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T-2953-81
Montreal Fast Print (1975) Ltd. (demanderesse)
c.
Polylok Corporation (défenderesse)
Division de première instance, juge Walsh— Ottawa, 30 juin et 12 juillet 1983.
Brevets Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Production de documents Privi- lège Agent de brevets cumulant deux fonctions Avocats ayant à leur emploi des agents de brevets «maison. Les communications entre ceux-ci et leur cliente ou les avocats américains sont-elles protégées par le privilège de la confiden- tialité? Ce privilège existe-t-il lorsqu'ils agissent simple- ment comme agents de brevets et ne donnent pas d'avis juridi- que? Communications entre bureaux Le concept de privilège s'est élargi au-delà de la portée d'une simple règle de preuve Référence aux causes portant sur le privilège entre avocat, client et agent de brevets Fraude invoquée à l'en- contre de la réclamation de privilège Une simple allégation de fraude n'est pas suffisante Il existe un privilège pour les communications échangées entre un client et un agent de brevets par l'intermédiaire d'un procureur si elles ont été faites en vue ou au cours d'un litige: Flexi-Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd. et autre (1983), 73 C.P.R. (2d) 89 (C.F. l'° inst.) Établissement de critères permettant de déterminer si un document est protégé par le privilège de confidentialité ou non Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 332(1).
Il s'agit d'une requête visant à obtenir, à l'aide d'une ordon- nance, la production, pendant un interrogatoire préalable, de documents se rapportant à certaines demandes de brevets pré- sentées au Canada ou à des demandes analogues présentées aux États-Unis. Deux cabinets d'avocats sont concernés. Les avo- cats canadiens sont des représentants des avocats américains pour les fins des demandes de brevets canadiens, et les deux cabinets sont des représentants de la défenderesse. Le cabinet d'avocats canadien a recours à des agents de brevets qui ne sont pas des avocats. La défenderesse n'a pas communiqué directe- ment avec un agent de brevets comme tel, mais seulement avec des avocats qui étaient aussi des agents de brevets ou des agents de brevets employés par des avocats. Toutefois, la communica tion n'a pas eu lieu en vue d'un litige. La défenderesse prétend que les communications entre les agents de brevets «maison» et la défenderesse ou les avocats américains sont protégées par le privilège de confidentialité puisqu'ils sont des employés ou des représentants des avocats. La demanderesse soutient qu'il n'y a pas de privilège lorsqu'un agent de brevets agit simplement à ce titre et ne donne pas d'avis juridique. Les affidavits l'on revendique le privilège font référence à des personnes agissant selon les directives des avocats ou des personnes dont ils ont la surveillance pour fournir des conseils juridiques.
Jugement: la défenderesse devra présenter un affidavit sup- plémentaire dans lequel les documents seront classés conformé- ment aux directives suivantes:
1. Les copies de tous les documents déposés au Bureau des brevets du Canada ne sont pas privilégiées.
2. Les communications des avocats américains adressées aux avocats canadiens ou à la cliente et vice versa sont privilégiées, à l'exception des communications avec les agents de brevets travaillant pour ces firmes et agissant en simple qualité d'agents de brevets. La Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 44 N.R. 462 que le client d'un avocat a droit au respect de la confidentialité de toutes les communications faites dans le but d'obtenir un avis juridique. Qu'ils soient communi- qués à l'avocat lui-même ou à des employés, qu'ils portent sur des matières de nature administrative ou sur la nature même du problème juridique, tous les renseignements que doit fournir une personne en vue d'obtenir un avis juridique sont privilégiés. Dans l'arrêt Lumonics Research Limited c. Gould, [1983] 2 C.F. 360; (1983), 46 N.R. 483 (C.A.), la Cour a statué que le privilège attaché à la profession juridique ne s'étend pas aux communications entre clients et agents de brevets, même si elles sont échangées dans le but d'obtenir un avis juridique, les agents de brevets n'appartenant pas, en tant que tels, à la profession juridique. La demanderesse invoque l'arrêt Moseley v. The Victoria Rubber Company (1886), L.T. Rep. N.S. 482 (Ch.D.) dans lequel il y a eu échange de communications entre le demandeur et un avocat entretenant deux relations avec celui-ci, c'est-à-dire celle d'avocat et d'agent de brevets. Le demandeur n'a toutefois pas indiqué à quel titre agissait le procureur lorsque les communications ont été échangées. Il a été ordonné qu'une réponse plus élaborée soit présentée. On a également cité l'arrêt IBM Canada Limited -IBM Canada Limitée c. Xerox du Canada Limitée, [1978] 1 C.F. 513 (C.A.) il a été décidé qu'une lettre écrite par le directeur du service des brevets ne bénéficiait pas du privilège de confidentialité parce que rien n'indiquait que son auteur l'avait écrite en sa qualité de conseiller juridique. Dans l'arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, la Cour a décidé que le privilège ne s'applique pas aux communications n'ayant pas trait à la consultation juridique. Dans la décision Procter & Gambie Co. c. Calgon Interamerican Corporation et autre (1980), 48 C.P.R. (2d) 63 (C.F. 1' inst.) on a jugé que la correspondance adressée à un agent de brevets plutôt qu'à un avocat n'est pas privilégiée, même si le cabinet d'avocats exerçait sous la même raison sociale les fonctions d'avocats et d'agents de brevets, puisque le but principal des communications était d'obtenir la délivrance du brevet. Dans Flexi-Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd. et autre (1983), 73 C.P.R. (2d) 89 (C.F. I" inst.) la Cour a décidé qu'il existait un privilège pour les communications échangées entre un client et un agent de brevets par l'intermé- diaire du procureur du client si elles ont été faites en vue ou au cours d'un litige. Dans l'arrêt Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.É. 27, la Cour a statué que lorsqu'un comptable utilise ses connaissances et ses talents de comptable pour exposer une situation de fait à un avocat pour obtenir des conseils juridiques, les communications qu'il fait à titre de représentant n'en constituent pas moins des communi cations entre l'avocat et le client.
Même si la tendance est à l'extension du privilège de façon à protéger les communications faites à un procureur par des tiers, comme les renseignements fournis par des représentants ou des employés du procureur, la distinction demeure entre les conseils juridiques donnés par un agent de brevets agissant à ce titre et ceux donnés par un avocat. Le problème se pose lorsqu'il faut faire une distinction entre le cas l'avocat, qui est l'agent de
brevets ou qui emploie des agents de brevets, agit en sa qualité d'avocat et le cas il agit en sa qualité d'agent de brevets. La jurisprudence a fait une distinction dans les cas aucun procès n'était envisagé. En l'espèce, le but principal des conseils donnés était d'obtenir des brevets, ce qui relève du travail des agents de brevets, même si l'agent de brevets peut obtenir des avis juridiques d'autres membres de son cabinet. Le principe tiré de la décision Flexi-Coil Ltd., précitée, est appliqué.
3. Les communications du cabinet d'avocats américain adres- sées au cabinet canadien ne sont pas privilégiées dans la mesure elles fournissent des conseils sur le droit canadien.
4. Suivant l'arrêt O'Cedar of Canada Ltd. v. Mallory Hard ware Products Ltd., [1956] R.C.É. 299; (1955), 24 C.P.R. 103, les documents relatifs à la poursuite des demandes correspon- dantes aux États-Unis ne sont pas admissibles.
5. Si la demanderesse désire invoquer la fraude pour sous- traire tous les documents de l'application du privilège, elle doit fournir une preuve prima fade de fraude. Aux termes de la décision In re Goodman & Carr et al. v. M.N.R. [N° I ] (1968), 68 DTC 5288 (C.S. Ont.), il faut prouver l'existence d'une fraude grave pour que le privilège soit perdu. La décision Re Romeo's Place Victoria Ltd. (1981), 23 C.P.C. 194 (C.F. I'° inst.) a posé le principe qu'un affidavit fondé principalement sur des renseignements tenus pour véridiques ne suffisait à répondre aux exigences de preuve en matière d'allégations de fraude. Il n'y a même pas, en l'espèce, d'affidavit à l'appui de l'allégation de fraude. Même si la décision Flexi-Coil Ltd. a déclaré que «La fraude n'est pas invoquée», cela ne signifie pas que si elle l'avait été, la Cour aurait tranché le litige en se fondant seulement sur cette allégation. Il ne serait pas appro- prié de conclure qu'il suffit d'alléguer la fraude pour obtenir l'accès à des documents que possède la partie adverse et qui, en d'autres circonstances, seraient privilégiés. Aucun argument n'a été entendu sur la question de fraude.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Flexi - Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd. et autre (1983), 73 C.P.R. (2d) 89 (C.F. 1'C inst.); In re Goodman & Carr et al. v. M.N.R. [N° 1] (1968), 68 DTC 5288 (C.S. Ont.); O'Cedar of Canada Ltd. v. Mallory Hardware Products Ltd., [1956] R.C.É. 299; (1955), 24 C.P.R. 103.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 44 N.R. 462; R. v. Littlechild (1979), 51 C.C.C. (2d) 406 (C.A. Alb.); Solosky c. La Reine, [1980] I R.C.S. 821; Lumonics Research Limited c. Gould, [1983] 2 C.F. 360; (1983), 46 N.R. 483 (C.A.); Moseley v. The Victoria Rubber Company (1886), L.T. Rep. N.S. 482 (Ch.D.); IBM Canada Limited -IBM Canada Limitée c. Xerox du Canada Limitée, [1978] 1 C.F. 513 (C.A.); Procter & Gamble Co. c. Calgon Inter- ameri can Corporation et autre (1980), 48 C.P.R. (2d) 63 (C.F. l'° inst.); Re Duncan (decd.), [ 1968] 2 All E.R. 395 (Prob.); Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.É. 27; Re Romeo's Place Victoria Ltd. (1981), 23 C.P.C. 194 (C.F. l'° inst.).
AVOCATS:
G. A. Macklin, c.r. pour la demanderesse. R. E. Dimock pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
demanderesse.
Sim, Hughes, Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: La requête de la demande- resse sollicite:
1. Une ordonnance enjoignant à la défenderesse de produire, à la reprise de l'interrogatoire préalable de M. Daniel Duhl, président de la défenderesse, tous les documents dont elle a la possession, la garde ou le contrôle, se rapportant à la demande de brevet qui a mené à la délivrance au Canada des lettres patentes 1097488, ou à la demande analogue présentée aux États-Unis, et notamment:
a) les dossiers de la défenderesse concernant la poursuite desdites demandes;
b) les dossiers des bureaux d'avocats Pennie and Edmonds et Herridge, Tolmie, agents de brevets de la défenderesse, concernant la poursuite des- dites demandes de brevets;
c) tous les documents concernant les recherches sur les techniques antérieures et les rapports de recherche qui ont été préparés avant le dépôt desdites demandes de brevets.
et en outre, de produire tous les documents dont elle a la possession, la garde ou le contrôle, se rapportant aux demandes concernant l'invention présumée qui fait l'objet du brevet canadien 1099124 ou du brevet américain analogue, et tous les documents concernant la date de l'invention; dont, notamment, les dossiers de la défenderesse, ceux de MM. Pennie et Edmonds et ceux de MM. Herridge, Tolmie concernant ladite demande de brevet;
2. Toute autre ordonnance que la Cour peut juger équitable d'accorder;
3. Les dépens de la présente demande.
Le 7 juin 1983, le juge Addy a accordé la requête à la condition, toutefois, qu'au cas la défende- resse revendiquerait le privilège de confidentialité pour certains documents, elle produise et fasse signifier à la demanderesse, au plus tard le 17 juin 1983, un affidavit identifiant ces documents, préci- sant la nature générale de leur contenu et les motifs pour lesquels elle demande le privilège, et qu'elle présente une demande écrite pour que soit fixée la date de l'audition de cette demande de privilège ou pour obtenir des directives relatives à celle-ci. Le juge Cattanach, dans une ordonnance datée du 21 juin 1983, a prorogé le délai jusqu'au 24 juin, la date de l'audition sur la question du privilège étant fixée au 30 juin.
Le 22 juin 1983, le juge Cattanach s'est pro- noncé sur une autre requête demandant que Daniel Duhl comparaisse à nouveau à Ottawa avant le 30 juin pour répondre aux questions auxquelles il n'avait pas répondu au moment de son interroga- toire préalable. Il s'agissait d'un grand nombre de questions et le jugement les classe par catégories assez détaillées. On trouve la conclusion suivante à la page 4:
[TRADUCTION] Les questions 1676, 1170-1172, 3043, 3045- 3048, 3051-2, 1831, 1904-1906, 2524, 2997 (deuxième partie) concernent la production de documents pour lesquels une demande de privilège est présentée et devraient faire l'objet d'une requête séparée à présenter au juge des requêtes au cours d'un jour réservé à l'audition des requêtes; le juge qui a examiné les autres questions exposées aux présentes ne les a pas tranchées et n'en est pas saisi.
S'ils peuvent être identifiés, les documents visés par la demande de privilège devront être déposés à la Cour avec une liste de documents, au moment de la présentation de la requête.
Le délai pour la nouvelle comparution a été pro- rogé jusqu'au 15 juillet 1983 par un jugement sur consentement rendu le 30 juin 1983.
Deux bureaux d'avocats sont concernés, celui de Pennie and Edmonds, avocats américains de la défenderesse, et Herridge, Tolmie, ses avocats canadiens. Les deux parties ont abondamment cité l'arrêt de la Cour suprême Descôteaux et autre c. Mierzwinski' qui portait sur une saisie effectuée en vertu d'un mandat de perquisition autorisant la fouille d'un bureau de l'aide juridique et la saisie de documents dans lesquels le requérant était pré- sumé avoir menti au sujet de ses moyens financiers
i [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 44 N.R. 462.
pour bénéficier de l'aide juridique, ce qui aurait constitué une infraction criminelle. Le privilège de la confidentialité a été invoqué mais n'a pas été accordé par la Cour supérieure [[1978] C.S. 792] qui a conclu que la demande d'aide juridique avait été remplie avant la naissance de la relation avo- cat-client. La Cour d'appel du Québec a rejeté l'appel de ce jugement. Même si la Cour suprême du Canada a rejeté l'appel dont elle a été saisie, elle a toutefois jugé que le privilège des communi cations entre avocat et client prend naissance au stade de la présentation de la demande d'aide juridique mais qu'il ne protège pas les communica tions qui constituent un élément du crime. Cette question du privilège a fait l'objet d'un examen approfondi dans le jugement de la Cour suprême. Aux pages 878 et 879 R.C.S.; 483 N.R., est cité le jugement du juge Laycraft, juge d'appel de l'Al- berta, dans l'arrêt R. v. Littlechild 2 :
[TRADUCTION] Plusieurs décisions établissent le principe que le privilège des communications entre avocat et client s'étend aussi bien aux communications entre les représentants du client et son avocat qu'aux communications entre un client et des représentants de son avocat. Dans l'arrêt Wheeler v. Le Mar-
chant (1881), 17 Ch. D. 675 la p. 682, le maître des rôles Jessel dit:
La communication même du client à son avocat est, cela va de soi, protégée; elle est également protégée si elle est faite par le client en personne ou pour lui par l'un de ses représen- tants, qu'elle soit faite à l'avocat en personne ou à un clerc ou employé de l'avocat qui agit à sa place et selon ses instructions.
Dans l'arrêt Lyell v. Kennedy (1884), 27 Ch. D. 1, le lord juge Cotton dit à la p. 19:
Mais alors ce privilège se limite à ce qui a été communiqué par cette personne ou à elle [le client] aux avocats ou par eux ou leurs représentants ou toutes personnes qu'on peut consi- dérer à juste titre comme les représentants des avocats. Nous avons donc estimé juste, en vue d'éviter que l'on s'éloigne de la bonne interprétation de la règle de droit par l'emploi du mot «représentants», d'exiger que le défendeur produise une autre déclaration sous serment indiquant si les représentants mentionnés sont les siens ou s'ils sont les représentants des avocats et des personnes employées par l'avocat de manière à être ses représentants, y compris des représentants tel le clerc d'un avocat, qui, tous, ont droit à la protection accordée aux avocats. Alors, sous réserve de cette modification, nous pen- sons que la protection revendiquée est justifiée en droit.
La défenderesse allègue qu'on pourrait par con- séquent étendre le privilège aux agents de brevets employés par des avocats mais non à un agent de brevets qui, travaillant pour son propre compte, agit au nom de son client.
2 (1979), 51 C.C.C. (2d) 406 (C.A. Alb.), à la p. 411.
Le jugement de la Cour suprême se termine comme suit aux pages 892 et 893 R.C.S.; 497 et 498 N.R.:
En résumé, le client d'un avocat a droit au respect de la confidentialité de toutes les communications faites dans le but d'obtenir un avis juridique. Qu'ils soient communiqués à l'avo- cat lui-même ou à des employés, qu'ils portent sur des matières de nature administrative comme la situation financière ou sur la nature même du problème juridique, tous les renseignements que doit fournir une personne en vue d'obtenir un avis juridique et qui sont donnés en confidence à cette fin jouissent du privilège de confidentialité. Ce droit à la confidentialité s'atta- che à toutes les communications faites dans le cadre de la relation client-avocat, laquelle prend naissance dès les premiè- res démarches du client virtuel, donc avant même la formation du mandat formel.
Comme le fait remarquer la demanderesse, le pro- blème en l'espèce découle du fait qu'un agent de brevets qui est également avocat cumule les fonc- tions de deux emplois. Les demandes de brevets présentées au Bureau des brevets du Canada doi- vent être poursuivies par un agent de brevets et non par un avocat. En l'espèce, les avocats cana- diens de la défenderesse ont à leur emploi des agents de brevets qui ne sont pas avocats mais qu'on pourrait peut-être décrire comme étant des agents «maison»; selon la défenderesse, ce sont des employés ou des représentants du bureau d'avocats et, par conséquent, les communications entre ceux-ci et leur cliente ou les avocats américains sont également protégées par le privilège de la confidentialité.
La demanderesse soutient qu'un tel privilège n'existe pas lorsqu'ils agissent simplement comme agents de brevets et ne donnent pas d'avis juridi- que. Bien entendu, il est admis que, puisque la demanderesse peut obtenir toutes les communica tions faites avec le commissaire des brevets au sujet du traitement des demandes de brevets, ces communications ne sont pas privilégiées; le litige porte donc principalement sur les communications entre les deux bureaux d'avocats ou entre ceux-ci et leur cliente.
On a également invoqué l'arrêt Solosky c. La Reine' qui a été cité dans le jugement Descôteaux, quoique les faits soient totalement différents. Dans cet arrêt, la Cour suprême déclare que le privilège n'est plus considéré seulement comme une règle de
3 [1980] 1 R.C.S. 821.
preuve qui fait fonction d'écran pour empêcher que des documents privilégiés ne soient produits en preuve dans une salle d'audience, mais que les tribunaux canadiens s'orientent vers une notion plus large du privilège entre avocat et client tout en n'allant pas jusqu'à reconnaître qu'il s'agit d'un principe fondamental qui pourrait être qualifié de «règle de propriété». Dans l'arrêt Lumonics Research Limited c. Gould 4 , la Cour d'appel fédé- rale s'est prononcée directement sur la question du privilège d'un procureur ou d'un agent de brevets. Voici le texte des pages 365 et 366 C.F.; 488 et 489 N.R. de ce jugement:
De cette hypothèse, l'avocat de l'appelante a tiré deux conclu sions: premièrement, les procureurs américains, dans leurs rap ports avec les intimés, agissaient en leur qualité d'agents des brevets et non de procureurs; deuxièmement, il en découle que la correspondance entre ces procureurs et les intimés était, en fait, une correspondance entre agents des brevets et clients qui n'était pas confidentielle, le privilège attaché à la profession juridique ne s'étendant pas aux agents des brevets.
Au Canada, il est clair que le privilège de la profession juridique ne s'étend pas aux agents des brevets. Toutefois, la seule raison en est que les agents des brevets, en tant que tels, n'appartiennent pas à la profession juridique. C'est la raison pour laquelle la correspondance entre eux et leurs clients n'est pas confidentielle, même si cette correspondance est échangée dans le dessein d'obtenir ou de donner des conseils juridiques.
D'autre part, tous les renseignements confidentiels donnés à un membre de la profession juridique ou provenant de ce dernier en vue d'obtenir des conseils juridiques sont exempts de production, que ces renseignements se rapportent ou non au genre d'avis ou d'opinions juridiques que donnent normalement des agents de brevets. Un conseil juridique ne cesse pas de l'être simplement parce qu'il a trait à des procédures devant le Bureau des brevets. D'habitude, ces procédures donnent lieu à des questions juridiques; pour cette raison, lorsqu'on a recours aux services d'un procureur relativement à ces procédures, ce qu'on demande réellement, ce sont des conseils et de l'aide juridiques, et ce, en dépit du fait qu'un procureur, en tant que tel, ne saurait représenter un requérant dans des procédures devant le Bureau des brevets.
La demanderesse cite plusieurs décisions à l'ap- pui de sa théorie du double rôle. La première est celle de Moseley v. The Victoria Rubber Compa ny' dans laquelle le juge Chitty a déclaré à la page 485:
[TRADUCTION] Inutile de dire que du point de vue juridique, les communications entre une personne et son agent de brevets ne sont pas privilégiées. Par conséquent, vu la nature de la correspondance en cause et vu la double position occupée par le procureur du demandeur, il me semble que les défendeurs ont droit à une réponse plus précise, et je suis convaincu qu'il est
4 [1983] 2 C.F. 360; (1983), 46 N.R. 483 (C.A.).
5 (1886), L.T. Rep. N.S. 482 (Ch.D.).
possible de donner cette réponse. La déclaration porte «commu- nications confidentielles entre moi-même et mon procureur». Il n'y est toutefois pas dit que ces communications ont été échan- gées dans le cadre de la relation qui existe entre le demandeur et son procureur. Il est possible qu'elles aient plutôt été échan- gées dans le cadre de ses relations avec son agent de brevets. La communication a eu lieu entre le demandeur et une personne qui entretient deux genres de relations avec celui-ci. J'estime donc que plutôt que de rendre l'ordonnance de production demandée, il y a lieu d'ordonner que soit présentée une réponse plus élaborée.
Le juge poursuit, à la même page:
[TRADUCTION] ... je ne dis pas cela dans le but de montrer aujourd'hui que le brevet de 1883 est nul, je ne fais qu'une affirmation générale. Les défendeurs déclarent ensuite que, bien qu'ils ne puissent pas faire de déclaration précise sur les conséquences de la correspondance échangée au sujet du brevet de 1884, il y a tout lieu de croire que les deux inventions sont si étroitement liées que les documents qu'ils désirent obtenir, c'est-à-dire ceux échangés entre le demandeur et son agent de brevets, contiendront des faits importants qui viendront appuyer leurs attaques contre la validité du brevet de 1883. Je ne suis pas prêt à permettre des examens allant au hasard, mais il me semble que je ne commettrai d'injustice envers aucune des parties si je déclare qu'il devrait y avoir une réponse plus élaborée et c'est mon avis en ce qui concerne le brevet de 1884.
On a également cité l'arrêt de la Cour d'appel fédérale IBM Canada Limited -IBM Canada Limitée c. Xerox du Canada Limitée 6 ; il y a été décidé que rien dans la lettre pour laquelle on demandait le privilège de la confidentialité n'indi- quait que son auteur l'avait écrite en sa qualité d'avocat. Celui-ci était également directeur du ser vice des brevets de la compagnie et rien n'indiquait qu'il écrivait en sa qualité d'avocat. Le jugement porte, à la page 517:
Vu le règlement de cette question, il est donc inutile de décider si une lettre écrite par un avocat en sa qualité d'avocat peut être jugée de nature confidentielle lorsqu'elle est adressée non pas au client, mais aux agents de brevets de ce client dans le but de poursuivre une demande de brevet. Nous n'avons pas non plus à décider si la lettre a été écrite en vue de la préparation d'un procès ou si l'avocat donnait des conseils au sujet de certaines lois sans y être habilité parce qu'il était avocat aux États-Unis et qu'il donnait son avis sur la poursuite de demandes de brevets au Canada.
À la page 835 de l'arrêt Solosky (précité), le juge Dickson déclare:
Le privilège connaît des exceptions. Il ne s'applique pas aux communications qui n'ont trait ni à la consultation juridique ni à l'avis donné, c'est-à-dire, lorsque l'avocat n'est pas consulté en sa qualité professionnelle. De même, le privilège ne se rattache
6 [1978] 1 C.F. 513 (C.A.).
pas à une communication qui n'est pas censée être confiden- tielle, O'Shea v. Woods, ([1891] P. 286), la p. 289.
Dans la décision Procter & Gamble Co. c. Calgon Interamerican Corporation et autre', le juge Mahoney a déclaré à la page 65:
Les documents que j'ai exclus de la demande de privilège comprennent la correspondance échangée entre la demande- resse et MM. Gowling & Henderson d'Ottawa. Ceux-ci exer- cent sous la même raison sociale les fonctions d'avocats et d'agents de brevets. La correspondance est échangée avec un des agents de brevets plutôt qu'avec un des avocats.
Il a dit à la page 64:
Je suis tout à fait convaincu que le but principal de toutes les communications échangées était d'obtenir la délivrance du brevet. Même si on envisageait apparemment, du moins dans les documents les plus récents, d'intenter, une fois que le brevet serait délivré, des actions en contrefaçon contre les défenderes- ses et d'autres personnes au sujet de produits alors sur le marché, il est évident que les documents se rapportent directe- ment au traitement de la demande présentée au Bureau des brevets et que s'ils se rapportent au litige envisagé soit dans cette action soit dans une autre, c'est tout au plus par coïnci- dence. Il s'ensuit que peuvent être soumises au privilège demandé uniquement les communications entre la demande- resse et ses conseillers juridiques et non les communications entre l'un et l'autre de ceux-ci et des tiers. Les communications avec des tierces parties ne sont privilégiées que si leur but principal était de donner des directives aux conseillers juridi- ques de la demanderesse en vue de la présente action: Waugh v. British Railways Board, [1979] 3 W.L.R. 150 (H.L.).
Le conseiller juridique avec lequel la demanderesse a com- muniqué devait avoir la compétence professionnelle requise pour la conseiller en matière de droit canadien: Re United States of America v. Mammoth Oil Co., [1925] 2 D.L.R. 966, 28 O.W.N. 22 (C.A. Ont.). Bien qu'une telle communication avec un employé qualifié bénéficie du même privilège que celle faite à un praticien privé qualifié, tout conseiller juridique doit être qualifié pour exercer au Canada en sa qualité d'avocat, et non en sa qualité d'agent de brevets.
Dans l'arrêt anglais Re Duncan (decd.) 8 , le juge Ormrod a dit à la page 399:
[TRADUCTION] Je conclus par conséquent que tous les docu ments qui constituent des communications échangées entre le demandeur et ses conseillers juridiques étrangers sont privilé- giés qu'on ait ou non envisagé d'intenter des poursuites devant ce tribunal ou tout autre tribunal lorsqu'ils ont pris naissance.
L'avocat de la défenderesse a déclaré qu'il était un des avocats dans la cause Procter & Gamble (pré- citée) et qu'on n'avait pas soumis au juge Maho- ney le cas de l'arrêt Duncan au moment il a rendu sa décision au sujet des conseillers juridiques étrangers.
7 (1980), 48 C.P.R. (2d) 63 (C.F. 1" inst.).
8 [1968] 2 All E.R. 395 (Prob.).
Dans un jugement récent, Flexi-Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd. et autre [(1983), 73 C.P.R. (2d) 89 (C.F. ]re inst.), le juge Mahoney dit aux pages 92 et 93:
En ce qui concerne le secret professionnel entre l'avocat et son client, la loi reconnaît, à mon sens, l'existence d'une immunité absolue que le client peut invoquer, à l'égard de toutes les communications entre le client et son avocat se rapportant aux opinions juridiques obtenues ou données, et ce, que la communication se fasse directement ou par l'entremise de l'agent du client. Il n'existe aucune immunité à l'égard des communications directes entre le client et l'agent de brevets. Mais l'immunité existe relativement aux communications entre le client et l'agent de brevets par l'entremise de l'avocat du client, si elles sont faites en prévision ou au cours d'un litige.
Il faut remarquer qu'en l'espèce Herridge, Tolmie représente le bureau d'avocats américain Pennie and Edmonds dans les demandes de brevets au Canada, et aussi que ces deux bureaux d'avo- cats sont les représentants de la cliente Polylok Corporation. Il ne semble pas que la cliente ait retenu les services d'un agent de brevets ou traité directement avec un agent de brevets mais qu'elle se soit uniquement adressée à des avocats qui étaient également agents de brevets ou avaient des agents de brevets à leur emploi. On ne peut cepen- dant pas affirmer que la correspondance a été échangée au cours ou en vue de la préparation d'un litige.
Sopinka et Lederman ont examiné la question du privilège des communications avec des tiers dans The Law of Evidence in Civil Cases (Butters- worth, Toronto, 1974), la page 169:
[TRADUCTION] En droit canadien-anglais, la notion du privi- lège des communications entre avocat et client ne se limite pas aux communications échangées entre une personne et son avocat. On a étendu cette protection à d'autres communications faites par des tiers que le procureur peut utiliser pour préparer sa preuve pour le procès. Les avis écrits des experts auxquels on a demandé d'effectuer des tests ou d'exprimer leur opinion sur certains faits, les déclarations de témoins, les rapports préparés par des enquêteurs, tout ce qui aide le procureur à préparer et à faire valoir ses prétentions entre dans les limites de cette protection. Les tribunaux ont toutefois imposé pour la revendi- cation du privilège des communications avec des tiers une condition qui ne s'applique désormais plus aux déclarations faites directement entre un procureur et son client. Il est encore nécessaire pour que le privilège s'applique aux communications avec des tiers, que ces communications aient été faites au sujet d'un litige en cours ou prévu.
Ils déclarent cependant à la page 171:
[TRADUCTION] La condition voulant que le document soit préparé pour les fins d'un litige n'a cependant pas été rigoureu-
serrent appliquée en ce qui concerne les rapports sur les faits ou les rapports d'enquêtes fournis au procureur. La préparation d'un tel document ou rapport peut avoir un double objectif.
Dans l'arrêt Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National Revenue 9 , le président Jackett (tel était alors son titre) a dit aux pages 35 et 36:
[TRADUCTION] ... lorsqu'un comptable est employé comme représentant, ou fait partie d'un groupe de représentants, dans le but d'exposer une situation de faits ou un problème à un avocat pour obtenir des conseils juridiques, les communications qu'il fait ou auxquelles il participe en sa qualité de représentant sont quand même celles du commettant, qui est le client, à l'avocat même s'il est comptable ou utilise ses talents et ses connaissances de comptable pour accomplir sa tâche. De même, les communications entre un tel représentant et un avocat dont on a demandé les conseils n'en constituent pas moins des communications entre l'avocat et le client.
La demanderesse voulait également invoquer la fraude afin d'écarter la possibilité pour la défende- resse de demander le privilège. Cette question a été examinée dans l'arrêt Solosky (précité) aux pages 835 et 836 du jugement:
Plus significatif, si un client consulte un avocat pour pouvoir perpétrer plus facilement un crime ou une fraude, alors la communication n'est pas privilégiée et il importe peu que l'avocat soit une dupe ou un participant. L'arrêt classique est R. v. Cox and Railton ((1884), 14 Q.B.D. 153), le juge Stephen s'exprime en ces termes (p. 167): [TRADUCTION] «Une communication faite en vue de servir un dessein criminel ne «relève pas de la portée ordinaire des services professionnels.»
L'arrêt In re Goodman & Carr et al. v. M.N.R. [N° 1] '°, de la Cour suprême de l'Ontario, a établi le principe qu'il faut toutefois prouver l'existence d'une fraude grave pour que le privilège soit perdu. Voici ce que dit le jugement à la page 5289:
[TRADUCTION] 3. Une simple allégation de fraude dans la plaidoirie n'est pas suffisante: il faut établir, à partir des faits, une preuve prima fade de fraude.
De même, dans la décision Re Romeo's Place Victoria Ltd. ", le juge Collier, après un examen approfondi de la jurisprudence, a conclu qu'un affidavit fondé principalement sur la foi de rensei- gnements tenus pour véridiques ne suffisait pas pour répondre aux exigences du paragraphe 332(1) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] ou du genre de preuve requise dans le
9 [1969] 2 R.C.É. 27.
10 (1968), 68 DTC 5288 (C.S. Ont.).
1 1 (1981), 23 C.P.C. 194 (C.F. 1" inst.).
cas d'allégations de fraude, et qu'afin de limiter, pour des motifs de fraude, le privilège entre le procureur et le client, il fallait apporter une preuve prima facie fondée sur une connaissance person- nelle des faits. Au stade actuel des procédures, il n'y a même pas, en l'espèce, d'affidavit à l'appui de l'allégation de fraude présentée par la deman- deresse dans ses plaidoiries. L'avocat de la deman- deresse a déclaré qu'il pourrait invoquer certains documents qui indiqueraient que la défenderesse a commis une fraude dans la première demande de brevet en cause, portant le numéro 1097488. Ce point n'a pas été soulevé à l'égard de la demande 1099124.
L'avocat de la demanderesse a fait valoir qu'il ne croyait pas qu'un affidavit était nécessaire compte tenu de la décision récente du juge Maho- ney dans la décision Flexi-Coil Ltd. c. Smith - Roles Ltd. et autre, l'on trouve notamment, à la page 90: «La fraude n'est pas invoquée.» Je ne crois pas que cela signifie, comme l'avocat de la deman- deresse le soutient, que si la fraude avait été alléguée, le juge Mahoney aurait tranché le litige en se fondant simplement sur cette allégation. Il me semble qu'il s'agit d'un simple exposé du fait que la fraude ne constitue pas un des arguments invoqués à l'encontre du privilège. Il ne serait certainement pas approprié de conclure qu'il suffit à une partie d'alléguer la fraude dans ses plaidoi- ries, sans fournir de preuve prima facie à l'appui de cette allégation, pour obtenir l'accès à des documents que possède la partie adverse et qui, en d'autres circonstances, seraient privilégiés.
Compte tenu de ce qui précède, j'ai refusé d'en- tendre tout argument portant sur la question de la fraude; toutefois, l'avocat de la demanderesse a prétendu qu'on devrait lui donner l'occasion de soulever la question de la fraude si les demandes de privilège de la défenderesse étaient admises après examen des questions soulevées; il a donc été convenu que tous les arguments se rapportant à la fraude seraient entendus à une date ultérieure, si cela devenait nécessaire, et si la Cour était saisie des affidavits appropriés ou d'autres éléments de preuve justifiant une telle prétention. Comme je n'ai entendu aucun argument à cet égard, je ne me prononcerai donc pas sur cette question qui pourra être soulevée dans une audition ultérieure.
Même si la jurisprudence est un peu contradic- toire et si la tendance est apparemment à l'exten- sion du privilège de façon à protéger les communi cations faites à un procureur par des tiers, comme les renseignements fournis par des experts et cer- tainement ceux qui le sont par des représentants ou des employés du procureur, la distinction demeure entre les conseils juridiques donnés par un agent de brevets agissant à ce titre et ceux donnés par un avocat. Comme je l'ai déjà dit, le problème se pose lorsqu'il faut faire une distinction entre le cas l'avocat, qui est également un agent de brevets ou qui emploie à temps plein des agents de brevets, agit en sa qualité d'avocat et le cas il agit en sa qualité d'agent de brevets. Les demandes présen- tées au Bureau des brevets doivent être préparées et faites par un agent de brevets, mais il est évident que les avocats d'un bureau employant des agents de brevets discutent des répercussions juridiques des demandes avec ces agents ou, s'ils sont eux- mêmes en même temps agents de . brevets et avo- cats, qu'ils utilisent certainement leurs connaissan- ces juridiques quand ils présentent les demandes et conseillent leurs clients en conséquence. La juris prudence semble cependant avoir fait cette distinc tion, du moins dans les cas aucun procès n'était envisagé. Même si, dans un sens, on peut dire que toute demande de brevet peut donner lieu à un litige, rien n'indique en l'espèce que le but princi pal des conseils donnés à leur cliente, par les avocats américains ou par les avocats canadiens, n'était pas d'obtenir les brevets en question; cela relève principalement du travail des agents de brevets même si ceux-ci peuvent consulter d'autres membres de leur bureau ayant les compétences requises pour donner des conseils au sujet de ces demandes, ou leur demander des conseils juridi- ques.
Je fais mienne la déclaration de mon collègue le juge Mahoney dans la décision Flexi-Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd. et autre (précitée) il dit la page 93]:
Mais l'immunité existe relativement aux communications entre le client et l'agent de brevets par l'entremise de l'avocat du client, si elles sont faites en prévision ou au cours d'un litige. [C'est moi qui souligne.]
La défenderesse a présenté à l'appui de sa demande de privilège deux affidavits de son avocat canadien, Gordon J. Zimmerman, le premier daté du 17 juin 1983 et le second, du 24 juin 1983. Il
n'est pas surprenant qu'ils soient rédigés de façon à étendre la demande de privilège aux communica tions avec les agents de brevets employés par les avocats chargés des demandes de brevets. Trois listes de documents sont annexées à l'affidavit du 17 juin: la pièce A tirée des dossiers de Pennie and Edmonds concerne la poursuite aux États-Unis d'une demande analogue à celle qui a abouti au Canada à la délivrance des lettres patentes 1097488; la pièce B est la liste des dossiers de Herridge, Tolmie concernant la poursuite au Canada des deux demandes de brevets; finalement, la pièce C est une liste des documents contenus dans les dossiers de la compagnie défenderesse se rapportant aux deux demandes de brevets au Canada et aux demandes équivalentes aux États- Unis. On n'a pas essayé de classer les différents documents par catégories.
Voici, à titre d'exemples de la manière dont les affidavits sont rédigés, les paragraphes 6, 10, 12 et 13 de l'affidavit du 17 juin:
[TRADUCTION] 6. Les documents énumérés dans les pièces annexées aux présentes ont été examinés par l'avocat de la défenderesse et nous croyons que la demande de privilège concernant ces documents est bien fondée étant donné que ces documents comportent des lettres et des notes écrites par les avocats représentant la défenderesse dans des procédures inten- tées aux Etats-Unis devant le Bureau des brevets au sujet de la poursuite de certaines demandes de brevets, et par les avocats représentant la défenderesse dans des procédures devant le Bureau des brevets du Canada au sujet de la poursuite de diverses demandes de brevets.
10. Monsieur Ross Gray, c.r., affirme, et je le crois, qu'il est un des associés du bureau d'avocats Herridge, Tolmie. Son bureau était en outre chargé de la poursuite au Canada des demandes de brevets en cause en l'espèce. Monsieur Gray m'a de plus informé, et je le crois, que toute personne ayant travaillé aux dossiers de poursuite l'a fait en sa qualité d'avocat ou d'em- ployé du bureau d'avocats, suivant les directives d'un avocat comme c'est l'usage général dans le bureau Herridge, Tolmie; tout travail ainsi effectué constituait une assistance juridique et devait rester confidentiel.
12. La défenderesse a à sa disposition pour les soumettre à l'examen de la Cour, si nécessaire, les copies ou les originaux de tous les documents ainsi énumérés pour lesquels le privilège est demandé. Ces documents comprennent la correspondance échangée entre les cadres, employés ou représentants de la compagnie défenderesse, les avocats ou ceux agissant suivant les directives des avocats des bureaux d'avocats Pennie & Edmonds et Herridge, Tolmie, et la correspondance échangée avec les Bureaux des brevets canadien et américain. Les docu ments comprennent également certaines notes manuscrites pré-
parées par des membres des bureaux d'avocats ou par des personnes travaillant sous leurs ordres dans le cadre des conseils juridiques dont il est fait mention plus haut. Certaines notes de service ou lettres internes échangées entre les membres des bureaux d'avocats afin de fournir des conseils et de l'aide juridiques font aussi partie de ces documents.
13. La défenderesse soutient que tous ces documents sont privilégiés étant donné qu'ils ont été préparés dans le cadre des conseils juridiques fournis par les avocats ou par les personnes dont ils ont la surveillance, notamment les résultats du travail effectué par les deux bureaux d'avocats en cause et les commu nications internes concernant ces consultations juridiques.
Dans ces paragraphes, comme c'est le cas par- tout dans l'affidavit, on fait souvent référence aux personnes agissant selon les directives des avocats du bureau d'avocats ou aux personnes dont ils ont la surveillance pour fournir des conseils juridiques. Au paragraphe 6 de l'affidavit du 24 juin, la défenderesse soutient que la plupart des documents énumérés ne sont pas pertinents. Bien que cette question de la pertinence n'ait pas été débattue devant moi, je suis porté à admettre qu'au moins certains des documents ne sont pas pertinents ou qu'ils revêtent peu d'intérêt étant donné qu'il s'agit simplement de lettres auxquelles sont joints les paiements des frais du Bureau des brevets et des honoraires des avocats, des lettres concernant les affaires courantes qui ne contiennent probable- ment pas de conseils juridiques, etc. Il n'y a pas eu de contre-interrogatoire sur ces affidavits qui cons tituent la seule preuve soumise à la Cour à l'audi- tion de la requête. Les allégations de fait qui y sont contenues sont par conséquent non contredites.
Selon une jurisprudence, qui n'est toutefois pas très récente, la preuve relative à une action inten- tée dans un pays étranger au sujet d'une demande de brevet analogue n'est pas admissible en ce qui concerne la validité des demandes relatives à un brevet canadien. Je fais allusion à l'arrêt O'Cedar of Canada Ltd. v. Mallory Hardware Products Ltd. 1 2 , dans lequel le président Thorson a déclaré à la page 326 R.C.É.; page 131 C.P.R.:
[TRADUCTION] On a affirmé que la requête visant une nouvelle délivrance était fondée sur des poursuites concernant le brevet américain et on a soutenu que les demandeurs du brevet avaient en réalité introduit l'action intentée aux États-Unis dans celle intentée au Canada. On s'est opposé à la preuve présentée au motif que ce qui s'est produit dans un autre pays dont le système juridique est différent ne peut affecter la validité ou l'invalidité des demandes relatives à un brevet canadien. J'ai décidé que l'objection était fondée et que la preuve proposée n'était pas admissible.
12 [1956] R.C.É. 299; (1955), 24 C.P.R. 103.
Les pièces jointes à l'affidavit de M. Zimmer- man contiennent une liste de 530 documents. La Cour ne devrait pas être tenue de les examiner un par un afin de déterminer s'ils sont privilégiés.
Je propose de définir dans les grandes lignes, en me fondant sur la jurisprudence, les catégories de documents qui selon le cas sont privilégiés ou ne le sont pas; si cela ne suffit pas pour trancher la question du privilège et qu'il existe encore des points de controverse, la défenderesse devra pré- senter d'autres affidavits, dans lesquels les docu ments seront classés, expliquant précisément pour chaque document important les raisons pour les- quelles le privilège est revendiqué. Il est nettement insuffisant de déclarer que tous les documents énumérés dans la liste sont privilégiés. Cette liste comprend même un certain nombre de noms de personnes dont émanent les documents ou auxquel- les ils ont été envoyés; seules quelques-unes de ces personnes sont identifiées dans les affidavits. Aucune demande de privilège ne pourrait être admise sur le fondement d'un affidavit aussi géné- ral. La Cour ne possède aucun moyen de savoir si ces personnes sont des avocats, des agents de bre- vets ou des tiers, ou de déterminer le poste qu'elles occupent si elles sont à l'emploi de la défenderesse.
À mon avis, les critères permettant de distinguer les documents privilégiés de ceux qui ne le sont pas, sont les suivants:
1. Les copies de la correspondance et des autres documents relatifs aux demandes des lettres paten- tes canadiennes 1097488 et 1099124 et contenues dans les dossiers du Bureau des brevets du Canada ne sont pas privilégiées.
2. Toutes les communications du bureau Pennie and Edmonds adressées au bureau Herridge, Tolmie ou à leur cliente Polylok Corporation de même que celles du bureau Herridge, Tolmie ou de Polylok Corporation adressées au bureau Pennie and Edmonds, ou toutes les communica tions échangées entre ceux-ci sont privilégiées; tou- tefois, ne sont pas privilégiées les communications avec les agents de brevets travaillant pour ces bureaux et agissant en leur simple qualité d'agents de brevets dans la poursuite des demandes de brevets au Canada, lorsque ces communications ne constituent pas des conseils juridiques.
3. Sont également exclues de l'application du privi- lège, les communications du bureau Pennie and Edmonds adressées au bureau Herridge, Tolmie relativement auxdites demandes de brevets dans la mesure leur but est de fournir des informations sur le droit canadien.
4. Bien qu'ils ne soient pas privilégiés, les docu ments contenus dans les dossiers relatifs à la pour- suite aux États-Unis des demandes de brevets cor- respondant aux lettres patentes délivrées au Canada sous les numéros 1097488 et 1099124 ne sont pas admissibles en preuve.
5. Étant donné qu'à la suite de l'application de ces critères, certains documents seront considérés comme privilégiés, la demanderesse, si elle désire encore invoquer la fraude pour soustraire tous les documents de l'application du privilège, peut pré- senter un affidavit et des documents fournissant une preuve prima facie à l'appui d'une telle alléga- tion de fraude et demander que soit fixée une date pour l'audition de cette question devant un juge de la présente Cour.
ORDONNANCE
La défenderesse devra présenter un ou plusieurs affidavits supplémentaires dans lesquels les docu ments pour lesquels le privilège est demandé seront classés conformément aux critères énumérés dans les motifs du jugement aux présentes:
1. Les copies de la correspondance et des autres documents relatifs aux demandes de lettres paten- tes canadiennes 1097488 et 1099124 et contenues dans les dossiers du Bureau des brevets du Canada ne sont pas privilégiées.
2. Toutes les communications du bureau Pennie and Edmonds adressées au bureau Herridge, Tolmie ou à leur cliente Polylok Corporation de même que celles du bureau Herridge, Tolmie ou de Polylok Corporation adressées au bureau Pennie and Edmonds, ou toutes les communica tions échangées entre ceux-ci sont privilégiées; tou- tefois, ne sont pas privilégiées les communications avec les agents de brevets travaillant pour ces bureaux et agissant en leur simple qualité d'agents de brevets dans la poursuite des demandes de brevets au Canada, lorsque ces communications ne constituent pas des conseils juridiques.
3. Sont également exclues de l'application du pri- vilège, les communications du bureau Pennie and Edmonds adressées au bureau Herridge, Tolmie relativement auxdites demandes de brevets dans la mesure leur but est de fournir des informations sur le droit canadien.
4. Bien qu'ils ne soient pas privilégiés, les docu ments contenus dans les dossiers relatifs à la pour- suite aux États-Unis des demandes de brevets cor- respondant aux lettres patentes délivrées au Canada sous les numéros 1097488 et 1099124 ne sont pas admissibles en preuve.
L'affidavit devra préciser les documents pour lesquels le privilège est demandé et donner dans chaque cas les motifs de la revendication de ce privilège.
Tous les autres documents pour lesquels, après application des critères énumérés plus haut, il ne peut être présenté de demande de privilège devront être soumis à l'examen de la demanderesse. Il n'est pas nécessaire de déposer les documents qui font l'objet d'un différend avant la reprise de l'interro- gatoire préalable de M. Daniel Duhl, les parties ayant convenu qu'il n'y avait pas lieu de retarder la reprise de cet interrogatoire pour attendre le dépôt des documents.
La présente ordonnance est prononcée sans pré- judice du droit de la demanderesse d'invoquer, si elle le désire, la fraude comme motif pour que soit ordonnée la production des documents relatifs aux lettres patentes canadiennes 1097488 et pour les- quels le privilège a été accordé, à une audition spéciale tenue à cette fin devant un juge de la Cour; elle devra soumettre à l'appui de sa demande des affidavits et des pièces permettant d'établir une preuve prima facie de fraude.
S'il survient un litige concernant l'application à tout document particulier des critères exposés aux présentes, il pourra être tranché au cours d'une audition tenue par un juge de la présente Cour.
Les dépens suivront le sort de la cause.
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