T-5986-82
Gerlando Lagiorgia (demandeur)
c.
Sa Majesté La Reine du chef du Canada, le
procureur général du Canada et l'Honorable
Perrin Beatty en sa qualité de Ministre du Revenu
national (défendeurs)
Division de première instance, juge Joyal—Mont-
réal, 14 mars; Ottawa, 9 mai 1985.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, per-
quisitions ou saisies — Redressement prévu par la Charte
lorsque des fouilles, perquisitions ou saisies de documents
effectuées en vertu de l'art. 231(4) de la Loi de l'impôt sur le
revenu sont illégales — Les dommages-intérêts réclamés en
vertu de l'art. 24(1) de la Charte ne sont pas fondés — Sort
réservé aux documents saisis illégalement — Intérêt public
opposé aux droits de la personne protégés par la Constitution
— En raison de l'effet combiné des art. 8 et 24(1) de la Charte,
les documents doivent être remis au demandeur même s'ils
sont nécessaires aux fins d'une poursuite criminelle — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 24(1),(2) — Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1) — Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 231(4).
Impôt sur le revenu — Saisies — Fouilles, perquisitions ou
saisies en vertu de l'art. 231(4) de la Loi contreviennent à l'art.
8 de la Charte — Sort réservé aux documents illégalement
saisis — Intérêt public opposé aux droits de la personne
protégés par la Constitution — En raison de l'effet combiné
des art. 8 et 24(1) de la Charte, les documents doivent être
remis au demandeur même s'ils sont nécessaires aux fins d'une
poursuite criminelle — La permission de modifier la partie de
la déclaration qui concerne les documents saisis chez le comp-
table du demandeur est refusée parce que celui-ci est étranger
au litige et parce que la Cour ne peut statuer sur ses droits en
son absence — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72,
chap. 63, art. 231(4) — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 8, 24(1),(2).
Les faits de la cause sont énoncés dans la note de l'arrêtiste
qui suit.
Il importe de décider si le demandeur a droit à la restitution
des documents saisis illégalement le 8 juillet 1982, car, d'après
les défendeurs, ils seraient nécessaires aux fins d'une poursuite
criminelle. D'une part, il faut tenir compte des droits du
propriétaire de revendiquer ses documents, du droit garanti par
la Charte à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou
les saisies abusives, de la disposition de la Charte concernant
l'irrecevabilité d'éléments de preuve qui risqueraient de décon-
sidérer l'administration de la justice et enfin de l'application de
l'article de la Charte qui prévoit une réparation juste et conve-
nable dans les cas de violation de ladite Charte. D'autre part, il
y a la règle d'intérêt public concernant l'admissibilité de la
preuve obtenue illégalement.
Le demandeur a également demandé la permission de modi
fier sa déclaration afin de pouvoir réclamer les documents qui
lui appartiendraient et qui auraient été saisis chez son compta-
ble, ainsi qu'une ordonnance interdisant aux défendeurs d'utili-
ser l'un quelconque de ces documents ou tout renseignement
qu'ils pourraient en tirer.
Jugement: les fouilles, les perquisitions et les saisies effec-
tuées le 8 juillet 1982 sont illégales et contreviennent à l'article
8 de la Charte; la Cour ordonne la remise au demandeur des
documents saisis au cours de ces fouilles. Les autres réclama-
tions du demandeur sont rejetées.
Le droit d'un propriétaire de revendiquer des documents
obtenus illégalement n'est pas absolu; les tribunaux ont permis
leur utilisation à des fins de preuve. Une ordonnance portant
restitution des documents au demandeur réglerait bien sûr le
problème de leur admissibilité en preuve.
Les arguments pour et contre la restitution et l'admissibilité
d'éléments de preuve obtenus illégalement n'ont pas été modi-
fiés de manière substantielle par les paragraphes 24(1) et (2)
de la Charte. Il faut cependant tenir compte d'une considéra-
tion additionnelle: la protection contre les fouilles, les perquisi-
tions ou les saisies garantie par l'article 8 de la Charte.
Traditionnellement, l'attitude dominante en faveur de l'admis-
sion de la preuve reflétait des considérations d'ordre public.
Aujourd'hui, il faut non seulement se demander si l'admission
d'une preuve déconsidérera l'administration de la justice, mais
aussi s'il y a eu violation d'un droit garanti par la Constitution.
Les décisions applicables en l'espèce tantôt permettent à la
Couronne de conserver les éléments de preuve, tantôt lui ordon-
nent de les restituer à la victime de la saisie illégale. La solution
qui consiste à laisser le juge de première instance décider de
l'admissibilité de la preuve sur la base du paragraphe 24(2) de
la Charte n'est pas sans fondement.
Cela ne permet toutefois pas de régler la question constitu-
tionnelle en cause. Le paragraphe 231(4) de la Loi de l'impôt
sur le revenu est nul et anticonstitutionnel parce qu'il est en soi
abusif et contraire à l'article 8 de la Charte. On ne peut
protéger les droits du citoyen contre une saisie abusive si, en
même temps, on permet aux autorités d'en profiter. La Cou-
ronne doit se plier aux limites imposées par l'article 8. Comme
la saisie était illégale, la Cour se doit d'imposer une sanction.
Quelle sanction serait plus appropriée ou plus conforme à
l'objet de l'article 8 et du paragraphe 24(1) que celle qui
ordonne la remise des documents à leur propriétaire?
Quant à la requête en modification de la déclaration, elle est
refusée. Premièrement parce que la Cour ne possède pas de
preuve lui permettant de décider lesquels de ces documents sont
la propriété du demandeur ou du comptable. Deuxièmement
parce que le comptable est étranger à ces procédures et n'est
donc pas en mesure de défendre ses intérêts. Même si le
procureur du comptable est présent parce qu'il représente
également le demandeur, cela ne suffit pas parce qu'il pourrait
y avoir un grave conflit d'intérêts entre le demandeur et son
comptable. Quoi qu'il en soit, à la suite de l'arrêt de la Cour
d'appel de l'Ontario Model Power v. R. (1981), 21 C.R. (3d)
195, le demandeur n'aurait pas la qualité requise pour
intervenir.
La réclamation en dommages-intérêts du demandeur est
examinée dans la note de l'arrêtiste qui suit.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Model Power v. R. (1981), 21 C.R. (3d) 195 (C.A. Ont.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Skis Rossignol Canada Ltée/Ltd. c. Hunter, [1985] I
C.F. 162 (I"° inst.); Lewis v. M.N.R. et al., [1984] CTC
642; 84 DTC 6550 (C.F. Ife inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272; Il D.L.R. (3d) 673;
Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574; 48 D.L.R. (3d)
427; Rothman c. La Reine, [198I] I R.C.S. 640; Hunter
et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; I I
D.L.R. (4th) 641; 55 N.R. 241; 33 Alta. L.R. (2d) 193;
[1984] 6 W.W.R. 577; 84 DTC 6467; 14 C.C.C. (3d) 97;
41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; Re Chapman and The
Queen (1984), 12 C.C.C. (3d) I (C.A. Ont.); R. v. Noble
(1984), 6 O.A.C. Il; 42 C.R. (3d) 209; Blackwoods
Beverages Ltd. v. R., [1985] 2 W.W.R. 159; 47 C.P.C.
294 (C.A. Man.); The Queen v. Rowbotham. et al.,
jugement en date du 20 novembre 1984, C.S. Ont., juge
Ewaschuk, encore inédit; Ministre du Revenu national c.
Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535 (C.A.).
AVOCATS:
Guy Du Pont et Jacques Bernier pour le
demandeur.
Yvan Roy et Richard Corbeil pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Verchère, Noël & Eddy, Montréal, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE JOYAL:
NOTE DE L'ARRETISTE
Agissant sous l'autorité d'un mandat de perqui-
sition obtenu d'un juge de la Cour supérieure en
vertu du paragraphe 231(4) de la Loi de l'impôt
sur le revenu, des fonctionnaires du ministère du
Revenu national ont saisi des documents apparte-
nant au demandeur. La Cour d'appel fédérale a
subséquemment décidé dans l'arrêt Ministre du
Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535
que cet article était inopérant parce qu'il allait à
l'encontre de l'article 8 de la Charte. Le deman-
deur a intenté une action afin de réclamer des
dommages-intérêts comme le lui permet le para-
graphe 24(1) de la Charte, d'obtenir la restitution
des documents saisis et de faire exclure les
documents saisis lors de la descente de la preuve
à son procès concernant les accusations portées
contre lui sous le régime de la Loi de l'impôt sur
le revenu.
L'arrêtiste a décidé de publier un résumé de ce
jugement. Le résumé contient les faits de la cause
ainsi que les motifs du jugement sur la question
des dommages-intérêts. Quant au sort réservé
aux documents saisis, les motifs du jugement s'y
rapportant sont publiés intégralement. Les lec-
teurs pourront vouloir comparer les motifs du
présent jugement avec ceux qu'a prononcés le
juge Denault dans l'affaire Skis Rossignol Canada
Ltée/Ltd. c. Hunter, qui est publiée à la page 162
du présent recueil.
Le demandeur est de descendance euro-
péenne et sa connaissance de nos langues offi-
cielles et de nos formalités administratives est
quelque peu limitée. Il n'a pas produit de déclara-
tions d'impôt sur le revenu pendant quatre ans.
Une longue enquête—au cours de laquelle on a
saisi des documents appartenant au vérificateur
comptable du demandeur—a révélé qu'en plus
des revenus tirés de sa pizzeria, le demandeur
avait enregistré des bénéfices provenant d'hypo-
thèques et de la vente de biens immeubles.
Le demandeur allègue que la descente lui a
causé du stress et que sa réputation a été ternie.
Les éléments de preuve qui ont été soumis pour
étayer ces allégations n'ont pas convaincu le juge
Joyal qui a fait remarquer qu'il était tout à fait
normal que le demandeur se sente déprimé dans
les circonstances. De plus, une enquête du fisc
chez un homme d'affaires n'est pas une source
de scandale. Bien que la descente ait été effec-
tuée avec une certaine fermeté, il ne faut pas
oublier que les autorités avaient parfaitement
raison de croire que l'affaire n'était pas sans
importance et que les revenus cachés étaient
considérables. Enfin, le demandeur n'a pas réussi
à démontrer que son entreprise a subi des dom-
mages parce qu'on l'a privé de ses livres. La
preuve révèle qu'il a toujours eu accès à ces
documents et qu'il pouvait en obtenir toutes les
copies requises.
En vertu de l'article 24 de la Charte, la Cour
pouvait, à sa discrétion, accorder la réparation
qu'elle estimait convenable et juste eu égard aux
circonstances. Au moment où la descente a été
effectuée, le paragraphe 231(4) était présumé
valide et le fisc a agi de bonne foi et de manière
conforme aux règles de droit et aux procédures
établies. Il n'existe donc aucune raison d'adjuger
des dommages-intérêts.
Il reste maintenant à savoir si le demandeur a
droit à la remise des documents dont la défende-
resse [La Reine] prétend avoir besoin pour sa
poursuite. C'est ici qu'un tribunal fait face à un
dilemme ou plutôt, à un conflit de valeurs. D'un
côté, il est bien établi que la possession par autrui
ne vaut contre son propriétaire et, règle générale, il
est tout à fait dans l'ordre que le propriétaire soit
en mesure de revendiquer sa propriété. Tout refus
d'un tribunal dans une situation normale de recon-
naître ce droit serait susceptible de déconsidérer
l'administration de la justice.
D'autre part, l'intérêt public vient à l'encontre
de cette règle. Il est vrai que la preuve fut obtenue
illégalement mais la jurisprudence traditionnelle
n'aurait pas voulu que, par ce fait même, la preuve
soit écartée. En common law, le principe fonda-
mental est l'admissibilité de la preuve, qu'importe
les méthodes de son obtention. Ce principe fut
répété par la Cour suprême dans l'arrêt Wray'
ainsi que dans l'arrêt Hogan 2 . L'exception à la
règle, selon la doctrine, se limitait aux cas où il
serait notoirement inéquitable que la preuve soit
admise ou qu'elle aurait été obtenue dans des
circonstances scandaleuses, ou enfin, comme le
disait le juge Lamer de la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Rothman 3 , que la conduite
des autorités en serait une «qui choque la
collectivité».
' R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272; 11 D.L.R. (3d) 673.
2 Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574; 48 D.L.R. (3d)
427.
3 Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640, la page 642.
Tout ceci me porte à croire que le droit de tout
propriétaire de revendiquer un bien illégalement
obtenu n'est pas un droit absolu. La jurisprudence
a permis aux autorités de se servir de ce bien pour
fins de preuve.
Le demandeur prétend qu'en raison de l'illéga-
lité de la perquisition, les documents saisis doivent
lui être retournés. Une ordonnance à cet effet
saurait régler le problème d'admissibilité. Une fois
la preuve remise entre les mains de son proprié-
taire, le débat est clos.
Je me permets ici de citer le préambule du
savant article de Me Claude-André Lachance
publié récemment dans la Revue du Barreau
canadien 4 :
Situé entre le modèle inclusionnaire issu de la common law et le
modèle exclusionnaire américain, l'article 24(2) représente un
compromis qui oblige le juge, placé devant une preuve irréguliè-
rement obtenue, à donner priorité à l'application régulière de la
loi ou à la recherche de la vérité. Ce faisant, le juge doit évaluer
les circonstances d'obtention de cette preuve en fonction de
critères qu'il faut chercher dans le droit écossais et le droit
australien, dans la doctrine et le cas échéant, dans les obiter
dicta des juges canadiens qui acceptent le principe de l'exclu-
sion exceptionnelle de la preuve irrégulièrement obtenue. En ce
sens, l'article 24(2) soulève des considérations d'éthique judi-
ciaire: il impose en effet des normes minimales de conduite,
tout en permettant une certaine souplesse dans l'évaluation des
circonstances d'obtention de cette preuve en fonction des carac-
téristiques propres à l'affaire.
Je conclus de cette synthèse que la discrétion qui
existait avant la mise en vigueur de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)] demeure substantiellement la même.
Compte tenu de toutes les circonstances, un juge
doit se pencher sur les réparations que prévoit le
paragraphe 24(1), ce qui pourrait inclure la remise
de la preuve à son propriétaire, ou sur l'admissibi-
lité de cette preuve sous l'égide du paragraphe
24(2). Dans un cas ou dans l'autre, le débat se
maintient entre la doctrine inclusionnaire d'un côté
et la doctrine exclusionnaire de l'autre.
Mais si la discussion demeure substantiellement
la même, elle doit s'exercer dorénavant dans le
contexte d'une garantie prévue à l'article 8 de la
Charte. L'article 8 dit bien que «Chacun a droit à
4 »L'exclusion de la preuve illégalement obtenue et la Charte»
(1984), 62 R. du B. can. 278.
la protection contre les fouilles, les perquisitions ou
les saisies abusives.» En anglais: «Everyone has the
right to be secure against unreasonable search or
seizure.» [Le souligné est le mien.] Cette protec
tion est une protection consitutionnelle qui s'atta-
che à la personne et dont toute violation donne lieu
à des réparations prévues au paragraphe 24(1). La
remise des documents saisis illégalement peut bien
constituer une de ces réparations.
La doctrine traditionnelle, substantiellement
inclusionnaire en matière d'admissibilité de la
preuve ne reflétait que l'intérêt public. Avant la
Charte, il n'existait pas un droit constitutionnel
protégeant une personne contre une saisie, une
perquisition ou une fouille abusive. Ce qui me
porte à croire qu'un tribunal doit maintenant con-
sidérer non seulement l'admissibilité d'une preuve
dans le contexte de sa susceptibilité de déconsidé-
rer l'administration de la justice, mais aussi dans
le contexte d'une violation des droits et libertés qui
sont constitutionnellement garantis par la Charte.
La jurisprudence soulève une foule d'arrêts sur
la façon de traiter de la preuve illégalement obte-
nue. Peu nombreux, cependant, sont les arrêts qui
touchent aux redressements prévus au paragraphe
24(1). Mon distingué collègue, le juge Denault,
face à des circonstances semblables à celles devant
moi, a fait une analyse complète de ces arrêts dans
sa décision rendue le 22 février 1985 dans la cause
Skis Rossignols. Le savant juge devait décider non
pas de la recevabilité de la preuve dont lui-même
aurait été saisi mais de la remise de documents que
la Couronne avait besoin pour fins d'une poursuite.
Il n'était pas contesté que depuis l'arrêt Southam 6 ,
l'invalidité de l'article 10 de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap.
C-23] rendait nul et sans effet le mandat de
perquisition des documents et pièces appartenant à
Skis Rossignol. Le juge Denault disait ceci [aux
pages 166 et 167]:
La seule véritable question en litige est de savoir si les
requérantes ont droit à la remise de toutes les photocopies ou
microfiches des documents illégalement saisis et en particulier
celles dont la Couronne prétend avoir besoin pour les fins de
son accusation.
5 Skis Rossignol Canada Ltée/Ltd. c. Hunter, [1985] 1 C.F.
162 (l'° inst.).
6 Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145; 11
D.L.R. (4th) 641; 55 N.R. 241; 33 Alta. L.R. (2d) 193; [1984]
6 W.W.R. 577; 84 DTC 6467; 14 C.C.C. (3d) 97; 41 C.R. (3d)
97; 9 C.R.R. 355.
Selon le procureur des requérantes, la saisie étant annulée,
les victimes d'une telle saisie abusive ont droit à la remise des
effets saisis et aux reproductions qu'on en a faites même si des
poursuites judiciaires ont depuis été prises. De plus, les requé-
rantes auraient droit de demander un interdit sur l'utilisation
des pièces illégalement obtenues.
Selon le procureur des intimés, on ne doit permettre la remise
des copies d'effets saisis illégalement qu'avec beaucoup de
circonspection, surtout lorsqu'une plainte a été portée en jus
tice; ainsi on peut ordonner la remise de ces biens si l'autorisa-
tion de perquisition ou la saisie elle-même sont affectées de
vices techniques ou de substance, ou si elles n'ont pas été
exécutées de façon adéquate. Par ailleurs, il en serait autrement
si rien n'affecte la perquisition ou la saisie telle quelle si ce n'est
que la loi qui la permettait a été jugée inopérante par une
décision de la Cour suprême du Canada.
Le juge Denault concluait qu'aucune circons-
tance particulière n'avait été démontrée justifiant
d'accorder les conclusions recherchées par les
requérants. «L'affidavit des intimés,» disait la
Cour, «à l'effet qu'ils ont besoin de la preuve
recueillie dans une plainte déjà portée contre les
requérantes justifie la Cour de rejeter cette
requête. Il appartiendra au juge de la Cour des
sessions de la paix d'évaluer si les éléments de
preuve ainsi recueillis sont "susceptible[s] de
déconsidérer l'administration de la justice".»
Avant de tirer ses conclusions, le juge Denault
s'est permis de citer plusieurs décisions récentes où
la question de la remise d'objets illégalement saisis
avait été tranchée. Tantôt, concluait-il, on se
penche du côté de la victime', tantôt du côté de la
Couronne'. Il cite aussi la cause Lewis 9 où le juge
Walsh de la Cour fédérale avait adopté une posi
tion «mitoyenne» en ordonnant à la Couronne de
remettre les objets illégalement saisis mais avec un
délai permettant à la Couronne de procéder légale-
ment à une nouvelle saisie.
Je pourrais aussi citer le jugement de la Cour
d'appel du Manitoba dans la cause Blackwoods
Beverages Ltd.'° qui fut rendu le 20 novembre
1984 ainsi que les motifs du jugement de monsieur
7 Re Chapman and The Queen (1984), 12 C.C.C. (3d) 1
(C.A. Ont.).
8 R. v. Noble (1984), 6 O.A.C. 11; 42 C.R. (3d) 209.
s Lewis v. M.N.R. et al., [ 1984] CTC 642; 84 DTC 6550
(C.F. 1" inst.).
I° Blackwoods Beverages Ltd. v. R., [1985] 2 W.W.R. 159;
47 C.P.C. 294 (C.A. Man.).
le juge Ewaschuk de la cour suprême de l'Ontario
dans l'affaire Rowbotham". Dans l'arrêt Black -
woods Beverages, le juge en chef Monnin endosse
le principe de la remise d'objets ou de documents
illégalement saisis. Dans la cause Rowbotham,
monsieur le juge Ewaschuk était le juge d'instance
et délibérait sur les dispositions du paragraphe
24(2) et non sur le paragraphe 24(1) de la Charte.
Je ne pourrais croire que la jurisprudence sous
l'égide du paragraphe 24(2) puisse aider un tribu
nal à qui on demande des réparations qui sont
prévues au paragraphe 24(1).
Effectivement, les décisions précitées du juge
Walsh et du juge Denault mènent au même résul-
tat. Chacune permet au juge d'instance de déter-
miner si la preuve qui lui serait soumise devrait ou
ne devrait pas être admise, compte tenu du test
qu'impose le paragraphe 24(2). Je reconnais le
mérite aussi bien que la logique de cette disposi
tion. La détermination que doit faire le juge d'ins-
tance peut se faire de façon beaucoup plus judi-
cieuse. Le juge d'instance serait saisi non
seulement de la preuve illégalement obtenue mais
de toutes les autres circonstances pertinentes du
procès. Il pourrait juger de l'importance des docu
ments saisis comme preuves d'infraction, des
moyens de défense autres que l'exclusion de la
preuve auxquels le demandeur aurait recours, et
des circonstances qui auraient entouré la saisie.
Plus particulièrement en ce qui concerne la cause
devant moi, pourrait-il juger du fait que les fonc-
tionnaires du ministère du Revenu auraient été mis
sur la piste du demandeur comme conséquence
d'une saisie faite antérieurement chez le comptable
du demandeur.
Tout ce raisonnement, cependant, ne touche
qu'indirectement l'aspect constitutionnel du conflit
que la situation provoque. Le paragraphe 231(4)
de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952,
chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 1)] est déclaré nul et anticonstitutionnel parce
qu'il est per se abusif et à l'encontre de la garantie
qu'accorde à toute personne l'article 8 de la
Charte. On ne peut facilement protéger les droits
du citoyen contre une saisie abusive si, en même
temps, on permet aux autorités d'en profiter quand
même. Donner et retenir ne vaut.
11 The Queen v. Rowbotham, et al., cour suprême de l'Onta-
rio, 20 novembre 1984.
«La Constitution du Canada est la loi suprême
du Canada;» comme le dit bien le paragraphe
52(1) de celle-ci [Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)], «elle rend inopérantes les dispositions
incompatibles de toute autre règle de droit.»
L'article 8 est une disposition constitutionnelle
pour le «droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou saisies abusives», en anglais: «the
right to be secure against unreasonable search or
seizure.» (Le souligné est le mien.) Cette protec
tion est une protection contre l'autorité publique.
L'article déclare que l'individu a droit à cette
protection. L'article impose donc à l'autorité publi-
que ainsi qu'au législateur l'obligation d'adminis-
trer la justice en conformité avec cette règle. L'in-
tention de la règle est bien de faire respecter par
l'autorité publique le droit à cette protection.
Il n'en résulte pas pour autant que l'administra-
tion de la justice est préjudiciée. L'autorité publi-
que n'a qu'à agir conformément à la loi. En
matière de perquisition, de fouille ou de saisie,
l'article 8 impose un frein pour bien sauvegarder
l'équilibre entre les exigences de la collectivité et
les droits constitutionnels de la personne. L'auto-
rité publique doit nécessairement se plier aux limi-
tes que cet article lui impose.
Ainsi, tout en souscrivant aux motifs de mes
collègues Walsh et Denault, je désire souligner
l'importance qu'un tribunal doit attacher à l'im-
pact de notre nouvelle Charte et à la légalité de
tout acte posé par l'autorité publique. Dans le cas
d'instance, la saisie est illégale. Elle est déclarée
abusive en raison de la mesure législative sur
laquelle elle est fondée. La procédure entamée par
l'autorité publique est illégale. Face à cette illéga-
lité, un tribunal se doit d'imposer une sanction. Je
ne peux concevoir une sanction plus raisonnable ou
plus équitable ou plus conforme à la poussée de
l'article 8 et aux redressements prévus au paragra-
phe 24(1) que celle qui exige la remise des docu
ments saisis à leur propriétaire. L'autorité publi-
que peut toujours se prévaloir d'autres moyens
légitimes pour bien remplir ses responsabilités sta-
tutaires et maintenir le respect des lois.
Il me reste à considérer un autre incident se
rattachant au litige. En date du 2 janvier 1985, le
demandeur priait cette Cour de bien vouloir lui
permettre de modifier sa déclaration originale,
telle qu'amendée, afin d'ajouter à ses redresse-
ments la remise de certains documents qu'il pré-
tend lui appartenir et qui auraient été saisis lors
d'une perquisition chez son comptable agréé le 3
décembre 1981. De plus, on demandait au tribunal
une ordonnance empêchant les défendeurs de faire
usage de tous les documents saisis chez son comp-
table ou de toute information que ces documents
auraient dévoilée.
Il fut plus tard convenu qu'il y aurait une reprise
d'instance pour statuer sur la requête elle-même et
sur les mérites du redressement proposé. Cette
reprise eut lieu à Montréal le 14 mars 1985 et la
Cour, à cette occasion, a eu le bénéfice des argu
ments présentés par les savants procureurs.
Je conclus que je ne peux me permettre d'accor-
der la requête. Il s'agit de pièces ou de documents
dont je ne connais pas la teneur et qui relèvent
d'une autre instance devant cette Cour. Ces docu
ments ou pièces étaient présumément en la posses
sion du comptable et je n'ai aucune preuve devant
moi pour me permettre de décider lesquels sont la
propriété du demandeur ou la propriété du comp-
table. Je ne pourrais trancher la question sur le
simple aveu du demandeur ou de son procureur. Je
n'ai aucune idée des intérêts du comptable en la
matière. Ce comptable n'est pas devant le tribunal.
Il est véritablement un étranger au litige. De
quelle façon pourrais-je statuer sur ses droits ou
ses obligations ou intervenir dans son litige en son
absence?
Il est vrai que le procureur du demandeur se
déclare être aussi le procureur du comptable.
Cependant, il ressort de la preuve produite au
cours de l'instance qu'il pourrait y avoir un grave
conflit d'intérêts entre le demandeur et son comp-
table. Raison de plus de ne pas intervenir. C'est au
comptable, dans sa propre cause, de prendre toute
initiative nécessaire pour tout redressement qui lui
convient. À tout événement, suite à l'arrêt de la
Cour d'appel de l'Ontario dans la cause Model
Power 12 , le demandeur n'aurait pas la qualité
requise pour intervenir.
12 Model Power v. R. (1981), 21 C.R. (3d) 195 (C.A. Ont.).
Comme conclusion, la Cour déclare les perquisi-
tions et les saisies faites le 8 juillet 1982 illégales et
en violation de l'article 8 de la Charte canadienne
des droits et libertés. La Cour ordonne la remise
au demandeur des documents qui sont conservés
au greffe de la Cour et qui ont fait l'objet d'une
admission écrite entre les parties le 19 décembre
1984 et cotée D-2. Le demandeur pourra prendre
possession de ces documents au bureau du greffe
de la Cour fédérale du Canada, Palais de Justice,
1 1 ° étage, 1, rue Notre Dame, Montréal (Québec)
entre 10h et 15 h, le 17 mai 1985. Si le deman-
deur, qui inclut toute autre personne agissant sous
son autorité écrite, ne s'est pas prévalu de ce droit
de revendication avant l'heure limite le 17 mai
1985, j'ordonne que les documents soient libérés de
la tutelle de la Cour.
Les autres redressements plaidés par le deman-
deur sont refusés. J'accorde au demandeur ses
frais.
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