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T-904-84
International Business Machines Corporation et IBM Canada Limited et IBM Canada Product Distribution Incorporated (demanderesses)
c.
Ordinateurs Spirales Inc./Spirales Computers Inc., Albert Cohen et Sylvain Abitbol (défendeurs)
Division de première instance, juge Reed— Toronto, 14 et 27 juin 1984.
Droit d'auteur Programmes d'ordinateur Demande d'injonction interlocutoire Vente par la demanderesse par- tout au Canada d'ordinateurs personnels IBM Allégation de contrefaçon du droit d'auteur de la demanderesse à un programme d'ordinateur intitulé «IBM Persona! Computer Basis Input Output System -1.0» (BIOS) Le programme BIOS est constitué d'une série d'instructions dont le rôle est d'assurer les entrées et sorties des données de la partie exploi tation de l'ordinateur Vente par la défenderesse d'ordina- teurs fabriqués à Taiwan qui comportent une copie du pro gramme BIOS Selon l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.) le critère applicable ne consiste pas à établir une apparence de contrefaçon, mais seulement l'existence d'une cause défendable ou à établir «qu'il y a une question grave à faire juger» Décisions récentes selon lesquelles les programmes d'ordinateur sont susceptibles de droit d'auteur Même si le programme BIOS est inscrit dans une puce montée en permanence dans l'ordina- teur et conçu pour l'ordinateur personnel IBM, il ne fait pas partie de la machine Publication du programme dans le manuel technique qui le transcrit manifestement dans une forme matérielle Le fait que le programme ne soit pas lisible est sans conséquence Le programme répond à la définition d'«ceuvre littéraire» Ne pas accorder l'injonction donnerait lieu à une avalanche d'actes de contrefaçon Perte de crédibilité commerciale de la part de la demanderesse La reproduction étant flagrante, il échet d'appliquer le critère des dommages possibles de façon moins stricte que dans un autre cas Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 2, 4 (mod. par S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 4, art. 1).
La demanderesse vend partout au Canada et ailleurs un produit appelé l'ordinateur personnel IBM et détient les droits d'auteur sur un programme d'ordinateur intitulé «IBM Perso nal Computer Basis Input Output System -l.0» (BIOS). On peut décrire le programme BIOS comme les instructions dont le rôle est d'assurer les entrées et sorties des données de la partie exploitation de l'ordinateur. Sans ce programme l'ordinateur ne fonctionne pas. Le programme appelé BIOS est fondu dans une puce qui est insérée dans l'ordinateur personnel IBM au moment de sa fabrication et est destinée à y rester de façon permanente, mais elle peut être enlevée au besoin. La demande- resse a également publié un manuel technique relativement au programme BIOS. La défenderesse vend à son magasin de Montréal un ordinateur appelé COPAM INTELLIGENT Pc -301 fabriqué à Taiwan, qui contient une copie du programme
BIOS. La demanderesse demande une injonction interlocutoire visant à empêcher les défendeurs de violer ses droits d'auteur relativement au programme. Les défendeurs soutiennent qu'il n'y a pas lieu d'accorder une injonction parce que: (1) il n'y a pas d'apparence de contrefaçon et de plus les programmes d'ordinateur ne sont pas susceptibles de droit d'auteur; (2) l'équilibre des inconvénients indique de laisser les défendeurs poursuivre leurs affaires jusqu'à ce que le litige soit réglé au procès; (3) il n'a pas été démontré que ne pas accorder l'injonc- tion interlocutoire pourrait vraisemblablement causer un dom- mage irréparable à la demanderesse.
Jugement: l'injonction interlocutoire est accordée.
Dans les affaires de contrefaçon, en raison de l'arrêt Ameri- can Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.) il ne s'agit pas d'établir une apparence de droit, mais d'établir l'existence d'une cause défendable ou d'établir «qu'il y a une question grave à faire juger». Des décisions de pays du Com monwealth qui ont une loi sur le droit d'auteur semblable à la nôtre ont abordé la question de l'assujettissement des program mes d'ordinateur au droit d'auteur. En réalité, tous les moyens soulevés par les défendeurs selon lesquels il n'y a pas de droit d'auteur dans un programme d'ordinateur sont abordés dans ces décisions. Le point de départ de la question en litige est l'article 4 de la Loi sur le droit d'auteur qui dispose que «le droit d'auteur existe ... sur toute oeuvre originale littéraire, dramatique, musicale ou artistique». L'expression «oeuvre litté- raire», selon la définition de l'article 2 de la Loi, n'a pas nécessairement trait à la littérature. Les décisions récentes indiquent clairement qu'il faut appliquer le texte de la Loi sur le droit d'auteur de façon pratique et adaptée aux nécessités du temps et aux concepts courants. La prétention qu'il faut qu'un programme d'ordinateur soit écrit ou imprimé pour constituer une oeuvre littéraire est abordée dans l'arrêt non publié de la Cour fédérale d'Australie Apple Computer Inc. and Apple Computer Australia Pty. Limited v. Computer Edge Pty. Limited et al. Le juge Fox y dit que pour autant que quelque chose «d'écrit» existe, il n'est pas nécessaire qu'il ait un sens dans le langage courant. En l'espèce, le code source du pro gramme d'ordinateur étant l'expression de la pensée dans une forme originale, c.-à-d. une forme alphanumérique, il satisfait à la définition «d'oeuvre littéraire». De plus, l'argument selon lequel, parce que le programme BIOS est inscrit dans une puce montée de façon permanente dans l'ordinateur, ce qui en fait une partie intégrante de la machine, il ne peut être une oeuvre littéraire, n'est pas convaincant. L'installation en permanence de la puce dans l'ordinateur n'est que pour l'utilité, il est possible de la retirer et de la remplacer au besoin. La prétention que le programme d'ordinateur n'est pas susceptible de droit d'auteur parce qu'il ne peut communiquer d'information ou d'instruction à des personnes ou leur procurer une satisfaction ou un divertissement est réfutée puisque le programme existe sous une forme matérielle dans le Manuel de référence techni que de l'ordinateur personnel IBM. Il existe donc une version écrite du programme sous forme de code objet. Le fait que sa reproduction n'est pas lisible par un être humain est sans conséquence. La jurisprudence et le plagiat flagrant des défen- deurs établissent non seulement l'existence d'une cause défen- dable, mais une apparence de contrefaçon.
Quant à la question de l'équilibre des inconvénients et du préjudice possible, il y a différentes formulations du critère applicable relativement au préjudice possible lorsqu'il s'agit de
déterminer s'il y a lieu d'accorder une injonction interlocutoire. Cependant, dans un cas de contrefaçon comme celui-ci alors qu'il y a plagiat évident, le degré de préjudice qu'il faut prouver n'est pas aussi élevé que celui qu'il faudrait prouver dans d'autres affaires. Bien que la différence de taille des parties rende invraisemblable qu'IBM souffre un dommage irréparable si l'injonction n'est pas accordée, l'effet d'avalanche qui s'ensui- vrait pourrait causer un tort important à la demanderesse. De nombreuses autres parties pourraient être tentées d'importer des ordinateurs comportant la copie du programme BIOS et de les vendre. De plus, le système comptable des défendeurs et la précarité de leur situation financière en raison d'autres poursui- tes semblables indiquent que des dommages-intérêts pourraient ne pas être un redressement suffisant s'ils perdent leur cause au stade du procès. Dans des affaires de contrefaçon, lorsque le plagiat est flagrant, l'injonction interlocutoire est accordée sans qu'il y ait nécessité de prouver le préjudice irréparable ou l'insuffisance des dommages-intérêts.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.); Apple Computer Inc. and Apple Computer Australia Pty. Limited v. Computer Edge Pty. Limited et al., non publiée (Fed. Ct. Austr.); University of London Press v. University Tutorial Press, [1916] 2 Ch. 601; Apple Computer, Inc. v. Franklin Computer Corp., 219 USPQ 113 (3d Cir. 1983); Can. Admiral Corporation, Ltd. v. Rediffusion, Inc. (1954), 20 C.P.R. 75 (C. de l'E.); Sega Enterprises Limited v. Richards and another, [1983] F.S.R. 73 (H.C., Ch.D. R.-U.); Northern Office Microcomputers (Pty) Ltd. and others v. Rosenstein, [1982] F.S.R. 124 (Sup. Ct. Afrique du Sud); Universal City Studios, Inc. v. Zellers Inc., [1984] 1 C.F. 49; (1983), 73 C.P.R. (2d) 1 (1"° inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Hollinrake v. Truswell, [1894] 3 Ch. 420 (C.A.); Boosey v. Whight, [1900] 1 Ch. 122 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Spacefile Ltd. v. Smart Computing Systems Ltd. et al. (1983), 75 C.P.R. (2d) 281 (H.C. Ont.); Apple Com puter, Inc. v. Computermat Inc. et al. (1983), 75 C.P.R. (2d) 26 (H.C. Ont.); Nintendo of America, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189 (C.A.); (1982), 69 C.P.R. (2d) 122; Thrustcode Limited and another v. W.W. Computing Limited, [1983] F.S.R. 502 (H.C., Ch.D. R.-U.); British Oxygen Co. v. Liquid Air, Ld., [1925] 1 Ch. 383; Exxon Corporation v. Exxon Insur ance Consultants International Ltd., [1982] R.P.C. 69 (C.A. Angl.); Canusa Records Inc. et al. v. Blue Crest Music, Inc. et al. (1976), 30 C.P.R. (2d) 11 (C.F. Appel); Yule, Inc. v. Atlantic Pizza Delight Franchise (1968) Ltd. et al. (1977), 35 C.P.R. (2d) 273 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
George E. Fisk et T. Gary O'Neill pour les demanderesses.
François Guay et Robert Brouillette pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les demanderesses.
Lapointe Rosenstein, Montréal, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Il s'agit d'une requête présentée par la demanderesse pour obtenir une injonction interlocutoire visant à empêcher les défendeurs de violer ses droits d'auteur relativement à un pro gramme d'ordinateur intitulé «IBM Personal Com puter Basis Input Output System -1.0» (BIOS).
La demanderesse vend dans tout le Canada et ailleurs un produit appelé l'ordinateur personnel IBM. Les ordinateurs n'exécutent que les instruc tions qui leur sont présentées en langage machine. Ce langage machine est représenté de façon numé- rique par une suite de «1» (signifiant la présence d'un signal) et de «0» (signifiant l'absence de signal)—c'est la notation binaire. Les instructions peuvent aussi être représentées sous une forme plus dense par l'utilisation du système de notation hexadécimale qui comporte 16 caractères (en l'oc- currence les chiffres de 0 à 9 et les lettres de A à F).
Bien qu'un ordinateur ne puisse exécuter que des instructions écrites en langage machine, les programmes sont normalement écrits dans un lan- gage qui se compose de mots et de phrases qui ressemblent davantage au langage humain. Ce lan- gage se comprend plus facilement et son utilisation est par conséquent plus commode. Par exemple, MOV peut être la notation qui indique à l'ordina- teur de transférer des données d'un endroit à un autre.
Puisqu'un ordinateur ne peut que répondre au langage machine, il faut traduire un programme écrit dans un autre langage. Le langage dans lequel le programme est écrit s'appelle le code
source, le langage vers lequel il est traduit s'ap- pelle le code objet. J'ai remarqué qu'on emploie souvent, et même dans la jurisprudence, l'expres- sion code objet comme synonyme de langage machine et je me conformerai à cet usage.
L'ordinateur ne peut exécuter une instruction en code objet ou y procéder que si celle-ci est inscrite en mémoire. La mémoire d'un ordinateur se com pose normalement de circuits à base de semi- conducteurs appelés puces. Il y a deux sortes de mémoires: les mémoires mortes, en anglais Read Only Memory ou ROM et les mémoires vives, en anglais Random Access Memory ou RAM. Les instructions emmagasinées dans les mémoires mortes sont permanentes; l'ordinateur peut les lire, mais il ne peut ni les modifier ni les réécrire et elles ne s'effacent pas lorsqu'on éteint l'appareil. L'opérateur peut modifier ou réécrire à volonté les instructions emmagasinées dans la mémoire vive et normalement, elles s'effacent lorsqu'on éteint l'ap- pareil. (Il y a d'autres variantes, qui n'ont pas de rapport avec l'espèce.)
Le programme moniteur de l'ordinateur person nel IBM est enregistré dans une mémoire morte ou ROM et comporte la suite d'instructions qu'on peut décrire, pour les fins des présentes, d'une façon générale, comme les instructions dont le rôle est d'assurer les entrées et sorties des données de la partie exploitation de l'ordinateur. Sans ce pro gramme l'ordinateur ne fonctionne pas. Il ne s'en- suit pas qu'on ne puisse écrire un autre programme qui accomplirait la même tâche que remplit le programme BIOS, mais il doit y avoir un jeu d'instructions écrites à cette fin et inscrites dans l'ordinateur.
Donc le programme appelé BIOS est fondu ou inscrit dans une puce qui est insérée dans l'ordina- teur personnel IBM au moment de la fabrication de celui-ci et est destinée à y rester de façon permanente. Cela ne signifie pas, cependant, qu'on ne puisse pas retirer la puce et la remplacer. Ce n'est peut-être pas exagéré de la comparer à une cassette dans un magnétophone.
IBM a publié l'imprimé du code source et du code objet du programme BIOS de IBM avec les autres données techniques dans le Manuel des données techniques de l'ordinateur personnel IBM. Le public peut se procurer ce manuel sans
acheter d'ordinateur. IBM a réservé les droits d'auteur pour l'ouvrage littéraire intitulé «IBM Personal Computer Basis Input Output System - 1.0» et possède un certificat d'enregistrement 330496 pour cette oeuvre.
Il est communément admis que l'écriture d'un programme d'ordinateur est une activité très créa- trice et personnelle. Il existe plusieurs façons pour l'auteur d'un programme de l'écrire, c'est-à-dire, de déterminer sa facture et la séquence des ins tructions à l'intérieur du programme, pour arriver à un résultat précis. Il est donc excessivement improbable que deux programmeurs qui n'auraient pas travaillé ensemble et qui n'auraient pas accès au travail l'un de l'autre écrivent des programmes identiques ou même substantiellement semblables si ce n'est que pour les fonctions les plus simples.
La défenderesse Spirales vend dans son point de vente à Montréal (et peut-être ailleurs) un ordina- teur appelé COPAM INTELLIGENT PC-301, fabriqué à Taiwan et importé au Canada par la défende- resse pour distribution. D'après les affidavits dépo- sés en preuve devant moi, il contient une copie du programme BIOS sous forme de mémoire morte.
Les défendeurs soutiennent cependant qu'il n'y a pas lieu d'accorder une injonction qui leur interdi- rait d'importer et de vendre cet ordinateur parce que: (1) la demanderesse n'a pas démontré qu'elle a une apparence de droit—il n'y a pas de droit d'auteur pour un programme d'ordinateur; (2) l'équilibre des inconvénients commande de permet- tre aux défendeurs de continuer leurs opérations jusqu'à ce que la contestation soit réglée lors du procès; et (3) il n'a pas été démontré que le fait de ne pas accorder l'injonction interlocutoire pourrait vraisemblablement causer un dommage irrépara- ble à la demanderesse.
Apparence de droit—Droit d'auteur pour un pro gramme d'ordinateur?
L'avocat de la demanderesse a soutenu, en s'ap- puyant sur la décision American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.), à la page 407, que le critère auquel il doit satisfaire n'est pas de prouver une apparence de droit, mais d'établir l'existence d'une cause défendable ou [TRADUC- TION] «qu'il y a une question grave à faire juger».
Il a soutenu que cette proposition était établie dans un certain nombre de décisions rendues au Canada et ailleurs, lesquelles ont statué que les program mes d'ordinateur sont protégés par le droit d'au- teur. La plupart de ces décisions émanent de tribu- naux de première instance.
On a mentionné les décisions de la Haute Cour de l'Ontario: Spacefile Ltd. v. Smart Computing Systems Ltd. et al. (1983), 75 C.P.R. (2d) 281 et Apple Computer, Inc. v. Computermat Inc. et al. (1983), 75 C.P.R. (2d) 26. On a aussi mentionné l'arrêt de la Cour d'appel fédérale: Nintendo of America, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189; (1982), 69 C.P.R. (2d) 122. Ces décisions ne sont pas d'une grande utilité. La décision Spacefile comporte une analyse limitée de la question, la décision Apple Computer porte surtout sur le préjudice que la demanderesse aurait pu subir du fait de refuser l'injonction interlocu- toire, et d'exiger plutôt des défendeurs qu'ils pro- duisent un cautionnement auprès du tribunal; et la décision Nintendo n'a, peut-on dire, qu'un rapport indirect avec la question.
Les décisions rendues hors du Canada, dans des pays du Commonwealth qui ont une loi sur le droit d'auteur assez semblable à la nôtre sont plus utiles à plusieurs égards. Par exemple, Sega Enterprises Limited v. Richards and another, [1983] F.S.R. 73 (H.C., Ch.D. R.-U.); Thrustcode Limited and another v. W.W. Computing Limited, [ 1983] F.S.R. 502 (H.C., Ch.D. R.-U.); Northern Office Microcomputers (Pty) Ltd. and others v. Rosens- tein, 11982] F.S.R. 124 (Sup. Ct. Afrique du Sud); et Apple Computer Inc. and Apple Computer Australia Pty. Limited v. Computer Edge Pty. Limited et al. (décision inédite de la Cour fédérale d'Australie rendue le 29 mai 1984, que je désigne- rai ci-après sous l'appellation Apple Computer (Australie). On peut aussi mentionner la décision Apple Computer, Inc. v. Franklin Computer Corp., 219 USPQ 113 (3d Cir. 1983), ci-après appelée Apple Computer (É.-U.).
Ce qui importe peut-être plus que le nombre d'affaires décidées dans d'autres ressorts est le fait que presque tous les arguments soulevés par les défendeurs à l'appui de leur prétention qu'il n'y a pas de droit d'auteur pour un programme d'ordina- teur sont abordés dans l'une ou l'autre de ces décisions. Je me propose de les analyser briève- ment à cet égard.
Le point de départ est, évidemment, l'article 4 de la Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30 [mod. par S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap. 4, art. 1]:
4. (1) ... le droit d'auteur existe ... sur toute oeuvre origi- nale littéraire, dramatique, musicale ou artistique ...
L'article 2 définit «oeuvre littéraire» comme com- prenant «les cartes géographiques et marines, les plans, tableaux et compilations».
On a soutenu tout d'abord que, puisque la Loi sur le droit d'auteur accorde à l'auteur de l'oeuvre un droit de monopole, il y a lieu de l'interpréter de façon restrictive. Je ne crois pas que ce soit le cas. Je ne puis trouver de jurisprudence à l'appui de cette proposition. En réalité, je conclus que le juge Fox dit le contraire dans la décision Apple Com puter (Australie), à la page 20 de sa décision:
[TRADUCTION] Il y a, je crois, une longue tradition (qui n'a pas toujours été suivie) d'appliquer le texte de la loi sur le droit d'auteur de façon pratique et adaptée aux nécessités du temps et aux concepts courants.
De même le juge Lockhart, à la page 33 de sa décision, dans la même affaire, dit:
[TRADUCTION] Les tribunaux ont, en général, interprété les lois sur le droit d'auteur en tenant compte de l'évolution des idées et des progrès en technologie.
Le second moyen invoqué par l'avocat des défen- deurs veut qu'on ne peut parler d'oeuvre littéraire que si elle est écrite ou imprimée; un programme d'ordinateur ne répond pas à ce critère. Cet argu ment s'appuie sur la décision: University of London Press v. University Tutorial Press, [ 1916] 2 Ch. 601, la page 608:
[TRADUCTION] À mon avis les mots «oeuvre littéraire» visent une oeuvre écrite ou imprimée, sans tenir compte de sa qualité ou de son style. Le mot «littéraire» paraît avoir été utilisé dans un sens à peu près équivalent à celui du mot «écrits» dans les expressions «écrits politiques» ou «écrits de propagande électo- rale» et signifie une oeuvre écrite ou imprimée.
Les lois sur les droits d'auteurs ne tiennent pas compte de l'originalité des idées, mais de l'expression de la pensée et dans le cas d'une «oeuvre littéraire» de l'expression de la pensée sous forme écrite ou imprimée.
Voir également British Oxygen Co. v. Liquid Air, Ld., [1925] 1 Ch. 383, aux pages 390 et 391.
Un programme d'ordinateur, au moins dans sa forme de code source, satisfait, à mon avis, au critère exprimé dans ces décisions. Il s'agit d'une expression de la pensée dans une forme originale,
sous forme alphanumérique. Bien que les deux décisions semblent dire qu'il y a équivalence entre «oeuvre littéraire» et «écrits», des décisions subsé- quentes disent nettement que ce n'est pas le cas.
[TRADUCTION] On a statué depuis longtemps que pour être admissible à la protection du droit d'auteur il n'est pas néces- saire que ce qui est écrit ou enregistré exprime quelque chose de compréhensible dans un langage. C'est pourquoi on a accordé la protection du droit d'auteur à une liste de mots sans signifi cation utilisés comme code télégraphique (Anderson (D.P.) & Co. Ltd. v. The Lieber Code Co. [1917] 2 K.B. 469; Ager v. Collingridge (1886) 2 T.L.R. 291 et Ager v. P. & O. Steam Navigation Co. (1884) 26 Ch.D. 637) et à un système de sténographie (Pitman v. Hine (1884) 1 T.L.R. 39). [Northern Office Microcomputers (Pty) Ltd. and others v. Rosenstein, [1982] F.S.R. 124, aux pages 133 et 134 (Sup. Ct. Afrique du Sud).]
Et dans le texte Copinger and Skone James on Copyright, 12 e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 1980, paragraphe 156, cité par le juge Fox dans l'affaire Apple Computer (Australie) à la page 19 de ses motifs:
[TRADUCTION] Mais, pour autant que quelque chose «d'écrit» existe, cela est suffisant et il n'est pas nécessaire que ce qui est écrit ait un sens dans le langage courant. Sont susceptibles de droit d'auteur une liste de mots utilisés comme code télégraphi- que ou un catalogue de caractères ou un système de sténographie.
Voir également Apple Computer (Australie) à la page 23 des motifs du juge Fox et à la page 29 des motifs du juge Lockhart.
On n'a pas soutenu en l'espèce qu'un pro gramme d'ordinateur est une idée et qu'il n'est donc pas susceptible de droit d'auteur dans le sens qu'il pourrait y avoir fusion de l'idée et de l'expres- sion. Les défendeurs n'ont pas contredit la preuve présentée par la demanderesse selon laquelle il est possible d'établir d'autres programmes qui rempli- raient la même fonction dans l'ordinateur person nel IBM. Une analyse de cette question se trouve à la page 124 des motifs de l'affaire Apple Compu ter (E.-U.). La Cour des appels des Etats-Unis a statué que si une idée est susceptible d'expression selon plusieurs modes alors le droit d'auteur peut s'appliquer à un programme.
[TRADUCTION] Si l'on peut écrire ou élaborer d'autres pro grammes qui remplissent la même fonction que le programme du système d'exploitation de l'ordinateur Apple, alors tel pro gramme est l'expression d'une idée et peut, par conséquent, faire l'objet d'un droit d'auteur. Essentiellement, la question qu'il faut se poser ne diffère pas de celle de savoir s'il y a eu fusion de l'expression et de l'idée ce qui, dit-on, se produit lorsqu'il y a peu ou pas d'autres moyens d'exprimer une idée en particulier.
L'idée qui peut se confondre avec son expression et par consé- quent ne pas donner lieu au droit d'auteur est l'idée qui est l'objet de l'expression. L'idée de l'un des programmes du système d'exploitation est, par exemple, relative à la manière de traduire le code source en code objet. S'il est possible, en pratique, d'exprimer cette idée par d'autres méthodes, alors il n'y a pas de fusion.
Le troisième argument invoqué par l'avocat veut que dans sa forme de code objet (c'est-à-dire ins- crit sur la disquette) le programme d'ordinateur ne soit qu'une partie de la machine et ne puisse être considéré comme une «oeuvre littéraire». L'avocat soutient que le programme BIOS ne peut être utilisé que dans l'ordinateur personnel IBM et que son seul but est de faire fonctionner l'ordinateur. Il a invoqué l'arrêt Hollinrake v. Truswell, [1894] 3 Ch. 420 (C.A.), à la page 424, dans lequel on a statué qu'un patron de manche sur lequel sont imprimés des nombres ne comporte pas de droit d'auteur:
[TRADUCTION] Ils [les nombres] doivent servir et ne peuvent que servir en relation avec ce sur quoi ils sont inscrits. Ils ne sont pas uniquement des indications sur la façon d'utiliser le carton, qui en réalité est un appareil de mesure, mais ils font véritablement partie de l'appareil lui-même, sans lequel l'appa- reil est inutilisable et, sauf en rapport avec celui-ci, ils sont absolument inutiles.
Je crois donc qu'il est clair que ce que le demandeur a cherché à soumettre à la protection que la loi accorde aux oeuvres littéraires n'est pas une oeuvre littéraire, mais un appa- reil dont l'utilisation requiert qu'il porte certains mots et chiffres.
L'argument de l'avocat sur ce point fait aussi appel à l'arrêt Boosey v. Whight, [1900] 1 Ch. 122 (C.A.), dans lequel on a statué que des rouleaux comportant des perforations pour utilisation sur un piano mécanique ne constituaient pas une violation du droit d'auteur sur ]'oeuvre musicale elle-même. On a statué, aux pages 123 et 124, qu'ils ne constituaient pas des «copies» de «pages de musique»:
[TRADUCTION] Une page de musique est considérée par le Copyright Act comme s'il s'agissait d'un livre ou d'une page imprimée. Tous les moyens de copier une telle chose qu'il s'agisse d'imprimerie, d'écriture, de photographie ou d'une autre méthode non encore inventée constituerait sans doute une reproduction. Comme le serait peut-être aussi une feuille de papier perforée destinée à être interprétée ou jouée de la même manière que des pages de musique sont interprétées ou jouées. Cependant, jouer d'un instrument à partir d'une page de musi- que qui en exige la lecture est une chose; jouer d'un instrument à partir d'une feuille perforée qui fait partie elle-même du mécanisme qui produit la musique, est une autre affaire ... Je considère les feuilles perforées produites par les défendeurs
comme une partie du mécanisme qui produit les notes de musique; je ne crois pas que les fabricants d'instruments de musique violent quelque droit d'auteur en construisant leurs machines et les accessoires qui les accompagnent de manière à produire les notes de musique indiquées sur des pages de musique.
Même si le programme BIOS est enchâssé dans une puce montée en permanence dans l'ordinateur au moment de sa fabrication, et même s'il a comme fonction de contrôler les opérations de l'ordinateur personnel IBM, je ne trouve pas con- vaincant de le considérer comme faisant partie de la machine. Ce n'est que pour des raisons de commodité que ce progamme est installé en per manence dans l'appareil. Il est amovible et rempla- çable si l'on veut. A mon avis, il existe une analo- gie entre son rôle et celui d'une cassette de magnétophone. L'information est enregistrée sur un ruban de la même manière que l'information est gravée dans la puce—les deux fonctionnent dans l'appareil pour lequel ils sont conçus, mais n'en font pas partie. Je souligne l'extrait suivant des motifs de l'affaire Apple Computer (E. -U.), à la page 122:
[TRADUCTION] Il n'y a pas davantage lieu de considérer un programme comme faisant partie intégrante d'un appareil qu'il y a lieu de considérer le ruban vidéo comme un élément d'un magnétoscope ou le disque comme une partie d'un électrophone ... Le fait que les instructions d'un programme servent en définitive à la réalisation d'un processus ne devrait nullement modifier la possibilité d'invoquer le droit d'auteur à leur sujet.
La décision Hollinrake soulève une autre ques tion qui pourrait se révéler la plus difficile à plusieurs égards. A la page 428 des motifs de cette affaire on dit:
[TRADUCTION] Une oeuvre littéraire vise soit à informer, soit à instruire, soit à plaire sous forme de divertissement littéraire. Le patron de manche qui nous est soumis ne fournit ni informa tion ni instruction. Il n'ajoute rien au bagage des connaissances humaines et n'est pas conçu pour fournir des instructions, sous forme de description ou autrement; il n'est certainement pas propre à procurer un divertissement ou une satisfaction littéraire.
Voir également Exxon Corporation v. Exxon Insurance Consultants International Ltd., [1982] R.P.C. 69 (C.A. Angl.), à la page 88.
L'avocat des défendeurs soutient que le défaut capital de la prétention de la demanderesse que les programmes d'ordinateur sont susceptibles de droit d'auteur tient à ce qu'on ne puisse prétendre qu'ils transmettent aux personnes de l'information ou des instructions, ou encore qu'ils procurent une satis-
faction ou un divertissement quelconque. C'est-à- dire qu'ils ne sont pas conçus pour établir une communication entre des personnes, mais pour constituer des instructions pour l'ordinateur. Dans leur forme de code objet au moins ils ne sont pas conçus pour être lu par quelqu'un.
En réponse à cet argument, on trouve l'extrait suivant de la décision du juge Lockhart dans l'af- faire Apple Computer (Australie), à la page 32:
[TRADUCTION] L'avocat des intimés a insisté sur le fait que la fonction ou l'objet du programme sujet au droit d'auteur est de déterminer la séquence des opérations exécutées par un ordinateur. Même s'il est vrai que c'est le rôle et l'objet d'un programme d'ordinateur, à mon avis, cela ne le dépouille pas de la protection accordée par la Loi sur le droit d'auteur. Le droit d'auteur porte essentiellement sur l'expression des idées dans une oeuvre ou un langage plutôt que sur le rôle ou l'objet de ces idées.
Et à la page 11 des motifs du juge Sheppard:
[TRADUCTION] S'appuyant principalement sur les arrêts Hollinrake v. Trusswell [sic], [1894] 3 Ch. 420 et Exxon Corporation v. Exxon Insurance Consultants International Limited, [1982] R.P.C. 69, le savant juge de première instance a exprimé l'avis que les buts pertinents d'une oeuvre littéraire étaient d'offrir soit de l'information ou des directives ou une satisfaction sous forme de divertissement littéraire. Je suis d'accord avec les autres juges de la Cour que ce ne peut être un énoncé ou une définition complète de ce qu'est une oeuvre littéraire. La prétendue définition semble prévoir qu'il doit y avoir intention de mettre l'oeuvre à la disposition d'autrui pour leur information, leur instruction ou leur divertissement litté- raire. Les termes viennent du jugement de lord Davey dans l'affaire Hollinrake (voir p. 428). L'affaire a été décidée avant l'entrée en vigueur de la loi du Royaume-Uni de 1911. La loi s'appliquait à l'Australie-Voir Copyright Act 1912. Jusqu'à la loi du Royaume-Uni de 1911, il n'y avait pas de droit d'auteur en vertu de la loi pour les oeuvres non publiées: voir Copinger and Skone James on Copyright, 12' éd. («Copinger») par. 51. En vertu de la loi actuellement en vigueur en Australie, il y a droit d'auteur pour les oeuvres non publiées par application du par. 32(1); voir aussi l'art. 29.
Il me semble qu'on pourrait donner de nombreux exemples d'oeuvres littéraires auxquelles le droit d'auteur s'attache, mais qui ne sont pas visées par la définition de lord Davey. Je citerais un journal tenu par quelqu'un pour son usage ou plaisir person nel, qui consigne certaines périodes de sa vie ou une suite d'événements. Au moment de l'écrire, la personne peut ne pas avoir l'intention de le publier de sorte qu'à cette époque, le journal n'est pas rédigé pour l'information, l'instruction ou le divertissement de quiconque sauf de son auteur ...
Je signale également que la demanderesse a publié le programme BIOS tarit en code source qu'en code objet (notation hexadécimale) dans le manuel de référence. Il ne s'agit pas d'un cas il
n'existe pas de version écrite du programme sous forme de code objet.
Il reste un dernier point à aborder. L'avocat des défendeurs a soutenu que même si le programme BIOS est véritablement susceptible de droit d'au- teur, celui-ci doit se limiter au manuel lui-même. Ainsi, même si le programme tel qu'il est publié dans le manuel de référence confère un droit d'au- teur, ce droit d'auteur ne porte pas sur le langage machine gravé ou «fondu» dans la puce. Il soutient que les «1» et les «0» de la notation binaire, dans la puce, sont des signaux électriques et non des nom- bres. Il soutient que le manuel lui-même n'a pas été plagié. On n'a pas soumis de témoignage sur la façon exacte dont le programme BIOS a été plagié, mais on me laisse entendre qu'il peut avoir été copié directement de la puce du BIOS, (sans se servir du tout du manuel) ou qu'il peut avoir été reproduit à partir des instructions du manuel. La méthode n'a pas réellement d'importance.
On a invoqué à l'appui de cet argument les affaires Boosey v. Whight (précitée) et Canusa Records Inc. et al. v. Blue Crest Music, Inc. et al. (1976), 30 C.P.R. (2d) 11 (C.F. Appel).
De plus, dans l'affaire Can. Admira! Corpora tion, Ltd. v. Rediffusion, Inc. (1954), 20 C.P.R. 75 (C. de l'E.), la Cour dit, à la page 86:
[TRADUCTION] ... pour que le droit d'auteur s'attache à une «oeuvre», il faut qu'elle soit exprimée dans une certaine mesure du moins, sous une certaine forme matérielle susceptible d'iden- tification et dotée d'une durabilité plus ou moins grande. Toutes les ouvres comprises dans les définitions de oeuvre artistique» et «oeuvre littéraire» ... ont une existence matérielle; une «oeuvre musicale» ... doit être imprimée, transformée en écrit, ou produite, ou reproduite de façon graphique par ailleurs.
Voir également l'affaire Apple Computer (Austra- lie) à la page 14 des motifs du juge Sheppard (qui est dissident sous ce rapport):
[TRADUCTION] À mon avis, les programmes en code objet ne sont pas des oeuvres littéraires. Puisqu'ils sont inscrits en mémoires mortes, ils ne sont pas visibles dans ce code. Il est vrai que quelqu'un peut les transcrire de façon à les représenter symboliquement en notation binaire ou hexadécimale. L'ordi- nateur lui-même peut les représenter en notation hexadécimale. Mais tout cela n'a pas d'importance. Ce qui compte c'est que seule la machine elle-même, c'est-à-dire le micro-ordinateur peut «comprendre» ou «lire» le code objet et par conséquent en faire quelque chose ...
... si ce qu'on prétend être une ouvre littéraire (en l'espèce les programmes en code objet) n'est pas visible même avec l'aide
des appareils de visualisation ou d'impression rattachés à l'ordi- nateur, cela ne peut à mon avis constituer une oeuvre littéraire
Le programme BIOS a manifestement été trans- crit sous une forme matérielle—dans le manuel de référence qui a été publié. En conséquence la condition posée par l'affaire Can. Admiral Corpo ration, Ltd. v. Rediffusion, Inc. (précitée) a été remplie. Le fait que le programme ne soit pas lisible dans sa représentation a-t-il de l'impor- tance? Je ne le crois pas. Je souligne que dans l'affaire Sega Enterprises Limited v. Richards and another, [ 1983] F.S.R. 73, la page 75, la Chan cery Division de la High Court du Royaume-Uni n'a pas vu de difficulté sur ce point et a classé le programme en langage machine comme une repro duction ou une adaptation du programme écrit. L'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur accorde au titulaire du droit le droit exclusif «de reproduire une oeuvre ... sous une forme matérielle quelcon- que». Le juge Goulding, dans l'affaire Sega dit ceci:
[TRADUCTION] ... je suis expressément d'avis que le droit d'auteur accordé par les dispositions relatives aux «oeuvres littéraires» dans le Copyright Act de 1956 existe dans le programme en code d'assemblage du jeu «Frogger». Le pro gramme en code machine qu'en tire l'application de la partie du système de l'ordinateur appelée assembleur doit être considéré, je crois, soit comme une reproduction ou une adaptation du programme en code d'assemblage...
Dans l'affaire Northern Office Microcomputers (Pty) Ltd. and others v. Rosenstein, [1982] F.S.R. 124 (Sup. Ct. Afrique du Sud), à la page 134 on dit ceci:
[TRADUCTION] Pour ce qui est des disques souples, dès que les instructions données à l'ordinateur y sont inscrites je crois qu'on peut à juste titre dire que les instructions ont été réduites sous une forme matérielle.
Dans l'affaire Apple Computer (Australie) le juge Fox dit à la page 24 de ses motifs:
[TRADUCTION] Le sujet du litige n'est pas les puces, mais le code. Le code est inscrit dans les puces dans le sens que les charges électriques se trouvent dans leurs éléments, disposées en fonction du code. La contrefaçon en l'espèce consiste en la reproduction sous une «forme matérielle» d'une adaptation de l'oeuvre .. .
Bien qu'il soit préférable de considérer que la version du code dans la puce est une reproduction sous une forme matérielle, le juge Lockhart aux pages 34 à 37 de ses motifs de jugement dans
l'affaire Apple Computer (Australie) a considéré la reproduction du programme comme une traduc- tion. Il dit ceci à la page 37:
[TRADUCTION] Sous forme écrite les deux programmes en code objet sont intelligibles pour les personnes. À mon avis ils correspondent à la description d'une traduction du code source dont ils sont tirés. Nombre de codes objet se rencontrent uniquement sous forme lisible par machine; (c'est-à-dire qu'il est impossible de les transcrire sous forme lisible) mais je n'en conclurai pas nécessairement qu'on ne puisse pas considérer ces codes comme des traductions des codes source dont ils sont tirés.
Les codes objet en litige sont des interprétations, transforma tions ou translitérations d'un langage vers un autre. Pour les fins relatives aux présentes ce sont des traductions.
À la lumière de toute cette jurisprudence, je crois que la demanderesse a établi non seulement une cause défendable, mais une cause probable. C'est d'autant plus vrai que le plagiat est flagrant et même pour l'essentiel reconnu.
Équilibre des inconvénients—Préjudice possible
Je me propose de traiter des questions d'équili- bre des inconvénients et de préjudice possible en même temps puisque les éléments de preuve rela- tifs à ces questions sont liés.
Le commerce des défendeurs consiste en impor tation, distribution et vente de micro-ordinateurs, d'accessoires et de différents autres appareils élec- troniques. Les défendeurs semblent avoir un réseau de vente dans tout le Canada. Les ordinateurs en cause sont fabriqués à Taiwan et importés. Ils se vendent de 1 750 $ à 2 500 $ de moins que l'ordi- nateur personnel de IBM. La défenderesse Spirales a peu d'employés—trois personnes outre les deux personnes nommées comme défendeurs en l'espèce. Il n'y a pas de doute que si l'injonction interlocu- toire n'est pas accordée, la défenderesse cherchera à agrandir son entreprise dans la mesure du possi ble. L'ampleur que celle-ci pourrait atteindre relève de la spéculation. Il est manifeste qu'elle ne peut se mesurer avec IBM pour la taille de l'entreprise.
Les défendeurs soutiennent que l'inscription de la poursuite et l'imposition de l'injonction interlo- cutoire ainsi que la publicité qui en a découlé ont déjà entraîné une diminution des ventes de presque soixante-dix pour cent. En conséquence, il est affirmé que l'octroi de l'injonction interlocutoire leur causera un tort considérable. Il semble plus
probable, cependant, que cette baisse récente des ventes résulte de la poursuite intentée contre Spi- rales par Orange Micro Inc. pour violation du droit d'auteur relatif à un autre programme d'ordi- nateur et, indirectement, d'une action intentée par Apple Computer Inc. contre un des clients de Spirales pour violation d'un programme de l'ordi- nateur Apple II. Ces produits constituent une bien plus grande partie du commerce des défendeurs que l'ordinateur COPAM.
Il y a des témoignages contradictoires quant au nombre d'ordinateurs COPAM vendus par la défen- deresse Spirales avant que la demanderesse n'in- tente des procédures contre elle. Je crois plus plausible qu'il y ait eu peu de ventes. La défende- resse soutient que le nombre est de neuf (deux de ces appareils ayant été vendus à des représentants non identifiés d'IBM). Si tel est le cas, alors la défenderesse n'a pas vraiment encore commencé de commercialiser le produit.
Les défendeurs soutiennent qu'il ne faut pas s'arrêter à l'évaluation de l'équilibre des inconvé- nients à moins qu'il ne soit établi que la demande- resse subira un préjudice irréparable si l'injonction interlocutoire n'est pas accordée.
La jurisprudence comporte différentes formula tions du critère relatif au préjudice éventuel pour déterminer s'il y a lieu d'accorder l'injonction interlocutoire. Dans certains arrêts, le critère est exprimé en terme de préjudice irréparable: voir Apple Computer, Inc. v. Computermat Inc. et al. (1983), 75 C.P.R. (2d) 26 (H.C. Ont.). Dans l'affaire American Cyanamid (précitée), le critère est formulé en fonction de savoir si des dommages- intérêts constitueraient un redressement approprié. Dans l'affaire Yule, Inc. v. Atlantic Pizza Delight Franchise (1968) Ltd. et al. (1977), 35 C.P.R. (2d) 273, la Haute Cour de l'Ontario s'est demandé s'il y avait un risque que la requérante subisse un préjudice que des dommages-intérêts ne pourraient pas compenser suffisamment.
En l'espèce, il est difficile de conclure que la demanderesse subirait un préjudice irréparable à cause des agissements de la seule défenderesse [Spirales] si l'injonction n'est pas accordée. Cela découle d'un seul élément—les tailles respectives des parties. Par contre, IBM pourrait subir direc- tement un dommage important, non pas des activi-
tés mêmes de la défenderesse, mais à cause de l'encouragement que le fait de ne pas accorder l'injonction donnerait à nombre d'autres sociétés de se lancer dans l'importation et la vente d'ordi- nateurs comportant le programme pour lequel la demanderesse détient un certificat de droit d'au- teur—à cause de l'effet d'avalanche. L'avocat de la demanderesse a exprimé ce phénomène de façon imagée en parlant d'une [TRADUCTION] «mort à coups d'épingle». Je ne doute pas que ne pas accorder l'injonction aurait pour effet d'ouvrir les vannes à une activité intense des autres sociétés. (On a mis en preuve qu'il est possible d'importer des ordinateurs de Taiwan et de les livrer à Mont- réal en trois ou quatre jours.)
De plus, la demanderesse a soutenu que partout au pays ses vendeurs subiraient un préjudice important. Un alinéa d'un affidavit déposé à l'ap- pui de la demande de la demanderesse décrit cet aspect des dispositions prises par les distributeurs de la façon suivante:
[TRADUCTION] IBM Canada Limitée a engagé plus de 120 revendeurs d'ordinateurs personnels IBM. Presque tous ces revendeurs sont canadiens ou des sociétés canadiennes. Les revendeurs les moins importants ont investi environ 250 000 $ canadiens pour constituer un stock, former du personnel et mettre en place les moyens nécessaires à l'entreprise. Les revendeurs canadiens les plus importants ont investi environ 800 000 $ par magasin. De façon typique, un petit vendeur a trois employés (qui peuvent être propriétaires ou co-propriétai- res dans bien des cas) et un revendeur important a de quinze à vingt employés par magasin.
Comme je l'ai déjà signalé, les défendeurs ven- dent l'ordinateur COPAM à un prix beaucoup moin- dre que celui de l'ordinateur personnel IBM. Je ne doute pas que les revendeurs de la demanderesse éprouveraient des pertes considérables si l'importa- tion d'ordinateurs COPAM prend de l'ampleur. La demanderesse subirait certainement une diminu tion de sa crédibilité commerciale si la confiance de ses revendeurs était ébranlée. Voir Spacefile Ltd. v. Smart Computing Systems Ltd. et al. (1983), 75 C.P.R. (2d) 281 (H.C. Ont.) à titre d'exemple de décision qui tient compte de ce fac- teur. Selon les termes du juge Walsh dans la décision Universal City Studios, Inc. v. Zellers Inc., [1984] 1 C.F. 49 la page 61]; (1983), 73 C.P.R. (2d) 1 (1 ' e inst.) la page 10], en l'espèce, l'intérêt de la demanderesse:
... ne se limite pas à un simple intérêt pécuniaire qui peut être indemnisé par le paiement de dommages-intérêts ou par la présentation d'un état comptable des profits réalisés ...
Il y a des éléments de preuve additionnels qui indiquent que le paiement de dommages-intérêts pourrait ne pas s'avérer un redressement suffisant si les défendeurs n'ont pas gain de cause lors du procès. Il y a des éléments de preuve selon lesquels le système de comptabilité des défendeurs est ina- déquat; on exige que les clients paient comptant; les registres des ventes et des opérations bancaires semblent ne pas être bien tenus. La demanderesse craint par conséquent de ne pouvoir établir les dommages-intérêts en raison des déficiences du système de comptabilité de l'appelante. Il va de soi, bien sûr, que les déficiences passées ne se reproduiront pas nécessairement à l'avenir, mais la demanderesse soutient que si personne n'exerce de surveillance sur de telles choses il n'y aura pas de garantie suffisante. De plus, la demanderesse craint que les défendeurs soient incapables de verser des dommages-intérêts s'ils finissent par perdre en première instance. Comme je l'ai déjà mentionné, ils font l'objet d'autres poursuites pour violation des droits d'auteur à l'égard de marchan- dises qui représentent une plus grande partie de leurs affaires que ne représente l'ordinateur COPAM. Il y a, à tout le moins, une certaine probabilité que les défendeurs ferment leurs portes avant le règlement définitif de la présente action.
De toute façon, je ne suis pas convaincue que le préjudice dont il faut établir la preuve dans un cas comme l'espèce, le plagiat est flagrant, soit aussi important qu'il ne l'est dans d'autres affaires d'injonction interlocutoire. L'avocat de la deman- deresse a soutenu que le critère du préjudice irré- parable est applicable aux brevets parce qu'il est facile de contrefaire un brevet par inadvertance. Aussi les tribunaux sont-ils peu enclins à accorder des injonctions interlocutoires dans des affaires de brevets. Il a soutenu toutefois que le plagiat ne peut se produire par inadvertance et qu'en consé- quence les tribunaux ont accepté plus volontiers d'accorder des injonctions interlocutoires lors d'ac- tions en violation du droit d'auteur lorsque le plagiat est manifeste, sans exiger qu'il y ait préju- dice irréparable ou conclure que les dommages- intérêts ne seraient pas une réparation suffisante. J'accepte ce raisonnement. Il correspond à mon interprétation de la jurisprudence. Il se peut que les tribunaux ne fassent rien d'autre que tenir compte, dans ces cas, de considérations d'équité comme la bonne ou la mauvaise foi des parties
ainsi qu'ils l'ont toujours fait avant d'accorder des redressements en équité. Mais, de toute façon, dans des affaires de violation du droit d'auteur, il me semble que, lorsque le plagiat est flagrant, il faille appliquer un critère moins strict relativement au préjudice éventuel que celui qu'on applique ordinairement dans des cas de ce genre. Voir: Universal City Studios, Inc. v. Zellers Inc., [1984] 1 C.F. 49; (1983), 73 C.P.R. (2d) 1 (1'° inst.), à la page 10 et Apple Computer (É.-U.) aux pages 124 et 125.
En conséquence, vu toutes les circonstances de l'affaire, je suis d'avis d'accorder l'injonction inter- locutoire demandée par la demanderesse.
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