T-2953-81
Montreal Fast Print (1975) Ltd. (demanderesse)
c.
Polylok Corporation (défenderesse)
Division de première instance, juge Walsh—
Ottawa, 30 juin et 12 juillet 1983.
Brevets — Pratique — Communication de documents et
interrogatoire préalable — Production de documents — Privi-
lège — Agent de brevets cumulant deux fonctions — Avocats
ayant à leur emploi des agents de brevets «maison. — Les
communications entre ceux-ci et leur cliente ou les avocats
américains sont-elles protégées par le privilège de la confiden-
tialité? — Ce privilège existe-t-il lorsqu'ils agissent simple-
ment comme agents de brevets et ne donnent pas d'avis juridi-
que? — Communications entre bureaux — Le concept de
privilège s'est élargi au-delà de la portée d'une simple règle de
preuve — Référence aux causes portant sur le privilège entre
avocat, client et agent de brevets — Fraude invoquée à l'en-
contre de la réclamation de privilège — Une simple allégation
de fraude n'est pas suffisante — Il existe un privilège pour les
communications échangées entre un client et un agent de
brevets par l'intermédiaire d'un procureur si elles ont été faites
en vue ou au cours d'un litige: Flexi-Coil Ltd. c. Smith -Roles
Ltd. et autre (1983), 73 C.P.R. (2d) 89 (C.F. l'° inst.) —
Établissement de critères permettant de déterminer si un
document est protégé par le privilège de confidentialité ou non
— Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
332(1).
Il s'agit d'une requête visant à obtenir, à l'aide d'une ordon-
nance, la production, pendant un interrogatoire préalable, de
documents se rapportant à certaines demandes de brevets pré-
sentées au Canada ou à des demandes analogues présentées aux
États-Unis. Deux cabinets d'avocats sont concernés. Les avo-
cats canadiens sont des représentants des avocats américains
pour les fins des demandes de brevets canadiens, et les deux
cabinets sont des représentants de la défenderesse. Le cabinet
d'avocats canadien a recours à des agents de brevets qui ne sont
pas des avocats. La défenderesse n'a pas communiqué directe-
ment avec un agent de brevets comme tel, mais seulement avec
des avocats qui étaient aussi des agents de brevets ou des agents
de brevets employés par des avocats. Toutefois, la communica
tion n'a pas eu lieu en vue d'un litige. La défenderesse prétend
que les communications entre les agents de brevets «maison» et
la défenderesse ou les avocats américains sont protégées par le
privilège de confidentialité puisqu'ils sont des employés ou des
représentants des avocats. La demanderesse soutient qu'il n'y a
pas de privilège lorsqu'un agent de brevets agit simplement à ce
titre et ne donne pas d'avis juridique. Les affidavits où l'on
revendique le privilège font référence à des personnes agissant
selon les directives des avocats ou des personnes dont ils ont la
surveillance pour fournir des conseils juridiques.
Jugement: la défenderesse devra présenter un affidavit sup-
plémentaire dans lequel les documents seront classés conformé-
ment aux directives suivantes:
1. Les copies de tous les documents déposés au Bureau des
brevets du Canada ne sont pas privilégiées.
2. Les communications des avocats américains adressées aux
avocats canadiens ou à la cliente et vice versa sont privilégiées,
à l'exception des communications avec les agents de brevets
travaillant pour ces firmes et agissant en simple qualité
d'agents de brevets. La Cour suprême du Canada a statué dans
l'arrêt Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S.
860; (1982), 44 N.R. 462 que le client d'un avocat a droit au
respect de la confidentialité de toutes les communications faites
dans le but d'obtenir un avis juridique. Qu'ils soient communi-
qués à l'avocat lui-même ou à des employés, qu'ils portent sur
des matières de nature administrative ou sur la nature même du
problème juridique, tous les renseignements que doit fournir
une personne en vue d'obtenir un avis juridique sont privilégiés.
Dans l'arrêt Lumonics Research Limited c. Gould, [1983] 2
C.F. 360; (1983), 46 N.R. 483 (C.A.), la Cour a statué que le
privilège attaché à la profession juridique ne s'étend pas aux
communications entre clients et agents de brevets, même si elles
sont échangées dans le but d'obtenir un avis juridique, les
agents de brevets n'appartenant pas, en tant que tels, à la
profession juridique. La demanderesse invoque l'arrêt Moseley
v. The Victoria Rubber Company (1886), L.T. Rep. N.S. 482
(Ch.D.) dans lequel il y a eu échange de communications entre
le demandeur et un avocat entretenant deux relations avec
celui-ci, c'est-à-dire celle d'avocat et d'agent de brevets. Le
demandeur n'a toutefois pas indiqué à quel titre agissait le
procureur lorsque les communications ont été échangées. Il a
été ordonné qu'une réponse plus élaborée soit présentée. On a
également cité l'arrêt IBM Canada Limited -IBM Canada
Limitée c. Xerox du Canada Limitée, [1978] 1 C.F. 513 (C.A.)
où il a été décidé qu'une lettre écrite par le directeur du service
des brevets ne bénéficiait pas du privilège de confidentialité
parce que rien n'indiquait que son auteur l'avait écrite en sa
qualité de conseiller juridique. Dans l'arrêt Solosky c. La
Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, la Cour a décidé que le privilège ne
s'applique pas aux communications n'ayant pas trait à la
consultation juridique. Dans la décision Procter & Gambie Co.
c. Calgon Interamerican Corporation et autre (1980), 48
C.P.R. (2d) 63 (C.F. 1' inst.) on a jugé que la correspondance
adressée à un agent de brevets plutôt qu'à un avocat n'est pas
privilégiée, même si le cabinet d'avocats exerçait sous la même
raison sociale les fonctions d'avocats et d'agents de brevets,
puisque le but principal des communications était d'obtenir la
délivrance du brevet. Dans Flexi-Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd.
et autre (1983), 73 C.P.R. (2d) 89 (C.F. I" inst.) la Cour a
décidé qu'il existait un privilège pour les communications
échangées entre un client et un agent de brevets par l'intermé-
diaire du procureur du client si elles ont été faites en vue ou au
cours d'un litige. Dans l'arrêt Susan Hosiery Ltd. v. Minister
of National Revenue, [1969] 2 R.C.É. 27, la Cour a statué que
lorsqu'un comptable utilise ses connaissances et ses talents de
comptable pour exposer une situation de fait à un avocat pour
obtenir des conseils juridiques, les communications qu'il fait à
titre de représentant n'en constituent pas moins des communi
cations entre l'avocat et le client.
Même si la tendance est à l'extension du privilège de façon à
protéger les communications faites à un procureur par des tiers,
comme les renseignements fournis par des représentants ou des
employés du procureur, la distinction demeure entre les conseils
juridiques donnés par un agent de brevets agissant à ce titre et
ceux donnés par un avocat. Le problème se pose lorsqu'il faut
faire une distinction entre le cas où l'avocat, qui est l'agent de
brevets ou qui emploie des agents de brevets, agit en sa qualité
d'avocat et le cas où il agit en sa qualité d'agent de brevets. La
jurisprudence a fait une distinction dans les cas où aucun
procès n'était envisagé. En l'espèce, le but principal des conseils
donnés était d'obtenir des brevets, ce qui relève du travail des
agents de brevets, même si l'agent de brevets peut obtenir des
avis juridiques d'autres membres de son cabinet. Le principe
tiré de la décision Flexi-Coil Ltd., précitée, est appliqué.
3. Les communications du cabinet d'avocats américain adres-
sées au cabinet canadien ne sont pas privilégiées dans la mesure
où elles fournissent des conseils sur le droit canadien.
4. Suivant l'arrêt O'Cedar of Canada Ltd. v. Mallory Hard
ware Products Ltd., [1956] R.C.É. 299; (1955), 24 C.P.R. 103,
les documents relatifs à la poursuite des demandes correspon-
dantes aux États-Unis ne sont pas admissibles.
5. Si la demanderesse désire invoquer la fraude pour sous-
traire tous les documents de l'application du privilège, elle doit
fournir une preuve prima fade de fraude. Aux termes de la
décision In re Goodman & Carr et al. v. M.N.R. [N° I ] (1968),
68 DTC 5288 (C.S. Ont.), il faut prouver l'existence d'une
fraude grave pour que le privilège soit perdu. La décision Re
Romeo's Place Victoria Ltd. (1981), 23 C.P.C. 194 (C.F. I'°
inst.) a posé le principe qu'un affidavit fondé principalement
sur des renseignements tenus pour véridiques ne suffisait à
répondre aux exigences de preuve en matière d'allégations de
fraude. Il n'y a même pas, en l'espèce, d'affidavit à l'appui de
l'allégation de fraude. Même si la décision Flexi-Coil Ltd. a
déclaré que «La fraude n'est pas invoquée», cela ne signifie pas
que si elle l'avait été, la Cour aurait tranché le litige en se
fondant seulement sur cette allégation. Il ne serait pas appro-
prié de conclure qu'il suffit d'alléguer la fraude pour obtenir
l'accès à des documents que possède la partie adverse et qui, en
d'autres circonstances, seraient privilégiés. Aucun argument n'a
été entendu sur la question de fraude.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Flexi - Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd. et autre (1983), 73
C.P.R. (2d) 89 (C.F. 1'C inst.); In re Goodman & Carr et
al. v. M.N.R. [N° 1] (1968), 68 DTC 5288 (C.S. Ont.);
O'Cedar of Canada Ltd. v. Mallory Hardware Products
Ltd., [1956] R.C.É. 299; (1955), 24 C.P.R. 103.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S.
860; (1982), 44 N.R. 462; R. v. Littlechild (1979), 51
C.C.C. (2d) 406 (C.A. Alb.); Solosky c. La Reine,
[1980] I R.C.S. 821; Lumonics Research Limited c.
Gould, [1983] 2 C.F. 360; (1983), 46 N.R. 483 (C.A.);
Moseley v. The Victoria Rubber Company (1886), L.T.
Rep. N.S. 482 (Ch.D.); IBM Canada Limited -IBM
Canada Limitée c. Xerox du Canada Limitée, [1978] 1
C.F. 513 (C.A.); Procter & Gamble Co. c. Calgon Inter-
ameri can Corporation et autre (1980), 48 C.P.R. (2d) 63
(C.F. l'° inst.); Re Duncan (decd.), [ 1968] 2 All E.R. 395
(Prob.); Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National
Revenue, [1969] 2 R.C.É. 27; Re Romeo's Place Victoria
Ltd. (1981), 23 C.P.C. 194 (C.F. l'° inst.).
AVOCATS:
G. A. Macklin, c.r. pour la demanderesse.
R. E. Dimock pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
demanderesse.
Sim, Hughes, Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: La requête de la demande-
resse sollicite:
1. Une ordonnance enjoignant à la défenderesse de
produire, à la reprise de l'interrogatoire préalable
de M. Daniel Duhl, président de la défenderesse,
tous les documents dont elle a la possession, la
garde ou le contrôle, se rapportant à la demande
de brevet qui a mené à la délivrance au Canada
des lettres patentes 1097488, ou à la demande
analogue présentée aux États-Unis, et notamment:
a) les dossiers de la défenderesse concernant la
poursuite desdites demandes;
b) les dossiers des bureaux d'avocats Pennie and
Edmonds et Herridge, Tolmie, agents de brevets
de la défenderesse, concernant la poursuite des-
dites demandes de brevets;
c) tous les documents concernant les recherches
sur les techniques antérieures et les rapports de
recherche qui ont été préparés avant le dépôt
desdites demandes de brevets.
et en outre, de produire tous les documents dont
elle a la possession, la garde ou le contrôle, se
rapportant aux demandes concernant l'invention
présumée qui fait l'objet du brevet canadien
1099124 ou du brevet américain analogue, et tous
les documents concernant la date de l'invention;
dont, notamment, les dossiers de la défenderesse,
ceux de MM. Pennie et Edmonds et ceux de MM.
Herridge, Tolmie concernant ladite demande de
brevet;
2. Toute autre ordonnance que la Cour peut juger
équitable d'accorder;
3. Les dépens de la présente demande.
Le 7 juin 1983, le juge Addy a accordé la requête
à la condition, toutefois, qu'au cas où la défende-
resse revendiquerait le privilège de confidentialité
pour certains documents, elle produise et fasse
signifier à la demanderesse, au plus tard le 17 juin
1983, un affidavit identifiant ces documents, préci-
sant la nature générale de leur contenu et les
motifs pour lesquels elle demande le privilège, et
qu'elle présente une demande écrite pour que soit
fixée la date de l'audition de cette demande de
privilège ou pour obtenir des directives relatives à
celle-ci. Le juge Cattanach, dans une ordonnance
datée du 21 juin 1983, a prorogé le délai jusqu'au
24 juin, la date de l'audition sur la question du
privilège étant fixée au 30 juin.
Le 22 juin 1983, le juge Cattanach s'est pro-
noncé sur une autre requête demandant que Daniel
Duhl comparaisse à nouveau à Ottawa avant le 30
juin pour répondre aux questions auxquelles il
n'avait pas répondu au moment de son interroga-
toire préalable. Il s'agissait d'un grand nombre de
questions et le jugement les classe par catégories
assez détaillées. On trouve la conclusion suivante à
la page 4:
[TRADUCTION] Les questions 1676, 1170-1172, 3043, 3045-
3048, 3051-2, 1831, 1904-1906, 2524, 2997 (deuxième partie)
concernent la production de documents pour lesquels une
demande de privilège est présentée et devraient faire l'objet
d'une requête séparée à présenter au juge des requêtes au cours
d'un jour réservé à l'audition des requêtes; le juge qui a
examiné les autres questions exposées aux présentes ne les a pas
tranchées et n'en est pas saisi.
S'ils peuvent être identifiés, les documents visés par la
demande de privilège devront être déposés à la Cour avec une
liste de documents, au moment de la présentation de la requête.
Le délai pour la nouvelle comparution a été pro-
rogé jusqu'au 15 juillet 1983 par un jugement sur
consentement rendu le 30 juin 1983.
Deux bureaux d'avocats sont concernés, celui de
Pennie and Edmonds, avocats américains de la
défenderesse, et Herridge, Tolmie, ses avocats
canadiens. Les deux parties ont abondamment cité
l'arrêt de la Cour suprême Descôteaux et autre c.
Mierzwinski' qui portait sur une saisie effectuée
en vertu d'un mandat de perquisition autorisant la
fouille d'un bureau de l'aide juridique et la saisie
de documents dans lesquels le requérant était pré-
sumé avoir menti au sujet de ses moyens financiers
i [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 44 N.R. 462.
pour bénéficier de l'aide juridique, ce qui aurait
constitué une infraction criminelle. Le privilège de
la confidentialité a été invoqué mais n'a pas été
accordé par la Cour supérieure [[1978] C.S. 792]
qui a conclu que la demande d'aide juridique avait
été remplie avant la naissance de la relation avo-
cat-client. La Cour d'appel du Québec a rejeté
l'appel de ce jugement. Même si la Cour suprême
du Canada a rejeté l'appel dont elle a été saisie,
elle a toutefois jugé que le privilège des communi
cations entre avocat et client prend naissance au
stade de la présentation de la demande d'aide
juridique mais qu'il ne protège pas les communica
tions qui constituent un élément du crime. Cette
question du privilège a fait l'objet d'un examen
approfondi dans le jugement de la Cour suprême.
Aux pages 878 et 879 R.C.S.; 483 N.R., est cité le
jugement du juge Laycraft, juge d'appel de l'Al-
berta, dans l'arrêt R. v. Littlechild 2 :
[TRADUCTION] Plusieurs décisions établissent le principe que
le privilège des communications entre avocat et client s'étend
aussi bien aux communications entre les représentants du client
et son avocat qu'aux communications entre un client et des
représentants de son avocat. Dans l'arrêt Wheeler v. Le Mar-
chant (1881), 17 Ch. D. 675 la p. 682, le maître des rôles
Jessel dit:
La communication même du client à son avocat est, cela va
de soi, protégée; elle est également protégée si elle est faite
par le client en personne ou pour lui par l'un de ses représen-
tants, qu'elle soit faite à l'avocat en personne ou à un clerc ou
employé de l'avocat qui agit à sa place et selon ses
instructions.
Dans l'arrêt Lyell v. Kennedy (1884), 27 Ch. D. 1, le lord
juge Cotton dit à la p. 19:
Mais alors ce privilège se limite à ce qui a été communiqué
par cette personne ou à elle [le client] aux avocats ou par eux
ou leurs représentants ou toutes personnes qu'on peut consi-
dérer à juste titre comme les représentants des avocats. Nous
avons donc estimé juste, en vue d'éviter que l'on s'éloigne de
la bonne interprétation de la règle de droit par l'emploi du
mot «représentants», d'exiger que le défendeur produise une
autre déclaration sous serment indiquant si les représentants
mentionnés sont les siens ou s'ils sont les représentants des
avocats et des personnes employées par l'avocat de manière à
être ses représentants, y compris des représentants tel le clerc
d'un avocat, qui, tous, ont droit à la protection accordée aux
avocats. Alors, sous réserve de cette modification, nous pen-
sons que la protection revendiquée est justifiée en droit.
La défenderesse allègue qu'on pourrait par con-
séquent étendre le privilège aux agents de brevets
employés par des avocats mais non à un agent de
brevets qui, travaillant pour son propre compte,
agit au nom de son client.
2 (1979), 51 C.C.C. (2d) 406 (C.A. Alb.), à la p. 411.
Le jugement de la Cour suprême se termine
comme suit aux pages 892 et 893 R.C.S.; 497 et
498 N.R.:
En résumé, le client d'un avocat a droit au respect de la
confidentialité de toutes les communications faites dans le but
d'obtenir un avis juridique. Qu'ils soient communiqués à l'avo-
cat lui-même ou à des employés, qu'ils portent sur des matières
de nature administrative comme la situation financière ou sur
la nature même du problème juridique, tous les renseignements
que doit fournir une personne en vue d'obtenir un avis juridique
et qui sont donnés en confidence à cette fin jouissent du
privilège de confidentialité. Ce droit à la confidentialité s'atta-
che à toutes les communications faites dans le cadre de la
relation client-avocat, laquelle prend naissance dès les premiè-
res démarches du client virtuel, donc avant même la formation
du mandat formel.
Comme le fait remarquer la demanderesse, le pro-
blème en l'espèce découle du fait qu'un agent de
brevets qui est également avocat cumule les fonc-
tions de deux emplois. Les demandes de brevets
présentées au Bureau des brevets du Canada doi-
vent être poursuivies par un agent de brevets et
non par un avocat. En l'espèce, les avocats cana-
diens de la défenderesse ont à leur emploi des
agents de brevets qui ne sont pas avocats mais
qu'on pourrait peut-être décrire comme étant des
agents «maison»; selon la défenderesse, ce sont des
employés ou des représentants du bureau d'avocats
et, par conséquent, les communications entre
ceux-ci et leur cliente ou les avocats américains
sont également protégées par le privilège de la
confidentialité.
La demanderesse soutient qu'un tel privilège
n'existe pas lorsqu'ils agissent simplement comme
agents de brevets et ne donnent pas d'avis juridi-
que. Bien entendu, il est admis que, puisque la
demanderesse peut obtenir toutes les communica
tions faites avec le commissaire des brevets au
sujet du traitement des demandes de brevets, ces
communications ne sont pas privilégiées; le litige
porte donc principalement sur les communications
entre les deux bureaux d'avocats ou entre ceux-ci
et leur cliente.
On a également invoqué l'arrêt Solosky c. La
Reine' qui a été cité dans le jugement Descôteaux,
quoique les faits soient totalement différents. Dans
cet arrêt, la Cour suprême déclare que le privilège
n'est plus considéré seulement comme une règle de
3 [1980] 1 R.C.S. 821.
preuve qui fait fonction d'écran pour empêcher que
des documents privilégiés ne soient produits en
preuve dans une salle d'audience, mais que les
tribunaux canadiens s'orientent vers une notion
plus large du privilège entre avocat et client tout
en n'allant pas jusqu'à reconnaître qu'il s'agit d'un
principe fondamental qui pourrait être qualifié de
«règle de propriété». Dans l'arrêt Lumonics
Research Limited c. Gould 4 , la Cour d'appel fédé-
rale s'est prononcée directement sur la question du
privilège d'un procureur ou d'un agent de brevets.
Voici le texte des pages 365 et 366 C.F.; 488 et
489 N.R. de ce jugement:
De cette hypothèse, l'avocat de l'appelante a tiré deux conclu
sions: premièrement, les procureurs américains, dans leurs rap
ports avec les intimés, agissaient en leur qualité d'agents des
brevets et non de procureurs; deuxièmement, il en découle que
la correspondance entre ces procureurs et les intimés était, en
fait, une correspondance entre agents des brevets et clients qui
n'était pas confidentielle, le privilège attaché à la profession
juridique ne s'étendant pas aux agents des brevets.
Au Canada, il est clair que le privilège de la profession
juridique ne s'étend pas aux agents des brevets. Toutefois, la
seule raison en est que les agents des brevets, en tant que tels,
n'appartiennent pas à la profession juridique. C'est la raison
pour laquelle la correspondance entre eux et leurs clients n'est
pas confidentielle, même si cette correspondance est échangée
dans le dessein d'obtenir ou de donner des conseils juridiques.
D'autre part, tous les renseignements confidentiels donnés à
un membre de la profession juridique ou provenant de ce
dernier en vue d'obtenir des conseils juridiques sont exempts de
production, que ces renseignements se rapportent ou non au
genre d'avis ou d'opinions juridiques que donnent normalement
des agents de brevets. Un conseil juridique ne cesse pas de l'être
simplement parce qu'il a trait à des procédures devant le
Bureau des brevets. D'habitude, ces procédures donnent lieu à
des questions juridiques; pour cette raison, lorsqu'on a recours
aux services d'un procureur relativement à ces procédures, ce
qu'on demande réellement, ce sont des conseils et de l'aide
juridiques, et ce, en dépit du fait qu'un procureur, en tant que
tel, ne saurait représenter un requérant dans des procédures
devant le Bureau des brevets.
La demanderesse cite plusieurs décisions à l'ap-
pui de sa théorie du double rôle. La première est
celle de Moseley v. The Victoria Rubber Compa
ny' dans laquelle le juge Chitty a déclaré à la page
485:
[TRADUCTION] Inutile de dire que du point de vue juridique,
les communications entre une personne et son agent de brevets
ne sont pas privilégiées. Par conséquent, vu la nature de la
correspondance en cause et vu la double position occupée par le
procureur du demandeur, il me semble que les défendeurs ont
droit à une réponse plus précise, et je suis convaincu qu'il est
4 [1983] 2 C.F. 360; (1983), 46 N.R. 483 (C.A.).
5 (1886), L.T. Rep. N.S. 482 (Ch.D.).
possible de donner cette réponse. La déclaration porte «commu-
nications confidentielles entre moi-même et mon procureur». Il
n'y est toutefois pas dit que ces communications ont été échan-
gées dans le cadre de la relation qui existe entre le demandeur
et son procureur. Il est possible qu'elles aient plutôt été échan-
gées dans le cadre de ses relations avec son agent de brevets. La
communication a eu lieu entre le demandeur et une personne
qui entretient deux genres de relations avec celui-ci. J'estime
donc que plutôt que de rendre l'ordonnance de production
demandée, il y a lieu d'ordonner que soit présentée une réponse
plus élaborée.
Le juge poursuit, à la même page:
[TRADUCTION] ... je ne dis pas cela dans le but de montrer
aujourd'hui que le brevet de 1883 est nul, je ne fais qu'une
affirmation générale. Les défendeurs déclarent ensuite que,
bien qu'ils ne puissent pas faire de déclaration précise sur les
conséquences de la correspondance échangée au sujet du brevet
de 1884, il y a tout lieu de croire que les deux inventions sont si
étroitement liées que les documents qu'ils désirent obtenir,
c'est-à-dire ceux échangés entre le demandeur et son agent de
brevets, contiendront des faits importants qui viendront
appuyer leurs attaques contre la validité du brevet de 1883. Je
ne suis pas prêt à permettre des examens allant au hasard, mais
il me semble que je ne commettrai d'injustice envers aucune des
parties si je déclare qu'il devrait y avoir une réponse plus
élaborée et c'est mon avis en ce qui concerne le brevet de 1884.
On a également cité l'arrêt de la Cour d'appel
fédérale IBM Canada Limited -IBM Canada
Limitée c. Xerox du Canada Limitée 6 ; il y a été
décidé que rien dans la lettre pour laquelle on
demandait le privilège de la confidentialité n'indi-
quait que son auteur l'avait écrite en sa qualité
d'avocat. Celui-ci était également directeur du ser
vice des brevets de la compagnie et rien n'indiquait
qu'il écrivait en sa qualité d'avocat. Le jugement
porte, à la page 517:
Vu le règlement de cette question, il est donc inutile de
décider si une lettre écrite par un avocat en sa qualité d'avocat
peut être jugée de nature confidentielle lorsqu'elle est adressée
non pas au client, mais aux agents de brevets de ce client dans
le but de poursuivre une demande de brevet. Nous n'avons pas
non plus à décider si la lettre a été écrite en vue de la
préparation d'un procès ou si l'avocat donnait des conseils au
sujet de certaines lois sans y être habilité parce qu'il était
avocat aux États-Unis et qu'il donnait son avis sur la poursuite
de demandes de brevets au Canada.
À la page 835 de l'arrêt Solosky (précité), le juge
Dickson déclare:
Le privilège connaît des exceptions. Il ne s'applique pas aux
communications qui n'ont trait ni à la consultation juridique ni
à l'avis donné, c'est-à-dire, lorsque l'avocat n'est pas consulté en
sa qualité professionnelle. De même, le privilège ne se rattache
6 [1978] 1 C.F. 513 (C.A.).
pas à une communication qui n'est pas censée être confiden-
tielle, O'Shea v. Woods, ([1891] P. 286), la p. 289.
Dans la décision Procter & Gamble Co. c. Calgon
Interamerican Corporation et autre', le juge
Mahoney a déclaré à la page 65:
Les documents que j'ai exclus de la demande de privilège
comprennent la correspondance échangée entre la demande-
resse et MM. Gowling & Henderson d'Ottawa. Ceux-ci exer-
cent sous la même raison sociale les fonctions d'avocats et
d'agents de brevets. La correspondance est échangée avec un
des agents de brevets plutôt qu'avec un des avocats.
Il a dit à la page 64:
Je suis tout à fait convaincu que le but principal de toutes les
communications échangées était d'obtenir la délivrance du
brevet. Même si on envisageait apparemment, du moins dans
les documents les plus récents, d'intenter, une fois que le brevet
serait délivré, des actions en contrefaçon contre les défenderes-
ses et d'autres personnes au sujet de produits alors sur le
marché, il est évident que les documents se rapportent directe-
ment au traitement de la demande présentée au Bureau des
brevets et que s'ils se rapportent au litige envisagé soit dans
cette action soit dans une autre, c'est tout au plus par coïnci-
dence. Il s'ensuit que peuvent être soumises au privilège
demandé uniquement les communications entre la demande-
resse et ses conseillers juridiques et non les communications
entre l'un et l'autre de ceux-ci et des tiers. Les communications
avec des tierces parties ne sont privilégiées que si leur but
principal était de donner des directives aux conseillers juridi-
ques de la demanderesse en vue de la présente action: Waugh v.
British Railways Board, [1979] 3 W.L.R. 150 (H.L.).
Le conseiller juridique avec lequel la demanderesse a com-
muniqué devait avoir la compétence professionnelle requise
pour la conseiller en matière de droit canadien: Re United
States of America v. Mammoth Oil Co., [1925] 2 D.L.R. 966,
28 O.W.N. 22 (C.A. Ont.). Bien qu'une telle communication
avec un employé qualifié bénéficie du même privilège que celle
faite à un praticien privé qualifié, tout conseiller juridique doit
être qualifié pour exercer au Canada en sa qualité d'avocat, et
non en sa qualité d'agent de brevets.
Dans l'arrêt anglais Re Duncan (decd.) 8 , le juge
Ormrod a dit à la page 399:
[TRADUCTION] Je conclus par conséquent que tous les docu
ments qui constituent des communications échangées entre le
demandeur et ses conseillers juridiques étrangers sont privilé-
giés qu'on ait ou non envisagé d'intenter des poursuites devant
ce tribunal ou tout autre tribunal lorsqu'ils ont pris naissance.
L'avocat de la défenderesse a déclaré qu'il était un
des avocats dans la cause Procter & Gamble (pré-
citée) et qu'on n'avait pas soumis au juge Maho-
ney le cas de l'arrêt Duncan au moment où il a
rendu sa décision au sujet des conseillers juridiques
étrangers.
7 (1980), 48 C.P.R. (2d) 63 (C.F. 1" inst.).
8 [1968] 2 All E.R. 395 (Prob.).
Dans un jugement récent, Flexi-Coil Ltd. c.
Smith -Roles Ltd. et autre [(1983), 73 C.P.R. (2d)
89 (C.F. ]re inst.), le juge Mahoney dit aux pages
92 et 93:
En ce qui concerne le secret professionnel entre l'avocat et
son client, la loi reconnaît, à mon sens, l'existence d'une
immunité absolue que le client peut invoquer, à l'égard de
toutes les communications entre le client et son avocat se
rapportant aux opinions juridiques obtenues ou données, et ce,
que la communication se fasse directement ou par l'entremise
de l'agent du client. Il n'existe aucune immunité à l'égard des
communications directes entre le client et l'agent de brevets.
Mais l'immunité existe relativement aux communications entre
le client et l'agent de brevets par l'entremise de l'avocat du
client, si elles sont faites en prévision ou au cours d'un litige.
Il faut remarquer qu'en l'espèce Herridge,
Tolmie représente le bureau d'avocats américain
Pennie and Edmonds dans les demandes de brevets
au Canada, et aussi que ces deux bureaux d'avo-
cats sont les représentants de la cliente Polylok
Corporation. Il ne semble pas que la cliente ait
retenu les services d'un agent de brevets ou traité
directement avec un agent de brevets mais qu'elle
se soit uniquement adressée à des avocats qui
étaient également agents de brevets ou avaient des
agents de brevets à leur emploi. On ne peut cepen-
dant pas affirmer que la correspondance a été
échangée au cours ou en vue de la préparation d'un
litige.
Sopinka et Lederman ont examiné la question
du privilège des communications avec des tiers
dans The Law of Evidence in Civil Cases (Butters-
worth, Toronto, 1974), la page 169:
[TRADUCTION] En droit canadien-anglais, la notion du privi-
lège des communications entre avocat et client ne se limite pas
aux communications échangées entre une personne et son
avocat. On a étendu cette protection à d'autres communications
faites par des tiers que le procureur peut utiliser pour préparer
sa preuve pour le procès. Les avis écrits des experts auxquels on
a demandé d'effectuer des tests ou d'exprimer leur opinion sur
certains faits, les déclarations de témoins, les rapports préparés
par des enquêteurs, tout ce qui aide le procureur à préparer et à
faire valoir ses prétentions entre dans les limites de cette
protection. Les tribunaux ont toutefois imposé pour la revendi-
cation du privilège des communications avec des tiers une
condition qui ne s'applique désormais plus aux déclarations
faites directement entre un procureur et son client. Il est encore
nécessaire pour que le privilège s'applique aux communications
avec des tiers, que ces communications aient été faites au sujet
d'un litige en cours ou prévu.
Ils déclarent cependant à la page 171:
[TRADUCTION] La condition voulant que le document soit
préparé pour les fins d'un litige n'a cependant pas été rigoureu-
serrent appliquée en ce qui concerne les rapports sur les faits ou
les rapports d'enquêtes fournis au procureur. La préparation
d'un tel document ou rapport peut avoir un double objectif.
Dans l'arrêt Susan Hosiery Ltd. v. Minister of
National Revenue 9 , le président Jackett (tel était
alors son titre) a dit aux pages 35 et 36:
[TRADUCTION] ... lorsqu'un comptable est employé comme
représentant, ou fait partie d'un groupe de représentants, dans
le but d'exposer une situation de faits ou un problème à un
avocat pour obtenir des conseils juridiques, les communications
qu'il fait ou auxquelles il participe en sa qualité de représentant
sont quand même celles du commettant, qui est le client, à
l'avocat même s'il est comptable ou utilise ses talents et ses
connaissances de comptable pour accomplir sa tâche. De même,
les communications entre un tel représentant et un avocat dont
on a demandé les conseils n'en constituent pas moins des
communications entre l'avocat et le client.
La demanderesse voulait également invoquer la
fraude afin d'écarter la possibilité pour la défende-
resse de demander le privilège. Cette question a été
examinée dans l'arrêt Solosky (précité) aux pages
835 et 836 du jugement:
Plus significatif, si un client consulte un avocat pour pouvoir
perpétrer plus facilement un crime ou une fraude, alors la
communication n'est pas privilégiée et il importe peu que
l'avocat soit une dupe ou un participant. L'arrêt classique est R.
v. Cox and Railton ((1884), 14 Q.B.D. 153), où le juge
Stephen s'exprime en ces termes (p. 167): [TRADUCTION] «Une
communication faite en vue de servir un dessein criminel ne
«relève pas de la portée ordinaire des services professionnels.»
L'arrêt In re Goodman & Carr et al. v. M.N.R.
[N° 1] '°, de la Cour suprême de l'Ontario, a établi
le principe qu'il faut toutefois prouver l'existence
d'une fraude grave pour que le privilège soit perdu.
Voici ce que dit le jugement à la page 5289:
[TRADUCTION] 3. Une simple allégation de fraude dans la
plaidoirie n'est pas suffisante: il faut établir, à partir des faits,
une preuve prima fade de fraude.
De même, dans la décision Re Romeo's Place
Victoria Ltd. ", le juge Collier, après un examen
approfondi de la jurisprudence, a conclu qu'un
affidavit fondé principalement sur la foi de rensei-
gnements tenus pour véridiques ne suffisait pas
pour répondre aux exigences du paragraphe
332(1) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C.,
chap. 663] ou du genre de preuve requise dans le
9 [1969] 2 R.C.É. 27.
10 (1968), 68 DTC 5288 (C.S. Ont.).
1 1 (1981), 23 C.P.C. 194 (C.F. 1" inst.).
cas d'allégations de fraude, et qu'afin de limiter,
pour des motifs de fraude, le privilège entre le
procureur et le client, il fallait apporter une preuve
prima facie fondée sur une connaissance person-
nelle des faits. Au stade actuel des procédures, il
n'y a même pas, en l'espèce, d'affidavit à l'appui
de l'allégation de fraude présentée par la deman-
deresse dans ses plaidoiries. L'avocat de la deman-
deresse a déclaré qu'il pourrait invoquer certains
documents qui indiqueraient que la défenderesse a
commis une fraude dans la première demande de
brevet en cause, portant le numéro 1097488. Ce
point n'a pas été soulevé à l'égard de la demande
1099124.
L'avocat de la demanderesse a fait valoir qu'il
ne croyait pas qu'un affidavit était nécessaire
compte tenu de la décision récente du juge Maho-
ney dans la décision Flexi-Coil Ltd. c. Smith -
Roles Ltd. et autre, où l'on trouve notamment, à la
page 90: «La fraude n'est pas invoquée.» Je ne crois
pas que cela signifie, comme l'avocat de la deman-
deresse le soutient, que si la fraude avait été
alléguée, le juge Mahoney aurait tranché le litige
en se fondant simplement sur cette allégation. Il
me semble qu'il s'agit d'un simple exposé du fait
que la fraude ne constitue pas un des arguments
invoqués à l'encontre du privilège. Il ne serait
certainement pas approprié de conclure qu'il suffit
à une partie d'alléguer la fraude dans ses plaidoi-
ries, sans fournir de preuve prima facie à l'appui
de cette allégation, pour obtenir l'accès à des
documents que possède la partie adverse et qui, en
d'autres circonstances, seraient privilégiés.
Compte tenu de ce qui précède, j'ai refusé d'en-
tendre tout argument portant sur la question de la
fraude; toutefois, l'avocat de la demanderesse a
prétendu qu'on devrait lui donner l'occasion de
soulever la question de la fraude si les demandes
de privilège de la défenderesse étaient admises
après examen des questions soulevées; il a donc été
convenu que tous les arguments se rapportant à la
fraude seraient entendus à une date ultérieure, si
cela devenait nécessaire, et si la Cour était saisie
des affidavits appropriés ou d'autres éléments de
preuve justifiant une telle prétention. Comme je
n'ai entendu aucun argument à cet égard, je ne me
prononcerai donc pas sur cette question qui pourra
être soulevée dans une audition ultérieure.
Même si la jurisprudence est un peu contradic-
toire et si la tendance est apparemment à l'exten-
sion du privilège de façon à protéger les communi
cations faites à un procureur par des tiers, comme
les renseignements fournis par des experts et cer-
tainement ceux qui le sont par des représentants ou
des employés du procureur, la distinction demeure
entre les conseils juridiques donnés par un agent de
brevets agissant à ce titre et ceux donnés par un
avocat. Comme je l'ai déjà dit, le problème se pose
lorsqu'il faut faire une distinction entre le cas où
l'avocat, qui est également un agent de brevets ou
qui emploie à temps plein des agents de brevets,
agit en sa qualité d'avocat et le cas où il agit en sa
qualité d'agent de brevets. Les demandes présen-
tées au Bureau des brevets doivent être préparées
et faites par un agent de brevets, mais il est évident
que les avocats d'un bureau employant des agents
de brevets discutent des répercussions juridiques
des demandes avec ces agents ou, s'ils sont eux-
mêmes en même temps agents de . brevets et avo-
cats, qu'ils utilisent certainement leurs connaissan-
ces juridiques quand ils présentent les demandes et
conseillent leurs clients en conséquence. La juris
prudence semble cependant avoir fait cette distinc
tion, du moins dans les cas où aucun procès n'était
envisagé. Même si, dans un sens, on peut dire que
toute demande de brevet peut donner lieu à un
litige, rien n'indique en l'espèce que le but princi
pal des conseils donnés à leur cliente, par les
avocats américains ou par les avocats canadiens,
n'était pas d'obtenir les brevets en question; cela
relève principalement du travail des agents de
brevets même si ceux-ci peuvent consulter d'autres
membres de leur bureau ayant les compétences
requises pour donner des conseils au sujet de ces
demandes, ou leur demander des conseils juridi-
ques.
Je fais mienne la déclaration de mon collègue le
juge Mahoney dans la décision Flexi-Coil Ltd. c.
Smith -Roles Ltd. et autre (précitée) où il dit [à la
page 93]:
Mais l'immunité existe relativement aux communications entre
le client et l'agent de brevets par l'entremise de l'avocat du
client, si elles sont faites en prévision ou au cours d'un litige.
[C'est moi qui souligne.]
La défenderesse a présenté à l'appui de sa
demande de privilège deux affidavits de son avocat
canadien, Gordon J. Zimmerman, le premier daté
du 17 juin 1983 et le second, du 24 juin 1983. Il
n'est pas surprenant qu'ils soient rédigés de façon
à étendre la demande de privilège aux communica
tions avec les agents de brevets employés par les
avocats chargés des demandes de brevets. Trois
listes de documents sont annexées à l'affidavit du
17 juin: la pièce A tirée des dossiers de Pennie and
Edmonds concerne la poursuite aux États-Unis
d'une demande analogue à celle qui a abouti au
Canada à la délivrance des lettres patentes
1097488; la pièce B est la liste des dossiers de
Herridge, Tolmie concernant la poursuite au
Canada des deux demandes de brevets; finalement,
la pièce C est une liste des documents contenus
dans les dossiers de la compagnie défenderesse se
rapportant aux deux demandes de brevets au
Canada et aux demandes équivalentes aux États-
Unis. On n'a pas essayé de classer les différents
documents par catégories.
Voici, à titre d'exemples de la manière dont les
affidavits sont rédigés, les paragraphes 6, 10, 12 et
13 de l'affidavit du 17 juin:
[TRADUCTION] 6. Les documents énumérés dans les pièces
annexées aux présentes ont été examinés par l'avocat de la
défenderesse et nous croyons que la demande de privilège
concernant ces documents est bien fondée étant donné que ces
documents comportent des lettres et des notes écrites par les
avocats représentant la défenderesse dans des procédures inten-
tées aux Etats-Unis devant le Bureau des brevets au sujet de la
poursuite de certaines demandes de brevets, et par les avocats
représentant la défenderesse dans des procédures devant le
Bureau des brevets du Canada au sujet de la poursuite de
diverses demandes de brevets.
10. Monsieur Ross Gray, c.r., affirme, et je le crois, qu'il est un
des associés du bureau d'avocats Herridge, Tolmie. Son bureau
était en outre chargé de la poursuite au Canada des demandes
de brevets en cause en l'espèce. Monsieur Gray m'a de plus
informé, et je le crois, que toute personne ayant travaillé aux
dossiers de poursuite l'a fait en sa qualité d'avocat ou d'em-
ployé du bureau d'avocats, suivant les directives d'un avocat
comme c'est l'usage général dans le bureau Herridge, Tolmie;
tout travail ainsi effectué constituait une assistance juridique et
devait rester confidentiel.
12. La défenderesse a à sa disposition pour les soumettre à
l'examen de la Cour, si nécessaire, les copies ou les originaux de
tous les documents ainsi énumérés pour lesquels le privilège est
demandé. Ces documents comprennent la correspondance
échangée entre les cadres, employés ou représentants de la
compagnie défenderesse, les avocats ou ceux agissant suivant
les directives des avocats des bureaux d'avocats Pennie &
Edmonds et Herridge, Tolmie, et la correspondance échangée
avec les Bureaux des brevets canadien et américain. Les docu
ments comprennent également certaines notes manuscrites pré-
parées par des membres des bureaux d'avocats ou par des
personnes travaillant sous leurs ordres dans le cadre des conseils
juridiques dont il est fait mention plus haut. Certaines notes de
service ou lettres internes échangées entre les membres des
bureaux d'avocats afin de fournir des conseils et de l'aide
juridiques font aussi partie de ces documents.
13. La défenderesse soutient que tous ces documents sont
privilégiés étant donné qu'ils ont été préparés dans le cadre des
conseils juridiques fournis par les avocats ou par les personnes
dont ils ont la surveillance, notamment les résultats du travail
effectué par les deux bureaux d'avocats en cause et les commu
nications internes concernant ces consultations juridiques.
Dans ces paragraphes, comme c'est le cas par-
tout dans l'affidavit, on fait souvent référence aux
personnes agissant selon les directives des avocats
du bureau d'avocats ou aux personnes dont ils ont
la surveillance pour fournir des conseils juridiques.
Au paragraphe 6 de l'affidavit du 24 juin, la
défenderesse soutient que la plupart des documents
énumérés ne sont pas pertinents. Bien que cette
question de la pertinence n'ait pas été débattue
devant moi, je suis porté à admettre qu'au moins
certains des documents ne sont pas pertinents ou
qu'ils revêtent peu d'intérêt étant donné qu'il s'agit
simplement de lettres auxquelles sont joints les
paiements des frais du Bureau des brevets et des
honoraires des avocats, des lettres concernant les
affaires courantes qui ne contiennent probable-
ment pas de conseils juridiques, etc. Il n'y a pas eu
de contre-interrogatoire sur ces affidavits qui cons
tituent la seule preuve soumise à la Cour à l'audi-
tion de la requête. Les allégations de fait qui y sont
contenues sont par conséquent non contredites.
Selon une jurisprudence, qui n'est toutefois pas
très récente, la preuve relative à une action inten-
tée dans un pays étranger au sujet d'une demande
de brevet analogue n'est pas admissible en ce qui
concerne la validité des demandes relatives à un
brevet canadien. Je fais allusion à l'arrêt O'Cedar
of Canada Ltd. v. Mallory Hardware Products
Ltd. 1 2 , dans lequel le président Thorson a déclaré à
la page 326 R.C.É.; page 131 C.P.R.:
[TRADUCTION] On a affirmé que la requête visant une nouvelle
délivrance était fondée sur des poursuites concernant le brevet
américain et on a soutenu que les demandeurs du brevet avaient
en réalité introduit l'action intentée aux États-Unis dans celle
intentée au Canada. On s'est opposé à la preuve présentée au
motif que ce qui s'est produit dans un autre pays dont le
système juridique est différent ne peut affecter la validité ou
l'invalidité des demandes relatives à un brevet canadien. J'ai
décidé que l'objection était fondée et que la preuve proposée
n'était pas admissible.
12 [1956] R.C.É. 299; (1955), 24 C.P.R. 103.
Les pièces jointes à l'affidavit de M. Zimmer-
man contiennent une liste de 530 documents. La
Cour ne devrait pas être tenue de les examiner un
par un afin de déterminer s'ils sont privilégiés.
Je propose de définir dans les grandes lignes, en
me fondant sur la jurisprudence, les catégories de
documents qui selon le cas sont privilégiés ou ne le
sont pas; si cela ne suffit pas pour trancher la
question du privilège et qu'il existe encore des
points de controverse, la défenderesse devra pré-
senter d'autres affidavits, dans lesquels les docu
ments seront classés, expliquant précisément pour
chaque document important les raisons pour les-
quelles le privilège est revendiqué. Il est nettement
insuffisant de déclarer que tous les documents
énumérés dans la liste sont privilégiés. Cette liste
comprend même un certain nombre de noms de
personnes dont émanent les documents ou auxquel-
les ils ont été envoyés; seules quelques-unes de ces
personnes sont identifiées dans les affidavits.
Aucune demande de privilège ne pourrait être
admise sur le fondement d'un affidavit aussi géné-
ral. La Cour ne possède aucun moyen de savoir si
ces personnes sont des avocats, des agents de bre-
vets ou des tiers, ou de déterminer le poste qu'elles
occupent si elles sont à l'emploi de la défenderesse.
À mon avis, les critères permettant de distinguer
les documents privilégiés de ceux qui ne le sont
pas, sont les suivants:
1. Les copies de la correspondance et des autres
documents relatifs aux demandes des lettres paten-
tes canadiennes 1097488 et 1099124 et contenues
dans les dossiers du Bureau des brevets du Canada
ne sont pas privilégiées.
2. Toutes les communications du bureau Pennie
and Edmonds adressées au bureau Herridge,
Tolmie ou à leur cliente Polylok Corporation de
même que celles du bureau Herridge, Tolmie ou
de Polylok Corporation adressées au bureau
Pennie and Edmonds, ou toutes les communica
tions échangées entre ceux-ci sont privilégiées; tou-
tefois, ne sont pas privilégiées les communications
avec les agents de brevets travaillant pour ces
bureaux et agissant en leur simple qualité d'agents
de brevets dans la poursuite des demandes de
brevets au Canada, lorsque ces communications ne
constituent pas des conseils juridiques.
3. Sont également exclues de l'application du privi-
lège, les communications du bureau Pennie and
Edmonds adressées au bureau Herridge, Tolmie
relativement auxdites demandes de brevets dans la
mesure où leur but est de fournir des informations
sur le droit canadien.
4. Bien qu'ils ne soient pas privilégiés, les docu
ments contenus dans les dossiers relatifs à la pour-
suite aux États-Unis des demandes de brevets cor-
respondant aux lettres patentes délivrées au
Canada sous les numéros 1097488 et 1099124 ne
sont pas admissibles en preuve.
5. Étant donné qu'à la suite de l'application de ces
critères, certains documents seront considérés
comme privilégiés, la demanderesse, si elle désire
encore invoquer la fraude pour soustraire tous les
documents de l'application du privilège, peut pré-
senter un affidavit et des documents fournissant
une preuve prima facie à l'appui d'une telle alléga-
tion de fraude et demander que soit fixée une date
pour l'audition de cette question devant un juge de
la présente Cour.
ORDONNANCE
La défenderesse devra présenter un ou plusieurs
affidavits supplémentaires dans lesquels les docu
ments pour lesquels le privilège est demandé seront
classés conformément aux critères énumérés dans
les motifs du jugement aux présentes:
1. Les copies de la correspondance et des autres
documents relatifs aux demandes de lettres paten-
tes canadiennes 1097488 et 1099124 et contenues
dans les dossiers du Bureau des brevets du Canada
ne sont pas privilégiées.
2. Toutes les communications du bureau Pennie
and Edmonds adressées au bureau Herridge,
Tolmie ou à leur cliente Polylok Corporation de
même que celles du bureau Herridge, Tolmie ou
de Polylok Corporation adressées au bureau
Pennie and Edmonds, ou toutes les communica
tions échangées entre ceux-ci sont privilégiées; tou-
tefois, ne sont pas privilégiées les communications
avec les agents de brevets travaillant pour ces
bureaux et agissant en leur simple qualité d'agents
de brevets dans la poursuite des demandes de
brevets au Canada, lorsque ces communications ne
constituent pas des conseils juridiques.
3. Sont également exclues de l'application du pri-
vilège, les communications du bureau Pennie and
Edmonds adressées au bureau Herridge, Tolmie
relativement auxdites demandes de brevets dans la
mesure où leur but est de fournir des informations
sur le droit canadien.
4. Bien qu'ils ne soient pas privilégiés, les docu
ments contenus dans les dossiers relatifs à la pour-
suite aux États-Unis des demandes de brevets cor-
respondant aux lettres patentes délivrées au
Canada sous les numéros 1097488 et 1099124 ne
sont pas admissibles en preuve.
L'affidavit devra préciser les documents pour
lesquels le privilège est demandé et donner dans
chaque cas les motifs de la revendication de ce
privilège.
Tous les autres documents pour lesquels, après
application des critères énumérés plus haut, il ne
peut être présenté de demande de privilège devront
être soumis à l'examen de la demanderesse. Il n'est
pas nécessaire de déposer les documents qui font
l'objet d'un différend avant la reprise de l'interro-
gatoire préalable de M. Daniel Duhl, les parties
ayant convenu qu'il n'y avait pas lieu de retarder
la reprise de cet interrogatoire pour attendre le
dépôt des documents.
La présente ordonnance est prononcée sans pré-
judice du droit de la demanderesse d'invoquer, si
elle le désire, la fraude comme motif pour que soit
ordonnée la production des documents relatifs aux
lettres patentes canadiennes 1097488 et pour les-
quels le privilège a été accordé, à une audition
spéciale tenue à cette fin devant un juge de la
Cour; elle devra soumettre à l'appui de sa
demande des affidavits et des pièces permettant
d'établir une preuve prima facie de fraude.
S'il survient un litige concernant l'application à
tout document particulier des critères exposés aux
présentes, il pourra être tranché au cours d'une
audition tenue par un juge de la présente Cour.
Les dépens suivront le sort de la cause.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.