A-172-85
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Waldemar Albrecht (intimé)
Cour d'appel, juges Urie, Marceau et le juge sup
pléant Cowan—Toronto, 6 juin; Ottawa, 18 juin
1985.
Assurance-chômage — Demande d'examen et d'annulation
de la décision du juge-arbitre renversant celle rendue par le
conseil arbitral — Refus du conseil d'antidater la demande de
prestations, le prestataire n'ayant pas fait valoir «un motif
justifiant le retard» au sens de l'art. 20(4) de la Loi —
Interprétation de «motif justifiant le retard» — Le prestataire
a suivi les instructions erronées que l'employeur lui a données
relativement au dépôt de la demande — Le juge-arbitre a jugé
que l'existence d'«un motif justifiant le retard» avait été
établie — Le requérant a soutenu que le juge-arbitre ne
pouvait pas substituer sa discrétion à celle des membres du
conseil arbitral — Le juge-arbitre a-t-elle commis une erreur
de droit en concluant que les faits constituaient un motif
justifiant le retard et en permettant l'antidatation de la
demande? — Question mixte de fait et de droit comportant
l'interprétation d'un texte de loi — Explication du jugement
Pirotte c. La Commission d'assurance-chômage et précisions
quant à la portée de celui-ci — Le requérant a fait valoir que
selon l'arrêt Pirotte un «motif justifiant le retard» n'était pas
établi lorsque le prestataire avait mal compris la loi à cause de
renseignements erronés donnés par un tiers — L'arrêt Pirotte a
seulement établi que l'ignorance de la loi ne constituait pas un
«motif justifiant le retard» — L'intimé a rempli les conditions
attachées à l'existence d'un «motif justifiant le retard» lors-
qu'il réussit à démontrer qu'il s'est acquitté de son devoir de
prudence pour se conformer aux exigences de la Loi —
L'intimé a l'obligation d'agir comme l'aurait fait une personne
raisonnable dans la même situation — Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 20(4) —
Règlement sur l'assurance-chômage, C.R.C., chap. 1576,
art. 39 (mod. par DORS/81-625).
Au moment de sa mise à pied, l'intimé s'est fait dire par son
ancien employeur qu'il ne pouvait demander des prestations
d'assurance-chômage avant que son indemnité de cessation
d'emploi ne lui ait été versée intégralement. Ce renseignement
erroné a été confirmé par l'agence de placement auprès de
laquelle l'intimé avait été envoyé. Se fiant aux connaissances de
son employeur et de son conseiller en placement, l'intimé a
déposé sa demande de prestations en retard. Le conseil arbitral
a refusé d'accepter l'explication de l'intimé et a rejeté sa
demande d'antidatation au motif qu'il n'avait pas établi un
«motif justifiant le retard». Le juge-arbitre s'est dit d'avis que
l'intimé avait agi comme l'aurait fait une personne raisonnable
dans la même situation et a permis l'antidatation de la
demande. Le présent appel qui attaque la décision du juge-arbi-
tre se fonde sur deux motifs: (1) le juge-arbitre n'avait pas le
droit de substituer sa discrétion à celle des membres du conseil
arbitral; (2) le juge-arbitre a commis une erreur de droit en
concluant que les motifs de retard donnés par l'intimé consti-
tuaient un «motif justifiant le retard» au sens de la Loi.
Arrêt: la demande est rejetée.
La question de savoir s'il existe un «motif justifiant le retard»
est une question de fait et de qualification qui n'implique pas
l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Il s'agit d'une question
mixte de fait et de droit. En renversant la décision du conseil, le
juge-arbitre ne conteste pas les conclusions de fait, mais bien
l'interprétation par le conseil des mots «motif justifiant le
retard». Il s'agit d'une question pouvant faire l'objet d'un appel
en vertu de l'article 95 de la Loi.
Le requérant invoque le jugement rendu dans l'affaire
Pirotte c. La Commission d'assurance-chômage, [1977] 1 C.F.
314 (C.A.), lequel a établi que l'existence d'un «motif justifiant
le retard» n'est pas démontrée lorsque le prestataire qui cherche
à obtenir l'antidatation a mal compris la loi à cause de rensei-
gnements erronés donnés par des tiers. La Commission soutient
qu'elle ne peut être tenue responsable que de ses propres
erreurs. Toutefois, l'affaire Pirotte ne fait qu'établir que l'igno-
rance de la Loi n'est pas en soi un «motif justifiant le retard». Si
le requérant peut démontrer qu'il s'est conformé au devoir de
prudence exigé d'une personne raisonnable se trouvant dans la
même situation, on doit présumer qu'il a donné un «motif
justifiant le retard». Le critère applicable comporte une appré-
ciation des faits en partie subjective. Une application souple du
paragraphe 20(4) est conforme aux intentions du législateur.
Dans le cas présent, la conclusion du juge-arbitre selon laquelle
les motifs de retard donnés par l'intimé constituaient un «motif
justifiant le retard» au sens de la Loi, est une bonne conclusion.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXMINÉE:
Pirotte c. La Commission d'assurance-chômage, [1977]
1 C.F. 314 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Commission d'assurance-chômage c. Howley (1984), 54
N.R. 317 (C.F. Appel); Procureur général du Canada c.
Dunnington, [1984] 2 C.F. 978 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
Procureur général du Canada c. Gauthier, jugement en
date du 9 octobre 1984, Division d'appel de la Cour
fédérale, A-1789-83, non encore publié.
AVOCAT:
Brian J. Roy pour le requérant.
Personne n'a comparu pour le compte de
l'intimé.
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu le privilège de lire les
motifs du juge Marceau. Je souscris entièrement à
ces motifs de même qu'au dispositif qu'il propose.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: La décision qu'on cherche
à faire examiner et annuler par la présente
demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] a été
prononcée par madame le juge Reed, en sa qualité
de juge-arbitre nommée en vertu de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap.
48]. Elle concerne une affaire soulevant, une fois
de plus, la question de savoir si un prestataire a le
droit de faire examiner sa demande de prestations
comme si elle avait été formulée à une date anté-
rieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement.
La disposition pertinente de la Loi est bien connue
des personnes concernées par l'application du sys-
tème de l'assurance-chômage: il s'agit du paragra-
phe (4) de l'article 20, dont voici le libellé:
20....
(4) Lorsqu'un prestataire formule une demande initiale de
prestations après le premier jour où il remplissait les conditions
requises pour la formuler et fait valoir un motif justifiant son
retard, la demande peut, sous réserve des conditions prescrites,
être considérée comme ayant été formulée à une date anté-
rieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement.
Le paragraphe 1 de l'article 20 [mod. par S.C.
1976-77, chap. 54, art. 33] établit que c'est la date
du dépôt de la demande initiale de prestations qui
détermine la date à laquelle le droit aux presta-
tions commence à courir. Le dépôt rapide des
demandes est manifestement considéré par le Par-
lement comme une condition essentielle du bon
fonctionnement du système mis sur pied par la Loi.
Pour le comprendre, il suffit de penser au nombre
d'enquêtes que la Commission est appelée à faire
pour confirmer la validité d'une demande. Néan-
moins, on ne peut que difficilement être insensible
au fait qu'une application stricte du principe pour-
rait causer au prestataire des pertes pécuniaires
qui ne pourraient pas toujours se justifier en invo-
quant une application plus facile de la Loi. Le
paragraphe 20(4) vise évidemment à apporter une
certaine souplesse dans l'application du principe.
La Loi permet d'antidater la demande de presta-
tions si le prestataire réussit à faire valoir «un
motif justifiant son retard», une condition trouvant
un écho à l'article 39 du Règlement [Règlement
sur l'assurance-chômage, C.R.C., chap. 1576
(mod. par DORS/81-625)], qui expose comme suit
les «conditions prescrites» requises par la Loi:
39. Une demande initiale de prestations peut être considérée
comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à
laquelle elle l'a été effectivement, si le prestataire prouve
a) qu'à cette date antérieure, il remplissait les conditions
requises à l'article 17 de la Loi pour recevoir des prestations;
et
b) que, durant toute la période comprise entre cette date
antérieure et la date à laquelle il a effectivement formulé sa
demande, il avait un motif valable de tarder à formuler sa
demande.
Mais que faut-il entendre par «motif justifiant le
retard»? Un «motif» est évidemment une raison—
une raison pour avoir omis d'agir plus tôt; mais,
qu'est ce qui fait qu'une raison est une raison
valable? Quel genre de circonstances donnent au
prestataire le «motif justifiant son retard» dont il a
besoin pour éviter la perte qu'il subirait autre-
ment? Ces circonstances font, dans un premier
temps, appel à des questions de fait. Mais, une fois
qu'elles ont été établies en preuve, encore faut-il
qu'on puisse les considérer comme un «motif justi-
fiant le retard». Qu'est ce qui constitue un motif
justificatif? La jurisprudence du juge-arbitre
abonde de cas où la question a été directement
soulevée et notre Cour a été appelée à plusieurs
reprises à se prononcer sur cette question. Malgré
cela, l'incertitude demeure. La présente espèce
donne à la Cour l'occasion de jeter un peu de
lumière sur le problème.
Les faits qui ont amené, en l'espèce, l'intimé à
tarder à déposer sa demande de prestations peu-
vent être rapidement exposés. Au moment de sa
mise à pied, l'intimé se fit dire par son ancien
employeur qu'il ne pouvait demander des presta-
tions d'assurance-chômage avant que son indem-
nité de cessation d'emploi ne lui ait été versée
intégralement, et que le relevé d'emploi qu'il
demandait et dont il avait effectivement besoin
pour formuler sa demande lui serait envoyé lorsque
le moment de procéder serait venu. L'intimé reçut
les mêmes renseignements de l'agence de place
ment où son ancien employeur l'avait envoyé pour
l'aider à trouver un nouvel emploi. Comme il
n'avait jamais eu affaire à l'assurance-chômage au
cours de ses trente-trois années d'emploi et qu'il ne
possédait pas, selon son expression, «l'expertise» ni
de son employeur ni de ses conseillers en place
ment, il ne pensa pas faire autre chose que de
suivre leurs instructions.
Le conseil arbitral refusa de considérer l'explica-
tion fournie par l'intimé comme un «motif justi-
fiant son retard» au sens du paragraphe 20(4) et se
contenta de confirmer la décision par laquelle la
Commission avait refusé d'antidater la demande
du prestataire. Le juge-arbitre ne fut pas d'accord.
Selon sa compréhension des exigences de la Loi, on
ne pouvait justifier l'imposition d'un critère aussi
strict que celui qui avait été appliqué par la Com
mission. A son avis, «il ne fallait pas attendre du
prestataire qu'il se conduise mieux qu'une per-
sonne censée». Sa conclusion fut que, eu égard aux
circonstances, l'intimé avait démontré l'existence
d'un «motif justifiant son retard».
L'attaque portée contre la décision du juge-arbi-
tre repose sur deux motifs. On prétend, en premier
lieu, que le juge-arbitre n'avait tout simplement
pas le droit de modifier la décision du conseil et de
[TRADUCTION] «substituer sa discrétion à celle des
membres du conseil arbitral» car aucun des motifs
de contestation prévus à l'article 95 [mod. par S.C.
1976-77, chap. 54, art. 56; 1984, chap. 40, art.
79(1)] n'aurait été présent'. En deuxième lieu, on
allègue que, en tout état de cause, le juge-arbitre a
commis une erreur de droit en concluant que les
faits avérés révélaient le motif justifiant le retard
qu'exigeait la Loi pour permettre d'antidater une
demande.
Voici le libellé de l'article 95:
95. Toute décision ou ordonnance d'un conseil arbitral peut,
de plein droit, être portée en appel de la manière prescrite,
devant un juge-arbitre par la Commission, un prestataire, un
employeur ou une association dont le prestataire ou l'employeur
est membre, au motif que
a) le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice
naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa
compétence;
b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance
entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à
la lecture du dossier; ou
e) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance
sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou
arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance.
J'estime pouvoir disposer du premier moyen en
peu de mots. À mon sens, la question de savoir s'il
existe un «motif justifiant le retard» n'est pas une
question de fait et de pouvoir discrétionnaire mais
bien une question de fait et de qualification. La
question est une question mixte de fait et de droit.
Le juge-arbitre ne conteste nullement les simples
conclusions de fait qu'a tirées le conseil; au con-
traire, elle les accepte toutes. Ce qu'elle conteste,
c'est le sens que le conseil donne aux mots «motif
justifiant son retard» tels qu'employés dans la Loi.
L'interprétation d'un texte législatif est impliqué
ce qui constitue évidemment une question de droit.
Le deuxième motif de contestation est beaucoup
plus sérieux et il me sera plus difficile de démon-
trer de façon satisfaisante pourquoi j'estime qu'il
doit, lui aussi, être rejeté. Comme on pouvait s'y
attendre, l'argument est formulé en faisant appel à
l'arrêt de principe invariablement cité en matière
d'antidatation, l'arrêt Pirotte c. La Commission
d'assurance-chômage, [1977] 1 C.F. 314 (C.A.).
L'on prétend que l'arrêt Pirotte et la longue série
de décisions rendues par la suite en vertu de son
autorité appuient le principe qu'un «motif justi-
fiant le retard» n'est pas établi lorsque la personne
qui cherche à faire antidater sa demande [TRA-
DUCTION] «fait valoir qu'elle a mal compris les
règles de droit qui lui étaient applicables ou qu'elle
a reçu des renseignements erronés d'une source
autre que la Commission» (page 8 du mémoire du
requérant). On explique que la Commission ne
saurait [TRADUCTION] «être tenue responsable des
erreurs attribuables à des renseignements erronés»
donnés par un tiers. «Il existe un devoir de pru
dence qui [TRADUCTION] impose à tout réclamant
l'obligation de s'informer auprès de la Commission
elle-même des exigences légales.»
Je sais qu'il existe plusieurs décisions et juge-
ments qui semblent avoir adopté l'opinion avancée
par le requérant en se réclamant de l'arrêt Pirotte.
Cependant, autant que mes vérifications m'ont
permis de constater, ces décisions et jugements
proviennent pour la plupart de la Commission
elle-même et de différents conseils arbitraux. Cer-
tains émanent peut-être de juges-arbitres mais je
ne crois pas que notre Cour ait clairement adopté
une manière de voir aussi rigide. On a soutenu que
notre Cour se serait récemment ralliée à cette
façon de voir, dans les arrêts Commission d'assu-
rance-chômage c. Howley (1984), 54 N.R. 317 et
Procureur général du Canada c. Dunnington,
[1984] 2 C.F. 978. L'avocat du requérant a toute-
fois admis, au cours des débats, que les faits de
cette dernière affaire étaient tellement différents
de ceux des autres affaires qu'on pouvait facile-
ment établir une distinction entre cet arrêt et les
autres, et je suis d'avis que le jugement Howley
doit de même être vu comme un arrêt d'espèce
confiné à ses propres faits qui différaient sensible-
ment de ceux qui nous intéressent. Ceci semble
être confirmé par le fait qu'un jugement encore
plus récent de notre Cour, l'arrêt Procureur géné-
ral du Canada c. Gauthier (A-1789-83, rendu le 9
octobre 1984 et non encore publié) semble avoir
manifestement adopté un point de vue opposé.
Pour ce qui concerne donc les arrêts Howley et
Dunnington, je ne crois pas que le principe du
stare decisis, ou ceux de la courtoisie judiciaire, ou
de la saine administration de la justice, peu
importe lequel de ces principes peut s'appliquer à
notre Cour, nous force à les suivre.
Quant à l'arrêt Pirotte, j'estime que certains
conseils arbitraux et certains juges-arbitres lui ont
donné une portée et un élargissement de principe
qu'une lecture attentive des motifs du jugement ne
justifie pas. La raison déterminante de la décision
du juge Le Dain (alors juge à la Cour d'appel) est
entièrement contenue dans le passage suivant, cité
à la page 317:
Ce que le Parlement a voulu dire, dans l'article 20(4), par
«motif justifiant» le retard doit être déterminé à la lumière des
principes généraux du droit. Il faut présumer que le Parlement
n'a pas voulu s'écarter de ces principes à moins qu'il n'ait
manifesté clairement son intention de le faire. (Maxwell, On
Interpretation of Statutes, 12° éd., p. 116.) C'est un principe
fondamental que l'ignorance de la loi n'excuse pas le défaut de
se conformer à une prescription législative. (Mihm c. Le minis-
tre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1970] R.C.S. 348
à la page 353.) Ce principe, parfois critiqué parce qu'il serait
fondé sur la présomption peu réaliste que la loi est connue de
tous, a depuis longtemps été reconnu comme essentiel à l'ordre
juridique. C'est un principe si fondamental que je ne puis
croire, en l'absence d'indications claires au contraire, que le
Parlement a voulu que l'expression «motif justifiant son retard»
dans l'article 20(4) comprenne l'ignorance de la loi.
Cela signifie évidemment que l'ignorance de la loi
ne constitue pas un motif justifiant le retard au
sens du paragraphe 20(4) de la Loi, et je n'oserai
m'écarter de ce principe. Mais cela ne signifie rien
d'autre. Il est vrai que le juge Le Dain n'a pas
limité ses observations à cette déclaration. Au
dernier paragraphe de ses motifs, il écrit [aux
pages 317 et 318]:
Admettre que l'ignorance de la loi soit un motif justifiant le
retard d'un prestataire ce serait, comme l'a dit le juge-arbitre,
introduire beaucoup d'incertitude dans l'administration de la
Loi à moins qu'on ne puisse formuler un critère clair et sûr
permettant de dire dans quel cas il en doit être ainsi. Personne,
à ce que je sache, ne prétend que l'ignorance de la loi doive
toujours être considérée comme une excuse justifiant le retard.
Alors, dans quel cas devra-t-elle être ainsi considérée? A mon
avis, le seul critère qui permette de répondre à cette question
est celui qui résulte du devoir de prudence qui impose à tout
réclamant l'obligation de s'informer auprès de la Commission
elle-même des exigences de la loi et des règlements. Mais alors
ce qui expliquerait le retard du réclamant ne serait pas tant son
ignorance de la loi que les fausses représentations faites au nom
de la Commission. On pourrait alors considérer le retard
comme étant justifié parce qu'il serait attribuable à la Commis
sion plutôt qu'au réclamant. Il n'est pas nécessaire cependant
d'exprimer une opinion sur ce point.
C'est manifestement cette déclaration qui a donné
lieu à la jurisprudence invoquée par le requérant.
Mais le juge ne faisait qu'exprimer sa pensée sur
ce qu'il pouvait alors concevoir et il a d'ailleurs
bien pris soin de souligner qu'il formulait une
opinion incidente. Voilà pourquoi je refuse d'ac-
cepter l'argument du requérant suivant lequel la
Cour est forcée, en raison de l'existence d'un pré-
cédent aussi clair, l'arrêt Pirotte, de même que par
la règle de la courtoisie judiciaire sinon par l'auto-
rité de la chose jugée, d'adopter l'interprétation
qu'il accorde à l'expression «motif justifiant le
retard».
Il me semble que la seule logique ne nous
permet pas de passer du principe selon lequel
l'ignorance de la loi ne constitue pas un motif
valable (le seul principe que l'arrêt Pirotte admet
réellement) à cet autre que l'ignorance de la loi
exclut tout motif valable. Le deuxième principe ne
découle aucunement du premier. C'est, il convient
de le bien saisir, sur ce deuxième principe que
repose l'interprétation avancée par le requérant,
tellement que l'on explique l'optique différente
dans laquelle est considérée l'ignorance imputable
à la Commission en affirmant que, dans ce cas, le
principe serait supplanté par celui selon lequel la
Commission doit être tenue responsable de ses
propres erreurs (une explication, incidemment,
quelque peu surprenante eu égard au fait que la
règle dont nous traitons n'a rien à voir avec la
responsabilité administrative). Dire, comme le fait
en réalité le requérant, que l'ignorance de la loi ne
peut constituer un motif justificatif va à l'encontre
du but poursuivi par la Loi puisque, à part les cas
d'incapacité physique et ceux possibles d'indiffé-
rence ou d'incurie, l'ignorance de la loi entre
nécessairement en jeu lorsqu'un prestataire néglige
d'exercer ses droits en temps utile. La thèse du
requérant me semble inacceptable.
Dans ses motifs de jugement, le juge-arbitre
nous rappelle à juste titre que «le motif valable de
retard vise la manière d'agir du prestataire». Le
prestataire est, en effet, soumis à une obligation
impliquant un devoir de prudence et j'admets sans
peine que pour garantir le dépôt rapide des deman-
des de prestations, ce que le législateur considère
comme très important, il faut interpréter cette
obligation et ce devoir comme étant très sévères et
très stricts. Évidemment, je ne doute pas qu'il
serait illusoire pour un prestataire d'invoquer un
«motif justifiant son retard» lorsque sa conduite ne
peut être imputée qu'à son indifférence ou à son
incurie. J'admets également sans peine qu'il ne
suffit pas pour le prestataire d'invoquer simple-
ment sa bonne foi et son ignorance totale de la loi.
Mais le respect d'une obligation et du devoir de
prudence qui l'accompagne n'exige pas des actes
qui vont au-delà des limites raisonnables. À mon
avis, lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa
demande dans le délai imparti et qu'en dernière
analyse, l'ignorance de la loi est le motif de cette
omission, on devrait considérer qu'il a prouvé
l'existence d'un «motif valable» s'il réussit à
démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une
personne raisonnable dans la même situation pour
s'assurer des droits et obligations que lui impose la
Loi. Cela signifie que chaque cas doit être jugé
suivant ses faits propres et, à cet égard, il n'existe
pas de principe clair et facilement applicable; une
appréciation en partie subjective des faits est
requise, ce qui exclut toute possibilité d'un critère
exclusivement objectif. Je crois, cependant, que
c'est là ce que le législateur avait en vue et c'est, à
mon avis, ce que la justice commande.
Le deuxième motif de contestation avancé par le
requérant n'a, à mon sens, pas plus de valeur que
le premier. Le critère que le juge-arbitre a substi-
tué à celui qu'a appliqué le Conseil et qu'elle a
ensuite appliqué pour conclure que le prestataire
avait établi un «motif justifiant son retard» était le
bon.
La présente demande me semble par conséquent
mal fondée et j'estime qu'elle doit être rejetée.
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN: Je suis du même
avis.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.