A-1624-83
Best Cleaners and Contractors Ltd. (appelante)
c.
La Reine du chef du Canada (intimée)
Cour d'appel, juges Pratte, Mahoney et Huges-
sen—Ottawa, 14, 15 et 27 mars 1985.
Preuve — Le greffier du Conseil privé a déposé, conformé-
ment à l'art. 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada, un
certificat par lequel il s'opposait à la divulgation de renseigne-
ments devant la Cour pour le motif qu'ils constituaient des
renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour
le Canada — La teneur des renseignements avait déjà été
révélée à l'interrogatoire au préalable — L'art. 36.3 protège de
la contrainte de divulguer les renseignements et non de leur
admission en preuve s'ils sont obtenus autrement — Le fait de
préserver la confidentialité uniquement vis-à-vis de la Cour
sous-entendrait l'intention du Parlement d'autoriser le dépôt
d'un certificat en vue de faire obstruction à la justice et ce,
sans aucun motif légitime apparent — Loi sur la preuve au
Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.3 (édicté par S.C.
1980-81-82-83, chap. 111, art. 4) — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 41 (abrogé, idem, art. 3).
Couronne — Contrats — Appels d'offres — Appel d'offres
au sujet d'un contrat d'une durée de deux ans qui pourrait être
prolongé d'une durée additionnelle de deux ans — Après
l'ouverture des soumissions, un fonctionnaire a téléphoné à
l'un des soumissionnaires afin de lui proposer un contrat de
quatre ans — La recommandation d'accorder un contrat pour
une période de quatre années n'a pas été suivie mais le
soumissionnaire contacté a obtenu un contrat d'une durée de
deux années — La question qui se pose est de savoir si le
contrat constituait un simulacre, s'il s'agissait d'un contrat de
deux ans au plan de la forme mais de quatre ans quant au
fond — Le juge de première instance a commis une erreur en
accueillant la requête en non-lieu étant donné l'existence
d'éléments de preuve tendant à établir que le contrat de deux
ans n'était que de la frime — L'intérêt de la justice commande
la tenue d'un nouveau procès — Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663, Règle 339.
L'appelante a présenté, sans succès, une soumission en vue
d'obtenir un contrat pour l'exploitation et l'entretien de l'aéro-
port de Frobisher Bay. Il s'agissait d'un contrat d'une durée de
deux ans qui pourrait être prolongé pour une période addition-
nelle de deux ans au prix indiqué dans la soumission. Après
réception des offres, un fonctionnaire du ministère des Trans
ports a communiqué avec Tower Arctic Limited, l'autre sou-
missionnaire, afin de lui proposer un contrat d'une durée de
quatre ans, que Tower a accepté. Le Ministère a recommandé
au Conseil du Trésor qu'un contrat de quatre ans soit conclu
mais sa recommandation n'a pas été acceptée et un contrat de
deux ans seulement avec Tower a été autorisé même si l'offre
de l'appelante pour les deux premières années était plus basse.
Les documents de soumission prévoyaient toutefois que ni la
soumission la plus basse ni aucune des soumissions ne seraient
nécessairement acceptées.
La veille du début de l'instruction de l'action en dommages-
intérêts intentée contre la Couronne, le greffier du Conseil
privé a déposé, conformément au paragraphe 36.3(1) de la Loi
sur la preuve au Canada, un certificat dans lequel il s'opposait
à la divulgation de certains renseignements déjà révélés à
l'interrogatoire au préalable pour le motif qu'ils constituaient
des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine
pour le Canada. Par suite de quoi, le juge de première instance
a exclu tous ces renseignements qu'on prétendait confidentiels
et a, par conséquent, rejeté l'action sur une requête en
«non-lieu».
Appel est formé contre cette décision.
Arrêt (le juge Pratte dissident): l'appel devrait être accueilli.
Le juge Mahoney (avec l'appui du juge Hugessen): Dans
l'arrêt Ron Engineering, la Cour suprême du Canada a défini la
relation entre le propriétaire et un soumissionnaire dans le
cadre d'un contrat d'entreprise. Deux contrats sont en cause: le
contrat A qui prend naissance dès la présentation de la soumis-
sion et le contrat B qui constitue le contrat d'entreprise. En
l'espèce, c'est le contrat A qui nous intéresse, contrat en vertu
duquel l'intimée avait l'obligation de n'accorder un contrat
qu'en conformité avec les modalités de l'appel d'offres. La
stipulation suivant laquelle le Ministère n'acceptera pas néces-
sairement ni la plus basse ni aucune des soumissions ne vient
pas changer cet état de chose. La question qui se pose est celle
de savoir si le contrat était un simulacre, s'il s'agissait d'un
contrat de deux ans au plan de la forme mais de quatre ans
quant au fond.
Afin de répondre à la question de savoir si le juge de
première instance pouvait à juste titre accorder un non-lieu, il
faut d'abord examiner les éléments de preuve et la recevabilité
des renseignements exclus par le juge de première instance par
suite du dépôt du certificat. Il est clair que la teneur des
renseignements avait déjà été révélée à l'interrogatoire au
préalable et ce, sans qu'aucune objection ne soit formulée.
L'article 36.3 protège de la contrainte de divulguer ces rensei-
gnements et non de leur admission en preuve s'ils sont obtenus
autrement que par une ordonnance du tribunal. En l'espèce,
tous ceux qui possèdent un intérêt légitime dans ces renseigne-
ments les ont en mains sauf la Cour. Le fait de préserver la
confidentialité de ces renseignements uniquement vis-à-vis de la
Cour dans un tel cas sous-entend l'intention du Parlement
d'autoriser le dépôt d'un certificat en vue de faire obstruction à
l'administration de la justice et ce, sans aucun motif légitime
apparent. Le certificat ne fait pas obstacle à la recevabilité en
preuve des documents et des renseignements en cause.
Il y avait donc des éléments de preuve tendant à établir que
le contrat de deux ans conclu avec Tower n'était que de la
frime. Le juge de première instance a fait erreur en concluant
que les plaidoiries écrites empêchaient d'avancer un tel argu
ment. Il s'ensuit qu'il a fait erreur en accueillant la requête en
non-lieu. Comme le lui permet la pratique suivie dans la
jurisprudence, la Cour estime que l'intérêt de la justice com-
mande en l'espèce la tenue d'un nouveau procès.
Le juge Pratte (dissident): Il faut établir une distinction avec
l'arrêt Ron Engineering parce que dans cette affaire, la Cour
suprême devait examiner des droits et obligations clairement
stipulés dans les documents de soumission alors que, en l'es-
pèce, les conditions interdisant à la Couronne d'entamer des
négociations avec les soumissionnaires et de modifier les condi
tions du contrat envisagé ne sont qu'implicites. Elles découlent
de l'obligation de traiter équitablement et également tous les
soumissionnaires.
On n'a pas allégué qu'il s'agissait d'une transaction simulée
ni présenté d'éléments de preuve à cet effet. Il n'y a pas eu de
négociations «illégales», mais seulement une demande présentée
à Tower en vue de savoir si elle accepterait un contrat de quatre
ans et la réponse affirmative de cette dernière.
En ce qui concerne la décision du juge de première instance
d'exclure les renseignements sur la foi du certificat, la Cour
estime que, de toute façon, cette preuve ne pouvait aider
l'appelante. Une recommandation qui n'est pas suivie n'est pas
pertinente. Les documents qui précèdent une décision juste et
conforme à la loi ne sont pas, non plus, pertinents. Une fois
prise la décision de conclure un contrat de deux ans, on ne peut
imaginer en quoi la prétendue irrégularité pourrait causer
préjudice aux intérêts de l'appelante.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. du chef de l'Ontario et autre c. Ron Engineering &
Construction (Eastern) Ltd., [1981] I R.C.S. 1 I 1; 119
D.L.R. (3d) 267; McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F.
352 (C.A.); Hayhurst v. /nnisfiil Motors Ltd., [1935] I
W.W.R. 385 (C.A. Alb.).
DECISIONS CITÉES:
Active Construction Ltd. v. Routledge Gravel Ltd.
(1959), 27 W.W.R. 287 (C.A.C.-B.); McKenzie et al. v.
Bergin et al., [1937] O.W.N. 200 (C.A.).
AVOCATS:
Michael A. Kelen pour l'appelante.
M. F. Ciavaglia pour l'intimée.
PROCUREURS:
Michael A. Kelen, Ottawa, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Appel est interjeté
en l'espèce d'un jugement de la Division de pre-
mière instance [jugement en date du 25 octobre
1983, T-4417-81, non publié] ayant rejeté avec
dépens l'action en dommages-intérêts intentée par
l'appelante contre Sa Majesté.
Au début de mai 1981, le ministère des Trans
ports a publié un appel d'offres portant sur un
contrat d'exploitation et d'entretien de l'aéroport
de Frobisher Bay dans les Territoires du Nord-
Ouest. Cet appel d'offres renvoyait aux documents
de soumission qui précisaient, entre autres choses,
que le contrat envisagé était d'une durée de deux
ans, mais que les soumissionnaires devaient indi-
quer dans leur offre, en plus de leur prix pour cette
période de deux ans, leur prix pour une période
supplémentaire de deux années. En fait, conformé-
ment aux documents de soumission, le contrat de
deux ans envisagé était susceptible d'être prolongé
pendant une période supplémentaire de deux
années sans autre appel d'offres si, quatre mois
avant la fin de la période initiale de deux ans, les
parties convenaient de le prolonger aux conditions
mentionnées par l'entrepreneur dans sa soumis-
sion. Les documents de soumission stipulaient éga-
lement que Sa Majesté n'était pas tenue d'accepter
aucune soumission.
Le Ministère n'a reçu que deux soumissions.
L'une de l'appelante et l'autre de Tower Arctic
Limited (Tower). L'offre de l'appelante pour la
période initiale de deux ans se chiffrait à
948 000 $, approximativement 4 500 $ de moins
que celle de Tower's (952 538 $); par contre son
prix pour la période de prolongation (1 241 890 $)
dépassait celui de Tower's (1 180 000 $) de plus de
60 000 $.
Après l'ouverture des soumissions, un fonction-
naire du ministère des Transports a téléphoné au
président de Tower et lui a demandé si sa compa-
gnie accepterait de conclure un contrat de quatre
ans aux conditions mentionnées dans la soumis-
sion. Ce dernier a accepté et a par la suite con
firmé par écrit sa décision dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Concernant le projet susmentionné, il nous
fait plaisir par les présentes de vous confirmer que nous sommes
disposés à conclure un contrat d'une durée de quatre années,
commençant le ler octobre 1981 pour se terminer le 30 septem-
bre 1985, et nous vous confirmons également que le prix
indiqué dans notre soumission restera inchangé.
Nous comprenons que l'attribution d'un tel contrat est
sujette à l'approbation du Conseil du Trésor.
Le Ministère a ensuite recommandé au Conseil du
Trésor d'accorder le contrat à Tower pour une
période de quatre années. L'appelante a eu vent de
cette recommandation et son avocat a écrit au
Ministère qui, à son avis, n'avait aucunement le
droit de négocier avec l'un des soumissionnaires
une modification aux modalités du contrat envi-
sagé. Voici certains passages de la réponse qu'on
lui fit parvenir:
[TRADUCTION] Les documents de soumission concernant ce
travail prévoyaient que les soumissionnaires devaient soumettre
des prix fermes relativement à l'exécution du travail précisé
pour la période déterminée de deux ans et pour la prolongation
facultative de deux années, la décision de se prévaloir des deux
années facultatives supplémentaires devant faire l'objet d'une
entente mutuelle entre les parties.
Il est clairement ressorti de l'examen des soumissions présen-
tées que l'offre de Tower Arctic Limited était avantageuse sur
le plan financier si la compagnie acceptait de se prévaloir de la
période facultative au moment de l'attribution du contrat, ce
dernier étant alors conclu pour la période de quatre années dans
son ensemble. Le refus de la compagnie d'accepter de se
prévaloir sur le champ de la période de prolongation ferait en
sorte que l'offre de Best Cleaners and Contractors Limited
serait la plus avantageuse sur le plan financier.
Tower Arctic Limited nous a confirmé qu'elle acceptait de voir
prolonger à quatre années la durée du contrat ...
Il apparaît très clairement qu'il ne s'est tenu aucune négocia-
tion quant au prix ou à la durée de cette offre et le Ministère ne
voit aucune irrégularité dans le fait d'avoir recommandé l'ac-
ceptation de cette offre au motif qu'elle était la plus basse.
La recommandation d'accorder le contrat pour
une période de quatre années n'a pas été suivie.
Après avoir reçu un avis juridique, le Conseil du
Trésor a approuvé l'attribution du contrat à Tower
pour une période de deux ans comme le pré-
voyaient les documents de soumission. Au même
moment, au dire du président de l'appelante, le
Conseil du Trésor a approuvé la prolongation éven-
tuelle de ce contrat pour la période supplémentaire
de deux années.
L'appelante a intenté son action contre Sa
Majesté avant l'attribution du contrat, à un
moment où elle avait des motifs de croire que
Tower se verrait accorder le contrat pour une
période de quatre années. La déclaration fut par la
suite modifiée pour tenir compte de la décision du
Conseil du Trésor. La plus récente version de la
déclaration allègue essentiellement les faits que je
viens tout juste de relater; qu'il suffise d'en citer
les trois derniers paragraphes:
[TRADUCTION] 9. Après le début de la présente action, le
Conseil du Trésor a été informé par son conseiller juridique que
la recommandation du ministère des Transports d'accorder le
contrat à Tower pour une période de quatre ans était illégale.
En conséquence, la défenderesse a accordé le contrat à Tower
Arctic Limited pour une période de deux ans.
10. La décision d'accorder le contrat à Tower Arctic Limited
pour une période de deux ans a été prise de mauvaise foi en ce
que les agents de la défenderesse ont choisi la soumission de
Tower Arctic Limited non pas en tenant compte des mérites
relatifs des soumissions ou des aptitudes relatives de la deman-
deresse et de Tower Arctic Limited à exécuter le travail prévu
au contrat, mais plutôt au terme de négociations «illégales» avec
Tower Arctic Limited relativement au prix de la période de
prolongation de deux ans.
11. La demanderesse réclame donc de la défenderesse:
a) des dommages-intérêts;
b) un jugement déclaratoire portant que le contrat a été
accordé à Tower Arctic Limited sur la foi de facteurs
inappropriés;
c) les dépens de la présente action; et,
d) tout autre redressement que cette Cour jugera
approprié.
L'action a été instruite à Frobisher Bay à la fin
de septembre 1983, environ un an après que l'avo-
cat de l'appelante eut interrogé au préalable un
représentant de la Couronne et obtenu de ce der-
nier des documents et des renseignements se rap-
portant à la décision du Conseil du Trésor et à la
recommandation formulée par le ministre des
Transports, M. Jean-Luc Pépin. À la veille du
procès, le greffier du Conseil privé a déposé au
greffe de la Cour à Ottawa, conformément à l'arti-
cle 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C.
1970, chap. E-10 (édicté par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 111, art. 4)], un certificat dans lequel:
a) il attestait qu'«une soumission en date du 21
juillet 1981 présentée par Jean-Luc Pépin
aux ministres du Conseil du Trésor de
même qu'un résumé du Conseil du Trésor
daté du 14 septembre 1981 et préparé par
les fonctionnaires de ce ministère pour fins
d'examen par les ministres du Conseil du
Trésor,» étaient des documents renfermant
«des renseignements constituant des rensei-
gnements confidentiels du Conseil privé de
la Reine pour le Canada»; et
b) il s'est opposé à la divulgation de ces «docu-
ments et des renseignements qu'ils renfer-
ment.»
À la suite du dépôt de ce certificat, le juge de
première instance a empêché l'avocat de l'appe-
lante d'introduire en preuve des renseignements et
documents qui lui avaient été fournis volontaire-
ment durant l'interrogatoire au préalable. Il a
néanmoins établi les faits que j'ai résumés; il a
également fait la preuve que l'aptitude de l'appe-
lante à exécuter le contrat n'avait jamais été mise
en doute. Dès que l'avocat de l'appelante eut clos
sa preuve, l'avocat de Sa Majesté a choisi de ne
pas produire de preuve et a présenté une requête
en «non-lieu». Le juge de première instance a
accueilli cette requête et rejeté l'action avec
dépens.
En premier lieu, l'avocat de l'appelante a allégué
qu'eu égard à la preuve produite au procès, le juge
de première instance aurait dû rejeter la requête
en «non-lieu» et prononcer jugement en faveur de
l'appelante. En second lieu et de façon subsidiaire,
il a soutenu qu'à tout événement, la tenue d'un
nouveau procès devrait être ordonnée puisque le
juge de première instance avait, à la suite de la
production du certificat du greffier du Conseil
privé, erronément exclu des éléments de preuve qui
auraient dû être pris en considération. L'avocat
soulève donc deux questions: l'appelante a-t-elle
fait la preuve de ses prétentions au procès et, si elle
ne l'a pas fait, a-t-elle été empêchée de le faire par
l'exclusion d'éléments de preuve qui auraient dû
être reçus?
Avant de répondre à ces questions, il est néces-
saire de déterminer quel est le fondement juridique
de l'action de l'appelante. Cette action, au dire de
l'avocat de l'appelante, se fonde sur le jugement de
la Cour suprême du Canada dans R. du chef de
l'Ontario et autre c. Ron Engineering & Construc
tion (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; 119
D.L.R. (3d) 267. Il a déclaré que la Cour suprême
avait décidé dans cette affaire que dès qu'une offre
a été reçue à la suite d'un appel d'offres par un
propriétaire, il se forme alors entre le propriétaire
et le soumissionnaire un contrat unilatéral en vertu
duquel le propriétaire a l'obligation de n'accorder
d'autre contrat que celui décrit dans les documents
de soumission et d'accorder ce contrat sur la foi
seulement des renseignements contenus dans les
soumissions sans mener de négociations avec un
entrepreneur ou un autre. Il s'agit là, à mon avis,
d'une interprétation erronée de la décision de la
Cour suprême. Cette décision a été rendue dans un
cas où un entrepreneur avait présenté, à l'occasion
d'un appel d'offres, une soumission à laquelle il
avait joint, comme l'exigeait la propriétaire, un
dépôt de 150 000 $. La condition de l'appel d'of-
fres qui exigeait le dépôt précisait également les
circonstances dans lesquelles l'entrepreneur pou-
vait le récupérer. Après s'être aperçu qu'il avait,
par erreur, indiqué dans sa soumission un prix
beaucoup trop bas, l'entrepreneur a retiré son offre
et pris action contre le propriétaire afin de récupé-
rer son dépôt. Eu égard à la condition de l'appel
d'offres, les circonstances n'étaient pas telles qu'el-
les autorisaient l'entrepreneur à récupérer son
dépôt. La Cour d'appel d'Ontario s'est néanmoins
prononcée en faveur de ce dernier au motif que,
comme il avait fait erreur en fixant le montant de
sa soumission, celle-ci ne pouvait être acceptée
pour former un contrat valide; comme aucun con-
trat n'avait été conclu entre les parties, rien n'em-
pêchait la remise du dépôt. La Cour suprême a
infirmé ce jugement. Elle a conclu que le droit de
l'entrepreneur de récupérer le dépôt découlait d'un
contrat unilatéral ayant pris naissance automati-
quement au moment de la présentation de la sou-
mission. Ce contrat unilatéral, qui précisait ex-
pressément les circonstances dans lesquelles l'en-
trepreneur avait droit de récupérer son dépôt, se
distinguait du contrat d'entreprise pour lequel les
soumissions avaient été demandées et pouvaient
donc prendre naissance même si l'entrepreneur
avait commis une erreur empêchant la formation
de ce contrat d'entreprise.
Dans l'affaire Ron Engineering, la Cour
suprême devait examiner des droits et obligations
clairement stipulés dans les documents de soumis-
sion. En l'espèce, la situation est différente. Les
documents de soumission ne renfermaient aucune
disposition interdisant expressément à la Couronne
d'entamer des négociations avec les soumissionnai-
res et de modifier les conditions du contrat envi-
sagé. Si ces gestes étaient néanmoins interdits à la
Couronne, cette interdiction ne pouvait provenir
que de quelques conditions implicites du contrat
unilatéral résultant de la présentation de la sou-
mission. Ces conditions implicites n'ont pas fait
l'objet de la décision de la Cour suprême. Je suis
néanmoins d'avis qu'elles existent bel et bien. Tou-
tefois, je ne les décrirais pas de la même façon que
l'avocat de l'appelante. Selon moi, elles ne font
qu'imposer au propriétaire qui présente un appel
d'offres l'obligation de traiter équitablement tous
les soumissionnaires et de n'accorder à aucun d'en-
tre eux un avantage indu sur les autres.
Suivant le premier argument présenté au nom
de l'appelante, le juge de première instance aurait
dû, à la lumière de la preuve portée à sa connais-
sance, rendre jugement en faveur de cette dernière.
Cet argument ne m'apparaît aucunement fondé. À
mon avis, rien dans la preuve n'aurait pu justifier
un jugement en faveur de l'appelante. Comme on
l'allègue dans la déclaration et comme la preuve
l'a démontré, le contrat avait été accordé pour une
période de deux ans. On n'a pas allégué qu'il
s'agissait d'une transaction simulée ni présenté
d'éléments de preuve à cet effet. À cet égard, le
fait que l'offre de Tower portant sur un contrat de
quatre années n'ait pas été refusée de façon
expresse par la Couronne n'a aucune importance
puisque cette offre a été implicitement rejetée
lorsque la Couronne a conclu un contrat de deux
ans. Au surplus, contrairement aux prétentions de
l'avocat de l'appelante, le paragraphe 10 de la
déclaration ne renferme pas d'allégation de simu-
lacre. On y allègue tout simplement que la décision
d'accorder le contrat de deux ans à Tower reposait
sur un facteur inapproprié et qu'elle a été prise sur
la foi de quelque chose qui a transpiré des négocia-
tions «illégales» avec Tower. Cette allégation perd
tout son sens lorsqu'on s'aperçoit, à la lumière de
la preuve, que ces négociations illégales n'étaient
rien de plus qu'une demande présentée à Tower
(en vue de savoir si elle accepterait un contrat de
quatre ans) et la réponse affirmative de cette
dernière.
Subsidiairement, l'appelante a prétendu qu'à
tout événement, le jugement attaqué doit être
écarté au motif que le juge de première instance a
fait erreur en excluant les éléments de preuve se
rapportant aux documents mentionnés dans le cer-
tificat produit par le greffier du Conseil privé. Je
rejetterais également cet argument.
Je suis prêt à supposer, pour les fins de la
discussion, que la décision du juge de première
instance d'exclure, sur la foi du certificat, la
preuve documentaire et autre était erronée. À mon
avis, cette preuve ne pouvait aider l'appelante. Elle
se rapportait aux deux documents mentionnés dans
le certificat. Je ne vois pas en quoi la recommanda-
tion du ministre des Transports aurait pu être
pertinente puisqu'il est établi qu'elle n'a pas été
suivie. Pour ce qui est du document préparé par les
fonctionnaires du Conseil du Trésor, selon moi, il
est également dénué de pertinence car ce qui
compte, c'est la décision qu'a effectivement prise le
Conseil du Trésor et qui, il est bien établi, a été
d'approuver l'attribution d'un contrat de deux ans
à Tower.
À mon avis, le présent appel ne peut être
accueilli et ce, pour un motif qui peut se résumer
en peu de mots. La seule irrégularité présumément
commise par l'intimée fut d'obtenir de Tower, à
l'insu de l'appelante, une offre portant sur un
contrat de quatre ans. Toutefois, l'intimée n'a pas
accepté cette offre, mais a plutôt choisi de con-
clure un contrat de deux ans. Une fois cette déci-
sion prise, on ne peut imaginer en quoi la préten-
due irrégularité pourrait causer préjudice aux
intérêts de l'appelante.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHÔNEY: Appel est interjeté en l'es-
pèce d'une décision de la Division de première
instance ayant rejeté avec dépens l'action de l'ap-
pelante sur une requête en «non-lieu» entendue
sous réserve que l'intimée ne présente pas de
preuve. L'appelante avait présenté, sans succès,
une soumission en vue d'obtenir un contrat intitulé
«Exploitation et entretien de l'aéroport de Frobi-
sher Bay, Frobisher Bay, Territoires du Nord-
Ouest». Certains documents avaient été produits
par l'intimée lors de l'interrogatoire au préalable
de son représentant désigné et on avait répondu à
certaines questions à leur sujet, le tout sans qu'au-
cune objection ne soit formulée ou prise en réserve.
L'instruction a débuté à Frobisher Bay à 10 h le
28 septembre 1983. Le 27 septembre, à 17 h, le
greffier du Conseil privé a déposé au greffe de la
Cour à Ottawa, conformément au paragraphe
36.3(1) de la Loi sur la preuve au Canada, un
certificat concernant les renseignements divulgués
à l'interrogatoire au préalable. A la suite de ce
geste, le savant juge de première instance a refusé
d'admettre en preuve certains documents ainsi que
les questions et réponses de l'interrogatoire au
préalable les concernant.
L'appelante soutient que le savant juge de pre-
mière instance a fait erreur en rejetant son action
et qu'à la lumière de la preuve, la requête en
non-lieu aurait dû être rejetée et jugement aurait
dû être prononcé en sa faveur. Subsidiairement,
elle prétend qu'il a fait erreur lorsqu'il a écarté, en
s'appuyant sur le certificat, l'ensemble ou, subsi-
diairement, une partie de la preuve qu'elle a sou-
mise. En dernier lieu, elle soutient qu'il a fait
erreur dans l'évaluation des dommages-intérêts.
Les passages pertinents des documents de sou-
mission prévoyaient:
2.2 DURÉE DU CONTRAT
Le contrat concernant l'exploitation et l'entretien de l'aé-
roport de Frobisher Bay, Frobisher Bay, T.N.-O., sera
d'une durée de deux (2) ans commençant à 00:01 heure le
1°' août 1981.
Toutefois, le Ministère se réserve le droit de prolonger le
contrat d'une durée additionnelle de deux (2) années sous
réserve des conditions suivantes:
1) Que l'entente de prolongation soit convenue mutuelle-
ment et dûment exécutée entre les deux parties, quatre
(4) mois avant la date d'expiration originale du contrat.
2) Que les termes et conditions du contrat original demeu-
rent inchangés.
(1) PROLONGATION DU CONTRAT
Le contrat pour l'exploitation et l'entretien de l'aéroport de
Frobisher Bay, Territoires du Nord-Ouest, sera d'une
durée de deux (2) années commençant le 1" août 1981.
Cependant, le Ministère se réserve le droit de prolonger le
contrat pour une durée additionnelle de deux (2) années.
Une telle prolongation se fera seulement après entente
mutuelle entre l'Entrepreneur et le Ministère, conformé-
ment aux conditions stipulées à l'article 2.2 du devis
ci-joint. Dans l'éventualité d'une prolongation, les soumis-
sionnaires doivent insérer leurs prix de soumission pour les
deux (2) années supplémentaires aux pages 5A à 5F.
Advenant que le Ministère et l'Entrepreneur en viennent à
une entente relativement à la prolongation du contrat pour
les années 1983-84 et 1984-85, les prix indiqués aux pages
5A à 5F serviront à établir la modification officielle au
contrat et seulement ces prix serviront.
De plus, tous les autres termes et conditions du contrat
original demeureront inchangés et en vigueur pendant la
durée de toute prolongation au contrat, s'il en est.
Était également stipulé que:
Le ministère n'acceptera pas nécessairement ni la plus
basse ni aucune des soumissions.
Deux soumissionnaires présentèrent des offres,
l'appelante et Tower Arctic Limited, l'entrepre-
neur titulaire du contrat, désignée ci-après
«Tower». Voici quelles étaient leurs offres:
Appelante Tower
Durée du contrat 948 600$ 952 538$
Période de prolongation 1 241 890$ 1 180 000$
Total 2 190 490$ 2 132 538$
Après réception des offres, le ministre des Trans
ports a, au terme de négociations avec Tower,
obtenu l'engagement suivant, signé par le président
de Tower:
[TRADUCTION] ... il nous fait plaisir par les présentes de vous
confirmer que nous sommes disposés à conclure un contrat
d'une durée de quatre années, commençant le I" octobre 1981
pour se terminer le 30 septembre 1985, et nous vous confirmons
également que le prix indiqué dans notre soumission restera
inchangé.
Nous comprenons que l'attribution d'un tel contrat est
sujette à l'approbation du Conseil du Trésor.
Le Ministre a recommandé au Conseil du Trésor
qu'un contrat de quatre ans soit conclu avec
Tower. Dans les faits, le Conseil du Trésor n'a
autorisé qu'un contrat de deux ans avec Tower.
L'engagement pris par Tower relativement à la
période de prolongation n'a jamais été retiré. Le
Ministre a reconnu que si Tower n'avait pas
accepté de signer pour l'ensemble des quatre
années au prix prévu dans sa soumission, c'est
l'offre de l'appelante qui se serait avérée [TRADUC-
TION] «la plus avantageuse sur le plan financier».
L'aptitude de l'appelante à exécuter le contrat
semble n'avoir jamais été mise en doute, conclu
sion à laquelle est arrivé le juge de première
instance. Il semble qu'à la date du procès, le
contrat initial de deux ans n'avait pas pris fin et
qu'aucun appel d'offres concernant un contrat
éventuel n'avait été publié. L'avocat de l'appelante
a déclaré, durant sa plaidoirie devant cette Cour,
que dans les faits, Tower exécute présentement les
services faisant l'objet du marché. Les seuls élé-
ments de preuve concernant ce qui permet à Tower
d'exécuter ainsi le travail sont ressortis lors du
contre-interrogatoire du président de l'appelante
par l'avocat de l'intimée et le savant juge de
première instance.
[TRADUCTION] PAR M. CIAVAGLIA:
Q. ... que vous a dit Transport à l'égard de la décision du
Conseil du Trésor?
LA COUR: Pourriez-vous répondre à cette question?
LE TÉMOIN: Oui.
LA COUR: Que vous a-t-on dit?
LE TÉMOIN: On m'a dit que le Conseil du Trésor n'avait pas
accepté la recommandation de ne pas accorder le contrat à
Tower Arctic pour quatre années. Toutefois, dans leur sagesse,
ils ont décidé d'autoriser un contrat de deux ans et mis de côté
des fonds pour les deux années suivantes en tenant compte des
prix mentionnés par Tower pour la période subséquente de deux
ans et autorisé le ministère des Transports à négocier une
prolongation supplémentaire grâce aux fonds alors disponibles,
au moment opportun et si cela s'avérait avantageux.
LA COUR: On vous a dit que le Conseil du Trésor avait
informé Transport qu'il n'accorderait pas le contrat ...
LE TÉMOIN: Pour quatre années.
LA COUR: ... au titulaire actuel pour une période de quatre
années.
LE TÉMOIN: Pour quatre années.
LA COUR: Mais qu'au lieu de cela ..
LE TÉMOIN: On a dit, «Nous accorderons—nous donnerons le
contrat au titulaire pour deux ans.»
LA COUR: Oui.
LE TÉMOIN: ... et ensuite ils ont immédiatement mis de
côté des fonds équivalents au montant prévu dans l'offre de
Tower pour les troisième et quatrième années ...
LA COUR: Oui.
LE TÉMOIN: ... et autorisé Transport à soit—dans leur
sagesse, négocier alors la confirmation de l'option et conclure
un second contrat de deux ans, soit, si cela ne se concrétisait
pas, ordonner à Transport de présenter un nouvel appel
d'offres.
On a ensuite montré au témoin un document,
apparemment produit par l'intimée à l'interroga-
toire au préalable, et d'où, comme l'indique la
transcription, ce dernier tirait ses renseignements.
Les avocats étaient prêts à faire coter cette pièce
sur le champ, mais le juge a refusé étant donné
l'engagement de l'intimée d'assigner un témoin qui
serait en mesure de l'identifier adéquatement.
Comme la requête en non-lieu a été accueillie, ce
témoin n'a jamais été assigné et le document n'est
pas au dossier.
Le savant juge de première instance n'a tiré
aucune conclusion quant à la crédibilité. Il ne s'est
pas prononcé de façon expresse sur le poids à
accorder à l'élément de preuve susmentionné.
Dans sa seconde déclaration amendée, l'appe-
lante a plaidé:
9. Après le début de la présente action, le Conseil du Trésor a
été informé par son conseiller juridique que la recommandation
du ministère des Transports d'accorder le contrat à Tower pour
une période de quatre ans était illégale. En conséquence, la
défenderesse a accordé le contrat à Tower Arctic Limited pour
une période de deux ans.
10. La décision d'accorder le contrat à Tower Arctic Limited
pour une période de deux ans a été prise de mauvaise foi en ce
que les agents de la défenderesse ont choisi la soumission de
Tower Arctic Limited non pas en tenant compte des mérites
relatifs des soumission ou des aptitudes relatives de la deman-
deresse et de Tower Arctic Limited à exécuter le travail prévu
au contrat, mais plutôt au terme de négociations «illégales» avec
Tower Arctic Limited relativement au prix de la période de
prolongation de deux ans.
Après avoir cité le paragraphe 9 susmentionné
mais non le paragraphe 10, le savant juge de
première instance a déclaré:
En réponse à cet argument, la défenderesse a allégué au
paragraphe 8:
[TRADUCTION] 8. En réponse au paragraphe 9 de la seconde
déclaration amendée, elle déclare que Transports Canada et
le Conseil du Trésor ont été avisés du fait que le contrat
devait être accordé uniquement pour la période initiale de
deux ans afin de respecter les conditions des documents de la
soumission et du cahier des charges.
Cet allégué de la demanderesse auquel a acquiescé la défen-
deresse empêche désormais l'une et l'autre des parties de
soutenir autre chose. Il s'ensuit que le Conseil du Trésor n'a
jamais agi sur la foi de quelque recommandation contraire à ces
conditions. Si le comité composé de Lanthier, Imbeault et St.
Pierre a manqué à quelque obligation envers la demanderesse
en demandant à Tower si elle s'engagerait à s'en tenir aux
chiffres avancés dans sa soumission pour la troisième et la
quatrième année, il s'est agi là d'un facteur qui n'a causé aucun
préjudice à la demanderesse puisque le Conseil du Trésor a
refusé d'en tenir compte et n'a accordé le contrat à Tower que
pour deux ans.
Respectueusement, le juge de première instance a
examiné la prétention de l'appelante suivant
laquelle un contrat de deux ans fut accordé en
faisant totalement abstraction de son contexte:
l'allégation de mauvaise foi. Il s'agit là d'une
allégation dont il n'a tout simplement pas traité.
Dans R. du chef de l'Ontario et autre c. Ron
Engineering & Construction (Eastern) Ltd.,
[1981] 1 R.C.S. 111; 119 D.L.R. (3d) 267, la
Cour suprême du Canada a examiné la relation
entre le propriétaire et un soumissionnaire dans le
cadre d'un contrat d'entreprise. Je ne vois aucune
distinction découlant de l'objet du contrat en litige
en l'espèce. Le juge Estey, parlant pour la Cour, a
fait état, aux pages 121 et 122 R.C.S.; 274 D.L.R.,
du «contrat A (celui qui prend naissance dès la
présentation de la soumission)» et du «contrat B (le
contrat d'entreprise dont la formule fait partie des
pièces de l'appel d'offres)». En l'espèce, tout
comme dans cette décision, c'est le contrat A qui
nous intéresse. En vertu du contrat A, l'intimée
avait l'obligation de n'accorder un contrat qu'en
conformité des modalités de l'appel d'offres. La
stipulation suivant laquelle le Ministère n'accep-
tera pas nécessairement ni la plus basse ni aucune
des soumissions ne vient pas changer cet état de
chose. L'intimée pouvait n'accorder aucun contrat
du tout ou encore accorder le contrat B à Tower,
mais elle avait une obligation contractuelle envers
l'appelante, soit celle de ne pas accorder autre
chose à Tower que le contrat B.
La preuve établit clairement que le ministre des
Transports a, sur l'avis de ses fonctionnaires,
recommandé au Conseil du Trésor que l'intimée
contrevienne au contrat A en accordant à Tower
un contrat de quatre ans. Les plaidoiries écrites
ont établi que, dans les faits, un contrat de deux
ans avait été conclu. La question qui se pose est
celle de savoir si le contrat de deux ans a été
conclu de bonne foi, c'est-à-dire: s'agissait-il d'un
simulacre, s'agissait-il d'un contrat de deux ans au
plan de la forme mais de quatre ans quant au fond.
L'article 36.3 de la Loi sur la preuve au
Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, modifié par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4, Annexe Ill,
porte:
36.3 (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le
pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont,
dans les cas où un ministre de la Couronne ou le greffier du
Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement,
tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir
d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par
écrit que le renseignement constitue un renseignement confi-
dentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
(2) Pour l'application du paragraphe (I), «un renseignement
confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada»
s'entend notamment d'un renseignement contenu dans:
a) une note destinée à soumettre des propositions ou recom-
mandations au Conseil;
b) un document de travail destiné à présenter des problèmes,
des analyses ou des options politiques à l'examen du Conseil;
c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses
délibérations ou décisions;
d) un document employé en vue ou faisant état de communi
cations ou de discussions entre ministres de la Couronne sur
des questions liées à la prise des décisions du gouvernement
ou à la formulation de sa politique;
e) un document d'information à l'usage des ministres de la
Couronne sur des questions portées ou qu'il est prévu de
porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l'objet
des communications ou discussions visées à l'alinéa d);
f) un avant-projet de loi.
(3) Pour l'application du paragraphe (2), «Conseil» s'entend
du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de
leurs comités respectifs.
Les exceptions prévues au paragraphe 36.3(4) ne
s'appliquent pas. Le Conseil du Trésor est un
comité du Conseil privé de la Reine pour le
Canada: Loi sur l'administration financière,
S.R.C. 1970, chap. F.-10, paragraphe 3(1). Les
documents précisés sont les documents décrits à
l'alinéa 36.3(2)a).
Voici le texte complet du certificat:
[TRADUCTION] Je, soussigné, Gordon Francis Osbaldeston,
fonctionnaire, résidant dans la cité de Nepean, dans la Munici-
palité régionale d'Ottawa-Carleton, dans la province d'Ontario,
certifie et déclare:
1. Je suis le greffier du Conseil privé pour le Canada et le
secrétaire du Cabinet.
2. J'ai personnellement examiné et étudié avec soin une soumis-
sion en date du 21 juillet 1981 présentée par Jean-Luc Pépin
aux Ministres du Conseil du Trésor de même qu'un résumé du
Conseil du Trésor daté du 14 septembre 1981 et préparé par les
fonctionnaires de ce ministère pour fins d'examen par les
ministres du Conseil du Trésor, aux fins de déterminer si ces
documents renferment des renseignements constituant des ren-
seignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le
Canada.
3. Je certifie à cette honorable Cour, conformément au para-
graphe 36.3(1) et à l'alinéa 36.3(2)a) de la Loi sur la preuve au
Canada S.R.C. 1970, chap. E-10, modifié par 1980-81-82
(Can.) chap. l 11, que les documents mentionnés et décrits au
paragraphe 2 ci-dessus, renferment des renseignements consti-
tuant des renseignements confidentiels du Conseil privé de la
Reine pour le Canada et je m'oppose à la divulgation de ces
documents et des renseignements qu'ils renferment.
Il n'est pas clair, à la lumière du dossier, si la
soumission et le résumé avaient effectivement été
produits à l'interrogatoire au préalable, mais leur
teneur avait certainement été révélée et cela, sans
qu'aucune objection ne soit formulée. Voici d'au-
tres documents qui ont effectivement été produits:
(a) une note de service, en date du 30 juin 1981,
envoyée au bureau principal par le bureau régio-
nal du Ministère et renfermant, au dire de l'avo-
cat de l'intimée, certains [TRADUCTION] «passa-
ges repris textuellement de la soumission du
Conseil du Trésor»;
(b) une note de service en date du 8 juillet 1981
envoyée par un fonctionnaire au Ministre pour
lui faire part de la teneur de la note de service
(a);
(c) le troisième paragraphe d'une lettre datée
du 30 juillet 1981 envoyée par le Ministère à
l'avocat de l'appelante, l'informant de la teneur
de la soumission du Ministre au Conseil du
Trésor; et
(d) une lettre datée du 30 septembre 1981 expé-
diée par le sous-secrétaire du Conseil du Trésor
présumément au Ministre ou au Ministère pour
lui communiquer la décision du Conseil du
Trésor.
Le savant juge de première instance a également
refusé d'admettre en preuve certains passages de
l'interrogatoire au préalable portant sur ces docu
ments et sur les renseignements qu'ils renferment.
Le document (d) est le document qui devait être
présenté par le témoin que l'intimée s'est engagée
à assigner. Les renseignements qu'ils renfermaient
auraient pu faire l'objet d'un certificat en règle se
rapportant à la décision en vertu de l'alinéa
36.3(2)c). Aucune objection n'a toutefois été for-
mulée à l'encontre de la divulgation de la décision
du Conseil du Trésor et, en conséquence, pour ce
seul motif, le document (d) était recevable. Le fait
que ce document n'a pas été admis en preuve est
peut-être davantage imputable à la confusion qu'à
une intention de l'exclure.
Pour ce qui est des documents (a) et (b),
j'éprouve énormément de difficulté à admettre
qu'on puisse dire que des documents antérieurs à
la soumission renferment «des passages repris tex-
tuellement de la soumission du Conseil du Trésor».
En fait, ce serait plutôt le contraire. La question
qui se pose est celle de savoir si les renseignements
contenus dans les notes préparées par les fonction-
naires dans l'intention que leur contenu soit à la
base d'une présentation du Ministre, que les notes
en question soient adressées au Ministre ou d'un
fonctionnaire à un autre, devraient être qualifiés
de «renseignement[s] contenu[s] dans une note
destinée à soumettre des propositions ou recom-
mandations au Conseil». A mon avis, une telle
qualification s'impose. Cependant, à moins que le
but du document ressorte à sa face même, il sera
difficile de l'établir. Il y a sûrement une pléiade de
notes de service qui circulent au sein de la Fonc-
tion publique à des fins autres que la présentation
de propositions ou recommandations au Conseil et
dont la divulgation n'est pas interdite par l'article
36.3.
Il ne fait aucun doute que le document (c)
renferme [TRADUCTION] «des renseignements con-
tenus dans la présentation au Conseil du Trésor».
Le dossier d'appel renferme une copie intouchée de
la lettre.
Pour ce qui est des renseignements des deux
documents précisés dans le certificat et des docu
ments (a), (b), et (c), la question consiste mainte-
nant à déterminer si, dans les circonstances, le
certificat empêche effectivement la Cour de les
admettre en preuve. Nous n'examinons pas en
l'espèce des renseignements qui auraient été divul-
gués ou obtenus de façon irrégulière ou illégale. Il
s'agit plutôt de renseignements dont on aurait pu,
et peut-être même dû, préserver la confidentialité,
ce qui n'a toutefois pas été le cas entre les parties à
la présente action. Les renseignements contenus au
document (c) constituaient un aveu, fait en toute
connaissance de cause, au procureur de l'appelante
par un fonctionnaire compétent du Ministère, le 30
septembre 1981, après que l'action eut été inten-
tée. Les documents (a) et (b) ont certainement été
divulgués à l'enquête au préalable tenue dans le
cadre de l'action.
Je ne connais aucun précédent portant sur l'arti-
cle 36.3 et on ne nous en a cité aucun. A l'excep-
tion d'une seule décision, les jugements traitant de
l'article 41 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10 (abrogé par S.C.
1980-81-82-83, chap. 111, art. 3)] maintenant
abrogé de même que la jurisprudence britannique
me sont apparus singulièrement peu utiles, si ce
n'est par la façon dont ils expliquent comment la
non-divulgation, qu'elle se fonde sur la Loi ou sur
la common law, peut servir l'intérêt public. L'arti-
cle 36.3 et les articles connexes offrent un cadre
législatif nouveau et exhaustif.
L'exception susmentionnée est la décision dans
l'arrêt McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 352,
où cette Cour s'est vue demander de restreindre
l'accès du public à des documents dont on aurait
pu invoquer le caractère confidentiel, ce qui n'a
toutefois pas été fait, en vertu du paragraphe
41(1). Ces documents avaient été produits au
greffe de la Cour sous la classification «Très
secret» pour faire partie du dossier de la Cour dans
le cadre d'une demande fondée sur l'article 28. La
Cour a déclaré à la page 356:
... il s'agit alors, me semble-t-il, d'un cas rare où la Cour a la
possibilité de décider de son propre chef que de tels documents
ne doivent pas être produits pour des motifs d'intérêt public, en
particulier lorsque les documents en cause ont déjà été commu-
niqués à la partie adverse, comme c'est le cas en l'espèce.
La demande en vue de restreindre l'accès du public
fut rejetée. Le principe n'est pas entièrement
dénué de pertinence dans les présentes circons-
tances.
L'article 36.3 repose sur le principe suivant
lequel le Conseil privé de sa Majesté pour le
Canada sera suffisamment avisé pour ne pas divul-
guer les renseignements qu'il juge confidentiels et
suivant lequel ce n'est que devant «le tribunal,
l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de
contraindre à la production de renseignements»
qu'il est nécessaire d'invoquer le droit à la confi-
dentialité prévu par la Loi. Une lecture objective
de cet article révèle qu'il protège de la contrainte
de divulguer ces renseignements et non de leur
admission en preuve si ils sont obtenus autrement
que par l'exercice, par le tribunal, de son pouvoir
de contraindre à leur production.
C'est faire preuve de beaucoup d'irréalisme que
de prétendre que le dépôt d'un certificat a pour
effet d'effacer la production de renseignements
déjà légalement divulgués à la partie adverse dans
une procédure judiciaire. Tous ceux qui possèdent
un intérêt légitime dans ces renseignements les ont
en mains sauf la Cour. Le fait de préserver la
confidentialité de ces renseignements uniquement
vis-à-vis de la Cour, dans un tel cas, sous-entend
l'intention du Parlement d'autoriser le dépôt d'un
certificat en vue de faire obstruction à l'adminis-
tration de la justice et ce, sans aucun motif légi-
time apparent. Le Parlement n'a pas exprimé une
telle intention et la lui prêter est tout simplement
choquant.
À mon avis, le certificat produit dans le cadre de
la présente action ne fait pas obstacle à la receva-
bilité en preuve des documents (a), (b), (c) ou (d)
ni à la recevabilité de documents précisés dans le
certificat si ils ont dans les faits été produits à
l'interrogatoire au préalable, ni à la recevabilité de
l'interrogatoire au préalable traitant de ces docu
ments recevables.
L'élément de la preuve suivant lequel le Conseil
du Trésor a approuvé le financement pour les
troisième et quatrième années et a autorisé le
ministère des Transports à négocier, à sa discré-
tion, un contrat ferme pour les troisième et qua-
trième années sur la base de l'engagement non
encore exécuté pris par Tower, doit être soupesé à
la lumière de la recommandation qu'a effective-
ment faite le ministre des Transports au Conseil
du Trésor et de l'absence de tout motif apparent
justifiant l'attribution d'un contrat de deux ans au
soumissionnaire ayant présenté l'offre la plus
élevée. L'intimée avait le droit d'agir arbitraire-
ment, mais, si elle l'a fait, elle a dérogé aux
normes publiées dans ses directives. Je suis d'avis
qu'il y avait des éléments de preuve tendant à
établir que le contrat de deux ans conclu avec
Tower n'était que de la frime. Le savant juge de
première instance a fait erreur en concluant que
les plaidoiries écrites empêchaient d'avancer un tel
argument. Il s'ensuit, à mon avis, que le savant
juge de première instance a fait erreur en accueil-
lant la requête en non-lieu.
Une requête en non-lieu dans un procès civil
sans jury m'apparaît une procédure assez inhabi-
tuelle. Il existe néanmoins des précédents bien que
je n'en ai trouvé aucun dans les rapports judiciai-
res des dernières années. La seule mention concer-
nant le non-lieu dans les Règles de la Cour [Règles
de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] se trouve
à l'article 339 des Règles et cette disposition n'est
d'aucun secours en l'espèce. De même, les deux
arrêts cités durant les plaidoiries devant le juge de
première instance ne sont pas particulièrement
pertinents. Dans Active Construction Ltd. v.
Routledge Gravel Ltd. (1959), 27 W.W.R. 287, la
Cour d'appel de la Colombie-Britannique traitait
du droit d'un défendeur de présenter sa preuve
après le rejet de sa requête en non-lieu dans un cas
où on ne lui avait pas imposé la condition de
s'abstenir de présenter sa preuve par la suite. Dans
McKenzie et al. v. Bergin et al., [1937] O.W.N.
200 (C.A.), le non-lieu avait été accordé dans le
cadre d'un procès devant jury.
La Cour d'appel de l'Alberta, dans Hayhurst v.
Innisfail Motors Ltd., [1935] 1 W.W.R. 385, a
examiné une requête en non-lieu dans le cadre
d'un procès civil sans jury. Tous les défendeurs ont
demandé et obtenu un non-lieu. En définitive, la
Cour d'appel a jugé que la décision d'accorder le
non-lieu était fondée à l'égard de tous les défen-
deurs sauf un. La Cour, unanime sur cette ques
tion, a adopté ce qui lui est apparu être la pratique
en Ontario, comme l'a souligné le juge en chef à la
page 391:
[TRADUCTION] ... à l'avenir, lorsqu'un défendeur sollicite le
rejet de la demande, une fois la preuve du demandeur close, il
le fait au risque de se voir priver du droit de présenter quelque
élément de preuve que ce soit en sa faveur, car si le juge du
procès accueille sa demande et que la Cour d'appel en vient à la
conclusion que ce dernier était dans l'erreur, elle se sentirait
libre de statuer définitivement sur le cas à la lumière de la
preuve déjà produite et elle agira ainsi à moins qu'elle ne juge,
dans l'exercice de sa discrétion, qu'il y va de l'intérêt de la
justice de procéder autrement.
On a ordonné la tenue d'un nouveau procès dans le
cas de l'un des défendeurs.
Je suis d'avis que l'intérêt de la justice com-
mande en l'espèce la tenue d'un nouveau procès.
Ce n'est que pure spéculation que de se deman-
der si la requête en non-lieu aurait été présentée ou
accueillie si le savant juge de première instance
avait bien évalué l'effet du certificat. Ses erreurs
sur ce point étaient probablement imputables, dans
une large mesure, au fait que ce document a été
produit au tout dernier moment. Il ressort claire-
ment du dossier que Frobisher Bay ne disposait
pas d'une bibliothèque adéquate, que l'avocat de
l'appelante a été pris par surprise et que la situa
tion, principalement sur le plan géographique, a
fait en sorte qu'il était pratiquement impossible
d'ajourner afin de permettre aux intéressés d'exa-
miner à fond l'effet du certificat.
Je suis d'avis d'acueillir l'appel et, les dépens de
l'appel de même que ceux accordés en première
instance seront taxés et payables sur le champ
entre procureur et client. Les autres dépens devant
la Division de première instance devraient être
laissés à la discrétion du juge qui présidera le
nouveau procès. Dans les circonstances, il n'est pas
nécessaire d'examiner l'appel interjeté à l'encontre
de l'évaluation des dommages-intérêts.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris aux présents
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.