A- I934-83
Registraire des marques de commerce (appelant)
c.
Compagnie Internationale pour l'Informatique CII
Honeywell Bull, Société Anonyme et Herridge,
Tolmie (intimées)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Huges-
sen—Montréal, ler et 2 mai 1985.
Marques de commerce — Appel d'un jugement de la Divi
sion de première instance ayant infirmé une ordonnance du
registraire radiant, conformément à l'art. 44 de la Loi, la
marque de commerce ..Bull, pour non-usage — La marque
«Bull. a été utilisée simultanément avec la marque de com
merce enregistrée .CII. et la marque de commerce non enre-
gistrée ..Honeywell. — L'intimée est titulaire de toutes les
marques — Les marques n'ont jamais été employées séparé-
ment — Il échet d'examiner si l'emploi de la marque de
commerce composite ..CII Honeywell Bull. équivaut à l'em-
ploi de la marque de commerce ..Bull. — Le juge de première
instance a conclu que rien dans la Loi n'interdit de faire usage
simultanément de plusieurs marques de commerce — L'inti-
mée ne trompe pas le public quant à l'origine de ses marchan-
dises — Le critère qu'il faut appliquer consiste à comparer la
marque de commerce utilisée avec la marque de commerce
enregistrée — Il y a non-usage si la marque est utilisée d'une
façon qui lui fasse perdre son identité, la rendant méconnais-
sable par rapport à la marque enregistrée — La marque de
commerce doit être utilisée sous la forme dans laquelle elle a
été enregistrée — L'intimée n'utilise pas la marque de com
merce ..Bull+ — Appel accueilli — Loi sur les marques de
commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 44 (mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 47, art. 46).
AVOCATS:
Serge Frégeau pour l'appelant.
Richard S. Uditsky pour l'intimée, Compa-
gnie Internationale pour l'Informatique CII
Honeywell Bull, Société Anonyme.
Personne n'a comparu pour l'intimée Her-
ridge, Tolmie.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Phillips, Friedman, Kotler, Montréal, pour
l'intimée, Compagnie Internationale pour
l'Informatique CII Honeywell Bull, Société
Anonyme.
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour l'intimée
(Herridge, Tolmie).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE PRATTE: Appel est interjeté en l'espèce
d'un jugement de la Division de première instance
(juge Addy) [[1983] 2 C.F. 766] ayant accueilli
un appel formé par l'intimée, Compagnie Interna-
tionale pour l'Informatique CII Honeywell Bull,
Société Anonyme (désignée ci-après CII), contre
une ordonnance du registraire des marques de
commerce radiant l'enregistrement de la marque
de commerce «Bull» de CII. Cette ordonnance
avait été rendue en vertu de l'article 44 de la Loi
sur les marques de commerce [S.R.C. 1970, chap.
T-10 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art.
46)] au motif que la marque de commerce en
question n'était pas employée au Canada.
Les faits ne sont pas contestés. CII était titulaire
enregistrée de trois marques de commerce: celle
dont il est question en l'espèce et qui est constituée
du mot «Bull»; une autre formée des initiales CII;
et une troisième qui était un dessin représentant un
écran d'ordinateur et un arbre. Aucune de ces
marques n'a été employée séparément. Les deux
premières ont toujours été employées ensemble
avec le mot Honeywell, qui est bien en évidence
dans le nom de CII, pour ainsi former la marque
composite «CII Honeywell Bull»'. Cette marque
composite était parfois employée avec le dessin
représentant l'écran et l'arbre.
La seule question en litige dans le présent appel
consiste à déterminer si CII a employé sa marque
de commerce «Bull» lorsqu'elle a fait usage de la
marque composite «CII Honeywell Bull» pour
identifier ses marchandises. Le juge Addy a
répondu affirmativement à cette question. Après
avoir dit que rien dans la Loi n'interdit à une
personne de faire un usage simultané de deux ou
plusieurs marques de commerce, il a ajouté que,
normalement, une marque de commerce doit néan-
moins être employée sous la forme dans laquelle
elle a été enregistrée; selon lui, le problème qui se
pose en l'espèce découle du fait que la marque de
commerce enregistrée, savoir le mot «Bull» unique-
ment, n'avait jamais été employée sous cette forme
1 L'affidavit fourni par CII en réponse à l'avis du registraire
en vertu de l'article 44 énonçait qu'elle avait utilisé [TRADUC-
TION] «le mot "Bull" comme élément de la marque de com
merce composite "CII Honeywell Bull"».
mais plutôt avec d'autres mots. Examinant cette
question, il a rejeté l'argument qui trouvait appui
dans certains précédents et suivant lequel une
marque de commerce doit nécessairement être
employée sous la forme exacte dans laquelle elle a
été enregistrée. Il a ensuite cité le passage suivant
de Fox, Canadian Law of Trade Mark and Unfair
Competition (3e édition, 1972) aux pages 63 et 64:
[TRADUCTION] ... «La question de savoir si l'emploi d'une
étiquette qui s'écarte de l'étiquette spécifique constitue une
dérogation telle qu'elle équivaudrait à un non-emploi d'une
marque de commerce spécifique est, semble-t-il, une question
de fait dans chaque cas particulier, le principe suivant lequel
ces faits doivent être appréciés étant celui qu'a posé le juge
Maclean dans l'affaire Honey Dew, savoir que la dérogation ne
doit pas être de nature à causer un préjudice à quiconque ou à
induire quelqu'un en erreur.»
Une dérogation ou un ajout à une marque enregistrée peut
équivaloir à une affirmation trompeuse et, en constituant une
fraude à l'endroit du public, interdire tout redressement au
demandeur. Mais à moins qu'un ajout ou une dérogation à une
marque de commerce ne soit de nature à induire en erreur, on
ne voit pas pourquoi un tel emploi peut être considéré comme
n'étant pas celui de la marque de commerce si, selon le texte du
par. 4(1) de la Loi sur les marques de commerce, il est lié aux
marchandises «au point qu'avis de liaison est alors donné à la
personne à qui la propriété ou possession est transférée.» Il
s'agit à l'évidence d'une question de fait à trancher en tenant
compte des éléments de preuve et non au moyen d'une compa-
raison arbitraire et méticuleuse entre la marque employée et la
marque enregistrée.
Le juge Addy a conclu ainsi:
Ce qui précède constitue, à mon avis, un meilleur exposé du
droit sur le sujet tel qu'il existe actuellement.
Compte tenu des faits de l'espèce, il semble clair que les
éléments ajoutés à la marque «Bull» ne sauraient être considérés
comme étant vraisemblablement de nature à tromper le public
ou à l'induire en erreur, de quelque façon que ce soit, relative-
ment à la provenance de l'équipement mis en vente, puisque les
deux mots additionnels font partie intégrante du nom du pro-
priétaire de la marque, qu'une de ces marques est également
enregistrée sous le nom de celui-ci, et que l'autre est une
marque non enregistrée dont fait usage le propriétaire. En ce
qui concerne le dessin composé d'un écran et d'un arbre et qui
est parfois employé avec le mot «Bull» et les deux autres mots, il
s'agit également d'une marque déposée du propriétaire. ,
Dans les circonstances, l'appel sera accueilli, et l'enregistre-
ment de la marque «Bull» sera rétabli dans le registre des
marques de commerce.
Nous sommes tous d'avis que ce jugement ne
peut être confirmé.
Il ne s'agit pas de déterminer si CII a trompé le
public quant à l'origine de ses marchandises. Elle
ne l'a manifestement pas fait. La seule et véritable
question qui se pose consiste à se demander si, en
identifiant ses marchandises comme elle l'a fait,
CII a employé sa marque de commerce «Bull». Il
faut répondre non à cette question sauf si la
marque a été employée d'une façon telle qu'elle n'a
pas perdu son identité et qu'elle est demeurée
reconnaissable malgré les distinctions existant
entre la forme sous laquelle elle a été enregistrée et
celle sous laquelle elle a été employée. Le critère
pratique qu'il faut appliquer pour résoudre un cas
de cette nature consiste à comparer la marque de
commerce enregistrée et la marque de commerce
employée et à déterminer si les distinctions exis-
tant entre ces deux marques sont à ce point mini-
mes qu'un acheteur non averti concluerait, selon
toute probabilité, qu'elles identifient toutes deux,
malgré leurs différences, des marchandises ayant
la même origine.
Si on considère le problème sous cet angle et
qu'on applique ce critère, nous ne pouvons que
conclure qu'en employant la marque composite
«CII Honeywell Bull» CII n'a pas employé sa
marque «Bull».
L'appel sera accueilli sans dépens, le jugement
de la Division de première instance sera annulé et
l'ordonnance du registraire des marques de com
merce radiant l'enregistrement de la marque de
commerce «Bull» sera rétablie.
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