A-1029-83
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Serge Brault et Pierre Dubois (intimés)
et
Bernard Lenoir, Daniel Beaupré et Pierre Delage,
Directeur, Division des Appels, Commission de la
Fonction publique (Mis-en-cause)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Huges-
sen—Ottawa, 7 mars et 23 mai 1984.
Fonction publique — Nomination à un poste — Ministère
du Revenu national — Mise sur pied d'unités canines de
détection — Les inspecteurs des douanes ont été interviewés
afin d'évaluer leurs aptitudes à aimer, entretenir et vivre avec
un chien — Les mis-en-cause ont été choisis pour devenir
maîtres-chien — On en a appelé des nominations au motif que
la sélection ne s'est pas faite suivant le principe du mérite
puisque l'on n'a pas tenu compte des connaissances et aptitu
des des candidats en tant qu'inspecteurs des douanes — Le
Comité a fait erreur en interprétant les observations formulées
dans Kelso c. R., 1 . 19801 1 C.F. 659 (C.A.) comme voulant dire
qu'une modification des tâches afférentes à un poste en fait un
poste différent — L'addition d'un chien comme outil de travail
ne modifie pas la nature du poste — Le Comité a fait erreur en
présumant que la création d'un poste ne requérait pas une
décision claire et une manifestation de cette intention de la
part du Ministre ou de son représentant — Il n'y a pas eu
création de nouveaux postes — Il n'y a pas eu de nomination à
un nouveau poste — La demande tendant à l'annulation de la
décision est accueillie — Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 21 — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28 — Loi sur
l'Administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 7 —
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, chap. P-35.
11 s'agit en l'espèce d'une demande tendant à l'annulation
d'une décision d'un comité d'appel ayant fait droit à l'appel
formé par les intimés à l'encontre de certaines nominations. Le
ministère du Revenu national a mis sur pied une «unité canine
de détection». Des inspecteurs des douanes ont été interviewés
afin d'évaluer leurs aptitudes à aimer, entretenir un chien et
vivre avec lui. Les mis-en-cause ont été choisis pour devenir
«maîtres-chien». Les intimés ont interjeté appel conformément à
l'article 21 de la Loi sur la Fonction publique en alléguant que
la sélection ne s'était pas faite selon le principe du mérite
puisque les connaissances, aptitudes et qualités personnelles des
candidats en tant qu'inspecteurs des douanes n'avaient pas été
prises en considération. Le Ministère a prétendu qu'il n'y avait
pas eu nomination à un poste puisque les mis-en-cause occu-
paient toujours leur poste d'inspecteur des douanes et qu'en les
nommant «maîtres-chien», on leur a tout simplement fourni un
outil nouveau pour les aider à remplir leurs fonctions. Le
Comité a interprété les passages de l'arrêt Kelso c. R., [ 1980] I
C.F. 659 (C.A.) comme voulant dire qu'un changement apporté
dans les «qualités, fonctions et responsabilités d'un poste en fait
un poste différent qu'il faut combler au moyen de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique». Le Comité a conclu que
les mis-en-cause avaient été nommés à de nouveaux postes et
que leurs nominations pouvaient faire l'objet d'un appel en
vertu de l'article 21.
Arrêt (le juge Pratte dissident): la demande devrait être
accueillie.
Le juge Marceau (le juge Hugessen concourant): Le Comité
a mal interprété les observations du juge en chef dans l'arrêt
Kelso. Le juge en chef Jackett s'employait à contester à un
ministère le droit de modifier unilatéralement les qualifications
requises d'une personne nommée à un poste tant qu'elle l'oc-
cupe. Suivant l'un des motifs exprimés, » ... , toute modifica
tion semblable rendrait ce poste autre que celui auquel elle a
été nommée.» On ne saurait tirer de ses propos l'affirmation
générale retenue par le Comité. L'addition d'un chien comme
outil de travail d'un inspecteur des douanes, même si la garde à
domicile est requise, ne modifie pas la fonction de cet inspec-
teur des douanes suffisamment pour en changer la »nature».
Le Comité a fait erreur en supposant que la création d'un
poste ne requérait pas une décision claire et une manifestation
de volonté non équivoque du Ministre ou de son représentant. Il
ressort implicitement de la décision du Comité que ce dernier
avait adopté comme prémisse qu'un poste peut être créé par
une simple situation de fait, c'est-à-dire par un comportement
de gestion et ce, même à l'encontre des désirs des responsables
de l'administration du Ministère. Cette proposition est insoute-
nable. Étant donné que la création d'un poste implique la
reconnaissance et la définition d'une fonction requérant l'em-
ploi d'une personne et que le pouvoir de créer un poste est un
pouvoir juridique impliquant la prise d'une décision, la création
d'un poste exige une manifestation ferme et non équivoque.
Admettre la prémisse du Comité voudrait dire que par des
directives de gestion, les autorités d'un ministère pourraient, à
leur insu et même malgré elles, créer des postes et en abolir.
Les commentaires formulés dans l'arrêt Kelso sur lesquels s'est
appuyé le Comité avaient pour but de montrer que le Ministre
ne pouvait modifier unilatéralement les qualifications afféren-
tes à un poste. Ensuite, si une modification avait un effet
discriminatoire, elle pourrait vraisemblablement faire l'objet
d'un recours en vertu de la Loi sur les Relations de travail
dans la Fonction publique. Enfin, si une modification est
acceptée par le titulaire du poste, ne comporte pas d'incidence
discriminatoire à l'égard des autres et n'entraîne ni reclassifica-
tion ni augmentation, elle devrait être accordée. Il n'y a pas eu
création de nouveaux postes de »maître-chien» et donc aucune
nomination à un poste au sens de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique.
Le juge Pratte (dissident): La seule question qui se pose
consiste à déterminer si le Comité d'appel a eu raison de juger
que le choix des maîtres-chien constituait des nominations.
Comme la Loi ne définit pas les mots »nomination» et »poste», il
faut donner à ces mots leur sens ordinaire, suivant lequel une
personne est nommée à un poste lorsqu'elle est désignée pour
remplir un emploi ou une fonction. Il s'ensuit qu'une personne
qui détient déjà un poste est nommée à un autre poste si elle est
désignée pour remplir un emploi différent de celui qu'elle
occupe déjà. Il n'est pas nécessaire de la nommer expressément
à un tel poste: il suffit que les responsables la désignent pour
exécuter de façon permanente une tâche nouvelle substantielle-
ment différente de celle qui se rattachait au poste qu'elle
occupait jusque là. Les nouvelles fonctions de «maître-chien
étaient suffisamment différentes de celles d'un inspecteur des
douanes pour constituer un emploi différent.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Kelso c. R., [1980] 1 C.F. 659 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Bauer c. Le comité d'appel de la Commission de la
Fonction publique, [1973] C.F. 626 (C.A.); Brown c. La
Commission de la Fonction publique, [1975] C.F. 345
(C.A.).
AVOCATS:
James M. Mabbutt pour le requérant.
Robert W. Côté pour les intimés.
Personne n'a comparu pour le compte des
mis-en-cause.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les
intimés.
Personne n'a comparu pour le compte des
mis-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE (dissident): Le requérant se
pourvoit en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]
à l'encontre d'une décision d'un comité établi par
la Commission de la Fonction publique faisant
droit à un appel que les intimés Brault et Dubois
avaient fait en vertu de l'article 21 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique [S.R.C. 1970,
chap. P-32]. Par cet appel, les intimés avaient
contesté la nomination des mis-en-cause Lenoir et
Beaupré au poste de «maître-chien» au sein d'une
«unité canine de détection» établie par le ministère
du Revenu national à Montréal.
Le 16 juillet 1982, le ministère du Revenu natio
nal publiait un avis à l'intention des inspecteurs
des douanes (niveau PM-01) de la région de Mont-
réal, les prévenant qu'on établirait une «unité
canine de détection» pour la région de Montréal et
invitant ceux d'entre eux qui voulaient y être
affectés à faire acte de candidature en faisant
parvenir leurs demandes à l'adresse indiquée avant
la date fixée. Cet avis donnait les précisions sui-
vantes sur cette «unité canine de détection» et sur
le poste de «maître-chien»:
MAITRE CHIEN
Le Ministère a récemment autorisé l'établissement d'une unité
canine de détection pour la région de Montréal. En plus du
chien et de son maître, l'unité disposera d'un véhicule automo
bile, d'un chenil, d'un enclos et de matériel spécial.
PROGRAMME
Le candidat (e) choisi (e) recevra une formation sur place
d'une durée d'environ trois mois dont la plus grande partie sera
donnée à Montréal. La formation sera axée sur la fouille des
véhicules, des bagages et des navires. Le dressage des chiens
comprendra la détection des divers stupéfiants, des armes à feu
et des munitions ainsi que l'obéissance, l'agilité et le dépistage.
ADMISSIBILITÉ
Les demandes écrites des inspecteurs des douanes PM-0l com-
pétents de la région de Montréal seront prises en considération.
Les candidats (es) devront préciser pourquoi ils (elles) sont
intéressés (es) et indiquer toute expérience extérieure ayant
trait au dressage de chien.
Pour se voir offrir cette affectation, l'employé (e) intéressé (e)
devra satisfaire aux conditions suivantes:
—satisfaire aux exigences linguistiques du poste à combler
AVANT l'affectation (nomination impérative AABB);
—consentir à accomplir ces fonctions durant au moins 3 années
consécutives;
—connaître à fond les fonctions d'un Inspecteur des Douanes et
en avoir eu l'expérience;
— être en bonne santé;
—avoir une facilité à communiquer avec autrui;
—être prêt à voyager et détenir un permis de conduire;
— être prêt à consacrer le temps et les efforts nécessaires au
soin d'un chien de détection et à l'entretien du matériel
connexe;
— occuper un logement avec cour suffisante pour loger un
chenil et un enclos.
Suite à la publication de cet avis, plusieurs
inspecteurs des douanes, dont les intimés Brault et
Dubois et les mis-en-cause Lenoir et Beaupré, se
portèrent candidats. Ils furent tous convoqués à
une entrevue dans le but de déterminer ceux d'en-
tre eux qui étaient les plus aptes à devenir «maî-
tres-chien». Peu après, les intimés Brault et Dubois
étaient prévenus que leurs noms n'avaient pas été
retenus. On avait choisi les mis-en-cause Lenoir et
Beaupré. Les intimés se prévalurent alors de l'arti-
cle 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique et firent appel de ces deux nominations.
Ils prétendaient que, lors du concours, le mérite de
divers candidats n'avait pas été vraiment évalué
parce qu'on avait tenté d'évaluer seulement quel-
ques-unes des qualités exigées des «maîtres-chien».
Le ministère concerné contesta cet appel pour
un seul motif, savoir que le choix des mis-en-cause
Lenoir et Beaupré ne constituait pas une nomina
tion à un poste de la Fonction publique mais une
simple affectation qui ne pouvait pas faire l'objet
d'un appel en vertu de l'article 21. Suivant cette
prétention, les mis-en-cause Lenoir et Beaupré
conservaient toujours, après comme avant leur
nomination, leur poste d'inspecteur des douanes et,
en les nommant «maîtres-chien», on leur avait sim-
plement donné un outil nouveau pour les aider à
remplir certaines de leurs fonctions.
Le Comité rejeta cette prétention. Il exprima
d'abord l'opinion, en se fondant sur la décision du
juge en chef Jackett dans l'affaire Kelso', qu'un
«changement apporté dans les qualités, fonctions et
responsabilités d'un poste en fait un poste différent
qu'il faut combler au moyen de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique.» Puis, se tournant vers
les faits de l'espèce, il cita l'avis de concours que
j'ai reproduit plus haut, et poursuivit:
De plus, le représentant du ministère admit à l'audition
qu'étant donné la nature de l'outil de travail particulier qu'était
le chien, le douanier qui se le verrait attribuer devrait avoir
certaines qualités spéciales et que ce n'était pas tous les doua-
niers qui pouvaient travailler avec un chien. Celui qui se voyait
confier un chien devait accepter de le garder chez lui, de
l'entretenir, de lui faire faire sur ses heures ouvrables une heure
ou deux d'exercice tous les jours, etc. C'était pour cela que lors
des entrevues avec les douaniers intéressés on leur avait
demandé des questions tel que si leur conjoint était d'accord
avec le fait de garder un chien à domicile, si les voisins avaient
des animaux à la maison, si leur cour était assez grande, s'ils
avaient d'autres animaux à la maison.
Compte tenu des commentaires dèjà rapportés du juge Jac-
kett, de la Cour d'appel fédérale, sur l'effet des modifications
apportées aux qualités, fonctions et responsabilités d'un poste,
et compte tenu des qualités, fonctions et responsabilités supplé-
mentaires attendues, en sus de celles normales d'un douanier,
d'un «maître chien», il me semble évident qu'en les prescrivant
le ministère se trouvait de fait à établir et créer des postes
différents de ceux de douaniers. Pour moi, il est clair que le fait
d'avoir la garde constante à domicile d'un chien spécialement
dressé, de passer une à deux heures par jour de son temps
ouvrable à lui faire faire des exercices, de veiller à l'entretien
du matériel connexe à la garde et l'utilisation de ce chien, et
d'être astreint à des conditions supplémentaires à celles habi-
' Kelso c. R., [1980] 1 C.F. 659 (C.A.), aux pp. 663à 665.
tuellement exigées des douaniers ordinaires, rend le poste du
«maître chien» bien différent de celui du douanier ordinaire. Le
ministère reconnaissait même qu'il fallait des qualités spéciales
pour devenir «maître chien» et que ce n'était pas tous les
douaniers qui pouvaient le devenir.
A mon avis les prétentions du ministère sur le fait que le
chien n'était qu'un simple outil de travail ne tiennent pas. La
garde et le dressage continus d'un chien impliquent autrement
plus de temps et de dextérité que la simple utilisation d'un
bateau, d'une voiture, d'un détecteur de métal ou d'un autre
appareil mécanique. Ce n'est en outre pas parce que le poste de
«maître chien» peut éventuellement avoir la même classification
PM-01 ou encore le même numéro que le poste de douanier
auquel il se trouve à succéder qu'il n'est pas un poste différent.
Le ministère n'a peut-être pas établi de description de tâches
spéciale pour des postes de «maître chien», mais c'est à tort, à
mon avis. La description de poste de Inspecteur des douanes
PM-01 (pièce M-1) qu'il m'a remise à l'audition est peut-être
exacte pour les postes ordinaires de douanier mais, selon moi,
elle ne reflète nullement les qualités, fonctions et responsabilités
particulières attendues d'un «maître chien» tel [sic] qu'elles sont
mentionnées sur le placard 82-44 ou qu'elles ont été présentées
à l'audition d'appel. Quant à l'unique énoncé de qualités natio
nal que le ministère prétend utiliser pour les concours de
douanier, il faut dire qu'il a été assez bien complété en l'espèce
par les spécifications contenues au placard 82-44.
En somme, j'estime donc qu'en accédant à des postes de
«maître chien» messieurs Beaupré et Lenoir se trouvaient à être
automatiquement affectés à des postes distincts et différents de
ceux qu'ils occupaient auparavant, même s'ils pouvaient éven-
tuellement porter la même classification et le même numéro.
Le Comité conclut donc que les mis-en-cause
Lenoir et Beaupré avaient bien été nommés à de
nouveaux postes en vertu de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique et que leur nomination
pouvait faire l'objet d'un appel en vertu de l'article
21. Cela décidé, le Comité jugea que les nomina
tions attaquées devaient être révoquées parce
qu'elles n'avaient pas été faites «selon une sélection
établie au mérite».
La seule question que soulève cette affaire est
celle de savoir si le Comité d'appel a eu raison de
juger que le choix des mis-en-cause Lenoir et
Beaupré comme «maîtres-chien» constituait des
nominations au sens de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique. Si cette question doit recevoir
une réponse affirmative, le requérant reconnaît en
effet que les nominations des mis-en-cause n'ont
pas été faites selon une sélection établie au mérite.
Comme l'a souligné l'avocat du requérant, la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique utilise
fréquemment l'expression «nomination à des postes
de la Fonction publique» mais ne définit pas les
mots «nomination» et «poste». Il en faut conclure
que ces mots sont utilisés dans leur sens ordinaire
suivant lequel une personne est nommée à un poste
lorsqu'elle est désignée pour remplir un emploi ou
une fonction. Il s'ensuit qu'une personne qui
détient déjà un poste dans la Fonction publique,
comme c'était le cas des mis-en-cause Lenoir et
Beaupré, est nommée à un autre poste si elle est
désignée pour remplir un emploi différent de celui
qu'elle occupe déjà. À mon avis, pour que celui qui
occupe déjà un poste dans la Fonction publique
soit nommé à un poste nouveau, il n'est pas néces-
saire que les autorités concernées le nomment
expressément à un tel poste; il suffit que ces
autorités, sans créer expressément de poste nou-
veau, le désignent pour exécuter de façon perma-
nente dans l'avenir une tâche nouvelle substantiel-
lement différente de celle qui est attachée au poste
qu'il occupait jusque-là.
Les mis-en-cause Lenoir et Beaupré étaient ins-
pecteurs des douanes lorsqu'ils ont été choisis pour
remplir la fonction de «maître-chien». Pour savoir
s'ils ont été alors nommés à de nouveaux postes, il
faut déterminer si leurs nouvelles fonctions étaient
suffisamment différentes de celles d'un inspecteur
des douanes pour constituer un emploi différent. À
cette question, le Comité a répondu affirmative-
ment. Je crois qu'il a eu raison. Car, la fonction de
«maître-chien» ajoute des responsabilités et des
obligations si importantes à celles d'un inspecteur
des douanes qu'il me paraît impossible d'admettre
la prétention du requérant que le choix des mis-en-
cause comme «maîtres-chien» n'était rien d'autre
qu'une affectation de tâches dans le cadre normal
de leur emploi comme inspecteurs des douanes.
Pour ces motifs, je rejetterais la demande.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: Cette demande faite en
vertu de l'article 28 soulève une question qui est
autrement plus difficile et importante que ne le
laisseraient supposer le contexte dans lequel elle se
pose et l'intérêt pratique immédiatement mis en
cause. Elle soulève même, d'après moi, une ques
tion qui va jusqu'au coeur des pouvoirs de gestion
interne des unités administratives de la Fonction
publique fédérale. Malheureusement, je ne partage
pas l'avis de mon collègue, monsieur le juge Pratte
quant à la nature exacte de cette question et à la
solution qu'il faut lui apporter et je ne disposerais
pas de la demande de la façon qu'il suggère. Voici
comment je crois pouvoir expliquer mon désaccord
et appuyer ma façon de voir.
Il n'y a aucun intérêt à reprendre les faits sauf
peut-être pour en rappeler les éléments essentiels
et ainsi laisser dans son contexte pratique la ques
tion à résoudre. Au cours de l'été 1982, le minis-
tère du Revenu national (Douanes et Accise),
émettait un avis à l'intention de ses inspecteurs des
douanes de la région de Montréal (niveau PM-01)
faisant part de son intention d'établir une unité
canine de détection et invitant les inspecteurs inté-
ressés à travailler avec un chien à soumettre leur
candidature à la direction. L'avis, dont on a pu
prendre connaissance du texte en lisant les notes
du juge Pratte, mentionnait, on l'a vu, un certain
nombre de conditions auxquelles l'intéressé devait
satisfaire «pour se voir offrir cette affectation».
Plusieurs inspecteurs soumirent leur candidature.
A la suite d'entrevues avec chacun des candidats,
entrevues visant strictement à s'enquérir des apti
tudes de chacun à aimer, entretenir et vivre avec
un chien, la direction fit part de son choix, un
monsieur Alexander. Les deux intimés, déçus de
n'avoir pas été choisis, décidèrent de s'en plaindre
auprès de la Commission de la Fonction publique.
Faisant valoir que la sélection n'avait pas été faite
conformément aux exigences que la Loi sur l'em-
ploi dans la Fonction publique (S.R.C. 1970,
chap. P-32) définit pour qu'une nomination à un
poste soit faite au mérite, étant donné que la
direction n'avait pas tenu compte des connaissan-
ces, capacités et qualités personnelles des candi-
dats en tant qu'inspecteurs des douanes, les intimés
interjetèrent appel en vertu de l'article 21 de ladite
Loi 2 . Le ministère contesta. Il fit aussitôt valoir
2 Les parties pertinentes de cet article 21 se lisent comme
suit: -
21. Lorsque, en vertu de la présente loi, une personne est
nommée ou est sur le point de l'être et qu'elle est choisie à cette
fin au sein de la Fonction publique
a) à la suite d'un concours restreint, chaque candidat non
reçu, ou
b) sans concours, chaque personne dont les chances d'avance-
ment, de l'avis de la Commission, sont ainsi amoindries,
(Suite à la page suivante)
que la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique
n'était nullement en cause, de sorte qu'il ne pou-
vait être question de respect des formalités de cette
Loi ni d'abord d'appel sous l'égide de cette Loi. Il
n'y avait, en effet, eu aucune nomination à un
poste, soutint-il: le chien n'était qu'un outil de
travail mis à la disposition d'un douanier pour lui
permettre d'exercer ses fonctions; il n'existait pas
de poste de «maître-chien» au Ministère, bien
qu'une quinzaine de douaniers à travers le Canada
travaillaient avec des chiens, il n'existait que des
postes de douanier. Il n'avait jamais été question
de créer de nouveaux postes, ni de transférer des
titulaires de poste dans de nouveaux postes, et
cette situation, claire dès l'origine, n'avait pas
varié: le poste occupé par le candidat choisi était
resté le même et sa nomination inchangée. Le
Comité établi pour disposer de l'appel jugea inac-
ceptable la position du Ministère invoquant
comme motif, qu'il y avait eu effectivement un
concours, mais la décision révoquant la nomination
de monsieur Alexander devint caduque, lorsque,
peu après qu'elle eut été contestée devant cette
Cour, monsieur Alexander de lui-même cessa
d'agir comme maître-chien. Ne croyant pas devoir
changer d'attitude, le Ministère fit simplement
savoir que les deux mis-en-cause Lenoir et Beau-
pré remplaçaient monsieur Alexander, sur quoi les
intimés s'empressèrent de réitérer sur les mêmes
bases leur contestation, logeant un nouvel appel
qui donna lieu à la formation d'un nouveau comité.
Comme on l'a vu par les explications de Monsieur
le juge Pratte, le comité, cette fois-ci, fut plus
attentif aux prétentions du Ministère et ne se
contenta plus de dire, comme la première fois, que
puisqu'il y avait eu concours restreint à la manière
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique,
les exigences de cette Loi devaient s'appliquer, un
raisonnement qui manifestement confondait forme
et substance; il reconnut que la condition essen-
(Suite de la page précédente)
peut, dans le délai que fixe la Commission, en appeler de la
nomination à un comité établi par la Commission pour faire
une enquête au cours de laquelle il est donné à l'appelant et au
sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion de se
faire entendre. La Commission doit, après avoir été informée de
la décision du comité par suite de l'enquête,
c) si la nomination a été faite, la confirmer ou la révoquer, ou
d) si la nomination n'a pas été faite, la faire ou ne pas la
faire,
selon ce que requiert la décision du comité.
tielle pour que l'appel des intimés fût recevable—
et la seule d'ailleurs en question--était qu'il y eût
nomination à un nouveau poste. Son raisonnement,
cependant, devait être en définitive tout aussi suc
cinct que l'avait été celui du premier comité: inter-
prétant certains passages des notes de l'ancien juge
en chef de cette Cour dans l'affaire Kelso c. R.,
[1980] 1 C.F. 659 (C.A.), comme impliquant
qu'«un changement apporté dans les qualités, fonc-
tions et responsabilités d'un poste en fait un poste
différent» (D.C., page 67), il n'hésita pas à dire
que le Ministère, en agissant comme il avait agi,
«se trouvait de fait à établir et créer des postes
différents de ceux de douaniers» (D.C., page 68).
C'est naturellement cette décision du deuxième
comité qui est maintenant devant la Cour.
Cette décision du comité aujourd'hui mise en
cause soulève tout de suite évidemment une ques
tion de définition de termes, tout spécialement du
terme «poste» («position» en anglais) que la Loi
utilise à maintes reprises mais ne définit nulle part.
Au sujet de cette question, je dirai simplement que
je comprends mal comment on peut parler de poste
différent d'un autre, au point de vue contenu, sans
d'abord s'entendre sur ce qui caractérise et identi-
fie un poste quelconque et le distingue des autres.
Le comité ne dit rien à cet égard, et, contrairement
à lui, je ne vois pas que prêter au mot «poste» le
sens ordinaire d'«emploi» ou de «fonction» puisse
dispenser de le faire. En tout cas, personne dans le
langage courant ne sera porté à dire qu'il a changé
d'«emploi» parce que son patron a modifié quelque
peu certaines de ses responsabilités ou que ses
«fonctions» ne sont plus les mêmes depuis qu'il a
fait l'acquisition d'un nouvel outil de travail ou a
adopté une nouvelle façon de travailler. Le prési-
dent du comité, à mon avis, attribue aux propos de
l'ancien juge en chef de cette Cour dans l'arrêt
Kelso une portée qu'ils n'avaient pas. Le juge
Jackett là s'employait à contester à un ministère le
droit de «modifier [unilatéralement] les qualifica
tions requises d'une personne nommée à un poste
tant qu'elle conserve celui-ci» (page 663), et de
changer «la nature [d'un] poste en ce qui concerne
la personne qui l'occupe déjà» (page 664), et l'un
des motifs qu'il faisait valoir était exprimé dans la
phrase qui semble avoir frappé le président: «Any
such change in qualifications would, in effect,
make the position something other than that to
which he was appointed.» (traduit par: «En réalité,
toute modification semblable rendrait ce poste
autre que celui auquel elle a été nommée.»). Le
juge n'expliquait pas ce qu'il entendait par la
«nature» d'un poste ni ce que couvrait l'expression
«modifier les qualifications requises» pour exercer
le poste (encore qu'en l'espèce où il s'agissait d'un
poste qu'on avait déclaré bilingue, les faits étaient
assez éloquents); et de toute façon, on ne saurait
tirer de ses propos l'affirmation générale retenue
par le président du comité à savoir qu'«un change-
ment apporté dans les qualités, fonctions et respon-
sabilités d'un poste en fait un poste différent.»
Ainsi, je ne vois pas en vertu de quel principe et
sur la base de quelle définition on peut dire que
l'addition d'un chien comme outil de travail d'un
inspecteur des douanes, même si la garde du chien
à domicile est requise, modifie la fonction de cet
inspecteur des douanes suffisamment pour en
changer la «nature» (et j'emploie ici à dessein
l'expression du juge Jackett). C'est tout ce que
j'avais l'intention de dire sur cette question de
définition de terme car, à mon sens, ce n'est pas là
la difficulté majeure que présente la décision
attaquée.
Cette difficulté majeure, dont la solution me
semble pouvoir être fort lourde de conséquences, se
rapporte à la prémisse que la décision implique,
soit qu'un poste peut être créé au sein d'un minis-
tère tacitement et même malgré la volonté des
autorités administratives de ce ministère. Une telle
prémisse est-elle valide? Je n'arrive tout simple-
ment pas à m'en convaincre.
On vient de rappeler que la Loi nulle part ne
définit ce qu'elle entend par un poste dans la
Fonction publique. C'est le temps d'ajouter qu'elle
ne dit nulle part non plus qui peut créer un poste
dans la Fonction publique et comment se crée un
poste dans la Fonction publique.
La question de savoir qui peut créer un poste ne
soulève apparemment plus de problème ni théori-
que ni pratique. On admet sans peine que les
larges pouvoirs généraux de gestion attribués par
le Parlement au Ministre à qui est confiée la
direction de l'unité administrative qu'est le minis-
tère, comprennent celui de déterminer le nombre
des employés nécessaires à l'accomplissement des
tâches du ministère, les qualités et aptitudes que
chacun de ces employés devra posséder et la tâche
qu'il sera appelé à remplir. Sous réserve de l'obli-
gation constitutionnelle d'obtenir du Parlement
l'autorisation de dépenser des fonds publics, le
Ministre a donc le pouvoir de créer un poste.
L'ancien juge- en chef de cette Cour justement
discute cette question avec soin dans Bauer c. Le
comité d'appel de la Fonction publique, [1973]
C.F. 626 (C.A.), puis encore, dans Brown c. La
Commission de la Fonction publique, [1975] C.F.
345 (C.A.), aux pages 348 et suivantes, et de
nouveau, dans l'affaire Kelso dont on a parlé plus
haut.
Si la question de savoir qui peut créer un poste
dans la Fonction publique a été ainsi suffisamment
discutée en jurisprudence, je n'ai pu trouver de cas
où on s'était demandé comment pouvait être
exercé ce pouvoir. Peut-être a-t-on toujours pensé
que la réponse, sur le plan théorique évidemment
(car il ne s'agit pas de s'interroger sur les procédu-
res), allait de soi. Il me semble, quant à moi,
qu'étant donné que la création d'un poste implique
la reconnaissance et la définition d'une fonction
requérant l'emploi d'une personne et que le pou-
voir de créer un poste est un pouvoir juridique
impliquant la prise d'une décision', on peut diffici-
lement douter que la création d'un poste exige une
manifestation de volonté ferme et non-équivoque.
En adoptant comme prémisse qu'un poste peut être
créé par une simple situation de fait, un simple
comportement de gestion, et même malgré le désir
et la volonté du Ministre ou de ses représentants,
le Comité, à mon sens, donne effet à une proposi
tion qui, théoriquement, ne peut tenir.
Ce n'est pas sur le seul plan des principes d'ail-
leurs que le raisonnement du Comité me paraît
intenable. C'est aussi sur le plan pratique. Admet-
tre un tel raisonnement et l'appliquer générale-
ment veut dire qu'on admet qu'à tout moment, par
des directives de gestion, les autorités d'un minis-
tère peuvent, à leur insu et même malgré elles,
créer des postes (et aussi, je suppose, en faire
disparaître). L'analyse des tâches à l'intérieur d'un
ministère à un moment donné pourrait conduire à
des résultats cocasses quant à l'identification et à
la définition des postes et à la situation juridique
3 Le juge Jackett écrit dans une note au cours de ses motifs
dans l'affaire Brown ci-haut citée (page 348): «Du point de vue
technique, le terme «poste» désigne, à mon sens, le pouvoir
juridique d'employer une personne dans la Fonction publi-
que...»
de leurs titulaires! On pourrait penser que le rai-
sonnement a malgré tout un avantage pratique en
ce qu'il s'oppose à ce que le Ministre (ou ses
gestionnaires), dans l'exercice des pouvoirs géné-
raux de gestion qui lui sont conférés ou de ceux,
prévus à l'article 7 de la Loi sur l'administration
financière (S.R.C. 1970, chap. F-10), qu'il est
appelé à exercer par voie de délégation du Conseil
du trésor, modifie à volonté les tâches, responsabi-
lités et qualifications des employés de son minis-
tère, mais il n'en est rien. Rappelons d'abord que
les commentaires du juge Jackett tirés de l'affaire
Kelso et cités par le président du comité avaient
justement pour but de montrer que le Ministre ne
pouvait modifier unilatéralement les qualifications
d'un poste. Ensuite, si une modification même
acceptée de l'employé avait quelque incidence de
discrimination à l'égard de co-employés, elle pour-
rait vraisemblablement faire l'objet d'un recours
en vertu de la Loi sur les relations de travail dans
la Fonction publique (S.R.C. 1970, chap. P-35).
Enfin, si une modification est acceptée par le
titulaire du poste, ne comporte pas d'incidence
discriminatoire pour d'autres et n'emporte aucun
changement de classification ni aucun avantage
salarial, on voit mal pourquoi il faudrait
l'empêcher.
Je suis donc d'opinion que le comité a erré en
supposant que la création d'un poste dans la Fonc-
tion publique ne requérait pas une décision claire
et une manifestation de volonté non-équivoque du
Ministre ou de quelqu'un habilité à agir pour lui,
qu'elle pouvait résulter d'une simple situation de
faits ou d'un simple comportement des gestionnai-
res et devait avoir effet même à l'insu de l'autorité
voire même à l'encontre de sa volonté. A mon avis,
dans les circonstances révélées par le dossier et
reconnues par le comité, il n'y a pas eu de création
de nouveaux postes de «maître-chien»; il n'y a donc
pas eu de nomination à un poste au sens de la Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique, et l'article
21 de cette loi ne pouvait recevoir application.
J'annulerais donc la décision du comité et
retournerais l'affaire devant lui pour qu'il en dis
pose en conformité des principes et propositions
que je viens de faire valoir.
LE JUGE HUGESSEN: Je suis d'accord.
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