A-207-84
Scarborough Community Legal Services (appe-
lante)
c.
La Reine (intimée)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Marceau-
Toronto, 9 janvier; Ottawa, l ei février 1985.
Contrôle judiciaire - Appels prévus par la loi - Impôt sur
le revenu - Organismes de charité - Appel du refus d'enre-
gistrer l'appelante comme organisme de charité - Documents
soumis à l'appui de la demande, et documents additionnels
déposés sur demande - Aucune nouvelle reçue du Ministre
jusqu'à la réception d'un rejet - Appel rejeté - Il n'y a pas
eu inobservation des règles de la justice naturelle ou de
l'équité dans la procédure en n'informant pas l'appelante de la
preuve contre elle ou en ne tenant pas une audition - Distinc
tion faite avec l'arrêt Renaissance International c. Le ministre
du Revenu national, [1983] 1 C.F. 860; (1982), 47 N.R. 1
(C.A.) - L'intention exprimée dans la Loi par le législateur
n'exige pas d'audition - Existence d'autres voies de recours
pour corriger une application erronée du droit ou pour exposer
d'autres faits - Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-
71-72, chap. 63, art. 168 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art.
87), 172(3) (mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 79; 1977-78,
chap. 32, art. 41; 1980-81-82-83, chap. 47, art. 53(2)), (4)
(mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 108; 1976-77, chap.
4, art. 87; 1977-78, chap. 32, art. 41), 180 (mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 158, art. 58), 244(16).
Impôt sur le revenu - Organismes de charité - Appel du
refus d'enregistrer l'appelante à titre d'«organisme de charité»
parce qu'elle a participé à des activités politiques - L'appe-
lante, une compagnie sans capital-action, exploitant une clini-
que juridique communautaire, a participé à un rassemblement
en faveur du Programme de prestations familiales et avait des
liens avec le Committee to Improve Scarborough Property
Standards By-laws - Appel rejeté - Le mot «charitable»
n'inclut pas une activité politique visant à influencer le proces-
sus d'élaboration des politiques - La distinction entre les fins
et les moyens n'est pas pertinente, puisque à l'art. 149.1(1)b), il
est question d'activités et non de fins - La distinction entre les
fins premières et accessoires doivent être appliquées pour
donner effet à l'art. 149.1(1)b) - Les efforts soutenus de
l'appelante en vue d'influencer le processus d'élaboration des
politiques constituent une partie essentielle de son action et ne
sont pas seulement accessoires à une autre de ses activités de
bienfaisance - Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72,
chap. 63, art. 110(1)a)(î) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art.
87; 1980-81-82-83, chap. 140, art. 65), (8)c) (mod. par S.C.
1976-77, chap. 4, art. 43; 1980-81-82-83, chap. 47, art.
53(2)), 143(1)f) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 59),
149.1(1)b) (édicté par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 60).
Organismes de charité - Appel du refus d'enregistrer l'ap-
pelante comme organisme de charité pour des fins fiscales
parce qu'elle a participé à des activités politiques - Appel
rejeté - Distinction faite avec l'arrêt Renaissance Internatio
nal c. Le ministre du Revenu national, [1983] 1 C.F. 860;
(1982), 47 N.R. 1 (C.A.) - Aucune erreur n'a été commise en
concluant que, en se livrant à des activités politiques, un
organisme perd le droit d'être enregistré à titre d'organisme de
charité - Discussions sur les distinctions entre les fins et les
moyens et entre les fins premières et accessoires - Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art.
110(1)a)(i) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 87; 1980-81-
82-83, chap. 140, art. 65), (8)c) (mod. par S.C. 1976-77, chap.
4, art. 43; 1980-81-82-83, chap. 47, art. 53(2)), 143(1)f) (mod.
par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 59), 149.1(1)b) (édicté par S.C.
1976-77, chap. 4, art. 60), 168 (mod. par S.C. 1976-77, chap.
4, art. 87), 172(3) (mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 79;
1977-78, chap. 32, art. 41; 1980-81-82-83, chap. 47, art. 53
(2)), (4) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 108;
1976-77, chap. 4, art. 87; 1977-78, chap. 32, art. 41), 180
(mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 158, art. 58), 244(16).
Appel est interjeté de la décision du Ministre qui a rejeté la
demande d'enregistrement de l'appelante à titre d'organisme de
charité. L'appelante, une compagnie sans capital-action,
exploite une clinique juridique communautaire. En juillet 1983,
elle a demandé son enregistrement à titre d'organisme de
charité en remplissant la formule prescrite et en déposant des
documents à l'appui. Sur demande, elle a fourni des documents
additionnels. Elle n'a par la suite reçu aucune nouvelle du
Ministère jusqu'à ce qu'on l'informe du refus du Ministre, qui
était fondé sur sa participation à des activités politiques, à
savoir un rassemblement au sujet du Programme de prestations
familiales et ses liens avec le Committee to Improve the Scar-
borough Property Standards By-laws. L'appelante soutient que
le Ministre n'a pas respecté les règles de la justice naturelle ou
de l'équité dans la procédure en prenant une décision sans au
préalable l'informer de la preuve contre elle et sans lui fournir
l'occasion d'y répondre. Elle prétend également que le Ministre
a fait erreur en concluant que toute participation à des activités
politiques empêche une organisation d'être enregistrée à titre
d'organisme de charité. L'appelante fait valoir que les activités
dont fait mention le Ministre sont simplement des moyens en
vue d'atteindre certains objectifs et que, à ce titre, elles n'ont
aucune pertinence; même si on doit en tenir compte, il s'agit
d'activités constituant de la promotion pour une cause partisane
et non d'activités politiques; quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse ou
non d'activités politiques, elles ne sont qu'accessoires aux objec-
tis premiers.
Arrêt (le juge Heald dissident): l'appel devrait être rejeté.
Le juge Marceau: Le Ministre n'avait aucune obligation
d'aviser l'appelante et de l'inviter à présenter des arguments ou
de tenir une audience avant de refuser sa demande d'enregistre-
ment à titre d'organisme de charité. L'appelante a allégué que,
étant donné la procédure d'appel spéciale prévue à l'article 180
de la Loi de l'impôt sur le revenu, savoir qu'une demande
d'enregistrement à titre d'organisme de charité peut seulement
faire l'objet d'un appel devant la Cour d'appel fédérale, la
décision qui doit être rendue est une décision judiciaire soumise
aux règles de la justice naturelle. Elle a prétendu subsidiaire-
ment que, même s'il s'agit d'une décision administrative, celui
qui la rend a l'obligation d'agir équitablement, de sorte que le
Ministre ne peut rendre une décision préjudiciable à la requé-
rante sans l'avoir au préalable avisée de la preuve contre elle et
sans lui avoir fourni l'occasion de se défendre. L'appelante s'est
appuyée sur l'arrêt Renaissance International c. Le ministre du
Revenu national, [1983] 1 C.F. 860; (1982), 47 N.R. 1 (C.A.),
où la décision du Ministre de révoquer l'enregistrement d'une
oeuvre à titre d'organisme de charité a été annulée.
L'arrêt Renaissance ne s'applique pas. Le point central du
raisonnement était que le dossier porté à la connaissance du
Ministre comportait une lacune grave en ce qu'il ne renfermait
«aucun élément fourni par l'appelante», lacune qui ne pouvait
être corrigée par l'appel puisque, étant donné les dispositions de
la Loi, on s'attendait à ce que la Cour statue à la lumière du
dossier constitué devant la cour de première instance. En
l'espèce, la décision de rejeter la demande a été rendue unique-
ment à la lumière des éléments de preuve soumis par la
requérante.
Appliquant les critères formulés dans l'arrêt Ministre du
Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495,
la fonction du Ministre est purement administrative. Exiger la
tenue d'une audience irait au-delà de l'intention exprimée dans
la Loi par le législateur. Exiger la tenue d'une audience ne
servirait pas mieux les intérêts de la justice et de l'équité,
puisqu'un appel est possible pour remédier à une application
erronée du droit, et qu'une demande peut être renouvelée pour
exposer d'autres faits.
Bien que l'on puisse toujours qualifier de politique une
entreprise visant spécifiquement et directement à influencer le
processus d'élaboration des politiques, il est difficile d'imaginer
comment on peut la qualifier de «charitable», au sens de la Loi.
La Loi ne définit nullement le mot «charitable», et les critères
de la common law demeurent vagues; toutefois, on ne peut
étendre suffisamment le sens du mot «charitable» pour y inclure
une activité particulière visant à influencer le processus d'élabo-
ration des politiques.
On ne peut adapter une distinction entre fin et moyens pour
lui faire jouer un rôle dans l'identification d'une «oeuvre de
charité» visée à l'alinéa 149.1(1)b). Dans les cas où on a donné
effet à la distinction entre la fin et les moyens, la question était
de savoir si l'organisme a été établi à des fins charitables
seulement. La question qui doit être tranchée en vertu de
l'alinéa 149.1(1)b) est différente, puisqu'il faut déterminer s'il
s'agit d'une organisation «dont les ressources sont exclusive-
ment consacrées à des activités de bienfaisance», différence
d'autant plus frappante dans la mesure où la disposition qui
précède cet alinéa et qui porte sur les «fondations de charité»
fait mention de fins charitables. On ne pouvait, dans les cas
mentionnés, s'appuyer sur cette distinction que par rapport aux
fins déclarées pour lesquelles l'organisme avait été constitué, et
il fallait tenir compte d'une réserve selon laquelle les moyens
dont on pouvait dire qu'ils étaient «des fins en eux-mêmes»
devaient être considérés comme des «fins accessoires». Les
activités d'un groupe ne peuvent être classées à la lumière
seulement de leur plus ou moins grande proximité avec les fins
générales pour lesquelles le groupe a été mis sur pied.
La distinction entre les fins premières et accessoires doit être
adaptée et appliquée pour donner effet à l'alinéa 149.1(1)b).
Une oeuvre ne devrait pas perdre son statut d'oeuvre de charité
en raison de sa participation passagère à quelque activité
exceptionnelle et sporadique ou parce qu'une composante acces-
soire de ses activités ne peut être considérée comme une œuvre
de charité. Toutefois, les efforts soutenus de l'appelante en vue
d'influencer le processus d'élaboration des politiques consti
tuent une partie essentielle de son action et ne sont pas seule-
ment «accessoires» à une autre de ses activités de bienfaisance.
Le juge Urie: Le Ministre n'est nullement tenu de solliciter
des représentations ni de tenir une audience avant de prendre sa
décision au sujet de la demande. Il faut toujours considérer
l'économie globale de la Loi pour voir dans quelle mesure le
législateur a voulu que le principe de l'équité dans la procédure
s'applique. La requérante connaît les exigences légales à respec-
ter pour convaincre le Ministre que l'o:uvre est un organisme de
charité. Rien n'empêche la requérante de faire des représenta-
tions à l'appui de sa demande ou de produire des éléments de
preuve supplémentaires afin d'établir qu'elle est vraiment un
organisme de charité à qui l'enregistrement devrait être
accordé.
L'arrêt Renaissance présente deux motifs de distinction.
Renaissance était enregistrée depuis un certain temps à titre
d'organisme de charité, de sorte que la révocation de son
enregistrement a eu pour effet de lui retirer d'autres avantages,
par exemple la possibilité de planifier financièrement ses activi-
tés de bienfaisance, possibilité qu'elle pouvait perdre si ses
donateurs se voyaient priver du droit de déduire leurs dons. Sur
le plan de l'équité, ces avantages n'auraient pas dû être retirés
sans que le bénéficiaire ait été informé des motifs de l'annula-
tion envisagée. L'organisme qui sollicite son enregistrement n'a
pas encore acquis de tels droits. De même, la décision dans
l'affaire Renaissance a été rendue sans que l'organisme de
charité soit avisé des enquêtes menées sur ses activités, ni de
leur résultat, ni de la raison pour laquelle le Ministre se
proposait d'annuler l'enregistrement. En l'espèce, l'appelante
savait que, pour obtenir le statut d'organisme de charité, elle
devait répondre aux exigences de la Loi, et que ses activités
devaient être exclusivement des activités de bienfaisance. Elle
savait ou aurait dû savoir que sa participation à des activités de
promotion de nature politique pourrait compromettre sa bonne
foi quant à sa vocation charitable. C'est donc à elle qu'il
incombait de convaincre le Ministre que ses activités politiques
n'influaient pas sur ses activités premières en matière de
bienfaisance.
Le juge Heald (dissident): Avant de rejeter sa demande, le
Ministre aurait dû informer l'appelante des motifs de rejet et
lui donner la possibilité de répondre. L'affaire Renaissance
s'applique à l'espèce, bien qu'elle porte sur la révocation d'un
enregistrement, alors que l'espèce sur le refus d'enregistrer. Les
deux appels ont été intentés en vertu du paragraphe 172(3) de
la Loi de l'impôt sur le revenu, et l'article 180 s'applique au
présent appel. En conséquence, la décision du Ministre est une
décision quasi judiciaire. Un appel en vertu de l'article 180 est
un appel où il s'agit de savoir si la décision du tribunal de
première instance est fondée, compte tenu des documents qui
lui ont été soumis.
En l'espèce, la décision du Ministre n'a été rendue qu'à la
lumière de la preuve soumise par l'appelante. Toutefois, le
raisonnement suivi dans l'affaire Renaissance continue de s'ap-
pliquer car le Ministre a pris sa décision en se fondant sur sa
propre appréciation de certains faits contenus dans la preuve
soumise par l'appelante. Cette appréciation reposait sur sa seule
interprétation de certaines des activités de l'appelante. La
justice naturelle ou l'obligation d'agir équitablement exige non
pas nécessairement qu'on tienne une audience officielle, mais
qu'on fournisse à l'appelante la possibilité de tenter de répondre
aux objections formulées par le Ministre. Une approche ayant
pour effet de limiter les règles de l'équité dans la procédure et
de la justice naturelle au point de ne les appliquer que dans les
cas où une preuve contradictoire est produite constitue une
restriction injustifiable de ces concepts.
L'appelante s'est vue accorder, en vertu de la Loi, le droit de
demander son enregistrement à titre d'organisme de charité. Le
rejet de la demande d'enregistrement entraîne de graves consé-
quences, c'est-à-dire que ce rejet limiterait considérablement
ses possibilités d'amasser des fonds.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand,
[1979] 1 R.C.S. 495; Procureur général du Canada c.
Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735;
infirmant (Inuit Tapirisat of Canada c. Le très honorable
Jules Léger), [1979] 1 C.F. 710 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Renaissance International c. Le ministre du Revenu
national, [1983] 1 C.F. 860; (1982), 47 N.R. 1 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Special Commissioners of Income Tax v. Pemsel, 3 T.C.
53; [1891] A.C. 531; [1891-4] 2 All E.R. Rep. 28 (H.L.);
British Launderers' Research Association v. Borough of
Hendon Rating Authority, [1949] 1 K.B. 462; 1 All E.R.
21 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Guaranty Trust Company of Canada v. Minister of
National Revenue, [1967] R.C.S. 133; McGovern v.
Attorney General, [1981] 3 All E.R. 493 (Ch.D.); Natio
nal Anti -Vivisection Society v. Inland Revenue Commis
sioners, [1948] A.C. 31 (H.L.); In re Strakosch, decd.
Temperley v. Attorney -General, [1949] Ch. 529 (C.A.);
Roll of Voluntary Workers' Trustees v. Inland Revenue,
[1942] S.C. 47; Commissaire régional à l'évaluation et
autre c. Caisse populaire de Hearst Ltée, [1983] 1
R.C.S. 57; Furnell v. Whangarei High Schools Board,
[1973] A.C. 660 (P.C.); Nicholson c. Haldimand-Nor-
folk Regional Board of Commissioners of Police,
[1979] 1 R.C.S. 311.
AVOCATS:
C. D. Ateah et Elizabeth J. Klassen pour
l'appelante.
Wilfrid Lefebvre, c.r. et Bonnie F. Moon pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Scarborough Community Legal Services,
Scarborough (Ontario), pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD (dissident): J'ai eu la chance
de pouvoir lire le projet de motifs de jugement de
mon collègue le juge Marceau. Les faits de même
que les dispositions légales pertinentes et les motifs
d'appel y sont énoncés avec précision et je n'ai
donc pas besoin de les reprendre.
Je suis d'accord avec le juge Marceau sur le fait
que même si les deux motifs d'appel invoqués par
l'appelante viennent appuyer son pourvoi, il s'agit
de deux moyens de nature différente ne donnant
pas ouverture au même redressement. Je suis éga-
lement d'accord avec le fait que le premier motif
d'appel (qu'il qualifie de question de procédure)
n'aurait pour effet, si l'appelante avait gain de
cause sur ce point, que d'entraîner le renvoi de
l'affaire devant le Ministre avec des directives sur
les démarches procédurales appropriées à suivre
avant d'en arriver à une décision, tandis que l'au-
tre motif d'appel pourrait obliger la Cour à pren-
dre position sur le fond de cette décision. Je suis
également d'avis que le second motif d'appel ne
doit être examiné que si le premier se révèle non
fondé. Le juge Marceau conclut que la question de
procédure soulevée par l'appelante est non fondée
et il procède donc à l'examen de la seconde ques
tion. Comme j'en suis venu à la conclusion que la
question de procédure est fondée et que l'appel
devrait être accueilli et l'affaire renvoyée devant le
Ministre avec des directives, il n'est pas nécessaire
que je me penche sur la seconde question soulevée
par l'appelante. Je vais donc, dans les présents
motifs, me limiter à la question de procédure.
Contrairement à l'opinion exprimée par mon
collègue le juge Marceau, je suis d'avis que la
décision de cette cour dans l'affaire Renaissance
International c. Le ministre du Revenu national,
[1983] 1 C.F. 860; (1982), 47 N.R. 1 (C.A.)
s'applique en l'espèce. Il est vrai que dans l'affaire
Renaissance, l'appel interjeté devant cette Cour
visait l'avis d'intention du Ministre d'annuler l'en-
registrement de Renaissance à titre d'organisme de
charité en vertu du paragraphe 168 (1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63
(mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 87)] alors
qu'en l'espèce, appel est interjeté à l'encontre du
refus du Ministre d'enregistrer l'appelante à titre
d'organisme de charité enregistré. Toutefois, il est
également exact de signaler que les deux appels
ont été intentés conformément au paragraphe
172(3) [mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 79;
1977-78, chap. 32, art. 41; 1980-81-82-83, chap.
47, art. 53(2)] de la Loi de l'impôt sur le revenu
dont le passage pertinent est ainsi rédigé:
172... .
(3) Lorsque le Ministre
a) refuse de procéder à l'enregistrement d'un demandeur qui
désire être reconnu comme organisme de charité enregistré
ou comme association canadienne enregistrée de sport ama
teur, ou avise cet organisme de charité ou association, en
vertu du paragraphe 168(1), de son intention d'annuler son
enregistrement,
... l'organisme de charité ... dans un cas visé à l'alinéa a) ...
peuvent, nonobstant l'article 24 de la Loi sur la Cour fédérale,
en appeler à la Cour d'appel fédérale de cette décision ou de la
signification de cet avis.
Je suis aussi d'avis que l'article 180 [mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 158, art. 58] de la Loi de
l'impôt sur le revenu s'applique au présent appel.
Voici le libellé du passage pertinent de cette
disposition:
180. (1) Un appel auprès de la Cour d'appel fédérale prévu
par le paragraphe 172(3), peut être introduit en déposant ... à
la Cour dans les 30 jours de
a) la date à laquelle la décision du Ministre de rejeter la
demande d'enregistrement ou de certificat d'exonération ou
d'annulation de l'enregistrement d'un régime de participation
aux bénéfices, a été signifiée à l'appelant par le Ministre par
courrier recommandé, ou
selon le cas, ou dans un délai supplémentaire que peut fixer ou
accorder la Cour d'appel ou l'un de ses juges, avant ou après
l'expiration des 30 jours susmentionnés.
(2) La Cour canadienne de l'impôt et la Cour fédérale
(Division de première instance), n'ont, ni l'une ni l'autre,
compétence pour entendre toute affaire relative à une décision
du Ministre contre laquelle il peut être interjeté appel en vertu
du présent article.
(3) Un appel dont est saisie la Cour d'appel fédérale, en
vertu du présent article, doit être entendu et jugé selon une
procédure sommaire.
Par conséquent, j'estime que les remarques que
j'ai formulées aux pages 868 et 869 C.F.; à la page
3 N.R. de l'affaire Renaissance s'appliquent au
présent cas. Voici le passage auquel je fais
référence:
À mon avis, ces deux décisions sont, selon toute vraisem-
blance, des décisions quasi judiciaires, nonobstant le fait que les
dispositions législatives susmentionnées ne permettent pas
expressément à la partie concernée de participer au processus
décisionnel. Ce point de vue est confirmé par le fait que la loi
permet de former devant cette Cour un appel semblable aux
appels des décisions de la Division de première instance de la
Cour fédérale. Un examen attentif des articles 172 et 175 180
inclusivement de la Loi de l'impôt sur le revenu montre claire-
ment, à mon avis, que les prétendus «appels» d'une cotisation
interjetés directement devant la Division de première instance
et les appels des décisions de la Commission de révision de
l'impôt portés devant cette même Division sont censés être des
procès de novo alors qu'un appel formé devant cette Cour en
vertu de l'article 180 est un appel au sens ordinaire, c'est-à-dire
un appel où il s'agit de savoir si la décision du tribunal de
première instance est fondée, compte tenu des documents qui
lui ont été soumis.
Si j'en viens à cette conclusion, c'est que j'estime
que ce raisonnement s'applique également à l'es-
pèce puisque le droit d'interjeter le présent appel
se trouve également au paragraphe 172(3). En
conséquence, les dispositions de l'article 180 s'ap-
pliquent aussi au présent appel. Par conséquent, et
pour les motifs exprimés dans l'affaire Renais
sance précitée, la décision du Ministre en l'espèce
est, à mon avis, une décision quasi judiciaire. Aux
pages 870 et 871 C.F.; à la page 4 N.R. de mes
motifs dans l'affaire Renaissance, j'ai dit:
Je suis donc convaincu que ces «décisions» portent sérieusement
atteinte aux droits de l'appelante, de sorte qu'il incombe au
directeur d'observer les règles de la justice naturelle ou tout au
moins, de reconnaître à l'appelante le droit à l'équité dans la
procédure. Selon la disposition qui prévoit l'appel devant cette
Cour, ce doit être un appel au sens strict et traditionnel
puisqu'il ne s'agit pas d'une nouvelle audition ou d'un procès de
novo. Par conséquent, l'appel devrait être formé à partir du
dossier complet de la preuve produite devant le directeur et qui
l'a convaincu de rendre les décisions qui font l'objet du présent
litige.
Le juge suppléant Cowan a souscrit à mes
motifs. Le juge Pratte, l'autre membre de la Cour
dans l'affaire Renaissance, a pour sa part rédigé
des motifs concordants quant au résultat. À la
page 864 C.F.; à la page 6 N.R. du recueil, il a
déclaré:
Il est admis qu'avant de recevoir cet avis, l'appelante n'a été
avisée ni des allégations dirigées contre elle ni de l'intention de
l'intimé d'annuler son enregistrement. C'est la raison pour
laquelle elle prétend, à l'appui de son appel fondé sur le
paragraphe 172(3), que l'intimé a omis de se conformer aux
règles de l'équité dans la procédure ou de la justice naturelle.
et à nouveau, aux pages 865 et 866 C.F.; à la page
7 N.R.:
Dans le présent cas, cependant, le droit d'appel conféré par le
paragraphe 172(3) permet d'interjeter appel devant un tribunal
qui, on le sait, tranche ordinairement les appels à la lumière du
dossier constitué devant la cour de première instance et n'ac-
cepte de compléter la preuve que pour des «raisons spéciales»
(voir la Règle 1102(1) [des Règles de la Cour fédérale]). En
outre, si on compare les dispositions de la Loi de l'impôt sur le
revenu applicables à cet appel avec l'article 175 qui régit les
appels formés devant la Division de première instance, il est
manifeste que l'appel formé devant cette Cour n'était pas censé
être un appel de novo comme l'appel interjeté devant la Divi
sion de première instance. Je conclus, par conséquent, que
l'appel visé au paragraphe 172(3) constitue ce que j'appellerais
un appel ordinaire, que le tribunal tranche habituellement à la
lumière du dossier constitué par le tribunal de première ins
tance. Il s'ensuit, à mon avis, que le processus préalable à la
décision du Ministre d'envoyer un avis d'annulation en vertu du
paragraphe 168(1) doit lui permettre de constituer un dossier
suffisamment complet pour que cette Cour puisse l'utiliser en
statuant sur l'appel. Ceci présuppose, à mon avis, que le
Ministre doit suivre une procédure qui lui permet de constituer
un dossier reflétant non seulement son point de vue mais
également celui de l'organisme concerné.
Pour ces motifs, j'ai conclu après beaucoup d'hésitation que,
contrairement aux allégations de l'avocat de l'intimé, les dispo
sitions de la Loi de l'impôt sur le revenu ne libèrent pas
implicitement le Ministre de l'obligation de se conformer aux
règles de la justice naturelle et de l'équité dans la procédure
avant d'envoyer un avis en vertu du paragraphe 168(1). Au
contraire, ces dispositions laissent plutôt entendre, à mon avis,
que le Ministre doit, avant d'envoyer l'avis, fournir à la per-
sonne ou aux personnes concernées une possibilité raisonnable
de répondre aux allégations dirigées contre elles.
On remarque à la lecture des passages susmen-
tionnés des motifs du juge Pratte que ce dernier
était d'avis qu'il appartenait au Ministre de «suivre
une procédure qui lui permet de constituer un
dossier reflétant non seulement son point de vue
mais également celui de l'organisme concerné» et
que «le Ministre doit, avant d'envoyer l'avis, four-
nir à la personne ou aux personnes concernées une
possibilité raisonnable de répondre aux allégations
dirigées contre elles».
Tout comme le juge Marceau, je reconnais que
les faits de l'espèce diffèrent de ceux de l'affaire
Renaissance, c'est-à-dire que dans le présent cas,
la décision du Ministre de refuser l'enregistrement
n'a été rendue qu'à la lumière de la preuve soumise
par l'appelante elle-même. Toutefois, je suis d'avis
que le raisonnement suivi dans l'affaire Renais
sance continue de s'appliquer car le Ministre a pris
sa décision en se fondant sur sa propre apprécia-
tion de certains faits contenus dans la preuve
soumise par l'appelante. Cette appréciation repo-
sait sur sa seule interprétation de certaines des
activités de l'appelante dont faisait état le rapport
annuel de cette dernière sans qu'il ait, au préala-
ble, communiqué avec l'appelante pour lui faire
part de cette interprétation avant de rejeter la
demande. Je ne prétends pas que l'économie de la
Loi exige la tenue d'une audience formelle avant
que ne soit prise la décision de rejeter la demande.
Toutefois, j'estime que la justice naturelle ou
l'obligation d'agir équitablement exigent peut-être
qu'on téléphone à l'appelante ou qu'on lui écrive
pour l'informer des difficultés ou des problèmes
que rencontre le Ministre au sujet de sa demande
et ainsi lui fournir la possibilité de tenter au moins
de répondre aux objections formulées par le Minis-
tre. Le dossier aurait ainsi reflété tant le point de
vue du Ministre que celui de l'organisme concerné.
Une telle façon de procéder aurait fourni à l'appe-
lante une possibilité raisonnable de répondre aux
allégations formulées à l'encontre de son enregis-
trement.
J'estime qu'une approche ayant pour effet de
limiter les règles de l'équité dans la procédure et
de la justice naturelle au point de ne les appliquer
que dans les cas où une preuve contradictoire est
produite constitue une restriction injustifiable de
ces concepts. En l'espèce, le Ministre s'est formé
une opinion à partir de la preuve portée à sa
connaissance. Il a pris la décision de refuser l'enre-
gistrement à la lumière de cette opinion sans indi-
quer d'aucune façon à l'appelante ce sur quoi elle
reposait. L'appelante aurait certainement dû avoir
l'occasion de faire part au Ministre des raisons
pour lesquelles, selon elle, son opinion préliminaire
n'était pas fondée et ce, avant que le Ministre ait
pris la décision de rejeter la demande. Dans l'arrêt
Fumel! v. Whangarei High Schools Board
([1973] A.C. 660 (P.C.)), lord Morris of Borth -Y-
Gest, parlant pour la majorité, a déclaré, à la page
679, que [TRADUCTION] «La justice naturelle,
c'est l'équité exprimée en termes larges et juridi-
ques. On l'a décrite comme "la mise en pratique
du franc-jeu".» Dans l'arrêt Nicholson (Nicholson
c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Com
missioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311) le juge
en chef Laskin, parlant pour les juges de la majo-
rité de la Cour suprême du Canada, a dit, à la
page 328:
En l'espèce, la décision a de graves conséquences pour l'appe-
lant vu qu'il souhaite continuer à occuper une charge publique.
Pourtant le comité intimé a cru bon de mettre fin à son emploi
sans lui indiquer pourquoi on le considérait inapte à rester en
fonction et a affirmé avoir le droit de le faire.
À mon avis, on aurait dû dire à l'appelant pourquoi on avait
mis fin à son emploi et lui permettre de se défendre, oralement
ou par écrit au choix du comité. Il me semble que le comité
lui-même voudrait s'assurer qu'il n'a commis aucune erreur
quant aux faits ou circonstances qui ont déterminé sa décision.
Une fois que le comité a obtenu la réponse de l'appelant, il lui
appartiendra de décider de la mesure à prendre, sans que sa
décision soit soumise à un contrôle ultérieur, la bonne foi étant
toujours présumée.
À mon avis, ces commentaires s'appliquent au
présent cas. L'appelante s'est vue accorder le droit
de demander, conformément à la Loi de l'impôt
sur le revenu, son enregistrement à titre d'orga-
nisme de charité en vertu de ladite Loi. Si elle
respectait les dispositions applicables de cette Loi,
elle avait le droit d'être enregistrée. Le rejet de la
demande d'enregistrement de l'appelante a pour
cette dernière des conséquences très graves. Par
exemple, ce rejet limiterait considérablement ses
possibilités d'amasser des fonds. Tout comme dans
l'affaire Nicholson, j'estime qu'en l'espèce l'appe-
lante aurait dû être informée, avant que sa
demande ne soit rejetée, des raisons pour lesquelles
sa demande était refusée et qu'elle aurait dû avoir
l'occasion de les contester. A mon avis, le Ministre
se trouvait dans la même position que la Commis
sion dans l'affaire Nicholson, c'est-à-dire qu'il
voudrait s'assurer qu'il «n'a commis aucune erreur
quant aux faits ou aux circonstances» pertinents à
sa décision.
Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, annule-
rais la décision du Ministre et renverrais l'affaire
devant lui pour qu'il la réexamine après avoir
informé l'appelante des objections qu'il oppose à la
demande et après lui avoir fourni une occasion
raisonnable de répondre à ces objections.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu la chance de pouvoir lire
les motifs de jugement des juges Heald et Marceau
et j'ai conclu non sans regret que je ne puis me
rallier aux motifs du juge Heald sur la «question
de procédure» et donc au dispositif qu'il propose
quant à l'appel. Par ailleurs, bien que je sois
d'accord avec la conclusion du juge Marceau sur la
«question de procédure», je suis arrivé à cette
conclusion par une approche différente de sorte
qu'il me faut exposer brièvement le raisonnement
qui m'a amené à conclure ainsi.
Les avocats de l'intimée ont beaucoup insisté sur
le fait que lorsqu'un organisme sollicite son enre-
gistrement à titre d'organisme de charité en vertu
de la Loi de l'impôt sur le revenu, il sollicite alors
un privilège ne revenant qu'à ceux qui répondent
aux exigences strictes de la Loi concernant leur
admissibilité à titre d'organisme de charité. Parmi
ces exigences, se trouvent des exigences procédura-
les prescrites conformément à la Loi dans le but de
convaincre le ministre du Revenu national que
toutes les ressources envisagées de l'organisme de
charité «sont consacrées à des activités de bienfai-
sance...» La demande doit être présentée suivant
la forme prescrite et être appuyée de documents
dont la nature est également prescrite, bien que
rien n'empêche le requérant de fournir d'autres
pièces justificatives à l'appui de sa demande.
C'est aux paragraphes suivants de la Loi que
l'on trouve le cadre législatif conférant aux orga-
nismes de charité enregistrés le privilège de pou-
voir recevoir des dons en franchise d'impôt et aux
donateurs celui de pouvoir les déduire lors du
calcul de leur revenu imposable:
110. (1) Aux fins du calcul du revenu imposable d'un
contribuable pour une année d'imposition, il peut être déduit de
son revenu pour l'année celles des sommes suivantes qui sont
appropriées:
a) le total des dons que, dans l'année (et dans les cinq années
d'imposition précédentes, jusqu'à concurrence du montant de
ces dons qui n'était pas déductible dans le calcul du revenu
imposable du contribuable pour une année d'imposition anté-
rieure), le contribuable a faits
(i) à des organismes de charité enregistrés,
(8) Dans le présent article,
c) «organisme de charité enregistré» désigne
(i) une oeuvre de charité ou une fondation de charité, au
sens du paragraphe 149.1(1), qui réside au Canada et qui
est créée ou établie au Canada, ou
(ii) une annexe, section, paroisse, congrégation ou autre
division d'un des organismes visés au sous-alinéa (i), qui
reçoit des dons en son nom propre,
qui a déposé auprès du Ministre, dans la forme prescrite, une
demande d'enregistrement, qui a été enregistrée, enregistre-
ment qui n'a pas été annulé en vertu des dispositions du
paragraphe 168(2).
149. (1) Aucun impôt n'est payable en vertu de la présente
Partie, sur le revenu imposable d'une personne, pour la période
od cette personne était
J) un organisme de charité enregistré;
149.1 (1) Dans le présent article,
b) «oeuvre de charité» désigne une oeuvre, constituée ou non
en corporation, dont toutes les ressources sont consacrées à
des activités de bienfaisance menées par l'oeuvre elle-même et
dont aucun revenu n'est payable à un propriétaire, membre,
actionnaire, fiduciaire ou auteur de la fiducie ou de la
corporation ou ne peut par ailleurs être disponible pour servir
au profit personnel de ceux-ci;
d) «organisme de charité» désigne une oeuvre de charité ou
une fondation de charité;
L'article 168 prévoit les circonstances pouvant
entraîner l'annulation de l'enregistrement d'un
organisme de charité. Comme l'a souligné le juge
Marceau, les paragraphes 172(3) et (4) portent,
entre autres, sur les refus d'enregistrement et les.
cas réputés être des refus d'enregistrement de cer-
tains organismes de charité. Le paragraphe
244(16) donne le pouvoir de considérer comme
réputées prescrites par le Ministre les formules
données comme telles et prévoit que seul le Minis-
tre est autorisé à mettre en doute lesdites formules.
La formule utilisée en l'espèce n'a jamais été mise
en doute et les parties s'entendent sur le fait que
les pièces justificatives produites à l'appui de la
demande d'enregistrement de l'appelante étaient
conformes aux exigences de la forme prescrite.
Personne n'a contesté le fait que l'appelante aurait
pu, si elle avait désiré le faire, produire des pièces
explicatives supplémentaires relativement à ses
activités et aux moyens auxquels elle a recouru
pour réaliser les objectifs pour lesquels elle a été
constituée. En fait, l'appelante s'est conformée à la
demande du Ministre visant la production de docu
ments supplémentaires après le dépôt de la
demande originale.
Par conséquent, la seule question qui se pose
consiste à déterminer si, tout en gardant à l'esprit
le cadre législatif dans lequel existe le privilège
conféré aux organismes de charité et à leurs dona-
teurs, le Ministre a porté atteinte aux principes de
justice naturelle ou aux règles de l'équité dans la
procédure en ne donnant pas à l'appelante l'occa-
sion de s'expliquer sur les motifs pour lesquels il se
proposait de rejeter sa demande d'enregistrement à
titre d'organisme de charité.
Comme l'a dit le juge Le Dain de cette Cour
dans l'affaire Inuit Tapirisat of Canada c. Le très
honorable Jules Léger, [1979] 1 C.F. 710 (C.A.),
à la page 715:
Sur le point de savoir si l'obligation procédurale d'équité doit
être considérée comme distincte de la justice naturelle ou
simplement comme un de ses aspects, l'opinion majoritaire dans
l'arrêt Nicholson semble manifestement indiquer que son exé-
cution ne doit pas dépendre de la distinction entre les fonctions
judiciaires ou quasi judiciaires et les fonctions administratives.
A la page 717, il déclarait également ceci:
L'équité procédurale, tout comme la justice naturelle, est une
exigence de la common law et s'applique en matière d'interpré-
tation des lois écrites. En l'absence de dispositions procédurales
expresses, elle est considérée comme implicitement prévue par
la loi. Il est nécessaire d'examiner le contexte législatif de
l'autorité prise dans son ensemble. Le véritable point en litige
est la question de savoir quelle procédure il convient d'imposer
à une autorité déterminée compte tenu de la nature de cette
dernière et du genre de pouvoir qu'elle exerce, et quelles
conséquences en résulteront pour ceux qui ont à subir ce
pouvoir. Il ne faut pas oublier de maintenir l'équilibre entre les
exigences d'équité et les besoins du processus administratif en
cause.
Bien que le jugement rendu par cette Cour dans
cette affaire ait été infirmé par la Cour suprême
du Canada, ni l'un ni l'autre des exposés précités
n'ont été désavoués et il semble tous deux refléter
l'état actuel du droit sur ces deux doctrines au
Canada.
Dans le pourvoi à la Cour suprême du Canada,
qui portait l'intitulé Procureur général du Canada
c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2
R.C.S. 735, le juge Estey a, à la page 755, déclaré
ce qui suit relativement à la question de trouver un
fondement légal à l'exigence de l'équité dans la
procédure:
Même s'il est exact que l'obligation de respecter l'équité dans
la procédure, qu'exprime la maxime audi alteram partem, n'a
pas à être expresse (Alliance des Professeurs Catholiques de
Montréal c. Commission des Relations Ouvrières de la Pro
vince de Québec) elle n'est pas implicite dans tous les cas. Il
faut toujours considérer l'économie globale de la loi pour voir
dans quelle mesure, le cas échéant, le législateur a voulu que ce
principe s'applique.
Si j'applique ce principe à l'économie de la Loi
relativement à l'enregistrement des organismes de
charité, il m'est impossible d'y trouver, tant sur le
plan de la justice naturelle que sur celui de l'équité
dans la procédure, quelque obligation pour le
Ministre de solliciter les représentations du requé-
rant ou de tenir une audience avant de prendre sa
décision au sujet de la demande. La documenta
tion prescrite doit évidemment appuyer la
demande. Le requérant sait évidemment ce que
renferme cette documentation, tant les éléments
favorables que défavorables, tout comme il connaît
d'ailleurs les exigences légales à respecter pour
convaincre le Ministre que l'ceuvre est en droit un
organisme de charité. Je n'ai rien trouvé dans la
Loi qui empêche un requérant de faire des repré-
sentations à l'appui de sa demande, ou d'en expli-
quer les lacunes ou les défauts ou encore de pro-
duire des éléments de preuve supplémentaires afin
d'établir qu'il est vraiment un «organisme de cha-
rité»» à qui l'enregistrement devrait être accordé.
Que le requérant choisisse d'agir ainsi ou non, le
Ministre, s'appuyant sur les éléments portés à sa
connaissance, doit décider si l'enregistrement doit
être accordé ou non. A mon avis, le défaut du
Ministre de solliciter des représentations ne peut
par conséquent, dans le contexte d'une demande
d'enregistrement présentée en vertu de la Loi,
vicier sa décision.
Je ne crois pas non plus que la décision de cette
Cour dans l'arrêt Renaissance, [1983] 1 C.F. 860
(C.A.)' influe sur cette conclusion puisqu'à mon
avis cet arrêt présente au moins deux motifs de
distinction. Le premier et le plus important selon
moi, c'est que dans cette affaire, Renaissance était
déjà enregistrée depuis un certain temps à titre
d'organisme de charité de sorte que la révocation
de son enregistrement a eu pour effet de lui retirer
un privilège important dont ses donateurs et elle-
même avaient bénéficié depuis quelque temps. Cet
organisme tirait également d'autres avantages du
fait de son enregistrement, comme la possibilité de
planifier financièrement ses activités de bienfai-
sance, possibilité qu'il pouvait fort bien perdre en
partie si ses donateurs se voyaient priver du droit
de déduire leurs dons. Sur le plan de l'équité, ces
avantages n'auraient pas dû être retirés sans que le
bénéficiaire ait au moins été informé des motifs de
Comparer avec l'arrêt Ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration c. Hardayal, [ 1978] 1 R.C.S. 470, la page 478,
dans lequel on a jugé que la révocation d'un permis ministériel
en vertu de la Loi sur l'immigration [S.R.C. 1970, chap. I-2]
était non pas une procédure judiciaire ou quasi judiciaire mais
bien une procédure administrative dans laquelle le Ministre
avait l'obligation d'agir équitablement.
l'annulation envisagée et ait eu l'occasion de faire
des représentations à cet égard. De toute évidence,
l'organisme qui sollicite son enregistrement n'a pas
encore acquis de tels droits. Dans le présent cas, le
second motif de distinction découle du premier.
Dans l'affaire Renaissance, le Ministre a pris sa
décision sans que l'organisme de charité ne soit
avisé des enquêtes menées sur ses activités, ni de
leur résultat ni de la raison pour laquelle le Minis-
tre se proposait d'annuler son enregistrement. En
l'espèce, au contraire, même si l'appelante ne con-
naissait pas le motif précis du rejet de sa demande,
on doit considérer qu'elle savait que pour obtenir le
statut d'organisme de charité elle devait répondre
aux exigences de la Loi et de la common law à cet
égard et, plus particulièrement, que ses activités
devaient être exclusivement des activités de bien-
faisance. Elle savait ou aurait dû savoir que sa
participation à des activités de promotion de
nature politique pourrait jeter un doute sur sa
bonne foi quant à sa vocation charitable. C'est
donc à elle qu'il incombait de convaincre le Minis-
tre que ses activités politiques n'influaient pas sur
ses activités premières en matière de bienfaisance.
Pour tous les motifs susmentionnés, je suis d'avis
de rejeter l'argument de l'appelante sur l'aspect
procédural de son appel.
Il n'est pas nécessaire que je commente la ques
tion de fond car je suis d'accord pour l'essentiel
avec les propos de mon collègue le juge Marceau à
cet égard. Je rejetterais également l'appel sur le
fond.
Comme l'appelante n'a eu gain de cause sur
aucun de ses deux motifs d'appel, je rejetterais
l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Appel est interjeté en l'es-
pèce d'une décision du ministre du Revenu natio
nal rejetant la demande de l'appelante dans
laquelle elle demandait à être enregistrée à titre
d'«organisme de charité» conformément à la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148
(modifiée par S.C. 1970-71-72, chap. 63; 1974-
75-76, chap. 26; 1976-77, chap. 4; 1977-78, chap.
1; 1977-78, chap. 32).
En vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, les
oeuvres de charité enregistrées à titre d'«organis-
mes de charité» (alinéa 110(8)c)) se voient confé-
rer un statut très spécial: non seulement sont-elles
exonérées d'impôt comme tous les autres organis-
mes à but non lucratif (alinéa 149(1)f)), mais tous
les dons qui leur sont faits peuvent être déduits par
les donateurs lorsqu'ils calculent leur revenu impo-
sable (sous-alinéa 110(1)a)(i)). Toutefois, la Loi
ne renferme qu'un seul court alinéa définissant
l'expression «oeuvre de charité»:
149.1 (1) Dans le présent article,
b) «oeuvre de charité» désigne une oeuvre, constituée ou non
en corporation, dont toutes les ressources sont consacrées à
des activités de bienfaisance menées par l'oeuvre elle-même et
dont aucun revenu n'est payable à un propriétaire, membre,
actionnaire, fiduciaire ou auteur de la fiducie ou de la
corporation ou ne peut par ailleurs être disponible pour servir
au profit personnel de ceux-ci;
et les seules dispositions traitant directement de la
procédure relative à l'enregistrement se trouvent
aux paragraphes 172(3) et (4):
172....
(3) Lorsque le Ministre
a) refuse de procéder à l'enregistrement d'un demandeur qui
désire être reconnu comme organisme de charité enregistré
ou comme association canadienne enregistrée de sport ama
teur, ou avise cet organisme de charité ou association, en
vertu du paragraphe 168(1), de son intention d'annuler son
enregistrement,
b) refuse de procéder à l'enregistrement, en vertu de la
présente loi, d'un régime d'épargne-retraite,
c) refuse de procéder à l'enregistrement, en vertu de la
présente loi, d'un régime de participation aux bénéfices ou
annule l'enregistrement d'un tel régime,
d) refuse de délivrer un certificat d'exonération en vertu du
paragraphe 212(14),
e) refuse de procéder à l'enregistrement, aux fins de la
présente loi, d'un régime d'épargne-études ou annule l'enre-
gistrement d'un tel régime,
J) refuse de procéder à l'enregistrement, aux fins de la
présente loi, d'un régime d'épargne-logement ou annule l'en-
registrement d'un tel régime, ou
g) refuse de procéder à l'enregistrement, aux fins de la
présente loi, d'un fonds de revenu de retraite ou en annule
l'enregistrement,
le demandeur, l'organisme de charité ou l'association, selon le
cas, dans un cas visé à l'alinéa a), le demandeur dans un cas
visé aux alinéas b), d), e), J) ou g) ou un fiduciaire en vertu du
régime ou un employeur dont les employés sont des bénéficiai-
res du régime, dans un cas visé à l'alinéa c), peuvent, nonob-
stant l'article 24 de la Loi sur la Cour fédérale, en appeler à la
Cour d'appel fédérale de cette décision ou de la signification de
cet avis.
(4) Aux fins du paragraphe (3), le Ministre sera réputé avoir
refusé
a) de procéder à l'enregistrement d'un demandeur qui désire
être reconnu comme organisme de charité enregistré ou
comme association canadienne enregistrée de sport amateur,
b) de procéder à l'enregistrement d'un régime d'épargne-
retraite ou d'un régime de participation aux bénéfices,
c) de délivrer un certificat d'exonération en vertu du paragra-
phe 212(14),
d) de procéder à l'enregistrement, aux fins de la présente loi,
d'un régime d'épargne-études,
e) de procéder à l'enregistrement, aux fins de la présente loi,
d'un régime d'épargne-logement, ou
f) de procéder à l'enregistrement, aux fins de la présente loi,
d'un fonds de revenu de retraite,
lorsqu'il n'a pas avisé le demandeur de l'enregistrement ou du
certificat, selon le cas, de sa décision concernant la demande,
dans les 180 jours du dépôt de la demande, auprès du Ministre,
et, dans un tel cas, la Cour d'appel fédérale peut être saisie, en
tout temps, conformément au paragraphe (3) et nonobstant le
paragraphe 180(1), d'un appel concernant un tel refus interjeté
en vertu de l'article 180 par le dépôt, à cette Cour, d'un avis
d'appel.
On aura remarqué qu'on ne donne à nulle part
la signification précise de la phrase «dont toutes les
ressources sont consacrées à des activités de bien-
faisance» tirée de la définition de l'alinéa
149.1(1)b) et que la façon dont une demande
d'enregistrement doit être présentée au Ministre et
décidée par ce dernier n'est pas établie de façon
expresse. Un tel laconisme législatif devait inévita-
blement créer des problèmes car, de toute évi-
dence, il laissait de nombreuses questions sans
réponses. Étonnamment, il semble qu'à ce jour
cette Cour n'ait pas encore été appelée à se pro-
noncer sur l'une ou l'autre de ces questions même
si, comme on nous l'a dit, plus de quatre mille cinq
cents demandes d'enregistrement sont présentées
chaque année et que près de 20 % d'entre elles sont
rejetées. Pour autant que je sache, c'est la pre-
mière fois que cette Cour est appelée à statuer sur
certaines des questions les plus fondamentales
parmi celles laissées sans réponse.
Les faits sont on ne peut plus simples. L'appe-
lante a, en septembre 1982, été constituée à titre
de compagnie sans capital-action en vertu de la
Loi sur les compagnies et associations de l'Onta-
rio [S.R.O. 1980, chap. 95], afin d'exploiter une
clinique juridique communautaire au sens de la
Loi sur l'aide juridique de l'Ontario, R.S.O. 1980,
chap. 234. Elle a été constituée pour les objets
suivants:
[TRADUCTION] Mettre sur pied, maintenir et exploiter une
clinique communautaire au sein de la communauté de Scarbo-
rough et pour le bénéfice de cette dernière, dans la ville de
Scarborough, municipalité du Toronto métropolitain, (Onta-
rio); et, à cet égard, sous réserve des lois ontariennes applica-
bles, fournir à l'occasion, aux particuliers et aux groupes,
conseils, assistance et représentation ainsi que des services
d'éducation et de recherches; et organiser, diriger et participer
à toute autre activité pouvant, de temps à autre, s'avérer
opportune et avantageuse pour la communauté de Scarborough.
À titre de clinique juridique, l'appelante est finan
cée par le Régime d'aide juridique de l'Ontario
(Règlement sur l'aide juridique de l'Ontario,
R.R.O. 1980, règlement 575, Partie X), mais ses
administrateurs aimeraient pouvoir compter sur
des fonds supplémentaires provenant d'autres sour
ces que le Régime afin de poursuivre les activités
de la clinique. Si elle était enregistrée à titre
d'oeuvre de charité, elle se trouverait évidemment
dans une bien meilleure position pour solliciter des
dons. Le 13 juillet 1983, l'appelante a demandé
son enregistrement à titre d'«organisme de charité»
en remplissant la formule prescrite à cette fin par
le Ministre (formule T-2050) et en la produisant
au Ministère avec certains documents de régie,
notamment son rapport annuel en date du 23
septembre 1982 et une copie certifiée conforme de
ses lettres patentes. Dans une lettre datée du 9
août 1983, on a demandé à l'appelante d'ajouter à
la documentation déjà produite à l'appui de sa
demande une copie de ses règlements, ce qu'elle
fit. Elle n'a par la suite reçu aucune nouvelle du
Ministère jusqu'à ce qu'on l'informe du refus du
Ministre dans une lettre en date du 3 janvier 1984
dont voici des extraits:
[TRADUCTION] Nous avons examiné la demande de la Scarbo-
rough Community Legal Services visant son enregistrement à
titre d'organisme de charité en vertu de la Loi de l'impôt sur le
revenu.
Nous avons le regret de vous informer que votre demande ne
peut être accueillie.
Après avoir lu le rapport annuel de Legal Services, nous
sommes d'avis que votre organisme participe, et entend conti-
nuer de participer, à des activités politiques. A titre d'exemple,
mentionnons votre participation à un rassemblement à Queen's
Park au sujet du Programme de prestations familiales et vos
liens avec le Committee to Improve the Scarborough Property
Standards By-laws.
Le caractère politique des activités précitées empêche la Scar-
borough Community Legal Services d'être considérée comme
un organisme de charité au sens de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Il est possible que votre organisme remplisse les condi
tions nécessaires pour être exonéré d'impôt à titre d'organisa-
Lion sans but lucratif en vertu de l'alinéa 149(1)1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu.
Nous regrettons que notre réponse à la demande présentée par
la Scarborough Community Legal Services ne puisse être plus
favorable. Toutefois, nous tenons à vous signaler qu'il est
possible d'en appeler de notre décision en vertu du paragraphe
172(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'appel interjeté devant cette Cour par l'appe-
lante conformément à l'alinéa 172(3)a) repose sur
deux motifs. Selon le premier motif, le Ministre
n'a pas respecté les règles de la justice naturelle ou
de l'équité dans la procédure en prenant une déci-
sion sans au préalable informer l'appelante des
allégations portées contre elle et sans lui fournir
l'occasion d'y répondre. Suivant le second motif, le
Ministre a fait erreur en concluant que toute
participation à des activités politiques empêche
une organisation d'être enregistrée à titre d'«orga-
nisme de charité» en vertu de la Loi de l'impôt sur
le revenu. Il vient à l'esprit une observation préli-
minaire. Bien que les deux motifs invoqués vien-
nent appuyer l'appel en ce qu'ils peuvent tous deux
conduire à l'annulation de la décision attaquée, ils
ne sont manifestement pas du même type et ne
peuvent donner lieu au même redressement. Le
premier ne peut que conduire à un renvoi de
l'affaire devant le Ministre avec des directives sur
les démarches procédurales appropriées à suivre
avant d'en arriver à une décision, tandis que l'au-
tre peut obliger la Cour à prendre position sur le
fond de cette décision. Il est clair, dans les circons-
tances, qu'il ne faudra examiner le second motif et
en décider que si le premier s'avère mal fondé.
1. La question de procédure
Comme on l'a fait remarquer plus tôt, on ne
peut en appeler d'une décision du Ministre de
refuser une demande d'enregistrement à titre
d'«organisme de charité» que devant cette Cour
(paragraphe 172(3) précité), la Commission de
révision de l'impôt et la Division de première
instance de la Cour fédérale se voyant toutes deux
refuser compétence en la matière (article 180). En
ce qui concerne la question de procédure, l'appe-
lante allègue que, étant donné la procédure d'appel
spéciale à laquelle elle est assujettie, la décision
qui doit être rendue est une décision judiciaire
soumise aux règles de la justice naturelle ou, subsi-
diairement, que même s'il s'agit d'une décision
administrative, celui qui la rend a l'obligation
d'agir équitablement, de sorte que le Ministre ne
peut rendre une décision préjudiciable à la requé-
rante sans l'avoir au préalable avisée de l'affaire et
sans lui avoir fourni l'occasion de se défendre.
Pour appuyer son argument, , l'appelante cite la
décision de cette Cour dans l'affaire Renaissance
International c. Le ministre du Revenu national,
[1983] 1 C.F. 860; (1982), 47 N.R. 1 (C.A.).
L'affaire Renaissance portait sur l'annulation,
en vertu de l'article 168 de la Loi, de l'enregistre-
ment d'une oeuvre à titre d'organisme de charité.
Le Ministre, par l'entremise du directeur de la
Division de l'enregistrement, avait pris la décision
d'annuler l'enregistrement de l'oeuvre en question
sur la foi de renseignements découlant d'une
enquête qu'il avait autorisée après avoir été
informé que l'oeuvre était apparemment mêlée à
certaines activités incompatibles avec son statut.
Cependant, l'intéressée n'avait pas été informée de
la tenue de l'enquête et ne s'était pas vue fournir
l'occasion de réfuter les allégations formulées
contre elle. C'est à l'unanimité que la Cour a
annulé la décision. Tant le juge Heald, dans ses
propres motifs, que le juge suppléant Cowan et le
juge Pratte ont fait état, en termes généraux, du
défaut du directeur de respecter les exigences de la
justice naturelle et de l'équité dans la procédure.
Cependant, le point central de leur raisonnement
commun, si j'ai bien compris, était que le dossier
porté à la connaissance du Ministre comportait
une lacune des plus graves en ce que, au niveau des
faits, il ne renfermait «aucun document fourni par
l'appelante», lacune qui ne pouvait être corrigée
par l'appel puisque, en vertu des dispositions de la
Loi s'y appliquant, il était clair qu'on s'attendait à
ce que la Cour statue comme à l'habitude, c'est-à-
dire à la lumière seulement du dossier constitué
devant la cour de première instance.
À mon avis, la décision dans l'affaire Renais
sance ne s'applique pas en l'espèce. Alors que la
décision d'annuler, en raison d'une conduite inac-
ceptable, le statut spécial dont jouissait quelqu'un
auparavant a l'effet d'une condamnation pénale et
qu'on peut dire que celui qui la rend exerce une
fonction quasi judiciaire parce qu'elle est sembla-
ble à celle d'un juge présidant un tribunal de
juridiction criminelle, une décision refusant à un
requérant le droit de se voir conférer un statut
spécial à la lumière des faits et des éléments de
preuve qu'il présente, n'a pas les caractéristiques
fondamentales d'un jugement entre parties rendu
par un tribunal. En outre, et ce qui est plus
important encore, en l'espèce, la décision de rejeter
la demande n'a pas été prise sur la foi de rensei-
gnements obtenus sans la participation de la partie
intéressée; elle a été rendue uniquement à la
lumière des éléments de preuve présentés par la
requérante elle-même.
Lorsque le Ministre traite une demande d'enre-
gistrement à titre d'«organisme de charité» en
vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, il exerce,
à mon avis, une fonction strictement administra
tive et, même si cette fonction exige non pas la
mise en vigueur de politiques socio-économiques
mais plutôt l'application de règles de fond, il ne me
semble pas, à la lumière des critères fondamentaux
formulés par le juge Dickson (tel était alors son
titre) dans la décision faisant autorité en la
matière, Ministre du Revenu national c. Coopers
and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495, qu'il s'agisse
d'une fonction dont l'exercice est soumis à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire. Je suis
incapable de me rallier à la suggestion de l'appe-
lante suivant laquelle l'équité dans la procédure
exigerait la tenue d'une quelconque audience avant
que le Ministre (ou son représentant dament auto-
risé) ne rende une décision défavorable. Non seule-
ment une telle exigence irait-elle, selon moi, au-
delà de l'intention exprimée dans la Loi par le
législateur, mais je ne peux pas non plus voir en
quoi une audience servirait mieux les intérêts de la
justice et de l'équité. Si la décision est erronée par
suite d'une mauvaise application du droit aux faits
de la cause ou encore d'une mauvaise qualification
des faits, l'appel corrigera la situation; et si la
décision est erronée par suite du défaut du requé-
rant de faire connaître tous les faits ou de les
exposer correctement, rien ne l'empêche de présen-
ter une nouvelle demande.
Je suis d'avis que le Ministre n'avait aucune
obligation d'aviser l'appelante et de l'inviter à
présenter des arguments ou de mener une audience
avant de refuser sa demande d'enregistrement à
titre d'organisme de charité. L'appelante échoue
donc quant à son premier motif et cela étant, il est
nécessaire d'examiner et de trancher l'autre ques
tion soulevée par l'appel.
2. La question de fond
Les passages précités de la lettre de refus mon-
trent clairement que, de l'avis du Ministre, l'appe-
lante n'était pas une oeuvre de charité au sens de la
Loi parce qu'elle avait participé, et avait l'inten-
tion de continuer à le faire, à «des activités politi-
ques», telle sa participation (comme elle l'avait fait
l'année précédente) à un rassemblement à Queen's
Park afin de protester contre les modifications que
le gouvernement proposait d'apporter au Pro
gramme des prestations familiales, ou ses liens
(qu'elle maintient toujours) avec le Committee to
Improve the Scarborough Property Standards
By-laws. Selon l'exposé de l'appelante, ce motif,
qui a constitué le seul fondement du rejet de sa
demande, est invalide parce qu'il n'est pas fondé en
droit. On invoque un triple argument: les activités
dont fait mention le Ministre sont simplement des
moyens utilisés en vue d'atteindre certains objec-
tifs et, à ce titre, elles n'ont aucune pertinence;
même si on doit en tenir compte, il s'agit d'activi-
tés constituant de la promotion pour une cause
partisane et non d'activités politiques; quoi qu'il en
soit, qu'il s'agisse ou non d'activités politiques,
elles ne sont qu'accessoires aux objectifs premiers.
Aussi bien dire tout de suite que je ne saisis pas
la justesse ou à tout le moins la pertinence, dans le
présent contexte, de la distinction suggérée entre
«la promotion pour une cause partisane» et des
«activités politiques». Il me semble que bien que
l'on puisse toujours qualifier de politique une
entreprise visant spécifiquement et directement à
influencer le processus d'élaboration des politiques,
il est difficile d'imaginer comment on peut la
qualifier de «charitable» au sens de la Loi. Il est
vrai que le mot «charitable» n'est pas défini dans la
Loi et que les critères de la common law servant à
identifier les organismes de charité, critères énon-
cés dans l'arrêt anglais faisant autorité en la
matière, Special Commissioners of Income Tax v.
Pemsel, 3 T.C. 53; [1891] A.C. 531; [1891-4] 2
All E.R. Rep. 28 (H.L.) (c'est-à-dire le soulage-
ment de la pauvreté, l'avancement de la religion,
l'avancement de l'éducation et autres oeuvres de
bienfaisance profitant à l'ensemble de la collecti-
vité) qui ont été adoptés au Canada (voir: Gua
ranty Trust Company of Canada v. Minister of
National Revenue, [1967] R.C.S. 133) et qui sont
maintenant appliqués dans la pratique (voir: Cir-
culaire d'information n° 77.14 publiée par le
Ministère) demeurent assez vagues. Toutefois, cela
étant dit, je ne crois pas que l'on puisse un jour
étendre suffisamment le sens du mot «charitable»
pour y inclure une activité particulière visant,
comme je l'ai dit, spécifiquement et directement à
influencer le processus d'élaboration des politiques,
peu importe les conditions et le contexte dans
lesquels elle est menée.
L'appelante est en mesure d'invoquer un argu
ment ayant beaucoup plus de poids en s'appuyant
sur la distinction entre les fins et les moyens et,
subsidiairement, sur une autre distinction entre les
fins premières et les fins accessoires. De fait, la
première distinction a été élaborée et appliquée
dans de nombreuses affaires portant sur l'identifi-
cation des fiducies, organismes ou associations de
charité, principalement en Angleterre (voir par
exemple: McGovern v. Attorney General, [1981] 3
All E.R. 493 (Ch.D.); National Anti -Vivisection
Society v. Inland Revenue Commissionners,
[1948] A.C. 31 (H.L.); In re Strakosch, decd.
Temperley v. Attorney -General, [1949] Ch. 529
(C.A.); Roll of Voluntary Workers' Trustees v.
Inland Revenue, [1942] S.C. 47) mais aussi au
Canada, notamment dans l'affaire Guaranty Trust
Company (précitée). La seconde distinction est
évidemment le fondement du «critère de l'objet
prépondérant» largement appliqué dans la juris
prudence des provinces et récemment adopté par la
Cour suprême (dans Commissaire régional à
l'évaluation et autre c. Caisse populaire de Hearst
Ltée, [1983] 1 R.C.S. 57) afin de déterminer si
une personne ou une corporation «exploite une
entreprise» au sens des lois provinciales d'évalua-
tion commerciale. Je suis d'avis, toutefois, que ces
distinctions n'aident pas l'appelante dans les cir-
constances de l'espèce.
Il importe de signaler d'abord que dans tous ces
cas où l'on a donné effet à la distinction entre la
fin et les moyens, la question posée à la Cour était
celle de savoir si l'on pouvait dire que la fiducie,
l'organisme ou l'association avait été établi ou mis
sur pied [TRADUCTION] «à des fins charitables
seulement». La question qui doit être tranchée en
vertu de l'alinéa 149.1(1)b) de la Loi de l'impôt
sur le revenu est différente puisqu'il faut détermi-
ner s'il s'agit d'une organisation «dont les ressour-
ces sont exclusivement consacrées à des activités
de bienfaisance», différence d'autant plus frap-
pante dans la mesure où, dans la disposition de la
Loi qui précède immédiatement cet alinéa et qui
porte sur les «fondations de charité», l'autre type
d'«organisme de charité», on fait référence à «une
corporation ou [à] une fiducie constituée et admi-
nistrée exclusivement à des fins charitables». Il
faut également souligner que la distinction est en
elle-même toute relative, puisqu'il est de l'essence
du comportement humain que la fin envisagée par
une personne aujourd'hui ne soit souvent qu'un
moyen pour elle d'arriver à une autre fin demain.
On ne pouvait, dans les cas mentionnés plus haut,
s'appuyer sur cette distinction que par rapport aux
fins déclarées pour lesquelles la fiducie ou l'orga-
nisme avait été constitué ou était administré et,
même là, il fallait tenir compte de l'importante
réserve formulée par lord Denning dans British
Launderers' Research Association v. Borough of
Hendon Rating Authority, [ 1949] 1 K.B. 462, la
page 467; 1 All E.R. 21 (C.A.), à la page 23 et
adoptée par le juge Ritchie dans l'affaire Guaranty
Trust Company (précitée), réserve suivant laquelle
les moyens dont on pouvait dire qu'ils étaient
[TRADUCTION] «des fins en eux-mêmes» devaient
être considérés comme des [TRADUCTION] «fins
accessoires». De toute façon, je ne vois pas com
ment on peut adapter une telle distinction entre
fins et moyens pour lui faire jouer un rôle dans
l'identification d'une «oeuvre de charité» en vertu
de l'alinéa 149.1(1)b) de la Loi. Il me semble que
les activités d'un groupe peuvent difficilement être
classées de façon rationnelle à la lumière seule-
ment de leur plus ou moins grande proximité avec
les fins générales pour lesquelles le groupe a été
mis sur pied.
L'autre distinction sur laquelle s'est appuyée
l'appelante subsidiairement, c'est-à-dire la distinc
tion entre les fins premières et accessoires, est
beaucoup plus fondamentale et objective, et j'ad-
mets volontiers qu'elle doit être adaptée et appli-
quée pour donner effet à l'alinéa 149.1(1)b) de la
Loi. J'estime qu'une oeuvre ne devrait pas perdre
son statut d'oeuvre de charité en raison de sa
participation passagère à quelque activité assez
exceptionnelle et sporadique et, par-dessus tout, je
ne crois pas qu'une activité devrait perdre sa
nature charitable uniquement parce que l'une de
ses composantes ou quelque partie accessoire ou
subordonnée de celles-ci ne peut, prise isolément,
être considérée comme une œuvre de charité. Il est
manifeste, toutefois, que les efforts soutenus de
l'appelante en vue d'influencer le processus d'éla-
boration des politiques constitue une partie essen-
tielle de son action et ne sont pas seulement «acces-
soires» à une autre de ses activités de bienfaisance.
J'aurais bien voulu conclure autrement, mais je
ne crois pas que les arguments de l'appelante sur la
question de fond soient bien fondés. Il ne me
semble pas que le Ministre a fait erreur en con-
cluant que l'appelante ne répondait pas aux exi-
gences de la Loi applicables à l'enregistrement des
«organismes de charité».
En définitive, j'en viens à la conclusion que
l'appel devrait être rejeté avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.