A-1257-82
Lor-Wes Contracting Ltd. (appelante)
c.
La Reine (intimée)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et MacGui-
gan—Vancouver, 20 juin; Ottawa, 2 juillet 1985.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions
Exploitation forestière — Le contribuable corporatif a droit à
des crédits d'impôt à l'investissement à l'égard du matériel
servant à construire des routes d'exploitation forestière et ce,
bien qu'il ne soit pas propriétaire des droits de coupe —
L'interprétation de l'art. 127(10)c)(vii) repose sur le principe de
l'examen des «termes dans leur contexte global» — Le sous-
alinéa vise l'emploi fait par l'acheteur du matériel — Il suffit
que la fin ultime soit l'exploitation forestière — Appel
accueilli — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72,
chap. 63, art. 127(5),(9),(10) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 4,
art. 52(3); 1977-78, chap. 1, art. 61(7),(8); 1979, chap. 5, art.
40(4); 1980-81-82-83, chap. 48, art. 73(3),(4), chap. 140, art.
89(2)).
Preuve — Courant favorisant l'admissibilité de l'historique
d'une loi afin d'établir l'intention du législateur — On se
réfère à l'énoncé budgétaire du ministre des Finances — Les
dispositions relatives au crédit d'impôt à l'investissement ont
été adoptées afin de «prévenir tout ralentissement des investis-
sements» — Encouragement à l'endroit du secteur forestier —
Le contribuable a droit à des crédits à l'investissement à
l'égard de l'équipement servant à la construction de routes
d'exploitation forestière même s'il n'est pas propriétaire des
droits de coupe.
La question que pose le présent appel formé contre le juge-
ment du juge Dubé, publié dans [1983] 2 C.F. 11, consiste à
déterminer si un contribuable qui n'est pas propriétaire de
droits de coupe a néanmoins droit à un crédit d'impôt à
l'investissement à l'égard de l'équipement servant à construire
des routes d'exploitation forestière et à rendre, sur place,
certains services connexes au propriétaire des droits de coupe en
question. Les crédits d'impôt à l'investissement réclamés par
l'appelante pour les exercices 1977 1979 lui ont été refusés.
La Division de première instance a confirmé la nouvelle cotisa-
tion et rejeté l'appel au motif que la construction de routes
d'exploitation forestière ne constitue pas en elle-même de l'ex-
ploitation forestière «lorsque ces opérations sont effectuées par
des entrepreneurs indépendants qui, en général, ne s'intéressent
pas à l'exploitation forestière ... mais qui sont des spécialistes
dans leur domaine restreint». Le sous-alinéa 127(10)c)(vii) de
la Loi définit l'expression «biens admissibles» comme étant des
biens qui «doivent être employés par lui [le contribuable] au
Canada surtout pour l'exploitation forestière».
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Il faut déterminer l'objet et l'esprit du sous-alinéa
127(10)c)(vii) de la Loi en suivant le principe de l'examen des
«termes dans leur contexte global». Après avoir appliqué ce
critère, la Cour a conclu que l'endroit où se trouve les mots «par
lui» dans l'alinéa c) laisse clairement voir que le contribuable
réclamant l'avantage n'a qu'à établir qu'il emploie le matériel
et non qu'il s'adonne uniquement à l'exploitation forestière; il
suffit que la fin ultime soit l'exploitation forestière. Si les mots
«surtout pour l'exploitation forestière» avaient été suivis de
l'expression «par lui», on aurait pu alors dire que l'avantage
conféré par cette disposition se limite aux cas où le contribuable
lui-même est le propriétaire des droits de coupe. La Cour s'est
dite d'accord avec l'argument de l'appelante suivant lequel les
mots «par lui» avaient pour but de distinguer l'emploi véritable
par l'acheteur du matériel (visé par l'alinéa c)) de l'emploi par
un locataire (visé par l'alinéa d)).
Bien que la règle n'ait pas changée et qu'il soit toujours
impossible d'avoir recours à l'histoire législative pour établir
directement l'intention du législateur, la Cour suprême du
Canada s'y réfère néanmoins de plus en plus pour des fins
connexes, non seulement dans des arrêts constitutionnels mais
également, de façon générale, en matière d'interprétation des
lois. Ainsi, on s'est référé à l'énoncé budgétaire du ministre des
Finances de l'époque dans lequel on a introduit des dispositions
concernant le crédit d'impôt à l'investissement afin de «prévenir
tout ralentissement des investissements». Le Parlement a cher-
ché à parvenir à cette fin en encourageant l'industrie forestière
dans son ensemble. Étant donné que la sous-traitance est une
pratique généralisée dans ce secteur, toute autre interprétation
de cette disposition aurait pour conséquence de réduire l'effet
de cet encouragement.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Bunge of Canada Ltd. c. La Reine (1984), 84 DTC 6276
(C.F. Appel); Hollinger North Shore Explorations Co.
Ltd. v. Minister of National Revenue, [1960] R.C.É. 325;
[1960] C.T.C. 136, confirmée par sub nom. Minister of
National Revenue v. Hollinger North Shore Explora
tions Company, Limited, [1963] R.C.S. 131; [1963]
C.T.C. 51.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg,
[1983] 2 R.C.S. 493; (1984), 50 N.R. 264; Stubart
Investments Ltd. c. La Reine, [ 1984] 1 R.C.S. 536; 53
N.R. 241.
DÉCISIONS CITÉES:
Renvoi: Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; Re:
Opposition du Québec à une résolution pour modifier la
Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793; R. c. Vasil, [1981] 1
R.C.S. 469.
AVOCATS:
Ian H. Pitfield pour l'appelante.
Gaston Jorré pour l'intimée.
PROCUREURS:
Thorsteinsson, Mitchell, Little, O'Keefe &
Davidson, Vancouver, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGULGAN: Le présent appel pose la
question de savoir si un contribuable qui ne pos-
sède pas de droits de coupe a néanmoins droit à un
crédit d'impôt à l'investissement à l'égard du
matériel servant à construire des routes d'exploita-
tion forestière et à rendre, sur place, certains
services connexes au propriétaire des droits de
coupe.
La seule entreprise de l'appelante consiste à
fournir, aux termes de contrats, des services aux
propriétaires de droits de coupe en Colombie-Bri-
tannique. Voici les services qu'a fournis l'appelante
en 1977, 1978 et 1979: construction de chemins
d'accès à la concession au cours de laquelle elle
abattait, débardait, tronçonnait, ébranchait et
empilait du bois pour lequel elle était rémunérée
précisément en fonction de la quantité récupérée;
construction de dépôts transitoires le long de la
route d'exploitation forestière, de pistes de débar-
dage permettant d'accéder à la concession et de
pare-feux autour du lieu de coupe, travaux au
cours desquels elle abattait des arbres pour les-
quels elle était rémunérée suivant les termes d'un
contrat, sans égard aux quantités de bois produites
ou abattues; scarification du site d'exploitation
forestière au terme des activités d'exploitation,
c'est-à-dire l'accumulation des débris d'exploita-
tion afin de les brûler et la préparation du site en
vue du reboisement.
Pour accomplir ces diverses tâches, l'appelante a
fait l'acquisition d'un tracteur Caterpillar modèle
D8K, d'un excavateur Caterpillar modèle 235 et
d'un excavateur P & M modèle 1250, qui ont tous
été employés exclusivement à cette fin, et elle a
réclamé des crédits d'impôt à l'investissement de
3 825 $, 2 042 $ et 15 830 $ pour les années d'im-
position 1977, 1978 et 1979 respectivement. Dans
des avis de nouvelle cotisation pour toutes ces
années, les demandes de crédit ont été rejetées au
motif que l'appelante était «une entreprise de cons
truction de routes, qui n'est pas une activité prévue
au sous-alinéa 127(10)c)(vii)» de la Loi de l'impôt
sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par
S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1)] («la Loi»).
La Division de première instance a confirmé la
nouvelle cotisation et rejeté l'appel [[1983] 2 C.F.
11]. Voici le passage crucial de la décision [aux
pages 16 et 17]:
Suivant une règle de droit bien établie, les dispositions
législatives qui prévoient une exemption d'impôt doivent être
interprétées restrictivement et le contribuable qui soumet une
demande d'exemption doit remplir toutes les conditions de cette
exemption s'il veut en bénéficier. Il doit établir clairement que
[TRADUCTION] «chacun des éléments constitutifs de l'exemp-
tion est présent et que toutes les conditions requises par l'article
de la Loi ont été respectées». (Voir les notes du juge Thorson
dans l'affaire Lumbers v. Minister of National Revenue
(1943), 2 DTC 631 (C. de
Si le législateur avait voulu étendre l'exemption d'impôt à
tous les sous-traitants de l'industrie forestière, il l'aurait dit.
Par définition, «l'exploitation forestière» est l'ensemble des opé-
rations qui consistent à abattre du bois et à transporter les
billes hors de la forêt. A mon avis, la construction de routes en
forêt n'est pas, en soi, une «exploitation forestière», pas plus que
la construction de quais de pêche n'est une «entreprise de
pêche», ou que la construction de granges ne constitue une
«exploitation agricole», lorsque ces opérations sont effectuées
par des entrepreneurs indépendants qui, en général, ne s'inté-
ressent pas à l'exploitation forestière, à la pêche ou à l'agricul-
ture mais qui sont des spécialistes dans leur domaine restreint.
Le crédit d'impôt â l'investissement est prévu au
paragraphe 127(5) et expliqué plus en détail au
paragraphe 127(9) de la Loi. Toutefois, c'est le
paragraphe 127(10) de la Loi qui est en litige dans
la présente affaire. Cette disposition est ainsi
rédigée:
127... .
(10) Aux fins du paragraphe (9), «biens admissibles» d'un
contribuable désigne un bien (autre qu'un bien certifié) qui est
a) un bâtiment prescrit dans la mesure où il est acquis par le
contribuable après le 23 juin 1975, ou
b) les machines et matériel prescrits, acquis par le contribua-
ble après le 23 juin 1975,
qui n'ont jamais été employés ou acquis pour être employés ou
être loués, à quelque fin que ce soit, avant leur acquisition par
le contribuable et qui
c) doivent être employés par lui au Canada surtout pour
(i) la fabrication ou la transformation de marchandises en
vue de la vente ou de la location,
(ii) l'exploitation d'un puits de pétrole ou de gaz ou le
traitement du pétrole lourd, extrait d'un réservoir naturel
situé au Canada, jusqu'à un stade qui ne dépasse pas celui
de pétrole brut ou de son équivalent,
(iii) l'extraction de minéraux d'une ressource minérale,
(iv) le traitement, jusqu'au stade du métal primaire ou son
équivalent, des minerais (autres que le minerai de fer)
provenant d'une ressource minérale,
(iv.1) le traitement, jusqu'au stade de la boulette ou son
équivalent, du minerai de fer provenant d'une ressource
minérale,
(v) l'exploration ou le forage faits en vue de la découverte
de pétrole ou de gaz naturel,
(vi) la prospection ou l'exploration en vue de la découverte
de minéraux ou l'aménagement d'une ressource minérale,
(vii) l'exploitation forestière,
(viii) l'exploitation agricole ou la pêche,
(ix) l'entreposage du grain, ou
(x) la production de minéraux industriels, ou
d) doivent être donnés en location par le le contribuable à un
locataire (autre qu'une personne exonérée d'impôt en vertu
de l'article 149) qu'on peut raisonnablement s'attendre à voir
utiliser ce bien au Canada principalement à l'une ou l'autre
des fins visées aux sous-alinéas c)(i) à (x), mais le présent
alinéa ne s'applique à l'égard d'un bien qui est un bien
prescrit aux fins de l'alinéa b) que si
(i) le bien est donné en location par le contribuable dans le
cours ordinaire de l'exploitation d'une entreprise au
Canada et que le contribuable soit une corporation dont
l'entreprise principale consiste à
(A) donner des biens en location,
(B) fabriquer des biens qu'elle vend ou donne en
location,
(C) prêter de l'argent,
(D) acheter des contrats de vente conditionnelle, des
comptes à recevoir, des contrats de vente, des hypothè-
ques sur biens meubles (chattel mortgage), des lettres de
change ou d'autres créances représentant une partie ou
la totalité du prix de vente de biens ou de services, ou
(E) vendre ou entretenir un genre de bien qu'il loue
également,
ou d'une combinaison des deux, et
(ii) le locataire initial a commencé à utiliser le bien après
le 23 juin 1975.
L'intimée reconnaît que la construction de
routes constitue un aspect essentiel de l'industrie
forestière; qu'en raison de l'expertise et de l'effica-
cité qu'exige cette construction, elle est, dans de
nombreux cas, donnée en impartition par les prin-
cipaux exploitants; que chacune des tâches accom-
plies par l'appelante fait partie intégrante de l'in-
dustrie de l'exploitation forestière en
Colombie-Britannique; et que cette industrie consi-
dère que le matériel employé pour accomplir ces
tâches l'est pour les fins de l'exploitation forestière,
peu importe qu'il soit employé sur place par l'ex-
ploitant ou par quelque autre personne aux termes
d'un contrat. Cependant, l'intimée soutient que
l'appelante n'en est pas moins décrite adéquate-
ment comme étant un constructeur de routes dans
l'industrie de l'exploitation forestière, qu'en fait
c'est ainsi qu'elle s'est décrite dans ses rapports
d'impôt pour les années pertinentes et que le maté
riel en litige n'a pas été acquis par l'appelante pour
être utilisé par elle à des fins d'exploitation
forestière.
Essentiellement, l'intimée soutient que les dispo
sitions concernant le crédit d'impôt à l'investisse-
ment constituent des dispositions d'exemption, que
l'appelante ne peut tirer profit de ces dispositions
qu'en établissant qu'elle relève manifestement des
dispositions en question et qu'en l'espèce, on peut à
tout le moins dire qu'elle ne relève pas manifeste-
ment de celles-ci.
Dans de récentes décisions en matière d'impôt,
la Cour suprême du Canada a écarté un grand
nombre des ambiguïtés qui affligeaient antérieure-
ment le droit fiscal. À titre d'exemple, dans l'arrêt
Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de
Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493, la page 509;
(1984), 50 N.R. 264, aux pages 282 et 283, le juge
Estey, traitant alors des dispositions fiscales déro-
geant aux droits des contribuables, a déclaré, au
nom de la Cour:
En langage plus moderne, pour porter atteinte aux droits
d'un administré, que ce soit à titre de contribuable ou à un
autre titre, les tribunaux exigent que le législateur le fasse de
façon expresse. La diminution de ces droits peut ne pas avoir
été législativement voulue ou même être accidentelle, mais les
cours doivent trouver dans la loi des termes exprès pour con-
clure que ces droits ont été diminués. Ce principe d'interpréta-
tion s'impose et s'applique d'autant plus aujourd'hui que les
législatures profitent de l'aide et des directives d'un conseil
exécutif bien pourvu de personnel et ordinairement très averti.
Les moyens disponibles pour rédiger et promulguer les lois sont
tels qu'une cour doit être réticente à présumer l'oubli ou des
intentions inarticulées lorsque les droits des administrés sont en
cause. La législature a la maîtrise complète du processus
législatif et si elle ne s'est pas exprimée clairement pour un
motif quelconque, elle possède tous les moyens de corriger cette
déficience d'expression. Cela est encore plus vrai aujourd'hui
qu'à toute autre époque de l'histoire de notre régime
parlementaire.
De même, dans l'affaire Stubart Investments
Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, aux pages
575 578; 53 N.R. 241, aux pages 263 à 265, la
Cour suprême, à nouveau par l'intermédiaire du
juge Estey, a exprimé son point de vue relative-
ment aux dispositions des lois de l'impôt en
matière de déduction ou d'avantages:
La législation en matière d'impôt sur le revenu, comme la loi
fédérale de notre pays, n'est plus uniquement un simple moyen
de prélever des revenus pour faire face aux dépenses gouverne-
mentales. Le gouvernement utilise les prélèvements d'impôt
pour réaliser certains objectifs déterminés de politique économi-
que. Ainsi, la Loi est à la fois un outil de politique économique
et de politique fiscale. L'élément de politique économique de la
Loi prend quelquefois la forme d'une incitation du contribuable
à s'engager dans une activité précise ou à la réorganiser...
En réalité, lorsque le législateur réussit à amener le contri-
buable à agir d'une façon déterminée à cause d'incitations
contenues dans la Loi, on peut au moins dire que le contribua-
ble y a été amené pour le motif commercial valide de réduire
ses paiements d'impôt dans le but de conserver ses ressources
pour d'autres activités commerciales. Il paraît plus approprié
d'avoir recours à un critère d'interprétation qui permettrait
d'appliquer la Loi de manière à viser seulement la conduite du
contribuable qui a comme effet intentionnel de contourner la
volonté expresse du législateur. En bref, cette technique d'inter-
prétation fait porter la législation fiscale sur la conduite du
contribuable qui relève manifestement de l'objet et de l'esprit
des dispositions fiscales. Une telle façon de voir aurait pour
effet de faciliter l'administration de la Loi de l'impôt sur le
revenu, précitée, plutôt que de l'entraver, sous ces deux aspects,
sans gêner l'attribution ou le retrait, selon le climat économi-
que, d'incitations fiscales ...
Lorsque le contribuable invoquait une exemption ou déduction
expressément prévue dans la Loi, la règle d'interprétation
stricte exigeait que la prétention du contribuable relève mani-
festement de la disposition d'exemption, et tout doute favorisait
le gouvernement. Voir Lumbers v. Minister of National Reve
nue (1943), 2 DTC 631 (C. de l'E.) confirmé à [1944] R.C.S.
167 [2 DTC 652] et WA. Sheaffer Pen Co. v. Minister of
National Revenue, [1953] R.C. de l'É. 251 [53 DTC 1223]. En
réalité, l'introduction des exemptions et déductions a marqué la
fin du règne de l'application de la règle stricte.
... le professeur Willis prévoit fort justement l'abandon de la
règle d'interprétation stricte des lois fiscales. Comme nous
l'avons vu, le rôle des lois fiscales a changé dans la société et
l'application de l'interprétation stricte a diminué. Aujourd'hui,
les tribunaux appliquent à cette loi la règle du sens ordinaire,
mais en tenant compte du fond, de sorte que si l'activité du
contribuable relève de l'esprit de la disposition fiscale, il sera
assujetti à l'impôt ...
Bien que les remarques [de] E.A. Dreidger dans son ouvrage
Construction of Statutes (2e éd. 1983), la p. 87, ne visent pas
uniquement les lois fiscales, il y énonce la règle moderne de
façon brève:
[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou
solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte
global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'har-
monise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du
législateur.
Il ressort semble-t-il clairement de ces arrêts
qu'il ne faut dorénavant jamais plus se fier incon-
ditionnellement à ces anciens précédents. Le seul
principe d'interprétation reconnu aujourd'hui con-
siste à examiner les termes dans leur contexte
global en vue de découvrir l'objet et l'esprit des
dispositions fiscales.
Voyons ce que nous donne l'application de ce
critère au sous-alinéa 127(10)c)(vii) de la Loi?
L'intimée prétend que l'expression «par lui» sous-
entend que le contribuable réclamant l'avantage
doit employer le matériel aux fins de l'exploitation
forestière. Dans les faits, cependant, l'endroit où se
trouve cette expression laisse clairement voir que le
contribuable réclamant l'avantage n'a qu'à établir
que c'est lui qui emploie le matériel et non qu'il
s'adonne uniquement à l'exploitation forestière. Si
la fin ultime, telle que l'a définie l'entrepreneur
principal, est l'exploitation forestière, cela suffit.
En fait, il semble, comme l'a prétendu l'appe-
lante, que l'expression «par lui» aurait pour but de
distinguer l'emploi véritable par l'acheteur du
matériel (visé par l'alinéa c)) de l'emploi par un
locataire (visé par l'alinéa d)). En vertu de l'alinéa
d), la qualification se fait suivant le critère de
l'entreprise particulière tandis qu'en vertu de l'ali-
néa c) elle se fait suivant le critère de la fin
générale.
La version française ne fournit aucun indice
supplémentaire de l'intention du législateur.
Si l'on examine la disposition dans une optique
plus vaste, il semble, d'après le texte, qu'on y incite
les contribuables à se lancer dans des activités
précises, soit celles énumérées à l'alinéa c), ou
encore à les étendre. Vu sous cet angle, il importe-
rait peu que l'accroissement des activités soit le
fait de la compagnie forestière elle-même ou d'un
sous-traitant, car dans les deux cas, il y aurait
accroissement des investissements et de l'activité
économique.
Je suis d'avis que cette interprétation s'impose
eu égard à la décision de cette Cour dans Bunge of
Canada Ltd. c. La Reine (1984), 84 DTC 6276 et
celle de la Cour de l'Échiquier dans Hollinger
North Shore Explorations Co. Ltd. v. Minister of
National Revenue, [1960] R.C.É. 325; [1960]
C.T.C. 136, confirmée par la Cour suprême du
Canada dans Minister of National Revenue v.
Hollinger North Shore Explorations Company,
Limited, [1963] R.C.S. 131; [1963] C.T.C. 51.
Dans l'arrêt Bunge, cette Cour a jugé que le
matériel neuf qui permettait de décharger le grain
des élévateurs dans des navires amarrés à un quai
situé à quelque 200 pieds des élévateurs en ques
tion était du matériel employé surtout pour l'entre-
posage du grain et qu'il donnait ainsi droit à un
crédit d'impôt à l'investissement en vertu du sous-
alinéa 127(10)c)(ix) de la Loi. Parlant pour la
Cour, le juge Pratte a déclaré (à la page 6277): «le
déchargement du grain d'un silo me semble faire
partie intégrante de l'activité d'entreposage du
grain et en constituer un élément essentiel».
L'affaire Hollinger a peut-être plus de perti
nence encore et ce, même si la question qui s'y
posait consistait à déterminer si les redevances
perçues par une compagnie d'une autre compagnie
à qui elle avait sous-loué tous les droits miniers
d'une concession constituait un revenu provenant
de l'exploitation d'une mine. Le juge Thurlow [tel
était alors son titre] a déclaré (aux pages 328 et
329 R.C.E.; 140 C.T.C.):
[TRADUCTION] ... l'exemption est accordée en considération
de l'origine du revenu plutôt qu'en considération du type de
corporation ou de la nature de l'entreprise ou activité menées,
le cas échéant, par cette corporation. Le mot «corporation» n'est
accompagné d'aucun qualificatif du genre «exploitante» ou
«minière» qui aurait pu rendre plausible la proposition du
Ministre. De plus, ni le mot «exploitation» ni le mot «mine» ne
sont suivis des mots «par la corporation» ou de quelque expres
sion au même effet indiquant qu'il ne faut accorder le bénéfice
de cet article qu'au contribuable corporatif qui exploite la mine
seul ou avec d'autres. Le sens ordinaire des mots «revenu
provenant de l'exploitation d'une mine» est, à mon avis, plus
large que le sens proposé et, si le Parlement avait voulu en
restreindre le sens comme on le suggère, il aurait pris soin, je
crois, d'insérer dans l'article les mots appropriés pour ce faire.
En l'absence de tels mots, je ne vois rien dans le libellé utilisé
ou dans le sujet traité qui justifie d'interpréter le paragraphe
comme s'il renfermait de tels mots.
En l'espèce, les mots «surtout pour l'exploitation
forestière» ne sont pas suivis des mots «par lui» ou
d'un quelque autre qualificatif ayant pour effet de
restreindre le bénéfice de cet article aux cas où le
contribuable corporatif lui-même a les droits de
coupe. Non seulement le matériel de l'appelante
servait à mener à bien une partie intégrante de
l'exploitation forestière, mais, en Colombie-Britan-
nique, les propriétaires de droits de ce genre sont
légalement tenus de faire approuver par les servi
ces forestiers un plan quinquennal d'aménagement
et un plan biennal d'exploitation forestière renfer-
mant tous deux un plan du système routier pro-
posé. En outre, comme la construction de routes
est l'un des aspects les plus onéreux de toute
l'activité d'exploitation forestière, les propriétaires,
par souci de rentabilité, font appel, par voie de
sous-traitance, à des compagnies spécialisées dans
la construction de routes. Il n'est pas possible de
dissocier le travail de ces constructeurs de routes,
dont toute l'exploitation est consacrée à la cons
truction de chemins d'exploitation forestière, de
l'industrie forestière prise dans son ensemble. Ces
constructeurs consacrent leurs efforts et emploient
leur équipement surtout pour l'exploitation fores-
tière.
Je suis d'autant plus convaincu du bien-fondé de
cette conclusion qu'on retrouve, dans les débats
parlementaires dont cette Cour peut prendre con-
naissance judiciaire étant donné qu'il s'agit de
documents publics, un indice non équivoque du
malaise que l'on cherchait à corriger. Bien que la
règle n'ait pas changé et qu'il soit toujours impos
sible d'avoir recours à l'histoire législative pour
établir directement l'intention du législateur, la
Cour suprême du Canada s'y réfère néanmoins de
plus en plus pour des fins connexes, non seulement
dans les arrêts constitutionnels (Renvoi: Loi anti-
inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, Re: Opposition du
Québec à une résolution pour modifier la Consti
tution, [1982] 2 R.C.S. 793), mais également de
façon générale en matière d'interprétation des lois.
Ainsi, dans R. c. Vasil, [1981] 1 R.C.S. 469, la
Cour a consulté le Journal des débats et déterminé
que le Canada avait adopté non seulement le texte
du projet de code criminel de 1879 de la Commis
sion royale britannique mais aussi ses motifs.
Actuellement, la règle serait donc que l'on peut se
servir du Journal des débats, tout comme du rap
port d'une commission d'enquête, pour exposer et
étudier le désordre, le malaise ou l'état des choses
que visait le législateur: Morguard Properties Ltd.,
précité, aux pages 498 et 499 R.C.S.; 269 et 270
N.R.
En l'espèce, l'exposé budgétaire du 23 juin 1975
du ministre des Finances de l'époque décrit le
besoin auquel répondait cette modification appor-
tée à la Loi (Débats des Communes, le 23 juin
1975, page 7028):
Mesures de soutien des investissements
Si nous voulons que notre économie demeure productive et
concurrentielle tout en étant capable de fournir des emplois,
nous devons disposer d'installations modernes de production. II
faut donc prévenir tout ralentissement des investissements. J'ai
constaté avec un vif plaisir que les investissements productifs
ont continué de s'accroître dans la conjoncture actuelle et je
veux prendre toutes les mesures à ma disposition afin que cette
progression persiste.
Il est notoire que notre politique vise à favoriser un secteur
de la transformation vigoureux. Nous avons accordé des encou
ragements fiscaux à long terme aux entreprises de fabrication
et de transformation pour les aider à soutenir la concurrence
sur les marchés intérieur et étranger. Les données présentées
dans le Rapport définitif sur ces mesures fiscales témoignent de
leur efficacité. Mais la situation économique actuelle appelle
des initiatives nouvelles et plus larges.
Je propose donc d'établir, à titre de stimulant supplémentaire
et temporaire, un dégrèvement pour les investissements dans
une gamme étendue de nouvelles installations de production. Ce
dégrèvement s'élèvera à 5 p. cent des sommes investies dans des
bâtiments, des machines et des équipements nouveaux destinés
à servir principalement au Canada dans des entreprises de
fabrication ou de transformation, d'exploitation pétrolière,
gazière, minière ou forestière, d'agriculture ou de pêche. Le
crédit s'appliquera au coût des machines et des équipements
neufs acquis d'ici juillet 1977 [c'est moi qui souligne].
Le malaise visé est clairement désigné comme
étant «tout ralentissement des investissements». Un
tel malaise pourrait âtre éliminé grâce à une acti-
vité appropriée quelle que soit son origine et il
serait plus facile d'y parvenir en encourageant
l'industrie forestière dans son ensemble. En fait,
étant donné que la sous-traitance est une pratique
généralisée dans l'industrie forestière, toute autre
interprétation du texte aurait pour effet de réduire
considérablement l'encouragement potentiel qu'il
peut constituer pour les investisseurs dans cette
industrie et d'assurer ainsi une réponse moins effi-
cace au danger de ralentissement de l'économie
qui a été identifié.
Je suis donc d'avis d'accueillir l'appel avec
dépens tant devant cette Cour qu'en première ins
tance et de renvoyer l'affaire devant le ministre du
Revenu national pour nouvelle cotisation en con-
formité de la présente décision.
LE JUGE PRATTE: Je souscris aux présents
motifs.
LE JUGE MARCEAU: Je souscris aux présents
motifs.
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