T-831-82
Algonquin Mercantile Corporation (demande-
resse)
c.
Dart Industries Canada Limited (défenderesse)
Division de première instance, juge Reed—
Toronto, 23 janvier; Ottawa, 2 février 1984.
Pratique — Suspension d'exécution — Demande visant la
suspension de l'exécution du jugement ordonnant la radiation
de l'enregistrement du dessin industriel — Jugement porté en
appel, mais aucune requête en suspension d'exécution —
Dessin radié — Demande accueillie — La requête en suspen
sion d'exécution a été présentée tardivement, la demanderesse
croyant à tort que l'appel entraînait la suspension d'exécution
— La demanderesse a agi avec célérité depuis la notification
de la radiation — Le retard est trop court pour que le
redressement demandé soit refusé — Il semble y avoir de plus
grands dangers d'erreurs pour le public si le dossier demeure
radié advenant le cas où l'appel serait accueilli — Les mots
«ou quelque autre redressement. de la Règle 1909 englobent le
sursis d'exécution du jugement jusqu'à la décision de l'appel,
même si le jugement a été exécuté — La demanderesse a
satisfait au fardeau de la preuve — Examen de la décision
Omark Industries, Inc. c. Sabre Saw Chain (1963) Limited,
/19771 2 C.F. 550; 32 C.P.R. (2d) 145 (C.F. l'° inst.) —
Examen des dommages respectifs des parties — Le produit de
la défenderesse ne constitue pas une contrefaçon du dessin
enregistré de la demanderesse et elle peut continuer à le
fabriquer et à le vendre — Aucun argument important n'a été
présenté quant à l'application de la Règle 341A — Règles de
la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 341A, 1909.
Compétence — Cour fédérale — Division de première ins
tance — Demande visant la suspension de l'exécution du
jugement après que le dessin a été radié du registre —
Distinction faite avec les arrêts Wilkinson Sword (Canada)
Limited v. Juda, Arthur (Continental Watch Import Co.),
/1967] I R.C.É. 421; 34 Fox Pat. C. 169 et The King v.
Consolidated Distilleries Ltd., /1931J R.C.É. 125 — Ces
causes visent la situation qui existait avant la création de la
Division d'appel de la Cour fédérale — Elles portent sur des
demandes de sursis d'exécution de jugements de la Cour de
l'Échiquier portés devant la Cour suprême du Canada et sur
des lois différentes — Loi sur les dessins industriels, S.R.C.
/970, chap. I-8, art. 21 — Loi sur les marques de commerce,
S.C. 1952-53, chap. 49, art. 56(1).
Dessins industriels — Demande visant la suspension de
l'exécution du jugement après que le dossier a été radié du
registre — Demande accueillie — La demanderesse a agi avec
célérité depuis la nofication de la radiation — Elle a satisfait
au fardeau de la preuve — Examen des dommages respectifs
des parties — Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970,
chap. I-8, art. 22.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Wilkinson Sword (Canada) Limited v. Juda, Arthur
(Continental Watch Import Co.), [1967] 1 R.C.É. 421; 34
Fox Pat. C. 169; The King v. Consolidated Distilleries
Ltd., [1931] R.C.É 125.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Occhipinti et al. and Discipline Committee of the
College of Pharmacy, [1970] 1 O.R. 741 (C.A.); Omark
Industries, Inc. c. Sabre Saw Chain (1963) Limited,
[1977] 2 C.F. 550; 32 C.P.R. (2d) 145 (1" inst.); Marke
ting International Ltd. c. S. C. Johnson and Son, Limi
ted, [1977] 2 C.F. 618; 35 C.P.R. (2d) 226 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Re Great Northern Capital Corporation Ltd. et al. and
City of Toronto et al. (1973), 1 O.R. (2d) 160 (H.C.).
AVOCATS:
Ronald E. Dimock pour la demanderesse.
G. A. Macklin, c.r. pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Toronto, pour la demanderesse.
Cowling & Henderson, Ottawa, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Il s'agit d'une requête visant à
surseoir à une partie du jugement de monsieur le
juge Mahoney rendu le 2 juin 1983 [1984] 1 C.F.
246 (l' ® inst.). La requête vise la partie du juge-
ment qui ordonne la radiation du dessin enregistré
de la demanderesse [ci-après parfois appelée
requérante].
La demanderesse a interjeté appel de cette
partie du jugement de monsieur le juge Mahoney
le 17 août 1983, mais elle n'a pas, à l'époque,
soumis de demande pour en suspendre l'exécution.
La demanderesse paraît avoir cru que l'inscription
de l'appel suffisait à suspendre l'exécution du juge-
ment. La demanderesse a par la suite reçu une
lettre du ministrère de la Consommation et des
Corporations, datée du 23 décembre 1983, l'avi-
sant que son dessin enregistré avait été rayé en
exécution du jugement du 2 juin 1983.
L'avocat de l'intimée [ci-après parfois appelée
défenderesse] a soutenu qu'un sursis d'exécution
ou une suspension ne devrait pas être accordé
maintenant parce que: (1) la Cour n'a pas la
compétence pour accueillir une telle requête; subsi-
diairement (2) la requérante ne peut demander
maintenant un sursis d'exécution alors qu'elle ne
l'a pas fait dans les six mois ni avant la radiation
du dessin par le registraire; et (3) de toute façon la
requérante n'a pas satisfait au fardeau de la
preuve qui lui est imposé.
À l'appui de sa première prétention, l'avocat
invoque la décision du juge Thurlow (maintenant
juge en chef) Wilkinson Sword (Canada) Limited
v. Juda, Arthur (Continental Watch Import Co.),
[1967] 1 R.C.E. 421; 34 Fox Pat. C. 169 dans
laquelle il a refusé d'accorder une ordonnance de
sursis d'exécution de la radiation de l'enregistre-
ment d'une marque de commerce.
On a soutenu que la décision Wilkinson signifie
que dans le cas d'une ordonnance de radiation, à
moins que la partie ne demande le sursis d'exécu-
tion avant que le jugement n'ait été rendu, la Cour
n'a pas compétence, en vertu de la Règle 1909
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663],
pour ordonner le sursis d'exécution. La compé-
tence de la Cour à cet égard, soutient-on, est
différente de sa compétence à l'égard des redresse-
ments en equity ou des indemnisations en espèces.
Après avoir lu soigneusement la décision Wil-
kinson (précitée) et la décision The King v. Con
solidated Distilleries Ltd., [1931] R.C.E. 125, à
laquelle elle renvoie, je suis d'avis que ces deux
décisions ne formulent pas une règle aussi géné-
rale. Elles visent la situation qui existait avant la
création de la Division d'appel de la Cour fédérale
et portent sur des demandes de sursis d'exécution
de jugements de la Cour de l'Échiquier portés
devant la Cour suprême du Canada. De plus,
l'affaire Wilkinson porte sur le paragraphe 56(1)
de la Loi sur les marques de commerce [S.C.
1952-53, chap. 49] qui accorde à la Cour le pou-
voir de rayer ou de modifier les inscriptions du
registre qui «n'exprime[nt] ou ne défini[ssent] pas
exactement les droits existants de la personne
paraissant être le propriétaire inscrit de la
marque». (C'est moi qui souligne.) Dans le cas
présent, la demande est faite en vertu de l'article
22 de la Loi sur les dessins industriels [S.R.C.
1970, chap. I-81 Cet article est rédigé de façon un
peu plus générale et permet à la Cour d'«ordonner
que l'inscription soit faite, rayée ou modifiée, ainsi
qu'elle le juge à propos. ..» (C'est moi qui sou-
ligne.) En conséquence, je suis d'avis que la déci-
sion Wilkinson n'empêche pas d'accorder le
redressement demandé.
Quant à l'argument selon lequel la requérante a,
pendant une période de plusieurs mois, souvent eu
l'occasion de présenter une requête en sursis d'exé-
cution, je ne crois pas que le retard en l'espèce
suffise pour refuser le redressement demandé. La
requérante paraît avoir agi en fonction de l'hypo-
thèse non fondée qu'il ne lui était pas nécessaire de
prendre des mesures pour maintenir le statu quo
jusqu'à la décision de l'appel. La première indica
tion que la requérante a eu qu'il n'en était pas
ainsi a été la lettre du 23 décembre 1983 qu'elle a
reçue du ministère de la Consommation et des
Corporations. Depuis ce moment, la requérante a
agi avec célérité pour trancher la question.
De même, je ne suis pas convaincue que le
public subirait une perte importante si l'enregistre-
ment de la demanderesse était rétabli. On a sou-
tenu que le public serait induit en erreur et que
ceux qui ont consulté le registre après la radiation
mentionnée à la lettre du 23 décembre et avant
toute ordonnance qui surseoirait au jugement du 2
juin 1983 pourraient être amenés à agir en fonc-
tion de faux renseignements. Il me semble y avoir
de plus grands dangers d'erreur pour le public, si le
dessin de la requérante demeure radié et si la
décision de monsieur le juge Mahoney est éven-
tuellement infirmée par la Cour d'appel fédérale.
On a aussi soutenu que, bien que la Cour ait eu
la compétence de surseoir au jugement avant que
le registraire n'ait effectivement radié l'enregistre-
ment du dessin, elle ne l'a plus maintenant. On a
soutenu que, vu que le jugement a été exécuté, une
ordonnance rendue en vertu de la Règle 1909
constituerait une modification du jugement et non
un sursis ou une suspension. A cet égard je signale
que, bien que l'avocat de la défenderesse ait invo-
qué la Règle 341A, l'avocat de la demanderesse
n'a présenté aucun argument important quant à
l'application de cette Règle.
La Règle 1909 dispose:
Règle 1909. Une partie contre laquelle a été rendu un jugement
ou une ordonnance peut demander à la Cour la suspension de
l'exécution du jugement ou de l'ordonnance ou quelque autre
redressement à l'encontre de ce jugement ou de cette ordon-
nance, et la Cour peut, par ordonnance, accorder le redresse-
ment qu'elle estime juste, aux conditions qu'elle estime justes.
[C'est moi qui souligne.]
Je n'ai pu trouver de jurisprudence portant
directement sur ce point, mais les mots «ou quel-
que autre redressement» me paraissent assez géné-
raux pour englober le redressement demandé en
l'espèce: le sursis d'exécution du jugement jusqu'à
la décision de l'appel et une ordonnance de rectifi
cation du registre des dessins industriels nunc pro
tunc. La décision de monsieur le juge Jessup de la
Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Re
Occhipinti et al. and Discipline Committee of the
College of Pharmacy, [ 1970] 1 O.R. 741 présente
un certain intérêt. Le savant juge a suspendu
l'exécution d'une ordonnance de radiation de l'en-
registrement de formules pharmaceutiques en
attendant la décision de l'appel contre le jugement
initial. Cela semble postérieur à la radiation puis-
que cette ordonnance est datée du ler novembre
1969 et que le jugement porte la date du 3 novem-
bre 1969. Naturellement, cette décision a été prise
en fonction de la Règle 506, de l'Ontario, [Rules
of Practice, R.R.O. 1960, Reg. 396] qui ne com-
porte pas les mots «ou quelque autre redressement»
qu'on trouve à la Règle 1909. Je souligne concer-
nant la décision de monsieur le juge Jessup que son
ordonnance a été rendue par mesure de précaution
puisqu'en Ontario le sursis d'exécution (sauf cer-
taines conditions et exceptions) a lieu automati-
quement dès qu'un appel est interjeté. Ce sursis
automatique d'exécution jusqu'à la décision de
l'appel est de règle dans plusieurs ressorts.
Je ne voudrais pas terminer sans mentionner
l'argument des avocats quant au fardeau de la
preuve. On a invoqué trois décisions: Omark
Industries, Inc. c. Sabre Saw Chain (1963) Limi
ted, [1977] 2 C.F. 550; 32 C.P.R. (2d) 145 (1"
inst.); Re Great Northern Capital Corporation
Ltd. et al. and City of Toronto et al. (1973), 1
O.R. (2d) 160 (H.C.); Marketing International
Ltd. c. S. C. Johnson and Son, Limited, [ 1977] 2
C.F. 618; 35 C.P.R. (2d) 226 (C.A.). On a parti-
culièrement insisté sur l'extrait suivant des motifs
de l'arrêt Omark, à la page 554 [C.F.]; à la page
147 [C.P.R.]:
Dans une demande de ce genre, le fardeau du demandeur est
plus lourd que celui d'une partie sollicitant une injonction
interlocutoire ...
Toutefois dans le cas d'une injonction interlocu-
toire, les dommages respectifs causés à chaque
partie est une considération importante. Ce facteur
a été examiné dans la décision Omark et dans les
décisions Great Northern Capital (précitée) et
Marketing International (précitée). Dans cette
dernière, le juge en chef Jackett dit au nom de la
Cour d'appel fédérale, à la page 621 C.F.; aux
pages 230-231 C.P.R.:
À notre avis, lorsqu'un jugement accorde une injonction,
celle-ci devrait à première vue demeurer en vigueur jusqu'à ce
que ledit jugement soit infirmé en appel.
Cependant, il y a des cas spéciaux où »l'intérêt de la justice»
exige que même une cour d'appel examine l'usage qu'un juge
de première instance a fait de son pouvoir discrétionnaire.
Lorsque la prépondérance du préjudice irréparable causé au
défendeur par le maintien de l'injonction pendant l'appel (dans
l'éventualité où le jugement serait infirmé en appel) sur le
préjudice irréparable éventuel causé au demandeur par le sursis
de l'injonction jusqu'au règlement de l'appel (si le jugement est
confirmé) est telle que l'intérêt de la justice exige le sursis de
l'injonction jusqu'au règlement de l'appel, la Cour doit utiliser
son pouvoir discrétionnaire à cette fin.
En l'espèce, la défenderesse ne subira presque
aucun dommage par suite du sursis d'exécution du
jugement. Le dessin industriel contesté a été enre-
gistré en février 1980, la demanderesse a par la
suite commencé à fabriquer et vendre les appareils
de cuisine auxquels le dessin se rapporte. Le 9
février 1983, la demanderesse a intenté à la défen-
deresse une action alléguant que celle-ci fabriquait
un produit qui constitue une contrefaçon du dessin
enregistré. Monsieur le juge Mahoney, dans son
jugement du 2 juin 1983 a conclu que le produit de
la défenderesse ne constitue pas une contrefaçon
du dessin enregistré de la demanderesse, que les
deux appareils ne se ressemblent pas du tout et
que, de plus, le dessin de la demanderesse n'est pas
susceptible d'enregistrement parce qu'il avait été
publié au Canada plus d'une année avant son
enregistrement. En conséquence la défenderesse
peut fabriquer et vendre le produit qui ne contre-
fait pas le dessin de la demanderesse, que l'enregis-
trement soit rétabli ou non jusqu'à la décision en
appel. De plus, comme je l'ai déjà signalé, la
situation du grand public est moins affectée si le
dessin est réinscrit. Dans ces circonstances, j'es-
time que la demanderesse a satisfait au fardeau de
la preuve.
En conséquence je suis d'avis de faire droit à la
requête de la demanderesse.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.