette décision constitue la
meilleure interprétation de l'arrêt Etobicoke. Le juge Mclntyre
a cité l'affaire Greyhound avec la décision de la Commission
d'enquête du Nouveau-Brunswick dans Little v. Saint John
Shipbuilding and Drydock Co. Ltd., où la Commission a rendu
une décision différente qui contenait des opinions incidentes
allant à l'encontre de celles de la décision américaine. Dans
l'affaire Greyhound, on parlait «d'une augmentation minime
des risques» alors que dans l'affaire Little, il s'agissait du
«facteur minimum de risque acceptable». Cette dernière expres
sion laisse entendre contrairement à la première qu'il est possi
ble de mesurer l'acceptabilité d'un risque. Dans l'affaire Moose
Jaw v. Sask. Human Rights Comm., le juge Matheson a eu
raison d'insister pour dire qu'on ne peut assimiler le critère du
«risque suffisant» dégagé dans l'arrêt Etobicoke au «risque
inacceptable», mais il est erroné de croire que les tribunaux
américains souscrivent à la théorie du «risque inacceptable». Il
ressort clairement des décisions citées par le juge McIntyre
qu'il n'avait pas l'intention en les invoquant d'approuver une
manière particulière de mesurer le risque. Néanmoins, le fait
qu'il ait lui-même présenté le litige en affirmant qu'il s'agissait
de déterminer s'il existait «un risque d'erreur humaine suffi-
sant» indique la reconnaissance d'un certain degré de risque qui
correspond davantage à la notion de risque «acceptable» qu'à
celle de risque «minime».
Le point de vue adopté dans Greyhound n'a pas fait l'unani-
mité devant les tribunaux américains. Il a été suivi dans
Murnane v. American Airlines, Inc., mais peu après la Cour
d'appel des États-Unis a conclu dans Smallwood v. United Air
Lines, Inc. qu'une règle sur laquelle une autre compagnie
aérienne se fondait pour refuser d'embaucher des pilotes âgés
de plus de 35 ans ne constituait pas une exigence profession-
nelle normale. La Cour a proposé un double critère. La requé-
rante allègue que le tribunal d'appel a commis une erreur en
statuant que ce critère était «semblable, en substance» à celui
dégagé dans l'arrêt Etobicoke. La même Cour qui s'est pronon-
cée dans Greyhound «a refusé d'appliquer cette décision telle
quelle» dans Orzel v. City of Wauwatosa Fire Dept., où elle a
rejeté l'argument de la ville voulant qu'une exigence profession-
nelle normale est établie lorsque l'employeur prouve que les
faits lui permettent logiquement de croire que l'exigence dimi-
nue les risques de dommages. Air Canada soutient que, lors-
qu'il existe deux ou trois points de vue logiques reposant sur les
faits et découlant de témoignages d'experts, le tribunal n'a
d'autre choix que d'accepter celui choisi par l'employeur. Cela
ne constitue pas une preuve reposant sur la prépondérance des
probabilités comme l'exige l'arrêt Etobicoke. La requérante a
soutenu que les normes de preuve s'appliquaient seulement pour
démontrer qu'il existait un fondement logique au point de vue
choisi et non pour prouver que celui-ci était plus vraisemblable
que les autres hypothèses. C'est conforme à l'idée que l'exis-
tence d'un risque minime pour la sécurité publique justifie une
exigence professionnelle normale. Il ressort de l'analyse de
l'arrêt Etobicoke que telle n'est pas sa signification parce
qu'une telle interprétation ne s'accorde ni avec les normes de
preuve qu'il exige ni avec la nécessité d'un risque suffisant
comme justification.
Le critère dégagé dans l'affaire Smallwood poursuit le rai-
sonnement adopté dans l'arrêt Etobicoke, mais en demeurant
compatible avec celui-ci. Dans Etobicoke, la Cour a établi que
les deux facteurs inversement proportionnels que sont le degré
de risque et la possibilité de recourir à des solutions de
rechange déterminent ce qui constitue une exigence profession-
nelle normale, examinée objectivement, et elle a conclu qu'il
fallait trouver un équilibre entre ces deux facteurs en tenant
compte des circonstances. Le double critère dégagé par les
tribunaux américains constitue une étape préliminaire dans la
détermination d'une exigence professionnelle normale. Il ressort
de la preuve qu'Air Canada pourrait ne pas avoir satisfait aux
deux volets de ce critère immédiat, mais après avoir approuvé le
critère dégagé aux États-Unis, le tribunal d'appel est arrivé au
même résultat en se fondant entièrement sur la formulation
plus générale du critère énoncé dans l'arrêt Etobicoke. Le
tribunal d'appel n'a pas commis d'erreur en statuant que le
critère légal pour l'exigence professionnelle normale tel qu'ex-
posé dans l'arrêt Etobicoke est «d'établir si l'exigence est
nécessaire, dans une mesure raisonnable, à l'exécution du tra
vail ... le tribunal doit examiner à la fois la nécessité de la
règle et la nature raisonnable de celle-ci à la lumière de cette
nécessité.»
Le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit. Les erreurs
qu'il a pu commettre étaient isolées ou insignifiantes ou encore,
résultaient de l'emploi d'expressions mal choisies pour exprimer
sa décision. L'intention du tribunal n'était pas d'interpréter la
preuve en tenant compte de ses préférences quant à la politique
à suivre, mais d'insister sur une interprétation restrictive de
l'exception créée par l'exigence professionnelle normale comme
le tribunal l'a recommandé dans l'affaire Smallwood v. United
Air Lines, Inc.
Les tribunaux doivent faire en sorte que l'existence d'excep-
tions beaucoup trop larges ne vienne porter atteinte à l'inten-
tion première du Parlement de permettre que les personnes
soient jugées au mérite. Il faudrait donc interpréter lesdites
exceptions d'une manière restrictive.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Commission ontarienne des droits de la personne et
autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202;
132 D.L.R. (3d) 14; Moose Jaw v. Sask. Human Rights
Comm., [1984] 4 W.W.R. 468 (B.R. Sask.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Arritt v. Grisell, 567 F.2d 1267 (4th Cir. 1977); Small-
wood v. United Air Lines, Inc., 661 F.2d 303 (4th Cir.
1981), certiorari refusé, 102 S. Ct. 2299 (1982); Hodg-
son v. Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859 (7th Cir.
1974), certiorari refusé, 95 S. Ct. 805 (1975); Usery v.
Tamiami Trail Tours, 531 F.2d 224 (5th Cir. 1976);
Little v. Saint John Shipbuilding and Drydock Co. Ltd.
(1980), 1 C.H.R.R. D/1 (Comm. d'enquête N.-B.); Mur-
nane v. American Airlines, Inc., 667 F.2d 98 (D.C. Cir.
1981), certiorari refusé, 102 S. Ct. 1770 (1982); Orzel v.
City of Wauwatosa Fire Dept., 697 F.2d 743 (7th Cir.
1983).
AVOCATS:
J. Murray et G. Delisle pour la requérante.
G. D. Hunter et D. A. Aylen pour les intimés.
PROCUREURS:
Cassels, Brock & Blackwell, Toronto, pour la
requérante.
Scott & Aylen, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La requérante Air Canada
demande, sur le fondement de l'article 28 de la Loi
sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10], l'annulation de la décision d'un tribunal
d'appel [Paul S. Carson et al. v. Air Canada
(1983), 4 C.H.R.R. D/1857] constitué en vertu de
l'article 42.1 de la Loi canadienne sur les droits de
la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, et ses modifi
cations. Le tribunal d'appel est arrivé à la même
conclusion que le tribunal et a statué que la politi-
que d'Air Canada de ne pas engager de nouveaux
pilotes âgés de plus de 27 ans ne découlait pas
d'exigences professionnelles normales. Aucune
question de justice naturelle ou de compétence n'a
été soulevée. Air Canada soutient que le tribunal
d'appel a rendu une décision entachée d'une erreur
de droit et qu'il s'est fondé sur des conclusions de
fait erronées, tirées de façon absurde ou arbitraire
ou sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance.
La disposition législative applicable se trouve à
l'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de
la personne:
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions,
conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils
sont fondés sur des exigences professionnelles normales;
Il ne s'agit pas de savoir si cette politique
entraîne des actes discriminatoires et s'il incombe
à Air Canada de démontrer, selon toute probabi-
lité, qu'elle repose sur des exigences professionnel-
les normales. La bonne foi d'Air Canada en adop-
tant cette politique n'est pas non plus en cause. Air
Canada a adopté cette politique en grande partie
parce qu'elle considère que, en raison des problè-
mes de sécurité découlant naturellement du vieil-
lissement, ses pilotes doivent cesser leurs activités
à l'âge de 60 ans. Cette politique est appliquée
dans le cadre d'un régime d'ancienneté, mis en
place par la convention collective, qui donne pré-
séance, en ce qui concerne tous les aspects de
l'emploi, au pilote qui travaille depuis le plus
longtemps pour Air Canada. La politique contes-
tée n'est pas celle de l'âge de la retraite obligatoire
fixé à 60 ans, mais celle de l'âge maximum d'em-
bauchage fixé à 27 ans. Air Canada devait démon-
trer que l'âge maximum d'embauchage adopté,
c'est-à-dire 27 ans, était une exigence profession-
nelle normale et non simplement qu'un certain âge
maximum d'embauchage aurait constitué une telle
exigence.
J'utilise pour des raisons pratiques l'expression
«l'âge maximum d'embauchage de 27 ans». En fait,
cette politique est un peu plus souple. Elle permet
d'engager des pilotes jusqu'à l'âge de 31 ans dans
des cas déterminés.
Le tribunal a siégé 19 jours entre le 18 février
1980 et le 5 octobre 1981. Sa décision rendue le 18
mars 1982 comporte 125 pages. Le tribunal d'ap-
pel s'est prononcé sur l'appel à partir du dossier:
35 volumes, 4 864 pages. Les débats devant le
tribunal d'appel ont duré cinq jours entre le 8
décembre 1982 et le 17 février 1983. Le tribunal
d'appel a rendu une décision de 100 pages le 26
octobre 1983.
Je rejette l'allégation voulant que le tribunal
d'appel ait fondé sa décision sur des conclusions de
fait erronées, tirées de façon absurde ou arbitraire
ou sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance. A mon avis, il n'y a lieu d'examiner
que trois des erreurs de droit alléguées: première-
ment, le parallèle établi par le tribunal d'appel
entre la décision de la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de
la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke,
[1982] 1 R.C.S. 202; 132 D.L.R. (3d) 14, et celle
de la Cour d'appel des États-Unis, Quatrième
Circuit, dans l'affaire Arritt v. Grisell, 567 F.2d
1267 (1977), et suivie par la même Cour dans
l'affaire Smallwood v. United Air Lines, Inc., 661
F.2d 303 (1981), qui concernait également un âge
maximum d'embauchage pour les pilotes; deuxiè-
mement, l'application par le tribunal d'appel de sa
perception de la Loi canadienne sur les droits de
la personne au cours de l'examen de certains élé-
ments de preuve et, troisièmement, la question de
savoir si on a exigé à tort qu'Air Canada prouve
que ses préoccupations au sujet de la sécurité, qui
étaient sous-jacentes à sa politique, reposaient sur
des faits plutôt que de prouver qu'elles étaient
fondées sur un débat médical non résolu qu'elle
doit envisager avec prudence et dont elle doit
craindre la conclusion.
Pour ce qui est du parallèle entre les arrêts
Arritt et Etobicoke, cette dernière décision, qui
portait sur la retraite obligatoire des pompiers à
l'âge de 60 ans, fait autorité au Canada au sujet de
la discrimination fondée sur l'âge comme exigence
professionnelle normale. Le critère applicable a été
fixé à la page 208 R.C.S.; aux pages 19 et s.
D.L.R.:
Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restric
tion comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être
imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère
que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne
exécution du travail en question d'une manière raisonnablement
diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués
ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à
l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter
objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant
raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et
économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses
compagnons de travail et le public en général.
Après avoir examiné la preuve en l'espèce, les vues
du tribunal et des tribunaux d'instance inférieure,
et le genre de preuves requises pour établir que la
discrimination fondée sur l'âge constitue une exi-
gence professionnelle normale, la Cour suprême a
ajouté à la page 210 R.C.S.; aux pages 20 et 21
D.L.R.:
Dans un métier où, comme en l'espèce, l'employeur cherche à
justifier la retraite par la sécurité publique, le commissaire
enquêteur et la cour doivent, pour décider si on a prouvé
l'existence d'une exigence professionnelle réelle, se demander si
la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont
atteint l'âge de la retraite obligatoire présentent un risque
d'erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite
prématurée dans l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de
travail et du public en général.
Dans l'affaire Arritt, le tribunal avait été saisi
d'une loi d'un État qui fixait de 18 35 ans l'âge
d'embauchage pour les recrues de la police. Le
tribunal d'appel n'a cité que la partie du passage
pertinent figurant dans une autre décision invo-
quée. À mon avis, il est utile de reprendre cette
citation un peu plus en détail parce que Air
Canada prétend que le critère énoncé dans l'affaire
Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859
(7th Cir. 1974), qui a été invoquée, est la norme
appliquée dans l'arrêt Etobicoke. Le tribunal a dit
à la page 1271:
[TRADUCTION] La cour de district a adopté le critère appli-
qué dans l'affaire Hodgson y Greyhound Lines, 499 F.2d 859
(7 Cir. 1974), c'est-à-dire que l'employeur n'a qu'à démontrer
«une augmentation minime des risques, car il lui suffit de
montrer que l'abolition de sa politique d'embauchage pourrait
mettre en danger la vie d'une personne de plus que ce ne serait
le cas en vertu de la pratique d'embauchage actuelle». Id. à la
page 863. Nous croyons cependant que le critère approprié est
le double critère dégagé dans l'affaire Usery v. Tamiami Trail
Tours, 531 F.2d 224 (5 Cir. 1976), c'est-à-dire qu'il incombe à
l'employeur de démontrer (1) que l'exigence professionnelle
normale qu'il invoque est raisonnablement nécessaire à la
nature même de son entreprise (en l'espèce, le fonctionnement
efficace d'un service de police visant à assurer la protection du
public) et (2) qu'il a un motif raisonnable, c'est-à-dire fondé
sur des faits réels, de croire que toutes ou pratiquement toutes
les personnes de la catégorie (dans notre cas, les personnes
âgées de plus de 35 ans) seraient incapables d'exécuter efficace-
ment et sans danger les tâches de l'emploi en cause, ou qu'il est
impossible ou peu pratique d'examiner individuellement le cas
de chaque personne ayant dépassé l'âge limite.
Il est sans doute implicite dans le premier volet du
critère dégagé dans l'affaire Arritt que «l'exigence
professionnelle normale» doit avoir été adoptée de
bonne foi, ce qui de toute façon ne fait pas l'objet
du présent litige, et étant donné cette caractérisa-
tion, il ne m'est pas difficile d'admettre que cet
élément est, pour l'essentiel, semblable à l'aspect
subjectif du critère énoncé dans l'arrêt Etobicoke.
Sans me prononcer sur les éléments qu'il pourrait
être nécessaire de prouver dans un autre cas afin
de respecter l'aspect objectif du critère dégagé
dans l'arrêt Etobicoke, il me semble toutefois que
le deuxième volet du critère appliqué dans l'affaire
Arritt est très approprié en l'espèce.
Il ne s'agit évidemment pas de déterminer si
tous ou pratiquement tous les pilotes âgés de plus
de 27 ans ne peuvent accomplir leur tâche. Air
Canada ne prétend pas que l'embauchage de pilo-
tes âgés de plus de 27 ans crée des risques inutiles.
Elle soutient plutôt qu'il sera plus facile d'éviter les
risques qui, selon elle, apparaîtront inévitablement
au fur et à mesure que les pilotes vieilliront si
aucun pilote âgé de plus de 27 ans n'est embauché.
Ainsi, lorsqu'on se demande ce qui est raisonnable-
ment nécessaire pour s'assurer que les pilotes
accomplissent leurs fonctions en toute sécurité à
mesure qu'ils vieillissent, il semble tout à fait
raisonnable de vérifier s'il n'est pas possible ou
pratique d'examiner le cas de chaque pilote plutôt
que d'empêcher leur embauchage par un refus
général de les embaucher.
L'affaire Tamiami [Usery v. Tamiami Trail
Tours, 531 F.2d 224 (5th Cir. 1976)] est mention-
née dans l'extrait tiré de l'arrêt Arritt précité. Je le
souligne parce que cette décision a été examinée
dans un jugement récent de la Cour du Banc de la
Reine de la Saskatchewan Moose Jaw v. Sask.
Human Rights Comm., [1984] 4 W.W.R. 468 [à
la page 474], où la commission d'enquête avait cité
l'affaire Tamiami à l'appui de la proposition
suivante:
[TRADUCTION] «Aux yeux de la commission, il ressort de la
jurisprudence qu'il incombe encore à l'employeur de montrer
que tous les membres de la catégorie restreinte (dans le cas
présent, ceux âgés de plus de 62 ans et éventuellement, ceux
âgés de plus de 60 ans) possédaient la caractéristique inaccep-
table ou que l'incidence de cette dernière dans ce groupe était si
grande et si difficile à identifier qu'elle rendait inadmissibles
dans les circonstances les risques résultant du fait de continuer
à embaucher des membres de cette catégorie.»
J'ai lu et relu avec attention l'affaire Tamiami. On
n'y trouve nulle part ces termes ni des termes aussi
forts. En particulier, le terme «inacceptable» n'y
est pas employé. Le critère adopté est celui de
l'affaire Arritt. Par conséquent, je ne veux pas que
l'on croie que je ne suis pas d'accord avec la
décision de la Cour de la Saskatchewan qui a
rejeté, à juste titre selon moi, la déclaration qui
précède parce qu'elle n'est pas visée par le critère
dégagé dans l'arrêt Etobicoke.
Par contre, Air Canada soutient que le critère
énoncé dans l'affaire Greyhound est le même que
celui qui a été appliqué dans l'arrêt Etobicoke. Les
affaires Tamiami et Greyhound portaient toutes
les deux sur l'âge maximum d'embauchage des
conducteurs d'autobus. La Cour a dit dans Grey
hound [à la page 863]:
[TRADUCTION] Étant donné de telles préoccupations impérieu-
ses quant à la sécurité, il n'est pas nécessaire que Greyhound
montre que tous les candidats conducteurs d'autobus âgés de
plus de quarante ans, ou une grande partie d'entre eux, ne
peuvent remplir leurs fonctions sans risque. Au contraire, dans
la mesure où l'abolition de la politique d'embauchage de Grey
hound peut l'empêcher d'atteindre son objectif quant à la
sécurité, on peut affirmer qu'une telle action porte atteinte à la
nature même de ses opérations. En d'autres termes, Greyhound
doit prouver qu'elle a en réalité une raison logique de croire que
la suppression de l'âge maximum d'embauchage augmentera
les risques de dommages pour ses passagers. Greyhound n'a
cependant qu'à prouver une augmentation minime des risques,
car il lui suffit de montrer que l'abolition de sa politique
d'embauchage pourrait mettre en danger la vie d'une personne
de plus que ce ne serait le cas en vertu de la pratique d'embau-
chage actuelle.
En examinant le genre de preuve requise dans des
cas comme l'espèce, la Cour suprême du Canada a
dit à la page 213 R.C.S. et à la page 23 D.L.R. de
l'arrêt Etobicoke:
La question de la suffisance et de la nature de la preuve en la
matière a été analysée dans divers arrêts, dont en particulier:
Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859 (1974); Little
v. Saint John Shipbuilding and Drydock Co. Ltd. (1980), 1
C.H.R.R. 1.
Même si la Cour suprême n'a certainement pas
désapprouvé le critère appliqué dans Greyhound,
elle ne l'a pas endossé comme le prétend Air
Canada.
Il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où, comme le
prétend Air Canada, un tribunal d'appel a substi-
tué son appréciation à celle d'Air Canada en ce qui
concerne la sécurité dans le poste de pilotage. La
Cour doit plutôt se prononcer sur une pratique
discriminatoire adoptée par Air Canada en raison
de son appréciation des risques pour la sécurité à
mesure que ses pilotes vieillissent. La loi oblige Air
Canada à prouver, suivant la prépondérance des
probabilités, que sa pratique constitue une exi-
gence professionnelle réelle. L'arrêt Etobicoke
expose le critère applicable en termes généraux. La
manière dont ce critère peut être énoncé en termes
concrets dépendra des circonstances de chaque cas
particulier. Il est possible, dans d'autres circons-
tances, que l'on pose la question de manière aussi
simple que dans Greyhound. En l'espèce, je pensé -
qu'on suit fidèlement l'arrêt Etobicoke en deman-
dant à Air Canada de prouver qu'il lui serait
impossible ou peu pratique d'engager de nouveaux
pilotes âgés de plus de 27 ans et d'examiner indivi-
duellement le cas de chacun, pour ce qui est de la
sécurité, à mesure qu'il vieillit. Après tout, c'est ce
qu'elle fait en réalité pour les pilotes qu'elle
emploie jusqu'à ce qu'ils aient atteint 60 ans.
L'un des motifs avancés pour que l'âge maxi
mum d'embauchage soit fixé à 27 ans a été défini
comme «le problème du renversement des âges». Le
tribunal d'appel l'a décrit dans les termes suivants
à la page 74 [D/1875 C.H.R.R.] de sa décision:
Le problème du renversement des âges a trait au potentiel de
conflit dans la cabine dans le cas où un nouveau pilote plus âgé
devrait, à cause du système d'ancienneté, se retrouver sous le
commandement d'un pilote plus jeune. Le plus âgé pourrait
mettre en doute l'autorité du plus jeune, causant une rupture
dangereuse dans la chaîne de commandements.
À la même page, le tribunal d'appel a fait l'appré-
ciation suivante de la preuve quant à ce problème:
Encore une fois, la preuve à l'appui de la possibilité d'un tel
problème n'implique que des observations isolées. Elle était tout
au plus, impressionniste. Elle était contrée par une preuve
démontrant que le renversement des âges est courant dans
l'aviation militaire et n'a apparemment pas créé de problème
dans ce domaine.
Le tribunal d'appel s'est montré tout à fait juste en
définissant ainsi la preuve. S'il en était resté là, il
n'aurait pas été possible d'alléguer qu'il avait
commis une erreur de droit. Il a toutefois ajouté:
Dans la mesure où le renversement des âges pourrait créer le
problème que l'on a décrit, ce problème semblerait découler
simplement de l'attitude de l'individu plus âgé, et indique une
partialité fondée sur l'âge. Un pilote plus âgé qui mettrait en
doute l'autorité d'un plus jeune qui est en position de comman-
dement en raison de l'âge, agirait sur la prétention que l'âge
donne droit à une position supérieure. Si pareilles attitudes
équivalaient à des exigences professionnelles normales, cette
clause dérogatoire pourrait donner ouverture à des formes de
discrimination des plus répréhensibles, parce que des attitudes
fondées sur des préjugés créent en fait des problèmes si la
discrimination n'a pas lieu. Les employés en place qui s'objec-
tent à travailler avec des membres d'un autre groupe créeront
sans doute des problèmes si des membres de cet autre groupe
sont embauchés. L'employeur pourrait soutenir qu'il s'agit
d'une exigence professionnelle normale et refuser d'embaucher
des personnes qui appartiennent à un groupe donné. Ce tribunal
est d'avis qu'il serait nettement contraire à l'esprit de la législa-
tion de permettre que des problèmes qui découlent d'attitudes
qui reflètent la partialité fondée sur un motif de discrimination
interdit par la Loi canadienne sur les droits de la personne,
puissent se justifier en droit comme étant des exigences profes-
sionnelles normales. Pour cette raison, et aussi parce que la
preuve à l'effet que le renversement des âges constitue un
problème considérable n'est pas suffisante, cet argument n'est
pas valable pour soutenir l'existence d'une exigence profession-
nelle normale.
En toute déférence, le tribunal d'appel a commis
une erreur de droit en concluant que l'esprit de la
Loi canadienne sur les droits de la personne empê-
chait de conclure que le problème du renversement
des âges pouvait constituer une exigence profes-
sionnelle normale. La Loi a pour but non seule-
ment d'interdire la discrimination fondée sur des
motifs prescrits, mais de permettre cette discrimi
nation lorsqu'elle constitue une exigence profes-
sionnelle normale. Il faut trancher le litige en
appliquant la loi aux faits démontrés par la preuve
et non en préférant un objectif de la loi à un autre.
À mon avis, cette erreur de droit n'a eu aucun
effet sur la décision du tribunal d'appel qui avait
déjà tranché le problème du renversement des âges
en se fondant sur des motifs appropriés. Cette
erreur de droit ne constitue donc pas un motif pour
annuler la décision en vertu de l'article 28.
À la page 76 [D/1876 C.H.R.R.], le tribunal
d'appel a invoqué les témoignages des experts cités
par Air Canada.
Dans leurs témoignages, les Dr' St. Pierre et Busby ont
appuyé sur le fait que l'incidence d'incapacité augmentait avec
l'âge, ce qui justifierait les distinctions fondées sur ce motif. En
outre, tous les deux se disaient sceptiques que nous puissions au
moyen de la science médicale découvrir, dans une mesure
fiable, des conditions débilitantes. Ce qui les conduisait à en
conclure que, étant donné que l'incidence d'incapacité aug-
mente avec l'âge, le risque qu'une incapacité ne soit pas décou-
verte augmente aussi, rendant l'âge un moyen de sélection
justifiable pour combattre le risque relatif à la sécurité au cours
des opérations aux commandes d'un avion.
Il a dit à la page 79 [D/1876 C.H.R.R.]:
Le sophisme dans l'approche des D' St. Pierre et Busby est
qu'elle tend à assumer que le fait qu'il y ait un rapport entre
l'âge et l'incapacité n'est non seulement un fondement néces-
saire, mais qu'il suffit pour maintenir que l'âge constitue une
exigence professionnelle normale. La prémisse fondamentale de
la législation sur les droits de la personne est que l'on doit
évaluer les mérites d'un individu. Autrement, il serait possible
de démontrer l'exigence professionnelle normale en s'appuyant
simplement sur les moyennes statistiques des caractéristiques
des groupes. Ce qui équivaudrait simplement à une nouvelle
forme de stéréotypie qui serait encore plus odieuse, si possible,
que les préjugés traditionnels étant donné qu'elle reposerait sur
une base apparemment scientifique.
On trouve une déclaration semblable à la page 87.
En toute honnêteté pour le tribunal d'appel, il faut
souligner qu'il était d'accord avec l'expert des
intimés, le Dr Mohler, quant à la preuve du même
point. Cela n'est pas considéré comme une erreur
dans la présente demande.
Je ne vois pas comment on pourrait conclure,
pour une raison ou pour une autre, qu'une incapa-
cité reliée à l'âge dont la présence s'est avérée
essentielle pour constituer une exigence profession-
nelle normale, n'est pas suffisante. Le tribunal
d'appel a encore une fois commis une erreur de
droit pour la même raison de politique, semble-t-il,
que dans le cas du problème du renversement des
âges. Comme je l'ai déjà dit, le fait de permettre
qu'une préférence pour une politique plutôt qu'une
autre influence son examen objectif de la preuve
constituait une erreur de droit.
Le tribunal d'appel a également commis une
erreur en rejetant la preuve fondée sur des statisti-
ques. Une telle preuve est tout à fait admissible et
ne doit pas être rejetée sommairement. Elle peut
établir qu'il est à tout le moins peu pratique de
traiter individuellement avec une catégorie d'em-
ployés et que, dans leur cas, un acte discrimina-
toire constitue en réalité une exigence profession-
nelle tout à fait justifiée.
Enfin, Air Canada allègue qu'une erreur a été
commise quant au fardeau de la preuve qui lui a
été imposé. Elle soutient que, pour satisfaire au
critère objectif énoncé dans l'arrêt Etobicoke, il lui
suffisait de prouver l'existence d'un débat médical
sur l'effet du vieillissement sur l'exercice en toute
sécurité des fonctions de pilote. Une fois ce fait
prouvé, elle avait le droit de présumer, selon elle,
que lorsque ce débat prendrait fin, ce serait la
position la plus pessimiste qui se révélerait juste et
qu'elle avait le droit d'y répondre par sa politique
d'embauchage. Toute autre réponse serait impru-
dente. L'obliger à aller plus loin dans sa preuve a
entraîné une usurpation par le tribunal d'appel de
l'obligation et de la responsabilité d'Air Canada
quant à l'exploitation sans danger de sa compagnie
d'aviation. Les intimés prétendent pour leur part
que le critère objectif de l'arrêt Etobicoke exigeait
la preuve d'un danger réel et non simplement une
crainte raisonnable de danger.
Je crois qu'il est peu judicieux d'essayer de
trancher cette question en se fondant sur une
situation purement hypothétique. Si cette question
était en litige en l'espèce, elle se rapporterait direc-
tement à un problème connexe et indirectement
seulement au point en litige: la justification de la
politique relative à l'âge maximum d'embauchage.
A cet égard, c'est la même chose que les erreurs du
tribunal d'appel dans sa façon d'aborder les témoi-
gnages d'experts et la preuve fondée sur des statis-
tiques. Il s'agissait d'erreurs; cela aurait pu être le
cas, mais aucune de celles-ci ne touchait le fond du
litige. Elles ont toutes été commises par le tribunal
d'appel dans son examen des effets du vieillisse-
ment sur les pilotes et des problèmes de sécurité
qui en découlent; aucune n'a été commise dans son
appréciation du rapport entre la politique en cause
et ces préoccupations et dangers.
Présumant, sans toutefois décider, que les effets
du vieillisement des pilotes pour la sécurité sont
aussi néfastes que la preuve l'a laissé entendre, Air
Canada a échoué en ne réussissant pas à établir un
rapport vraisemblable entre ces dangers et sa poli-
tique fixant l'âge maximum d'embauchage à 27
ans afin de prouver que cette politique constitue
une exigence professionnelle normale fondée sur
ses préoccupations quant à la sécurité. Le tribunal
d'appel n'a pas commis d'erreur en concluant ainsi.
Air Canada n'a pas contesté, en l'espèce, la con
clusion selon laquelle la politique ne pouvait repo-
ser sur des motifs économiques.
Je rejetterais la présente demande fondée sur
l'article 28.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Cette demande présen-
tée conformément à l'article 28 est le premier cas
soumis aux tribunaux canadiens concernant la dis
crimination fondée sur l'âge d'embauchage.
Les cinq plaignants (les intimés en l'espèce, de
même que la Commission canadienne des droits de
la personne) étaient âgés de 32 à 41 ans au
moment où Air Canada a refusé de les embaucher
comme pilotes entre mars et septembre 1978. Ils
allèguent que, en refusant de les employer comme
pilotes en raison de leur âge, Air Canada a commis
un acte discriminatoire en vertu des articles 7 et 10
de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Air Canada a justifié sa préférence quant à l'âge
en indiquant qu'il s'agissait d'une exigence profes-
sionnelle normale en vertu de l'alinéa 14a)'.
Les articles pertinents de la Loi sont les
suivants:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation
canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compé-
tence du Parlement du Canada, aux principes suivants:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs
devoirs et obligations au sein de la société, â l'égalité des
chances d'épanouissement, indépendamment des considéra-
tions fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la
couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou
l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de leurs
handicaps physiques;
' Les avocats des deux parties sont d'accord pour dire qu'il ne
faudrait pas faire de distinction entre les expressions exigence
professionnelle réelle et exigence professionnelle normale. J'uti-
lise donc l'une ou l'autre expression qui est employée dans le
texte législatif auquel je fais référence.
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc
tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine
nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la
situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière
d'emploi, sur un handicap physique.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un
individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur
ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les
mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation,
l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un
emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible
d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu
ou d'une catégorie d'individus.
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions,
conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils
sont fondés sur des exigences professionnelles normales;
Depuis août 1978, la politique d'embauchage de
pilotes suivie par Air Canada est la suivante:
Pour pouvoir être interviewé par le conseil
* Le candidat doit avoir reçu une recommandation à cet effet à
la suite de l'entrevue initiale.
* La préférence est donnée aux postulants:
1. Qui possèdent un diplôme de formation en aviation ou
qui ont reçu une formation militaire.
2. Qui possèdent un diplôme universitaire.
3. Qui peuvent justifier d'un autre niveau d'instruction (au
moins égal à celui exigé pour l'entrée à l'université).
Pour pouvoir être convoqué à une entrevue initiale
* Le candidat doit avoir tenu son dossier à jour depuis la
dernière étude de son dossier.
* Le candidat doit travailler présentement comme pilote.
* Le candidat doit avoir une acuité visuelle de 20/20. Il faut
noter qu'un candidat dont l'acuité visuelle est de moins de
20/20 peut être considéré s'il est possible de ramener son
acuité visuelle à 20/20 à l'aide de verres correcteurs et si les
médecins spécialistes du personnel navigant d'Air Canada
approuvent la candidature en question, ce qui doit être fait
avant l'entrevue initiale.
* Le candidat doit être citoyen canadien ou s'être établi au
Canada avec le statut «d'immigrant reçu».
Expérience
Âge: Si le candidat est âgé de plus de 27 ans, il doit posséder
une mention de qualification de transport aérien en plus
de qualifications spéciales, comme l'expérience dans le
domaine militaire ou dans le domaine de l'aviation, être
diplômé d'aviation ou détenir un diplôme universitaire,
etc.
Si le candidat est âgé de 25 à 27 ans, il doit posséder une
mention de qualification de transport aérien ou détenir
un brevet de pilote senior commercial canadien et il doit
posséder une mention de qualification de vol aux instru
ments de classe normale 1.
La préférence est donnée:
1. Aux diplômés d'aviation ou à ceux qui ont reçu une
formation militaire.
2. À ceux qui détiennent un diplôme universitaire.
3. À ceux qui peuvent justifier d'un autre niveau d'éduca-
tion (au moins égal à celui exigé pour l'entrée à
l'université).
Les candidats âgés de 20 à 25 ans doivent être
titulaires du brevet de pilote commercial ou d'un
brevet plus élevé; ils doivent avoir obtenu la mention
de qualification de vol aux instruments de classe
normale 1 et doivent avoir effectué un minimum de
700 heures de vol.
La préférence est donnée:
1. Aux diplômés d'aviation ou à ceux qui ont reçu une
formation militaire.
2. À ceux qui détiennent un diplôme universitaire.
3. À ceux qui peuvent justifier d'un autre niveau d'éduca-
tion (au moins égal à celui exigé pour l'entrée à
l'université).
Pour que son dossier soit considéré comme un dossier «actif»
* Le candidat ne doit pas être âgé de plus de 27 ans à moins
qu'il ait reçu la mention de qualification de transport aérien,
et
* Il ne doit pas avoir dépassé l'âge de 29 ans à moins d'avoir
reçu la mention de qualification de transport aérien et d'avoir
des qualifications spéciales, comme par exemple un grand
nombre d'heures de vol, un diplôme universitaire, un diplôme
d'aviation, une formation militaire, etc.
* Son acuité visuelle doit être de 20/20.
Il faut noter que les candidats ayant une acuité visuelle de
moins de 20/20 pourront être considérés s'il est possible de
ramener cette acuité visuelle à 20/20 à l'aide de verres
correcteurs et que la candidature soit approuvée par les
médecins spécialistes du personnel navigant d'Air Canada, et
cela avant qu'une entrevue initiale ne soit accordée. La
norme d'acuité visuelle ne peut pas être moins que 20/50.
* Le candidat doit être citoyen canadien ou s'être établi au
Canada avec le statut «d'immigrant reçu».
* Le dossier doit avoir été tenu à jour depuis les deux dernières
années.
* Le candidat doit être présentement engagé dans des activités
de pilotage.
* Le candidat doit avoir un niveau d'instruction au moins égal
à celui exigé pour l'entrée à l'université.
* Le candidat ne doit pas avoir dépassé l'âge de 31 ans, à
moins qu'il puisse justifier de qualifications spéciales.
Dans les autres cas, le dossier ne sera pas considéré comme
dossier «actif»
La candidature de trois des cinq plaignants a été
rejetée en vertu de cette politique. Celle des deux
autres a été rejetée en vertu de lignes de conduite
substantiellement identiques.
On remarquera qu'Air Canada n'oppose pas de
fin de non-recevoir absolue à l'embauchage de
pilotes âgés même de plus de 31 ans, mais que
l'article 10 de la Loi indique que le fait de fixer ou
d'appliquer des lignes de conduite peut constituer
un acte discriminatoire et qu'il suffit qu'elles
soient appliquées d'une manière susceptible d'anni-
hiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un
individu ou d'une catégorie d'individus pour un
motif de distinction illicite, et enfin, que l'article 7
n'exige en réalité qu'un traitement différent fondé
sur l'âge. La requérante a admis que, d'un point de
vue pratique, l'âge de 31 ans constituait un point
limite pour l'admission de pilotes à Air Canada et
qu'elle préférait embaucher ceux qui étaient âgés
de 27 ans ou moins. Par conséquent, on n'a pas
contesté devant cette Cour les décisions identiques
rendues par le premier tribunal le 18 mars 1982 et
par le tribunal d'appel le 26 octobre 1983 et
portant qu'il y a eu violation prima facie des
articles 7 et 10.
De l'avis des deux parties, la décision qui fait
autorité sur la question de la discrimination fondée
sur l'âge est l'arrêt Commission ontarienne des
droits de la personne et autres c. Municipalité
d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; 132 D.L.R.
(3d) 14, dans lequel la Cour suprême du Canada
devait examiner, à la lumière des dispositions du
Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap.
318, la question de l'âge de la retraite obligatoire
des pompiers fixé à 60 ans. La Cour a statué que
la preuve impressionniste voulant que la lutte
contre les incendies soit une affaire de jeune
homme n'a pas déchargé l'employeur du fardeau
de prouver que la restriction quant à l'âge était
justifiée.
Les principes dégagés au nom de la Cour par le
juge McIntyre (aux pages 207 213 R.C.S.; aux
pages 19 23 D.L.R.) sont tout à fait pertinents
en l'espèce:
La présente instance porte sur des plaintes de discrimination
en matière d'emploi fondée sur l'âge. Il est reconnu que la
retraite obligatoire à soixante ans constitue un refus d'employer
ou de continuer à employer les plaignants. Même si l'art. 4 du
Code interdit formellement la discrimination fondée sur l'âge,
un employeur peut, en vertu du par. (6), établir une distinction
pour ce motif lorsque l'âge est une exigence professionnelle
réelle du poste ou de l'emploi en question. Lorsque l'exigence
professionnelle réelle est établie, l'employeur a le droit de
mettre les employés à la retraite indépendamment de leurs
aptitudes personnelles, à la seule condition qu'ils aient atteint
l'âge prescrit. On constate donc immédiatement qu'aux termes
du Code, la non-discrimination est la règle générale et la
discrimination, lorsqu'elle est permise, est l'exception.
Lorsqu'un plaignant établit devant une commission d'enquête
qu'il est, de prime abord, victime de discrimination, en l'espèce
que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de
travail, il a droit à un redressement en l'absence de justification
de la part de l'employeur. La seule justification que peut
invoquer l'employeur en l'espèce est la preuve, dont le fardeau
lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence profes-
sionnelle réelle de l'emploi en question. La preuve, à mon avis,
doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en
matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondérance des
probabilités.
La Cour doit examiner deux questions. En premier lieu,
qu'est-ce qu'une exigence professionnelle réelle au sens du par.
4(6) du Code et, en second lieu, l'employeur a-t-il démontré
que les dispositions relatives à la retraite obligatoire qui font
l'objet de la plainte peuvent être ainsi qualifiées? ... Pour
constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction
comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être
imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère
que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne
exécution du travail en question d'une manière raisonnablement
diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués
ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à
l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter
objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant
raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et
économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses
compagnons de travail et le public en général.
La réponse à la seconde question dépend en l'espèce, comme
dans tous les cas, de l'examen de la preuve et de la nature de
l'emploi concerné. Quant à l'élément subjectif de la question,
aucune preuve ne démontre que les motifs de l'employeur
n'étaient pas honnêtes et sincères au sens qui a été décrit. Nous
nous intéresserons donc à l'aspect objectif du critère. Chronolo-
giquement, nous vieillissons tous au méme rythme, mais le
vieillissement, au sens fonctionnel du terme, se fait à des
rythmes très différents et il est difficilement prévisible. Lorsque
le souci de la capacité de l'employé est surtout d'ordre économi-
que, c'est-à-dire lorsque l'employeur s'intéresse à la producti-
vité, et que les conditions de travail ne requièrent aucune
qualification particulière susceptible de diminuer sensiblement
avec l'âge, ou ne comportent pour les employés ou le public
aucun danger exceptionnel qui peut augmenter avec l'âge, il
peut être difficile, voire impossible, d'établir que la retraite
obligatoire à un âge déterminé, sans égard à la capacité d'une
personne en particulier, peut valablement être imposée en vertu
du Code. Dans un emploi de ce genre, à mesure que la capacité
décline, et que ce déclin devient évident, les employés peuvent
être, à juste titre, congédiés ou mis à la retraite.
Devant l'incertitude du vieillissement, deux solutions, à mon
avis, s'offrent à l'employeur. Il peut fixer l'âge de la retraite à
soixante-cinq ans ou plus, et le cas échéant, il ne peut être
accusé de discrimination fondée sur l'âge aux termes du Code.
D'autre part, il peut, en ce qui concerne certains types d'em-
plois, en particulier ceux qui ont trait à la sécurité publique
comme c'est le cas des pilotes de ligne aérienne, des conduc-
teurs de trains et d'autobus, des policiers et des pompiers,
estimer que le risque d'erreur humaine imprévisible que com-
porte le maintien de tous les employés à leur poste jusqu'à
soixante-cinq ans peut justifier l'application à tous les employés
d'un âge de retraite fixé arbitrairement. On peut affirmer que
l'emploi dont il est question en l'espèce entre dans cette catégo-
rie. Même s'il ne fait aucun doute que certaines personnes
âgées de moins de soixante ans peuvent devenir inaptes au
travail de pompier et que maintes personnes plus âgées sont
encore aptes à la tâche, la reconnaissance de cette prémisse
n'aide aucunement à résoudre la seconde question. Dans un
métier où, comme en l'espèce, l'employeur cherche à justifier la
retraite par la sécurité publique, le commissaire enquêteur et la
cour doivent, pour décider si on a prouvé l'existence d'une
exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie
justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l'âge de
la retraite obligatoire présentent un risque d'erreur humaine
suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans
l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de travail et du public
en général.
Il serait imprudent de tenter de formuler une règle fixe
concernant la nature et le caractère suffisant de la preuve
requise pour justifier la retraite obligatoire avant l'âge de
soixante-cinq ans en vertu des dispositions du par. 4(6) du
Code. En dernière analyse et toujours sous réserve du droit
d'appel prévu à l'art. 14d du Code, le commissaire enquêteur
doit être le juge en cette matière. A l'examen de la question
d'un âge de retraite obligatoire, il semble nécessaire de présen-
ter des éléments de preuve relativement aux tâches à accomplir
et au rapport entre le vieillissement et l'exécution sûre et
efficace de ces tâches. Un bon nombre de facteurs doivent être
considérés et il semble essentiel que la preuve porte sur les
aspects détaillés des tâches à accomplir, les conditions régnant
sur les lieux de travail et l'effet de ces conditions sur les
employés, en particulier sur ceux qui ont atteint ou qui attein-
dront bientôt l'âge qu'on veut prescrire pour la retraite. Le
phénomène du vieillissement a retenu l'attention des médecins
et a fait l'objet de recherches importantes et suivies. Lorsqu'une
limitation de la période d'emploi doit, pour être valide, reposer
sur la preuve que l'extension de cette période après un certain
âge fait naître un danger pour la sécurité publique, il parait
nécessaire que l'employeur, pour s'acquitter du fardeau de la
preuve qui lui incombe, produise une preuve à ce sujet.
Je ne suis pas du tout certain de ce qu'on peut qualifier de
«preuve scientifique». Je ne dis absolument pas qu'une «preuve
scientifique» sera nécessaire dans tous les cas. Il me semble
cependant que, dans des cas comme celui en l'espèce, une
preuve de nature statistique et médicale qui s'appuie sur l'ob-
servation et l'étude de la question du vieillissement, même si
elle n'est pas absolument nécessaire dans tous les cas, sera
certainement plus convaincante que le témoignage de personnes
même très expérimentées dans la lutte contre les incendies,
portant que le travail de pompier est «une affaire de jeune
homme■. L'examen que j'ai fait de la preuve m'amène à
souscrire aux conclusions du commissaire enquêteur. Tout en
étant persuadé que la preuve et les opinions entendues ont été
soumises honnêtement, c'est avec raison, à mon avis, qu'on a dit
qu'elles étaient »impressionnistes» et qu'elles n'étaient pas con-
cluantes. La question de la suffisance et de la nature de la
preuve en la matière a été analysée dans divers arrêts, dont en
particulier: Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499 F. 2d 859
(1974); Little v. Saint John Shipbuilding and Drydock Co.
Ltd. (1980), 1 C.H.R.R. 1. [C'est moi qui souligne.]
La requérante prétend que, compte tenu de l'ar-
rêt Etobicoke, pour établir une exigence profes-
sionnelle normale, elle n'a qu'à fournir une raison
logique selon les faits pour laquelle l'abolition de
l'âge maximum d'embauchage augmentera les ris-
ques de dommages pour ses passagers, même si les
possibilités d'une telle augmentation sont minces.
La Cour suprême a bien précisé dans l'arrêt
Etobicoke que, une fois que le plaignant a établi
une preuve prima facie de discrimination, l'em-
ployeur doit prouver à la fois subjectivement et
objectivement l'existence d'une exigence profes-
sionnelle normale. Le juge McIntyre a clairement
affirmé que la preuve de l'employeur doit être faite
conformément à la règle normale de la preuve en
matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondé-
rance des probabilités. Cette règle s'applique évi-
demment aux éléments objectifs et subjectifs qui
doivent être prouvés.
Les parties en l'espèce admettent, tout comme
les deux tribunaux l'ont constaté, qu'Air Canada a
agi de bonne foi. La contestation a donc été liée au
sujet du critère objectif décrit par la Cour comme
un critère servant à déterminer s'il y a nécessité
raisonnable.
En exposant une méthode objective, la Cour
établit une distinction entre les cas où l'intérêt que
l'employeur porte à la capacité de son employé
repose principalement sur ses propres intérêts éco-
nomiques, et ceux où il repose en grande partie sur
la sécurité publique. Dans le premier cas, l'élément
principal est la possibilité de recourir à des solu
tions de rechange à une politique générale de
retraite obligatoire: «à mesure que la capacité
décline, et que ce déclin devient évident, les
employés peuvent être, à juste titre, congédiés ou
mis à la retraite» (voir plus haut). Dans le
deuxième cas qui concerne les pilotes de ligne
aérienne, les conducteurs de train et d'autobus, les
policiers et les pompiers, la question en jeu est le
risque d'erreur humaine existant pour le public
étant donné qu'il peut justifier l'application d'un
âge de retraite fixé arbitrairement: existe-t-il «un
risque d'erreur humaine suffisant pour justifier la
mise à la retraite prématurée» (voir plus haut)?
L'avocat de la requérante en l'espèce a naturelle-
ment choisi d'appuyer son argumentation sur le
motif de justification le plus convaincant qui porte
sur la sécurité publique.
Comme il ressort de l'analyse du juge McIntyre,
le risque d'erreur humaine pour le public et la
possibilité de recourir à des solutions de rechange
sont deux éléments inversement proportionnels qui
doivent être examinés l'un par rapport à l'autre
afin de déterminer l'équilibre adéquat: lorsque le
risque pour la sécurité publique est minime, on
identifiera facilement les solutions de rechange
possibles à l'exigence professionnelle, et lorsque le
risque est grand, on examinera plus attentivement
les solutions de rechange proposées.
La requérante prétend que la citation par la
Cour suprême de la décision américaine Hodgson
v. Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859 (7th Cir.
1974), certiorari refusé, 95 S. Ct. 805 (1975),
indique qu'elle approuve le raisonnement qui y a
été suivi, de sorte que cette décision constitue en
fait la meilleure interprétation de l'arrêt Etobi-
coke. Il s'agissait également dans cette affaire
d'une politique relative à l'âge maximum d'embau-
chage, et la Cour d'appel des É.-U., Septième
Circuit, s'est dite d'avis que même l'augmentation
éventuelle des risques de dommages était suffi-
sante pour justifier une exigence professionnelle
normale pour un employeur (aux pages 863 à
865):
[TRADUCTION] ... Greyhound doit prouver qu'elle a en réalité
une raison logique de croire que la suppression de l'âge maxi
mum d'embauchage augmentera les risques de dommages pour
ses passagers. Greyhound n'a cependant qu'à prouver une
augmentation minime des risques, car il lui suffit de montrer
que l'abolition de sa politique d'embauchage pourrait mettre en
danger la vie d'une personne de plus que ce ne serait le cas en
vertu de la pratique d'embauchage actuelle.
À notre avis, la position de Greyhound quant à l'augmentation
éventuelle des risques de dommages qui découlerait de l'aboli-
tion de l'âge maximum d'embauchage est justifiée et repose sur
des données factuelles adéquates. Greyhound n'a pas besoin
d'atteindre le degré de certitude exigé par le gouvernement et la
cour de district car cela lui demanderait d'aller jusqu'à expéri-
menter le genre de vie de ses passagers afin de produire une
preuve de nature statistique concernant les capacités des candi-
dats nouvellement engagés et âgés de quarante à soixante-cinq
ans. Greyhound a largement démontré que sa politique quant à
l'âge maximum d'embauchage repose sur un jugement de
bonne foi relativement aux besoins de sécurité de ses passagers
et autres personnes. Elle a établi que sa politique d'embauchage
ne résulte pas d'une croyance arbitraire, dénuée d'objectivité ou
de logique. [C'est moi qui souligne.]
Le degré d'approbation que le juge McIntyre
veut accorder ne ressort pas clairement des termes
qu'il a employés en mentionnant l'affaire Grey
hound, mais le fait qu'il cite cette affaire avec la
décision de la Commission d'enquête du Nouveau-
Brunswick dans Little v. Saint John Shipbuilding
and Drydock Co. Ltd. (1980), 1 C.H.R.R. D/1,
donne une indication sur son intention. Il s'agis-
sait, dans l'affaire Little, de la retraite obligatoire
d'un conducteur de ponts roulants à l'âge de 65
ans. Non seulement la Commission a-t-elle rendu
une décision contraire à celle de Greyhound (le
plaignant a été réinstallé dans son poste sous
réserve d'examens médicaux), mais les opinions
incidentes sont à l'encontre de celles de la décision
américaine. Commentant la situation des conduc-
teurs d'autobus examinée dans Greyhound, la
Commission a dit (aux pages D/5 à D/7):
[TRADUCTION] Il s'agit manifestement dans ce cas d'être en
mesure de déterminer ce qui constitue le facteur minimum de
risque acceptable. En décidant d'adopter le principe que l'âge
ne doit pas constituer un élément de la politique d'embauchage
des employeurs, il est possible que le législateur ait en même
temps décidé que la société doit être prête à accepter le risque
additionnel qui peut accompagner le fait d'interdire toute dis
crimination fondée sur l'âge ...
... si le Code interdit la retraite obligatoire en raison de l'âge
chronologique, il sera nécessaire de mettre au point des moyens
très complexes permettant de vérifier et de déterminer si une
personne a atteint le stade où l'âge biologique affecte sa
capacité d'exercer les fonctions de son poste. Cela peut signi-
fier, dans certains cas, l'acceptation d'un risque beaucoup plus
grand pour la sécurité publique que celui qui existait aupara-
vant. Il semblerait que, même dans les situations idéales, il soit
souvent nécessaire d'accepter en raison des réalités en jeu un
rendement inférieur au meilleur rendement possible. Tant que
ces risques pour la sécurité publique n'excéderont pas la norme
minimale acceptable, l'abolition de l'âge de la retraite obliga-
toire ne créera pas, semble-t-il, de problèmes inutiles. [C'est
moi qui souligne.]
Il existe toute une différence entre «une aug
mentation minime des risques» et «un risque
minime acceptable», cette dernière expression lais-
sant entendre contrairement à la première qu'il est
possible de mesurer l'acceptabilité d'un risque. Le
juge Matheson avait raison d'insister pour dire
dans l'affaire Moose Jaw v. Sask. Human Rights
Comm., [1984] 4 W.W.R. 468 (B.R. Sask.), qu'on
ne peut assimiler le critère du «risque suffisant»
dégagé dans l'arrêt Etobicoke au «risque inaccep-
table», mais il est erroné de croire que les tribu-
naux américains souscrivent à la théorie du «risque
inacceptable».
Il ressort donc clairement des décisions citées
par le juge McIntyre qu'il n'avait pas l'intention en
les invoquant d'approuver une manière particulière
de mesurer le risque. Néanmoins, le fait qu'il ait
lui-même présenté le litige en affirmant qu'il
s'agissait de déterminer s'il existait «un risque
d'erreur humaine suffisant», indique la reconnais
sance d'un certain degré de risque qui correspond
davantage à la notion de risque «acceptable» qu'à
celle de risque «minime».
Il vaut la peine de souligner que le point de vue
adopté dans Greyhound est loin de faire l'unani-
mité devant les tribunaux américains, même s'il a
été suivi dans l'arrêt Murnane v. American Airli
nes, Inc., 667 F.2d 98 (1981), 100 et 101, certio-
rari refusé, 102 S. Ct. 1770 (1982), où la Cour
d'appel du District de Columbia a confirmé qu'une
norme fixée à quarante ans constituait une exi-
gence professionnelle normale:
[TRADUCTION] L'appelant prétend que la conclusion de la
cour de district indique seulement une augmentation négligea-
ble de la sécurité pour les passagers dans des avions de l'Ameri-
can et qu'une telle augmentation de la sécurité est insuffisante
pour justifier une règle de portée générale quant à l'âge. Il
affirme qu'une exigence professionnelle normale ne peut s'ap-
puyer sur une augmentation minime de la sécurité lorsqu'on la
considère en fonction du fait que bon nombre des candidats
éventuels ne pourront poursuivre la carrière qu'ils ont choisie.
Nous ne sommes pas d'accord avec ces affirmations.
[2] Nous croyons au contraire qu'il est «raisonnablement
nécessaire pour l'exploitation normale» de la compagnie Ameri-
can Airlines de maximiser la sécurité. Le transport en toute
sécurité des passagers constitue l'essence même de l'exploita-
tion de la compagnie American Airlines ... Nous sommes par
conséquent d'avis qu'il faut accorder à l'industrie du transport
aérien beaucoup de liberté d'action et le pouvoir de déterminer
la manière la plus sûre dont elle peut être exploitée ... Cela
concorde avec l'opinion de la compagnie American selon
laquelle il ne suffit pas que le transport aérien soit «sûr». Il doit,
au contraire, être «le plus sûr» possible; c'est là le but ultime. À
notre avis, les tribunaux n'ont pas la compétence leur permet-
tant, dans une affaire où les questions de sécurité constituent
l'élément décisif, de substituer leur jugement à celui de
l'employeur.
La politique obligatoire [TRADUCTION] «de la
promotion ou du renvoi» de la compagnie d'avia-
tion pour ses pilotes, jointe à son programme de
promotion au grade de capitaine s'échelonnant sur
une période de 10 15 ans, constituait un fait
déterminant dans cette affaire, étant donné qu'une
personne engagée dans la quarantaine à titre d'of-
ficier navigant ne pourrait, par conséquent, agir
que brièvement comme capitaine avant sa retraite
obligatoire fixée à 60 ans.
Sept jours après la décision rendue dans Mur-
nane et sans invoquer celle-ci, la Cour d'appel des
É.-U., Quatrième Circuit, a statué dans l'affaire
Smallwood v. United Air Lines, Inc., 661 F.2d 303
(1981), 307, certiorari refusé, 102 S. Ct. 2299
(1982), que la règle sur laquelle une autre compa-
gnie aérienne se fondait pour refuser d'embaucher
des pilotes âgés de plus de 35 ans ne constituait
pas une exigence professionnelle normale:
[TRADUCTION] Pour justifier un refus d'embaucher quelqu'un
en vertu de l'exception relative aux exigences professionnelles
normales prévue dans la Age Discrimination in Employment
Act, l'employeur doit satisfaire à un double critère en
démontrant:
(1) que l'exigence professionnelle normale qu'il invoque est
raisonnablement nécessaire à la nature même de son entre-
prise ... et (2) qu'il a un motif raisonnable, c'est-à-dire
fondé sur des faits réels, de croire que toutes ou pratiquement
toutes les personnes de la catégorie ... seraient incapables
d'exécuter efficacement et sans danger les tâches de l'emploi
en cause, ou qu'il est impossible ou peu pratique d'examiner
individuellement le cas de chaque personne ayant dépassé
l'âge limite.
La Cour a ajouté que l'exception relative à l'exi-
gence professionnelle normale doit être [TRADUC-
TION] «appliquée de manière restrictive» (voir cita
tion qui précède, à la page 307).
C'est ce passage que je viens de reprendre que le
tribunal d'appel a cité avec le commentaire sui-
vant: «À notre avis, ce test est semblable, en
susbstance, à celui établi par la Cour suprême du
Canada dans Etobicoke». La requérante soutient
que ce point de vue constitue une erreur de droit
manifeste au dossier.
Avant d'examiner ce point, je voudrais seule-
ment souligner que la même Cour d'appel du
Septième Circuit qui a rendu la décision dans
Greyhound a refusé d'appliquer cette décision telle
quelle dans un cas concernant la retraite obliga-
toire à 55 ans d'un chef adjoint de pompiers: Orzel
v. City of Wauwatosa Fire Dept., 697 F.2d 743
(1983), aux pages 752 et 753:
[TRADUCTION] Citant la décision de cette cour dans l'affaire
Hodgson y Greyhound Lines, Inc., ... la ville allègue qu'on
aurait dû exiger simplement qu'elle démontre que sa décision
.[repose sur] un jugement de bonne foi relativement aux
besoins de sécurité» de ses citoyens et que sa politique au sujet
de la retraite obligatoire devrait être maintenue tant que ladite
politique «ne résulte pas d'une croyance arbitraire, dénuée
d'objectivité et de logique» ... Nous rejetons une interprétation
aussi large de la décision rendue dans Greyhound .. .
Nous croyons que l'affaire Greyhound appuie l'opinion vou-
lant que, pour faire valoir une défense fondée sur une exigence
professionnelle normale, un employeur doit prouver que l'exi-
gence contestée portant sur l'âge se rapporte raisonnablement à
«l'exploitation même» de son entreprise, et il doit démontrer soit
qu'il existe des faits réels permettant de croire que toutes ou
pratiquement toutes les personnes ayant dépassé l'âge limite
seraient incapables de s'acquitter efficacement des obligations
reliées à l'emploi, ou qu'il est impossible ou peu pratique de
déterminer la capacité d'occuper un poste en examinant indivi-
duellement le cas de chaque personne. Cette double interpréta-
tion de la défense fondée sur l'exigence professionnelle normale
est compatible avec le critère adopté par le Cinquième Circuit
dans l'affaire Usery v. Tamiani Tours, Inc., 531 F. 2d 224,
235-236 (5th Cir. 1976), où étaient invoquées les mêmes déci-
sions du Cinquième Circuit citées par la cour dans Greyhound;
elle est également en accord avec le point de vue adopté par
presque toutes les autres cours de circuit qui ont examiné la
portée de l'exception relative à l'exigence professionnelle
normale.
L'argument d'Air Canada est exactement le
même en l'espèce que celui qui a été rejeté par la
Cour dans l'affaire Orzel, à savoir qu'une exigence
professionnelle normale est établie lorsque l'em-
ployeur prouve que les faits lui permettent logique-
ment de croire que l'exigence diminue les risques
de dommages. En l'instance, l'avocat s'est dit
d'avis au cours des débats que, lorsqu'il existe deux
ou trois points de vue logiques reposant sur les
faits et découlant de témoignages d'experts, le
tribunal n'a d'autre choix que d'accepter celui
choisi par l'employeur. Quoi qu'il en soit, cela ne
constitue pas une preuve reposant sur la prépondé-
rance des probabilités, et en fait, la requérante a
soutenu que les normes de preuve s'appliquaient
seulement pour démontrer qu'il existait un fonde-
ment logique au point de vue choisi et non pour
prouver que celui-ci était plus vraisemblable que
les autres hypothèses. Cela est conforme à l'idée
que l'existence d'un risque minime pour la sécurité
publique justifie une exigence professionnelle
normale.
Je crois qu'il ressort de l'analyse en l'espèce de
l'arrêt Etobicoke qu'on ne peut pas l'interpréter
ainsi parce qu'une telle interprétation ne s'accorde-
rait ni avec les normes de preuve qu'il exige ni avec
la nécessité d'un risque suffisant comme justifica
tion.
Dire ce que l'arrêt Etobicoke ne signifie pas ne
permet pas d'établir ce qu'il veut dire avec assez de
précision pour pouvoir l'appliquer. Comme je l'ai
déjà mentionné, le tribunal d'appel a conclu que le
double critère énoncé dans l'affaire Smallwood v.
United Airlines, Inc. était «semblable, en sub
stance». Selon moi, il poursuit le raisonnement
adopté dans l'arrêt Etobicoke, mais en demeurant
compatible avec celui-ci.
Dans Etobicoke, la Cour a établi que les deux
facteurs inversement proportionnels que sont le
degré de risque et la possibilité de recourir à des
solutions de rechange déterminent ce qui constitue
une exigence professionnelle normale, examinée
objectivement, et elle conclut qu'il fallait trouver
un équilibre entre ces deux facteurs en tenant
compte des circonstances. On peut considérer que
le double critère dégagé par les tribunaux améri-
cains constitue une étape préliminaire dans la
détermination d'une exigence professionnelle nor-
male.
Suivant le critère dégagé aux États-Unis, le
premier volet du fardeau de la preuve incombant à
l'employeur consiste à montrer que l'exigence pro-
fessionnelle normale qu'il invoque est raisonnable-
ment nécessaire à la nature même de son entre-
prise; il s'agit de l'opposition entre l'élément de
risque et la sécurité, et il est possible d'y satisfaire
en prouvant que l'exigence relative à l'âge maxi
mum d'embauchage est raisonnablement néces-
saire pour assurer la sécurité du public, ce qui de
l'avis général constitue la nature même d'une
entreprise de transport aérien. Le second volet
exige que l'employeur prouve qu'il a des motifs
raisonnables de croire que toutes ou pratiquement
toutes les personnes faisant partie de la catégorie
en cause seraient incapables de remplir efficace-
ment et sans danger les fonctions de leur poste, ou
qu'il serait impossible ou peu pratique d'examiner
chaque cas individuellement pour sauvegarder la
sécurité du public; c'est ce qui constitue l'élément
«possibilité de recourir à des solutions de
rechange», et il est possible d'y satisfaire en prou-
vant que, même si dans plus d'un cas les effets du
vieillissement n'ont pas compromis la sécurité, cel-
le-ci ne pourrait pas être préservée efficacement
par un examen individuel de chaque cas, compte
tenu de nos ressources scientifiques actuelles.
Il ressort de la lecture de la preuve déposée
qu'Air Canada pourrait bien ne pas avoir satisfait
aux deux volets de ce critère immédiat; il semble
néanmoins que, après avoir approuvé le critère
dégagé aux Etats-Unis, le tribunal d'appel soit
arrivé au même résultat en se fondant entièrement
sur le libellé plus général du critère dégagé dans
l'arrêt Etobicoke. Il serait difficile de trouver à
redire à cette description de la responsabilité du
tribunal d'appel [à la page D/1876]:
Le test légal convenable pour l'exigence professionnelle nor-
male, tel qu'exposé dans la cause Etobicoke, est d'établir si
l'exigence est nécessaire, dans une mesure raisonnable, à l'exé-
cution du travail. Ce qui signifie que le tribunal doit examiner à
la fois la nécessité de la règle et la nature raisonnable de celle-ci
à la lumière de cette nécessité.
Il faut cependant noter que cette extension donnée
à la règle établie par l'arrêt Etobicoke pourrait
aussi être décrite comme une version plus som-
maire de la règle dégagée par les tribunaux améri-
cains. De toute façon, la méthode qui y est décrite
constitue, à mon avis, une règle de droit applicable
au Canada et, par conséquent, je passe maintenant
à l'application de cette règle de droit par le tribu
nal d'appel à la preuve versée au dossier.
L'élément de preuve le plus probant invoqué à
l'appui du principe voulant que l'âge constitue une
exigence professionnelle normale pour les pilotes
de ligne aérienne est la preuve médicale. Cette
preuve qui porte à la fois sur les facteurs physiques
et sur les facteurs psychologiques est tirée du
témoignage direct de trois médecins et de rapports
demandés par le Congrès en 1981, l'un provenant
de l'Institute of Medecine of the National Aca
demy of Sciences et l'autre, du National Institute
on Aging of the National Institutes of Health.
Ces deux rapports scientifiques préparés aux
États-Unis portaient sur la question de l'âge de la
retraite obligatoire pour les pilotes. Dans son
étude, l'Ion a identifié comme suit les deux préoc-
cupations d'ordre médical qui ont amené à fixer la
règle de l'âge limite de 60 ans: (1) une augmenta
tion des risques de mort soudaine ou d'incapacité
grave qui compromettraient gravement la sécurité
du pilote si elles survenaient alors qu'il se trouve
aux commandes de l'avion, et (2) une augmenta-
tion des risques d'une incapacité dont les signes
sont moins évidents mais qui pourrait entraîner des
erreurs ou le ralentissement de la perception et des
fonctions cognitives et psychomotrices du pilote et,
par conséquent, l'empêcher d'exercer ses fonctions
en toute sécurité. Le Comité a estimé que l'établis-
sement des facteurs de risque et un examen plus
approfondi des personnes présentant des risques
élevés sont les mesures appropriées pour détermi-
ner quels sont les pilotes dont l'état de santé
représenterait un risque pour la sécurité en raison
d'une incapacité grave. En ce qui concerne l'inca-
pacité dont les signes sont moins évidents, il a
conclu que l'âge aurait peu ou pas d'effets néfastes
sur les compétences techniques d'un pilote
expérimenté.
Dans son étude, le NIA, qui a tenu compte des
avis de l'IOM, a conclu que pour l'instant il fallait
conserver l'âge limite de 60 ans pour les pilotes
commandants de bord et pour les premiers offi-
ciers, mais qu'il fallait mener d'autres études afin
de pouvoir en arriver à appliquer la règle avec
moins de rigueur.
Tout au plus, la preuve médicale versée au
dossier laisse entendre que toute augmentation
notable de la détérioration de l'état de santé ne
commence pas avant l'âge de 40 ans. Il est possible
qu'il existe des arguments défendables pour affir-
mer que l'âge constitue une exigence profession-
nelle normale pour les pilotes âgés de plus de 40
ans, mais on ne peut fonder ces arguments sur des
motifs d'ordre médical pour les pilotes qui ont
moins de 40 ans. La requérante devait par consé-
quent essayer de défendre sa politique d'admission
des pilotes âgés de 27 ans en se fondant sur trois
autres motifs: (1) l'expérience des méthodes cou-
rantes de fonctionnement utilisées au cours de
situations d'apprentissage progressif peut compen-
ser les pertes de capacité causées par le vieillisse-
ment, mais seulement si cette expérience a été
acquise par des méthodes constantes de la même
compagnie aérienne; (2) l'embauchage de jeunes
pilotes permet à la compagnie aérienne de tenir à
long terme des dossiers médicaux au sujet de
chaque pilote et de mettre en œuvre un pro
gramme de santé qui peut à la fois faciliter l'exé-
cution en toute sécurité de la tâche des pilotes et
prolonger leur carrière; (3) la pratique générale
suivie dans l'industrie de l'aviation, en particulier
par les transporteurs de l'IATA.
On admet généralement que la compensation
par l'expérience est un avantage découlant du
vieillissement, mais la preuve au dossier voulant
que les différences dans les méthodes des diverses
compagnies aériennes sont telles que le pilote doit
avoir acquis son expérience dans la même compa-
gnie aérienne est très faible. De plus, il est sans
doute vrai que les dossiers médicaux tenus à long
terme sont précieux pour attirer l'attention du
personnel médical sur les signes de vieillissement;
cependant, il n'y a pas de preuve montrant qu'ils
sont requis pour les personnes qui n'ont pas atteint
l'âge de 40 ans ou, le cas échéant, qu'ils ne pour-
raient être obtenus d'un autre employeur. Enfin,
alors que la pratique généralement suivie dans
l'industrie aérienne favorise sans aucun doute
l'embauchage à un âge maximum peu élevé, même
le statu quo ne peut, en l'absence d'une autre
preuve, justifier l'existence d'une exigence profes-
sionnelle normale. En somme, la preuve invoquée
par la requérante est tout au plus impressionniste
et à mon avis, pratiquement inexistante. J'estime
donc que la manière dont le tribunal d'appel a
résumé la preuve est totalement justifiée par le
dossier [à la page D/1879 C.H.R.R.]:
En résumé, selon la preuve médicale la prétention à l'effet
que l'âge constitue une exigence professionnelle normale pour
l'embauche des pilotes à cause du risque d'incapacité qui
augmente avec l'âge, a un certain fondement. Néanmoins, le
fait que les pilotes continuent à exécuter leurs fonctions de
pilotage jusqu'à l'âge de 60 ans indique que le risque est
acceptable jusqu'à cet âge, étant donné qu'il est possible de
l'éliminer ou le réduire considérablement par la détection médi-
cale de la condition débilitante et par le système de renfort de
l'équipe de trois pilotes. En outre, de toute façon, exception
faite des problèmes cardiovasculaires, la preuve n'indique pas
que le risque de ne pas découvrir une incapacité sérieuse soit
considérable dans le groupe d'âge qui nous intéresse. Or, le
tribunal en conclut que les préoccupations d'ordre médical
énumérées ci-dessus ne sont pas suffisantes pour soutenir qu'il
est raisonnablement nécessaire qu'Air Canada impose l'âge
préférentiel en question en matière d'embauche pour maintenir
une marge de sécurité dans ses opérations aériennes. En ce qui
concerne les problèmes cardiovasculaires, les deux premières
raisons pour conclure qu'Air Canada n'a pas satisfait au test de
nécessité raisonnable incitent encore une fois le tribunal à tirer
la même conclusion, bien que l'existence d'un risque d'incapa-
cité sérieuse ne soit pas mise en doute, le fait demeure que ce
risque existe présentement chez les pilotes de plus de 40 ans qui
ont été embauchés lorsqu'ils étaient plus jeunes. L'évaluation
de la capacité de l'individu, sans égard à l'âge, est une alterna
tive qui est à la fois légalement préférable et adéquate.
La conclusion du tribunal d'appel [à la page
D/1883] quant aux facteurs économiques est éga-
lement à suivre:
Pour réussir à justifier une exigence professionnelle normale
raisonnablement nécessaire fondée sur les coûts économiques, le
tribunal aurait besoin de beaucoup plus de preuve sur les coûts
et bénéfices réels en cause qu'il en a présentement devant lui.
La preuve en main ne permet nullement d'établir quelle est la
période minimale sur laquelle Air Canada pourrait raisonnable-
ment s'attendre d'amortir les frais d'embauche d'un nouveau
pilote. Compte tenu que c'est l'employeur qui doit démontrer la
nécessité de l'exigence professionnelle normale, cette carence
est fatale à la prétention d'Air Canada à l'effet que la limite
d'âge d'embauche de 27 ans constitue une telle exigence sur la
base des prévisions de rendement.
De toute façon, on n'a même pas insisté sur cet
aspect de l'affaire devant la Cour.
En résumé, le paragraphe 28(1) de la Loi sur la
Cour fédérale ne peut justifier l'annulation de la
décision du tribunal d'appel. Ce dernier n'a pas
manqué d'observer les règles de la justice naturelle
ni excédé sa compétence; il n'a pas commis une
erreur de droit et n'est pas arrivé à une conclusion
de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbi-
traire ou sans tenir compte des éléments portés à
sa connaissance. Les erreurs qu'il a pu commettre
étaient isolées ou insignifiantes ou encore, résul-
taient de l'emploi d'expressions mal choisies pour
exprimer sa décision. C'est sur cette base que
j'expliquerais, comme l'a souligné mon collègue le
juge Mahoney, l'interprétation que le tribunal
d'appel a fait de la preuve relative au renversement
des âges ou de la preuve médicale présentée par
Air Canada. Si je comprends l'intention du tribu
nal d'appel, il ne voulait pas tant interpréter la
preuve en tenant compte de ses préférences quant
à la politique à suivre qu'insister sur une applica
tion restrictive de l'exception créée par l'exigence
professionnelle normale comme l'avait recom-
mandé le tribunal dans l'affaire Smallwood v.
United Air Lines, Inc., précitée.
Comme le prouve l'article 2 de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne, le Parlement
a pris une décision fondamentale en donnant préfé-
rence aux droits des individus sur les valeurs socia-
les concurrentes. Cette préférence n'est pas abso-
lue. En fait, elle est restreinte dans le présent
contexte par le droit d'un employeur d'établir
l'existence d'une exigence professionnelle normale.
Cependant, les tribunaux doivent absolument faire
en sorte que l'existence d'exceptions beaucoup trop
larges ne vienne porter atteinte à l'intention pre-
mière du Parlement de permettre que les personnes
soient jugées principalement au mérite plutôt
qu'en tant que membres d'un groupe. Cela exige
une interprétation restrictive desdites exceptions.
Je rejetterais la demande.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.