T-2194-85
Ralph H. Long (demandeur)
c.
Richard Hayden Tucker, Pacific Northwest
Enterprises Inc., Trent Industries, Inc., Altman,
Kahn, Zack, Hammerberg & Ehrlich (défendeurs)
Division de première instance, juge Strayer—Van-
couver, 28 et 31 octobre 1985.
Marques de commerce — Pratique — Le demandeur solli-
cite une injonction interlocutoire en vue d'interdire aux défen-
deurs d'utiliser la marque de commerce »Unicure», une ordon-
nance enjoignant au registraire de modifier le registre en y
indiquant que l'injonction interlocutoire vise cette marque et
une ordonnance portant radiation de l'inscription de Trent
Industries, Inc. à titre de propriétaire et rétablissant l'inscrip-
tion de Pacific Northwest Enterprises Inc. à titre de proprié-
taire — Les défendeurs demandent la radiation de la déclara-
tion parce qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de
la Cour — Le demandeur détient un jugement non exécuté
contre Pacific Northwest Enterprises Inc. — Pacific a cédé la
marque de commerce à Trent Industries, Inc. — La marque a
été enregistrée sous le nom d'un nouveau propriétaire — Une
action visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que le
transfert est nul est pendante devant la Cour suprême de la
Colombie-Britannique — Cette cour a accordé une injonction
provisoire interdisant aux défendeurs de céder la marque de
commerce — Il serait vexatoire d'accorder une injonction
provisoire identique à celle déjà accordée par une autre juri-
diction — Il n'existe aucun précédent ou texte de doctrine
justifiant une ordonnance portant inscription d'une injonction
au registre — L'art. 57(1) permet de modifier des inscriptions
lorsqu'elles sont inexactes, ou de les rectifier lorsque la cession
est nulle — Le but du registre n'est pas d'établir de quelqu'au-
tre manière la propriété véritable de la marque de commerce
— La Cour aurait tort d'ordonner que soient modifiés, au
registre, les droits véritables des propriétaires non inscrits
alors que la Loi n'oblige pas le registraire à enregistrer des
documents de cette nature — Déclaration radiée — Aux
termes de l'art. 58, une demande présentée sur le fondement de
l'art. 57 ne peut être faite par voie d'exposé de réclamation que
dans une action demandant »un redressement additionnel en
vertu de la présente loi» — Aucun redressement additionnel
n'est demandé en l'espèce — L'injonction interlocutoire n'est
pas un redressement prévu à la Loi — L'art. 53 permet
d'émettre une injonction lorsqu'un acte a été accompli contrai-
rement à la Loi — La Loi ne sanctionne pas la faute alléguée
— La requête du demandeur est rejetée — Le demandeur
pourrait posséder un motif d'action si la cour supérieure
provinciale décide que la cession est nulle — Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 53, 57,
58 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.). chap.
10, art. 20.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Auer Incandescent Light Mfg. Co. v. Dreschel, et al
(1897), 5 R.C.É. 384; Remi Rivet Fast Foods Ltd. c.
Nemo Foods Ltd. et autre (1981), 59 C.P.R. (2d) 174
(C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
Brian Corbould pour le demandeur.
Gary Letcher pour la défenderesse Pacific
Northwest Enterprises Inc.
M. Lithwick pour la défenderesse Altman,
Kahn, Zack, Hammerberg & Ehrlich.
PROCUREURS:
Milne, Selkirk, Nordman, Corbould & Todd,
New Westminster (C.-B.), pour le deman-
deur.
Edwards, Kenny & Bray, Vancouver, pour la
défenderesse Pacific Northwest Enterprises
Inc.
Altman, Kahn, Zack, Hammerberg & Ehr-
lich, Richmond (C.-B.), pour la défenderesse
Altman, Kahn, Zack, Hammerberg & Ehr-
lich.
Ce qui suit est la version française des, motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Le demandeur sollicite une
injonction interlocutoire en vue d'interdire aux
défendeurs de vendre ou d'utiliser de toute autre
façon la marque de commerce «Unicure» tant
qu'une ordonnance de la présente Cour n'aura pas
été rendue, et une ordonnance enjoignant au regis-
traire des marques de commerce de modifier le
registre des marques de commerce en y indiquant
que la présente injonction interlocutoire [TRADUC-
TION] «vise la marque Unicure». Les défendeurs
demandent la radiation de la déclaration pour le
motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action rai-
sonnable, qu'elle est futile et vexatoire ou qu'elle
constitue un emploi abusif des procédures de la
Cour. Les deux requêtes ont été débattues ensem
ble, la dernière ayant été présentée après un avis
de courte durée sur consentement.
Suivant la déclaration déposée dans la présente
action dans laquelle ont été présentées ces requê-
tes, le demandeur, qui est avocat, a engagé une
action devant la Cour suprême de la Colombie-
Britannique en mai 1984 contre certains des défen-
deurs en l'espèce, à savoir Richard Hayden Tucker
et Pacific Northwest Enterprises Inc. Cette action
en recouvrement de ses honoraires s'est soldée par
une décision en sa faveur le 19 février 1985. Le
jugement, qui lui accordait la somme de 229 000 $,
a été enregistré le 23 avril 1985. Une fois de plus,
la déclaration allègue que ce jugement n'a pas
encore été exécuté.
En août 1984, Pacific Northwest Enterprises
Inc. a cédé sa marque de commerce «Unicure» à
Trent Industries, Inc., l'une des défenderesses à la
présente action. Selon la déclaration, le cabinet
d'avocats défendeur, Altman, Kahn, Zack, Ham-
merberg & Ehrlich a, au mois de mai 1985,
demandé au registraire des marques de commerce
d'enregistrer ce contrat de cession, à la suite de
quoi la marque de commerce a été enregistrée au
nom de Trent Industries, Inc. en juin 1985. Ayant
apparemment des raisons de croire que la Pacific
Northwest Enterprises Inc., l'ancien propriétaire
de la marque de commerce, ne possédait pas d'au-
tres éléments d'actif, si actif il y avait, suffisants
pour exécuter le jugement rendu contre elle en
avril 1985 en faveur du demandeur, celui-ci a
engagé une action devant la Cour suprême de la
Colombie-Britannique en août 1985 contre les
mêmes parties qui sont aujourd'hui défendeurs à la
présente action devant la Cour fédérale. Cette
nouvelle action, qui est maintenant pendante
devant la Cour suprême de la Colombie-Britanni-
que, vise à obtenir un jugement déclaratoire por-
tant que le transfert de la marque de commerce de
Pacific Northwest Enterprises Inc. à Trent Indus
tries, Inc. est nul et inopposable au demandeur.
Immédiatement après l'introduction de cette
action devant la Cour suprême de la Colombie-
Britannique, le demandeur a obtenu de celle-ci une
injonction provisoire interdisant aux défendeurs de
[TRADUCTION] «céder ou d'utiliser de toute autre
façon la marque de commerce "UNICURE", y
compris son achalandage». Cette injonction est
toujours en vigueur.
L'action devant la Cour fédérale a été introduite
le 7 octobre 1985. La déclaration contient un
exposé de ces allégations et faits et vise les redres-
sements suivants: une injonction interlocutoire
interdisant aux défendeurs de se servir de la
marque de commerce décrite plus haut; une ordon-
nance portant que ladite injonction interlocutoire
doit être inscrite au registre des marques de com
merce tel qu'il a été indiqué plus haut; une ordon-
nance portant radiation de l'inscription de la
défenderesse Trent Industries, Inc. à titre de pro-
priétaire de la marque de commerce; et une ordon-
nance rétablissant les droits de Pacific Northwest
Enterprises Inc. comme propriétaire de ladite
marque.
Je suis venu à la conclusion de refuser au
demandeur les redressements qu'il sollicite dans sa
requête et en outre de radier sa déclaration.
L'injonction demandée est essentiellement la
même que celle qu'a accordée la Cour suprême de
la Colombie-Britannique. Même si la présente
Cour n'outrepasserait pas ses compétences en déli-
vrant une injonction similaire, j'estime qu'une telle
injonction serait vexatoire pour les défendeurs et
que la Cour doit exercer son pouvoir discrétion-
naire de façon à ne pas l'accorder: voir Auer
Incandescent Light Mfg. Co. v. Dreschel, et al
(1897), 5 R.C.E. 384.
En fait, l'injonction avait essentiellement pour
but d'étayer l'ordonnance que le demandeur solli-
cite aussi pour forcer le registraire des marques de
commerce à modifier le registre en y «inscrivant»
cette injonction dont la marque de commerce
«Unicure» fait l'objet. Même si une telle injonction
devait être délivrée, je ne crois pas que cette
ordonnance puisse être émise. Les avocats n'ont
pas pu me soumettre de précédents ou de textes de
doctrine qui se sont prononcés, dans un sens ou
dans l'autre, sur cette question. Compte tenu des
principes généraux, j'estime toutefois qu'une
ordonnance de la présente Cour délivrée conformé-
ment à l'article 57 de la Loi sur les marques de
commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, n'est pas le
moyen approprié d'apporter une modification au
registre. Le paragraphe 57(1) dispose:
57. (1) La Cour fédérale du Canada a une compétence
initiale exclusive, sur la demande du registraire ou de toute
personne intéressée, pour ordonner qu'une inscription dans le
registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette
demande, l'inscription figurant au registre n'exprime ou ne
définit pas exactement les droits existants de la personne
paraissant être le propriétaire inscrit de la marque. [C'est moi
qui souligne.]
À mon sens, les mots soulignés indiquent que de
telles modifications peuvent être ordonnées lorsque
le registre ne décrit pas exactement la marque de
commerce, ou les mots ou les services en liaison
avec lesquels le propriétaire inscrit l'utilise, etc. Ils
peuvent également servir à rectifier des inscrip
tions lorsque le propriétaire inscrit n'aurait pas dû
l'être parce que la cession était nulle pour fraude
par exemple ou parce que le cessionnaire n'était
pas autorisé à agir, même si aucun précédent n'a
été soumis à mon attention sur cette question.
Toutefois, je ne crois pas que le but du registre soit
d'établir ou d'identifier de quelqu'autre manière la
propriété véritable de la marque de commerce.
J'estime plutôt que son but est d'enregistrer le nom
du propriétaire inscrit, le nom précis de la marque
de commerce revendiquée et la nature des biens ou
des services à l'égard desquels elle doit être
utilisée.
Toute autre conclusion signifierait que le regis-
traire doit accepter d'inclure, outre la marque de
commerce, une série de documents indiquant les
droits des propriétaires non inscrits relativement à
la marque de commerce: par exemple, les droits
des détenteurs de privilèges, d'oppositions, d'hypo-
thèques, les contrats de vente conditionnelle, etc.
Je ne crois pas que ce soit là le but du registre, et
aucune disposition de la Loi sur les marques de
commerce n'oblige le registraire à enregistrer ces
actes à la suite du titre de propriété du propriétaire
inscrit. Ceci étant, la Cour aurait tort d'ordonner
que des «modifications» de cette sorte soient appor-
tées au registre sur le fondement du paragraphe
57(1).
Ayant décidé que le demandeur n'a pas droit
aux redressements demandés dans sa requête inter-
locutoire, j'irais plus loin et j'ordonnerais que la
déclaration soit entièrement radiée. Les seuls
redressements demandés dans cette déclaration
sont une injonction interlocutoire et des ordonnan-
ces concernant la radiation d'une inscription faite
au registre et la modification de celui-ci. Il m'ap-
paraît qu'en vertu de l'article 58 de la Loi sur les
marques de commerce, la présente instance ne
peut être introduite par voie de déclaration. L'arti-
cle 58 dispose comme suit:
58. Une demande prévue à l'article 57 doit être faite, soit par
la production d'un avis de motion introductif (originating
notice of motion), par une demande reconventionnelle dans une
action pour usurpation de la marque de commerce, ou par un
exposé de réclamation dans une action demandant un redresse-
ment additionnel en vertu de la présente loi. [C'est moi qui
souligne.]
En présumant, sans en décider, que les ordon-
nances qui visent à obtenir la rectification du
registre en raison de la nullité de la cession tom-
bent sous le coup du paragraphe 57(1), l'article 58
prévoit qu'un tel redressement ne peut être
demandé au moyen d'un exposé de réclamation
que si cet exposé demande «un redressement addi-
tionnel en vertu de la présente Loi». Dans la
présente action, on ne demande pas de redresse-
ment additionnel. Le seul autre redressement
demandé est une injonction interlocutoire visant à
interdire l'emploi de la marque de commerce avant
que ne soit rendu un jugement ordonnant la rectifi
cation du registre. Si on ne tient pas compte du
fait que j'ai déjà rejeté cette demande de redresse-
ment, et si on présume qu'il s'agit d'un redresse-
ment que la présente Cour peut accorder en vertu
de l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, ce redressement
n'est pas prévu par la Loi sur les marques de
commerce. Nulle part dans la Loi ne prévoit-on un
tel redressement. Même si l'article 53 autorise
notamment la Cour à accorder un redressement
par voie d'injonction lorsqu'«un acte a été accompli
contrairement à la présente loi», la faute qu'aurait
commise les défendeurs dans la présente action
consiste en un transport d'actifs par un débiteur
condamné par jugement dans le but présumé de
nuire à son créancier à la suite d'un jugement
obtenu devant une cour supérieure d'une province
dans une action contractuelle. La Loi sur les mar-
ques de commerce ne vise pas à régler ces ques
tions et elle ne saurait non plus le faire.
La poursuite de la présente action sur le fonde-
ment de cette déclaration constituerait donc un
emploi abusif des procédures de la Cour. Je ne suis
toutefois pas prêt à dire que le demandeur ne
possède aucun motif raisonnable d'action devant la
présente Cour. Il aurait une telle cause d'action si
la Cour suprême de la Colombie-Britannique déci-
dait, dans l'instance devant elle, que la cession de
la marque de commerce de Pacific Northwest
Enterprises Inc. à Trent Industries, Inc. était nulle.
Si une telle décision était rendue, le demandeur
pourrait alors demander que le registre des mar-
ques de commerce soit rectifié. Toutefois, comme
le prévoit l'article 58 de la Loi sur les marques de
commerce, cette demande devra être faite par voie
d'avis introductif. Voir Remi Rivet Fast Foods
Ltd. c. Nemo Foods Ltd. et autre (1981), 59
C.P.R. (2d) 174 (C.F. ire inst.).
ORDONNANCE
La requête du demandeur en vue d'obtenir une
injonction interlocutoire et une ordonnance com-
portant des directives au registraire des marques
de commerce, est rejetée. La déclaration est radiée
pour le motif qu'elle constitue un emploi abusif des
procédures de la Cour. Les défendeurs ont droit
aux dépens de l'action.
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