T-1478-85
Joseph Horbas et Imelda Horbas (requérants)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré-
taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
Division de première instance, juge Strayer—
Toronto, 3 septembre; Ottawa, 22 octobre 1985.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Immigration
— Requête en certiorari pour obtenir l'annulation de la déci-
sion portant rejet de la demande de visa d'immigrant et en
mandamus pour obtenir que soit traitée une demande de
résidence permanente — Résidence permanente refusée sur le
fondement de l'art. 4(3) du Règlement — Aucun conflit avec la
Charte, la Déclaration des droits ou les règles de la common
law en matière d'équité — Malgré le retard imputable à
l'arriéré des appels pendants devant la Commission d'appel de
l'immigration, il n'existe aucun fondement juridique permet-
tant à la Cour d'exercer son pouvoir d'appréciation en accor-
dant les brefs de prérogative demandés — Vu qu'une impor-
tante question de fait, savoir le critère appliqué par l'agent
d'immigration, n'est pas claire, l'affaire peut être plus facile-
ment tranchée par la Commission — Règlement sur l'immi-
gration de 1978, DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84-
140, art. 1).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive — Art. 4(3) du Règlement sur l'Immigration, qui impose
un critère à deux volets lorsqu'une demande de résidence
permanente est parrainée par un conjoint, constitue une limite
raisonnable qui se justifie au sein d'une société libre et démo-
cratique — L'art. 4(3) a été adopté pour éviter que l'on puisse
contourner les critères de sélection imposés par l'art. 8 en
devenant membre de la catégorie de la famille par le mariage
— Distinction faite d'avec l'arrêt Re Ontario Film & Video
Appreciation Society and Ontario Board of Censors (1984), 45
O.R. (2d) 80 (C.A.), où la loi n'établissait pas de critères —
L'art. 4(3) prévoit deux critères — Règlement sur l'immigra-
tion de 1978, DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84-
140, art. 1), 8 — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fon-
damentales — Liberté d'association — Le droit des conjoints
de vivre ensemble n'est pas garanti de manière absolu en vertu
de la liberté d'association — Application de l'arrêt Alliance de
la Fonction publique du Canada c. La Reine, /19841 2 C.F.
889; 11 D.L.R. (4th) 387 (C.A.) — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 2d) — Règlement sur l'immigration de
1978, DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84-140,
art. 1).
Droit constitutionnel — Charte des droits,— Vie, liberté et
sécurité — L'art. 4(3) du Règlement ne nie pas aux couples
mariés le droit à la liberté en les empêchant de cohabiter au
Canada — La liberté ne vise que les questions relatives à la
liberté physique — Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7.
Loi constitutionnelle — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Traitement cruel et inusité — Les
mots cruel et inusité doivent être lus en corrélation — Lors-
qu'ils se sont mariés les requérants savaient que l'épouse ne
pourrait rejoindre son mari que si elle réussissait à obtenir un
visa — Possibilité de trancher la question dans un délai
raisonnable — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 12 — Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-
172, art. 4(3) (mod. par DORS/84-140, art. I).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — L'art. 4(3) du Règlement n'établit pas de discrimi
nation contre les personnes issues de groupes culturels prati-
quant les mariages organisés et, en l'espèce, il n'a pas un effet
de discrimination — L'art. 4(3) établit un critère à deux volets:
le conjoint n'est exclu que s'il s'est marié principalement dans
le but d'immigrer et s'il n'a pas l'intention de vivre en perma
nence avec son conjoint — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 15 — Règlement sur l'immigration de 1978,
DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84-140, art. I).
Déclaration des droits — Droit à une audition impartiale —
Demande de résidence permanente rejetée en vertu de l'art.
4(3) du Règlement — Puisque ce sont les droits d'un conjoint
étranger qui sont en cause, l'art. 2e) de la Déclaration des
droits ne s'applique pas — Un étranger n'a pas le droit
d'entrer au Canada ou d'y séjourner: Prata c. Ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376 —
L'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration, [1985] 1 R.C.S. 177 a fait une distinction entre cette
affaire et les situations où s'applique l'art. 2e) — Déclaration
canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2e) —
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 4(3)
(mod. par DORS/84-140, art. I).
Immigration — L'art. 4(3) du Règlement relève du pouvoir
de réglementation du gouverneur en conseil d'établir la caté-
gorie de personnes dont la demande de droit d'établissement
peut être parrainée par des citoyens canadiens en vertu de l'art.
115(1)b) de la Loi — Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, chap. 52, art. 115(1)b),c) — Règlement sur l'immi-
gration de 1978, DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84-
140, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Brar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985]
1 C.F. 914 (C.A.); Prata c. Ministre de la Main-d'œuvre
et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376; Singh et autres
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1
R.C.S. 177; Alliance de la Fonction publique du Canada
c. La Reine, [1984] 2 C.F. 889; 11 D.L.R. (4th) 387
(C.A.); Miller et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Ontario Film & Video Appreciation Society and
Ontario Board of Censors (1984), 45 O.R. (2d) 80
(C.A.).
AVOCATS:
K. Zaifman, Barbara Jackman et M.
Schwartz pour les requérants.
Michael W. Duffy pour les intimés.
PROCUREURS:
Tadman Gutkin & Yard, Winnipeg, pour les
requérants.
Chiasson, Jackman, Toronto, agents des pro-
cureurs des requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: On demande en l'espèce un
bref de certiorari en vue de faire annuler la déci-
sion par laquelle les fonctionnaires des intimés ont
refusé une demande de visa d'immigrant présentée
par la requérante Imelda Horbas et parrainée par
son mari, le requérant Joseph Horbas, ainsi qu'un
bref de mandamus qui ordonnerait aux intimés de
traiter ladite demande de résidence permanente au
Canada équitablement et en conformité avec la loi.
Le requérant Joseph Horbas est citoyen cana-
dien. Au début de 1984, il a fait connaissance avec
la requérante Imelda Horbas, une citoyenne des
Philippines qui réside dans ce pays, au moyen d'un
échange de lettres organisé par des membres de la
famille de cette dernière se trouvant au Canada. Il
s'est rendu aux Philippines en septembre 1984 et a
épousé Imelda Horbas le 19 septembre 1984. Il est
revenu au Canada plus tard le même mois. En
septembre, Mme Horbas a apparemment présenté,
à Manille, une demande de résidence permanente
au Canada et, en novembre 1984, M. Horbas a
fourni l'engagement requis, à titre de parrain, à la
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada de Winnipeg. Par lettre datée du 12
décembre 1984, l'ambassade du Canada à Manille
a avisé Mme Horbas que sa demande de résidence
permanente avait été rejetée pour le motif qu'elle
était un conjoint au sens du paragraphe 4(3) du
Règlement [Règlement sur l'immigration de 1978,
DORS/78-172 (mod. par DORS/84-140, art. 1)].
Même si l'alinéa 4(1)a) autorise un citoyen cana-
dien à parrainer une demande de droit d'établisse-
ment présentée par son conjoint, le paragraphe
4(3) dispose:
4....
(3) L'alinéa (1)a) ne s'applique pas au conjoint qui s'est
marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au
Canada à titre de membre de la catégorie de la famille et non
avec l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.
Divers motifs sont avancés dans la lettre pour
justifier cette conclusion. Le 9 janvier 1985, M.
Horbas a reçu une lettre du Centre d'immigration
du Canada de Winnipeg l'informant que la
demande de sa femme avait été rejetée. Par la
même occasion on lui a remis une copie de la lettre
envoyée à sa femme. Le 30 janvier 1985, il a
déposé un avis d'appel de cette décision auprès de
la Commission d'appel de l'immigration. Des pour-
suites ont été entamées devant la présente Cour
le 4 juillet 1985.
Les intimés font valoir que, comme le requérant
Joseph Horbas est citoyen canadien et qu'il dispose
d'un droit d'appel devant la Commission d'appel
de l'immigration en vertu du paragraphe 79(2) de
la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77,
chap. 52, la présente Cour ne saurait délivrer de
bref de prérogative. Ils reconnaissent toutefois
qu'il s'agit d'une question relevant du pouvoir
d'appréciation de la Cour. Les requérants soutien-
nent pour leur part que ce pouvoir d'appréciation
doit s'exercer en leur faveur parce que l'arriéré des
appels pendants devant la Commission d'appel de
l'immigration pourrait retarder l'audition de leur
appel d'un an à deux ans à partir de la date du
dépôt de l'avis d'appel. Je crois que c'est un fac-
teur qui doit être pris en considération. Je pense
que s'il y avait une controverse très nette sur un
point de droit à partir de laquelle la Cour pourrait
trancher le litige, la cause qui nous occupe permet-
trait de le faire. J'ai donc examiné les questions de
droit que soulève la présente instance afin de voir
si, au vu du dossier qui m'a été soumis, il existe un
fondement quelconque quant à l'un ou l'autre ou
aux deux redressements demandés par les requé-
rants. Je suis venu à la conclusion qu'un tel fonde-
ment n'existe pas. Comme les requérants ont sou-
levé plusieurs questions, je ne m'y arrêterai que
brièvement. Ces questions, qui ont été débattues
pendant quelque trois jours, portaient sur la pré-
sente demande et sur cinq autres demandes con-
cernant les décisions prises en vertu de la Loi sur
l'immigration de 1976 relativement aux conjoints
parrainés.
Les requérants prétendent que le paragraphe
4(3) du Règlement entre en conflit avec l'article 7
de la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] parce qu'il nie aux couples
mariés le droit à la «liberté» en les empêchant de
cohabiter au Canada. À mon sens, le mot «liberté»
de l'article 7 doit s'interpréter dans son contexte et
ne vise que les questions relatives à la liberté
physique. Je ne crois pas qu'il constitue une garan-
tie constitutionnelle du droit de tout Canadien ou
de tout résident permanent au Canada de se choi-
sir un conjoint n'importe où dans le monde et de le
faire venir au Canada pour y vivre avec lui. Les
avocats des requérants ne m'ont pas cité de déci-
sions qui s'imposent à la présente Cour et qui
soutiennent sans équivoque une opinion contraire.
On soutient qu'il y a eu, en l'espèce, négation du
droit à une audition impartiale garanti par l'alinéa
2e) de la Déclaration canadienne des droits
[S.R.C. 1970, Appendice III]. Il faut d'abord sou-
ligner qu'en l'espèce la décision en cause concerne
l'admissibilité du conjoint non canadien, 'et non
celle du parrain. Par conséquent, seuls les droits de
la requérante sont en cause. Voir Brar c. Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 C.F.
914 (C.A.). Je ne crois pas que sa situation soit
visée par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne
des droits. Cet alinéa garantit une «audition
impartiale», et cette condition est plus précise et
plus exigeante que celle, plus générale, découlant
de l'application des «principes de justice fonda-
mentale» mentionnés à l'article 7 de la Charte dont
le contenu varie en fonction de la nature des droits
en cause. Voilà sans doute pourquoi l'expression
«audition impartiale», qui est plus exigente, est
employée, à l'alinéa 2e) de la Déclaration cana-
dienne des droits, en corrélation avec l'expression.
«définition de ses droits et obligations». Il a été
décidé qu'un étranger n'a pas le droit d'entrer au
Canada ou d'y séjourner: voir, notamment, Prata
c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion, [1976] 1 R.C.S. 376, aux pages 380 et 381.
Dans l'arrêt récent Singh et autres c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S.
177, la page 228, le juge Beetz et les juges Estey
et McIntyre qui ont rédigé des motifs concourants,
ont fait une distinction entre cette affaire et les
situations qui mettent en cause des droits et obli
gations régis par l'alinéa 2e). J'estime donc qu'en
ce qui concerne la situation de la requérante
Imelda Horbas l'alinéa 2e) n'a aucune pertinence.
On prétend également que peu importe si les
garanties d'une procédure équitable prévues à l'ar-
ticle 7 de la Charte et à l'alinéa 2e) de la Déclara-
tion canadienne des droits s'appliquent en l'espèce,
il existait, en vertu de la common law, une obliga
tion d'agir équitablement qui n'a pas été remplie.
Compte tenu de la preuve qui m'a été soumise,
cette obligation ne me paraît pas évidente. Il se
peut que la Commission d'appel de l'immigration
constate que c'était effectivement le cas, mais à
mon sens les requérants ne se sont pas acquittés du
fardeau de démontrer que la procédure n'était pas
équitable. Il ressort manifestement des documents
qu'ils ont produits que Mme Horbas a passé une
entrevue le 7 décembre 1984 au cours de laquelle
elle a été interrogée sur des questions qui parais-
sent avoir eu une grande incidence sur la décision
finale qui a été rendue. Il est révélateur que les
requérants n'aient pas produit de preuve directe
qu'aurait pu fournir Mme Horbas elle-même
quant au contenu de cette entrevue. Il m'est donc
impossible de conclure qu'il y a eu en l'espèce
absence d'équité.
Les avocats soutiennent également que le para-
graphe 4(3) du Règlement contrevient à l'alinéa
2d) de la Charte parce qu'il nie le droit à la
«liberté d'association». Selon eux, la liberté d'asso-
ciation comprend la liberté pour des conjoints de
vivre ensemble. Il faut présumer qu'il s'agit du
droit de cohabiter au Canada puisque le paragra-
phe 4(3) ne leur interdit nullement de cohabiter à
l'étranger. En interprétant ce paragraphe, je suis
lié dans une certaine mesure par l'arrêt Alliance
de la Fonction publique du Canada c. La Reine,
[1984] 2 C.F. 889; 11 D.L.R. (4th) 387 (C.A.), à
la page 893 C.F.; page 390 D.L.R. où le juge
Mahoney, avec l'appui des autres membres de la
Cour, a cité en l'approuvant un arrêt de la Cour
d'appel de la Colombie-Britannique où l'on a
déclaré que:
La liberté de s'associer ne comporte aucune protection constitu-
tionnelle des buts de l'association ou des moyens d'atteindre ces
buts.
La Cour d'appel fédérale a statué que la négocia-
tion collective ne fait pas partie de la liberté
d'association garantie par la constitution, qui pro-
tège la création de syndicats. Le droit des syndi-
cats à la négociation collective est aussi fondamen-
tal que le droit des couples mariés de cohabiter.
Mais je ne crois pas que l'on puisse conclure dans
l'un et l'autre cas que ce corollaire important qui
découle naturellement de l'association originale
fait partie de cette association au point où il serait
garanti de manière absolue par la constitution sous
la rubrique «liberté d'association».
On prétend que le paragraphe 4(3) du Règle-
ment entre en conflit avec l'article 15 de la Charte,
soit parce qu'il a généralement un effet de discri
mination contre des personnes en raison de leur
origine nationale et ethnique, soit, comme en l'es-
pèce, en raison de la manière dont il a été appli-
qué. On prétend qu'en raison du critère interdisant
à quiconque de contracter mariage principalement
dans le but d'immigrer, les personnes issues de
groupes culturels pratiquant les mariages organisés
et de pays où l'on considère que la possibilité
d'immigrer dans un pays industrialisé est un fac-
teur légitime dans le choix du conjoint, sont victi-
mes de discrimination. Il faut d'abord souligner
qu'il s'agit d'un critère à deux volets. Ainsi, aux
termes du paragraphe 4(3), le conjoint n'est exclu
que s'il s'est marié principalement dans le but
d'obtenir l'admissibilité au Canada et non avec
l'intention de vivre en permanence avec son con
joint. Aucune preuve significative n'a établi que
cet article a eu pour principal effet d'établir une
discrimination contre les personnes appartenant à
une religion particulière ou d'une origine nationale
ou ethnique particulière. Il est fort possible qu'il
joue davantage contre les personnes provenant des
pays du tiers monde, mais cela peut également
s'expliquer par le fait que les pressions qui pous-
sent à émigrer de ces pays sont beaucoup plus
fortes et que le problème auquel s'attaque le para-
graphe 4(3) est plus aigu en ce qui concerne les
épouses parrainées provenant de ces pays. Quant à
la discrimination qui aurait eu lieu dans le cas
particulier qui nous intéresse, la preuve qui m'a été
soumise n'est pas concluante. Il apparaît, à la
lecture des motifs de la décision exposés dans la
lettre de l'ambassade du Canada à Manille en date
du 12 décembre 1984, qu'ils se rapportent au
critère énoncé dans ce paragraphe et qu'ils sont
légitimes. Je répète que d'autres éléments de
preuve susceptibles d'être administrés au cours de
l'appel pourraient indiquer qu'il y a eu discrimina
tion au sens de l'article 15 de la Charte, mais cela
ne ressort pas clairement de la preuve qui m'a été
soumise.
Une autre question a été soulevée en ce qui a
trait à l'article 15 de la Charte. On a allégué que
le paragraphe 4(3) du Règlement ne prévoit aucun
critère visant à guider l'agent des visas ou l'agent
d'immigration de sorte que ceux-ci sont investis de
pouvoirs discrétionnaires absolus, et qu'il n'existe
aucun fondement rationnel permettant de distin-
guer les conjoints qui ont droit au statut de rési-
dent permanent de ceux qui n'y ont pas droit. Je
traiterai plus loin de cette question en rapport avec
l'article 1 de la Charte.
Selon un autre argument fondé sur la Charte, le
paragraphe en cause contrevient à l'article 12 de la
Charte parce qu'il impose des traitements cruels et
inusités en soumettant les couples mariés à des
séparations prolongées ou permanentes. À mon
sens, le jugement rendu à la majorité dans l'arrêt
Miller et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680
signifie que les mots «cruels et inusités» doivent
être lus en corrélation. Je ne saurais dire que toute
décision tardive sur des questions comme celles
que nous intéressent, ou que toute séparation, doit
être considérée comme des traitements «cruels et
inusités». Il est possible que surgissent des cas
extrêmes où le paragraphe 4(3) aurait de telles
conséquences. Mais je ne puis dire que c'est le cas
en l'espèce. Lorsqu'elles se sont mariées aux Phi-
lippines, les parties étaient, semble-t-il, parfaite-
ment au courant que le mari aurait à retourner au
Canada et que son épouse ne pourrait l'y rejoindre
que si elle réussissait à obtenir un visa d'immi-
grant. Moins de trois mois après le mariage, on l'a
avisée qu'elle ne le pourrait pas. Le mari a inter-
jeté appel devant la Commission d'appel d'immi-
gration le 30 janvier 1985, un peu plus de quatre
mois après le mariage. La question pourrait, sem-
ble-t-il, être tranchée dans un délai raisonnable à
partir de la date où les parties se sont mariées en
connaissant le caractère incertain de leur situation.
Même si l'on pouvait dire du paragraphe liti-
gieux qu'il empiète sur l'un ou l'autre des droits
susmentionnés qui sont garantis par la Charte, je
suis convaincu qu'il est justifié en vertu de l'article
1. Arguments à l'appui, l'avocat des intimés a
invoqué cet article et a aussi produit une copie
d'une enquête menée par la Commission de l'em-
ploi et de l'immigration avant l'adoption du para-
graphe 4(3) du Règlement. Il est relativement
facile de dégager du Règlement lui-même les
motifs qui justifient cette disposition réglemen-
taire. Normalement, un immigrant qui n'appar-
tient pas à la «catégorie de la famille» (c'est le cas
des conjoints) doit satisfaire à de nombreux critè-
res de sélection énoncés à l'article 8 du Règlement.
L'effet de l'article 4, qui autorise un citoyen cana-
dien ou un résident permanent à parrainer une
personne appartenant à la catégorie de la famille,
est de décharger la personne parrainée de l'obliga-
tion de satisfaire à la majorité des critères de
sélection. Il est donc très avantageux d'être par-
rainé à titre de personne appartenant à la catégorie
de la famille. Les personnes qui en font partie sont
pour la plupart unies par le sang au parrain qui est
soit citoyen canadien, soit résident permanent au
Canada. Ces liens du sang sont des questions de
fait qui ne peuvent être modifiées pour les fins de
l'immigration. Toutefois, les conjoints font aussi
partie de la catégorie de la famille, et les liens qui
les unissent au parrain sont bien sûr des liens
d'affinité et non de consanguinité. Par le mariage,
les parties peuvent donc créer ces liens pour les
fins de l'immigration. Les personnes désireuses de
contourner les critères de sélection auxquels doi-
vent se soumettre la plupart des immigrants pour-
raient alors le faire au moyen d'une forme quel-
conque de mariage avec un partenaire canadien
consentant. C'est pour faire échec à ce type de ruse
que le paragraphe 4(3) a été adopté. Je suis con-
vaincu qu'il constitue une limite raisonnable qui se
justifie au sein d'une société libre et démocratique.
De plus, je n'accepte pas la prétention des requé-
rants selon laquelle il ne s'agit pas véritablement
d'une limitation prescrite par la loi parce qu'elle
n'établit pas de critères. Ils citent l'arrêt de la
Cour d'appel de l'Ontario Re Ontario Film &
Video Appreciation Society and Ontario Board of
Censors (1984), 45 O.R. (2d) 80. Toutefois, ces
deux causes peuvent être distinguées l'une de l'au-
tre. Dans la cause Ontario Film & Video Appre
ciation Society, la loi ne prévoyait aucun critère, et
autorisait simplement la Commission «à censurer
tout film». Le paragraphe 4(3) du Règlement sur
l'immigration de 1978 prévoit que l'agent des visas
doit tenir compte de deux critères: il doit se
demander premièrement si le conjoint s'est marié
principalement dans le but d'obtenir l'admission
au Canada, et deuxièmement si le conjoint par-
rainé a l'intention de vivre en permanence avec son
conjoint. Contrairement aux lignes directrices exa
minées dans la cause Ontario Film, l'agent des
visas est tenu de par la loi d'appliquer cette dispo
sition réglementaire. L'application de ces critères
soulève, il faut le reconnaître, d'épineuses ques
tions de fait, d'autant plus qu'elle implique l'ap-
préciation de l'intention du conjoint parrainé. Mais
il ne faut pas confondre difficultés de preuve et
absence de critères législatifs, et les questions d'in-
tention sont monnaie courante dans le processus
décisionnel administratif ou judiciaire.
On soutient également que le pouvoir de régle-
mentation prévu à la Loi sur l'immigration de
1976 n'autorisait pas l'adoption du paragraphe
4(3) du Règlement de sorte que celui-ci ne relevait
pas de la compétence du gouverneur en conseil. Je
ne partage pas cette opinion. La disposition régle-
mentaire en cause est censée avoir été adoptée par
le gouverneur en conseil en vertu du pouvoir qui lui
est conféré par les alinéas b) et c) du paragraphe
115(1) de la Loi sur l'immigration de 1976. Il
suffit de s'en remettre à l'alinéa b) qui autorise le
gouverneur en conseil à établir des règlements
115....
b) établissant les catégories de personnes dont la demande de
droit d'établissement pourra être parrainée par des citoyens
canadiens et celles dont la demande pourra l'être par des
résidents permanents;
Je ne vois pas pourquoi le gouverneur en conseil ne
pourrait pas exclure d'une catégorie de personnes
susceptibles d'être parrainées, celles qui se sont
mariées principalement dans le but d'immigrer et
non avec l'intention de vivre en permanence avec
leur conjoint.
Le dernier argument porte que même si le para-
graphe 4(3) est valide, l'agent l'a appliqué de
manière erronée au cas qui nous intéresse. On s'est
fondé en particulier sur la lettre envoyée à Mme
Horbas le 12 décembre 1984 l'avisant du rejet de
sa demande. Voici ce que contient cette lettre
parmi les faits invoqués pour justifier la décision:
[TRADUCTION] ... pendant l'entrevue du 7 décembre, vous
avez déclaré que votre mari est en bonne santé. Pourtant, dans
une lettre que votre mari nous a fait parvenir le 8 octobre 1984,
celui-ci nous informe qu'il est «handicapé» et qu'il a besoin de
votre «aide». Interrogée sur cette contradiction, vous avez
déclaré avoir accepté d'épouser M. Horbas sur la recommanda-
tion de vos parents au Canada et que vous vous y rendiez pour
vous occuper de M. Horbas. Lorsque l'on vous a demandé ce
que vous ressentiez à l'égard de M. Horbas, vous avez dit qu'il
était bon et serviable. Je suis d'avis que vos actes, vos senti
ments et les raisons qui vous poussent à agir ainsi correspondent
davantage à des rapports avec un employeur bienveillant
qu'aux besoins d'un mariage durable.
J'estime que cette déclaration est quelque peu
ambiguë, et il n'est pas impossible qu'elle découle
d'une conception erronée des exigences du para-
graphe 4(3). I1 ne faut pas perdre de vue que ce
paragraphe ne peut servir de fondement au rejet
d'une telle demande que si le conjoint parrainé
s'est marié principalement dans le but d'immigrer
et s'il n'a pas l'intention de vivre en permanence
avec son conjoint. Bien que la partie de la lettre
qui précède l'extrait cité paraisse répondre adéqua-
tement à la première question, l'interprétation à
donner au passage cité n'est pas claire. On peut
cependant en conclure que l'agent a cru que les
deux requérants en l'espèce vivraient ensemble,
mais non en tant que mari et femme. Le paragra-
phe exige uniquement que le conjoint parrainé ait
l'intention de «vivre en permanence» avec son con
joint. J'estime toutefois que c'est le genre de ques
tion qui peut être clarifiée dans le cadre d'un appel
devant la Commission d'appel de l'immigration.
Comme l'a souligné la Cour d'appel fédérale dans
la cause Brar précitée, la procédure d'appel permet
d'avoir accès à l'ensemble de la preuve, de contre-
interroger les témoins de l'intimé, de soumettre des
éléments de preuve et de faire des observations.
L'espèce soulève d'importantes questions de fait
qui débordent le cadre du contrôle judiciaire par le
biais d'un bref de prérogative et qui peuvent être
plus facilement examinées en appel, même si elles
peuvent être mêlées à des questions de droit.
Je rejette donc entièrement la demande. Étant
donné que l'inutilité de la présente instance me
paraît évidente, les intimés ont droit à leurs dépens
s'ils en font la demande.
ORDONNANCE
La demande est rejetée avec dépens en faveur
des intimés s'ils en font la demande.
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